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Décisions

CJCE, 2e ch., 1 octobre 1998, n° C-38/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Autotrasporti Librandi Snc di Librandi F & C

Défendeur :

Cuttica spedizioni e servizi internazionali (Srl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

et rapporteur : M. Schintgen

Avocat général :

M. Alber

Juges :

MM. Mancini, Hirsch

Avocats :

Mes Rocca, Conte, Giacomini.

CJCE n° C-38/97

1 octobre 1998

1. Par ordonnance du 30 décembre 1996, parvenue à la Cour le 27 janvier 1997, le Giudice di pace di Genova a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, six questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 3, sous f) et g), 5, 85 et 86 du traité CE, en vue de lui permettre de se prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire de la réglementation italienne relative à la fixation des tarifs routiers de marchandises.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une action intentée par Autotrasporti Librandi Snc di Librandi F. & C. (ci-après "Librandi") à l'encontre de Cuttica spedizioni e servizi internazionali Srl (ci-après "Cuttica") en vue d'obtenir le paiement du solde du prix de transports par route effectués pour le compte de cette dernière.

Le cadre juridique

3. En Italie, le secteur des transports routiers de marchandises est réglementé par la loi n° 298 du 6 juin 1974, instituant le registre national des transporteurs routiers de marchandises pour compte d'autrui, régissant les transports routiers de marchandises et établissant un système de tarifs à fourchette pour les transports de marchandises par route (GURI n° 200 du 31 juillet 1974, ci-après la "loi italienne"). Cette loi a été modifiée et complétée à plusieurs reprises.

4. La loi italienne a institué un registre national des transporteurs routiers de marchandises pour compte d'autrui (ci-après le "registre"), dont la tenue est confiée à un comité central. En vertu de l'article 3 de cette loi, ce comité était composé à l'origine :

a) d'un conseiller d'Etat ayant la fonction de président ;

b) de quatre représentants du ministère des Transports et de l'Aviation civile; d'un représentant de chacun des ministères de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, des Participations d'Etat, du Commerce extérieur, de l'Agriculture et des Forêts, de l'Intérieur, des Travaux publics, des Finances et du Trésor;

c) de quatre représentants des régions...

d) de douze représentants des associations nationales les plus représentatives de la catégorie des transports routiers de marchandises pour compte d'autrui, ainsi que des associations nationales de représentation, assistance et protection du mouvement coopératif, juridiquement reconnues par le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale".

5. Le décret ministériel du 2 février 1994 (GURI n° 34 du 11 février 1994) a augmenté de douze à dix-sept le nombre des représentants des associations nationales catégorielles des transporteurs routiers de marchandises au sein du comité central du registre (ci-après le "comité central").

6. Les membres du comité central sont nommés par arrêté du ministre des Transports et de l'Aviation civile. Les nominations ont lieu sur désignation :

- du président du Conseil d'Etat pour le membre visé à la lettre a) ;

- des ministres respectifs pour les membres visés à la lettre b) ;

- des associations nationales respectives pour les membres visés à la lettre d)".

7. En vertu des articles 1er, troisième alinéa, 26 et 41 de la loi italienne, l'activité de transport routier de marchandises pour compte d'autrui est subordonnée à l'inscription au registre et à la possession d'une autorisation administrative.

8. Cette loi institue, aux articles 50 et suivants, un système de tarifs obligatoires à fourchette comportant une limite maximale et une limite minimale.

9. Aux termes de l'article 52 de la loi italienne,

"Chaque tarif est calculé sur un prix de base situé au centre de la fourchette. Le prix de base est déterminé en tenant compte du coût moyen des prestations de transport correspondantes, y compris les frais commerciaux, calculé pour des entreprises bien gérées et qui bénéficient de conditions normales d'utilisation de leur capacité de transport, ainsi que de la situation du marché, et de manière à permettre aux entreprises de transport d'obtenir une rémunération équitable".

10. D'après l'article 53 de la loi italienne, les tarifs de transports et leurs conditions particulières d'application, ainsi que leurs modifications ultérieures, sont proposés par le comité central au ministre des Transports et de l'Aviation civile. Ce dernier, après avoir consulté les régions ainsi que les représentations confédérales nationales des secteurs économiques directement intéressés, approuve les tarifs, les conditions et leurs modifications, en les rendant exécutoires par arrêté.

11. Si le ministre n'admet pas les propositions, il les renvoie devant le comité central en vue de nouvelles propositions ou de contre-propositions. Si le ministre ne juge pas ces nouvelles propositions ou contre-propositions satisfaisantes, il a le droit de modifier celles présentées initialement et de les rendre exécutoires par arrêté.

12. Le non-respect par les opérateurs économiques des tarifs fixés est passible de sanctions administratives et, en cas de récidive, de mesures disciplinaires.

13. Les critères pour le calcul des tarifs à fourchette ont été notamment précisés par le décret du président de la République italienne n° 56 du 9 janvier 1978 (GURI n° 77 du 18 mars 1978).

14. L'arrêté ministériel du 18 novembre 1982 (supplément au GURI n° 342 du 14 décembre 1982), qui a fixé pour la première fois ces tarifs, autorisait certaines dérogations. L'article 13 de cet arrêté prévoyait en effet:

"des contrats particuliers peuvent être conclus à des conditions différentes... uniquement en vertu d'accords économiques collectifs passés entre les associations les plus représentatives des transporteurs présentes au comité central, et des usagers"

15. Le décret-loi n° 82 du 29 mars 1993, portant mesures urgentes en faveur du secteur du transport routier de marchandises pour le compte d'autrui (GURI n° 73 du 29 mars 1993), converti, après modifications, en la loi n° 162 du 27 mai 1993 (GURI n° 123 du 28 mai 1993), a ensuite interdit, en son article 3, toute stipulation contractuelle dérogeant aux tarifs résultant de la loi ou/et des accords collectifs prévus par l'arrêté ministériel du 18 novembre 1982.

16. Les tarifs à fourchette ont été modifiés à plusieurs reprises par des décrets ministériels. A l'époque des faits de l'affaire au principal, les tarifs applicables étaient ceux résultant des adaptations apportées par les décrets ministériels du 24 mars 1995 (GURI n° 74 du 29 mars 1995) et du 26 juin 1995 (GURI n° 151 du 30 juin 1995).

Le litige au principal

17. Librandi a été chargée par Cuttica d'effectuer certains transports de conteneurs. Après l'exécution des transports, Cuttica a versé à Librandi une somme inférieure à celle résultant des décrets ministériels italiens des 24 mars et 26 juin 1995, fixant les tarifs obligatoires pour les transports routiers de marchandises pour compte d'autrui.

18. Par citation du 18 juin 1996, Librandi a en conséquence demandé au Giudice di pace di Genova de condamner Cuttica au paiement de la différence entre la somme versée et la somme due conformément au tarif rendu obligatoire par les décrets ministériels précités.

19. Cuttica a contesté cette demande au motif que l'article 3 du décret-loi n° 82 du 29 mars 1993, dans la mesure où il étend à différents secteurs le régime tarifaire prévu pour le transport routier de marchandises, serait incompatible avec les principes énoncés par la Cour dans l'arrêt du 19 mai 1993, Corbeau (C-320-91, Rec. p. I-2533), et que les tarifs fixés dans les décrets ministériels des 24 mars et 26 juin 1995 à la suite de l'augmentation du nombre des représentants des associations nationales des transporteurs routiers de marchandises au sein du comité central du registre seraient contraires aux principes énoncés par la Cour dans l'arrêt du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto (C-96-94, Rec. p. I-2883).

20. La juridiction de renvoi se demande si, à la lumière de l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, les décrets ministériels des 24 mars et 26 juin 1995, fixant les tarifs obligatoires régissant les prestations de transport en cause, ne devraient pas être déclarés inapplicables au motif qu'ils auraient été adoptés sur la base d'une réglementation incompatible avec les règles de concurrence communautaires.

21. La juridiction nationale estime, en particulier, que, dans l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, la Cour ne s'est pas prononcée sur la compatibilité avec le droit communautaire de l'extension du régime tarifaire obligatoire à tout contrat dans le cadre duquel est fournie une prestation de transport et qu'il lui est nécessaire de vérifier si l'article 3 du décret-loi n° 82 du 29 mars 1993, devenu la loi n° 162-93, n'est pas susceptible d'engendrer une inégalité de traitement injustifiée.

22. Cette juridiction souligne, en outre, que, postérieurement à l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, le Gouvernement italien a augmenté le nombre des représentants des transporteurs par route au sein du comité central du registre. Depuis lors, l'organisme qui fait des propositions ne serait plus représentatif des pouvoirs publics, mais de l'intérêt des entreprises et des associations d'entreprises dans le secteur du transport routier. Dans ces conditions, il serait nécessaire de préciser davantage la notion d'"intérêt public", utilisée par la Cour dans l'arrêt Centro Servizi Spediporto.

23. Enfin, la juridiction de renvoi se demande si elle est en présence d'un accord collectif licite en droit communautaire, liant également les parties qui ne sont pas membres des associations l'ayant signé, et non pas plutôt d'une entente sur les tarifs interdite au sens de l'article 85 du traité.

24. Par conséquent, le Giudice di pace di Genova a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1) Les articles 3, sous f) et g), 5, 85 et 86 du traité, tels que les a interprétés la Cour dans l'arrêt du 5 octobre 1995 dans l'affaire C-96-94, sont-ils compatibles avec une réglementation nationale qui prévoit que les tarifs obligatoires des transports routiers de marchandises pour compte d'autrui sont approuvés et rendus exécutoires par l'autorité publique sur la base des propositions d'un comité composé pour majorité des représentants des opérateurs économiques intéressés (décret ministériel du 2 février 1994) ?

2) En cas de réponse affirmative à la question précédente, les articles 3, sous f) et g), 5, 85 et 86 du traité sont-ils compatibles avec une réglementation nationale (article 3 du décret-loi n° 82-93 devenu la loi n° 162-93) qui étend les tarifs obligatoires en matière de contrats de transports routiers à d'autres types de contrats relatifs à des services différents tels que, en particulier, les contrats sur appel d'offres et les contrats d'affrètement?

3) La notion d'"intérêt général" à laquelle s'est référée la Cour de justice dans les arrêts Reiff et Delta correspond-elle ou non à la notion d'"intérêt public" mentionnée par la Cour, dans une situation juridique analogue, dans l'arrêt Centro Servizi Spediporto ?

4) La définition de cette notion ("intérêt général" et/ou "intérêt public") relève-t-elle de l'ordre juridique communautaire ou incombe-t-elle aux différents Etats membres ?

5) En particulier, cette notion recouvre-t-elle une situation nationale telle que celle décrite dans la procédure au principal dans laquelle :

a) la proposition de tarifs est élaborée sur la base de critères, censés représenter l'intérêt public aux termes de la loi nationale, définis abstraitement par la loi n° 298-74 et précisés dans le DPR n° 56-78, mais qui, concrètement, se réfèrent aux caractéristiques d'une "entreprise type" déterminée par la réglementation de 1978 (articles 3 et 4) et qui ne correspond plus à la réalité du marché en cause ;

b) compte tenu, en outre, du fait que les pouvoirs (jamais exercés) de l'autorité publique de rejeter la proposition formulée par le comité, et d'adopter les tarifs d'autorité lorsque la nouvelle proposition du comité n'est pas jugée satisfaisante, sont liés de manière rigide à un simple examen de la conformité de cette proposition avec les critères dont le législateur de 1974 demandait la fixation (article 53 de la loi n° 298-74) dans une réglementation d'application, adoptée en 1978 (DPR n° 56-78), et qui n'a jamais plus été mise à jour ;

c) les tarifs obligatoires et, ce qui est plus important, l'examen de leur légitimité par l'autorité publique sont ainsi liés au contrôle de la correspondance de la proposition de tarifs formulée par le comité à des données économiques et techniques d'une "entreprise type" qui ne représente pas le marché en question ;

d) de surcroît, l'autorité publique est chargée, dans un tel contexte, de garantir que des tarifs ainsi établis permettent aux entreprises de transport d'obtenir une rémunération définie comme "équitable" (article 52 de la loi n° 298-74), mais fondée sur des données normatives rigides et complètement obsolètes qui ne peuvent être censurées par l'autorité publique, bien qu'elles soient à présent dénuées de tout rapport avec la réalité et ne correspondent donc pas au coût effectif du service fourni par les entreprises de transport routier ?

6) A titre subsidiaire, il est demandé à la Cour de clarifier la notion d' "accord collectif" pour que le juge de renvoi puisse exclure l'existence d'une entente sur les prix, prohibée au sens de l'article 85 du traité."

Sur les deux premières questions

25. Par ses deux premières questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 3, sous f) et g), 5, 85, 86 et 90 du traité s'opposent à une réglementation d'un Etat membre qui prévoit que les tarifs des transports routiers de marchandises sont approuvés et rendus exécutoires par l'autorité publique, sur la base de propositions d'un comité central, composé majoritairement de représentants des opérateurs économiques intéressés, et qui étend les tarifs obligatoires applicables dans le domaine des contrats de transports routiers de marchandises à d'autres types de contrats, relatifs à des services différents, tels que, en particulier, les contrats sur appel d'offres et les contrats d'affrètement.

26. A cet égard, il y a lieu de rappeler, d'abord, que, selon une jurisprudence constante, les articles 5 et 85 du traité sont violés lorsqu'un Etat membre soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 85 ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention d'intérêt économique(voir arrêts du 21 septembre 1988, Van Eycke, 267-86, Rec. p. 4769, point 16; du 17 novembre 1993, Reiff, C-185-91, Rec. p. I-5801, point 14, et du 9 juin 1994, Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft, C-153-93, Rec. p. I-2517, point 14).

27. Il convient de rappeler, ensuite, que la Cour a estimé que les articles 3, sous g), 5 et 86 du traité ne pourraient s'appliquer à une réglementation du type de la loi italienne que dans l'hypothèse où il serait prouvé qu'elle confère à une entreprise une situation de puissance économique qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 38).

28. Il y a lieu de rappeler, enfin, que, dans l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, la Cour était saisie d'une question similaire au regard de la législation italienne en vigueur à l'époque, laquelle se distinguait, en substance, de celle applicable dans le litige au principal par le seul fait que les associations nationales catégorielles des transporteurs routiers de marchandises étaient représentées au sein du comité central par douze personnes au lieu de dix-sept.

29. Or, dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit que les articles 3, sous g), 5, 85, 86 et 90 ainsi que l'article 30 du traité CE ne s'opposent pas à ce qu'une réglementation d'un Etat membre prévoie que les tarifs des transports routiers de marchandises sont approuvés et rendus exécutoires par l'autorité publique, sur la base de propositions d'un comité, si celui-ci est composé d'une majorité de représentants des pouvoirs publics, à côté d'une minorité de représentants des opérateurs économiques intéressés, et doit respecter dans ses propositions certains critères d'intérêt public et si, par ailleurs, les pouvoirs publics n'abandonnent pas leurs prérogatives en tenant compte, avant l'approbation des propositions, des observations d'autres organismes publics et privés, voire en fixant les tarifs d'office.

30. Pour conclure, en premier lieu, que, dans un régime de fixation des tarifs de transports routiers de marchandises tel que celui instauré par la loi italienne, les propositions délibérées au sein du comité ne pouvaient être considérées comme des ententes entre opérateurs économiques que les pouvoirs publics ont imposées ou favorisées ou dont ils ont renforcé les effets, la Cour a relevé, aux points 22 à 24 de l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, que le comité central était composé d'une majorité de représentants de la puissance publique et d'une minorité de représentants des associations des opérateurs économiques et que le comité central devait respecter, lors de l'adoption de ses propositions, un certain nombre de critères d'intérêt public définis dans la loi.

31. Pour juger, en second lieu, que les pouvoirs publics n'avaient pas délégué leurs compétences, en matière de fixation des tarifs, à des opérateurs économiques privés, la Cour a constat, aux points 26 à 28 de l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, que, selon la loi italienne, le comité central propose au ministre compétent les tarifs de transports et leurs conditions particulières d'application. Par ailleurs, la loi investit le ministre du pouvoir de les approuver, de les rejeter ou de les modifier avant de les rendre exécutoires et prévoit que le ministre, avant d'approuver et de rendre exécutoires les tarifs, doit consulter les régions ainsi que les représentants des secteurs économiques intéressés et tenir compte des directives du comité interministériel des prix.

32. Enfin, pour décider qu'une réglementation nationale qui prévoit la fixation des tarifs des transports routiers de marchandises par les pouvoirs publics n'aboutit pas à investir les opérateurs économiques d'une position dominante collective qui serait caractérisée par l'absence de rapports concurrentiels entre eux, la Cour a relevé, aux points 33 et 34 de l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, l'absence de lien suffisant entre les entreprises concernées pour adopter une même ligne d'action sur le marché.

33. Or, ces constatations ne sont pas remises en cause par la circonstance que, depuis le décret ministériel du 2 février 1994, qui a porté de douze à dix-sept le nombre des représentants des associations nationales catégorielles des transporteurs routiers de marchandises au sein du comité central, les représentants des opérateurs économiques ne sont plus minoritaires au sein de ce comité, que, d'après les renseignements fournis par le Gouvernement italien, l'organe de consultation qu'était "le comité interministériel des prix" a été remplacé par un organisme appelé "observatoire italien des prix et tarifs", et que la loi italienne a maintenu l'extension des tarifs à des services différents, tels que les contrats sur appel d'offres et les contrats d'affrètement.

34. D'une part, en effet, la modification des rapports de majorité au sein du comité central ne permet pas de conclure à l'existence d'une entente au sens de l'article 85 du traité dès lors que, conformément à la réglementation nationale en cause, le comité central doit continuer à respecter, lors de l'adoption de ses propositions, les critères d'intérêt public définis par la loi italienne.

35. D'autre part, la modification de la loi italienne n'entraîne pas une délégation par les pouvoirs publics de leurs compétences à des opérateurs économiques privés, dès lors que la faculté pour le ministre compétent de rejeter ou de modifier les tarifs de transports qui lui sont proposés par le comité central ainsi que son obligation de consulter les régions et les représentants des secteurs économiques n'en sont pas affectées.

36. Il appartient toutefois à la juridiction nationale de contrôler, dans le cadre de sa compétence, que, dans la pratique, les tarifs sont fixés dans le respect des critères d'intérêt public définis par la loi et que les pouvoirs publics n'abandonnent pas leurs prérogatives à des opérateurs économiques privés.

37. Il y a lieu dès lors de répondre aux deux premières questions que les articles 3, sous f) et g), 5, 85, 86 et 90 du traité ne s'opposent pas à une réglementation d'un Etat membre qui prévoit que les tarifs des transports routiers de marchandises sont approuvés et rendus exécutoires par l'autorité publique, sur la base de propositions d'un comité central, composé majoritairement de représentants des opérateurs économiques intéressés, et qui étend les tarifs obligatoires applicables dans le domaine des contrats de transports routiers de marchandises à d'autres types de contrats, relatifs à des services différents, tels que, en particulier, les contrats sur appel d'offres et les contrats d'affrètement, à condition que les tarifs soient fixés dans le respect des critères d'intérêt public définis par la loi et que les pouvoirs publics n'abandonnent pas leurs prérogatives à des opérateurs économiques privés en tenant compte, avant l'approbation des propositions, des observations d'autres organismes publics et privés, voire en fixant les tarifs d'office.

Sur la troisième question

38. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si la notion d'intérêt général à laquelle la Cour s'est référée dans les arrêts Reiff et Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft, précités, correspond à la notion d'intérêt public mentionnée dans l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité.

39. A ce sujet, il convient de relever, comme l'a fait M. l'Avocat général au point 40 de ses conclusions, que, dans chacun de ces trois arrêts, la Cour a examiné, à la lumière des mêmes critères, si la commission tarifaire en cause devait fixer les tarifs en tenant compte d'intérêts autres que ceux des opérateurs économiques représentés en son sein et si, avant d'adopter les tarifs, le ministre devait demander l'avis de tiers par rapport à ces opérateurs.

40. Ce faisant, la Cour a entendu mettre en évidence que les intérêts de la collectivité devaient prévaloir sur les intérêts particuliers des opérateurs individuels.

41. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les notions d'intérêt général et d'intérêt public ont une signification équivalente.

42. Il y a lieu dès lors de répondre à la troisième question que la notion d'intérêt général à laquelle la Cour s'est référée dans les arrêts Reiff et Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft, précités, correspond à la notion d'intérêt public mentionnée dans l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité.

Sur les quatrième et cinquième questions

43. Par ses quatrième et cinquième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir si des critères concrets à utiliser pour fixer des tarifs, tels ceux en vigueur dans l'ordre juridique italien, sont conformes à l'intérêt public au sens de l'arrêt Centro Servizi Spediporto, précité.

44. Afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les articles 85 et 86, lus en combinaison avec l'article 5 du traité, imposent aux Etats membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, point 20).

45. Aussi, pour éviter que leur action ne conduise à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence, les Etats doivent nécessairement tenir compte de l'intérêt public.

46. Il appartient dès lors aux Etats membres de déterminer les critères permettant de respecter au mieux les règles communautaires de la concurrence.

47. Il appartient ensuite aux juridictions nationales de contrôler si, dans la pratique, les critères d'intérêt public, définis dans le cadre réglementaire national, sont respectés.

48. Il y a lieu dès lors de répondre aux quatrième et cinquième questions qu'il appartient aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour déterminer les critères concrets à utiliser pour fixer des tarifs, tels ceux en vigueur dans l'ordre juridique italien, et aux juridictions nationales de contrôler si, dans la pratique, les critères ainsi définis sont respectés.

Sur la sixième question

49. Par sa dernière question, la juridiction nationale demande si la possibilité de conclure des accords collectifs qui, en vertu du droit national, sont opposables à des opérateurs qui ne les ont pas signés, tels ceux en cause dans le litige au principal, est susceptible de violer l'article 85 du traité.

50. A cet égard, il y a lieu de rappeler, d'abord, que la Cour a déjà jugé que la possibilité de conclure des accords collectifs, tels ceux figurant à l'article 13 de l'arrêté ministériel du 18 novembre 1982, n'a pas pour effet de restreindre la concurrence, mais permet certaines dérogations aux tarifs obligatoires et est dès lors de nature à accroître les possibilités de concurrence (arrêt Centro Servizi Spediporto, précité, point 29).

51. Il y a lieu de relever, ensuite, que, comme la Commission l'a observé et M. l'avocat général souligné au point 55 de ses conclusions, il appartient à l'Etat concerné de définir et de délimiter le cercle des opérateurs auxquels des accords collectifs sont susceptibles d'être opposés.

52. Il y a lieu dès lors de répondre à la sixième question que la possibilité de conclure des accords collectifs, tels ceux figurant à l'article 13 de l'arrêté ministériel du 18 novembre 1982, même opposables en vertu du droit national à des opérateurs qui ne les ont pas signés, n'a pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 85 du traité.

Sur les dépens

53. Les frais exposés par les Gouvernements italien et français, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Giudice di pace di Genova, par ordonnance du 30 décembre 1996, dit pour droit:

1) Les articles 3, sous f) et g), 5, 85, 86 et 90 du traité CE ne s'opposent pas à une réglementation d'un Etat membre qui prévoit que les tarifs des transports routiers de marchandises sont approuvés et rendus exécutoires par l'autorité publique, sur la base de propositions d'un comité central, composé majoritairement de représentants des opérateurs économiques intéressés, et qui étend les tarifs obligatoires applicables dans le domaine des contrats de transports routiers de marchandises à d'autres types de contrats, relatifs à des services différents, tels que, en particulier, les contrats sur appel d'offres et les contrats d'affrètement, à condition que les tarifs soient fixés dans le respect des critères d'intérêt public définis par la loi et que les pouvoirs publics n'abandonnent pas leurs prérogatives à des opérateurs économiques privés en tenant compte, avant l'approbation des propositions, des observations d'autres organismes publics et privés, voire en fixant les tarifs d'office.

2) La notion d'intérêt général à laquelle la Cour s'est référée dans les arrêts du 17 novembre 1993, Reiff (C-185-91), et du 9 juin 1994, Delta Schiffahrts- und Speditionsgesellschaft (C-153-93), correspond à la notion d'intérêt public mentionnée dans l'arrêt du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto (C-96-94).

3) Il appartient aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour déterminer les critères concrets à utiliser pour fixer des tarifs, tels ceux en vigueur dans l'ordre juridique italien, et aux juridictions nationales de contrôler si, dans la pratique, les critères ainsi définis sont respectés.

4) La possibilité de conclure des accords collectifs, tels ceux figurant à l'article 13 de l'arrêté ministériel du 18 novembre 1982, même opposables en vertu du droit national à des opérateurs qui ne les ont pas signés, n'a pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 85 du traité.