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Décisions

CCE, 10 février 1999, n° 1999-199

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Aéroports Portugais

CCE n° 1999-199

10 février 1999

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment ses articles 86 et 90 paragraphes 1 et 3, après avoir donné aux autorités portugaises, à Aeroportos e Navegaçao Aérea-Empresa Publica (ANA), TAP Air Portugal et Portugalia l'occasion de faire connaître leur point de vue concernant les griefs formulés par la Commission, considérant ce qui suit :

I - FAITS

a) Mesure étatique en cause

(1) La présente procédure concerne le système de rabais sur les redevances d'atterrissage et les modulations de ces redevances selon l'origine du vol mis en place dans les aéroports portugais. Le décret-loi n° 102-90 du 21 mars 1990 prévoit en son article 18 que le montant des redevances aéronautiques est fixé, après avis de la direction générale de l'Aviation civile, dans les aéroports gérés par Aeroportos e Navegaçao Aérea-Empresa Publica (ANA) par voie d'arrêté ministériel. Le paragraphe 3 de cet article indique qu'une modulation suivant la catégorie, la fonction et le degré d'utilisation de chaque aéroport est possible. Le décret d'application (Decreto regulamentar) n° 38-91 du 29 juillet 1991 fixe les modalités des redevances d'atterrissage :

"Article 4 (1) : Une redevance d'atterrissage et de décollage est due pour chaque atterrissage et est calculée en fonction de la masse maximale au décollage indiquée dans le certificat de navigabilité.

Article 4 (5) : Les vols intérieurs bénéficient d'une réduction de 50 %".

Tous les ans le gouvernement publie un arrêté portant actualisation du niveau des redevances.

(2) Le système de rabais suivant a été institué par l'arrêté ministériel n° 352-98 (Portaria) du 23 juin 1998 conformément au décret-loi n° 102-90.

EMPLACEMENT TABLEAU

b) Entreprise et services concernés

(3) ANA est une entreprise publique chargée de la gestion des trois aéroports continentaux (Lisbonne, Faro, Porto), des quatre aéroports des Açores (Ponta Delgada, Horta, Santa Maria et Flores), des aérodromes et de la navigation aérienne. Les aéroports de l'archipel de Madère sont gérés par ANAN sa.

L'article 3, paragraphe 1, du décret-loi n° 246-79 créant l'entreprise ANA dispose que :

"il incombera à ANA-EP d'exploiter et de développer les services publics d'aide à l'aviation civile sous forme d'entreprise en ayant comme objectif d'orienter, diriger et contrôler le trafic aérien, d'assurer le départ et l'arrivée des aéronefs, l'embarquement, le débarquement et l'acheminement des passagers, du fret et de la poste".

(4) ANA donne ainsi son agrément aux compagnies aériennes qui veulent avoir accès aux infrastructures aéroportuaires qu'elle gère, et fournit à ces opérateurs les services liés à l'atterrissage et au décollage de leurs appareils, en contrepartie desquels ANA perçoit des redevances, dont le niveau et le montant sont déterminés par voie d'arrêté ministériel (1).

c) Redevances d'atterrissage

(5) L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), dans son manuel sur l'économie des aéroports (2) recommande à ses membres de calculer les redevances d'atterrissage en fonction de la masse maximale au décollage Elle définit ainsi la redevance d'atterrissage :

"Droits et redevances perçus pour l'usage des pistes, voies de circulation et aires de trafic, y compris le balisage lumineux correspondant, ainsi que pour les services de contrôle d'approche et d'aérodrome"

(6) La redevance correspond à l'imputation des "coûts d'exploitation et de maintenance ainsi que les frais d'administration imputables à ces aires, ainsi qu'aux véhicules et au matériel associés, y compris les dépenses afférentes à la main-d'œuvre, au véhicule d'entretien, à l'électricité et aux carburants".

d) Principaux arguments des autorités portugaises et de ANA

(7) Les autorités portugaises justifient l'existence d'une modulation des redevances selon l'origine du vol par le fait que :

- d'une part, les vols intérieurs desservent des aéroports insulaires pour lesquels il n'y a aucune alternative au transport aérien,

- d'autre part, les autres vols intérieurs sont très courts et à des tarifs peu élevés.

(8) Les autorités portugaises soulignent les aspects de cohésion économique et sociale qui sont à l'origine d'un tel système.

(9) En ce qui concerne les vols internationaux, les aéroports portugais font face à la concurrence des aéroports de Madrid et de Barcelone qui ont le même type de tarification. D'autre part, les autorités portugaises souhaitent promouvoir les économies d'échelle résultant d'une plus grande utilisation des aéroports et le Portugal comme destination touristique.

(10) ANA a indiqué que la mise en place d'un système de modulation et de rabais sur les redevances d'atterrissage répondait à deux préoccupations :

- appliquer une politique tarifaire similaire à celles en vigueur dans les aéroports de Madrid et de Barcelone, aéroports situés dans la même zone géographique,

- diminuer les coûts d'exploitation des transporteurs qui utilisent le plus fréquemment et le plus régulièrement les aéroports gérés par ANA.

II - APPRECIATION JURIDIQUE

a) Article 90, paragraphe 1

(11) L'article 90, paragraphe 1, du traité dispose que "les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 6 et 85 à 94 inclus".

(12) Le décret-loi n° 246-79 octroie à ANA le droit exclusif d'administrer les infrastructures aéroportuaires de Lisbonne, Porto, Faro et des Açores.

ANA, de par son statut, est une entreprise publique au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité.

(13) D'autre part, l'article 21 du décret-loi n° 246-79 indique que l'Etat approuve les tarifs et les redevances proposés par ANA.

La politique tarifaire actuellement appliquée par ANA-EP s'appuie donc sur des dispositions législatives (décrets-lois n° 246-79 et n° 102-90) et réglementaires (décrets n° 38-91 et n° 24-95), et a été établie par le gouvernement par l'arrêté n° 352-98.

Ces différentes dispositions législatives ou réglementaires peuvent donc être considérées comme des mesures étatiques au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité.

b) Article 86

Le marché en cause

(14) Le marché en cause est celui des services liés à l'accès aux infrastructures aéroportuaires pour lesquels la redevance est due, c'est-à-dire l'exploitation et la maintenance des pistes, des voies de circulation et des aires de trafic et le guidage d'approche.

Ainsi que la Cour de justice des Communautés européennes l'a indiqué, l'organisation, pour le compte de tiers, d'opérations portuaires dans un seul port peut constituer un marché pertinent au sens de l'article 86 du traité (3). De même, la Cour a considéré le marché du service du pilotage dans le port de Gênes comme marché pertinent dans son arrêt dans l'affaire Corsica Ferries II (4).

La Cour fondait son raisonnement sur le fait que, dès lors qu'un opérateur souhaite offrir un service de transport sur une route maritime donnée, l'accès aux installations portuaires situées de part et d'autre de cette liaison constitue une condition indispensable pour la réalisation de celui-ci.

Ce raisonnement peut aisément se transposer au secteur du transport aérien et à l'accès aux aéroports. Il s'agit de la même définition du marché que celle qui avait été retenue dans la décision 95-364-CE de la Commission du 28 juin 1995 au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité relative au système de rabais sur les redevances d'atterrissage mis en place à l'aéroport de Bruxelles National (5).

(15) Par ailleurs, les marchés pour le transport des passagers et des marchandises sur les liaisons aériennes court et moyen-courriers intracommunautaires constituent un marché voisin mais distinct qui est affecté par les effets d'un comportement abusif de l'entreprise sur le marché des services liés à l'atterrissage et au décollage. C'est donc aussi sur ce marché que les effets de l'exploitation abusive de la position dominante détenue par ANA peuvent se faire sentir.

(16) Des sept aéroports gérés par ANA, jusqu'à présent, seuls trois aéroports ont un trafic intracommunautaire significatif (Lisbonne, Porto et Faro).

(17) Ces sept aéroports sont peu substituables, de sorte que chacun peut être considéré comme un marché géographique distinct.

En effet, les compagnies aériennes exploitant des services aériens réguliers ou des services charters intérieurs et intracommunautaires, à destination ou au départ du Portugal sont dans l'obligation d'utiliser les aéroports gérés par ANA Les aéroports de Porto, Lisbonne, Faro et des Açores ne sont pas substituables, car ils sont distants de plusieurs centaines de kilomètres les uns des autres et ont chacun une zone d'influence bien délimitée correspondant chacune à une région touristique différente : l'aéroport de Lisbonne dessert la capitale et le centre du pays, celui de Porto dessert le nord, Faro le sud et Ponta Delgada, Santa Maria, Horta et Flores l'archipel des Açores Par ailleurs, les liaisons ferroviaires et routières n'offrent pas d'alternatives adéquates pour les liaisons entre Porto, Lisbonne et Faro.

Les seuls aéroports internationaux susceptibles de desservir la même zone géographique, à savoir Madrid et Barcelone, sont distants des aéroports portugais continentaux de plus de 600 kilomètres et ne sont pas non plus reliés de façon adéquate, par route ou par chemin de fer, pour constituer une alternative réaliste.

Lisbonne et Madrid peuvent toutefois être considérés en concurrence lorsqu'une compagnie aérienne utilise l'un ou l'autre de ces aéroports comme aéroport pivot (hub). On note cependant que la part de ce trafic dans le volume total des atterrissages à Lisbonne est marginale.

Concernant les aéroports de l'archipel des Açores, la substituabilité de Ponta Delgada, Santa Maria, Horta et Floresest aussi très faible compte tenu du fait que chacun de ces aéroports dessert une île différente et que ces îles sont desservies par des liaisons maritimes d'une durée relativement longue et avec des fréquences peu élevées.

(18) Dès lors, aux yeux de nombreux passagers au départ ou à destination du Portugal, les services aériens intérieurs ou intracommunautaires utilisant les aéroports gérés par ANA ne sont pas interchangeables avec les services offerts dans d'autres aéroports communautaires.

(19) Les transporteurs aériens exploitant des services intérieurs ou intracommunautaires au départ ou à destination du Portugal n'ont donc pas d'autre choix que d'utiliser les aéroports gérés par ANA et les services d'accès aux infrastructures aéroportuaires qui sont offerts dans ces aéroports.

Effet sur le commerce entre Etats membres

(20) Dans son arrêt dans l'affaire Corsica Ferries II (6), la Cour a reconnu que des pratiques discriminatoires "sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres en ce qu'elles touchent des entreprises effectuant des transports entre deux Etats membres".

La part du trafic intracommunautaire dans les aéroports portugais s'établit comme suit :

EMPLACEMENT TABLEAU

EMPLACEMENT TABLEAU

Dans les aéroports continentaux, l'effet sur le commerce entre Etats membres est clairement établi par les données mentionnées ci-dessus. En effet, une grande majorité du trafic est réalisée entre le Portugal et un autre Etat membre.

En ce qui concerne les quatre aéroports des Açores, le trafic est entièrement intérieur ou provenant de pays tiers. Par conséquent, à cet égard, la mesure étatique en cause n'est pas susceptible d'affecter les échanges entre les Etats membres. Cela est sans préjudice de l'application des règles du traité et du droit dérivé relatives à la libre prestation des services.

La partie substantielle du Marché commun

(21) Les aéroports gérés par ANA ont connu les trafics suivants en 1997 :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les aéroports de Lisbonne, Porto et Faro ont des trafics importants supérieurs à deux millions de passagers, 6,8 millions pour Lisbonne, 2,3 millions pour Porto et 3,8 millions pour Faro et couvrent tout le territoire du Portugal continental. On peut considérer dès lors que l'ensemble de ces aéroports exploitant des liaisons intracommunautaires représente une partie substantielle du Marché commun si l'on transpose au cas d'espèce le raisonnement adopté par la Cour dans les arrêts dans les affaires Crespelle (7) et Almelo (8). Dans l'arrêt Crespelle, la Cour a en effet déclaré que, en "établissant ainsi, en faveur de ces entreprises, une juxtaposition de monopoles territorialement limités, mais couvrant, dans leur ensemble, tout le territoire d'un Etat membre, ces dispositions nationales créent une position dominante au sens de l'article 86 du traité sur une partie substantielle du Marché commun" (9).

(22)A fortiori, une juxtaposition de monopoles contrôlés par la même entreprise (ANA) est susceptible de représenter une partie substantielle du Marché commun.

La position dominante

(23) Dans son arrêt Corsica Ferries III (10), la Cour a déclaré que "une entreprise qui bénéficie d'un monopole légal dans une partie substantielle du Marché commun peut être considérée comme occupant une position dominante au sens de l'article 86 du traité" (11).

L'entreprise publique ANA détient donc, du fait du droit exclusif octroyé par le décret-loi n° 246-79 pour chaque aéroport qu'elle gère, une position dominante sur le marché des services liés à l'atterrissage et au décollage des avions pour lesquels est perçue une redevance.

L'abus de position dominante

(24) Le système de redevances d'atterrissage et de rabais sur redevances, mis en place par ANA et approuvé par le gouvernement portugais après un processus de consultation a pour effet d'appliquer, à l'égard des compagnies aériennes, des conditions inégales à des prestations équivalentes, liées à l'atterrissage et au décollage en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence.

a) Rabais octroyés en fonction du nombre d'atterrissages

(25) Le rabais de 7,2 % à Lisbonne (18,4 % dans les autres aéroports) est appliqué à partir du cinquantième atterrissage mensuel, soit plus d'un atterrissage par jour. À partir du centième et du cent cinquantième atterrissages des rabais de 14,6 et 22,5 % respectivement sont appliqués à Lisbonne (24,4 et 31,4 % dans les autres aéroports). Les atterrissages suivants reçoivent un rabais de 32,7 % à Lisbonne (40,6 % dans les autres aéroports).

Les bénéficiaires de ces rabais à Lisbonne sont les suivants :

Le taux moyen de rabais est calculé par l'application successive des différentes tranches de rabais Ce taux reflète le rabais effectivement consenti par ANA aux compagnies suivantes sur la totalité de leurs vols.

EMPLACEMENT TABLEAU

(26) Chaque atterrissage après le deux centième bénéficie d'un rabais de 32,7 % à Lisbonne et de 40,6 % dans les autres aéroports, sans aucune limite en terme de nombre d'atterrissages. C'est pourquoi, les compagnies aériennes réalisant un nombre d'atterrissages mensuel bien supérieur à 200, comme TAP et Portugalia, bénéficient d'un taux moyen de rabais proportionnellement plus élevé Sur une liaison donnée où TAP ou Portugalia sont en concurrence avec d'autres transporteurs et pour un même type d'avion, TAP et/ou Portugalia reçoivent respectivement un rabais moyen de 30 et 22 % sur leurs coûts de décollage et d'atterrissage pour une prestation équivalente de la part de ANA infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence aux autres transporteurs. Les rabais octroyés aux autres transporteurs, Iberia (8 %), Air France (6 %), Lufthansa (5 %), British Airways (4 %), Swissair, Alitalia et Sabena (1 %) varient entre 8 % et 1 % et n'ont dès lors pas un poids significatif Dès lors, ce système favorise de facto les compagnies aériennes nationales, à savoir TAP et Portugalia.

(27) Selon la jurisprudence du Tribunal de première instance (12), des comportements commerciaux considérés comme normaux peuvent constituer des abus au sens de l'article 86 du traité s'ils sont le fait d'une entreprise en position dominante.

Une différence de traitement de la part d'une entreprise en position dominante entre ses différents clients doit être justifiée par des raisons objectives.

Cette différence de traitement concernant un service (guidage d'approche, utilisation des aires de trafic, etc) nécessitant la même prestation de la part d'ANA quelle que soit la compagnie aérienne en cause, n'est justifiée par aucune raison objective. Un aéroport dispose pour une très grande partie de son trafic d'un monopole naturel. Il est le passage obligé pour un transporteur désirant desservir une ville donnée.

Aucun élément fourni par les autorités portugaises ne permet de démontrer que des économies d'échelle existent dans le cas d'espèce. En effet, le traitement d'un avion à l'atterrissage ou décollage est le même quel que soit son propriétaire ou qu'il s'agisse du premier ou du dixième avion d'un même transporteur.

(28) Les autorités portugaises ont invoqué trois justifications principales pour l'instauration de ce système de rabais :

- la concurrence des aéroports de Madrid et de Barcelone qui ont mis en place ce type de rabais,

- l'existence d'économies d'échelle liées à une utilisation intensive des infrastructures,

- la promotion du Portugal comme destination touristique.

(29) En ce qui concerne la première justification, la Commission a également ouvert une procédure concernant le système en place dans les aéroports espagnols et a envoyé une lettre de mise en demeure le 28 avril 1997. Par ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour notamment dans son arrêt dans l'affaire Hedley Lomas (13), un Etat membre ne peut justifier une violation du droit communautaire commise par lui en invoquant le fait qu'un autre Etat membre a manqué également aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire.

(30) En ce qui concerne la deuxième justification, les autorités portugaises n'ont mentionné aucune économie d'échelle en particulier, mais ont par contre indiqué que l'aéroport devait promouvoir une plus grande utilisation de ses infrastructures. Dans sa décision 95-364-CE (14), la Commission avait répondu à l'argument des économies d'échelle en indiquant que "la Commission estime qu'un tel système ne pourrait se justifier que par des économies d'échelle qui seraient réalisées par RVA Dans le cas d'espèce, tel n'est pas le cas RVA n'a pas démontré à la Commission que le traitement d'un décollage ou d'un atterrissage d'un appareil appartenant à une compagnie plutôt qu'à une autre engendre des économies d'échelle. En effet, le traitement d'un atterrissage ou décollage d'un avion requiert le même service quel que soit son propriétaire et quel que soit le nombre d'avions appartenant à une même compagnie. Tout au plus, RVA pourrait arguer d'économies d'échelle dans l'établissement des factures, une facturation unique pour un transporteur à fort trafic reprenant un grand nombre de mouvements contre une multitude de factures avec peu de mouvements. Ces économies d'échelle sont, cependant, d'un montant négligeable". Le même raisonnement s'applique en l'espèce, vu que le traitement d'un atterrissage ou d'un décollage requiert le même service quel que soit le nombre d'avions appartenant à la même compagnie.

(31) En ce qui concerne la promotion d'une plus grande utilisation des infrastructures et la troisième justification à savoir la promotion du Portugal comme destination touristique, elles ne peuvent être acceptées car ces objectifs pourraient être atteints par des rabais non discriminatoires accessibles à toutes les compagnies aériennes desservant les aéroports portugais continentaux.

(32) La Cour a considéré qu'un Etat membre enfreint les dispositions des articles 90 et 86 du traité lorsqu'il amène l'entreprise à exploiter sa position dominante de façon abusive en procédant à l'application aux partenaires commerciaux, de conditions inégales pour des prestations équivalentes, au sens de l'article 86, deuxième alinéa, point c), du traité[affaire Corsica ferries II (15), affaire Raso (16), affaire Corsica ferries III (17)].

Le fait pour une entreprise placée dans la position de ANA, d'appliquer à l'égard des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence constitue un premier abus de position dominante au sens de l'article 86, deuxième alinéa, point c) du traité.

b) La différence du montant des redevances selon la nature des vols intérieurs ou internationaux

(33) L'article 4, paragraphe 5, du décret d'application n° 38-91 prévoit que "les vols intérieurs bénéficient d'une réduction de 50 %". Le système de tarification différenciée selon qu'il s'agit de vols intérieurs ou de vols intracommunautaires, est également contraire au traité.

(34) À cet égard l'arrêt Corsica Ferries II (18) de la Cour de justice est très clair. La Cour, dans cette affaire, a en effet déclaré que :

"L'article 90, paragraphe 1, et l'article 86 du traité interdisent à une autorité nationale, en approuvant les tarifs arrêtés par une entreprise investie du droit exclusif d'offrir des services de pilotage obligatoire dans une partie substantielle du Marché commun, d'amener celle-ci à appliquer des tarifs différents aux entreprises de transport maritime, selon que ces dernières effectuent des transports entre Etats membres ou entre des ports situés sur le territoire national".

Dans ses conclusions l'avocat général Van Gerven faisait valoir que (19) :

"Ce qui importe, c'est qu'il n'existe aucun lien entre ces différences tarifaires et la nature du service de pilotage qui est proposé et qui est absolument identique dans les deux cas (...). Nous estimons, pour notre part, que nous sommes ici clairement en présence d'un cas d'application de la forme d'abus de position dominante qui est prévue par l'article 86, deuxième alinéa, point c), du traité et qui consiste à "appliquer à l'égard des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence" (*).

(*) Sur ce point un parallèle peut effectivement être établi avec la situation qui était en cause dans l'affaire United Brands contre Commission (arrêt du 14 février 1978, affaire 27-76, Recueil p 207) : la Cour a estimé que la politique des prix discriminatoires d'UBC qui facturait aux distributeurs-mûrisseurs des prix différents d'Etat membre à Etat membre pour la livraison de quantités et de types de bananes identiques en substance constituait un abus de position dominante dès lors que "ces prix discriminatoires selon les Etats membres constituaient autant d'obstacles à la libre circulation des marchandises" (point 232) et que "ainsi était créé un cloisonnement rigide des marchés nationaux à des niveaux de prix artificiellement différents, entraînant pour certains distributeurs-mûrisseurs un désavantage dans la concurrence ainsi faussée par rapport à ce qu'elle aurait dû être" (point 233). Le même raisonnement peut être appliqué mutatis mutandis à la présente affaire : les tarifs différenciés appliqués par la Corporation constituent un obstacle à la libre prestation des services de transport maritime intracommunautaires et placent les compagnies qui assurent de tels services dans une position de concurrence désavantageuse"

(35) Transposant cette argumentation au domaine des aéroports, on aperçoit que ce système différencié de redevances d'atterrissage, mis en place par ANA, a pour effet d'appliquer à l'égard de compagnies aériennes des conditions inégales à des prestations équivalentes, liées à l'atterrissage et au décollage en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, et constitue par conséquent un abus de position dominante au sens de l'article 86, deuxième alinéa, point c) du traité.

Il est clair qu'un tel système a pour effet direct de créer un désavantage pour les compagnies qui assurent des vols intracommunautaires en modifiant artificiellement les éléments du coût de revient des entreprises, suivant qu'elles opèrent des liaisons intérieures ou internationales.

(36) Au sujet de cette seconde infraction au traité, les autorités portugaises et ANA ont indiqué que cette mesure visait à aider les vols reliant les Açores au continent pour lesquels il n'y a aucune alternative et les vols intérieurs continentaux du fait de leurs courtes distances et de leurs tarifs peu élevés.

Les aéroports des Açores reçoivent moins de 1 % de trafic provenant des Etats membres autres que le Portugal. C'est pourquoi, il est considéré au considérant 20 que la mesure étatique en cause, en ce qui concerne l'application de ce système pour les vols à destination ou au départ des Açores, n'est pas susceptible d'affecter les échanges entre les Etats membres. Dès lors, il n'est pas nécessaire de répondre à l'argument avancé par les autorités portugaises en ce qui concerne l'application de ce système pour les vols à destination ou au départ des Açores.

(37) Toutefois, il est évident que si, suite à la libéralisation du trafic aérien pour l'archipel des Açores découlant de l'article 1er, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 2408-92 du Conseil du 23 février 1992 concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons intracommunautaires (20), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède à partir du 1er juillet 1998, un trafic communautaire (21) devait se développer entre les aéroports des Açores et les autres aéroports de la Communauté, la mesure étatique en question pourrait être analysée au regard de l'article 90, paragraphe 1, et de l'article 86 du traité.

(38) En ce qui concerne les autres vols intérieurs, l'argument développé par les autorités portugaises est que les vols intérieurs étant tellement courts, le poids de la redevance d'atterrissage dans le coût du transport serait trop élevé. Cependant, la redevance est calculée en fonction du poids de l'appareil et non pas de la distance.

(39) Si cette argumentation était suivie, les vols à partir du Portugal et à destination de Madrid, Séville, Malaga et Santiago devraient également bénéficier de cette réduction puisque ces villes sont situées à une distance comparable à celle d'un vol intérieur. Le facteur "distance" devrait alors intervenir dans le calcul de la redevance.

(40) Le fait pour une entreprise placée dans la position de ANA, d'appliquer à l'égard des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en ce qui concerne les vols au départ ou à destination des aéroports continentaux portugais en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence constitue un second abus de position dominante au sens de l'article 86, deuxième alinéa, point c), du traité.

c) Article 90 paragraphe 2

(41) Les autorités portugaises n'ont pas invoqué l'exception prévue à l'article 90, paragraphe 2, du traité pour justifier l'instauration et le maintien d'un tel système de rabais sur les redevances d'atterrissage.

(42) En outre, la Commission considère que, en l'espèce, l'application des règles de concurrence ne fait pas obstacle à la mission particulière confiée à ANA qui est celle de l'entretien et de l'exploitation des aéroports portugais. Elle ne ferait pas non plus obstacle à une mission particulière de service public qui serait confiée à une compagnie aérienne. En effet, les conditions et les modalités dans lesquelles un Etat membre peut imposer des obligations de service public sur des services aériens réguliers intracommunautaires sont précisément définies à l'article 4 du règlement (CEE) n° 2408-92.

(43) L'exception prévue à l'article 90, paragraphe 2, du traité n'est donc pas d'application.

d) Conclusion

(44) L'analyse précédente établit que le système de redevances d'atterrissage appliqué par ANA, implique pour le même service d'utilisation des pistes, voies de circulation et aires de trafic et de contrôle d'approche, le versement de redevances différentes selon le nombre d'atterrissages mensuel ou selon l'origine du vol (intérieur ou intracommunautaire) sans justification objective.

(45) Compte tenu de ce qui précède, la Commission considère que la mesure étatique visée aux considérants 1 et 2, dans la mesure où elle oblige l'entreprise publique ANA à appliquer ledit système, constitue une infraction à l'article 90, paragraphe 1, du traité en liaison avec l'article 86 en ce qui concerne son application dans les aéroports portugais continentaux,

A ARRÊTE LA PRESENTE DECISION :

Article premier

Le système de rabais sur les redevances d'atterrissage et de modulation selon l'origine du vol prévu par le décret-loi (Decreto-Lei) n° 102-90 du 21 mars 1990, le décret d'application (Decreto Regulamentar) n° 38-91 du 29 juillet 1991 et l'arrêté ministériel (Portaria) n° 352-98 du 23 juin 1998, dans les aéroports de Lisbonne, Porto et Faro constitue une mesure incompatible avec l'article 90, paragraphe 1, du traité en liaison avec l'article 86 dudit traité.

Article 2

Le Portugal est tenu de mettre fin à l'infraction visée à l'article 1er et d'informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'il aura prises à cet effet.

Article 3

La République portugaise est destinataire de la présente décision.

(1) Considérants 1 et 2.

(2) Document 95621991 OACI.

(3) Arrêt du 10 décembre 1991, affaire C-179-90 : Merci Convenzionali Porto di Genova contre Siderugica Gabrielli (Port de Gênes, Recueil 1991, p I-5889, point 15 des motifs.

(4) Arrêt du 17 mai 1994, affaire C-18-93 : Corsica Ferries Italia contre Corpo dei piloti del Porto di Genova (Corsica Ferries II), Recueil 1994, p I-1783.

(5) JO L 216 du 12 9 1995, p 8.

(6) Voir note 4.

(7) Arrêt du 5 octobre 1994, affaire C-323-93 : Société agricole du centre d'insémination de la Crespelle contre Coopérative d'élevage et d'insémination artificielle du département de la Mayenne (Crespelle), Recueil 1994, p I-5077.

(8) Arrêt du 27 avril 1994, affaire C-393-92 : Commune d'Almelo et autres contre NV Energiebedrijf (Almelo), Recueil 1994, p I-1477.

(9) Point 17 des motifs.

(10) Affaire C-266-96 : Corsica Ferries France SA contre Gruppo Antichi Ormeggiatori del porto di Genova Coop ARL, Gruppo Ormeggiatori del Golfo di la Spezia Coop ARL et Ministero dei Trasporti e della Navigazione (Corsica Ferries III), Recueil 1998, p I-3949, point 39 des motifs.

(11) Voir aussi arrêt du 23 avril 1991, affaire C-41-90 : Höfner et Elser, Recueil 1991, p I-1979, point 28 des motifs arrêt du 18 juin 1991, affaire C-260-89, ERT, Recueil 1991, p I-2925, point 31 des motifs arrêt du 10 décembre 1991, affaire C-179-90 : Merci Convenzionali Porto di Genova contre Siderugica Gabrielli (Port de Gênes), Recueil 1991, p I-5889, point 14 des motifs arrêt du 12 février 1998, affaire C-163-96 : Raso et autres, Recueil 1998, p I-0533, point 25 des motifs.

(12) Arrêt du 1er avril 1993, affaire T-65-89 : BPB Industries contre British Gypsum, Recueil 1993, p II-389, point 69 des motifs.

(13) Arrêt du 23 mai 1996, affaire C-5-94 : The Queen/Ministry of Agriculture Fisheries and Food ex parte : Hedley Lomas (Ireland) Ltd, Recueil 1996, p I-2553.

(14) Note 5, 16.

(15) Voir note 4.

(16) Voir note 11.

(17) Voir note 10.

(18) Voir note 4.

(19) Considérant 34.

(20) JO L 240 du 24 8 1992, p 8.

(21) Suivant les horaires publiés pour novembre 1998 dans l'Official Airline Guide (OAG), il n'y a encore aucun vol direct régulier entre un aéroport des Açores et un aéroport de la Communauté européenne non portugais.