TPICE, 3e ch. élargie, 14 mai 1998, n° T-308/94
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cascades (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vesterdorf
Juges :
MM. Briët, Potocki, Cooke, Mme Lindh
Avocats :
Mes Fourgoux, de La Laurencie, Buhart, Art, O'Keeffe.
Faits à l'origine du litige
1. La présente affaire concerne la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-C-33.833 - Carton) (JO L. 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après "décision"). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
2. Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après "BPIF"), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.
3. Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.
4. Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.
5. A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.
6. Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.
7. En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.
8. Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:
"Article premier
Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard - the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:
- dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,
- dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,
- dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,
- dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins, à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:
- se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,
- ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,
- ont planifié et mis en œuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,
- se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,
- ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en œuvre desdites augmentations de prix concertées,
- ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.
[...]
Article 3
Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:
[...]
ii) Cascades SA, une amende de 16 200 000 écus;
[...]"
9. Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé "Groupe d'étude de produit Carton" (ci-après "GEP Carton"), composé de plusieurs groupes ou comités.
10. Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un "Presidents Working Group" (ci-après "PWG") réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).
11. Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en œuvre par les fabricants.
12. Le PWG faisait rapport à la "President Conference" (ci-après "PC") à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.
13. A la fin de l'année 1987 a été créé le "Joint Marketing Committee" (ci-après "JMC"). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en œuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.
14. Enfin, le comité économique (ci-après "COE") débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.
15. Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.
16. La requérante Cascades SA (ci-après "Cascades") a été constituée en septembre 1985. Son capital est majoritairement détenu par la société de droit canadien Cascades Paperboard International Inc.
17. Le groupe canadien est entré sur le marché européen du carton en mai 1985, en procédant à la reprise de la société Cartonnerie Maurice Franck (devenue Cascades La Rochette SA, ci-après "Cascades La Rochette"). En mai 1986, Cascades a acquis la cartonnerie de Blendecques (devenue Cascades Blendecques SA, ci-après "Cascades Blendecques").
18. La décision relate que la société de droit belge Van Duffel NV (ci-après "Duffel") et la société de droit suédois Djupafors AB (ci-après "Djupafors"), reprises par la requérante en mars 1989, participaient, avant leur acquisition, à l'entente visée par l'article 1er de la décision. Dès 1989, les deux entreprises ont, toujours selon la décision, reçu une nouvelle raison sociale et ont poursuivi leurs activités en tant que filiales indépendantes au sein du groupe Cascades (point 147 des considérants). Toutefois, en ce qui concerne tant la période antérieure que la période postérieure à leur acquisition par Cascades, la Commission a considéré qu'il convenait d'adresser la décision au groupe Cascades, représenté par la requérante.
19. Enfin, selon la décision, la requérante a participé aux réunions du PWG, du JMC et du COE pendant la période allant du milieu de 1986 jusqu'à avril 1991. Elle a été considérée par la Commission comme l'un des "chefs de file" de l'entente, devant porter une responsabilité particulière.
PROCÉDURE
20. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.
21. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 4 novembre 1994, elle a également introduit une demande de sursis à l'exécution des articles 3 et 4 de la décision. Par ordonnance du 17 février 1995, Cascades/Commission (T-308-94 R, Rec. p. II-265), le président du Tribunal a ordonné qu'il fût sursis, sous certaines conditions, à l'obligation, pour la requérante, de constituer en faveur de la Commission une caution bancaire pour éviter le recouvrement immédiat de l'amende infligée par l'article 3 de la décision. Il a également ordonné à la requérante de communiquer à la Commission, dans un délai déterminé, certaines informations particulières.
22. Seize des dix-huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-295-94, T-301-94, T-304-94, T-309-94, T-310-94, T-311-94, T-317-94, T-319-94, T-327-94, T-334-94, T-337-94, T-338-94, T-347-94, T-348-94, T-352-94 et T-354-94).
23. La requérante dans l'affaire T-301-94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301-94, non publiée au Recueil).
24. Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339-94, T-340-94, T-341-94 et T-342-94).
25. Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312-94, non publiée au Recueil).
26. Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295-94, T-304-94, T-308-94, T-309-94, T-310-94, T-311-94, T-317-94, T-319--94, T-327-94, T-334-94, T-337-94, T-338-94, T-347-94, T-348-94, T-352-94 et T-354-94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.
27. Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-334-94.
28. Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337-94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.
29. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.
30. Les parties dans les affaires mentionnées au point 26 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.
CONCLUSIONS DES PARTIES
31. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision en ce qu'elle la concerne;
- à titre subsidiaire, réduire l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision;
- condamner la Commission aux dépens.
32. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner la partie requérante aux dépens.
Sur la demande d'annulation de la décision
Sur le moyen tiré d'une violation des droits de la défense
Arguments des parties
33. La requérante fait valoir que la décision contient un grief ne figurant pas dans le résumé de la communication des griefs, à savoir celui concernant la négociation et l'adoption d'un plan sectoriel visant à restreindre la concurrence (article 1er, cinquième tiret, de la décision). Le résumé de la communication des griefs constituerait pourtant un élément essentiel du dossier destiné à informer les destinataires des faits retenus. Le grief en cause ne serait pas non plus mentionné dans le corps de la communication des griefs.
34. La requérante conteste l'argumentation de la Commission selon laquelle le grief d'un "plan sectoriel" ne serait pas un grief à part entière puisqu'il recouvrirait les différents comportements incriminés. En effet, la notion de "plan sectoriel" viserait l'ensemble des mesures économiques et sociales adoptées et formalisées par écrit, généralement par un Etat, afin de restructurer un secteur. Pourtant, le GEP Carton n'aurait jamais regroupé l'ensemble des producteurs présents sur le marché communautaire et, de plus, le marché de l'exportation n'aurait jamais fait l'objet des réunions du GEP Carton. Enfin, le simple fait que ce grief a été formellement séparé des autres griefs dans l'article 1er de la décision démontrerait sa nature distincte des autres griefs.
35. Invoquant la jurisprudence de la Cour relative à la fonction de la communication des griefs (arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 11, et du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89-85, C-104-85, C-114-85, C-116-85, C-117-85 et C-125-85 à C-129-85, Rec. p. I-1307, points 42 et 52), la requérante conclut que la décision, ayant retenu un grief qui ne lui avait pas été préalablement communiqué, a irrémédiablement porté atteinte à ses droits de la défense.
36. La Commission rappelle qu'il est expressément indiqué dans la communication des griefs que le résumé de celle-ci a été rédigé à titre d'information, qu'il n'a pour fonction que de donner une indication concise de la nature de l'infraction présumée et qu'il doit être pris en considération à la lumière des griefs détaillés contenus dans la communication des griefs. Or, il ressortirait clairement de la communication des griefs, prise dans son ensemble, que la Commission reprochait à la requérante d'avoir participé à la négociation et à l'adoption d'un plan commun visant à restreindre la concurrence dans le secteur du carton.
37. Le terme "plan" aurait été utilisé, en l'espèce, afin de souligner que les participants étaient parvenus, à partir de la fin de l'année 1987, à un véritable accord définitif sur les conditions de leur collusion, les différentes initiatives de prix prises à partir de ce moment ayant été des éléments de ce même accord-cadre. Ces affirmations relatives à un agissement prémédité et institutionnalisé auraient été également exposées dans cette communication.
38. Le grief tiré de l'adoption d'un "plan sectoriel" recouvrirait les différents autres comportements incriminés et ne se distinguerait pas de ceux-ci. Il n'aurait donc pas été nécessaire de le faire apparaître distinctement dans la communication des griefs (arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, précité, point 50).
Appréciation du Tribunal
39. Le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé même s'il s'agit d'une procédure de caractère administratif (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 9).
40. Faisant application de ce principe, l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et l'article 4 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268), prescrivent à la Commission de ne retenir dans sa décision finale que les griefs au sujet desquels les entreprises intéressées ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue.
41. L'article 1er, cinquième tiret, de la décision fait grief aux entreprises mentionnées dans cette disposition de s'être rencontrées régulièrement "dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence".
42. La requérante soutenant que la communication des griefs ne faisait pas état d'un tel grief, il convient de vérifier que, en l'occurrence, l'exposé des griefs a été libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre à la requérante de prendre effectivement connaissance dudit grief. Ce n'est en effet qu'à cette condition que la communication des griefs a pu remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive (voir, notamment, arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, précité, point 42).
43. A cet égard, comme la Commission l'a soutenu à juste titre, le grief concernant la négociation et l'adoption d'un "plan sectoriel commun" figurant à l'article 1er, cinquième tiret, de la décision doit être compris en ce sens qu'il est reproché aux entreprises visées d'avoir négocié et adopté un accord continu recouvrant les agissements anticoncurrentiels mentionnés à l'article 1er de la décision. L'emploi de l'épithète "sectoriel" implique que le plan commun concernait le secteur du carton.
44. Cette interprétation du dispositif de la décision est conforme aux motifs de celle-ci, dont il ressort que la Commission évoque le terme de "plan" pour désigner un élément de la notion d'accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
45. Ainsi, selon le point 126, deuxième alinéa, des considérants de la décision:
"[...] il y a accord lorsque les parties s'entendent, même dans les grandes lignes, sur leur action ou leur abstention réciproque sur le marché. Bien qu'il implique une prise de décision conjointe et l'engagement d'appliquer un plan commun, cet accord ne doit pas nécessairement être établi de façon formelle ou par écrit [...]"
46. En outre, la décision précise (point 131, premier et deuxième alinéas, des considérants):
"La Commission estime que, à partir de fin 1987, avec la concrétisation de la collusion progressive des fabricants adhérant à la politique du 'prix avant le tonnage', l'infraction a présenté toutes les caractéristiques d'un véritable accord au sens de l'article 85.
Les initiatives semestrielles en matière de prix qui ont été prises pour réaliser le plan ne doivent pas être considérées comme un ensemble d'accords ou de pratiques concertées distincts, mais comme un seul et même accord continu."
47. Dès lors, il y a lieu d'examiner s'il a été reproché à la requérante, dans la communication des griefs, d'avoir participé à la négociation et à l'adoption d'un accord continu recouvrant l'ensemble des agissements anticoncurrentiels allégués.
48. La communication des griefs adressée à la requérante comprend le document de base, les annexes et les renseignements individuels la concernant. Le document de base ne comporte pas de dispositif, mais contient un "résumé de l'infraction" qui spécifie qu'il "est uniquement rédigé à titre d'information et vise à donner une indication concise de la nature de l'infraction présumée" et qu'il "doit être pris en considération à la lumière des griefs détaillés communiqués ci-après". Au vu de cette précision, l'argument de la requérante selon lequel ses droits de la défense auraient été violés parce que le grief en cause n'a pas été indiqué dans le résumé de la communication des griefs ne peut pas être retenu.
49. Dans le document de base, l'exposé des griefs est scindé en deux parties principales, respectivement consacrées aux faits et à l'appréciation juridique. En l'absence de dispositif, il convient de se reporter à la deuxième partie de la communication pour connaître les comportements reprochés aux entreprises.
50. Une lecture de cette partie de la communication des griefs démontre que le grief en cause y était effectivement exposé.
51. En particulier, sous le point intitulé "La nature de l'infraction", la Commission précise (p. 83):
"Les principales caractéristiques du système du 'prix avant le tonnage' étaient les suivantes:
- le contrôle de la production permettant de créer sur le marché des conditions favorables aux augmentations de prix;
- la mise en œuvre périodique d'initiatives concertées en matière de prix consistant dans l'application par tous les producteurs d'augmentations de prix simultanées et uniformes sur les différents marchés nationaux;
- la réalisation d'un système uniforme de fixation des prix à l'échelle européenne;
- le contrôle des parts de marché des principaux producteurs.
La Commission considère qu'à partir de la fin de 1987, avec la concrétisation de la collusion progressive des producteurs dans le cadre du système du 'prix avant le tonnage', l'infraction pouvait être considérée comme présentant toutes les caractéristiques d'un véritable 'accord' au sens de l'article 85."
52. La communication des griefs ayant donc reproché aux entreprises destinataires, dans des termes suffisamment clairs, d'avoir participé à la négociation et à l'adoption d'un accord continu recouvrant l'ensemble des agissements anticoncurrentiels allégués, la décision n'a pas, en constatant la participation de la requérante à la négociation et à l'adoption d'un "plan sectoriel commun", retenu un grief non porté à sa connaissance dans la communication des griefs.
53. Le présent moyen doit donc être rejeté.
Sur le moyen tiré d'une violation de l'obligation de confidentialité
Arguments des parties
54. La requérante souligne que, en vertu de l'article 214 du traité et de l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, les fonctionnaires de la Commission sont tenus de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel. Cependant, des articles parus dans la presse économique dès le 13 juillet 1994 auraient fait état de l'imminence de la décision. Les informations révélées dans ces articles de presse, contenant des commentaires précis non seulement sur l'existence et l'état de la procédure mais aussi sur le contenu de la décision, auraient nécessairement eu pour origine les services de la Commission, en violation des dispositions textuelles régissant la confidentialité.
55. Le non-respect de l'obligation de confidentialité remettrait en cause la validité même des appréciations économiques de la Commission. Il ne s'agirait donc pas d'une simple "irrégularité extérieure" mais d'un vice justifiant l'annulation de la décision.
56. La Commission conteste qu'elle ait été la source des informations divulguées dans la presse et fait valoir que d'autres administrations ont connu le contenu des projets de décision avant leur adoption par le collège des membres de la Commission.
57. En tout état de cause, la requérante n'aurait pas indiqué les raisons pour lesquelles la violation alléguée du principe de confidentialité aurait affecté le contenu de la décision. Une éventuelle violation de l'obligation de confidentialité ne constituerait qu'une irrégularité extérieure n'affectant pas la validité de la décision (voir arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207, points 284 à 288, et arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43-92, Rec. p. II-441, points 27 à 29).
Appréciation du Tribunal
58. A supposer même que les services de la Commission soient responsables de la fuite relatée par les articles de presse auxquels la requérante se réfère, ce qui n'est cependant ni admis par la Commission ni établi par la requérante, cette circonstance serait, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision (arrêt Dunlop Slazenger/Commission, précité, point 29). En effet, la requérante n'a pas établi que la décision n'aurait pas été, en fait, adoptée ou qu'elle aurait eu un contenu différent si les manifestations litigieuses n'avaient pas eu lieu (arrêt United Brands/Commission, précité, point 286), ou encore que la Commission, en adoptant la décision, se serait fondée sur des considérations autres que celles qui y sont reprises (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439, point 136). Partant, le moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré d'une violation du principe de collégialité
Arguments des parties
59. La requérante soutient que la décision du 26 juillet 1994 (voir point 1 ci-dessus) a été adoptée dans des conditions de délibération non précisées et en violation du principe de collégialité.
60. Elle souligne, dans son mémoire en réplique, que cette décision ne comporte aucune mention d'une consultation, avant son adoption, du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes (ci-après "comité consultatif"). Or, en vertu de l'article 190 du traité et des articles 10 et 15 du règlement n° 17, l'avis du comité consultatif serait requis avant l'adoption de chaque décision qui, telle que celle du 26 juillet 1994, inflige une amende (arrêt du Tribunal du 27 février 1992, Vichy/Commission, T-19-91, Rec. p. II-415).
61. La décision devrait donc être annulée du chef de ce non-respect des règles de procédure (arrêt du Tribunal du 27 février 1992, BASF e.a./Commission, T-79-89, T-84-89, T-85-89, T-86-89, T-89-89, T-91-89, T-92-89, T-94-89, T-96/89, T-98-89, T-102-89 et T-104-89, Rec. p. II-315, et arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C-137/92 P, Rec. p. I-2555).
62. La Commission soutient que, par sa décision du 26 juillet 1994, elle n'a pas procédé à une nouvelle appréciation en fait ou en droit. En revanche, elle se serait limitée à corriger le nom d'une des entreprises destinataires et à rectifier une erreur commise dans le calcul de l'amende infligée à Europa Carton. Dès lors, la requérante n'aurait aucun intérêt à se prévaloir d'éventuels vices de la procédure d'adoption de la décision en cause.
63. Quant à la prétendue absence de consultation du comité consultatif, l'argumentation avancée par la requérante dans le mémoire en réplique constituerait un moyen nouveau, dont la production est interdite en vertu de l'article 48 du règlement de procédure.
Appréciation du Tribunal
64. Le Tribunal estime que le moyen doit être compris en ce sens que la Commission aurait méconnu le principe de collégialité lors de l'adoption de la décision du 26 juillet 1994.
65. S'agissant de l'argumentation de la requérante selon laquelle le comité consultatif n'a pas été consulté avant l'adoption de cette décision, en violation des dispositions de l'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 17, elle a été présentée pour la première fois dans le mémoire en réplique. Elle ne peut pas être considérée comme un développement de celle, contenue dans la requête, tirée d'une violation du principe de collégialité. Elle constitue en réalité un moyen autonome tiré d'un vice de forme entachant la régularité de la procédure d'adoption de la décision.
66. Or, aux termes de l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
67. Le moyen tiré d'un défaut de consultation du comité consultatif n'étant pas fondé sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la procédure, il doit être déclaré irrecevable.
68. En ce qui concerne le moyen tiré d'une violation du principe de collégialité, force est de constater que la requérante n'invoque aucun indice, non plus qu'aucune circonstance précise de nature à écarter la présomption de validité dont bénéficient les actes communautaires (voir, notamment, arrêt Dunlop Slazenger/Commission, précité, point 24). Il n'y a donc pas lieu de vérifier l'éventuelle existence de la violation alléguée (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T-34-92, Rec. p. II-905, point 27).
69. Par suite, le moyen doit être rejeté comme non fondé.
Sur le moyen tiré de l'existence de divergences entre la décision et un communiqué de presse de la Commission du 13 juillet 1994
Arguments des parties
70. La requérante soutient que la décision n'a pas été définitivement adoptée avant la décision du 26 juillet 1994.
71. Elle relève que la Commission a publié un communiqué de presse le jour de l'adoption de la décision, le 13 juillet 1994. Ce communiqué étant ainsi antérieur à la décision définitive, les éventuelles divergences de fond par rapport à la décision seraient, dans la mesure où elles démontrent que la Commission s'est fondée sur des considérations non exposées dans la décision, de nature à affecter la validité de celle-ci (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369, point 16, et arrêt Hilti/Commission, précité, point 136).
72. En l'espèce, il ressortirait effectivement du communiqué de presse que la Commission a fondé sa décision sur des considérations non exposées dans celle-ci. Le communiqué indiquerait que les entreprises ont "tenté, dès les années 1970 d'ordonner le marché avec un succès mitigé", alors que la décision énoncerait expressément que la Commission "ne dispose pas de preuve" de tentatives de fixation de prix entre 1975 et 1986. L'indication, dans le communiqué de presse, d'un "succès mitigé" des prétendues "tentatives" porterait atteinte aux droits de la défense de la requérante, en ce que celle-ci aurait été déclarée coupable sans que la procédure contradictoire eût été respectée et alors qu'elle aurait été innocentée par la décision ultérieurement adoptée.
73. Le fait que, dans le mémoire en défense, la Commission ait repris les termes du communiqué de presse confirmerait que la décision a été fondée sur des considérations non exposées dans celle-ci.
74. La Commission conteste que la décision ait été définitivement adoptée le 26 juillet 1994. La décision du 26 juillet 1994 n'aurait été adoptée qu'afin de rectifier de simples erreurs dans la décision antérieure. Dans ces circonstances, d'éventuelles divergences entre le communiqué de presse et la décision n'affecteraient pas la validité de cette dernière (arrêt Hilti/Commission, précité, point 136).
75. De surcroît, il n'existerait aucune divergence de fond entre les documents en cause. A cet égard, la Commission cite des parties des deux documents révélant, selon elle, que ni le communiqué de presse ni la décision n'ont incriminé des comportements antérieurs au milieu de l'année 1986.
Appréciation du Tribunal
76. Il n'y a pas lieu de déterminer si, comme le prétend la requérante, l'adoption de la décision est postérieure au communiqué de presse. En effet, le contrôle juridictionnel ne peut porter que sur la décision attaquée (en ce sens, voir arrêt Hilti/Commission, précité, point 136). Il convient donc de vérifier si le communiqué de presse du 13 juillet 1994 contient des éléments permettant de constater que la décision a été fondée sur des considérations autres que celles qui y sont reprises.
77. Le fait que la Commission ait indiqué dans le communiqué de presse que les entreprises ont "tenté, dès les années 1970, d'ordonner le marché avec un succès mitigé" n'est pas de nature à prouver que la Commission a fondé la décision sur cette considération.
78. En tout état de cause, figure dans la décision une allusion à une tentative d'ordonner le marché à une époque antérieure à celle considérée comme marquant le début de l'infraction visée par l'article 1er de ladite décision, à savoir le milieu de l'année 1986.
79. Le point 35, premier alinéa, des considérants de la décision souligne en effet:
"Selon Stora (deuxième déclaration, p. 2), les fabricants de carton avaient 'tenté de réguler le marché [...] depuis 1975. Les membres du GEP Carton ou de l'instance qui l'a précédé (avant 1981) se sont réunis au cours de cette période pour discuter de la politique des prix et des parts de marché'."
80. En outre, le point 161, premier alinéa, précise:
"Bien qu'il ressorte des déclarations de Stora que des accords collusoires existaient depuis 1975 au moins et que le GEP Carton a, selon toute vraisemblance, été conçu comme un instrument de coopération illicite, la Commission limitera en l'espèce son appréciation en vertu de l'article 85, et l'imposition d'amendes, à la période commençant en juin 1986."
81. La requérante ne conteste pas que les considérants de la décision justifient à suffisance de droit la fixation, au milieu de l'année 1986, du début de l'infraction constatée à son article 1er.
82. Dès lors, rien ne permettant de conclure que la Commission aurait en réalité fondé sa décision sur des considérations non exposées dans celle-ci, le moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré d'une absence d'imputabilité de la concertation à la requérante
Arguments des parties
83. Dans une première branche du moyen, la requérante fait valoir que, dans certaines conditions, la contrainte exercée sur une entreprise empêche que lui soit imputée une infraction au titre de l'article 85 du traité. Le juge communautaire n'aurait toutefois traité jusqu'à présent que les notions d'état de nécessité et de légitime défense dans le contentieux du traité CECA.
84. L'applicabilité de l'article 85 du traité supposerait que les entreprises concernées disposent d'une autonomie réelle dans la détermination de leur comportement sur le marché [voir, en ce sens, la jurisprudence relative à l'application de l'article 85 du traité aux entreprises du même groupe (arrêts de la Cour du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro, 66/86, Rec. p. 803, et du 4 mai 1988, Bodson, 30-87, Rec. p. 2479, et du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho Europe/Commission, T-102-92, Rec. p. II-17)]. Cette disposition ne s'appliquerait donc pas aux accords ou pratiques concertées entre deux entreprises, lorsque la participation d'une entreprise est imposée par l'autre sans que la première ait la possibilité réelle d'échapper à l'influence et au contrôle de la seconde. Cette thèse serait implicitement étayée par l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1979, BMW Belgium e.a./Commission (32-78, 36-78 à 82-78, Rec. p. 2435). La thèse de la requérante aurait été retenue par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 9 novembre 1989, en application des règles nationales de la concurrence.
85. Une entreprise devrait donc échapper à l'application de l'article 85 du traité lorsqu'elle a agi sous la contrainte, dès lors que ce comportement est indispensable pour écarter un péril dont l'entreprise se trouve menacée, que les menaces sont directes, que le péril est imminent et qu'aucune autre voie légale ne permet d'y parer. Ces conditions seraient en substance analogues à celles constitutives de l'état de légitime défense.
86. Dans une deuxième branche du moyen, la requérante fait valoir qu'elle a été contrainte à participer aux réunions des organes du GEP Carton par d'autres producteurs membres de cette association.
87. Dès son entrée sur le marché européen, marquée par la reprise de la société Cartonnerie Maurice Franck (Cascades La Rochette) en mai 1985, elle aurait adopté un comportement agressif sur ce marché.
88. Toutefois, au début de l'année 1986, MM. Lemaire et Bannermann, respectivement président directeur général et conseiller commercial de Cascades La Rochette, auraient été approchés par les présidents de Finnboard et de KNP (le second présidant alors la PC) ainsi que par M. Roos (alors directeur général de Feldmühle) afin qu'il fût mis fin à la politique agressive de prix pratiquée par la requérante et que celle-ci se pliât à la discipline de marché des autres producteurs réunis au sein du GEP Carton. Après qu'elle eut refusé cette demande, la requérante aurait pu constater, pendant les mois suivants, la perte de la plupart des commandes qu'elle tentait d'obtenir. Cette circonstance se serait expliquée par la proposition systématique, par d'autres producteurs, de prix inférieurs à ceux proposés par la requérante.
89. A la suite de l'acquisition de la cartonnerie de Blendecques (Cascades Blendecques) en mai 1986, la requérante aurait dû relever ses prix afin d'amortir ses investissements importants, couvrir ses frais financiers et dégager une marge brute suffisante. Sa survie sur le marché aurait exigé que cessât la guerre des prix alors menée contre l'ensemble de l'industrie. Dans ces circonstances, la requérante aurait été forcée d'accepter les conditions posées par les meneurs de la politique de sous-cotation afin qu'il y fût mis un terme. Ces conditions auraient consisté à rejoindre le GEP Carton, à se conformer aux décisions adoptées et à participer aux réunions du PWG.
90. A l'appui desdites affirmations, la requérante renvoie à des déclarations faites par MM. Lemaire et Bannermann, deux personnes ayant vécu les événements relatés en qualité de représentants de la requérante, et propose au Tribunal d'entendre leurs témoignages oraux.
91. Les affirmations contenues dans ces déclarations seraient corroborées par d'autres éléments de preuve.
92. En premier lieu, selon une déclaration de Stora (annexe 39 à la communication des griefs), les tentatives de la requérante d'accroître ses parts du marché et les réactions des autres producteurs auraient produit une baisse considérable des prix, non jugulée. Cette déclaration confirmerait la "guerre des prix" provoquée par l'entrée de la requérante sur le marché européen, décrite par M. Bannermann.
93. En second lieu, la participation de la requérante aux réunions du PWG aurait été "anachronique", l'entreprise étant un nouveau venu sur le marché européen et le plus important producteur français (Papeteries Béghin-Corbehem, appartenant à présent au groupe Stora) participant déjà à ces réunions. La participation de la requérante s'expliquerait, en effet, par la volonté des autres entreprises participant aux réunions de la contrôler et de l'empêcher d'agir de manière indépendante.
94. En troisième lieu, l'attitude qu'elle a adoptée après avoir rejoint le PWG confirmerait, de manière indirecte, qu'elle n'a jamais participé à la concertation de propos délibéré. Elle n'aurait jamais joué un rôle actif au sein du PWG et du GEP Carton, les décisions du PWG, notamment de hausse des prix, ayant été prises d'un commun accord entre Finnboard, Mayr-Melnhof et Feldmühle avant que débutent les réunions de cet organe. La Commission n'aurait avancé aucun élément de nature à mettre en cause cette affirmation, alors qu'il lui reviendrait de prouver le rôle joué par les différents membres du PWG.
95. Dans ce contexte, la requérante allègue en outre qu'elle n'a jamais été, contrairement à ce qui est soutenu au point 38 des considérants de la décision, la "courroie de transmission" des décisions du PWG ou de la PC auprès des Papeteries de Lancey, cette tâche ayant été accomplie par l'autre producteur français membre du PWG, à savoir les Papeteries Béghin-Corbehem, filiale de Feldmühle.
96. En dernier lieu, la requérante aurait toujours, en dépit de la pression qu'elle subissait afin de suivre les décisions prises au sein du GEP Carton, poursuivi une politique de concurrence agressive visant à accroître sa part de marché. Ce fait serait confirmé par des notes établies par d'autres producteurs membres du GEP Carton (annexes 109 et 117 à la communication des griefs) et par des déclarations émanant d'acheteurs de carton. Sur ce point, la requérante explique qu'elle n'est pas en mesure de fournir, d'une autre façon, la preuve qu'elle s'est toujours efforcée de poursuivre une politique de prix indépendante par rapport aux recommandations des organes du GEP Carton.
97. Enfin, dans une troisième branche du moyen, elle fait valoir que la contrainte subie a été irrésistible et que, dès lors, les infractions en cause ne lui sont pas imputables, en vertu des principes évoqués dans la première branche du moyen. Elle précise que la contrainte doit être considérée comme irrésistible dès lors que l'entreprise ayant subi la contrainte a légitimement pu croire, d'une part, que son existence était menacée par le comportement des entreprises exerçant la contrainte et, d'autre part, que la seule voie lui permettant de préserver son existence consistait à se plier à la contrainte exercée. En l'espèce, selon elle, ces conditions sont remplies.
98. S'agissant de la seconde condition, tirée de ce que l'entreprise a légitimement pu croire que le seul moyen de sauver son existence était de se plier à la contrainte, la requérante estime qu'elle la remplissait, bien qu'il existât une possibilité de recourir à la Commission ou au juge national pour demander qu'il fût mis fin à la contrainte.
99. Subsidiairement, elle soutient qu'elle n'aurait pas pu parer, de manière adéquate et efficace, à cette contrainte par l'introduction soit d'une plainte auprès de la Commission, soit d'une procédure devant les juridictions nationales.
100. En ce qui concerne la première branche du moyen, la Commission soutient qu'il doit être répondu à la question de savoir si une entreprise ayant agi sous la contrainte peut échapper à l'application de l'article 85 sur la base de la jurisprudence communautaire relative aux notions d'état de nécessité (voir, par exemple, arrêts de la Cour du 11 mai 1983, Klöckner-Werke/Commission, 303-81 et 312-81, Rec. p. 1507, et du 16 novembre 1983, Thyssen/Commission, 188-82, Rec. p. 3721) et de légitime défense (arrêt de la Cour du 12 juillet 1962, Acciaierie ferriere et fonderie di Modena/Haute Autorité, 16-61, Rec. p. 547, 576, et, dans le même sens, arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Hüls/Commission, T-9-89, Rec. p. II-499, points 365 et 366, et Hoechst/Commission, T-10-89, Rec. p. II-629, points 358 et 359). La jurisprudence relative à l'application de l'article 85 du traité aux entreprises appartenant au même groupe, invoquée par la requérante, ne serait donc pas pertinente.
101. Une entreprise ne pourrait échapper à l'application de l'article 85 au motif qu'elle a agi sous la contrainte que si ce comportement était indispensable pour écarter un péril dont l'entreprise était menacée, si les menaces étaient directes, si le péril était imminent et si aucune autre voie légale ne permettait d'y parer.
102. S'agissant de la deuxième branche du moyen, la Commission fait valoir que les déclarations de MM. Bannermann et Lemaire n'ont aucune valeur probante, étant donné qu'elles ne sont étayées par aucun autre élément de preuve. La participation aux réunions des organes du GEP Carton étant établie, la requérante devrait démontrer les affirmations contenues dans les déclarations (voir, dans le même sens, arrêts du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2-89, Rec. p. II-1087, point 128, et Atochem/Commission, T-3-89, Rec. p. II-1177, point 53).
103. La valeur probante des déclarations de MM. Bannermann et Lemaire serait d'autant plus douteuse que la requérante n'aurait pas, au cours de la procédure administrative, tenté d'établir sa participation aux réunions contre son propre gré. En effet, si quelques vagues allusions ont été faites, dans la réponse à la communication des griefs, à une contrainte exercée par les autres producteurs de carton, ces allusions n'auraient été formulées que dans le contexte des affirmations de la requérante relatives à son comportement prétendument indépendant.
104. La Commission conteste ensuite les allégations de la requérante selon lesquelles les déclarations de MM. Bannermann et Lemaire seraient étayées par d'autres éléments de preuve.
105. La requérante ne pourrait d'abord soutenir que le rôle purement passif qu'elle aurait joué au sein du PWG constitue un indice d'une participation aux réunions sous la contrainte. En effet, elle n'aurait avancé aucun élément établissant qu'elle n'avait jamais proposé de hausse de prix. En tout état de cause, elle aurait activement participé à la mise en œuvre des initiatives de prix sur le marché français.
106. Ensuite, s'agissant des prétendus indices de la contrainte subie, la Commission rappelle que la poursuite, par la requérante, d'une politique indépendante de prix par rapport aux résultats obtenus au sein du GEP Carton, à la supposer démontrée, ne signifie pas que la requérante n'avait pas pleinement participé à l'entente (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141-89, Rec. p. II-791, point 60).
107. S'agissant de la troisième branche du moyen, la Commission soutient que, nonobstant une éventuelle contrainte exercée par les autres producteurs, la requérante disposait de plusieurs voies légales qui lui auraient permis d'échapper à la contrainte, à savoir l'introduction, soit d'une plainte auprès de la Commission, en vertu de l'article 3 du règlement n° 17, soit d'un recours devant les juridictions nationales. Dans ces conditions, la requérante ne pourrait échapper à l'application de l'article 85 du traité au motif qu'elle n'aurait agi que sous la contrainte (voir arrêts Hoechst/Commission, précité, point 358, et Tréfileurope/Commission, précité, points 58, 71 et 178).
Appréciation du Tribunal
108. Il convient de déterminer si la requérante a prouvé à suffisance de droit son allégation selon laquelle elle a été contrainte par des entreprises membres du GEP Carton à participer aux réunions des organes de cette association, et notamment à celles du PWG.
109. A cet égard, les déclarations de MM. Bannermann et Lemaire émanent de personnes ayant occupé des fonctions de direction au sein du groupe Cascades durant la période visée par l'article 1er de la décision. Elles ne peuvent donc constituer en soi, sauf à être étayées par d'autres éléments, la preuve de l'effectivité de la contrainte alléguée.
110. La contrainte qui aurait été exercée contre la requérante est relatée en termes très généraux par M. Lemaire.
111. A propos d'une réunion privée à laquelle M. Bannermann et lui-même ont été conviés, il déclare (point 6 de la déclaration):
"[...] les autres producteurs nous ont indiqué qui si Cascades poursuivait la politique agressive qu'elle menait alors, son attitude provoquerait une guerre terrible sur le marché européen. Selon eux, Cascades ne pourrait jamais gagner cette guerre et serait exclue du marché. Ils ont suggéré que Cascades ferait mieux de coopérer avec eux."
112. Quant à M. Bannermann, il soutient que les entreprises concurrentes de la requérante ont mené, sur la base d'une concertation et jusqu'à ce que la requérante se fût jointe au GEP Carton au milieu de l'année 1986, une guerre des prix exclusivement dirigée contre elle. Il indique notamment (point 10 de la déclaration) que, à la fin d'une réunion tenue en février ou en mars 1986 entre les représentants de Cascades et des dirigeants de trois de ses principaux concurrents (KNP, Finnboard et Feldmühle ou Mayr-Melnhof), le président de Finnboard a déclaré, à propos de la politique commerciale menée par la requérante: "Si vous continuez comme ça, nous allons vous enterrer." Il précise: "Même si les deux autres personnes présentes sont restées silencieuses, il était clair, dans notre esprit, que nos interlocuteurs formaient un bloc et que les paroles prononcées par M. Köhler [de Finnboard] reflétaient la position commune des trois participants."
113. M. Bannermann souligne en ce qui concerne la prétendue pratique de sous-cotation des prix menée contre la requérante (point 12 de la déclaration):
"Mon impression était alors qu'une véritable 'guerre des prix' était menée contre Cascades et que les autres producteurs intervenaient à tour de rôle afin de partager les efforts financiers que cette 'guerre' impliquait."
114. Enfin, il conclut (point 17 de la déclaration):
"J'ai donc accepté de participer aux réunions du PWG afin d'éviter des représailles de la part des autres producteurs et assurer ainsi la survie des cartonneries de notre groupe en Europe."
115. Le Tribunal considère que les déclarations en cause, qui attesteraient d'ailleurs, si les faits relatés étaient établis, que la requérante avait pleinement connaissance de l'illégalité du comportement des entreprises concernées, ne constituent pas en soi la preuve de l'existence d'une contrainte quelconque exercée sur la requérante. En effet, la preuve d'une telle contrainte ne peut être constituée par de simples allégations.
116. Il importe à cet égard de remarquer que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante n'a pas admis les faits exposés dans la communication des griefs ni invoqué l'argument tiré de la contrainte.
117. Dans ce document (p. 5), la requérante avait déclaré que sa tentative de pénétrer le marché européen s'était heurtée à une réaction violente des producteurs scandinaves et avait précisé:
"Cette tentative de pénétration du marché s'est heurtée à une réaction violente des grands producteurs scandinaves.
C'est la raison pour laquelle Cascades La Rochette a été écartée des réunions du PG Paperboard entre 1986 et 1987 [...]
Cette mise à l'index s'est accompagnée d'une tentative d'éviction du marché par les producteurs en place."
118. Il ressort donc dudit document que les autres producteurs ont cherché à tenir la requérante à l'écart des organes du GEP Carton et non à la contraindre à participer à ces organes afin d'assurer la surveillance, voire le contrôle, de son comportement sur le marché. Cependant, la réalité d'une exclusion de la requérante des réunions du GEP Carton en 1986 et en 1987 n'est pas confirmée par les déclarations de MM. Lemaire et Bannermann.
119. En conséquence, les explications détaillées des raisons pour lesquelles la requérante a participé aux organes du GEP Carton, fournies pour la première fois devant le Tribunal, n'apparaissent pas conformes à celles fournies lors de la procédure administrative devant la Commission, ce qui ne peut qu'affaiblir, dans les circonstances de l'espèce, le caractère probatoire des déclarations produites par la requérante.
120. En ce qui concerne l'allégation de M. Bannermann selon laquelle la contrainte aurait consisté en l'offre de prix inférieurs à ceux que la requérante proposait à ses clients, il convient de relever qu'une politique agressive en matière de prix menée par des entreprises concurrentes ne peut être considérée comme une forme de contrainte exercée contre une autre entreprise et destinée à lui faire adopter un comportement déterminé à l'avenir qu'à la condition qu'il soit établi que cette politique est le fruit d'une concertation entre les entreprises qui la mettent en œuvre.
121. Or, si M. Bannermann déclare que la pression subie par la requérante pouvait être le fait d'une entente illicite entre des producteurs concurrents réunis au sein du GEP Carton, ni la preuve d'une offre systématique de prix inférieurs à ceux proposés à ses clients, ni celle d'une entente entre les entreprises concurrentes n'a cependant été apportée par la requérante.
122. En tout état de cause, un indice de l'existence de pressions illicites aurait pu être aisément constituée par la dénonciation de tels agissements auprès des autorités compétentes et par l'introduction auprès de la Commission d'une plainte en application de l'article 3 du règlement n° 17. Or, en l'espèce, la requérante a participé aux réunions de certains organes du GEP Carton, notamment du PWG, pendant la période allant du milieu de l'année 1986 jusqu'à avril 1991 sans jamais avoir dénoncé la prétendue contrainte dont elle aurait été victime. En revanche, elle a toujours, ce qu'elle ne conteste pas, annoncé sur les différents marchés nationaux des augmentations de prix correspondant à celles convenues entre les entreprises réunies au sein des organes du GEP Carton et opéré ces augmentations aux dates fixées par ceux-ci (voir tableaux A à H annexés à la décision).
123. Dans ces conditions, ses allégations relatives, d'une part, au rôle passif qu'elle aurait joué au sein du GEP Carton et, d'autre part, à la politique de prix indépendante qu'elle aurait menée sont dénuées de pertinence. Au contraire, eu égard à sa participation assidue aux réunions du PWG et du JMC (voir tableaux 2 et 4 annexés à la décision), dont elle ne conteste pas l'objet anticoncurrentiel, rien ne permet de considérer qu'elle n'a été qu'un participant récalcitrant à l'infraction, agissant sous la contrainte.
124. Quant à la déclaration de Stora (annexe 39 à la communication des griefs) invoquée par la requérante, elle confirme la prétendue "guerre des prix" déclenchée par la requérante après son arrivée sur le marché européen.
125. Stora indique en effet (point 2 de l'annexe):
"Cascades a fait son entrée sur le marché européen en 1985 avec l'acquisition de la cartonnerie La Rochette et a tenté de gagner des parts de marché en Europe. La réaction consécutive des autres fabricants a entraîné des baisses significatives de prix au cours de cette période. Les tentatives destinées à stopper la chute des prix n'ont eu aucun succès; les prix ont de nouveau chuté en 1987 (de 10 %)."
126. Cependant, cette déclaration ne relate pas que les entreprises réunies au sein du GEP Carton se sont concertées pour contraindre la requérante à adopter un comportement déterminé sur le marché. Elle ne conforte donc pas les allégations de la requérante.
127. Il s'ensuit que, sans qu'il y ait lieu d'entendre comme témoins MM. Lemaire et Bannermann, il doit être constaté que la requérante n'a pas apporté la preuve de la contrainte dont elle aurait été l'objet.
128. Au vu de ce qui précède et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments, le moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré d'une absence d'imputabilité à Cascades du comportement de Duffel et de Djupafors antérieur à l'acquisition de ces entreprises
Arguments des parties
129. La requérante relève, en premier lieu, que la Commission a exposé dans la décision des critères relatifs, dans les cas de succession, à la responsabilité du comportement dont les entreprises transférées ont fait preuve antérieurement à la succession.
130. Selon le point 145, premier et deuxième alinéas, des considérants de la décision, la responsabilité d'un tel comportement devrait être attribuée:
- à la société transférée, lorsque la décision aurait été adressée à cette société en l'absence de transfert et qu'il existe une continuité fonctionnelle et économique de la société transférée;
- à la société cédante, lorsque la décision aurait été adressée à la société-mère du groupe cédant en l'absence de transfert.
131. Quant au point 145, troisième alinéa, des considérants, selon lequel, "si la filiale transférée reste membre de l'entente, c'est en fonction des circonstances particulières qu'il sera décidé si la décision relative à cette participation doit être adressée à cette filiale en son nom propre ou à la nouvelle société-mère", il se référerait uniquement au comportement postérieur à l'acquisition.
132. La requérante en déduit, en ce qui concerne le comportement antérieur à l'acquisition, que la décision aurait dû être adressée aux deux filiales en vertu des critères retenus au point 145, premier alinéa, des considérants de la décision.
133. Elle fait valoir, en second lieu, que la motivation de la décision est sur ce point insuffisante ou, à tout le moins, contradictoire. A cet égard, la communication des griefs aurait comporté une motivation analogue à celle de la décision et la requérante aurait, dans sa réponse à cette communication, indiqué les raisons pour lesquelles elle estimait que la Commission n'avait pas correctement appliqué les critères qu'elle avait elle-même établis. Dans ces conditions, la Commission aurait dû préciser la motivation relative à l'imputabilité à la requérante du comportement des deux filiales avant leur acquisition (arrêt du Tribunal du 28 avril 1994, AWS Benelux/Commission, T-38-92, Rec. p. II-211).
134. L'interprétation du point 143 des considérants de la décision, exposée par la Commission dans son mémoire en défense, selon laquelle ce point viserait la situation dans laquelle plusieurs sociétés d'un même groupe ont participé à une infraction, situation qui ne serait donc pas visée par le point 145 des considérants, ne trouverait aucune expression dans le libellé de la décision.
135. En outre, le point 147 des considérants de la décision viserait la situation spécifique de la requérante. Il se référerait, dans sa première partie, aux critères énoncés au point 145 des considérants, alors que sa dernière phrase, bien que comportant une référence au point 143 des considérants, ne contiendrait aucune justification de la position de la Commission.
136. L'article 1er de la décision devrait donc être partiellement annulé, dans la mesure où la participation à l'infraction de Duffel et de Djupafors est imputée à la requérante pour la période précédant leur acquisition par celle-ci.
137. La Commission soutient qu'elle a correctement appliqué les critères qu'elle s'est imposés dans la décision, car elle a fait application du critère retenu au point 143 des considérants de la décision selon lequel la décision a été adressée à la société-mère d'un groupe lorsque, notamment, plusieurs sociétés du groupe ont participé à l'infraction. Le point 145 des considérants se référant expressément aux principes mentionnés aux points 143 et 144 des considérants, il ne pourrait être interprété contrairement à ces principes.
138. La Commission estime, en outre, que la décision a été dûment motivée en ce qui concerne l'imputabilité à la requérante du comportement de ses deux filiales avant leur acquisition par elle. En effet, la dernière phrase du point 147 des considérants de la décision se référerait expressément au point 143 des considérants relatif aux situations dans lesquelles plusieurs sociétés d'un même groupe ont participé à l'infraction.
Appréciation du Tribunal
139. L'argumentation de la requérante doit être comprise en ce sens qu'elle vise à contester tant la motivation que le bien-fondé de la décision relativement à l'imputation à la requérante du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel antérieur à leur acquisition. Il convient donc, en premier lieu, d'examiner la motivation de la décision sur ce point et de vérifier si la Commission a correctement appliqué les critères retenus dans la décision à l'égard de la requérante. En second lieu, sera examiné le bien-fondé de la décision relativement à l'imputation à la requérante du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel antérieur à leur acquisition.
140. Il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre l'exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée. Le caractère suffisant d'une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications. Pour remplir les fonctions précitées, une motivation suffisante doit faire apparaître, d'une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé. Lorsque, comme en l'espèce, une décision d'application des articles 85 ou 86 du traité concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d'imputabilité de l'infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l'égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d'entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction(voir, notamment, arrêt AWS Benelux/Commission, précité, point 26).
141. En l'espèce, les points 140 à 146 des considérants de la décision exposent de manière suffisamment claire les critères généraux sur lesquels la Commission s'est fondée pour déterminer les destinataires de ladite décision.
142. Selon le point 143, la Commission a en principe adressé la décision à l'entité mentionnée dans la liste des membres du GEP Carton, sauf:
"1) lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe [avaient] participé à l'infraction
ou
2) lorsqu'il [existait] des preuves précises impliquant la société mère dans la participation de la filiale à l'entente, [cas dans lesquels] la décision a été adressée au groupe (représenté par la société-mère)".
143. La requérante admet que la Commission a pu la tenir pour responsable du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel postérieur à leur acquisition, en application du critère selon lequel la décision devait être adressée au groupe, représenté par la société-mère, lorsque plusieurs sociétés de ce groupe avaient participé à l'infraction.
144. En ce qui concerne les hypothèses de transfert de sociétés, la Commission a déterminé les destinataires de la décision sur la base des critères énoncés au point 145 des considérants de la décision:
"En application des principes mentionnés ci-dessus, dans les cas où, s'il n'y avait pas eu acquisition, la procédure aurait normalement été adressée à la filiale, celle-ci continue à assumer la responsabilité de son comportement antérieur au transfert. [...]
Par ailleurs, lorsqu'une société-mère ou un groupe qui sont eux-mêmes considérés comme parties à l'infraction transfère une filiale vers une autre entreprise, la responsabilité pour la période antérieure à la date du transfert n'est pas assumée par l'acquéreur, mais par le premier groupe.
Dans les deux cas, si la filiale transférée reste membre de l'entente, c'est en fonction des circonstances particulières qu'il sera décidé si la décision relative à cette participation doit être adressée à cette filiale en son nom propre ou à la nouvelle société-mère."
145. Le Tribunal estime que cette motivation expose de manière suffisamment claire que le groupe acquéreur d'une société ayant participé à titre individuel à l'infraction doit être destinataire de la décision lorsque plusieurs autres sociétés de ce groupe ont également pris part à l'infraction commise par ladite société.
146. L'affirmation, contenue au point 145, premier alinéa, des considérants, selon laquelle la société transférée "continue à assumer la responsabilité de son comportement antérieur au transfert" ne remet pas en cause le raisonnement de la Commission.
147. Elle ne saurait être comprise comme signifiant que la décision devait être adressée à la société transférée pour ce qui est du comportement antérieur à son transfert. En effet, une lecture d'ensemble des deux premiers alinéas du point 145 des considérants fait apparaître que le premier alinéa vise la question de savoir si la responsabilité du comportement de la société transférée antérieur au transfert continue d'être assumée par cette société ou si cette responsabilité doit être assumée par le groupe cédant.
148. Dès lors, dans l'hypothèse d'une société ayant, avant son transfert, participé à titre individuel à l'infraction, la détermination du destinataire de la décision, à savoir la société transférée ou la nouvelle société-mère, dépend des seuls critères énoncés au point 143 des considérants de la décision.
149. Cette interprétation est corroborée par le point 147 des considérants de la décision qui expose la situation individuelle de la requérante. Il est indiqué que "pour ce qui est de la participation à l'infraction de toutes les activités 'carton' de Cascades, il convient d'adresser la présente décision au groupe Cascades, représenté par Cascades SA (considérant 143)".
150. Cette interprétation est conforme au libellé de la communication des griefs.
151. Dans ce document, la Commission a expliqué (p. 91 et 92) que la procédure était adressée, en principe, à l'entité mentionnée dans la liste des membres du GEP Carton, mais qu'elle était toutefois adressée au groupe (représenté par la société-mère) notamment lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe avaient participé à l'infraction.
152. Quant aux hypothèses de transfert de sociétés, la communication des griefs indique (p. 92):
"[...] lorsqu'une filiale, qui a participé à titre individuel au cartel, est achetée par une autre entreprise, la responsabilité de sa conduite avant le transfert est transférée avec l'acquisition."
153. Cette indication fait clairement apparaître que, dans une situation comme celle du cas d'espèce, la responsabilité du comportement d'une société transférée avant le transfert suit la société transférée. En revanche, l'indication en cause ne prenant pas position sur la question de savoir si la procédure doit être adressée à la société transférée ou à la nouvelle société-mère, la réponse à cette question doit nécessairement être apportée conformément aux critères généraux retenus pour déterminer si la société-mère doit être tenue pour responsable du comportement de ses filiales.
154. Il ressort donc clairement de la communication des griefs que la procédure était adressée à la requérante également pour ce qui était du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel avant leur acquisition, en application du critère tiré de la participation à l'infraction de plusieurs sociétés d'un même groupe.
155. Par ailleurs, contrairement à ce que la requérante a affirmé dans ses écritures, elle n'a pas soutenu dans sa réponse à la communication des griefs que, en vertu des critères retenus dans celle-ci, la procédure devait être adressée à ses filiales Duffel et Djupafors pour ce qui était de leur comportement infractionnel antérieur à leur acquisition. Elle s'est en réalité bornée, sans contester le bien-fondé des critères généraux retenus par la Commission à l'égard des hypothèses de transfert, à soutenir que les anciennes sociétés mères des deux sociétés en cause étaient impliquées dans la participation à l'infraction de leurs anciennes filiales, de sorte que la procédure aurait dû leur être adressée. Elle n'a cependant pas réitéré cette argumentation dans ses écritures devant le Tribunal.
156. Le point 145 des considérants de la décision devant être interprété à la lumière de l'économie générale de la décision et à celle de la communication des griefs, laquelle est libellée avec suffisamment de clarté (voir, dans le même sens, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73, 55-73, 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, point 230), il doit être conclu, d'une part, que la Commission n'a pas, en adressant la décision à la requérante pour ce qui est du comportement de Djupafors et de Duffel pendant toute la durée de leur participation à l'infraction constatée, fait une application erronée des critères qu'elle s'était imposés à elle-même dans la décision et, d'autre part, qu'elle n'a pas violé l'obligation de motivation prévue par l'article 190 du traité. Il convient d'ajouter que, vu le contenu de la réponse de la requérante à la communication des griefs, la Commission n'était pas tenue d'expliquer plus avant dans la décision les raisons pour lesquelles la requérante devait être considérée comme responsable du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel avant leur acquisition.
157. Enfin, pour ce qui est du bien-fondé de l'imputation à la requérante du comportement infractionnel de Djupafors et de Duffel antérieur à leur acquisition, il suffit de relever qu'il est constant que, à la date de l'acquisition de ces deux sociétés, ces dernières participaient à une infraction à laquelle la requérante prenait également part par le biais des sociétés Cascades La Rochette et Cascades Blendecques.
158. Dans ces conditions, la Commission a pu imputer à la requérante le comportement de Djupafors et de Duffel pour la période précédant et pour la période suivant leur acquisition par la requérante. Il incombait à la requérante, en sa qualité de société-mère, de prendre à l'égard de ses filiales toute mesure destinée à empêcher la poursuite de l'infraction dont elle n'ignorait pas l'existence.
159. Au vu de ce qui précède, le présent moyen doit être rejeté.
Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant
Sur les moyens tirés, d'une part, des effets limités de l'infraction et, d'autre part, du caractère excessif du niveau général des amendes
Arguments des parties
160. La requérante soutient que, compte tenu de la gravité limitée de l'infraction dénoncée, le niveau général des amendes est excessif.
161. En premier lieu, elle renvoie aux critères retenus par la Commission au point 168 des considérants de la décision afin de déterminer le niveau général de l'amende, ainsi qu'à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. Quant à son objet et à sa nature, l'infraction dénoncée en l'espèce serait comparable aux infractions mises en cause dans les décisions 86-398-CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.149 - Polypropylène) (JO L. 230, p. 1, ci-après "décision Polypropylène"), et 89/190/CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.865 - PVC) (JO 1989, L. 74, p. 1, ci-après "décision PVC"). Le montant général des amendes retenu dans ces dernières affaires se serait élevé à, respectivement, environ 4 % et moins de 1 % de la valeur du marché, alors que, en l'espèce, le montant global des amendes s'élèverait à 5,3 % de la valeur du marché. Si la Commission est en droit d'élever le niveau général des amendes, sa pratique décisionnelle antérieure fournirait néanmoins une indication du niveau normal des amendes.
162. La requérante fait valoir, en second lieu, que, afin d'apprécier la gravité de l'infraction et de déterminer ainsi le niveau général des amendes, la Commission a été obligée de prendre en considération les effets concrets de l'infraction sur le marché (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-80, 101-80, 102-80 et 103-80, Rec. p. 1825, points 105 à 107). Dès lors, il y aurait lieu de rechercher si l'infraction a entraîné une distorsion des conditions du marché.
163. S'agissant des effets éventuels de la collusion sur les prix, la requérante admet qu'il y a effectivement eu une concertation sur les prix annoncés et que l'effet d'annonce recherché a été atteint. Toutefois, en raison des caractéristiques structurelles et conjoncturelles du marché du carton durant la période en cause, le niveau des prix n'aurait pas été différent de celui qui aurait été atteint en l'absence de toute collusion. Sur ce point, la requérante se réfère aux conclusions du rapport de London Economics (ci-après "rapport LE"), étude économique réalisée, aux fins de la procédure devant la Commission, pour le compte de plusieurs entreprises destinataires de la décision. Elle ajoute que la Commission n'a pas pris en considération la concurrence exercée par des produits interchangeables, alors que cette concurrence aurait considérablement limité la marge de manœuvre en matière de prix des participants à l'entente.
164. Elle conteste l'argumentation de la Commission, développée aux points 135 à 138 des considérants de la décision, selon laquelle la concertation sur les prix annoncés aurait nécessairement eu un effet sensible sur les prix effectivement pratiqués sur le marché.
165. Pour ce qui est des effets concrets de la collusion sur les parts de marché, la requérante conteste également leur existence. Le fait qu'elle ait elle-même acquis, au cours de la période en cause, une part du marché de 6,5 % démontrerait clairement l'absence de tels effets, même si cette augmentation était due au rachat d'unités de production.
166. La Commission rappelle qu'elle est en droit d'élever le niveau général des amendes (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité) et qu'une comparaison avec le niveau général des amendes dans les décisions Polypropylène et PVC est donc sans pertinence.
167. Elle ne serait pas tenue de prendre en considération les effets concrets de l'infraction, afin d'apprécier la gravité de l'infraction et de fixer le montant des amendes, dès lors qu'il est établi que la concertation a eu un objectif anticoncurrentiel (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12-89, Rec. p. II-907, point 310, ICI/Commission, T-13-89, Rec. p. II-1021, point 386, et du 6 avril 1995, Boël/Commission, T-142-89, Rec. p. II-867, point 122).
168. De plus, comme rappelé au point 115 des considérants de la décision, les augmentations de prix nettes auraient suivi étroitement, avec un certain retard, les augmentations de prix annoncées. Cela aurait même été expressément reconnu, pour ce qui est des années 1988 et 1989, par l'auteur du rapport LE sur lequel se fonde la requérante. Or, la Commission serait en droit de prendre en considération de tels effets d'une entente ayant un objet anticoncurrentiel (voir, par exemple, arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, points 276 à 284, et du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, points 359 à 364). Par ailleurs, elle n'aurait jamais prétendu que les augmentations de prix annoncées ont toujours été appliquées avec le montant global de la majoration proposée pour tous les clients et au même moment (point 115 des considérants de la décision).
169. Au surplus, les raisons pour lesquelles la concertation en cause a nécessairement eu un effet sensible sur les conditions du marché auraient été dûment exposées aux points 135 à 138 des considérants de la décision. Il n'y aurait d'ailleurs aucune raison de douter de l'appréciation des participants à l'entente, qui considéraient celle-ci comme une réussite (point 137 des considérants).
170. S'agissant de la collusion sur les parts de marché, la Commission rappelle que la requérante n'a acquis sa part de marché que par l'acquisition des unités de production existantes et que la part de marché obtenue correspond à celle des unités acquises. Dans ces conditions, la requérante ne pourrait prétendre que l'acquisition de cette part de marché démontre que la collusion sur les parts de marché était restée sans effet concret.
Appréciation du Tribunal
171. Les arguments de la requérante sont présentés, dans ses écritures, dans le cadre du moyen tiré des effets limités de l'infraction. Toutefois, ils comprennent en réalité deux moyens distincts, lesquels seront examinés séparément.
- Sur les effets de l'infraction
172. Selon le point 168, septième tiret, des considérants de la décision, la Commission a déterminé le montant général des amendes en prenant notamment en considération le fait que l'entente a "largement réussi à atteindre ses objectifs". Il est constant qu'une telle considération se réfère aux effets sur le marché de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision.
173. Aux fins du contrôle de l'appréciation portée par la Commission sur les effets de l'infraction, le Tribunal estime qu'il suffit d'examiner celle portée sur les effets de la collusion sur les prix. En effet, en premier lieu, il ressort de la décision que la constatation relative à la large réussite des objectifs est essentiellement fondée sur les effets de la collusion sur les prix. Si ces effets sont analysés aux points 100 à 102, 115, et 135 à 137 des considérants de la décision, la question de savoir si la collusion sur les parts de marché et celle sur les temps d'arrêt ont eu des effets sur le marché n'y fait, en revanche, l'objet d'aucun examen spécifique.
174. En second lieu, l'examen des effets de la collusion sur les prix permet, en tout état de cause, d'apprécier également si l'objectif de la collusion sur les temps d'arrêt a été atteint, puisque celle-ci visait à éviter que les initiatives concertées en matière de prix soient compromises par un excédent d'offre.
175. En troisième lieu, s'agissant de la collusion sur les parts de marché, la Commission ne soutient pas que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG avaient pour objectif le gel absolu de leurs parts de marché. Selon le point 60, deuxième alinéa, des considérants de la décision, l'accord sur les parts de marché n'était pas figé, "mais périodiquement adapté et renégocié". Au vu de cette précision, il ne saurait donc être reproché à la Commission d'avoir estimé que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs sans avoir spécifiquement examiné dans la décision la réussite de cette collusion sur les parts de marché.
176. S'agissant de la collusion sur les prix, il ressort de la décision, ainsi que la Commission l'a confirmé lors de l'audience, qu'une distinction a été établie entre trois types d'effets. De plus, la Commission s'est fondée sur le fait que les initiatives en matière de prix ont été globalement considérées comme une réussite par les producteurs eux-mêmes.
177. Le premier type d'effets pris en compte par la Commission, et non contesté par la requérante, consiste dans le fait que les augmentations de prix convenues ont été effectivement annoncées aux clients. Les nouveaux prix ont ainsi servi de référence en cas de négociations individuelles des prix de transaction avec les clients (voir, notamment, points 100 et 101, cinquième et sixième alinéas, des considérants de la décision).
178. Le deuxième type d'effets consiste dans le fait que l'évolution des prix de transaction a suivi celle des prix annoncés. A cet égard, la Commission soutient que "les producteurs ne se contentaient pas d'annoncer les augmentations de prix convenues mais, à quelques exceptions près, [qu']ils prenaient également des mesures concrètes pour faire en sorte qu'elles soient effectivement imposées aux clients" (point 101, premier alinéa, des considérants de la décision). Elle admet que les clients ont parfois obtenu des concessions sur la date d'entrée en vigueur des augmentations ou des rabais ou réductions individuelles, notamment en cas de grosse commande, et que "l'augmentation nette perçue en moyenne après déduction des réductions, rabais et autres concessions était donc toujours inférieure au montant total de l'augmentation annoncée" (point 102, dernier alinéa, des considérants). Cependant, se référant à des graphiques contenus dans le rapport LE, elle affirme qu'il existait, au cours de la période visée par la décision, une "étroite relation linéaire" entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction exprimés en monnaies nationales ou convertis en écus. Elle en conclut: "Les augmentations nettes des prix obtenues suivaient étroitement les augmentations annoncées, fût-ce avec un certain retard. L'auteur du rapport a lui-même reconnu pendant l'audition qu'il en a été ainsi en 1988 et 1989." (Point 115, deuxième alinéa, des considérants.)
179. Il doit être admis que, dans l'appréciation de ce deuxième type d'effets, la Commission a pu à bon droit considérer que l'existence d'une relation linéaire entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction constituait la preuve d'un effet produit sur ces derniers par les initiatives en matière de prix, conformément à l'objectif poursuivi par les producteurs. En fait, il est constant que, sur le marché en cause, la pratique de négociations individuelles avec les clients implique que les prix de transaction ne sont, en général, pas identiques aux prix annoncés. Il ne saurait donc être escompté que les augmentations des prix de transaction soient identiques aux augmentations de prix annoncées.
180. En ce qui concerne l'existence même d'une corrélation entre les augmentations de prix annoncées et celles des prix de transaction, la Commission s'est référée à juste titre au rapport LE, celui-ci constituant une analyse de l'évolution des prix du carton pendant la période visée par la décision, fondée sur des données fournies par plusieurs producteurs.
181. Toutefois, ce rapport ne confirme que partiellement, dans le temps, l'existence d'une "étroite relation linéaire". En effet, l'examen de la période de 1987 à 1991 révèle trois sous-périodes distinctes. A cet égard, lors de l'audition devant la Commission, l'auteur du rapport LE a résumé ses conclusions de la manière suivante: "Il n'y a pas de corrélation étroite, même avec un décalage, entre l'augmentation de prix annoncée et les prix du marché, pendant le début de la période considérée, de 1987 à 1988. En revanche, une telle corrélation existe en 1988/1989, puis cette corrélation se détériore pour se comporter de façon plutôt singulière [oddly] sur la période 1990/1991" (procès-verbal de l'audition, p. 28). Il a relevé, en outre, que ces variations dans le temps étaient étroitement liées à des variations de la demande (voir, notamment, procès-verbal de l'audition, p. 20).
182. Ces conclusions orales de l'auteur sont conformes à l'analyse développée dans son rapport, et notamment aux graphiques comparant l'évolution des prix annoncés et l'évolution des prix de transaction (rapport LE, graphiques 10 et 11, p. 29). Force est donc de constater que la Commission n'a que partiellement prouvé l'existence de l'"étroite relation linéaire" qu'elle invoque.
183. Lors de l'audience, la Commission a indiqué avoir également pris en compte un troisième type d'effets de la collusion sur les prix consistant dans le fait que le niveau des prix de transaction a été supérieur au niveau qui aurait été atteint en l'absence de toute collusion. A cet égard, la Commission, soulignant que les dates et l'ordre des annonces des augmentations de prix avaient été programmés par le PWG, estime dans la décision qu'"il est inconcevable que, dans ces conditions, ces annonces concertées n'aient eu aucun effet sur le niveau réel des prix" (point 136, troisième alinéa, des considérants de la décision). Toutefois, le rapport LE (section 3) a établi un modèle permettant de prévoir le niveau de prix résultant des conditions objectives du marché. Selon ce rapport, le niveau des prix, tels que déterminés par des facteurs économiques objectifs durant la période de 1975 à 1991, aurait évolué, avec des variations négligeables, de manière identique à celui des prix de transaction pratiqués, y compris pendant la période retenue par la décision.
184. Malgré ces conclusions, l'analyse faite dans le rapport ne permet pas de constater que les initiatives concertées en matière de prix n'ont pas permis aux producteurs d'atteindre un niveau des prix de transaction supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence. A cet égard, comme l'a souligné la Commission lors de l'audience, il est possible que les facteurs pris en compte dans ladite analyse aient été influencés par l'existence de la collusion. Ainsi, la Commission a fait valoir à bon droit que le comportement collusoire a, par exemple, pu limiter l'incitation pour les entreprises à réduire leurs coûts. Or, elle n'a invoqué l'existence d'aucune erreur directe dans l'analyse contenue dans le rapport LE et n'a pas davantage présenté ses propres analyses économiques de l'hypothétique évolution des prix de transaction en l'absence de toute concertation. Dans ces conditions, son affirmation selon laquelle le niveau des prix de transaction aurait été inférieur en l'absence de collusion entre les producteurs ne saurait être entérinée.
185. Il s'ensuit que l'existence de ce troisième type d'effets de la collusion sur les prix n'est pas prouvée.
186. Les constatations qui précèdent ne sont en rien modifiées par l'appréciation subjective des producteurs sur laquelle la Commission s'est fondée pour considérer que l'entente avait largement réussi à atteindre ses objectifs. Sur ce point, la Commission s'est reportée à une liste de documents qu'elle a fournie lors de l'audience. Or, à supposer même qu'elle ait pu fonder son appréciation de l'éventuelle réussite des initiatives en matière de prix sur des documents faisant état des sentiments subjectifs de certains producteurs, force est de constater que plusieurs entreprises, dont la requérante, ont à juste titre fait référence à l'audience à de nombreux autres documents du dossier faisant état des problèmes rencontrés par les producteurs dans la mise en œuvre des augmentations de prix convenues. Dans ces conditions, la référence faite par la Commission aux déclarations des producteurs eux-mêmes n'est pas suffisante pour conclure que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs.
187. Au vu des considérations qui précèdent, les effets de l'infraction relevés par la Commission ne sont que partiellement prouvés. Le Tribunal analysera la portée de cette conclusion dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée en l'espèce (voir ci-après point 194).
- Sur le niveau général des amendes
188. Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité des amendes de 1 000 écus au moins et de 1 000 000 écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Le montant de l'amende est déterminé en considération à la fois de la gravité de l'infraction et de sa durée. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-1611, point 54).
189. En l'espèce, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte de la durée de l'infraction (point 167 des considérants de la décision), ainsi que des considérations suivantes (point 168 des considérants):
"- la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence,
- l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté,
- le marché communautaire du carton est un secteur économique important qui totalise chaque année quelque 2,5 milliards d'écus,
- les entreprises participant à l'infraction couvrent pratiquement tout le marché,
- l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté,
- des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres', etc.),
- l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs".
190. De plus, le Tribunal rappelle qu'il ressort d'une réponse de la Commission à une question écrite du Tribunal que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les "chefs de file" de l'entente et aux autres entreprises.
191. Il y a lieu de souligner, en premier lieu, que, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d'élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif. Par conséquent, le fait que la Commission a appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence(voir, notamment, arrêts précités Musique Diffusion française e.a./Commission, points 105 à 108, et ICI/Commission, point 385).
192. En second lieu, la Commission a soutenu à bon droit que, en raison des circonstances propres à l'espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la présente décision et ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en particulier, dans la décision Polypropylène, considérée par la Commission elle-même comme la plus comparable à celle du cas d'espèce. En effet, contrairement à l'affaire à l'origine de la décision Polypropylène, aucune circonstance atténuante générale n'a été prise en compte en l'espèce pour déterminer le niveau général des amendes. En outre, l'adoption de mesures visant à dissimuler l'existence de la collusion démontre que les entreprises concernées ont été pleinement conscientes de l'illégalité de leur comportement. Partant, la Commission a pu prendre en compte ces mesures lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction, car elles constituaient un aspect particulièrement grave de l'infraction de nature à la caractériser par rapport aux infractions antérieurement constatées par la Commission.
193. En troisième lieu, il convient de souligner la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité qui a été commise malgré l'avertissement qu'aurait dû constituer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, et notamment la décision Polypropylène.
194. Sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision justifient le niveau général des amendes fixé par la Commission. Le Tribunal a certes déjà constaté que les effets de la collusion sur les prix retenus par la Commission pour la détermination du niveau général des amendes ne sont que partiellement prouvés. Toutefois, à la lumière des considérations qui précèdent, cette conclusion ne saurait affecter sensiblement l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée. A cet égard, le fait que les entreprises ont effectivement annoncé les augmentations de prix convenues et que les prix ainsi annoncés ont servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels suffit, en soi, pour constater que la collusion sur les prix a eu tant pour objet que pour effet une grave restriction de la concurrence. Partant, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal considère que les constatations opérées au sujet des effets de l'infraction ne justifient aucune réduction du niveau général des amendes fixé par la Commission.
195. Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter les moyens tirés des effets limités de l'infraction et du caractère excessif du niveau général des amendes.
Sur le moyen tiré d'une absence de motivation adéquate de l'augmentation du niveau général des amendes
196. La requérante fait valoir que la décision comporte une élévation du niveau général des amendes d'environ 25 % par rapport aux décisions similaires antérieures, à savoir les décisions Polypropylène et PVC, et que, s'il est vrai que la Commission est en droit d'augmenter le niveau général des amendes, elle aurait dû indiquer, dans la décision, les raisons justifiant une telle élévation.
197. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, comme cela ressort de l'examen du moyen tiré du caractère excessif du niveau général des amendes (voir, en particulier, point 192 ci-dessus), ce niveau est justifié au regard des circonstances propres à l'espèce et ne saurait faire l'objet d'une comparaison directe avec les niveaux des amendes retenus dans le passé par la Commission. Force est donc de constater que, en fixant ce niveau, la Commission ne s'est pas écartée de sa pratique décisionnelle antérieure de manière telle qu'elle aurait dû motiver plus explicitement son appréciation de la gravité de l'infraction (voir, notamment, arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73-74, Rec. p. 1491, point 31).
198. Par suite, le moyen doit être rejeté.
Sur les moyens tirés, d'une part, d'une violation de l'obligation de motivation et, d'autre part, d'une qualification erronée de "chef de file" de la requérante
Argument des parties
199. La requérante rappelle qu'il ressort du point 170 des considérants de la décision que les entreprises considérées comme les "chefs de file" ont dû porter une responsabilité particulière, car "ce sont manifestement eux qui ont pris les principales décisions et qui ont été les moteurs de l'entente".
200. En premier lieu, cette motivation serait insuffisante pour justifier l'amende infligée. Les "moteurs de l'entente" auraient été les entreprises qui ont pris l'initiative de celle-ci, en ont défini la politique et en ont assuré le respect par les autres producteurs. Le seul fait de participer aux réunions du PWG ne suffirait pas pour attribuer un tel rôle. D'ailleurs, Weig n'aurait pas été considérée comme l'un des "chefs de file", en dépit de sa participation aux réunions du PWG à partir de 1988. La qualification de "chef de file" aurait été contestée par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs. Cependant, malgré les arguments et éléments de preuve invoqués, la décision n'aurait pas davantage précisé les motifs sur lesquels la Commission fondait cette allégation.
201. Quant à l'argument de la Commission selon lequel la différence entre les amendes (exprimées en pourcentage des chiffres d'affaires) infligées à la requérante et à Weig serait moindre, il devrait être rejeté. La requérante ne serait d'ailleurs pas en mesure de répondre à cet argument, puisque la décision ne fournirait pas d'indications précises sur le pourcentage du chiffre d'affaires utilisé afin de fixer le montant de l'amende infligée à chaque entreprise.
202. La requérante fait valoir en second lieu qu'il est, en tout état de cause, injustifié de lui attribuer un rôle de "chef de file". Son rôle aurait toujours été passif par rapport à l'organisation et au fonctionnement de l'entente et elle se serait toujours efforcée de poursuivre une politique de concurrence indépendante. Elle n'aurait jamais été la courroie de transmission des décisions prises au sein du PWG auprès des producteurs qui n'y étaient pas représentés.
203. Enfin, dans la mesure où la requérante aurait été regardée comme l'un des "chefs de file", au motif qu'elle aurait été l'"un des principaux producteurs", elle rappelle que sa part de marché n'a pas, au cours de la période en cause, dépassé 6,5 %. En revanche, les parts de marché des autres entreprises considérées comme les principaux producteurs auraient été comprises entre 10 et 20 %.
204. La Commission renvoie aux arguments invoqués dans le cadre du moyen tiré de l'absence d'imputabilité de l'infraction à la requérante (voir ci-dessus points 105 et 106).
205. Elle rappelle ensuite que Weig n'a pas été considérée comme l'un des "chefs de file", au motif qu'elle n'avait pas joué un rôle aussi important au sein du GEP Carton que les autres grands producteurs (point 170, troisième alinéa, des considérants de la décision). S'il est vrai que Weig n'a pas été considérée comme l'un des "chefs de file", la Commission aurait néanmoins tenu compte du fait qu'elle avait pris part aux réunions du PWG. L'amende imposée à Weig ne serait dès lors que légèrement inférieure à celle imposée à la requérante.
Appréciation du Tribunal
206. L'argumentation de la requérante a été présentée dans le cadre d'un seul moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation en ce qui concerne le montant de l'amende infligée. Cette argumentation comporte en réalité deux moyens distincts. Ils seront examinés séparément.
- Sur la motivation quant à la détermination des amendes individuelles
207. Lors de l'audience, la requérante s'est ralliée, notamment, à l'un des sujets traités dans le cadre de plaidoiries communes, à savoir celui consacré à la motivation de la décision quant à la détermination des amendes individuelles. Dans ses écritures devant le Tribunal, elle a fait valoir que la décision était insuffisamment motivée pour autant qu'elle qualifiait la requérante de "chef de file" de l'entente. Elle a toutefois souligné qu'il lui était impossible de répondre à certains arguments de la Commission, la décision ne contenant pas des indications sur les pourcentages du chiffre d'affaires retenus afin de déterminer le montant des amendes individuelles. Dans ces conditions, les arguments soulevés par la requérante lors de l'audience ne constituent qu'un développement de ceux déjà contenus dans ses écritures et ne doivent pas être considérés comme un moyen nouveau au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.
208. Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49-95, Rec. p. II-1799, point 51).
209. Pour ce qui est d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).
210. De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 59).
211. Dans la décision, les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 168 et 169 des considérants. En outre, pour ce qui est des amendes individuelles, la Commission explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des "chefs de file" de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des "membres ordinaires" de celle-ci. Enfin, aux points 171 et 172 des considérants, elle indique que les montants des amendes infligées à Rena et à Stora doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission et que huit autres entreprises peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs.
212. Dans ses écritures devant le Tribunal ainsi que dans sa réponse à une question écrite de celui-ci, la Commission a expliqué que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990. Des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % de ce chiffre d'affaires individuel ont ainsi été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les "chefs de file" de l'entente et aux autres entreprises. Enfin, la Commission a tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle. Deux entreprises ont bénéficié à ce titre d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes, tandis que d'autres entreprises ont bénéficié d'une réduction d'un tiers.
213. Il ressort, par ailleurs, d'un tableau fourni par la Commission et contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles que, si celles-ci n'ont pas été déterminées en appliquant de manière strictement mathématique les seules données chiffrées susmentionnées, lesdites données ont cependant été systématiquement prises en compte aux fins du calcul des amendes.
214. Or, la décision ne précise pas que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990. De plus, les taux de base appliqués de 9 et de 7,5 % pour calculer les amendes infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme des "chefs de file" et à celles considérées comme des "membres ordinaires" ne figurent pas dans la décision. N'y figurent pas davantage les taux des réductions accordées à Rena et à Stora, d'une part, et à huit autres entreprises, d'autre part.
215. En l'espèce, il y a lieu de considérer, en premier lieu, que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt Petrofina/Commission, précité, point 264).
216. Dans ce contexte, il convient de relever que, aux termes du point 170, premier alinéa, des considérants de la décision, "les 'chefs de file', c'est-à-dire les principaux fabricants de carton ayant pris part aux réunions du PWG (Cascades; Finnboard; [Mayr-Melnhof]; MoDo; Sarrió et Stora) doivent porter une responsabilité particulière, car ce sont manifestement eux qui ont pris les principales décisions et qui ont été les moteurs de l'entente".
217. De plus, la décision décrit amplement le rôle central du PWG dans l'entente (notamment, points 36 à 38 et points 130 à 132 des considérants).
218. Il apparaît ainsi que la décision contient une motivation suffisante des raisons pour lesquelles la requérante a été considérée par la Commission comme un "chef de file". Par ailleurs, la Commission déclare avoir tenu compte du fait que Weig ne semble pas avoir joué un rôle aussi important dans l'entente que les autres producteurs (point 170, troisième alinéa, des considérants), ce qui constitue une motivation suffisante de la raison pour laquelle la requérante et Weig n'ont pas été traitées de manière identique lors de la détermination du montant de leurs amendes.
219. En second lieu, lorsque le montant de chaque amende est, comme en l'espèce, déterminé sur la base de la prise en compte systématique de certaines données précises, l'indication, dans la décision, de chacun de ces facteurs permettrait aux entreprises de mieux apprécier, d'une part, si la Commission a commis des erreurs lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et, d'autre part, si le montant de chaque amende individuelle est justifié par rapport aux critères généraux appliqués. En l'espèce, l'indication dans la décision des facteurs en cause, soit le chiffre d'affaires de référence, l'année de référence, les taux de base retenus et les taux de réduction du montant des amendes, n'aurait comporté aucune divulgation implicite du chiffre d'affaires précis des entreprises destinataires de la décision, divulgation qui aurait pu constituer une violation de l'article 214 du traité. En effet, le montant final de chaque amende individuelle ne résulte pas, comme la Commission l'a elle-même souligné, d'une application strictement mathématique desdits facteurs.
220. La Commission a d'ailleurs reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer, dans la décision, les facteurs qui avaient été pris systématiquement en compte et qui avaient été divulgués pendant une conférence de presse tenue le jour même de l'adoption de cette décision. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et que des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61-89, Rec. p. II-1931, point 131, et, dans le même sens, arrêt Hilti/Commission, précité, point 136).
221. Malgré ces constatations, il doit être relevé que la motivation relative à la fixation du montant des amendes contenue aux points 167 à 172 des considérants de la décision est, au moins, aussi détaillée que celles contenues dans les décisions antérieures de la Commission portant sur des infractions similaires. Or, bien que le moyen tiré d'un vice de motivation soit d'ordre public, aucune critique n'avait, au moment de l'adoption de la décision, été soulevée par le juge communautaire quant à la pratique suivie par la Commission en matière de motivation des amendes infligées. Ce n'est que dans l'arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148-89, Rec. p. II-1063, point 142), et dans deux autres arrêts rendus le même jour, Société métallurgique de Normandie/Commission (T-147-89, Rec. p. II-1057, publication sommaire) et Société des treillis et panneaux soudés/Commission (T-151-89, Rec. p. II-1191, publication sommaire), que le Tribunal a, pour la première fois, souligné qu'il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.
222. Il s'ensuit que lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de la concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination.
223. Dans les circonstances particulières relevées au point 221 ci-dessus, et compte tenu du fait que la Commission s'est montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes, l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes ne doit pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une violation de l'obligation de motivation justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées.
224. Par conséquent, le présent moyen ne saurait être retenu.
- Sur la qualification de "chef de file" de la requérante
225. Il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas avoir participé aux réunions du PWG. Elle ne conteste pas non plus la réalité de l'objet essentiellement anticoncurrentiel du PWG ni celle des comportements anticoncurrentiels constatés par la Commission.
226. Dès lors, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de l'allégation de la Commission selon laquelle la requérante aurait informé les Papeteries de Lancey des décisions du PWG (voir point 38, cinquième alinéa, des considérants de la décision), il doit être constaté qu'elle a été qualifiée à juste titre de "chef de file" aux fins du calcul de l'amende.
227. Il convient de souligner qu'il n'est pas établi que la requérante n'a pas joué un rôle aussi important au sein du PWG que les autres entreprises considérées comme des "chefs de file" de l'entente (voir aussi ci-dessus points 122 et 123).
228. A cet égard, la requérante n'a pas fourni le moindre élément de preuve établissant qu'elle aurait toujours joué un rôle passif au sein du PWG. Dans ces conditions, la Commission était en droit, lors de la détermination du montant de l'amende, de la traiter différemment de Weig, car cette dernière avait communiqué à la Commission une déclaration du 22 mars 1993 établie par M. Roos, représentant de Feldmühle aux réunions du PWG (déclaration transmise à la requérante, pour d'éventuelles observations, par lettre de la Commission du 1er juin 1993), qui confirmait que Weig avait joué au sein du PWG un rôle moins important que celui des autres participants aux réunions de cet organe.
229. En retenant à l'égard de la requérante un taux de base de 9 % du chiffre d'affaires réalisé sur le marché communautaire du carton en 1990, la Commission ne l'a donc pas traitée de manière discriminatoire par rapport à Weig, pour laquelle un taux de base de 8 % a été retenu, selon le tableau fourni par la Commission (voir point 213 ci-dessus).
230. De plus, le fait qu'une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger. En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit.
231. En l'espèce, les éléments fournis par la requérante ne permettent pas de considérer que son comportement réel sur le marché a été susceptible de contrarier les effets anticoncurrentiels de l'infraction constatée.
232. Il est constant qu'elle a pris effectivement part aux initiatives concertées en matière de prix en annonçant sur le marché les augmentations de prix convenues. Elle a même été la première entreprise à annoncer, en France, les augmentations de prix de mars/avril 1988 et d'avril 1991 (voir tableaux B et G annexés à la décision).
233. Certes, elle allègue à juste titre qu'il ressort des annexes 109 et 117 à la communication des griefs que d'autres entreprises se sont plaintes des prix pratiqués par la requérante. Toutefois, de tels éléments de preuve concernant des exemples isolés d'un comportement agressif en matière de prix ne démontrent pas qu'elle s'est toujours comportée de manière indépendante sur le marché.
234. Il y a lieu de relever que la Commission admet expressément que certains clients ont obtenu des conditions favorables ou des remises par rapport aux prix annoncés (voir, notamment, point 101, dernier alinéa, des considérants de la décision). Les déclarations de certains clients, que la requérante invoque, déclarations selon lesquelles celle-ci se serait toujours efforcée d'offrir les conditions de prix les plus compétitives, ne démontrent donc aucunement un comportement contraire à celui convenu avec les autres entreprises.
235. De plus, la requérante a expressément admis dans ses écritures que, pendant la période visée par la décision, elle n'a augmenté sa part de marché que par le rachat d'unités de production. Rien ne permet donc de considérer que ses prix de transaction ont été sensiblement moins élevés que ceux des autres producteurs participant à la collusion sur les prix.
236. Au vu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que la requérante aurait été erronément qualifiée de "chef de file" de l'entente doit être également rejeté.
Sur le moyen tiré de l'existence de circonstances atténuantes
Arguments des parties
237. La requérante affirme que la Commission n'a pas, en fixant le montant de l'amende, dûment tenu compte de quatre circonstances atténuantes.
238. La première circonstance serait la contrainte exercée sur la requérante par les autres producteurs du secteur.
239. La deuxième serait la politique de libre concurrence poursuivie par elle.
240. La troisième serait sa coopération au cours de l'enquête. La Commission n'aurait pas été en droit de distinguer selon que l'entreprise concernée avait contesté ou non, au cours de la procédure administrative, les allégations de fait dirigées contre elle.
241. Une réduction de l'amende en contrepartie de la non-contestation des allégations de fait de la Commission risquerait d'aboutir à des décisions inexactes, puisque les entreprises seraient conduites à ne pas contester lesdites allégations, bien que possédant des éléments de preuve attestant leur inexactitude, simplement dans le dessein de bénéficier d'une réduction substantielle d'une éventuelle amende. Cela aboutirait à déplacer l'examen des faits du stade de la procédure devant la Commission à celui de la procédure devant le juge communautaire, ce qui contredirait manifestement la répartition des tâches prévue dans le traité.
242. La position adoptée par la Commission risquerait d'aboutir à des discriminations, étant donné les difficultés qui s'attachent à la détermination des entreprises qui n'ont pas contesté les allégations de fait de la Commission. S'interrogeant sur les raisons qui ont amené la Commission à traiter Sarrio comme une entreprise n'ayant pas contesté ses allégations de fait, la requérante affirme que le procès-verbal de l'audition devant la Commission démontre précisément les difficultés inhérentes à l'application d'un tel critère.
243. Des difficultés similaires ne s'attacheraient pas à un critère de coopération tiré de la contribution de l'entreprise, par la remise de preuves matérielles et tangibles, à l'instruction de l'affaire. Or, la requérante aurait fait preuve d'une telle coopération au cours de l'enquête, car elle aurait remis à la Commission toutes les pièces en sa possession et lui aurait communiqué des informations importantes, telles que les informations sur le nombre des réunions du PWG auxquelles elle avait participé.
La Commission aurait donc dû tenir compte de sa coopération lorsqu'elle a fixé le montant de l'amende.
244. Il importerait peu que les preuves transmises à la Commission aient fait partie des réponses de la requérante aux demandes de renseignements adressées par l'institution. En effet, comme le démontreraient les cas de Rena et de Stora, la Commission aurait décidé de réduire les amendes même lorsque des éléments de preuve avaient été fournis en réponse à des demandes au titre de l'article 11 du règlement n° 17.
245. La requérante ajoute qu'il ressort des points 30, 40, 93 et 170 des considérants de la décision que les éléments de preuve qu'elle a fournis ont joué un rôle déterminant dans l'établissement de l'infraction. A supposer même que lesdits éléments de preuve n'aient pas été déterminants, cela ne changerait rien au fait que la requérante a, en tout état de cause, coopéré avec la Commission dans l'établissement de l'infraction.
246. La requérante considère enfin qu'une quatrième circonstance atténuante a été omise. Elle rappelle que la Commission n'est certes pas, en général, obligée de tenir compte de la situation financière des entreprises auxquelles des amendes sont imposées (arrêt ICI/Commission, précité, point 372). Toutefois, selon elle, il devrait être tenu compte de la situation financière dans des circonstances telles que celles de l'espèce, où le paiement de l'amende imposée à la requérante risquerait de provoquer le dépôt de bilan de l'entreprise.
247. La Commission estime que les deux premières prétendues circonstances atténuantes ont déjà été réfutées dans le cadre des moyens tirés de l'absence d'imputabilité de la concertation à la requérante (voir ci-dessus points 105 et 106) et de la qualification erronée de "chef de file" de la requérante (voir ci-dessus points 204 et suivants).
248. S'agissant de la troisième circonstance invoquée, elle rappelle que la requérante n'a aucun intérêt à soutenir que la Commission n'était pas en droit, dans le calcul des amendes, de tenir compte de l'attitude coopérative des entreprises qui n'avaient pas contesté les allégations de fait de la Commission.
249. La défenderesse affirme qu'elle doit prendre en considération la coopération dont les entreprises ont fait preuve, dès lors que cette coopération a substantiellement facilité la constatation de l'infraction (arrêt ICI/Commission, précité, point 393). Or, la non-contestation des faits faciliterait, tout comme la fourniture d'éléments de preuve, l'établissement de l'infraction par la Commission.
250. La prise en considération de la non-contestation de faits de la part de certaines entreprises ne produirait aucune des conséquences graves évoquées par la requérante. Comme la décision le démontrerait, la Commission ne se serait pas fondée uniquement sur les aveux des entreprises visées par son enquête. En outre, le procès-verbal de l'audition devant la Commission ne contiendrait aucun élément confirmant les craintes de la partie requérante quant à des risques de discrimination.
251. En toute hypothèse, la Commission conteste que la requérante ait collaboré activement au cours de la procédure précontentieuse. Se référant aux motifs de la décision (points 40 à 102 des considérants), elle conteste également que les documents remis par la requérante aient été particulièrement utiles.
252. Enfin, la Commission ne serait pas tenue, lors de la fixation de l'amende, de tenir compte de la situation financière de l'entreprise en cause (arrêts de la Cour IAZ e.a./Commission, précité, points 54 et 55, et, dans le même sens, du 12 juillet 1984, Busseni/Commission, 81-83, Rec. p. 2951, point 22). Il s'agirait en revanche d'une circonstance à prendre en considération au stade du paiement de l'amende (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 135).
Appréciation du Tribunal
253. Pour ce qui est des deux premières circonstances invoquées par la requérante, il a déjà été constaté (voir ci-dessus points 108 et suivants et points 225 et suivants) que la requérante n'a pas prouvé, d'une part, qu'elle avait participé aux réunions des organes du GEP Carton uniquement sous la contrainte et, d'autre part, qu'elle s'était toujours efforcée de poursuivre une politique de libre concurrence.
254. S'agissant de la troisième circonstance invoquée, tirée d'une coopération de la requérante avec la Commission, il y a lieu de rappeler que, dans sa réponse à la communication des griefs, l'entreprise n'a admis le bien-fondé d'aucune des allégations de fait dirigées contre elle.
255. La Commission a estimé à bon droit que, en répondant de la sorte, la requérante ne s'est pas comportée d'une manière justifiant une réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt ICI/Commission, précité, point 393).
256. Une entreprise qui déclare expressément qu'elle ne conteste pas les allégations de fait sur lesquelles la Commission fonde ses griefs peut être considérée comme ayant contribué à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence. Dans ses décisions constatant une infraction à ces règles, la Commission est en droit de considérer un tel comportement comme constitutif d'une reconnaissance des allégations de fait et donc comme un élément de preuve du bien-fondé des allégations en cause. Dès lors, un tel comportement peut justifier une réduction de l'amende.
257. Il en est autrement lorsqu'une entreprise conteste dans sa réponse à la communication des griefs l'essentiel des allégations avancées par la Commission dans celle-ci, s'abstient de toute réponse ou déclare uniquement ne pas prendre position sur les allégations de fait avancées par la Commission. En effet, en adoptant une telle attitude lors de la procédure administrative, l'entreprise ne contribue pas à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence.
258. Par conséquent, lorsque la Commission déclare au point 172, premier alinéa, des considérants de la décision qu'elle a accordé des réductions des amendes infligées aux entreprises qui, dans leurs réponses à la communication des griefs, n'ont pas nié les principales allégations de fait invoquées par la Commission, force est de constater que ces réductions des amendes ne peuvent être considérées comme licites que dans la mesure où les entreprises concernées ont expressément déclaré qu'elles ne contestaient pas lesdites allégations.
259. A supposer même que la Commission ait appliqué un critère illégal en réduisant les amendes infligées à des entreprises qui n'avaient pas déclaré expressément qu'elles ne contestaient pas les allégations de fait, il convient de rappeler que le respect du principe d'égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 4 juillet 1985, Williams/Cour des comptes, 134-84, Rec. p. 2225, point 14). Dans la mesure où l'argumentation de la requérante tend précisément à ce que lui soit reconnu un droit à une réduction illégale de l'amende, elle ne saurait, par conséquent, être accueillie.
260. En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel elle aurait remis à la Commission toutes les pièces en sa possession et lui aurait communiqué des informations importantes, il convient de relever que la requérante admet qu'elle a communiqué les documents et informations en cause en réponse à des demandes de renseignements adressées en vertu de l'article 11 du règlement n° 17. Or, il est de jurisprudence constante qu'une coopération à l'enquête qui ne dépasse pas ce qui résulte des obligations qui incombent aux entreprises en vertu de l'article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement n° 17 ne justifie pas une réduction de l'amende (voir, par exemple, arrêt Solvay/Commission, précité, points 341 et 342).
261. La requérante ne saurait valablement soutenir que les réductions de l'amende accordées à Stora et à Rena démontrent qu'une coopération consistant en des réponses à des demandes de renseignements doit être prise en considération.
262. En effet, Stora a fourni à la Commission des déclarations comportant une description très détaillée de la nature et de l'objet de l'infraction, du fonctionnement des divers organes du GEP Carton et de la participation à l'infraction des différents producteurs. Par ces déclarations, Stora a fourni des renseignements allant bien au-delà de ceux dont la production peut être exigée par la Commission en vertu de l'article 11 du règlement n° 17.
263. S'agissant de Rena, la requérante n'a pas contesté l'indication, contenue au point 171, deuxième alinéa, des considérants de la décision, selon laquelle cette entreprise avait "remis volontairement à la Commission des documents importants".
264. Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission n'était pas tenue de réduire le montant de l'amende infligée à la requérante au titre d'une coopération lors de la procédure administrative.
265. Enfin, quant à la quatrième circonstance atténuante tirée de la prétendue incapacité de la requérante à payer l'amende qui lui est infligée, il suffit de constater qu'il appartient à la Commission de statuer, le cas échéant et compte tenu de la situation économique actuelle de l'entreprise, sur l'opportunité de délais de paiement ou de paiements échelonnés (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 135).
266. Le présent moyen doit donc être écarté.
267. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
268. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie) déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.