CJCE, 17 novembre 1998, n° C-70/97 P
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Kruidvat (BVBA), Commission des Communautés européennes, Parfums Givenchy (SA), Comité de liaison des syndicats européens de l'industrie de la parfumerie et des cosmétiques, Fédération européenne des parfumeurs détaillants
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodriguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Puissochet, Hirsch
Rapporteur :
M. Jann
Avocat général :
M. Fennelly
Juges :
MM. Mancini, Gulmann, Murray, Edward, Ragnemalm, Sevon, Wathelet
Avocats :
Mes Brouwer, Empel, Wytinck, Bizet, Herbert, Verniau.
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 février 1997, Kruidvat BVBA (ci-après "Kruidvat") a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 12 décembre 1996, Kruidvat/Commission (T-87-92, Rec. p. II-1931, ci-après l'"arrêt attaqué"), en tant qu'il a déclaré irrecevable son recours tendant à l'annulation de la décision 92-428-CEE de la Commission, du 24 juillet 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-33.542 - Système de distribution sélective de Parfums Givenchy) (JO L. 236, p. 11, ci-après la "décision").
2. Aux termes de l'arrêt attaqué, les faits à l'origine du litige sont les suivants:
"1 La partie requérante, BVBA Kruidvat... est la filiale belge d'une chaîne néerlandaise d'environ 300 magasins, dont l'activité repose sur le concept dénommé 'health & beauty' et qui opèrent sous l'enseigne 'Kruidvat'. Ces magasins comportent un rayon consacré aux produits cosmétiques, un rayon d'alimentation diététique et naturelle et un rayon de parfumerie offrant différentes marques concurrentes de parfums de luxe, incluant ceux de la marque Givenchy, obtenues sur le marché parallèle. Aux Pays-Bas, la chaîne Kruidvat est considérée par le consommateur comme le 'numéro un absolu' en matière de vente de parfums de luxe (voir les annexes 18 et 20 à la réplique).
2 Parfums Givenchy SA (ci-après 'Givenchy') est un producteur de produits cosmétiques de luxe et fait partie du groupe Louis Vuitton Moët-Hennessy qui, avec les sociétés Parfums Christian Dior et Parfums Christian Lacroix, opèrent sur le même marché que Givenchy. Par l'intermédiaire de ces trois sociétés, le groupe Louis Vuitton Moët-Hennessy détient plus de 10 % du Marché communautaire des produits parfumants de luxe.
3 Le 19 mars 1990, Givenchy a notifié à la Commission un réseau de contrats de distribution sélective pour la commercialisation de ses produits de parfumerie alcoolisés, de soin et de beauté dans les États membres, en demandant, à titre principal, une attestation négative au titre de l'article 2 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après règlement n° 17), et, à titre subsidiaire, une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.
4 Il ressort du 'contrat de distributeur agréé CEE ligne parfumée' (ci-après 'Contrat') et des conditions générales de vente y annexées, dans leur version notifiée, que le réseau de distribution Givenchy est un réseau fermé, comportant une interdiction pour ses membres de vendre ou de se procurer des produits de la marque Givenchy en dehors du réseau. Pour sa part, Givenchy s'engage à assurer le respect de la distribution dans le cadre des lois et réglementations en vigueur et à retirer sa marque des points de vente qui ne rempliraient pas les conditions contractuelles de sélection.
5 Les critères de sélection des détaillants agréés prévus par le Contrat se réfèrent essentiellement à la qualification professionnelle du personnel et aux stages qu'il est tenu d'effectuer, à la localisation et à l'installation du point de vente, à l'enseigne du détaillant ainsi qu'à certaines autres conditions à remplir par celui-ci, concernant notamment le stockage des produits, la réalisation d'un chiffre minimal d'achats annuels, la présence dans le point de vente d'un assortiment de marques concurrentes suffisant à illustrer l'image des produits Givenchy et la coopération publicitaire et promotionnelle entre le détaillant et Givenchy.
6 Le 8 octobre 1991, la Commission a publié, conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, une communication indiquant son intention d'adopter une attitude favorable à l'égard du Contrat et invitant les tiers intéressés à lui faire parvenir leurs observations éventuelles dans un délai de trente jours (JO C. 262, p. 2).
7 A la suite de cette publication, la Commission a reçu un certain nombre d'observations, dont celles du Raad voor het Filiaal- en Grootwinkelbedrijf (conseil du secteur des magasins à succursales et des grandes surfaces, ci-après 'Raad FGB'), déposées le 29 novembre 1991. A cette époque, Kruidvat BV, une des sociétés-mères de Kruidvat, était membre du Raad FGB.
8 Le Contrat, dans la version visée par la décision... est entré en vigueur à compter du 1er janvier 1992 (voir point I. C, deuxième alinéa, de la Décision).
9 Le 3 juillet 1992, Copardis SA (ci-après "Copardis"), représentant exclusif de Givenchy en Belgique, a cité Kruidvat à comparaître à l'audience des référés du 8 juillet 1992 devant le président du Rechtbank van koophandel te Dendermonde afin de s'entendre ordonner la cessation de toutes les ventes de produits de la marque Givenchy sur le territoire belge, au motif, principalement, qu'un revendeur qui ne fait pas partie du réseau de distribution sélective de Givenchy, mais qui vend néanmoins ses produits, se rend coupable d'un acte de concurrence déloyale au sens de la législation belge sur les pratiques du commerce. A titre de moyen de défense dans cette procédure, Kruidvat a fait valoir que le réseau de distribution sélective de Givenchy est illicite en raison de sa contrariété à l'article 85, paragraphes 1 et 2, du traité.
10 La Commission a adopté la Décision le 24 juillet 1992. L'article 1er du dispositif se lit comme suit:
"Article premier
Les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE sont déclarées inapplicables, conformément à l'article 85, paragraphe 3, au contrat type de distributeur agréé liant Givenchy, ou le cas échéant les agents exclusifs de Givenchy, à ses détaillants spécialisés établis dans la Communauté, ainsi qu'aux conditions générales de vente y annexées.
La présente décision est applicable du 1er janvier 1992 jusqu'au 31 mai 1997.
11 Il ressort du dossier que le président du Rechtbank van koophandel te Dendermonde a rejeté la demande de Copardis le 24 février 1993 et que Copardis a interjeté appel de cette décision devant la Hof van Beroep te Gent le 28 avril 1993."
3. C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 octobre 1992, Kruidvat a introduit un recours visant à l'annulation de la décision. Par acte séparé déposé le 3 mars 1993, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité qui a été jointe au fond. Le Comité de liaison des syndicats européens de l'industrie de la parfumerie et des cosmétiques (ci-après "Colipa"), la Fédération européenne des parfumeurs détaillants (FEPD) et Givenchy ont été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.
4. Devant le Tribunal, Kruidvat a avancé trois arguments principaux afin d'établir qu'elle était individuellement concernée par la décision.
5. Dans son premier argument, elle a fait valoir qu'elle avait effectivement participé à la procédure administrative par l'intermédiaire du Raad FGB, qui a soumis ses observations à la Commission au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17. Dans son deuxième argument, Kruidvat a soutenu que, au moment de l'adoption de la décision, un litige concret entre Copardis et elle-même, portant sur la validité du système de distribution Givenchy, était déjà pendant devant la juridiction belge. Kruidvat a estimé que, la décision ayant pour effet de la priver de son droit d'invoquer une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, à titre de moyen de défense dans ce litige, elle devait être considérée comme étant individuellement concernée. Elle a également invoqué une lettre du 17 juillet 1992, qui lui avait été adressée par Belluco, lequel représenterait l'ensemble des distributeurs généraux agréés pour la Belgique et le Luxembourg dans le secteur des cosmétiques de luxe, y compris les produits Givenchy. Belluco aurait affirmé dans cette lettre que Kruidvat n'entrait pas en considération en tant que distributeur agréé et que la vente des articles de marque par un distributeur non-agréé était illégale. Dans son dernier argument, Kruidvat a fait valoir que son recours devait être déclaré recevable pour lui permettre de bénéficier d'une protection juridique complète et efficace en rapport avec les droits que lui conférait l'article 85 du traité.
6. Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de Kruidvat comme irrecevable.
7. En examinant la question de savoir si Kruidvat était individuellement concernée par la décision, le Tribunal a d'abord constaté, au point 63, que ni celle-ci, ni ses sociétés-mères Profimarkt BV et Kruidvat BV, ni le groupe néerlandais Evora dont elle est une filiale n'avaient introduit de plainte devant la Commission au titre de l'article 3 du règlement n° 17, ni participé eux-mêmes à la procédure administrative prévue à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, ni demandé à Givenchy à être admis dans son réseau de distribution sélective. Le Tribunal a donc estimé que la présente affaire se distinguait des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 25 octobre 1977, Metro/Commission (26-76, Rec. p. 1875); du 22 octobre 1986, Metro/Commission (75-84, Rec. p. 3021, ci-après l'"arrêt Metro II"), et du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission (210-81, Rec. p. 3045), invoqués par Kruidvat.
8. Quant à la participation du Raad FGB à la procédure prévue à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, en vertu de sa lettre du 29 novembre 1991, le Tribunal a constaté, au point 64, que, bien qu'il soit établi que, à l'époque, une des sociétés-mères de la requérante, à savoir Kruidvat NV, était membre du Raad FGB, rien dans le dossier n'indiquait que cette lettre avait été envoyée à la demande de Kruidvat NV ou que cette dernière avait participé à sa préparation ou avait autorisé ou même influencé son contenu.
9. Le Tribunal a en outre observé, au point 65, qu'il y avait au moins une différence importante entre la position exprimée par le Raad FGB dans sa lettre et celle défendue par la requérante dans son recours, en ce que cette dernière contestait, notamment, le principe même de la distribution sélective dans le secteur des cosmétiques de luxe, tandis que le Raad FGB se déclarait prêt à accepter ce principe pourvu que les critères de sélection soient objectifs et non discriminatoires.
10. Dans ces circonstances, le Tribunal a considéré, au point 66, qu'il n'y avait pas, entre la participation du Raad FGB à la procédure administrative et la situation individuelle de Kruidvat NV, de lien suffisant de nature à "individualiser" cette dernière au sens de l'article 173 du traité CE dans le domaine d'une décision individuelle d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Le Tribunal a conclu que la lettre du Raad FGB ne suffisait pas, à plus forte raison, à individualiser la requérante.
11. Ensuite, le Tribunal a recherché s'il existait d'autres circonstances de nature à individualiser Kruidvat. Il a estimé, aux points 69 et 70, que, la situation de la requérante ne se distinguant pas de celle des nombreux autres opérateurs économiques sur le marché parallèle, Kruidvat n'était pas individualisée du seul fait qu'il n'était pas exclu qu'elle ne puisse pas, à la suite de la décision, s'approvisionner directement en produits Givenchy auprès de Givenchy, de ses agents exclusifs ou de ses distributeurs agréés dans la Communauté.
12. Le Tribunal a par ailleurs estimé, au point 71, que Kruidvat n'avait pas établi qu'elle serait empêchée, par suite de la décision, d'utiliser les sources d'approvisionnement des produits Givenchy auxquelles elle avait eu licitement recours auparavant.
13. Quant au litige entre Copardis et la requérante devant le juge national, le Tribunal a relevé, au point 73, que, à supposer même qu'il existât un certain lien entre l'issue de ce litige et la validité de la décision, le litige devant le juge national concernait, à titre principal, l'application de la loi belge dans le domaine de la concurrence déloyale et non pas un refus d'accès au réseau Givenchy ni une demande de dommages et intérêts fondée sur une prétendue violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
14. Le Tribunal a également estimé, au point 74, que Kruidvat n'était pas suffisamment individualisée du seul fait que la légalité de la décision eût été pertinente pour la solution du litige pendant devant le juge national, dès lors que tout distributeur de parfums pouvait avoir intérêt à soulever dans le cadre d'un litige national la question de la légalité du système de distribution de Givenchy. C'était en outre, selon le Tribunal, par le seul effet du hasard qu'un tel litige était pendant au moment de l'adoption de la décision.
15. Au point 75 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a souligné que, dans le cadre d'un litige devant le juge national, ce dernier pouvait recourir à la voie du mécanisme du renvoi préjudiciel, prévu à l'article 177, premier alinéa, sous b), du traité CE, ce qui permettrait une protection juridique adéquate à une partie telle que la requérante.
16. Enfin, concernant la lettre de Belluco qui avait été produite par Kruidvat en réponse aux questions du Tribunal, ce dernier a considéré, au point 76, que rien ne permettait d'établir à suffisance de droit que son envoi avait été autorisé par Givenchy ou Copardis, que cette lettre ne constituait pas une réponse à une demande d'admission de Kruidvat dans le réseau Givenchy et qu'elle n'était dès lors pas un élément pertinent pour l'appréciation de la recevabilité du recours de la requérante.
17. A l'appui de son pourvoi, Kruidvat invoque deux moyens, tirés respectivement de la méconnaissance des articles 173, quatrième alinéa, et 190 du traité CE.
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 173, quatrième alinéa, du traité
18. Ce moyen est subdivisé en quatre branches. La première a trait à la participation de Kruidvat à la procédure administrative par l'intermédiaire du Raad FGB. La deuxième concerne les conséquences à tirer du fait qu'une procédure devant le juge national était pendante entre Kruidvat et Copardis au moment de l'adoption de la décision. Par la troisième branche, Kruidvat fait grief au Tribunal d'avoir apprécié de manière erronée les effets de la décision sur la situation concurrentielle et, par la quatrième branche, Kruidvat fait valoir un manque de protection juridique complète et effective.
19. La première branche se fonde sur l'idée que Kruidvat n'avait pas à démontrer qu'elle avait joué un rôle actif dans la préparation de la lettre du Raad FGB. En effet, Kruidvat estime que la caractéristique spécifique inhérente aux associations sectorielles est qu'elles représentent à tout moment les intérêts de l'ensemble de leurs membres. A cet égard, Kruidvat rappelle l'arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission (T-447-93 à T-449-93, Rec. p. II-1971), dans lequel celui-ci aurait considéré le recours de l'association sectorielle AITEC comme recevable parce qu'elle avait protégé les intérêts de ses membres en conformité avec les pouvoirs qui lui avaient été conférés par ses statuts.
20. En revanche, la Commission fait valoir qu'un intérêt individuel ne peut pas être déduit de la simple affiliation à un groupement collectif. Le Raad FGB ayant participé à la procédure administrative devant la Commission, il avait en principe la possibilité d'introduire lui-même un recours. Cette interprétation serait parfaitement en accord avec le raisonnement du Tribunal dans l'arrêt AITEC e.a., précité.
21. Colipa soutient sur ce point que, lorsqu'il s'agit d'apprécier un intérêt individuel ressortant de la participation d'une association sectorielle à la procédure administrative, la participation de l'entreprise représentée doit, elle aussi, être individualisable.
22. Il convient de constater que le Tribunal n'a commis aucune erreur de droit en considérant qu'il n'y avait pas, entre la participation du Raad FGB à la procédure administrative, par le moyen de la lettre du 29 novembre 1991, et la situation individuelle de Kruidvat NV, de lien suffisant de nature à "individualiser" cette dernière au sens de l'article 173 du traité dans le domaine d'une décision individuelle d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.
23. En effet, s'il est vrai que l'extension du droit de recours à des associations défendant les intérêts de leurs membres peut présenter des avantages procéduraux, la participation de telles associations à la procédure administrative ne saurait dispenser les membres de cette association d'établir un lien entre leur situation individuelle et le comportement de l'association.
24. L'opinion contraire défendue par Kruidvat n'est pas étayée par l'arrêt AITEC e.a., précité, dans lequel le Tribunal a considéré que trois entreprises membres de l'association pouvaient être considérées comme individuellement concernées au sens de l'article 173 du traité du fait que leur position sur le marché risquait d'être substantiellement affectée par l'aide approuvée par la décision attaquée de la Commission. Cet arrêt ne contient aucune indication en ce qui concerne la situation des autres membres de l'association.
25. En second lieu, Kruidvat fait valoir que le Tribunal ne pouvait pas se fonder sur une prétendue différence entre les positions défendues par le Raad FGB et celles qu'elle avait défendues. Pour conclure qu'elle n'avait pas participé à la procédure administrative, le Tribunal aurait dû démontrer que lesdites positions étaient contradictoires.
26. La Commission considère que cette partie du raisonnement du Tribunal était superfétatoire. Même une parfaite concordance entre les deux positions n'aurait pas suffi pour individualiser Kruidvat par rapport à d'autres entreprises également membres du Raad FGB.
27. Il convient de constater que la lecture que la requérante fait de l'arrêt attaqué est erronée. Loin d'exiger qu'il n'y ait pas de différence importante entre la position exprimée par l'association et celle défendue par l'un de ses membres ayant introduit un recours, le Tribunal a soulevé cet élément de fait pour établir avec encore plus de clarté que Kruidvat n'avait pas exercé d'influence sur le contenu de la lettre du Raad FGB.
28. A titre subsidiaire, toujours dans le cadre de la première branche de ce moyen, Kruidvat conteste qu'il y ait vraiment eu une différence importante entre son point de vue et celui exprimé par le Raad FGB.
29. A cet égard, il suffit de constater que cet argument remet en question une constatation de fait qui, en vertu de l'article 51 du statut CE de la Cour de justice, ne peut pas faire l'objet d'un pourvoi.
30. Par la deuxième branche du premier moyen, Kruidvat fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, et notamment de l'arrêt Metro II, que l'existence d'une procédure civile devant une juridiction nationale est suffisante pour conclure à la recevabilité d'un recours direct contre une décision de la Commission présentant un lien avec l'objet du litige. Kruidvat aurait donc été individualisée du fait que Copardis avait entamé à son encontre une procédure et qu'elle avait soulevé, dans sa défense, l'invalidité du système de distribution sélective de Givenchy. La requérante estime qu'il ressort de l'arrêt de la Cour du 13 janvier 1994, Cartier (C-376-92, Rec. p. I-15), que, dans une procédure en concurrence déloyale, la validité d'un système de distribution au regard de l'article 85 du traité se présente comme une question préalable.
31. La Commission estime, en revanche, que Kruidvat n'a aucun intérêt à invoquer l'invalidité de la décision dans le litige devant le juge national, ce qui distingue la présente affaire de l'affaire Cartier, précitée, dans laquelle la question était de savoir si Metro avait incité les distributeurs agréés à rompre leurs contrats avec Cartier. Le fait qu'un litige est ou non pendant devant une juridiction nationale est, selon la Commission, un critère arbitraire et insuffisamment objectif pour déterminer si une entreprise est individuellement concernée par une décision d'exemption adressée à une autre entreprise.
32. A cet égard, il convient de constater que c'est à bon droit que le Tribunal a jugé que la requérante ne pouvait prétendre être suffisamment individualisée au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, du seul fait que la légalité de la décision était pertinente pour la solution du litige pendant devant le juge national.En effet, ainsi que l'a souligné M. l'avocat général au point 51 de ses conclusions, le fait qu'une action ait été engagée contre un opérateur économique par une partie qui bénéficie de l'organisation du réseau de distribution ou qui en est responsable, avant l'expiration du délai ouvert aux fins de la contestation d'une décision en rapport avec le réseau, constitue une circonstance purement fortuite et sans lien direct avec cette décision.
33. En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas de la jurisprudence de la Cour que l'existence d'une procédure civile suffise à conclure à la recevabilité. Dans l'arrêt Metro II, la Cour a attaché de l'importance au fait que les demandes d'admission de Metro au réseau de distribution avaient été refusées, mais n'a pas fait état de l'existence d'un litige entre Metro et SABA. Elle a en outre considéré comme pertinente la participation de Metro à la procédure administrative.
34. Au surplus, la position de la requérante n'est pas étayée par l'arrêt Cartier, précité, dans lequel la Cour a considéré que, dans un procès en concurrence déloyale, la validité du contrat au regard de l'article 85 du traité se présentait comme une question préalable. En effet, la légalité d'un acte administratif dont se prévaut l'une des parties à une procédure peut, dans de nombreuses situations, se présenter comme une question préalable à la solution du litige, sans qu'il soit pour autant nécessaire d'en déduire que l'autre partie est recevable à contester la légalité de cet acte par voie d'un recours direct devant le Tribunal.
35. Par la troisième branche du premier moyen, Kruidvat invoque plusieurs arguments pour démontrer que le Tribunal a apprécié de manière erronée l'atteinte portée par la décision attaquée à sa position concurrentielle ainsi que l'importance de ce critère pour déterminer si un particulier est individuellement concerné.
36. Premièrement, Kruidvat fait valoir qu'elle est individuellement concernée par la décision parce qu'elle achète et vend des produits de parfumerie de Givenchy. A cet égard, Kruidvat estime que les articles 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 et 93, paragraphe 2, du traité CE, relatif aux aides d'Etat, comportent des dispositions analogues concernant la participation des tiers intéressés à la procédure administrative devant la Commission. Selon la jurisprudence de la Cour, notamment les arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission (323-82, Rec. p. 3809); du 19 mai 1993, Cook/Commission (C-198-91, Rec. p. I-2487), et du 15 juin 1993, Matra/Commission (C-225-91, Rec. p. I-3203), le terme "intéressé" ne viserait pas seulement le bénéficiaire d'une aide, mais également ses concurrents. Par conséquent, la position concurrentielle de Kruidvat face aux revendeurs agréés de Givenchy devrait suffire pour l'individualiser au sens de l'article 173 du traité.
37. Deuxièmement, Kruidvat soutient qu'elle est également expressément atteinte dans sa position concurrentielle parce qu'il lui a été refusé d'emblée d'appartenir au réseau de distribution sélective. Ce refus ressortirait, d'une part, de la procédure Copardis/Kruidvat, dans laquelle Copardis aurait indiqué que l'image de Kruidvat ne correspondait pas à l'image de luxe qui est requise pour la vente de parfums Givenchy et, d'autre part, de la lettre de Belluco du 17 juillet 1992, qui contiendrait un refus a priori de Kruidvat en tant que distributeur agréé. Il n'est pas pertinent à cet égard, selon Kruidvat, qu'elle n'ait jamais demandé à être admise dans le réseau de distribution.
38. Troisièmement, Kruidvat met en cause la constatation du Tribunal selon laquelle il n'était pas établi qu'elle serait empêchée d'utiliser les mêmes sources d'approvisionnement qu'avant l'adoption de la décision. Selon Kruidvat, ce raisonnement n'est pas pertinent et est, au surplus, incorrect. Il est dénué de pertinence parce que la question à poser n'est pas celle de savoir si la position antérieure a changé ou non, mais si l'approvisionnement se déroule plus difficilement qu'en l'absence de la décision. Le raisonnement du Tribunal serait également erroné parce qu'il ne tient pas compte des conséquences de la transposition en Belgique de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1). Selon Kruidvat, les effets combinés de la décision et de cette directive rendent impossible tout approvisionnement sur le marché parallèle.
39. En outre, Kruidvat soutient que l'arrêt attaqué est en contradiction avec l'arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, Métropole télévision e.a./Commission (T-528-93, T-542-93, T-543-93 et T-546-93, Rec. p. II-649). Dans cet arrêt, le Tribunal a considéré la société Antena 3 comme étant individuellement concernée par une décision de la Commission parce qu'elle pouvait être qualifiée de tiers intéressé au sens de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, nonobstant le fait qu'elle n'avait pas participé à la procédure administrative devant la Commission. En outre, Kruidvat estime que, dans l'arrêt Métropole télévision e.a./Commission, le Tribunal s'est contenté d'examiner si l'accès au réseau avait été refusé à Antena 3, tandis que, dans l'arrêt attaqué, il a adopté un critère plus strict, celui de savoir si Kruidvat avait fait une demande d'admission.
40. La Commission fait valoir qu'il existe une différence importante entre la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, en matière d'aides d'Etat, et celle prévue à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17. Les arrêts Matra/Commission et Cook/Commission, précités, ne permettent pas de conclure que la simple qualité abstraite d'intéressé est suffisante pour individualiser une entreprise. Il faut encore que l'aide affecte substantiellement sa position concurrentielle. La Commission ajoute que toute aide a en principe un effet de distorsion de la concurrence, tandis que l'existence d'un système de distribution sélective n'en a pas. Des tiers tels que Kruidvat ne sont pas affectés par ce système, mais peuvent même, au contraire, en profiter.
41. Le deuxième argument met en cause, selon la Commission, des constatations de fait qui ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi. En outre, la Commission estime qu'il ressort des propres écrits de Kruidvat en première instance qu'elle n'a aucun intérêt à devenir distributeur agréé de Givenchy. Ni l'affirmation de Copardis au cours de la procédure belge ni la lettre de Belluco ne peuvent être interprétées comme des rejets d'une affiliation a priori, mais doivent être lues à la lumière de la thèse selon laquelle des commerçants non-agréés ne peuvent pas mettre en vente des produits Givenchy.
42. Sur le troisième argument, la Commission répond que, dans le passé, Kruidvat s'est toujours approvisionnée sur le marché parallèle et que la décision ne fait pas obstacle à l'avenir à un tel approvisionnement. De surcroît, Kruidvat n'est pas parvenue à démontrer que sa position concurrentielle était substantiellement affectée par la décision, au sens de l'arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391). Enfin, s'agissant de la modification de la loi Benelux sur les marques à la suite de la directive 89-104, la Commission relève que cette modification n'a été réalisée qu'à compter du 1er janvier 1996, donc trois ans après l'adoption de la décision. Il n'existe dès lors ni un lien temporel ni un lien causal entre la décision et cette modification de la législation Benelux.
43. Il convient de constater, ainsi que l'a fait M. l'avocat général aux points 59 à 62 de ses conclusions, que Kruidvat ne saurait établir une analogie entre la situation des entreprises intéressées au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, telle qu'elle a été appréciée par la Cour dans les arrêts Matra/Commission et Cook/Commission, précités, et celle des tiers intéressés au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17. Dans ces arrêts, la Cour a justifié l'intérêt à agir par l'absence d'autres garanties de procédure lors d'une décision de la Commission constatant qu'une aide est compatible avec le Marché commun sans ouvrir la procédure d'enquête. En l'espèce, il y avait en revanche une invitation à soumettre des observations, et les parties intéressées avaient l'occasion d'exercer leur droit de faire connaître leurs points de vue à la Commission. La protection juridictionnelle de leurs intérêts n'exige donc pas qu'elles soient considérées comme individuellement concernées par la décision alors même qu'elles ne se sont pas prévalues de cette possibilité.
44. S'agissant de l'argument que Kruidvat tire de la lettre de Belluco du 17 juillet 1992, il importe d'abord de souligner que les constatations du Tribunal selon lesquelles, d'une part, rien ne permettait d'établir que son envoi avait été autorisé par Givenchy ou Copardis et, d'autre part, la lettre ne constituait pas une réponse à une demande d'admission de Kruidvat dans le réseau Givenchy sont des constatations de fait qui ne sauraient faire l'objet d'un pourvoi. Ensuite, il convient de relever que le Tribunal a refusé l'interprétation selon laquelle la lettre comportait un rejet d'une demande d'admission. Il a au contraire mis l'accent sur le fait que Kruidvat n'avait jamais demandé à être admise dans le réseau de distribution. Ainsi, le Tribunal était justifié à estimer que la lettre n'était pas un élément pertinent pour l'appréciation de la recevabilité du recours.
45. En ce qui concerne l'approvisionnement futur de Kruidvat, il convient de constater que le Tribunal a procédé à l'examen pertinent en constatant que la requérante n'avait pas établi qu'elle serait empêchée, par suite de la décision, d'utiliser les sources d'approvisionnement auxquelles elle avait eu licitement recours auparavant. Cet examen est en fait le seul qui permette de déterminer, dans des circonstances telles que celles de l'espèce, si un particulier est atteint par une décision en raison d'une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne (voir arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197). Les effets de la décision, tels que décrits par Kruidvat, même combinés avec ceux que pourrait avoir l'application de la législation belge transposant la directive 89-104 ne la distinguent pas de tous les autres opérateurs extérieurs au réseau de distribution Givenchy.
46. S'agissant de la référence à l'arrêt Métropole télévision e.a./Commission, précité, il suffit de souligner que c'est à bon droit que, en l'espèce, le Tribunal a constaté que Kruidvat n'avait jamais demandé à être admise au réseau de distribution Givenchy et que sa situation ne se distinguait pas de celle de nombreux autres opérateurs économiques sur le marché parallèle.
47. Par la quatrième branche du premier moyen, Kruidvat soutient que, si son recours n'est pas déclaré recevable, aucune protection juridique adéquate ne lui serait accordée. Elle fait valoir que le Tribunal est le mieux à même d'apprécier le recours direct mettant en cause la légalité des décisions d'exemption au regard de l'article 85 du traité. La protection juridique offerte par le juge national, en combinaison avec un renvoi préjudiciel, ne serait pas suffisante.
48. A cet égard, il convient de rappeler que, par ses articles 173 et 184, d'une part, et par son article 177, d'autre part, le traité a établi un système complet de voies de recours et de procédure destinées à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294-83, Rec. p. 1339, point 23).
49. En l'occurrence, à défaut d'être en mesure de demander l'annulation de la décision de la Commission, Kruidvat conservait la possibilité, ainsi qu'il découle de l'arrêt du 27 septembre 1983, Universität Hamburg (216-82, Rec. p. 2771, point 10), et comme le souligne la Commission, d'en exciper l'illégalité devant les juridictions nationales, statuant dans le respect de l'article 177 du traité.
50. Au vu de ce qui précède, le premier moyen du pourvoi doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 190 du traité
51. Par ce moyen, Kruidvat fait valoir que l'arrêt attaqué est entaché de plusieurs défauts de motivation, en violation de l'article 190 du traité.
52. Par la première branche de ce moyen, Kruidvat fait valoir qu'il y a violation de l'article 190 du traité si, dans un arrêt, le Tribunal s'écarte d'une jurisprudence antérieure sans en donner les motifs. Dans ce contexte, Kruidvat estime que le Tribunal n'a pas dûment pris en considération les arrêts AITEC e.a./Commission, précité, concernant la nature d'une association sectorielle, du Tribunal du 12 décembre 1996, Leclerc/Commission (T-19-92 et T-88-92, Rec. p. II-1851 et II-1961), et Cartier, précité, concernant le lien entre une procédure nationale et la validité de la décision attaquée, et Métropole télévision e.a./Commission, précité, concernant l'atteinte à la position concurrentielle de l'entreprise requérante.
53. Par la deuxième branche de ce moyen, Kruidvat soutient que l'article 190 du traité a été méconnu également sur quatre autres points. D'abord, le Tribunal n'a pas suffisamment expliqué, au point 65 de l'arrêt attaqué, les raisons pour lesquelles il n'avait pas accepté les arguments de Kruidvat sur l'absence de divergences entre son point de vue et celui du Raad FGB. Ensuite, il existe, selon Kruidvat, une contradiction entre les points 1 et 70 de l'arrêt, dans lesquels le Tribunal, d'une part, considère que Kruidvat est "le numéro un absolu" pour la vente de parfums aux Pays-Bas et, d'autre part, affirme que la situation de Kruidvat ne se distingue pas de celle des nombreux autres opérateurs économiques sur le marché parallèle. En outre, les arguments relatifs à l'absence d'une protection juridique adéquate n'auraient pas été dûment pris en compte par le Tribunal au point 75 de l'arrêt attaqué. Enfin, le Tribunal n'aurait pas considéré l'effet combiné de la décision et de la directive 89-104.
54. Selon la Commission, ce moyen ne présente pas un caractère autonome. En effet, les arguments présentés sont, en substance, identiques à ceux qui ont été invoqués dans le cadre du premier moyen.
55. A cet égard, il suffit de constater que les arguments invoqués au soutien de ce moyen ont tous trait à des points de droit qui ont déjà été examinés dans le cadre du premier moyen, examen à l'issue duquel il a été conclu que le Tribunal n'avait commis aucune erreur de droit dans la motivation de l'arrêt attaqué.
56. Par conséquent, le second moyen doit également être rejeté.
57. Il s'ensuit que le pourvoi doit être rejeté dans sa totalité.
Sur les dépens
58. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. En vertu de l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, la Cour peut décider qu'une partie intervenante, autre que les États membres et les institutions, supportera ses propres dépens.
59. La requérante ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens de la Commission et de la partie intervenante Givenchy, destinataire de la décision. L'intérêt des parties intervenantes Colipa et FEPD dans la solution du litige étant moins direct que celui de Givenchy, elles supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Kruidvat BVBA supportera les dépens de la Commission et de la partie intervenante Parfums Givenchy SA, ainsi que ses propres dépens.
3) Le Comité de liaison des syndicats européens de l'industrie de la parfumerie et des cosmétiques et la Fédération européenne des parfumeurs détaillants supporteront leurs propres dépens.