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Décisions

TPICE, 3e ch. élargie, 14 mai 1998, n° T-310/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gruber et Weber GmbH & Co (KG)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Juges :

MM. Briët, Potocki, Cooke, Mme Lindh

Avocats :

Mes Holger-Friedrich Wissel, Schütze.

TPICE n° T-310/94

14 mai 1998

Faits à l'origine du litige

1. La présente affaire concerne la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-C-33.833 - Carton) (JO L 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après "décision"). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2. Le produit faisant l'objet de la décision est le carton. Trois types de carton, désignés comme relevant des qualités "GC", "GD" et "SBS", sont mentionnés dans la décision.

3. Le carton de qualité GD (ci-après "carton GD") est un carton à intérieur gris (papiers recyclés) qui sert habituellement à l'emballage de produits non alimentaires.

4. Le carton de qualité GC (ci-après "carton GC") est un carton présentant une couche extérieure blanche et servant habituellement à l'emballage de produits alimentaires. Le carton GC est d'une qualité supérieure à celle du carton GD. Dans la période couverte par la décision, il a généralement existé entre ces deux produits un écart de prix d'environ 30 %. Dans une moindre mesure, le carton GC de haute qualité sert également à des utilisations graphiques.

5. SBS est le sigle utilisé pour désigner le carton entièrement blanc (ci-après "carton SBS"). Ce carton est un produit dont le prix est d'environ 20 % supérieur à celui du carton GC. Il sert à l'emballage des aliments, des produits cosmétiques, des médicaments et des cigarettes, mais il est destiné principalement à des utilisations graphiques.

6. Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après "BPIF"), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

7. Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

8. Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

9. A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

10. Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

11. En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

12. Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes :

"Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard - the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr- Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Espanola SA (anciennement Tampella Espanola SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant :

- dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

- dans le cas de Enso Espanola, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

- dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

- dans les autres cas, à compter de mi- 1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne :

- se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

- ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

- ont planifié et mis en œuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

- se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

- ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en œuvre desdites augmentations de prix concertées,

- ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er :

[...]

vii) Gruber & Weber GmbH & Co KG, une amende de 1 000 000 d'écus;

[...]"

13. Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé "Groupe d'étude de produit Carton" (ci-après "GEP Carton"), composé de plusieurs groupes ou comités.

14. Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un "Presidents Working Group" (ci-après "PWG") réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

15. Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en œuvre par les fabricants.

16. Le PWG faisait rapport à la "President Conference" (ci-après "PC") à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

17. A la fin de l'année 1987 a été créé le "Joint Marketing Committee" (ci-après "JMC"). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en œuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

18. Enfin, le comité économique (ci-après "COE") débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

19. Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

20. La partie requérante Gruber + Weber GmbH & Co. KG (ci-après "Gruber + Weber"), est un producteur de carton GD qui a participé, selon la décision, à certaines réunions du JMC. Selon l'article 1er de la décision, Gruber + Weber a participé à l'infraction à partir de 1988 au moins jusqu'à la fin de 1990 (voir également point 162 des considérants).

Procédure

21. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

22. Seize des dix- huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T- 295-94, T- 301-94, T- 304-94, T- 308-94, T- 309-94, T-311-94, T- 317-94, T- 319-94, T- 327-94, T- 334-94, T- 337-94, T-338-94, T- 347-94, T- 348-94, T- 352-94 et T- 354-94).

23. La requérante dans l'affaire T-301-94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301-94, non publiée au Recueil).

24. Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339-94, T-340-94, T-341-94 et T-342-94).

25. Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI- Cartonboard/Commission (T-312-94, non publiée au Recueil).

26. Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295-94, T-304-94, T-308-94, T-309-94, T-310-94, T-311-94, T-317-94, T-319-94, T-327-94, T-334-94, T-337-94, T-338-94, T-347-94, T-348-94, T-352-94 et T-354-94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.

27. Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-334-94.

28. Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337-94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.

29. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

30. Les parties dans les affaires mentionnées au point 26 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

31. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision;

- au cas où la décision serait maintenue en tout ou en partie, réduire sensiblement le montant de l'amende qui lui a été infligée;

- condamner la Commission aux dépens.

32. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur la demande d'annulation de l'article 1er de la décision

Sur le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation et d'une méconnaissance des obligations en matière de charge de la preuve

Arguments des parties

33. La requérante fait valoir que, dans un cas comme celui de l'espèce, la Commission doit non seulement prouver l'existence de l'entente, mais aussi la nature, l'étendue et la durée de la participation de chacune des entreprises concernées. Toutefois, malgré les explications circonstanciées que la requérante aurait fournies au cours de la procédure administrative devant la Commission, la décision ne mentionnerait même pas, en ce qui la concerne, une participation quelconque à des accords. En revanche, sa participation y serait présumée de manière implicite et globale.

34. Or, la preuve que des entreprises individuelles ont participé, activement ou passivement, à des activités d'une entente devrait être apportée, puisque de telles activités auraient une influence directe sur le montant des éventuelles amendes.

35. Les arguments avancés par la requérante ne figureraient qu'au point 109, premier alinéa, des considérants de la décision, aux termes duquel "Gruber + Weber a admis, pour sa part, que les prix appliqués aux gros clients avaient été discutés lors de réunions, tout en soutenant que le sujet ne l'intéressait pas car elle n'avait que des petits clients." La décision ne contiendrait cependant aucune appréciation de cette explication. Or, une telle appréciation serait indispensable, car il ressortirait de la décision que la prétendue entente a eu pour objet principal de maintenir les parts de marché des principaux producteurs de carton (point 2 des considérants) et que la tâche principale du JMC a consisté en la définition des initiatives de prix pour les principaux clients des "chefs de file" de l'entente (point 44 des considérants). Dans ces conditions, compte tenu de la part de marché insignifiante détenue par la requérante, d'une part, et de la structure différente de sa clientèle par rapport à celle d'autres producteurs, d'autre part, il serait évident qu'elle n'a eu aucun intérêt à participer à la prétendue entente.

36. La requérante conclut que sa participation individuelle à l'éventuelle entente n'est pas suffisamment démontrée et que les faits et les motifs sur lesquels la décision est fondée à son égard n'ont pas été suffisamment exposés (voir conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn sous l'arrêt de la Cour du 21 février 1984, Hasselblad/Commission, 86-82, Rec. p. 883, 913, et conclusions de l'avocat général M. Darmon sous l'arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89-85, C-104-85, C-114-85, C-116-85, C-117-85 et C- 125-85 à C-129-85, Rec. p. I- 1307, I-1445).

37. La Commission souligne qu'elle a répondu, aux points 108 à 115 des considérants de la décision, aux principaux arguments des producteurs. Elle ne serait pas obligée de discuter, dans le cadre de la motivation de sa décision, tous les points de fait ou de droit soulevés lors de la procédure, car il suffirait de mentionner les éléments de fait et de droit qui l'ont amenée à prendre la décision (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T- 13-89, Rec. p. II- 1021, point 318).

38. Elle ne se serait d'ailleurs pas fondée sur des présomptions globales et des affirmations inexactes.

39. Pour le surplus, elle répond au présent moyen dans le cadre de sa réfutation des autres moyens invoqués par la requérante à l'appui de ses conclusions en annulation de l'article 1er de la décision.

Appréciation du Tribunal

40. Conformément à une jurisprudence constante (arrêts de la Cour du 4 juillet 1963, Allemagne/Commission, 24-62, Rec. p. 129, 143, du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, point 22 et arrêt du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44-90, Rec. p. II- 1, point 42), la motivation d'une décision faisant grief doit permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle de légalité et à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure prise, afin de pouvoir défendre ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée.

41. Il s'ensuit que le défaut ou l'insuffisance de motivation constitue un moyen tiré de la violation des formes substantielles, distinct, en tant que tel, du moyen pris de l'inexactitude des motifs de la décision, dont le contrôle relève de l'examen du bien-fondé de cette décision.

42. Dans la mesure où l'argumentation de la requérante vise à contester l'exactitude des motifs de la décision, elle est donc, dans le présent contexte, dénuée de pertinence. Il en est de même en ce qui concerne l'argumentation de la requérante selon laquelle la Commission aurait méconnu les règles de la charge de la preuve, argumentation visant également à contester le bien-fondé de la décision.

43. Il convient de relever en outre que, si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la décision et les considérations qui l'ont amenée à prendre celle-ci, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés au cours de la procédure administrative (voir, notamment, arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 66).

44. En l'espèce, la décision contient des références directes à la requérante dans le contexte de la description des augmentations de prix concertées (points 78 et 79 des considérants). En outre, les points de la décision dans lesquels sont décrites les discussions à objet anticoncurrentiel menées au sein du JMC (notamment, points 44 à 46, 58, 71, 73, 84, 85 et 87 des considérants) visent nécessairement la requérante, qui ne conteste pas avoir participé à des réunions de cet organe. Enfin, la décision expose de manière claire le raisonnement suivi par la Commission pour considérer qu'elle a participé à une entente globale (points 116 à 119 des considérants).

45. Dans ces conditions, la motivation de la décision a donné à la requérante une indication suffisante pour connaître les principaux éléments de fait et de droit qui étaient à la base du raisonnement ayant conduit la Commission à la tenir pour responsable d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

46. Il s'ensuit que le présent moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le moyen tiré de l'absence de participation de la requérante à des réunions secrètes et institutionnalisées et à des accords réguliers en matière de prix

Arguments des parties

47. La requérante fait valoir que la Commission a considéré à tort qu'elle avait participé à des réunions secrètes et institutionnalisées et à des accords réguliers en matière de prix.

48. En ce qui concerne sa participation aux réunions des organes du GEP Carton, il ressortirait de la décision que la fonction principale et déterminante dans le cadre de l'entente incombait aux organes décisionnels, à savoir le PWG et la PC (points 37, 38 et 41 des considérants). Toutefois, la requérante n'aurait jamais participé aux réunions de ces organes, et l'affirmation contenue au point 42 des considérants, selon laquelle toutes les entreprises destinataires de la décision étaient représentées à la PC, serait inexacte. Elle n'aurait jamais participé non plus aux réunions du COE.

49. S'agissant du JMC, il ressortirait du point 44 des considérants de la décision, qui décrit les tâches principales de cet organe, que son importance dans le cadre de l'entente n'était que secondaire.

50. En outre, la requérante se serait affiliée au JMC tardivement (en 1988) par rapport aux autres producteurs, et elle se serait retirée des réunions après une courte période (en 1990). Pendant cette période, elle n'aurait participé à des réunions du JMC que de façon occasionnelle. A supposer même que le JMC ait joué un rôle important dans le cadre de la prétendue entente, la requérante n'aurait rempli, et n'aurait pu remplir, aucune fonction quelconque au sein de cet organe. Elle n'aurait pu non plus avoir une connaissance exhaustive des prétendus accords illicites.

51. Sur cette base, le renvoi de la Commission à l'arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône- Poulenc/Commission (T- 1-89, Rec. p. II-867), ne serait pas pertinent. Contrairement aux faits établis dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, il n'existerait, en l'espèce, aucune preuve de la participation de la requérante à des réunions au cours desquelles ont été décidées des initiatives en matière de prix ou des augmentations de prix.

52. De plus, la Commission omettrait de prendre en considération le motif pour lequel la requérante a pris part à quelques réunions du JMC. A cet égard, la requérante fait valoir qu'elle a décidé de s'affilier au système d'échange d'informations de la Fides uniquement afin de mieux apprécier les évolutions futures du marché, en particulier du marché allemand des boîtes pliantes, en vue d'un investissement considérable lié à la modernisation de son matériel de production. Son affiliation au système aurait pris fin dès la modernisation effectuée, à la fin de l'année 1990.

53. Enfin, la requérante n'aurait eu aucun intérêt à participer à une quelconque entente illicite, puisque a) sa clientèle serait composée d'entreprises de taille moyenne, b) le volume type de commandes de ses clients se différencierait considérablement du volume de commandes des clients livrés par les principaux producteurs de carton et c) sa gamme de produits se différencierait, pour la plupart, considérablement de celle des principaux producteurs de carton pour boîtes pliantes.

54. La Commission fait valoir que, en raison de sa participation au système d'échange d'informations de la Fides ainsi qu'aux réunions du JMC, la requérante a participé à l'infraction à l'article 85 du traité dans sa globalité. Sur ce point, elle souligne qu'il ne s'agissait pas d'une série d'infractions distinctes mais que, au contraire, les différents éléments de l'entente concouraient à la réalisation d'un seul et même accord global. Il faudrait, dès lors, voir les mesures et accords de l'entente dans leur globalité (arrêt Rhône- Poulenc/ Commission, précité, points 125 à 127).

55. La Commission admet que la requérante n'a participé qu'aux réunions du JMC. L'indication contenue au point 42 des considérants de la décision selon laquelle toutes les entreprises ont participé aux réunions de la PC ne résulterait que d'une erreur de rédaction. Néanmoins, le JMC aurait joué un rôle extrêmement important au sein de l'entente, ainsi que cela ressortirait de la décision.

56. En ce qui concerne l'argument de la requérante tiré de sa participation sporadique aux réunions du JMC, rien ne permettrait d'établir que des discussions sur des initiatives de prix n'ont pas eu lieu lors des réunions auxquelles elle était présente, en particulier eu égard au fait qu'elle admet avoir procédé à des augmentations de prix pendant la période en question. En outre, les réunions du JMC auraient été distinctes selon la qualité de carton concernée. A cet égard, la Commission souligne que la requérante ne produit que du carton GD.

57. Enfin, quant à la raison pour laquelle la requérante avait participé aux réunions du JMC et à la prétendue absence d'intérêt à une participation à une entente illicite, la Commission rétorque que des motivations individuelles, voire un manque d'intérêt, ne sauraient justifier la participation à une entente illicite.

Appréciation du Tribunal

58. La requérante conteste avoir participé, ainsi que le constate l'article 1er, cinquième tiret de la décision, à des "réunions secrètes et institutionnalisées".

59. Elle conteste également avoir participé à des accords sur les prix. A cet égard, il y a lieu de comprendre son argumentation en ce sens qu'elle conteste qu'elle ait participé à une collusion sur les prix et, si une telle collusion devait être considérée comme établie, que celle-ci ait été correctement qualifiée d'accord par la Commission.

60. Il y a lieu d'examiner successivement les trois contestations soulevées par la requérante.

- Sur la participation de la requérante à des "réunions secrètes et institutionnalisées"

61. Il est constant que la requérante a participé à certaines réunions du JMC pendant la période allant de 1988 jusqu'à la fin de 1990. Par lettre adressée à la Commission le 10 janvier 1992, elle n'a transmis les dates de ces réunions que pour l'année 1990. A cet égard, elle a indiqué avoir participé aux réunions des 6-7 février 1990, du 14 mai 1990 et du 4 septembre 1990. Dans la même lettre, elle a affirmé qu'elle n'était pas en mesure de déterminer si elle avait participé aux réunions des 4-5 avril 1990, des 8-9 octobre 1990 et des 19-20 novembre 1990. Ces informations ont été dûment prises en considération par la Commission, comme cela ressort du tableau 4 annexé à la décision.

62. Il est par ailleurs constant que la requérante n'a jamais participé à des réunions des trois autres organes du GEP Carton, à savoir le PWG, le COE et la PC.

63. S'agissant plus particulièrement de la PC, il ressort d'une lecture d'ensemble de la décision que l'affirmation contenue dans le point 42, premier alinéa, des considérants, selon laquelle "toutes les entreprises destinataires de la présente décision étaient représentées à la " President Conference ", résulte d'une erreur rédactionnelle, comme l'a reconnu la Commission dans ses écritures devant le Tribunal. Il suffit à cet égard de constater que la requérante ne figure pas, dans les tableaux 3 et 7 annexés à la décision, parmi les entreprises ayant participé aux réunions de la PC.

64. La Commission n'a donc pas considéré que la requérante avait participé à des réunions des organes du GEP Carton dans une mesure plus large que celle admise par l'entreprise elle-même.

65. Il convient de relever que la participation de la requérante à certaines réunions du JMC autorisait la Commission à conclure que la requérante avait participé à des réunions "institutionnalisées". Une telle conclusion ne nécessitait pas la preuve d'une participation aux réunions de l'ensemble des organes du GEP Carton.

66. En tout état de cause, sans préjudice de la question de savoir si, et, dans l'affirmative, dans quelle mesure la requérante a pris part à l'infraction constatée à l'article 1er de la décision, il doit être constaté que la requérante avait pleinement connaissance du fait que les réunions du JMC auxquelles elle participait s'inscrivaient dans un cadre institutionnel plus large. Il suffit de relever sur ce point que la requérante a fourni par sa lettre du 10 janvier 1992 (voir ci-dessus point 61) des renseignements relatifs aux dates des réunions de l'ensemble des organes du GEP Carton au cours des années 1989 et 1990.

67. En ce qui concerne le caractère secret des réunions concernées, il y a lieu d'observer qu'il n'existe aucun compte rendu officiel des réunions du JMC. L'absence de comptes rendus officiels ainsi que l'absence presque absolue de notes internes portant sur lesdites réunions constituent, eu égard à leur nombre, à leur durée dans le temps et à la nature des discussions en cause, une preuve suffisante de l'allégation de la Commission selon laquelle les participants étaient dissuadés de prendre des notes (voir point 168, sixième tiret, des considérants de la décision).

68. La Commission a par conséquent considéré à juste titre que la requérante avait participé à des "réunions secrètes et institutionnalisées".

- Sur la participation de la requérante à une collusion sur les prix

69. Selon la Commission, l'objet principal du JMC était, dès le départ, le suivant :

"- déterminer si, et, dans l'affirmative, comment, des augmentations de prix pouvaient être mises en œuvre, et faire part de ses conclusions au PWG,

- définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent (c'est-à-dire uniforme) en Europe [...]" (point 44, dernier alinéa, des considérants de la décision).

70. Plus particulièrement, la Commission soutient, au point 45, premier et deuxième alinéas, des considérants de la décision :

"Ce comité examinait marché par marché la manière dont les augmentations de prix décidées par le PWG devaient être mises en œuvre par chaque producteur. Les aspects pratiques de l'application des augmentations envisagées étaient traités au cours de 'tables rondes', où chaque participant avait l'occasion de commenter l'augmentation proposée.

Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des augmentations de prix décidées par le PWG ou les éventuels refus de coopérer étaient rapportés au PWG, qui s'efforçait alors (comme l'a déclaré Stora) 'd'obtenir le degré de coopération jugé nécessaire'. Le JMC faisait des rapports distincts pour les qualités GC et GD. Lorsque le PWG modifiait une décision en matière de prix en se fondant sur les rapports transmis par le JMC, les mesures à prendre pour appliquer la décision en cause étaient discutées à la réunion suivante du JMC."

71. Il doit être constaté que la Commission se réfère à bon droit, à l'appui de ces indications relatives à l'objet des réunions du JMC, aux déclarations de Stora (annexes 35 et 39 à la communication des griefs).

72. En outre, même si elle ne dispose d'aucun compte rendu officiel d'une réunion du JMC, elle a obtenu auprès de Mayr-Melnhof et de Rena certaines notes internes portant sur les réunions des 6 septembre 1989, 16 octobre 1989 et 6 septembre 1990 (annexes 117, 109 et 118 à la communication des griefs). Ces notes, dont le contenu est décrit aux points 80, 82 et 87 des considérants de la décision, relatent les discussions détaillées menées au cours de ces réunions sur les initiatives concertées en matière de prix. Elles constituent donc des éléments de preuve corroborant clairement la description des fonctions du JMC donnée par Stora.

73. A cet égard, il suffit de renvoyer, à titre d'exemple, à la note obtenue de Rena sur la réunion du JMC du 6 septembre 1990 (annexe 118 à la communication des griefs) et dans laquelle il est notamment indiqué :

"Une augmentation de prix sera annoncée la semaine prochaine, en septembre.

France 40 FF

Pays- Bas 14 [NLG]

Allemagne 12 DM

Italie 80 LIT

Belgique 2,50 BFR

Suisse 9 FS

Royaume-Uni 40 UKL

Irlande 45 IRL

Toutes les qualités devraient faire l'objet de la même augmentation, GD, UD, GT, GC, etc.

Une seule augmentation de prix par an.

Pour les livraisons à partir du 7 janvier.

Au plus tard le 31 janvier.

Lettre du 14 septembre avec augmentation de prix (Mayr-Melnhof).

19 septembre, envoi par Feldmühle de sa lettre.

Cascades avant fin septembre.

Tous doivent avoir envoyé leur lettre avant le 8 octobre."

74. Comme la Commission l'explique aux points 88 à 90 des considérants de la décision, elle a en outre été en mesure d'obtenir des documents internes permettant de conclure que les entreprises, et notamment celles nommément citées dans l'annexe 118 à la communication des griefs, ont effectivement annoncé et mis en œuvre les augmentations de prix convenues.

75. Même si les documents invoqués par la Commission ne concernent qu'un petit nombre des réunions du JMC tenues au cours de la période couverte par la décision, toutes les preuves documentaires disponibles corroborent l'indication de Stora selon laquelle l'objet principal du JMC était de déterminer et de planifier la mise en œuvre des augmentations de prix concertées. A cet égard, l'absence presque totale de comptes rendus, officiels ou internes, des réunions du JMC doit être considérée comme une preuve suffisante non seulement du caractère secret des réunions (voir ci-dessus point 67), mais aussi de l'allégation de la Commission selon laquelle les entreprises ayant participé aux réunions se sont efforcées de dissimuler la véritable nature des discussions au sein de cet organe (voir, notamment, point 45 des considérants de la décision). Dans ces circonstances, la charge de la preuve a été renversée et il incombait aux entreprises destinataires de la décision ayant participé aux réunions de cet organe de prouver qu'il avait un objet licite. Une telle preuve n'ayant pas été apportée par ces entreprises, la Commission a considéré à bon droit que les discussions auxquelles les entreprises se sont livrées au cours des réunions de cet organe avaient un objet principalement anticoncurrentiel.

76. En ce qui concerne la situation individuelle de la requérante, sa participation à certaines réunions du JMC pendant la période allant de 1988 jusqu'à fin 1990, dont au moins trois réunions au cours de l'année 1990, doit, à la lumière de ce qui précède et nonobstant l'absence de preuve documentaire se rapportant aux discussions menées lors des réunions auxquelles la présence de la requérante est établie, être considérée comme constituant une preuve suffisante de sa participation, pendant cette période, à la collusion sur les prix.

77. Cette constatation est corroborée par la documentation invoquée par la Commission, relative au comportement effectif de la requérante en matière de prix. Sur ce point, la requérante ne conteste pas les données figurant dans les tableaux annexés à la décision, relatives aux montants des augmentations de prix, à la date de leur annonce et à celle de leur entrée en vigueur. Or, il ressort de ces tableaux que la requérante a, pendant la période pour laquelle elle est tenue pour responsable de l'infraction, annoncé et mis en œuvre des augmentations de prix sur le marché allemand qui, en ce qui concerne les montants, les dates des annonces et de la mise en œuvre, correspondent pour l'essentiel aux décisions prises au sein du GEP Carton.

78. La requérante soutient (voir ci-après points 89 et suivants) qu'elle n'a pas participé à l'augmentation de prix d'octobre 1989 et qu'elle n'a pas, malgré ses intentions initiales, mis en œuvre les augmentations de prix prévues pour avril 1990 et janvier 1991.

79. Cependant, il ressort de la décision que la première de ces trois augmentations ne concernait pas le carton GD, seule qualité de carton fabriquée par la requérante (voir tableau E annexé à la décision et déclaration de Stora, annexe 39 à la communication des griefs, point 17).

80. Quant à la deuxième augmentation, prévue pour le mois d'avril 1990, la requérante a annoncé, par une lettre du 13 décembre 1989 (document F-7-1), son intention de procéder en mars 1990 à une augmentation de ses prix de 8 %. Dans cette lettre, elle s'est expressément référée à l'augmentation de prix annoncée par Mayr-Melnhof le 28 novembre 1989, augmentation identique à celle annoncée par la requérante, tant en ce qui concerne le montant que la date d'effet.

81. La requérante ayant annoncé son intention de procéder à l'augmentation de prix concernée, le seul fait qu'elle n'ait pas effectivement augmenté ses prix à la date prévue ne saurait affecter la conclusion selon laquelle son comportement sur le marché corroborait sa participation à la collusion sur les prix. Dans les circonstances de l'espèce, la non-application de l'augmentation démontre tout au plus que la requérante a pleinement tiré bénéfice de la collusion sur les prix en pratiquant des prix inférieurs à ceux convenus avec ses concurrents.

82. S'agissant de la troisième augmentation, la circonstance que la requérante n'y a pas participé ne fait que confirmer la constatation de la Commission selon laquelle la requérante a cessé de participer à l'infraction à la fin de l'année 1990.

83. Au vu de ces éléments, la Commission a prouvé la participation de la requérante à une collusion sur les prix pendant la période allant de 1988 jusqu'à la fin de 1990. Les arguments de la requérante selon lesquels, d'une part, elle n'aurait participé aux réunions du JMC qu'afin de mieux apprécier les évolutions futures du marché et, d'autre part, elle n'aurait eu aucun intérêt à participer à une entente quelconque sont donc dénués de pertinence.

- Sur la qualification juridique du comportement infractionnel

84. Selon la décision, les entreprises mentionnées à l'article 1er de celle-ci avaient fixé, "dans le cadre d'un accord, des augmentations régulières des prix à appliquer sur chaque marché national" (point 130, deuxième alinéa, troisième tiret, des considérants). La Commission précise également que "les initiatives semestrielles en matière de prix [...] ne doivent pas être considérées comme un ensemble d'accords ou de pratiques concertées distincts, mais comme un seul et même accord continu" (point 131, deuxième alinéa, des considérants). Dans le cas de la requérante, il convient donc de vérifier si la concertation sur les prix à laquelle elle a participé à partir de 1988 (voir ci-dessus points 69 et suivants) a été correctement qualifiée d'accord par la Commission.

85. En vertu d'une jurisprudence constante, pour qu'il y ait accord, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir, notamment, arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, point 112, et Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 86, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T- 7-89, Rec. p. II-1711, point 256).

86. Il convient donc de vérifier si la Commission a prouvé que les entreprises destinataires de la décision avaient exprimé leur volonté commune d'adopter, en matière de prix, un comportement déterminé sur le marché.

87. A cet égard, il suffit de se référer aux éléments de preuve démontrant la participation de la requérante à une collusion sur les prix (voir ci-dessus points 69 et suivants). En effet, sans qu'il soit nécessaire d'examiner d'autres éléments de preuve, il apparaît que la Commission a prouvé que les entreprises ayant participé aux réunions du JMC ont exprimé leur volonté commune de procéder à des augmentations de prix uniformes et simultanées. La Commission était donc en droit de qualifier d'accord les concours de volontés intervenus entre la requérante et d'autres producteurs de carton sur les initiatives en matière de prix.

88. Sur la base de l'ensemble des considérations qui précèdent, le présent moyen doit être écarté.

Sur le moyen tiré de l'absence de participation de la requérante à la mise en œuvre des augmentations de prix

Arguments des parties

89. La requérante fait valoir qu'elle n'a pratiqué des augmentations de prix qu'en octobre 1988 et avril 1989. En ce qui concerne les initiatives d'augmentation des prix d'avril 1990 et de janvier 1991, auxquelles elle est censée avoir participé selon la décision, elle se serait limitée à des annonces d'augmentation, qui ne se seraient pas concrétisées.

90. Le fait que la requérante n'a pas participé à l'initiative de prix d'octobre 1989 démontrerait clairement qu'elle n'avait aucune fonction dans la prétendue entente. Si elle avait eu une fonction dans celle-ci, il aurait été nécessaire qu'elle participât de manière permanente à l'ensemble des initiatives en matière de prix pour ne pas compromettre la réussite des accords conclus.

91. Enfin, elle ne se serait pas sentie liée par les accords sur les prix, car il serait constant qu'elle n'a pas, malgré ses déclarations initiales, mis en pratique les augmentations de prix d'avril 1990 et de janvier 1991.

92. La Commission affirme que le comportement de la requérante atteste pleinement sa participation à l'ensemble des initiatives en matière de prix. Elle souligne que la requérante a annoncé des augmentations de prix pour chaque initiative décidée par le GEP Carton au cours de la période en question, à l'unique exception de celle d'octobre 1989. Le fait que certaines augmentations de prix n'aient pas pu être imposées pourrait s'expliquer par l'opposition des clients. Eu égard au fait que des annonces d'augmentations avaient été faites, il faudrait considérer que la requérante s'estimait liée par les accords sur les prix.

Appréciation du Tribunal

93. Comme cela a déjà été relevé, il ressort de la décision que l'initiative d'augmentation des prix d'octobre 1989 ne concernait pas le carton GD, seule qualité de carton fabriquée par la requérante. Il a également été constaté (voir ci-dessus point 82) que l'absence de mise en œuvre de l'augmentation des prix de janvier 1991 ne fait que confirmer que la requérante a cessé de participer à l'infraction à la fin de l'année 1990.

94. Le fait que la requérante, après avoir annoncé son intention de procéder à une augmentation de prix en mars 1990, n'ait pas effectivement augmenté ses prix à la date prévue ne saurait affecter la conclusion selon laquelle elle a participé à la collusion sur les prix. A cet égard, il n'est pas allégué, dans la décision, que la requérante a mis en œuvre l'augmentation de prix en cause. Dans le tableau F annexé à la décision, la Commission s'est en réalité bornée à faire référence à la lettre du 13 décembre 1989 (document F-7-1) par laquelle la requérante annonçait son intention de procéder à une augmentation de prix en mars 1990 (voir ci-dessus point 80).

95. Pour le surplus, force est de constater que la requérante a mis en œuvre les augmentations concertées de prix d'octobre 1988 et d'avril 1989 (tableaux C et D annexés à la décision).

96. L'argument de la requérante selon lequel elle ne se serait pas sentie liée par ses discussions avec ses concurrents sur les prix du carton est dénué de pertinence. En effet, l'article 85, paragraphe 1, du traité ne requiert pas pour son application que les entreprises se sentent liées par la collusion à laquelle elles participent.

97. Le moyen ne saurait donc être accueilli.

Sur le moyen tiré de l'absence de participation de la requérante à une collusion sur les parts de marché et à une collusion sur les capacités

Arguments des parties

98. La requérante fait valoir qu'elle a pleinement utilisé, jusqu'en 1990, son ancienne machine à carton et qu'il lui était impossible d'augmenter le volume de production.

L'entretien, la maintenance et les pannes de cette ancienne machine auraient nécessité de nombreux arrêts techniques de la production.

99. Envisageant la chute de sa production durant la période de transformation de sa machine à carton, la requérante aurait produit en stock en 1989, la machine ayant tourné 20,8 jours de plus que lors d'une année normale. Afin de permettre un tel excédent de production, il aurait fallu renoncer aux arrêts de production liés à la fermeture annuelle de l'entreprise ou aux jours fériés et n'arrêter la production qu'en cas de nécessité technique. En 1990, la production aurait connu une baisse liée aux travaux de transformation, mais la capacité restante aurait été pleinement utilisée. La requérante conclut qu'elle n'a pas pu suivre une quelconque politique de "prix avant le tonnage" et que la transformation effectuée dans sa cartonnerie était en contradiction manifeste avec une telle politique.

100. La décision ne contiendrait aucun grief concernant une participation à une entente sur les capacités ou sur la protection des parts de marché des principaux producteurs. Elle ne se référerait à aucun élément de fait permettant d'établir la participation de la requérante à la prétendue entente sur la politique de "prix avant le tonnage". En particulier, la note trouvée chez FS-Karton (annexe 115 à la communication des griefs; voir point 92 des considérants de la décision) n'établirait pas une telle participation. En effet, selon la requérante, cette note se borne à indiquer sa part de marché, prétendument de 3 %. Toutefois, sa part de marché concernant les qualités GD se serait élevée à un maximum d'environ 2 % même dans les années 1988-1989 et aurait même diminué en 1990 en raison des travaux de transformation effectués.

101. La requérante conteste également que l'on puisse voir, dans sa participation sporadique à des réunions du JMC, une preuve d'une participation à une politique de "prix avant le tonnage". A cet égard, il ressortirait de la deuxième déclaration de Stora, sur laquelle se fonde la Commission, que cette politique avait été débattue dans le cadre des réunions du PWG et de la PC, c'est-à-dire au sein d'organes auxquels elle n'a pas participé. De même, la note concernant une réunion du COE du 3 octobre 1989 (annexe 70 à la communication des griefs; voir point 82 des considérants de la décision) ne constituerait pas davantage une telle preuve, étant donné qu'il est constant que la requérante n'a jamais participé à des réunions de ce comité.

102. La Commission se réfère, à titre liminaire, aux déclarations de Stora (annexes 39 et 43 à la communication des griefs). Celles-ci contiendraient une description des mesures arrêtées en matière de contrôle des quantités afin de maintenir un équilibre entre l'offre et la demande ainsi qu'en matière de limitation des parts de marché. En outre, il résulterait de ces déclarations que les mesures en matière de contrôle des quantités et de limitation des parts de marché étaient des éléments essentiels des accords conclus entre les membres du GEP Carton. Les déclarations de Stora seraient corroborées par plusieurs documents. La Commission se réfère, à titre d'exemple, à une note confidentielle du 28 décembre 1988 du directeur des ventes de FS-Karton (annexe 73 à la communication des griefs).

103. Elle soutient qu'elle a correctement interprété l'annexe 115 à la communication des griefs. Selon elle, les informations contenues dans cette note - sur les parts de marché en pourcentage, sur les quantités et la capacité de production, les carnets de commandes, les prix ainsi que les augmentations de prix programmées - ne peuvent, en raison de leur caractère détaillé et exhaustif, avoir été obtenues que sur la base d'un échange individuel entre les producteurs. Ladite note confirmant ainsi les déclarations de Stora, il serait sans pertinence de savoir si les informations concernant la requérante proviennent de celle-ci et si sa part de marché s'élevait effectivement à 3 %. Selon la Commission, il faut, en tout état de cause, prendre en considération le fait que la note ne se réfère qu'au marché allemand des qualités GD et GT, marché sur lequel la requérante aurait possédé, en 1990, une part dépassant les 3 % mentionnés.

104. La requérante ayant participé aux réunions du JMC, dont l'objectif aurait été d'arrêter les mesures indispensables en matière de politique de "prix avant le tonnage" (points 44 et suivants des considérants de la décision), l'infraction devrait lui être imputée aussi en ce qui concerne ces aspects de l'entente. A cet égard, la Commission soutient que, dans le contexte d'un système d'accords complexe, il n'est pas nécessaire que chaque membre applique lui- même tous les éléments de l'entente, dès lors qu'il est établi que l'entente dans son ensemble les a appliqués (arrêts précités ICI/Commission, points 256 à 261 et 305, et Hercules Chemicals/Commission, point 272). Le fait que la requérante ait peut-être augmenté sa part du marché serait donc sans pertinence, un tel comportement individuel n'excusant pas une participation à une entente illicite. De même serait sans pertinence le fait qu'elle n'ait peut-être pas procédé à des arrêts de production et qu'elle ait peut-être pleinement utilisé ses capacités.

Appréciation du Tribunal

105. Aux termes de l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, dans le cas de la requérante, de 1988 au moins jusqu'à la fin de 1990, à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté "se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles" et "ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en œuvre desdites augmentations de prix concertées".

106. Il est constant que la requérante a participé à certaines réunions du JMC durant la période allant de 1988 jusqu'à la fin de l'année 1990. De plus, la participation de la requérante à une collusion sur les prix pendant cette même période a déjà été considérée comme établie (voir ci-dessus points 69 et suivants).

107. Dans la mesure où la requérante conteste avoir participé à une collusion sur les temps d'arrêt et à une collusion sur les parts de marché, il y a lieu d'examiner séparément les griefs relatifs à chacune de ces deux collusions.

- Sur la participation de la requérante à une collusion sur les temps d'arrêt

108. Selon la décision, les entreprises présentes aux réunions du PWG ont participé, à partir de la fin de 1987, à une collusion sur les temps d'arrêt des installations, et des temps d'arrêt ont été effectivement appliqués à partir de 1990.

109. En effet, il ressort du point 37, troisième alinéa, des considérants de la décision que la véritable tâche du PWG, telle que décrite par Stora, "consistait notamment dans 'la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix ainsi que les hausses de prix et les capacités'". Par ailleurs, se référant à "l'accord conclu au sein du PWG en 1987" (point 52, premier alinéa, des considérants), la Commission expose qu'il visait notamment au maintien "des niveaux d'approvisionnement constants" (point 58, premier alinéa, des considérants).

110. Quant au rôle joué par le PWG dans la collusion sur le contrôle de l'approvisionnement, que caractérisait l'examen des temps d'arrêt des machines, la décision énonce que cet organe du GEP Carton a joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre des temps d'arrêt lorsque, à partir de 1990, la capacité de production s'est accrue et que la demande a décliné : "[...] au début de 1990, les principaux fabricants [...] ont jugé utile de se concerter dans le cadre du PWG sur la nécessité d'appliquer des temps d'arrêt. Les grands producteurs ont reconnu qu'ils ne pouvaient accroître la demande en réduisant les prix et que maintenir la production à pleine capacité ne ferait que faire baisser les prix. En théorie, les temps d'arrêt nécessaires pour rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités [...]." (Point 70 des considérants de la décision.)

111. La décision relève en outre : "Le PWG n'indiquait cependant pas formellement le temps d'arrêt à respecter par chaque producteur. Selon Stora, l'établissement d'un plan coordonné d'arrêt des machines couvrant tous les producteurs soulevait des difficultés d'ordre pratique. Stora indique que c'est la raison pour laquelle il n'existait qu''un système relâché d'encouragement'." (Point 71 des considérants de la décision.)

112. Il convient de souligner que Stora, dans sa deuxième déclaration (annexe 39 à la communication des griefs, point 24), explique : "Avec l'adoption, par le PWG, de la politique du prix avant le tonnage et la mise en œuvre progressive d'un système de prix équivalents à partir de 1988, les membres du PWG ont reconnu qu'il était nécessaire de respecter des temps d'arrêt en vue de maintenir ces prix face à une croissance réduite de la demande. Faute pour les fabricants d'appliquer des temps d'arrêt, il leur aurait été impossible de maintenir les niveaux de prix convenus face à une capacité excédentaire croissante."

113. Au point suivant de sa déclaration, elle ajoute : "En 1988 et 1989, l'industrie pouvait fonctionner pratiquement à pleine capacité. Les temps d'arrêt autres que la fermeture normale pour les réparations et les vacances sont devenus nécessaires à partir de 1990. [...] Par la suite, il s'est avéré nécessaire de pratiquer des temps d'arrêt lorsque le flot de commandes s'arrêtait afin de maintenir la politique du prix avant le tonnage. Les temps d'arrêt à respecter par les producteurs (pour assurer le maintien de l'équilibre entre la production et la consommation) pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités. Le PWG n'indiquait pas formellement le temps d'arrêt à respecter, bien qu'il existât un système relâché d'encouragement [...]"

114. La Commission fonde également ses conclusions sur l'annexe 73 à la communication des griefs, note confidentielle datée du 28 décembre 1988, adressée par le directeur commercial responsable des ventes du groupe Mayr-Melnhof en Allemagne (M. Katzner) au directeur général de Mayr-Melnhof en Autriche (M. Gröller) et ayant pour objet la situation du marché.

115. Selon ce document, cité aux points 53 à 55 des considérants de la décision, la coopération plus étroite au sein du "cercle des présidents" ("Präsidentenkreis"), décidée en 1987, avait fait des "gagnants" et des "perdants". L'expression "cercle des présidents" a été interprétée par Mayr-Melnhof comme visant à la fois le PWG et la PC dans un contexte général, c'est-à-dire sans référence à un événement ou à une réunion particulière (annexe 75 à la communication des griefs, point 2.a), interprétation qu'il n'y a pas lieu de discuter dans le présent contexte.

116. Les raisons fournies par l'auteur pour expliquer qu'il considère Mayr- Melnhof comme "perdant" à l'époque de la rédaction de la note constituent des éléments de preuve importants de l'existence d'une collusion entre les participants aux réunions du PWG sur les temps d'arrêt.

117. En effet, l'auteur constate :

"4) C'est sur ce point que la conception des parties intéressées quant à l'objectif poursuivi commence à diverger.

[...]

c) Toutes les forces de vente et agents européens ont été libérés de leur budget en termes de volume et une politique de prix rigide, ne souffrant quasiment aucune exception, a été suivie (nos collaborateurs n'ont souvent pas compris notre changement d'attitude à l'égard du marché - auparavant, la seule exigence était celle du tonnage, alors que, désormais, seule compte la discipline en matière de prix avec le risque d'un arrêt des machines)."

118. Mayr-Melnhof soutient (annexe 75 à la communication des griefs) que le passage ci-dessus reproduit vise une situation interne à l'entreprise. Cependant, analysé à la lumière du contexte plus général de la note, cet extrait traduit la mise en œuvre, au niveau des équipes commerciales, d'une politique rigoureuse arrêtée au sein du "cercle des présidents". Le document doit donc être interprété comme signifiant que les participants à l'accord de 1987, c'est-à-dire au moins les participants aux réunions du PWG, ont indéniablement mesuré les conséquences de la politique arrêtée, dans l'hypothèse où celle-ci serait appliquée avec rigueur.

119. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission a établi l'existence d'une collusion sur les temps d'arrêt de la production entre les participants aux réunions du PWG.

120. Selon la décision, les entreprises ayant participé aux réunions du JMC, dont la requérante, ont également pris part à cette collusion.

121. A ce sujet, la Commission indique notamment :

"En plus du système géré par la Fides, qui donnait des données agrégées, il était d'usage que chaque producteur révèle à ses concurrents le niveau de ses commandes en carnet lors des réunions du JMC.

Les informations concernant les commandes converties en journées de travail étaient utiles à la fois :

- pour décider si les conditions étaient propices à la mise en œuvre d'une augmentation des prix concertée,

- pour déterminer les temps d'arrêt nécessaires pour maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande [...]" (Point 69, troisième et quatrième alinéas, des considérants de la décision.)

122. Elle relève également :

"Les comptes rendus non officiels de deux réunions du JMC qui ont eu lieu respectivement en janvier 1990 (considérant 84) et en septembre 1990 (considérant 87), ainsi que d'autres documents (considérants 94 et 95), confirment [...] que, dans le cadre du GEP Carton, les grands producteurs tenaient leurs concurrents plus petits constamment informés de leurs projets d'appliquer des temps d'arrêt supplémentaires pour éviter de diminuer les prix." (Point 71, troisième alinéa, des considérants de la décision.)

123. Les preuves documentaires se rapportant aux réunions du JMC (annexes 109, 117 et 118 à la communication des griefs) confirment que des discussions relatives à des temps d'arrêt ont eu lieu dans le contexte de la préparation des augmentations de prix concertées. En particulier, l'annexe 118 à la communication des griefs, note de Rena datée du 6 septembre 1990 (voir également ci-dessus point 73), mentionne les montants des augmentations de prix dans plusieurs pays, les dates des annonces futures de ces augmentations, ainsi que l'état des commandes en carnet exprimé en jours de travail pour plusieurs fabricants. L'auteur du document note que certains fabricants prévoyaient des temps d'arrêt, ce qu'il exprime par exemple de la manière suivante :

"Kopparfors 5-15 days

5-9 will stop for five days."

124. En outre, bien que les annexes 117 et 109 à la communication des griefs ne contiennent pas d'indications portant directement sur les temps d'arrêt prévus, elles révèlent que l'état des commandes en carnet et l'état des entrées des commandes ont été discutés au cours des réunions du JMC du 6 septembre 1989 et du 16 octobre 1989.

125. Ces documents, lus ensemble avec les déclarations de Stora, constituent une preuve suffisante de la participation à la collusion sur les temps d'arrêt des fabricants représentés aux réunions du JMC. En effet, les entreprises participant à la collusion sur les prix ont nécessairement été conscientes de ce que l'examen de l'état des commandes en carnet et les entrées des commandes ainsi que les discussions sur les éventuels temps d'arrêt n'avaient pas seulement pour objet de déterminer si les conditions du marché étaient propices à une augmentation de prix concertée mais également de déterminer si des temps d'arrêt des installations s'imposaient pour éviter que le niveau de prix convenu ne soit compromis par un excédent d'offre. En particulier, il ressort de l'annexe 118 à la communication des griefs que les participants à la réunion du JMC du 6 septembre 1990 se sont mis d'accord sur l'annonce d'une prochaine augmentation des prix, bien que plusieurs fabricants aient déclaré qu'ils s'apprêtaient à arrêter leur production. Par suite, les conditions du marché ont été telles que l'application effective d'une future augmentation des prix allait nécessiter, selon toute vraisemblance, que des temps d'arrêt (supplémentaires) soient appliqués, ce qui constitue donc une conséquence acceptée, au moins implicitement, par les fabricants.

126. Sur cette base, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision (annexes 102, 113, 130 et 131 à la communication des griefs), il doit être considéré que la Commission a prouvé que les entreprises participant aux réunions du JMC et à la collusion sur les prix ont pris part à une collusion sur les temps d'arrêt.

127. La requérante doit donc être considérée comme ayant participé, pendant la période allant de 1988 jusqu'à la fin de 1990, à une collusion sur les temps d'arrêt.

128. Quant à ses arguments selon lesquels son comportement effectif n'est pas conciliable avec les affirmations de la Commission relatives à l'existence d'une collusion sur les temps d'arrêt, ils ne sauraient être accueillis.

129. En effet, il y a lieu de souligner que la Commission convient que, l'industrie ayant tourné à pleine capacité jusqu'au début de 1990, pratiquement aucun temps d'arrêt n'a été nécessaire jusqu'à cette date (point 70 des considérants de la décision).

130. De plus, il est de jurisprudence constante que le fait qu'une entreprise ne se plie pas aux résultats des réunions ayant un objet manifestement anticoncurrentiel n'est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l'entente, dès lors qu'elle ne s'est pas distanciée publiquement du contenu des réunions (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141-89, Rec. p. II- 791, point 85). A supposer même que le comportement sur le marché de la requérante n'ait pas été conforme au comportement convenu, notamment si, comme elle le fait valoir, elle a pleinement utilisé ses capacités de production au cours de l'année 1990, cela n'affecte donc en rien sa responsabilité du chef d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

- Sur la participation de la requérante à une collusion sur les parts de marché

131. La requérante conteste sa participation à une collusion sur les parts de marché sans toutefois contester l'affirmation, contenue dans la décision, selon laquelle les producteurs ayant participé aux réunions du PWG ont conclu un accord prévoyant "le 'gel' au niveau existant des parts de marché détenues par les principaux producteurs en Europe occidentale, ainsi que l'absence de toute tentative d'acquérir de nouveaux clients ou d'améliorer leur position existante par une politique agressive en matière de prix" (point 52, premier alinéa, des considérants).

132. Dans ces conditions, il doit être souligné que, en ce qui concerne les entreprises n'ayant pas participé aux réunions du PWG, la Commission expose ce qui suit :

"Si les autres producteurs de carton qui assistaient aux réunions du JMC n'étaient pas dans le secret des discussions approfondies sur les parts de marché qui avaient lieu au PWG, ils étaient néanmoins parfaitement informés, dans le cadre de la politique du 'prix avant le tonnage' à laquelle ils souscrivaient tous, de l'accord général conclu entre les principaux producteurs pour maintenir 'des niveaux d'approvisionnement constants' et, cela ne fait aucun doute, de la nécessité d'y adapter leur propre conduite." (Point 58, premier alinéa, des considérants de la décision.)

133. Bien que cela ne ressorte pas expressément de la décision, la Commission entérine, sur ce point, les déclarations de Stora selon lesquelles :

"D'autres fabricants qui ne participaient pas au PWG n'étaient pas informés, en règle générale, du détail des discussions relatives aux parts de marché. Néanmoins, dans le cadre de la politique du prix avant le tonnage, à laquelle ils participaient, ils auraient dû avoir connaissance de l'entente des principaux fabricants visant à ne pas baisser les prix en maintenant des niveaux d'offre constants.

Pour ce qui est de l'offre [de carton] GC, en tout état de cause, les parts des fabricants qui ne participaient pas au PWG avaient un niveau tellement peu significatif que leur participation ou non-participation aux ententes sur les parts de marché n'avait pratiquement aucune incidence dans un sens ou dans l'autre." (Annexe 43 à la communication des griefs, point 1.2.)

134. La Commission se fonde donc principalement, comme Stora, sur la supposition selon laquelle, même en l'absence de preuves directes, les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG mais dont il est prouvé qu'elles ont souscrit aux autres éléments constitutifs de l'infraction décrits à l'article 1er de la décision doivent avoir eu conscience de l'existence de la collusion sur les parts de marché.

135. Un tel raisonnement ne saurait être retenu. En premier lieu, la Commission n'invoque aucun élément de preuve susceptible de démontrer que les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG ont souscrit à un accord général prévoyant, notamment, le gel des parts de marché des principaux producteurs.

136. En second lieu, le seul fait que lesdites entreprises ont participé à une collusion sur les prix et à la collusion sur les temps d'arrêt n'établit pas qu'elles aient également pris part à une collusion sur les parts de marché. A cet égard, la collusion sur les parts de marché n'était pas, contrairement à ce que semble affirmer la Commission, intrinsèquement liée à la collusion sur les prix et-ou à celle sur les temps d'arrêt. Il suffit de constater que la collusion sur les parts de marché des principaux producteurs réunis au sein du PWG visait, selon la décision (points 52 et suivants des considérants de la décision), à maintenir des parts de marché à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles, même au cours des périodes pendant lesquelles les conditions du marché, et notamment l'équilibre entre l'offre et la demande, étaient telles qu'aucune régulation de la production n'était nécessaire pour garantir la mise en œuvre effective des augmentations de prix convenues. Il s'ensuit que l'éventuelle participation à la collusion sur les prix et-ou à celle sur les temps d'arrêt ne démontre pas que les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG ont participé directement à la collusion sur les parts de marché, ni qu'elles en ont eu ou devaient nécessairement en avoir connaissance.

137. En troisième lieu, la Commission se prévaut de l'annexe 115 à la communication des griefs, note trouvée chez FS-Karton (du groupe Mayr-Melnhof). Selon le point 92, premier alinéa, des considérants de la décision, cette note "qui date du début de 1991, rend manifestement compte du résultat d'une réunion avec d'autres producteurs, bien que cela ait été nié par Mayr-Melnhof". De plus, elle "évalue les pourcentages de part de marché détenus (en 1990) par le groupe [Mayr-Melnhof], Feldmühle, Buchmann, Weig, Europa Carton, Cascades, Laakmann, Saffa, Gruber & Weber et De Eendracht" (même point des considérants, deuxième alinéa).

138. Toutefois, cette annexe ne peut être considérée comme une preuve de la participation de la requérante à une collusion entre producteurs sur les parts de marché. En effet, bien que visant des parts de marché, exprimées en pourcentages, détenues en Allemagne par plusieurs producteurs, dont la requérante, il n'est possible d'identifier ni l'origine du document ni la date de la réunion à laquelle il se rapporterait. Dans ces circonstances, il ne saurait être exclu que ce document ait été préparé dans le courant de l'année 1991, sur la base de données rendues publiques ou obtenues des clients, aux fins d'une réunion interne à l'entreprise FS-Karton. En tout état de cause, à supposer même qu'une discussion sur les parts de marché ait effectivement eu lieu entre plusieurs producteurs, dont certains n'ayant pas participé aux réunions du PWG, il n'est pas établi que cette discussion se soit déroulée durant la période d'infraction retenue à l'égard de la requérante, soit de 1988 au moins jusqu'à la fin de 1990.

139. En quatrième lieu, il convient de constater que, au point 58, deuxième et troisième alinéas, des considérants de la décision, la Commission invoque, en tant qu'élément de preuve supplémentaire de l'affirmation en cause, l'annexe 102 à la communication des griefs, note obtenue de Rena concernant, selon la décision, une réunion spéciale du Nordic Paperboard Institute (ci-après "NPI") tenue le 3 octobre 1988. A cet égard, il suffit de constater, d'une part, que la requérante n'était pas membre du NPI et, d'autre part, que la référence, dans ce document, à l'éventuelle nécessité d'appliquer des temps d'arrêt ne saurait, pour les raisons déjà évoquées, constituer la preuve d'une collusion sur les parts de marché.

140. Or, pour que la Commission puisse tenir chacune des entreprises visées par une décision comme celle de l'espèce pour responsable, pendant une période déterminée, d'une entente globale, il lui faut établir que chacune d'elles soit a consenti à l'adoption d'un plan global recouvrant les éléments constitutifs de l'entente, soit a participé directement, pendant cette période, à tous ces éléments. Une entreprise peut également être tenue pour responsable d'une entente globale même s'il est établi qu'elle n'a participé directement qu'à un ou plusieurs des éléments constitutifs de cette entente dès lors qu'elle savait, ou devait nécessairement savoir, d'une part, que la collusion à laquelle elle participait s'inscrivait dans un plan global et, d'autre part, que ce plan global recouvrait l'ensemble des éléments constitutifs de l'entente. Lorsqu'il en est ainsi, le fait que l'entreprise concernée n'ait pas participé directement à tous les éléments constitutifs de l'entente globale ne saurait la disculper pour la responsabilité de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Une telle circonstance peut néanmoins être prise en considération lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée dans son chef.

141. En l'espèce, force est de constater que la Commission n'a pas prouvé que la requérante savait, ou devait nécessairement savoir, que son propre comportement infractionnel s'inscrivait dans un plan global recouvrant, en sus de la collusion sur les prix et de la collusion sur les temps d'arrêt auxquelles elle a effectivement participé, une collusion sur les parts de marché des principaux fabricants.

142. Il convient dès lors d'annuler, à l'égard de la requérante, l'article 1er, huitième tiret, de la décision selon lequel l'infraction à laquelle elle a participé a eu pour objet de "maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles".

Sur le moyen tiré d'une erreur d'appréciation quant à la participation de la requérante au système d'échange d'informations de la Fides

Arguments des parties

143. La requérante fait valoir qu'elle a participé au système d'échange d'informations de la Fides dans le seul but d'obtenir des informations fiables quant à l'évolution ultérieure du marché du carton pour boîtes pliantes, dans la perspective d'un investissement considérable consistant à renouveler son outil de production. Sa participation à ce système aurait pris fin avec l'achèvement de cet investissement à la fin de l'année 1990. Dès lors, sa participation aurait eu pour but de développer sa propre position sur le marché au détriment des autres producteurs.

144. En outre, la requérante aurait cru que la participation au système d'échange d'informations était, en elle-même, licite.

145. La Commission relève que le système d'échange d'informations de la Fides a été utilisé afin de faciliter le fonctionnement d'une entente tombant sous le coup de l'article 85 du traité. Dans ces conditions, le système d'échange d'informations ne saurait être apprécié séparément des objectifs anticoncurrentiels de l'entente. La requérante n'aurait pas pu ignorer l'illégalité du système d'échange d'informations mis en œuvre. En tout état de cause, son éventuelle bonne foi ne pourrait influencer que le montant de l'amende.

Appréciation du Tribunal

146. Selon l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les entreprises ont, notamment, "échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées", à savoir une collusion sur les prix, une collusion sur les parts de marché et une collusion sur les temps d'arrêt.

147. Au vu de son dispositif et du point 134, troisième alinéa, des considérants, la décision doit être interprétée en ce sens que la Commission a considéré le système Fides comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en tant que support de l'entente constatée.

148. Le point 134, troisième alinéa, des considérants de la décision précise que le système d'échange d'informations de la Fides "était un instrument essentiel pour :

- surveiller l'évolution des parts de marché,

- surveiller la situation de l'offre et de la demande pour maintenir la pleine utilisation des capacités,

- décider si des augmentations de prix concertées pouvaient être mises en œuvre,

- déterminer les temps d'arrêt nécessaires".

149. Le système d'échange d'informations de la Fides n'ayant été considéré comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité qu'en tant que support de l'entente constatée, l'argument de la requérante selon lequel elle croyait que la participation à ce système était, en elle-même, licite est dénué de pertinence.

150. En outre, la requérante ne conteste pas l'exactitude des affirmations contenues dans la décision relatives à l'utilisation, à des fins anticoncurrentielles, des statistiques de la Fides.

151. Dans ces conditions, il doit être considéré comme prouvé que la requérante a participé à un échange d'informations afin de soutenir les agissements anticoncurrentiels auxquels sa participation est établie. Par conséquent, ses explications relatives aux raisons pour lesquelles elle a décidé de participer au système d'échange d'informations de la Fides sont également dénuées de pertinence.

152. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

Sur la demande d'annulation de l'article 2 de la décision

Arguments des parties

153. La requérante fait valoir que l'interdiction énoncée à l'article 2 de la décision est formulée de manière trop imprécise. Les indications extrêmement vagues qui y sont contenues ne permettraient pas de faire la distinction entre un système d'échange d'informations licite et un tel système illicite. Tout système d'échange d'informations, même sous une forme agrégée, serait susceptible de tomber sous le coup de l'interdiction énoncée.

154. Dans la mesure où l'article 2 interdit l'échange de données sous une forme agrégée, la décision serait en contradiction avec la communication de la Commission relative aux accords, décisions et pratiques concertées concernant la coopération entre entreprises (JO 1968, C 75, p. 3, rectificatif au JO 1968, C 84, p. 14, ci-après "communication concernant la coopération").

155. La Commission aurait confirmé dans son Septième Rapport sur la politique de concurrence (point 7) qu'un système d'échange d'informations qui ne permet pas d'identifier les données de chaque entreprise ne constitue pas une infraction aux règles de la concurrence.

156. Dans la mesure où, dans la décision, la Commission s'est fondée sur le risque d'un abus dans l'utilisation des informations qui peuvent être légalement collectées en tant que telles, le champ d'application de l'article 85 du traité aurait été étendu de façon inadmissible.

157. La Commission conteste que l'interdiction relative à l'échange d'informations à l'avenir soit trop imprécise. Il suffirait que le dispositif et les motifs de la décision indiquent le comportement anticoncurrentiel auquel il convient de mettre fin (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73, 55-73, 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 122 à 124). En l'espèce, l'article 2, premier alinéa, sous a), sous b) et sous c), de la décision contiendrait déjà une description détaillée de la nature de l'échange d'informations inadmissible. En outre, les constatations de fait relatives aux informations échangées auraient été exposées de manière détaillée aux points 61 à 68, 105 et 106 des considérants de la décision. De surcroît, la décision contiendrait une description précise des effets restrictifs que l'échange d'informations a produits sur les conditions de concurrence (points 134 et 166 des considérants). Dès lors, la portée de l'interdiction ressortirait clairement d'une lecture combinée de l'article 2 de la décision et des motifs de celle-ci.

158. Les deuxième et troisième alinéas de l'article 2 de la décision ne contiendraient que des explications relatives à la forme que pourrait prendre un échange d'informations admissible.

159. La Commission conteste également que l'interdiction ait une portée trop étendue. L'interdiction quant aux futurs échanges d'informations devrait en effet être comprise à la lumière des constatations faites aux points 68 à 70 des considérants de la décision. L'interdiction d'échanger des informations agrégées ne concernerait, par ailleurs, que les informations sur les entrées de commandes, les commandes en carnet et l'utilisation des capacités. Pour apprécier l'échange d'informations, il faudrait prendre en compte le degré élevé de concentration du secteur ainsi que l'excellente connaissance de la structure et de la politique des différentes entreprises résultant de l'ancienne coopération au sein du GEP Carton. Sur des marchés concentrés, la réserve de concurrence résiderait principalement dans l'incertitude et le secret qui existent entre les principaux offrants quant aux conditions du marché. Or, l'échange d'informations sur les commandes en carnet à intervalles rapprochés rendrait le marché artificiellement si transparent que la réserve de concurrence qui subsiste ne pourrait plus, en fin de compte, être mobilisée.

160. En outre, l'échange hebdomadaire de statistiques sur les entrées de commandes combiné avec les rapports sur les capacités permettrait de connaître l'utilisation des capacités dans le secteur et de programmer des arrêts de production au niveau du secteur, permettant ainsi aux fabricants de maintenir un équilibre entre l'offre et la demande et de contrer une baisse des prix en cas de baisse de la demande. Pour observer l'existence de ces effets, l'individualisation des données ne serait pas pertinente, pas plus que ne le serait le fait que les données concernent les commandes déjà passées. Ce serait donc à juste titre que la Commission a conclu qu'un échange d'informations sur l'état des entrées des commandes ainsi que sur les commandes en carnet, même sous forme agrégée, est contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

161. La décision ne serait pas en contradiction avec sa communication concernant la coopération ni avec les indications contenues dans le Septième Rapport sur la politique de concurrence.

Appréciation du Tribunal

162. Il y a lieu de rappeler que l'article 2 de la décision dispose :

"Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales :

a) par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants;

b) par lequel, même si aucune information individuelle n'est communiquée, une réaction commune du secteur dans le domaine des prix ou un contrôle de la production seraient promus, facilités ou encouragés

ou

c) qui permettrait aux entreprises concernées de suivre l'exécution ou le respect de tout accord exprès ou tacite sur les prix ou le partage des marchés dans la Communauté.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure non seulement toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés, mais aussi toutes données relatives à l'état des entrées de commandes et des commandes en carnet, au taux prévu d'utilisation des capacités de production (dans les deux cas, même si elles sont agrégées) ou à la capacité de production de chaque machine.

Tout système d'échange de ce type sera limité à la collecte et à la diffusion, sous une forme agrégée, de statistiques sur la production et les ventes qui ne puissent être utilisées pour promouvoir ou faciliter un comportement commun du secteur.

Les entreprises s'abstiendront également de tout échange d'informations intéressant la concurrence autre que les échanges admis, ainsi que de toute réunion ou contact en vue d'examiner l'importance des informations échangées ou la réaction possible ou probable du secteur ou de fabricants individuels à ces informations.

Un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision est accordé pour procéder aux modifications nécessaires de tout système éventuel d'échange d'informations."

163. Ainsi que cela ressort du point 165 des considérants, l'article 2 de la décision a été adopté en application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17. En vertu de cette disposition, la Commission, lorsqu'elle constate une infraction, notamment, aux dispositions de l'article 85 du traité, peut obliger par voie de décision les entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée.

164. Il est de jurisprudence constante que l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 peut comporter l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, dont l'illégalité a été constatée (arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223, point 45, et du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241-91 P et C- 242-91 P, Rec. p. I-743, point 90), mais aussi celle d'adopter un comportement futur similaire (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83-91, Rec. p. II-755, point 220).

165. De plus, dans la mesure où l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 doit se faire en fonction de l'infraction constatée, la Commission a le pouvoir de préciser l'étendue des obligations qui incombent aux entreprises concernées afin qu'il soit mis fin à ladite infraction. De telles obligations pesant sur les entreprises ne doivent toutefois pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir le rétablissement de la légalité au regard des règles qui ont été méconnues (arrêt RTE et ITP/Commission, précité, point 93; dans le même sens, voir arrêts du Tribunal du 8 juin 1995, Langnese- Iglo/Commission, T-7-93, Rec. p. II-1533, point 209, et Schöller/Commission, T- 9-93, Rec. p. II- 1611, point 163).

166. En l'espèce, afin de vérifier si, comme le prétend la requérante, l'injonction contenue à l'article 2 de la décision a une portée trop large, il convient d'examiner l'étendue des diverses interdictions qu'il impose aux entreprises.

167. Quant à l'interdiction édictée à l'article 2, premier alinéa, deuxième phrase, consistant pour les entreprises à s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou analogue à ceux des infractions constatées à l'article 1er de la décision, elle vise uniquement à ce que les entreprises soient empêchées de répéter les comportements dont l'illégalité a été constatée. Par conséquent, la Commission, en adoptant une telle interdiction, n'a pas outrepassé les pouvoirs que lui confère l'article 3 du règlement n° 17.

168. Quant à l'article 2, premier alinéa, sous a), sous b) et sous c), ses dispositions visent plus spécifiquement des interdictions de futurs échanges d'informations commerciales.

169. L'injonction contenue dans l'article 2, premier alinéa, sous a), qui interdit à l'avenir tout échange d'informations commerciales permettant aux participants d'obtenir directement ou indirectement des informations individuelles sur des entreprises concurrentes, suppose que l'illégalité d'un échange d'informations d'une telle nature au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité ait été constatée par la Commission dans la décision.

170. A cet égard, il y a lieu de constater que l'article 1er de la décision n'énonce pas que l'échange d'informations commerciales individuelles constitue en soi une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

171. Il dispose de manière plus générale que les entreprises ont enfreint cet article du traité en participant à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les entreprises ont, notamment, "échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus".

172. Cependant, le dispositif de la décision devant être interprété à la lumière de ses motifs (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, point 122), il convient de relever que le point 134, deuxième alinéa, des considérants de la décision indique :

"L'échange par les fabricants, lors de réunions du GEP Carton (essentiellement celles du JMC), d'informations commerciales individuelles normalement confidentielles et sensibles sur les commandes en carnet, les arrêts de machines et les rythmes de production était à l'évidence contraire aux règles de concurrence, puisqu'il avait pour but de rendre les conditions aussi propices que possible à la mise en œuvre des augmentations de prix [...]"

173. Dès lors, la Commission ayant dûment considéré dans la décision que l'échange d'informations commerciales individuelles constituait, en soi, une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'interdiction future d'un tel échange d'informations satisfait aux conditions requises pour l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17.

174. S'agissant des interdictions relatives aux échanges d'informations commerciales visés à l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision, elles doivent être examinées à la lumière des deuxième, troisième et quatrième alinéas de ce même article, qui en étayent le contenu. C'est en effet dans ce contexte qu'il convient de déterminer si, et dans l'affirmative, dans quelle mesure la Commission a considéré comme illégaux les échanges en cause, dès lors que l'étendue des obligations pesant sur les entreprises doit être limitée à ce qui est nécessaire pour rétablir la légalité de leurs comportements au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

175. La décision doit être interprétée en ce sens que la Commission a considéré le système Fides comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en tant que support de l'entente constatée (point 134, troisième alinéa, des considérants de la décision). Une telle interprétation est corroborée par le libellé de l'article 1er de la décision, duquel il ressort que les informations commerciales ont été échangées entre les entreprises "afin de soutenir les mesures" considérées comme contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

176. C'est à la lumière de cette interprétation par la Commission de la compatibilité, en l'espèce, du système Fides avec l'article 85 du traité que doit être appréciée l'étendue des interdictions futures contenues à l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision.

177. A cet égard, d'une part, les interdictions en cause ne sont pas limitées aux échanges d'informations commerciales individuelles mais concernent aussi ceux de certaines données statistiques agrégées [article 2, premier alinéa, sous b), et deuxième alinéa, de la décision]. D'autre part, l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision interdit l'échange de certaines informations statistiques afin de prévenir la constitution d'un possible support de comportements anticoncurrentiels potentiels.

178. Une telle interdiction, en ce qu'elle vise à empêcher l'échange d'informations purement statistiques n'ayant pas le caractère d'informations individuelles ou individualisables, au motif que les informations échangées pourraient être utilisées à des fins anticoncurrentielles, excède ce qui est nécessaire pour rétablir la légalité des comportements constatés. En effet, d'une part, il ne ressort pas de la décision que la Commission ait considéré l'échange de données statistiques comme étant en soi une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. D'autre part, le seul fait qu'un système d'échange d'informations statistiques puisse être utilisé à des fins anticoncurrentielles ne le rend pas contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, puisqu'il convient, dans de telles circonstances, d'en constater in concreto les effets anticoncurrentiels.

179. En conséquence, l'article 2, premier à quatrième alinéa, de la décision doit être annulé, sauf en ce qui concerne les passages suivants :

"Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales :

a) par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés."

Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant

Sur les moyens portant sur les sujets traités dans le cadre des plaidoiries communes

180. Lors de la réunion informelle du 29 avril 1997, les entreprises ayant introduit des recours contre la décision ont été invitées à considérer, dans l'hypothèse d'une éventuelle jonction des affaires aux fins de la procédure orale, la possibilité de la présentation de plaidoiries communes à plusieurs d'entre elles. Il a été souligné que de telles plaidoiries communes ne pourraient être présentées que par des parties requérantes ayant effectivement invoqué dans leurs requêtes introductives d'instance des moyens correspondant aux thèmes à plaider en commun.

181. Par télécopie du 14 mai 1997, déposée au nom de l'ensemble des parties requérantes, celles-ci ont communiqué leur décision de traiter six sujets dans le cadre de plaidoiries communes, et notamment les sujets suivants :

a) la description du marché et l'absence d'effets de l'entente;

b) le niveau général des amendes et la motivation de la décision à cet égard;

c) la motivation relative aux amendes.

182. Dans sa requête introductive d'instance, la requérante n'a formulé aucun moyen ou argument portant sur ces trois sujets. Elle a néanmoins indiqué, lors de l'audience, qu'elle se ralliait aux plaidoiries communes concernées.

183. Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. En l'espèce, la requérante n'a invoqué aucun élément de droit ou de fait révélé pendant la procédure de nature à justifier la production des nouveaux moyens concernés.

184. Dès lors, les moyens en cause, invoqués par la requérante pour la première fois lors de l'audience, ne sont pas recevables.

Sur les moyens tirés, d'une part, de la prise en compte, par la Commission, d'un chiffre d'affaires erroné et, d'autre part, d'une violation de l'obligation de motivation et des droits de la défense à cet égard

Arguments des parties

185. Selon la requérante, il ressort du point 4 des considérants de la décision que certains cartons, tels que le carton gris, qui ne sont pas utilisés pour la fabrication de boîtes pliantes, ne font pas l'objet de la décision et ne sont pas couverts par la définition du "carton" au sens de celle-ci, même si ces produits peuvent être fabriqués sur des machines à carton. Le point 3 des considérants confirmerait cette allégation en indiquant que le carton est employé "principalement pour la fabrication de boîtes pliantes [...]"

186. Au début de son enquête, la Commission aurait demandé à la requérante de communiquer son chiffre d'affaires global dans le secteur et son chiffre d'affaires relatif aux cartons GD. Dans la communication des griefs, la Commission aurait toutefois laissé entendre que l'enquête ne concernait que les cartons destinés à la production des boîtes pliantes.

187. Trois produits fabriqués par la requérante ne seraient pas couverts par la définition du "carton" contenue dans la communication des griefs et dans la décision, à savoir les produits Printa, Duplex KO et Silbergrau.

188. Le produit Printa serait un carton duplex comportant une couche à base de bois, dont la doublure intérieure et le verso sont composés à 100 % de vieux papiers. Se référant à une déclaration de la Papiertechnische Stiftung (Fondation technique du papier, ci-après "PTS"), la requérante affirme que cette qualité ne saurait être rangée parmi les cartons GD. En effet, le produit Printa serait d'une qualité mixte, principalement utilisée pour le cartonnage et très accessoirement pour la fabrication de boîtes pliantes. Ce ne serait que pour signaler que ce produit convient également, au moins partiellement, à la fabrication de boîtes pliantes que la requérante commercialise cette qualité sous la dénomination "UD pigmenté".

189. Le produit Duplex KO serait un simple carton duplex composé d'une couche en fibres claires ainsi que d'un recto et d'un verso composés à 100 % de vieux papiers. Se référant à une déclaration de la PTS, la requérante affirme que ce produit ne saurait non plus être rangé parmi les cartons GD et UD2. En effet, son affectation presque exclusive serait le cartonnage et il ne serait pas comparable, quant à la finalité, à la qualité ou à la gamme de prix, aux cartons destinés à la fabrication de boîtes pliantes. Il serait commercialisé sous le sigle ED ("Einfach Duplex" - Duplex simple).

190. Enfin, le produit Silbergrau serait un pur carton gris.

191. En considération de ces éléments, la requérante aurait indiqué à la Commission, dans sa réponse à la communication des griefs, qu'elle ne produisait que les qualités Supra et Bona. Cela aurait été confirmé lors de l'audition devant la Commission. Le représentant de la requérante aurait expliqué que le produit Printa ne se rangeait pas parmi les cartons UD ou GD et que l'entreprise avait dès lors inclus une rubrique autonome pour ce produit dans les communications faites à la Fides. S'agissant du produit Duplex KO, le représentant de la requérante aurait expliqué que cette qualité relevait de la catégorie ED et que cela s'appliquait également aux communications faites à la Fides. Il aurait expressément indiqué qu'il aurait été inapproprié de décrire ce produit en utilisant le sigle "UD".

192. Les discussions sur les produits de la requérante n'ayant pas été poursuivies, celle-ci aurait donc estimé constant que les produits Printa et Duplex KO ne faisaient pas l'objet de la procédure. La Commission n'aurait repris cette discussion que dans une lettre du 24 mai 1994, dans laquelle il aurait été affirmé que le produit Printa ne se différenciait du carton GD2 que par sa moindre épaisseur, affirmation erronée, et que le produit Duplex KO était considéré par le commerce comme un produit UD.

193. La décision ne contenant aucune prise de position sur la question de savoir si elle concerne les produits en cause, cet acte serait entaché d'une absence de motivation. En effet, s'il ressort de la jurisprudence que la Commission n'est pas tenue de répondre à des arguments qui lui semblent dénués de pertinence (voir arrêt ICI/Commission, précité, point 318), la question de la délimitation des produits concernés par la décision revêtirait une importance substantielle.

194. L'inclusion des produits en cause dans l'objet de la décision ne constituerait pas seulement une violation de l'obligation de motivation, mais aussi, eu égard au déroulement de la procédure, une violation des droits de la défense de la requérante.

195. Enfin, la Commission aurait déjà été en mesure d'effectuer un calcul correct de l'amende sur la base des données communiquées par la requérante dans sa lettre du 13 mai 1993. En tout état de cause, les données nécessaires lui auraient été communiquées par la lettre de la requérante du 13 mai 1994 et répétées dans sa lettre du 1er juillet 1994.

196. La Commission fait valoir qu'elle est restée bien en deçà du plafond des amendes fixé par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. La requérante ne saurait donc exiger qu'une partie du chiffre d'affaires ne soit pas prise en considération.

197. La Commission souligne qu'elle a invité la requérante, par sa lettre du 24 mai 1994 et à la suite de la protestation de celle-ci contre la prise en compte de certains de ses produits, à ventiler entre ses différents produits le chiffre global déjà communiqué. Dans cette lettre, elle aurait également précisé les raisons pour lesquelles elle considérait que les produits Printa et Duplex KO devaient être classés parmi les cartons GD. Cependant, la requérante aurait répondu par lettre du 1er juillet 1994, soit bien après le délai fixé par la Commission au 31 mai 1994, et cette lettre n'aurait toujours pas contenu la ventilation du chiffre d'affaires global par qualité de carton produite par elle. Dans ces conditions, la Commission aurait été en droit de se fonder sur le chiffre d'affaires global dans le secteur du carton, tel qu'initialement communiqué par la requérante.

198. En outre, les produits Printa et Duplex KO seraient couverts par la définition du "carton" contenue dans la décision. En effet, il ne s'agirait pas de définir le marché concerné mais de déterminer quels produits sont couverts par les accords entre les participants à l'entente.

199. A cet égard, il ressortirait du point 4 des considérants de la décision que celle-ci ne concerne pas uniquement les cartons destinés à la production de boîtes pliantes. Seraient cependant exclus certains cartons, comme le carton gris, constitué uniquement de papier recyclé. Par ailleurs, la requérante aurait elle-même reconnu que les produits Printa et Duplex KO conviennent à la fabrication de boîtes pliantes. En ce qui concerne le produit Printa, elle l'aurait elle-même, dans sa requête, désigné par le sigle UD. Il serait donc clair qu'il s'agit d'une qualité relevant de la catégorie des cartons GD.

200. La requérante aurait également reconnu que les communications à la Fides comprenaient des données relatives aux produits en cause, ce qui révélerait qu'elle considérait elle- même que ces qualités faisaient l'objet de l'entente. De même, les augmentations de prix auraient été appliquées pour ces produits.

201. Par ailleurs, il ressortirait des discussions menées lors de l'audition devant la Commission que les produits en cause doivent être considérés comme couverts par la définition du carton. En effet, le représentant de la requérante aurait indiqué que la qualité Printa est "une qualité GD3 ou quelque chose de ce genre" ("something of a GD3"). Or, le GEP Carton utiliserait l'abréviation GD3 pour désigner une sorte de "white-lined chipboard", qui ne se distinguerait des qualités GD1 ou GD2 que par sa moindre épaisseur. En ce qui concerne le produit Duplex KO, le représentant de la requérante aurait admis que les concurrents le classent parmi les cartons UD. En effet, même si la requérante le désigne par le sigle ED ("Einfach Duplex"), sa dénomination même indiquerait qu'il s'agit d'un carton duplex.

202. Les produits en cause seraient également désignés comme étant du carton duplex dans la propre brochure publicitaire de la requérante, le produit Printa y étant même visé comme étant utilisé dans le secteur des boîtes pliantes et de l'étalage. A cet égard, aucune valeur probante ne pourrait être accordée aux déclarations obtenues par la requérante auprès de la PTS.

203. La Commission aurait indiqué de manière adéquate, aux points 168 et 169 des considérants de la décision, les critères utilisés pour déterminer le montant des amendes. Le chiffre d'affaires obtenu dans le secteur du carton se trouvant parmi ces critères, elle n'aurait pas eu à s'expliquer en détail sur l'inclusion des produits Printa et Duplex KO dans le calcul de l'amende (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Hüls/Commission, T- 9-89, Rec. p. II- 499, point 363).

204. La Commission conteste enfin avoir changé de position au cours de la procédure, la communication des griefs ayant contenu, comme la décision, une définition de l'objet de la procédure recouvrant les produits en cause.

Appréciation du Tribunal

205. Il est constant que la Commission a fixé le montant de l'amende infligée à la requérante à partir du chiffre d'affaires réalisé en 1990 au moyen des ventes de toutes ses qualités de carton, y compris celui réalisé par les ventes des produits dénommés Printa, Duplex KO et Silbergrau.

206. Il est également constant qu'elle a systématiquement pris en compte, lors de la fixation du montant de chacune des amendes individuelles, le chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990. A cet égard, elle a uniquement retenu le chiffre d'affaires réalisé au moyen des ventes de carton, tel que défini dans la décision.

207. La Commission ne conteste pas que le produit Silbergrau est un carton gris qui, en tant que tel, n'est pas concerné par l'infraction constatée. En revanche, elle soutient que les produits Printa et Duplex KO sont des produits couverts par la définition du carton figurant dans la décision et que l'infraction constatée a porté sur ces produits.

208. Le présent moyen devant être apprécié à la lumière des éléments susmentionnés, il convient d'examiner d'abord si la décision est suffisamment motivée en ce qui concerne l'inclusion des produits Printa et Duplex KO dans la définition du produit en cause et si, dans ce contexte, les droits de la défense de la requérante ont été violés. Il sera ensuite examiné si la Commission a établi que l'infraction constatée à l'article 1er de la décision a porté sur les produits Printa et Duplex KO. Enfin, eu égard aux conclusions tirées sur les points précédents, il sera examiné si la Commission était en droit de fixer le montant de l'amende sur la base du chiffre d'affaires réalisé par la requérante en 1990 au moyen des ventes de toutes ses qualités de carton.

- Sur les arguments tirés d'une violation de l'obligation de motivation et d'une violation des droits de la défense de la requérante

209. Il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre l'exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée. Le caractère suffisant d'une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications. Pour remplir les fonctions précitées, une motivation suffisante doit faire apparaître, d'une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 28 avril 1994, AWS Benelux/Commission, T- 38-92, Rec. p. II- 211, point 26).

210. Le point 4 des considérants de la décision dispose :

"Les principales qualités de carton fabriquées en Europe occidentale sont les suivantes.

- Le carton pour boîtes pliantes avec intérieur et verso bois (= Folding boxboard - FBB) est constitué d'une couche extérieure blanche fabriquée à partir de pâte chimique blanche, d'une couche intermédiaire de pâte mécanique ou chimico-mécanique, et souvent d'une mince couche de base de pâte chimique blanchie. La qualité FBB sert habituellement à l'emballage des aliments, des produits cosmétiques, des cigarettes, des médicaments, etc.

- Le carton avec intérieur gris (= White-lined chipboard - WLC), également connu en Europe continentale et occidentale sous le nom de duplex ou triplex, à base de fibres recyclées, s'obtient à partir de pâte chimique blanchie pour le recto et de vieux papiers pour le verso. Il sert habituellement à l'emballage des produits non alimentaires.

- Le carton pure pâte blanchie (= Solid Bleached Sulphate - SBS) est un produit multicouche fabriqué à partir de pâte chimique blanchie et dont toutes les couches sont blanches. Il est principalement utilisé comme qualité de luxe pour l'emballage des aliments, des produits cosmétiques, des médicaments et des cigarettes.

Certains autres produits de carton (par exemple le 'carton gris', constitué uniquement de papier recyclé) peuvent également être fabriqués sur des machines à carton mais ne sont pas couverts par la définition du 'carton' utilisée par les producteurs eux-mêmes et ne font pas l'objet de la présente procédure.

En Europe occidentale, la profession a généralement adopté la désignation standard du produit et les abréviations employées en Allemagne.

- Les qualités FBB couchées et non couchées sont respectivement désignées par les abréviations 'GC' et 'UC',

- les qualités 'duplex' couchées et non couchées de WLC sont désignées par les abréviations 'GD' et 'UD', et les qualités 'triplex' sont désignées par les sigles 'GT' et 'UT',

- les qualités SBS couchées et non couchées sont respectivement désignées par les abréviations 'GZ' et 'UZ'.

Il existe des subdivisions supplémentaires au sein de ces catégories : par exemple, le GC1 se distingue du GC2 par la différence de la couche utilisée pour le verso, les qualités GD1 et GD2 se distinguent par leur volume spécifique, etc. Par facilité, la totalité du secteur des fibres vierges est souvent désignée par les termes 'qualités GC' et toutes les qualités recyclées par les termes 'qualités GD'. Le cas échéant, cet usage sera adopté dans la présente décision."

211. Il ressort de cette description des produits visés par la décision que la Commission a pris en compte le fait que le terme "carton" couvre des produits multiples et que, ainsi, il n'a pas une signification précise. En particulier, l'indication de la Commission selon laquelle "certains autres produits de carton" pouvant être fabriqués sur des machines à carton ne sont pas visés par la décision (point 4, deuxième alinéa, des considérants) fait clairement apparaître que la Commission a considéré que les produits visés par la décision ne pouvaient pas être déterminés par référence au seul terme "carton".

212. En outre, la Commission ayant souligné que les indications contenues au point 4 des considérants portent sur les "principales qualités de carton fabriquées en Europe occidentale", elles ne peuvent pas être considérées comme constituant les éléments exhaustifs d'une définition des produits visés par la décision. Le point 4 des considérants doit donc être compris en ce sens qu'il décrit les principaux produits visés par la décision en fonction de leurs caractéristiques techniques (matière première, épaisseur et utilisation finale). Le fait qu'un produit particulier ne soit ni expressément mentionné audit point ni directement couvert par les spécifications techniques qui y figurent n'implique pas, en soi, qu'il s'agisse d'une qualité de carton non visée par la décision.

213. Il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir ainsi décrit de façon non exhaustive les produits visés par la décision.

214. En premier lieu, dans un cas comme celui de l'espèce, les produits visés par la décision peuvent être déterminés selon leurs caractéristiques techniques, par référence aux produits ayant fait l'objet de l'infraction constatée. Dès lors, si la décision, prise dans son ensemble, fait apparaître que l'infraction alléguée a porté sur un produit particulier et mentionne les éléments de preuve au soutien d'une telle conclusion, le seul fait que cette décision ne contient pas une énonciation précise et exhaustive des produits en cause n'empêche pas nécessairement l'exercice effectif du contrôle de légalité de cette décision par le juge communautaire et ne signifie pas non plus nécessairement qu'elle ne fournit pas à l'entreprise intéressée des indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée.

215. En second lieu, même si la Commission rappelle (point 4, troisième alinéa, des considérants) que les professionnels du secteur ont généralement adopté la désignation standard du produit et les abréviations utilisées en Allemagne, il ressort du dossier (quant aux diverses classifications des produits de carton, voir annexes 1 à 4 à la communication des griefs) qu'il n'existe aucune classification standard, utilisée par l'ensemble du secteur, qui permette de définir de manière précise et exhaustive toutes les qualités de carton produites en Europe occidentale.

216. Cette constatation est corroborée par les commentaires suivants émis par le représentant de la requérante en ce qui concerne le produit Printa, lors de l'audition devant la Commission :

"Les chiffres que nous avons communiqués à la Fides correspondaient à la qualité GD2, et nous fabriquions un carton spécial dénommé Printa qui n'était pas exactement défini - il n'entrait pas dans ces catégories UD et GD. Il s'agissait d'une qualité GD3 ou de quelque chose de ce genre." (P. 47 du procès- verbal de l'audition.)

217. En troisième lieu, la requérante ne soutient pas que les indications contenues au point 4 des considérants de la décision sont fausses. Dès lors, il doit être considéré que ces indications constituent une description correcte et pertinente des principales qualités de carton visées par la décision.

218. Au vu des développements qui précèdent, le Tribunal estime que la décision contient une motivation suffisante permettant de déterminer, de façon générale, quels sont les produits qui ont fait l'objet de l'infraction constatée. Cependant, la requérante ayant contesté, lors de la procédure administrative devant la Commission, que les produits Printa et Duplex KO pussent être considérés comme concernés par ladite procédure, il convient d'examiner si la Commission aurait dû fournir une motivation spécifique sur ce point.

219. A cet égard, il y a lieu de constater que la décision ne contient aucune prise de position expresse sur la question de savoir si elle vise les produits Printa et Duplex KO.

220. Or, il ressort des éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision que les discussions à objet anticoncurrentiel qui se sont déroulées au sein de certains organes du GEP Carton ont porté notamment sur les produits désignés, par les producteurs eux- mêmes, par les sigles GD et UD (voir, notamment, liste de prix obtenue auprès de Finnboard, mentionnée au point 79 des considérants, et annexe 118 à la communication des griefs, document mentionné au point 87 des considérants).

221. En outre, une lettre de la Commission à la requérante du 24 mai 1994 expose les raisons ayant amené l'institution à conclure que les produits en cause devaient être considérés comme concernés par lesdites discussions.

222. En effet, dans cette lettre, la Commission précise :

"Comme il a déjà été précisé dans la communication des griefs, la documentation Fides et l'audition, la procédure susvisée, pour autant qu'elle concerne des qualités obtenues à partir de matériaux recyclables, ne se limite pas aux qualités GD1 et GD2.

Votre carton 'Printa', dont le classement dans la qualité GD3 n'est d'usage qu'en Allemagne, ne se distingue de la qualité GD2 qu'en raison de sa densité moindre (1,3 cm3/gr au maximum au lieu de 1,4 cm3/gr; voir l'annexe 4 à la communication des griefs). Votre carton 'Duplex KO' ou ED (Duplex simple) est considéré dans le commerce - comme vous le confirmez vous- mêmes - comme relevant de la qualité UD (Duplex non couché), même si vous semblez l'assimiler à la qualité GK ('gris argent'; 'Silbergrau')."

223. Même si cette explication n'a pas été reprise dans la décision, la requérante ne pouvait donc pas ignorer les raisons ayant amené la Commission à considérer que les produits Printa et Duplex KO étaient concernés par les agissements anticoncurrentiels reprochés. Cette constatation est d'ailleurs corroborée par le fait qu'il ressort des arguments soulevés par la requérante dans sa requête introductive d'instance qu'elle était pleinement consciente du raisonnement suivi par la Commission.

224. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il doit être considéré que la motivation de la décision est suffisante pour permettre l'exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à la requérante les indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée.

225. Le raisonnement suivi par la Commission ayant été exposé avec suffisamment de clarté dans sa lettre à la requérante du 24 mai 1994, il convient également de rejeter l'argument de la requérante tiré d'une violation de ses droits de la défense. Il y a lieu d'ajouter que, contrairement à ce que semble affirmer la requérante, rien ne permet de considérer que la Commission ait changé de position au cours de la procédure administrative devant elle, la communication des griefs contenant une définition du carton presque identique à celle figurant au point 4 des considérants de la décision.

- Sur la question de savoir si l'infraction a porté sur les produits Printa et Duplex KO

226. Comme cela a déjà été rappelé, les discussions à objet anticoncurrentiel ont porté notamment sur les produits désignés, par les producteurs eux-mêmes, par les sigles GD et UD.

227. S'agissant du produit Printa, force est de constater que l'indication donnée par le représentant de la requérante lors de l'audition devant la Commission, selon laquelle ce produit "était une qualité GD3 ou quelque chose de ce genre" ("was something of a GD3 or something like that"), constitue en soi un fort indice de ce que ce produit était concerné par les discussions. Il en va de même en ce qui concerne le fait que, lors de la commercialisation du produit, la requérante a utilisé la dénomination UD pigmenté.

228. Dans ce contexte, il convient de rejeter, comme non étayée, l'affirmation de la requérante selon laquelle elle aurait utilisé la dénomination UD pigmenté en commercialisant son produit Printa uniquement afin de signaler que ce produit pouvait aussi être utilisé pour la fabrication de boîtes pliantes.

229. Il convient aussi de rejeter, comme dépourvue de valeur probante, la déclaration obtenue par la requérante auprès de la PTS, selon laquelle ce carton ne pourrait être classé comme carton GD. En effet, la requérante n'a fourni aucune information concernant les critères de classement utilisés par la PTS.

230. Le Tribunal constate que la documentation relative aux augmentations de prix annoncées et mises en œuvre par la requérante ne contient aucun élément susceptible d'établir que les augmentations de prix convenues au sein du GEP Carton ne portaient pas sur le produit Printa. En revanche, il ressort d'une lettre de la requérante du 8 mars 1989 annonçant une augmentation de prix pour le 1er mai 1989 (document D-7-5), seul document distinguant les différents produits fabriqués par la requérante, que l'augmentation de prix annoncée pour le produit Printa (9 DM) était identique à celle convenue au sein du GEP Carton (voir tableau D annexé à la décision) et à celle annoncée par la requérante pour les produits Supra et Bona, produits relevant de la qualité de carton GD.

231. Dans ces conditions, la Commission a prouvé que l'infraction constatée concernait également le produit Printa.

232. Quant au produit Duplex KO, la requérante indique, sans être contredite par la Commission, qu'elle a utilisé le sigle ED pour désigner ce produit dans les informations qu'elle a communiquées à la Fides. En outre, dans les statistiques de la Fides, le carton ED était classé avec le carton GK1, qualité de carton gris (Graukarton).

233. Il ressort également de la lettre de la requérante du 8 mars 1989 (document D-7-5 susmentionné) que l'augmentation de prix annoncée pour le produit Duplex KO (7 DM) était inférieure à celle convenue au sein du GEP Carton (voir tableau D annexé à la décision) et à celle annoncée par la requérante pour les produits Supra, Bona et Printa. En revanche, l'augmentation de prix annoncée pour le produit Duplex KO était identique à celle annoncée pour le produit Silbergrau (carton gris fabriqué par la requérante).

234. Dans ces conditions, le fait que le représentant de la requérante a indiqué, lors de l'audition devant la Commission, que "certains de nos concurrents disaient que [Duplex KO] entrait dans la catégorie UD [...]" ("some of our competitors said [Duplex KO] could be put into the category of UD [...]"), ne saurait constituer une preuve suffisante de ce que les discussions à objet anticoncurrentiel menées au sein de certains organes du GEP Carton avaient porté sur ce produit.

235. Au vu de ce qui précède, la Commission a prouvé que l'infraction constatée a porté sur le produit Printa, mais n'a pas établi qu'elle a porté également sur le produit Duplex KO.

- Sur le chiffre d'affaires utilisé aux fins de la détermination du montant de l'amende

236. Il est constant que le montant de l'amende infligée à la requérante a été déterminé sur la base du chiffre d'affaires relatif à ses ventes de carton dans la Communauté en 1990. Ce chiffre, communiqué à la Commission par lettre du 25 septembre 1991, couvre l'ensemble des ventes des produits de carton fabriqués par la requérante. Or, il ressort des considérations qui précèdent que les produits Silbergrau et Duplex KO ne sont pas concernés par l'infraction constatée.

237. Dans ces circonstances, l'argument de la Commission tiré de ce que le montant de l'amende est, en tout état de cause, bien en deçà du plafond des amendes prévu à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne saurait être accueilli. En effet, conformément au principe d'égalité de traitement qui impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée, la Commission aurait dû se fonder, comme elle l'a fait à l'égard des autres entreprises visées par l'article 1er de la décision, sur le chiffre d'affaires réalisé par la requérante dans la Communauté en 1990 au moyen des ventes des seuls produits concernés par l'infraction constatée.

238. Le fait que la requérante n'a pas ventilé par catégorie de produit le chiffre d'affaires couvrant l'ensemble des ventes des produits de carton qu'elle fabrique, malgré la demande faite en ce sens par la Commission dans une lettre du 24 mai 1994, ne constitue pas une justification suffisante.

239. Par sa lettre du 24 mai 1994, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles les produits Printa et Duplex KO devaient être considérés comme du carton au sens de la procédure. Elle a par ailleurs invité la requérante à ventiler les chiffres d'affaires pour les cinq dernières années pour tous les cartons GD, le Duplex KO et pour le carton gris, demandant que les renseignements en cause lui soient envoyés au plus tard le 31 mai 1994.

240. La requérante n'a répondu à ladite lettre que le 1er juillet 1994, reprenant sa position selon laquelle les produits Printa et Duplex KO ne devaient pas faire l'objet de la procédure, sans fournir, comme elle aurait dû le faire, la ventilation demandée des chiffres d'affaires.

241. Cependant, la lettre de la Commission, du 24 mai 1994, ne contenait aucune référence à l'article 11 du règlement n° 17. Or, la Commission ne pouvait pas ignorer que le chiffre d'affaires sur lequel elle s'est fondée comprenait notamment le chiffre d'affaires réalisé au moyen des ventes de carton gris (Silbergrau) et était donc trop élevé, indépendamment de la question contestée de la classification correcte des produits Printa et Duplex KO.

242. Dans ces conditions, elle aurait dû envoyer à la requérante une demande de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17, afin d'obtenir les renseignements nécessaires pour déterminer correctement le montant de l'amende. Elle ne saurait donc valablement prétendre que c'est uniquement en raison du propre comportement de la requérante lors de la procédure administrative que le montant de l'amende a été déterminé sur la base d'un chiffre d'affaires trop élevé.

243. La requérante ayant fourni, en réponse à une question écrite du Tribunal, des données permettant d'établir les pourcentages des ventes des produits de carton dans la Communauté en 1990 correspondant aux ventes des produits non concernés par l'infraction constatée, le Tribunal procédera donc, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, à une réduction du montant de l'amende tenant compte du fait que le chiffre d'affaires réalisé au moyen des ventes des produits Silbergrau et Duplex KO n'aurait pas dû être pris en considération lors de la détermination du montant de l'amende (voir ci-après point 278).

244. Pour le surplus, le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la participation limitée de la requérante aux organes du GEP Carton ainsi que de l'absence de violation intentionnelle

Arguments des parties

245. La requérante se réfère, pour l'essentiel, aux moyens invoqués à l'appui des conclusions en annulation de l'article 1er de la décision. Elle n'aurait participé que pendant une courte période au système d'échange d'informations de la Fides et, de manière sporadique, à des réunions du JMC. Étant donné, en outre, le but spécifique de cette participation, sa position nettement subalterne sur le marché et le fait qu'elle n'aurait pas participé aux prétendues ententes sur les capacités ou les parts de marché, la Commission n'aurait pas correctement appliqué les critères mentionnés au point 169 de la décision. La requérante invoque à cet égard une inégalité de traitement par rapport aux entreprises qui ont pleinement participé à l'entente, la Commission ayant apparemment calculé l'amende qui lui a été infligée sur la base du taux normal de 7,5 % du chiffre d'affaires.

246. A supposer même que la requérante ait violé l'article 85 du traité, elle aurait considéré que sa participation au système d'échange d'informations de la Fides et sa participation sporadique à des réunions intermittentes du JMC étaient licites, d'autant que le but de cette participation était en contradiction manifeste avec les intérêts des autres producteurs. Elle reconnaît qu'une réduction de l'amende de 25-60 - le dénominateur de la fraction correspondant à la période totale d'infraction, exprimée en mois, à laquelle s'est référée la Commission pour le calcul du montant des amendes individuelles - tient compte, de manière correcte, de la courte durée d'une éventuelle participation à une entente illicite.

247. Par ailleurs, il ne serait pas correct de retenir dans la décision que son gérant aurait admis, lors de l'audition devant la Commission, qu'il existait une règle générale selon laquelle aucune note compromettante relative aux réunions du JMC ne devait être conservée.

248. La Commission fait valoir que, en se fondant sur le chiffre d'affaires concernant le carton, elle a tenu compte du rôle relativement subalterne de la requérante dans le secteur. Elle aurait aussi correctement tenu compte de la durée plus courte de sa participation à l'entente en lui accordant une remise de 25-60 sur le montant de l'amende. Enfin, le fait de ne pas avoir considéré la requérante comme l'un des chefs de file démontrerait qu'il a été tenu compte de sa plus faible participation à l'entente.

249. En ce qui concerne l'argument de la requérante relatif à l'absence d'infraction intentionnelle, la Commission relève qu'il suffit, pour qu'une infraction soit considérée comme intentionnelle, que l'entreprise n'ait pas pu ignorer que la conduite incriminée avait pour but de restreindre la concurrence (arrêt de la Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246-86, Rec. p. 2117, point 41). En outre, compte tenu de la gravité et du caractère patent de l'infraction, expressément couverte par l'article 85, paragraphe 1, du traité, la requérante ne pourrait sérieusement contester avoir eu connaissance de l'objet anticoncurrentiel de l'entente (arrêt ICI/Commission, précité, points 344 et 353). Le fait que les participants à l'entente ont essayé de garder leurs accords secrets attesterait qu'ils étaient conscients du caractère illicite de leur comportement (arrêt Belasco e.a./Commission, précité, point 41, et arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Chemie Linz/Commission, T-15-89, Rec. p. II- 1275, point 350).

250. Enfin, la Commission maintient qu'elle a correctement reproduit, dans la décision, les déclarations du gérant de la requérante relatives aux mesures arrêtées pour garder le secret de l'entente. Elle souligne à cet égard que, sur la question de savoir si tous les participants savaient qu'il fallait ne pas prendre de notes, le gérant a répondu : "Alors, peut-être quelqu'un a dit ça. Oui, peut-être oui." ("Well, maybe somebody said so. Yes, maybe yes"). En outre, les membres de l'entente ont cherché à dissimuler celle-ci d'une manière allant bien au-delà du degré habituel de secret, par exemple par la mise en place d'un système d'annonces non simultanées des augmentations de prix (point 73 des considérants de la décision).

Appréciation du Tribunal

251. Le moyen examiné se compose de deux branches. Dans une première branche, la requérante fait valoir que sa participation limitée aux organes du GEP Carton n'a pas été correctement appréciée par la Commission lors de la détermination du montant de l'amende. Dans une seconde branche, elle conteste avoir violé intentionnellement l'article 85, paragraphe 1, du traité. Chacune de ces deux branches sera examinée séparément.

- Sur la première branche du moyen

252. La Commission a établi que, du fait de sa participation aux réunions du JMC, la requérante a participé à une collusion sur les prix et à une collusion sur les temps d'arrêt pendant la période allant de 1988 jusqu'à la fin de l'année 1990.

253. En revanche, il a été admis que la requérante ne pouvait être tenue pour responsable d'une collusion sur les parts de marché.

254. Le Tribunal examinera la question des éventuelles conséquences de cette circonstance sur le montant de l'amende dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction (voir ci-après points 274 à 277).

255. S'agissant du calcul de l'amende prononcée contre la requérante, il ressort d'un tableau produit par la Commission en réponse à une question écrite du Tribunal que le pourcentage du chiffre d'affaires retenu à cet effet a été celui appliqué aux entreprises n'ayant pas été considérées comme des "chefs de file" de l'entente, soit 7,5 %. Il apparaît par ailleurs que la Commission a aussi tenu compte de la durée limitée de la participation de la requérante à l'entente.

256. Au vu de ces éléments, la Commission a correctement apprécié le rôle joué par la requérante dans l'entente en lui infligeant une amende correspondant à un pourcentage final de 4,4 % du chiffre d'affaires réalisé en 1990 sur le marché communautaire du carton, soit le taux de 7,5 % rapporté à la période d'infraction retenue à l'égard de la requérante.

257. La première branche du moyen doit, par conséquent, être rejetée.

- Sur la seconde branche du moyen

258. Il ressort du point 167, deuxième alinéa, des considérants de la décision que "les entreprises destinataires de la [...] décision ont, de propos délibéré, commis une infraction aux dispositions de l'article 85".

259. Selon une jurisprudence constante, pour qu'une infraction puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre l'interdiction édictée par l'article 85 du traité; il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence dans le marché commun (arrêt Belasco e.a./Commission, précité, point 41, et arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T- 61-89, Rec. p. II- 1931, point 157).

260. En l'espèce, il suffit de constater que la requérante a participé aux réunions du JMC, organe dont l'objet anticoncurrentiel a été établi par la Commission, ainsi qu'aux augmentations concertées de prix.

261. De plus, la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité constatée dans le chef de la requérante présentait un caractère patent.

262. Enfin, l'argument de la requérante selon lequel son représentant à l'audition devant la Commission n'aurait pas admis que les participants aux réunions du JMC étaient dissuadés de prendre des notes doit être considéré comme inopérant.

263. En effet, comme cela a déjà été rappelé (point 67 ci-dessus), l'absence de comptes rendus officiels et l'absence presque absolue de notes internes portant sur les réunions du JMC constituent, eu égard à leur nombre, à leur durée dans le temps et à la nature des discussions en cause, une preuve suffisante de l'allégation de la Commission selon laquelle les participants étaient dissuadés de prendre des notes.

264. En conséquence, la seconde branche du moyen n'est pas fondée.

265. Au vu de ce qui précède, le moyen doit être rejeté dans sa totalité.

Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement

Arguments des parties

266. La requérante fait valoir que le principe d'égalité de traitement a été méconnu en ce qu'elle n'a bénéficié d'aucune réduction du montant de son amende, malgré sa disposition à coopérer. Elle aurait admis spontanément sa participation sporadique aux réunions du JMC et sa participation au système d'échange d'informations de la Fides. En particulier, la Commission reconnaîtrait elle-même que la requérante a coopéré en ce qui concerne sa participation aux réunions du JMC. Elle aurait donc coopéré autant que possible, car elle n'aurait pas pu admettre une participation qui n'existait pas.

267. Dès lors, en accordant une réduction des deux tiers du montant des amendes infligées à Rena et à Stora sans accorder une réduction analogue à la requérante, la Commission l'aurait traitée de manière défavorable.

268. La requérante aurait aussi été traitée de manière défavorable par rapport aux entreprises ayant bénéficié d'une réduction d'un tiers du montant de leurs amendes pour ne pas avoir contesté, dans leurs réponses à la communication des griefs, les griefs formulés contre elles.

269. La Commission fait valoir que la requérante n'a pas coopéré de manière déterminante pour l'établissement des faits. Elle aurait admis sa participation à quelques réunions du JMC, mais aurait toujours soutenu qu'elle n'y avait participé que pour obtenir des informations précises sur le marché en vue de l'investissement envisagé. Elle aurait contesté toute participation à une entente illicite sur les prix et les quantités.

Appréciation du Tribunal

270. La requérante a admis, dans sa réponse à la communication des griefs, avoir participé au système d'échange d'informations de la Fides ainsi qu'à certaines réunions du JMC. Toutefois, dans la même réponse, elle a notamment contesté, comme elle l'a fait à nouveau dans sa requête introductive d'instance, avoir participé à une collusion sur les prix et à une collusion sur les temps d'arrêt.

271. La Commission a estimé à bon droit que, en répondant de la sorte, la requérante ne s'est pas comportée d'une manière justifiant une réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt ICI/Commission, précité, point 393).

272. Le moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

273. Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que l'article 1er, huitième tiret, de la décision doit être annulé à l'égard de la requérante, et que l'article 2 doit être partiellement annulé à l'égard de celle-ci.

274. En ce qui concerne l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision, il convient d'abord de déterminer si le fait que l'infraction commise par la requérante ne peut pas être considérée comme comportant une collusion sur les parts de marché doit entraîner une réduction du montant de cette amende.

275. Le Tribunal estime, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, que l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité constatée dans le chef de la requérante reste d'une gravité telle qu'il n'y a pas lieu de réduire le montant de l'amende.

276. A cet égard, il convient de relever que la requérante n'a pas participé aux réunions du PWG et n'a donc pas été sanctionnée en tant que "chef de file" de l'entente. N'ayant pas joué, selon les termes mêmes de la Commission, un rôle de "moteur" de l'entente (point 170, premier alinéa, des considérants de la décision), le niveau de l'amende retenu contre elle s'est élevé à 7,5 % de son chiffre d'affaires communautaire réalisé dans le secteur du carton en 1990. Or, ce niveau général des amendes apparaît justifié.

277. En outre, même si la Commission a considéré à tort que les producteurs non représentés au sein du PWG étaient "parfaitement informés" de la collusion sur les parts de marché (point 58, premier alinéa, des considérants), il n'en reste pas moins qu'il ressort de la décision elle- même que ce sont les entreprises réunies au sein du PWG qui se sont concertées au sujet du "gel" des parts de marché (notamment, point 52 des considérants) et qu'aucune discussion n'a porté sur les parts de marché détenues par les producteurs qui n'y étaient pas représentés. D'ailleurs, ainsi que la Commission l'a déclaré au point 116, deuxième alinéa, des considérants de la décision, "par leur nature même, les accords de répartition des marchés (en particulier le gel des parts de marché décrit aux considérants 56 et 57) concernent principalement les gros producteurs". La collusion sur les parts de marché erronément imputée à la requérante n'a donc revêtu, selon la Commission elle-même, qu'un caractère accessoire par rapport, notamment, à la collusion sur les prix.

278. S'agissant des moyens visant à l'annulation de l'amende ou à la réduction de son montant, le Tribunal a constaté que la Commission a erronément pris en compte, lors de la détermination de son montant, le chiffre d'affaires réalisé par la requérante au moyen des ventes des produits Duplex KO et Silbergrau en 1990. En réponse à une demande écrite du Tribunal, la requérante a transmis une déclaration, attestée par un expert-comptable, comportant une ventilation, par produit de carton, du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé en 1990. Au vu de cette déclaration, le Tribunal est en mesure de déterminer la proportion du chiffre d'affaires de la requérante qui a été erronément prise en compte par la Commission. Les autres moyens ayant été rejetés, le Tribunal, dans l'exercice de sa pleine juridiction, fixera à 730 000 écus le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision.

Sur les dépens

279. Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) L'article 1er, huitième tiret, de la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-C-33.833 - Carton), est annulé à l'égard de la requérante.

2) L'article 2, premier à quatrième alinéa, de la décision 94-601 est annulé à l'égard de la requérante, sauf en ce qui concerne les passages suivants :

"Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales :

a) par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés."

3) Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision 94-601 est fixé à 730 000 écus.

4) Le recours est rejeté pour le surplus.

5) Chaque partie supportera ses propres dépens.