CJCE, 5e ch., 1 octobre 1998, n° C-279/95 P
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Langnese-Iglo (GmbH)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Mars (GmbH)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gulmann
Rapporteur :
M. Sevón
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Wathelet, Moitinho de Almeida, Jann
Avocats :
Mes Heidenhain, Maassen, Satzky, Sedemund.
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 août 1995, Langnese-Iglo GmbH (ci-après "Langnese-Iglo") a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 8 juin 1995, Langnese-Iglo c/ Commission (T-7-93, Rec. p. II-1533, ci-après l'"arrêt entrepris"), par lequel celui-ci a partiellement rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 93-406-CEE de la Commission, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité contre Langnese-Iglo GmbH (Affaire IV-34.072) (JO 1993, L. 183, p. 19, ci-après la "décision litigieuse").
2. S'agissant des faits qui sont à l'origine du présent pourvoi, il ressort de l'arrêt entrepris:
"1 Par lettre du 6 décembre 1984, le Bundesverband der deutschen Süsswarenindustrie eV - Fachsparte Eiskrem (Association nationale de l'industrie allemande de la confiserie - branche glaces de consommation, ci-après 'Association') a demandé à la Commission de lui adresser une 'déclaration formelle' relative à la compatibilité avec l'article 85, paragraphe 1, du traité des contrats exclusifs conclus par les producteurs allemands de glaces de consommation avec leurs clients. Par lettre du 16 janvier 1985, la Commission a fait savoir à l'Association qu'elle estimait ne pas pouvoir donner suite à la demande de rendre une décision applicable à l'ensemble du secteur.
2 L'entreprise allemande Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG (ci-après 'Schöller') a, par lettre du 7 mai 1985, notifié à la Commission un modèle d'un 'accord de livraison' régissant ses rapports avec ses distributeurs détaillants. Le 20 septembre 1985, la direction générale de la concurrence de la Commission a adressé à l'avocat de Schöller une lettre administrative de classement (ci-après 'lettre administrative'), dans laquelle on peut lire:
"Vous avez demandé le 2 mai 1985, au nom de la société Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG, conformément à l'article 2 du règlement n° 17, l'obtention d'une attestation négative pour un 'accord de livraison de glaces'.
Conformément à l'article 4 dudit règlement, vous avez aussi, à titre préventif, notifié le contrat. Vous avez ultérieurement fourni, par lettre du 25 juin 1985, un contrat type devant servir de référence aux contrats que conclura à l'avenir la société Schöller.
Par lettre du 23 août 1985, vous avez clairement indiqué que l'obligation d'achat exclusif à la charge du client contenue dans le contrat type notifié, qui est assortie d'une interdiction de concurrence, peut être résiliée pour la première fois avec un préavis de six mois au plus tard à la fin de la deuxième année du contrat, et ensuite avec le même préavis à la fin de chaque année.
Il ressort des éléments dont la Commission a connaissance et qui, pour l'essentiel, reposent sur ce que vous avez indiqué dans votre demande, que les durées fixes des contrats à conclure à l'avenir ne dépasseront pas deux ans. La durée moyenne de l'ensemble des 'accords de livraison de glaces' de votre cliente se trouvera donc bien en dessous de la période de cinq ans, condition, dans le règlement (CEE) n° 1984-83 de la Commission, du 22 juin 1983 (JO L. 173 du 30 juin 1983, p. 5), de l'exemption par catégorie des accords d'achats exclusifs.
Ces éléments montrent bien que les 'accords de livraison de glaces' conclus par la société Schöller, même en tenant compte du nombre d'accords de même nature, n'ont notamment pas pour effet d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. L'accès d'entreprises tierces au secteur du commerce de détail reste garanti.
Les 'accords de livraison de glaces' de la société Schöller qui ont été notifiés sont en conséquence compatibles avec les règles de concurrence du traité CEE. Aussi n'y a-t-il pas lieu pour la Commission d'intervenir à l'égard des contrats notifiés par votre cliente.
La Commission se réserve toutefois le droit de rouvrir la procédure si certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fonde la présente appréciation devaient se modifier sensiblement.
Nous souhaitons au demeurant indiquer à votre cliente que les 'accords de livraison de glace' déjà existants sont soumis à une semblable appréciation et qu'il n'est donc pas nécessaire de les notifier si les durées fixes de ces accords ne dépassent pas deux ans après le 31 décembre 1986 et qu'ils sont ensuite résiliables avec un préavis de six mois maximum à la fin de chaque année.
..."
3 Le 18 septembre 1991, Mars GmbH (ci-après 'Mars') a déposé une plainte auprès de la Commission contre la requérante et contre Schöller, pour infraction aux articles 85 et 86 du traité, et a demandé que des mesures conservatoires soient prises afin de prévenir le préjudice grave et irréparable qui résulterait, selon elle, du fait que la vente de ses glaces de consommation serait fortement entravée en Allemagne par la mise en œuvre d'accords contraires aux règles de concurrence que la requérante et Schöller auraient conclus avec un grand nombre de détaillants.
4 Par décision du 25 mars 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-34.072 - Mars/Langnese et Schöller - Mesures conservatoires) (ci-après 'décision du 25 mars 1992'), la Commission a, en substance, interdit à la requérante et à Schöller, à titre de mesures conservatoires, de faire valoir leurs droits contractuels résultant des accords conclus par ces sociétés ou en leur faveur, dans la mesure où les détaillants s'engageaient à acheter, à proposer à la vente et/ou à vendre exclusivement des glaces de consommation de ces producteurs, à l'égard des articles de glaces de consommation 'Mars', 'Snickers', 'Milky Way' et 'Bounty', lorsque ceux-ci sont proposés au consommateur final en portions individuelles. La Commission a, en outre, retiré le bénéfice de l'application du règlement (CEE) n° 1984-83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'achat exclusif (JO L. 173, p. 5, rectificatif JO 1984, L. 79, p. 38, ci-après 'règlement n° 1984-83'), aux accords d'exclusivité conclus par la requérante, dans la mesure nécessaire à l'application de l'interdiction ci-dessus mentionnée.
5 C'est dans ces circonstances que, afin d'adopter, à la suite de la décision du 25 mars 1992, une décision définitive sur les 'accords de livraison' en cause, la Commission a arrêté, le 23 décembre 1992, la décision 93-406-CEE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (IV-34.072 contre Langnese-Iglo GmbH - JO 1993, L. 183, p. 19...), dont le dispositif est le suivant:
"Article premier
Les accords conclus par Langnese-Iglo GmbH, en vertu desquels les détaillants sis en Allemagne sont tenus, aux fins de la revente de glaces de consommation en conditionnement individuel (au sens des explications relatives au regroupement d'articles, version du 21 mai 1990, de la branche 'crème glacée' de la fédération allemande de la confiserie), d'effectuer leurs achats exclusivement auprès de l'entreprise citée (obligation d'exclusivité des points de vente), constituent une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
Article 2
Le bénéfice de l'application des dispositions du règlement (CEE) n° 1984-83 est retiré aux accords mentionnés à l'article 1er remplissant les conditions nécessaires pour bénéficier de l'exemption par catégorie conformément audit règlement.
Article 3
Langnese-Iglo GmbH est tenue de communiquer le libellé des articles 1er et 2 aux revendeurs avec lesquels elle a conclu des accords tels que ceux mentionnés à l'article 1er, en indiquant la nullité des accords concernés, dans un délai de trois mois à dater de la notification de la présente décision.
Article 4
Il est interdit à Langnese-Iglo GmbH de conclure des accords tels que ceux mentionnés à l'article 1er jusqu'au 31 décembre 1997.
..."
3. Le 23 décembre 1992, la Commission a également arrêté à l'égard de Schöller la décision 93-405-CEE relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité contre Schöller Lebensmittel GmbH & Co. KG (IV-31.533 et IV-34.072) (JO 1993, L. 183, p. 1). Cette décision, en particulier ses articles 1er, 3 et 4, est, en substance, identique à la décision litigieuse.
4. Le 19 janvier 1993, Langnese-Iglo a introduit un recours devant le Tribunal visant à l'annulation de la décision litigieuse.
5. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 février 1993, Mars a demandé à être admise à intervenir dans la procédure devant le Tribunal au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 12 juillet 1993, le président de la première chambre du Tribunal a admis l'intervention.
6. Par cette même ordonnance ainsi que par ordonnance du 9 novembre 1994 du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal, le Tribunal a fait droit, en application de l'article 116, paragraphe 2, de son règlement de procédure, à une demande de traitement confidentiel présentée par Langnese-Iglo.
7. A l'appui de son recours devant le Tribunal, Langnese-Iglo faisait valoir cinq moyens tirés, en premier lieu, d'une notification irrégulière de la décision, en ce que la Commission aurait omis de notifier certaines annexes; en deuxième lieu, d'une violation du principe de protection de la confiance légitime, en ce que la Commission n'aurait pas respecté la position adoptée dans la lettre administrative; en troisième lieu, d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité; en quatrième lieu, d'une violation de l'article 85, paragraphe 3, du traité et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a retiré le bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 1984-83 pour l'intégralité des accords de livraison litigieux, et, en cinquième lieu, d'une violation de l'article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204).
8. La Commission, soutenue par Mars, concluait au rejet du recours.
9. Par l'arrêt entrepris, le Tribunal a annulé l'article 4 de la décision litigieuse et a rejeté le recours pour le surplus. En outre, il a condamné Langnese-Iglo à l'ensemble des dépens de l'instance, y compris ceux relatifs à la procédure en référé (voir ordonnance du président du Tribunal du 19 février 1993, Langnese-Iglo et Schöller/Commission, T-7-93 R et T-9-93 R, Rec. p. II-131), ainsi que ceux de Mars, à l'exception d'un quart de l'ensemble des dépens exposés par la Commission. Cette dernière a donc supporté un quart de ses propres dépens.
10. Schöller a également introduit, devant le Tribunal, un recours contre la décision 93-405 dirigée à son encontre. Par arrêt du 8 juin 1995, Schöller/Commission (T-9-93, Rec. p. II-1611), le Tribunal a, de même que dans l'arrêt entrepris, annulé l'article 4 de ladite décision et rejeté le recours pour le surplus. Schöller n'a pas formé de pourvoi contre cet arrêt.
11. Dans son pourvoi, Langnese-Iglo demande à la Cour d'annuler l'arrêt entrepris, en ce qu'il a rejeté son recours, d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de la décision litigieuse et de condamner la Commission aux dépens, en ce qui concerne tant la procédure devant le Tribunal que le pourvoi. Langnese-Iglo demande, à titre subsidiaire, que le litige soit renvoyé devant le Tribunal.
12. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour de rejeter le pourvoi, d'annuler l'arrêt entrepris pour autant qu'il a fait droit au recours de Langnese-Iglo et a annulé l'article 4 de décision litigieuse et de rejeter le recours de Langnese-Iglo. En outre, elle demande la condamnation de Langnese-Iglo aux dépens.
13. Mars demande le rejet du pourvoi et l'annulation de l'arrêt entrepris en ce qu'il a annulé l'article 4 de la décision litigieuse.
14. Par ordonnance du 20 mars 1996, le président de la Cour a, en application des articles 93, paragraphe 3, deuxième phrase, et 118 du règlement de procédure de la Cour, fait droit à une demande de confidentialité présentée par Langnese-Iglo. Cette ordonnance accorde le traitement confidentiel à certaines données illustrant le degré de dépendance. Le présent arrêt ne contient dès lors aucune mention de ces données.
15. A l'appui de son pourvoi, Langnese-Iglo invoque trois moyens, à savoir:
- la violation du principe de protection de la confiance légitime;
- la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité - effet des contrats d'achat exclusif sur le jeu de la concurrence;
- la violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement.
16. Pour étayer son pourvoi incident, la Commission, soutenue par Mars, fait valoir que l'annulation de l'article 4 de la décision litigieuse viole l'article 3 du règlement n° 17.
17. Par lettre parvenue à la Cour le 27 mars 1998, Langnese-Iglo a demandé que la Cour constate d'office qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident introduit par la Commission. Cette dernière ainsi que Mars s'y opposent.
SUR LE POURVOI PRINCIPAL
Sur le premier moyen
18. Le premier moyen concerne les points 35 à 42 de l'arrêt entrepris qui sont relatifs à la violation du principe de protection de la confiance légitime.
19. Devant le Tribunal, Langnese-Iglo soutenait que la Commission était liée par l'appréciation portée dans la lettre administrative, compte tenu de ce qu'elle n'était pas en mesure de démontrer que ladite lettre avait été obtenue sur le fondement d'informations inexactes ou incomplètes ni que les circonstances de droit ou de fait caractérisant le marché des glaces de consommation avaient subi un changement sensible depuis sa délivrance (points 28 à 30 de l'arrêt entrepris).
20. Langnese-Iglo faisait valoir, en outre, que, même si la lettre administrative avait été adressée à Schöller, la Commission et les participants à la procédure entamée par la lettre de l'Association du 6 décembre 1984 - dont Langnese-Iglo - étaient cependant convenus que la notification faite par Schöller en mai 1985, concernant les accords de livraison de glaces qu'elle avait conclus, et la demande simultanée de délivrance d'une attestation négative valaient également pour tous les membres de l'Association. La lettre administrative engloberait par conséquent la totalité des contrats d'exclusivité existant sur le marché des glaces de consommation (point 31 de l'arrêt entrepris).
21. Dans l'arrêt entrepris, le Tribunal a, à titre liminaire, considéré, au point 35, qu'il n'était pas nécessaire d'examiner la question de savoir si Langnese-Iglo pouvait légitimement s'attendre à ce que l'appréciation portée par la Commission dans la lettre administrative adressée à Schöller s'appliquait également à sa situation juridique ni de procéder à une audition de témoins sur la question, comme l'avait proposé Langnese-Iglo. Selon le Tribunal, il suffisait de constater que, en tout état de cause, ladite lettre administrative ne pouvait faire obstacle à ce que la Commission puisse examiner la plainte déposée par Mars.
22. A cet égard, le Tribunal a rappelé, au point 36, qu'il ressortait de la jurisprudence (arrêts du 10 juillet 1980, Giry et Guerlain e.a., 253-78 et 1-79 à 3-79, Rec. p. 2327; Marty, 37-79, Rec. p. 2481; Lancôme et Cosparfrance, 99-79, Rec. p. 2511, et du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31-80, Rec. p. 3775) qu'une lettre administrative ne constitue ni une décision d'attestation négative ni une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, au sens des articles 2 et 6 du règlement n° 17, la lettre administrative n'ayant pas été adoptée conformément aux dispositions dudit règlement. Le Tribunal a ensuite relevé, au point 37, qu'il s'agissait d'une lettre administrative portant à la connaissance de l'entreprise intéressée, à savoir Schöller, l'opinion de la Commission, selon laquelle il n'y avait pas lieu pour elle, compte tenu des circonstances de l'espèce, d'intervenir à l'égard des contrats en cause. Enfin, le Tribunal a constaté, au point 38, que la Commission n'avait procédé, à l'époque, qu'à une analyse provisoire des conditions du marché et qu'elle s'était réservé le droit, dans sa lettre administrative, de rouvrir la procédure si certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fondait son appréciation se modifiaient sensiblement.
23. Au point 39 de l'arrêt entrepris, le Tribunal a constaté, d'une part, que deux nouveaux concurrents, Mars et Jacobs Suchard, avaient fait, après la délivrance de la lettre administrative, leur entrée sur le marché et que, d'autre part, après le dépôt de la plainte de Mars, la Commission avait eu connaissance de l'existence d'obstacles supplémentaires à l'accès au marché. Le Tribunal a considéré, au point 40, que ces éléments constituaient des circonstances nouvelles qui justifiaient, notamment à la lumière des problèmes concrets rencontrés par Mars, une analyse plus approfondie et plus précise des conditions régissant l'accès au marché que celle qui avait été effectuée lors de la délivrance de la lettre administrative. En conséquence, cette lettre n'empêchait pas la Commission de rouvrir la procédure afin d'apprécier, dans le cas concret, la compatibilité des accords de livraison litigieux avec les règles de concurrence. A cet égard, le Tribunal s'est également appuyé, au point 41, sur l'obligation de la Commission d'examiner une plainte.
24. Dans son pourvoi, Langnese-Iglo soutient que la Commission n'était pas autorisée à s'écarter du contenu de la lettre administrative et à interdire le réseau de contrats d'achat exclusif entretenu par Langnese-Iglo, mis à part l'hypothèse où il serait résulté de l'examen que les éléments de droit et de fait sur le marché de la glace de consommation s'étaient sensiblement modifiés. Or, Langnese-Iglo conteste les constatations effectuées par le Tribunal en ce qui concerne les modifications de fait intervenues sur le marché.
25. En outre, elle critique l'arrêt entrepris en ce qu'il relève que, avant de délivrer la lettre administrative, la Commission n'avait procédé qu'à une analyse provisoire des conditions du marché. Par ailleurs, même si cette constatation était fondée, elle n'aurait, selon Langnese-Iglo, aucune incidence. En effet, les entreprises concernées devraient pouvoir se fier à ce que la délivrance d'une lettre administrative soit fondée sur une vérification objective des conditions de fait et de droit des marchés en cause.
26. A cet égard, il convient d'abord de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un pourvoi ne peut, en vertu des articles 168 A du traité CE et 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation des règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits (voir, notamment, arrêt du 1er octobre 1991, Vidrányi/Commission, C-283-90 P, Rec. p. I-4339, point 12; ordonnance du 17 septembre 1996, San Marco/Commission, C-19-95 P, Rec. p. I-4435, points 36 et 39, et arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7-95 P, non encore publié au Recueil, points 18 et 21).
27. Or, en contestant les circonstances nouvelles, relevées par le Tribunal, quant à l'apparition de nouveaux concurrents sur le marché, ainsi qu'à l'existence d'obstacles supplémentaires à l'accès au marché dont la Commission a eu connaissance après le dépôt de la plainte de Mars, Langnese-Iglo remet en cause l'appréciation de fait opérée par le Tribunal. Cette argumentation est dès lors irrecevable dans le cadre d'un pourvoi. Il en va de même en ce qui concerne le grief de Langnese-Iglo visant la constatation du Tribunal selon laquelle la Commission n'aurait procédé, avant de délivrer la lettre administrative, qu'à une analyse provisoire des conditions du marché.
28. L'argumentation de Langnese-Iglo doit être comprise comme faisant également grief au Tribunal d'avoir admis que la Commission pouvait s'écarter de son appréciation, exposée dans la lettre administrative, non seulement en raison de modifications de fait ou de droit survenues après la délivrance de cette lettre, mais également sur le fondement de nouvelles circonstances qui, bien qu'existant déjà auparavant, n'avaient été portées à la connaissance de la Commission qu'après la délivrance de cette lettre.
29. A cet égard, il y a lieu de renvoyer à l'exposé des motifs du Tribunal d'abord quant à la nature juridique d'une lettre administrative (points 36 et 37 de l'arrêt entrepris), ensuite à la mention, dans cette lettre, en l'espèce, que la Commission se réservait toutefois le droit de rouvrir la procédure si certains éléments de droit ou de fait sur lesquels se fondait son appréciation devaient se modifier sensiblement (point 38 de l'arrêt entrepris) et enfin au devoir de la Commission d'examiner de manière appropriée une plainte (point 41 de l'arrêt entrepris).
30. Il résulte de ces considérations rappelées par le Tribunal, à l'encontre desquelles Langnese-Iglo ne présente d'ailleurs aucun argument spécifique dans son pourvoi, que l'envoi d'une lettre administrative ne saurait avoir pour conséquence que la Commission ne serait plus autorisée à prendre en compte un élément de fait lorsque celui-ci existait déjà avant la délivrance de la lettre administrative, mais qu'il n'avait été porté à la connaissance de la Commission que plus tard, notamment dans le cadre d'une plainte déposée ultérieurement.
31. Il s'ensuit que le premier moyen est pour partie irrecevable et pour partie non fondé, en sorte qu'il doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen
32. Par son deuxième moyen, Langnese-Iglo conteste la conclusion du Tribunal, aux points 94 à 114, selon laquelle la Commission aurait, à juste titre, considéré que les contrats d'achat exclusif entretenus par Langnese-Iglo entraînaient une restriction sensible du jeu de la concurrence sur le marché de référence, en sorte qu'ils étaient incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité.
33. Selon Langnese-Iglo, cette conclusion du Tribunal, d'une part, reposerait sur plusieurs éléments qui ne résultent pas des pièces du dossier et, d'autre part, serait fondée sur une appréciation juridique erronée de la situation de fait.
34. Pour étayer sa thèse, Langnese-Iglo avance, en premier lieu, que les pièces du dossier ne permettaient pas au Tribunal de conclure, au point 105, que les réseaux des contrats d'achat exclusif mis en place par elle et par Schöller avaient entraîné un degré de dépendance cumulé supérieur à 30 %. Selon Langnese-Iglo, il résulte du dossier que ce degré de dépendance était inférieur à 30 %, pourcentage considéré comme acceptable par la Commission dans la lettre administrative ainsi que dans le Quinzième Rapport sur la politique de concurrence de 1985.
35. En second lieu, Langnese-Iglo soutient que la constatation du Tribunal relative au système de prêt portant sur un grand nombre de surgélateurs (points 107 et 108), qu'elle mettait à la disposition des détaillants à condition que ceux-ci les utilisent exclusivement pour y conserver ses produits, ne serait que la reprise d'une affirmation émise par la Commission, mais contestée par Langnese-Iglo devant le Tribunal. Il en serait de même en ce qui concerne les ristournes que Langnese-Iglo octroyait pour assurer un certain pourcentage des ventes de glaces en conditionnement individuel (point 109 de l'arrêt entrepris). Selon Langnese-Iglo, la Commission n'aurait pas apporté de preuve au soutien de ses affirmations bien que le Tribunal ait souligné, au point 95, qu'il appartenait à la Commission d'établir l'existence des prétendus obstacles à l'accès au marché.
36. En troisième lieu, Langnese-Iglo fait valoir que, à supposer même que le degré de dépendance sur le marché de référence pour la glace de consommation se situait entre le chiffre avancé par elle et celui retenu par le Tribunal, en sorte qu'il était légèrement supérieur ou inférieur à 30 %, les éléments de fait, dans la mesure où ils ont été régulièrement établis par le Tribunal, ne permettraient pas d'en conclure que l'accès au marché en cause était entravé de manière sensible, voire était fermé.
37. Il y a lieu d'abord de constater que, par ses arguments, Langnese-Iglo conteste différents éléments de fait que le Tribunal a déterminés. Ainsi qu'il a été rappelé au point 26 du présent arrêt, la Cour n'est pas compétente pour apprécier les faits dans le cadre d'un pourvoi.
38. S'agissant plus particulièrement de l'administration des preuves, il convient de préciser qu'il appartient au Tribunal d'apprécier souverainement la valeur à attribuer aux éléments de preuve qui lui sont soumis, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments (voir, à cet égard, ordonnance San Marco/Commission, précitée, point 40; et arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53-92 P, Rec. p. I-667, point 42, et Deere/Commission, précité, point 22). Or, Langnese-Iglo n'avance aucun argument sérieux pour soutenir que le Tribunal aurait dénaturé des éléments de preuve.
39. Quant au troisième grief du présent moyen, il apparaît que Langnese-Iglo critique de manière globale la conclusion que le Tribunal a tirée des éléments de fait qu'il a retenus, en soulignant notamment qu'un degré de dépendance légèrement supérieur ou inférieur à 30 % n'entrave pas de manière sensible l'accès au marché, en particulier lorsque le marché concerné est en pleine expansion.
40. A cet égard, force est de constater que Langnese-Iglo ne précise pas les erreurs de droit que le Tribunal aurait commises dans son appréciation des points de droit et que son argumentation contient une remise en cause des faits établis par le Tribunal. Dans ces conditions, cette partie du moyen est également irrecevable.
41. Il résulte de ces considérations que le deuxième moyen est dans son ensemble irrecevable.
Sur le troisième moyen
42. Le troisième moyen se décompose en deux branches se fondant sur une prétendue violation, d'une part, du principe de proportionnalité et, d'autre part, du principe d'égalité de traitement.
Sur la première branche du troisième moyen
43. Langnese-Iglo fait valoir que le Tribunal a enfreint le principe de proportionnalité dès lors qu'il a jugé que la Commission n'avait pas commis d'erreur lorsqu'elle a retiré le bénéfice de l'exemption par catégorie, prévue par le règlement n° 1984-83, et interdit l'intégralité des contrats d'achat exclusif entretenus par Langnese-Iglo sans avoir, au préalable, indiqué à Langnese-Iglo dans quelle mesure un réseau de contrats d'achat exclusif était compatible avec l'article 85, paragraphe 1, du traité et, partant, sans lui avoir donné l'occasion d'adapter le réseau aux exigences de cette disposition.
44. A l'appui de cette thèse, Langnese-Iglo prétend que le raisonnement du Tribunal serait marqué par une contradiction. Ainsi, le Tribunal aurait estimé, d'une part, au point 131, qu'un faisceau de contrats similaires comme les contrats d'achat exclusif de Langnese-Iglo devait être apprécié dans son ensemble et que, en conséquence, c'est à juste titre que la Commission n'avait pas procédé à un fractionnement des contrats et, d'autre part, au point 193, que, dans une procédure d'application de l'article 85 du traité, la Commission n'est pas tenue d'indiquer les accords qui ne contribuent que de manière non significative à l'éventuel effet cumulatif produit par des accords similaires sur le marché. Ces considérations du Tribunal seraient en contradiction avec celle qu'il a faite aux points 207 et 208, selon laquelle l'article 85, paragraphe 1, ne s'oppose pas, en règle générale, à la conclusion de contrats d'achat exclusif, pourvu qu'elle ne contribue pas de manière significative à un cloisonnement du marché et que la Commission n'est pas habilitée, par la voie d'une décision individuelle, à restreindre ou à limiter les effets juridiques d'un acte normatif tel que le règlement n° 1984-83.
45. Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 27 de ses conclusions, Langnese-Iglo établit cette prétendue contradiction à partir de considérations tirées de contextes différents de l'arrêt entrepris en omettant de tenir compte du fait que le Tribunal a fait une distinction claire entre, d'une part, l'application de l'article 85, paragraphe 1, aux accords existants et, d'autre part, les effets de l'article 3 du règlement n° 17 sur les accords d'achat exclusif que Langnese-Iglo pourrait conclure à l'avenir.
46. Contrairement à ce que soutient Langnese-Iglo, le raisonnement du Tribunal ne comporte donc pas, à cet égard, de contradiction.
47. Pour le surplus, force est de constater que Langnese-Iglo n'indique pas avec suffisamment de précision les points de l'arrêt critiqués. En effet, son argumentation vise des éléments qui se retrouvent tant aux points 129 à 132 de l'arrêt entrepris, qui concernent la branche du moyen relative à la prétendue obligation pour la Commission de scinder les contrats individuels de manière à ce qu'une partie des contrats échappe à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité, qu'aux points 192 à 195 de l'arrêt entrepris, qui concernent la branche du moyen relative à la question de savoir si l'interdiction totale des accords de livraison est contraire au principe de proportionnalité.
48. Face à ce manque de précision, qui a d'ailleurs été souligné par la Commission, la Cour n'est pas en mesure d'examiner sur le fond la présente branche du moyen. A cet égard, il importe de rappeler qu'un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments de l'arrêt qui sont critiqués et dont l'annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir, notamment, ordonnance San Marco/Commission, précitée, point 37, et arrêt Deere/Commission, précité, point 19).
49. La première branche du troisième moyen est, par conséquent, irrecevable.
Sur la seconde branche du troisième moyen
50. Langnese-Iglo soutient que l'interdiction de l'intégralité de ses accords d'achat exclusif viole également le principe d'égalité de traitement. A cet égard, elle relève que le Tribunal a constaté, au point 209 de l'arrêt entrepris, que l'article 4 de la décision litigieuse viole ce principe du fait que cette disposition excluait pour certaines entreprises le bénéfice, à l'avenir, du règlement n° 1984-83, tandis que les concurrents de Langnese-Iglo pouvaient exploiter l'avantage accordé par ce règlement.
51. Selon Langnese-Iglo, le principe d'égalité de traitement devrait, de la même manière, être applicable pour ce qui concerne le passé. Elle fait valoir qu'il ne saurait être accepté que la Commission interdise l'intégralité des contrats d'achat exclusif indépendamment de la question de savoir s'ils relèvent de l'article 85, paragraphe 1, du traité et s'ils bénéficient de l'exemption en vertu du règlement n° 1984-83, alors que les concurrents peuvent maintenir et imposer des contrats d'achat exclusif similaires.
52. S'agissant de la référence au point 209 de l'arrêt entrepris, il importe de relever que Langnese-Iglo s'appuie, pour critiquer l'interdiction totale des accords existants, sur une considération du Tribunal qui ne concerne que les accords futurs. Cette invocation n'est pas, dès lors, en tant que telle, pertinente.
53. Par ailleurs, il y a lieu de constater que Langnese-Iglo n'a pas présenté, devant le Tribunal, de moyen s'appuyant sur une prétendue violation, par la Commission, du principe d'égalité de traitement en ce qui concerne l'interdiction totale des accords d'achat exclusif existants.
54. A cet égard, il convient tout d'abord de rappeler que, en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
55. Permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu'elle n'a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d'un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d'un pourvoi, la compétence de la Cour est limitée à l'examen de l'appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136-92 P, Rec. p. I-1981, point 59).
56. Cette branche du troisième moyen est, par conséquent, irrecevable.
57. Le troisième moyen est donc irrecevable dans son intégralité et doit, dès lors, être rejeté.
58. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les moyens présentés par Langnese-Iglo à l'appui de son pourvoi sont pour partie irrecevables et pour partie non fondés. Le pourvoi de Langnese-Iglo doit dès lors être rejeté dans sa totalité.
SUR LE POURVOI INCIDENT
L'arrêt entrepris et l'argumentation des parties
59. Par l'arrêt entrepris, le Tribunal a annulé l'article 4 de la décision litigieuse aux termes duquel "Il est interdit à Langnese-Iglo GmbH de conclure des accords tels que ceux mentionnés à l'article 1er jusqu'au 31 décembre 1997".
60. Le Tribunal a en effet considéré, au point 205, que l'article 3 du règlement n° 17, selon lequel, "Si la Commission constate ... une infraction aux dispositions de l'article 85 ou de l'article 86 du traité, elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée", ne confère à la Commission que le pouvoir d'interdire des contrats d'exclusivité existants qui sont incompatibles avec les règles de concurrence.
61. A cet égard, le Tribunal a, en premier lieu, relevé que, conformément à l'arrêt du 28 février 1991, Delimitis (C-234-89, Rec. p. I-935, points 23 et 24), les contrats d'achat exclusif d'un fournisseur dont la contribution à un effet cumulatif est insignifiante ne tombent pas sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1. Selon le Tribunal, il s'ensuit que cette disposition ne s'oppose pas, en règle générale, à la conclusion de contrats d'achat exclusif, pourvu qu'elle ne contribue pas de manière significative à un cloisonnement du marché. A cet égard, le Tribunal a écarté l'argumentation de la Commission, selon laquelle l'interdiction de toute conclusion de contrats futurs était justifiée par la nécessité d'empêcher une tentative de contournement de l'interdiction des contrats existants, prononcée dans l'article 1er de la décision litigieuse, par le biais du règlement n° 1984-83. (Points 206 et 207 de l'arrêt entrepris.)
62. En second lieu, le Tribunal a estimé, au point 208, que le règlement n° 1984-83, en tant qu'acte normatif de portée générale, ne comporte aucune base légale permettant de retirer, par la voie d'une décision individuelle, une exemption par catégorie pour des accords futurs.
63. En troisième lieu, le Tribunal a considéré, au point 209, qu'il serait contraire au principe d'égalité de traitement d'exclure pour certaines entreprises le bénéfice, à l'avenir, d'un règlement d'exemption par catégorie, tandis que d'autres entreprises pourraient continuer à conclure des accords d'achat exclusif tels que ceux interdits par la décision litigieuse.
64. La Commission, soutenue par Mars, fait valoir que l'interprétation donnée par le Tribunal à l'article 3 du règlement n° 17 est erronée en droit. Selon elle, cette disposition autoriserait la Commission à empêcher que se poursuive le comportement dont il a été constaté qu'il constituait une infraction aux dispositions en matière de concurrence. Il ne s'agirait donc pas d'un moyen sanctionnant les infractions existantes, mais prévenant leur continuation dans l'avenir. La Commission estime que, sans l'article 4 de la décision litigieuse, Langnese-Iglo pourrait, par le biais du règlement n° 1984-93, avoir le bénéfice d'une exemption par catégorie pour de nouveaux contrats d'exclusivité. Ainsi, l'interdiction énoncée à l'article 4 constituerait une garantie destinée à assurer le respect des articles 1er et 2 de la décision litigieuse.
65. Devant la Cour, la Commission a précisé son opinion sur l'interprétation de l'article 4 de la décision litigieuse en indiquant qu'elle ne maintenait plus l'affirmation défendue devant le Tribunal, selon laquelle cette disposition engloberait également l'interdiction de toute conclusion d'accords d'achat exclusif avec de nouveaux revendeurs. Elle expose que son pourvoi incident ne critique l'arrêt entrepris que dans la mesure où il annule l'article 4 de la décision interprété de façon restrictive, à savoir en ce que cet article interdit à Langnese-Iglo de remettre en place le même réseau de contrats d'achat exclusif que celui qu'elle avait mis en place auparavant.
66. Langnese-Iglo soutient, en revanche, que l'article 4 de la décision litigieuse doit être compris en ce sens qu'il lui interdit de conclure des accords d'exclusivité quels qu'ils soient avec des détaillants en vue de la revente de glaces en conditionnement individuel. Cet article ne ferait pas de distinction entre l'hypothèse de la conclusion d'un accord avec un partenaire contractuel qui, à la date de la décision litigieuse, était lié à Langnese-Iglo par un accord d'exclusivité et celle de la conclusion d'un accord avec un client qu'il n'a contacté qu'après cette date. En outre, l'article 4 interdirait la conclusion de tout accord d'exclusivité jusqu'au 31 décembre 1997 indépendamment de la question de savoir combien d'accords d'exclusivité elle a conclus jusqu'à cette date et si, et dans quelle mesure, l'accord en question, pris individuellement ou conjointement avec d'autres accords de la requérante et de ses concurrents, est visé par l'article 85, paragraphe 1, ou bénéficie d'une exemption en vertu du règlement n° 1984-83. Selon Langnese-Iglo, ledit article 4 ne serait pas non plus nécessaire pour empêcher tout contournement de l'interdiction prévue à l'article 1er de la décision litigieuse.
67. Langnese-Iglo ajoute que l'article 4 de la décision litigieuse serait différent de la disposition correspondante d'autres décisions par lesquelles la Commission a, par le passé, obligé, au titre de l'article 3 du règlement n° 17, les entreprises concernées à mettre fin à l'infraction constatée à l'article 85 du traité. Dans de telles décisions, la Commission aurait obligé les entreprises concernées à s'abstenir à l'avenir de conclure des accords ayant "un objet ou un effet identique ou similaire" aux accords prohibés.
68. Enfin, Langnese-Iglo fait valoir que l'accueil de la demande de la Commission violerait le principe d'égalité de traitement dès lors que ni la Commission ni Mars n'ont formé de pourvoi contre l'arrêt Schöller/Commission, précité.
Sur l'exception de non-lieu à statuer
69. Étant donné que la date du 31 décembre 1997, fixée à l'article 4 de la décision litigieuse, est désormais expirée, Langnese-Iglo fait valoir que le pourvoi incident serait devenu sans objet. Il en découlerait que la Cour devrait constater, d'office, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident. A cet égard, Langnese-Iglo se fonde sur l'arrêt du 5 octobre 1988, Brother Industries/Commission (56-85, Rec. p. 5655).
70. La Commission estime, en revanche, que la question de la légalité de l'article 4 de la décision litigieuse, dans son interprétation restrictive, reste entière, tant en principe qu'en pratique. L'importance pratique résulterait du fait que Langnese-Iglo a enfreint, à la suite de l'arrêt entrepris, l'article 4 de la décision litigieuse interprété de manière restrictive. Sur ce point, Mars ajoute que la réponse au pourvoi incident conditionne, notamment, la question de savoir si les contrats conclus par Langnese-Iglo avec différents points de vente au cours de la période précédant le 31 décembre 1997 sont valables et si les concurrents peuvent, le cas échéant, faire valoir une demande de dommages et intérêts pour violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
71. Il est vrai que, dans l'hypothèse où le pourvoi incident aboutirait à l'annulation de l'arrêt entrepris en ce que celui-ci a annulé l'article 4 de la décision litigieuse, l'interdiction fondée sur cette disposition n'aurait pas d'incidence pratique pour le présent dès lors que cette interdiction n'était prévue que jusqu'au 31 décembre 1997. Ainsi que l'ont relevé la Commission et Mars, cette constatation ne fait toutefois pas disparaître l'intérêt de trancher définitivement le litige sur la légalité et la portée de l'article 4 de la décision litigieuse en vue de déterminer ses effets juridiques pendant la période précédant la date qui y est fixée.
72. A cet égard, il convient d'ajouter que l'appréciation retenue dans l'arrêt Brother Industries/Commission, précité, sur laquelle Langnese-Iglo s'appuie, ne saurait être transposée à la présente affaire. En effet, les deux situations ne sont pas comparables dès lors que, dans la première affaire, le recours contre un règlement était devenu sans objet du fait que ledit règlement était remplacé en cours d'instance par un autre règlement, également attaqué par le même requérant.
73. Il convient donc de considérer que le pourvoi incident n'est pas devenu sans objet, en sorte que l'exception de non-lieu à statuer soulevée par Langnese-Iglo doit être rejetée.
Sur la demande au fond
74. Il y a lieu, de prime abord, de constater que, pour les motifs exposés aux points 205 à 209 de l'arrêt entrepris, le Tribunal a correctement estimé que la Commission n'avait pas le droit d'imposer à Langnese-Iglo l'interdiction de toute conclusion d'accords futurs d'achat exclusif. L'appréciation effectuée par le Tribunal est, de surcroît, conforme à la jurisprudence de la Cour selon laquelle l'application de l'article 3 du règlement n° 17 doit se faire en fonction de la nature de l'infraction constatée (voir arrêts du 6 mars 1974, Commercial Solvents/Commission, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223, point 45, et du 6 avril 1995, RTP et ITP/Commission, C-241-91 P et C-242-91 P, Rec. p. I-743, point 90).
75. Il convient ensuite de relever que, devant la Cour, la Commission a expressément indiqué qu'elle ne critiquait pas cette appréciation du Tribunal. Elle indique désormais que l'article 4 de la décision litigieuse aurait pour seul objectif d'empêcher Langnese-Iglo de remettre en place le même réseau de contrats d'achat exclusif auprès de ses distributeurs détaillants, mais qu'il ne l'empêcherait pas de conclure de nouveaux contrats d'achat exclusif avec d'autres distributeurs détaillants. Sur ce point, l'arrêt du Tribunal se fonderait sur une interprétation erronée de la portée de l'article 4 de la décision litigieuse.
76. Ce revirement de l'opinion de la Commission ne conduit toutefois pas à la conclusion que le Tribunal aurait commis une erreur de droit.
77. En effet, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 40 de ses conclusions, le libellé de l'article 4 de la décision litigieuse et le point 154 de cette même décision tendent à donner audit article la portée retenue par le Tribunal et soutenue par Langnese-Iglo. L'appréciation du Tribunal peut d'autant moins être critiquée eu égard à l'attitude de la Commission, sur ce point, devant le Tribunal.
78. Par ailleurs, il convient d'observer que le principe de sécurité juridique exige que tout acte de l'administration produisant des effets juridiques soit clair et précis, afin que l'intéressé puisse connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et prendre ses dispositions en conséquence (voir, en ce sens, en ce qui concerne les actes normatifs à portée générale, arrêt du 22 février 1989, Commission/France et Royaume-Uni, 92-87 et 93-87, Rec. p. 405, point 22).
79. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'examiner le pourvoi incident en ce qu'il est fondé sur l'hypothèse que la légalité de l'article 4 de la décision litigieuse devrait être appréciée en donnant à cette disposition la portée préconisée par la Commission devant la Cour.
80. Par conséquent, le pourvoi incident doit être rejeté comme étant irrecevable.
SUR LES DEPENS
81. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Langnese-Iglo ayant succombé en son pourvoi et la Commission ayant succombé en son pourvoi incident, il y a lieu de décider qu'elles supporteront leurs propres dépens de la présente instance. Quant à Mars, qui est intervenue au soutien de la Commission tant en ce qui concerne le pourvoi principal que le pourvoi incident, il convient, conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, de la condamner à supporter ses propres dépens de la présente instance.
Par ces motifs, LA COUR (cinquième chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi de Langnese-Iglo GmbH est rejeté.
2) Le pourvoi incident de la Commission des Communautés européennes est rejeté.
3) Langnese-Iglo GmbH, la Commission des Communautés européennes et Mars GmbH supporteront leurs propres dépens.