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Décisions

TPICE, 3e ch. élargie, 14 mai 1998, n° T-354/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Stora Kopparbergs Bergslags (AB)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Juges :

Mme Lindh, MM. Briët, Potocki, Cooke

Avocats :

Mes Riesenkampff, Freund, Lehr.

TPICE n° T-354/94

14 mai 1998

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

1. La présente affaire concerne la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-C-33.833 - Carton) (JO L. 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après "décision"). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2. Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Fédération, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après "BPIF"), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

3. Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

4. Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

5. A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

6. Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

7. En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

8. Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:

"Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard - the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

- dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

- dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

- dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

- dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

- se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

- ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

- ont planifié et mis en œuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

- se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

- ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en œuvre desdites augmentations de prix concertées,

- ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

[...]

xvii) Stora Kopparbergs Bergslags AB, une amende de 11 250 000 écus;

[...]"

9. Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé "Groupe d'étude de produit Carton" (ci-après "GEP Carton"), composé de plusieurs groupes ou comités.

10. Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un "Presidents Working Group" (ci-après "PWG") réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

11. Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en œuvre par les fabricants.

12. Le PWG faisait rapport à la "Président Conférence" (ci-après "PC") à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

13. A la fin de l'année 1987 a été créé le "Joint Marketing Committee" (ci-après "JMC"). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en œuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

14. Enfin, le comité économique (ci-après "COE") débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

15. Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

16. La requérante Stora Kopparbergs Bergslags AB (ci-après "Stora") était déjà propriétaire de Kopparfors, l'un des principaux fabricants européens de carton, lorsqu'elle a acquis, en 1990, le groupe papetier allemand Feldmühle-Nobel (ci-après "FeNo"), comprenant la cartonnerie Feldmühle (point 11 des considérants de la décision). A cette date, Feldmühle détenait déjà les Papeteries Béghin-Corbehem (ci-après "CBC").

17. Selon la décision, Feldmühle, Kopparfors et CBC ont participé à l'entente pendant toute la période couverte par la décision. En outre, Feldmühle et CBC auraient participé aux réunions du PWG.

18. Les anciennes cartonneries Kopparfors et Feldmühle ont été ultérieurement intégrées et forment à présent la division Billerud du groupe Stora.

19. Selon le point 158 des considérants de la décision: "Stora admet être responsable de la participation à l'infraction de ses filiales Feldmühle, Kopparfors et CBC, tant avant qu'après leur acquisition par le groupe." En outre, la Commission a considéré que la requérante était, à cause de la participation de Feldmühle et de CBC aux réunions du PWG, l'un des "chefs de file" et portait à ce titre une responsabilité particulière.

Procédure

20. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

21. Seize des dix-huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-295-94, T-301-94, T-304-94, T-308-94, T-309-94, T-310-94, T-311-94, T-317-94, T-319-94, T-327-94, T-334-94, T-337-94, T-338-94, T-347-94, T-348-94 et T-352-94).

22. La requérante dans l'affaire T-301-94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301-94, non publiée au Recueil).

23. Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339-94, T-340-94, T-341-94 et T-342-94).

24. Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312-94, non publiée au Recueil).

25. Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295-94, T-304-94, T-308-94, T-309-94, T-310-94, T-311-94, T-317-94, T-319-94, T-327-94, T-334-94, T-337-94, T-338-94, T-347-94, T-348-94, T-352-94 et T-354-94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.

26. Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-334-94.

27. Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337-94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.

28. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

29. Les parties dans les affaires mentionnées au point 25 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

30. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-annuler la décision en tant qu'elle la concerne;

-à titre subsidiaire, annuler ou réduire l'amende;

-condamner la défenderesse aux dépens.

31. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-rejeter le premier moyen comme irrecevable et subsidiairement comme non fondé;

-rejeter les autres moyens comme non fondés;

-condamner la requérante aux dépens de l'instance.

Sur la demande d'annulation de la décision

32. La requérante invoque un moyen unique tiré de ce qu'elle ne serait pas le bon destinataire de la décision.

Sur la recevabilité du moyen

Arguments des parties

33. La Commission souligne que la requérante a agi de manière à l'inciter à ne pas s'intéresser à d'éventuels destinataires de la décision autres qu'elle-même au cours de la procédure précontentieuse. De plus, la position adoptée par la requérante au cours de la procédure administrative lui aurait permis d'obtenir l'avantage d'une réduction très substantielle de l'amende. Compte tenu de ces circonstances, elle ne devrait pas être autorisée à renverser sa position devant le Tribunal. Une analogie pourrait être établie avec la maxime d'équité appliquée dans les pays de "common-law", selon laquelle la partie qui demande réparation doit se présenter avec les "mains propres".

34. La Commission relève que les premières lettres au titre de l'article 11 du règlement n° 17 n'ont pas été adressées à la requérante mais à trois autres sociétés du groupe. Cependant, la lettre du 19 août 1991 de l'avocat mandaté par la requérante ainsi que la réponse unique de la requérante du 30 août 1991 (annexes 34 et 35 à la communication des griefs) auraient présenté celle-ci comme l'interlocuteur représentant le groupe relativement à la procédure en cause. Ces deux documents sous-entendraient que la direction générale de la requérante avait décidé de coopérer avec la Commission et de ne pas se soucier de savoir qui était le bon destinataire de la procédure. Son but, d'ailleurs atteint, aurait donc été de conduire la Commission à la traiter favorablement en raison de son attitude coopérative.

35. La démarche de la requérante aurait été suivie d'effet, puisque toute la correspondance ultérieure lui aurait été adressée, y compris celle au titre de l'article 11 du règlement n° 17. Les réponses fournies par elle auraient confirmé l'impression dégagée de la correspondance initiale, car elle aurait continué à se présenter comme le bon destinataire de la procédure et, le cas échéant, de la décision finale.

36. C'est pourquoi la Commission aurait spécifié dans la communication des griefs, dont la requérante a été destinataire, que celle-ci admettait sa responsabilité pour le comportement de ses filiales (voir également point 158 des considérants de la décision). L'absence de commentaires sur cette affirmation dans la réponse à cette communication devrait donc, dans les circonstances de l'espèce, être considérée comme un véritable aveu.

37. Par ailleurs, le groupe Stora se serait toujours présenté à l'extérieur comme une entité commune agissant de manière uniforme. Le fait que la requérante se soit présentée comme l'interlocuteur unique de la Commission serait ainsi en parfaite conformité avec cette politique.

38. Enfin, le Tribunal aurait implicitement reconnu que, dans certaines conditions, une entreprise peut être liée par la position adoptée devant la Commission, de sorte qu'elle ne peut ensuite modifier cette position devant le Tribunal (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439).

39. La requérante conteste avoir, explicitement ou implicitement, reconnu être le bon destinataire de la décision. La Commission aurait correctement envoyé à ses filiales les premières lettres au titre de l'article 11 du règlement n° 17 et rien dans la réponse de la requérante à ces lettres n'aurait impliqué qu'elle répondait en son nom propre. Dans la lettre du 19 août 1991, son avocat aurait expressément indiqué qu'il agissait en tant que mandataire de la requérante et de ses filiales. La requérante aurait logiquement décidé que son service juridique devait, en raison du caractère particulier des affaires, coordonner le traitement des enquêtes engagées à l'encontre des différentes sociétés du groupe.

40. La requérante relève qu'elle n'était pas obligée de répondre à la communication des griefs. Dans sa réponse, elle aurait précisé qu'elle ne cherchait pas à commenter l'analyse juridique de la Commission. Elle aurait été en droit de limiter sa réponse à quelques points de fait et, dès lors, rien ne permettrait de conclure qu'elle avait, par cette approche, reconnu une responsabilité quelconque du chef des infractions alléguées.

Appréciation du Tribunal

41. Il est constant que la requérante n'a jamais expressément reconnu être le bon destinataire ni de la communication des griefs ni de la décision.

42. Il y a lieu de vérifier si elle a implicitement reconnu être le bon destinataire des actes en cause.

43. A cet égard, il convient de relever que, à la suite des demandes de renseignements adressées au titre de l'article 11 du règlement n° 17 notamment à plusieurs des filiales de la requérante, l'avocat de celle-ci a indiqué dans une lettre du 19 août 1991 adressée à la Commission (annexe 34 à la communication des griefs):

"Dans l'affaire susmentionnée, notre société a été chargée par Stora Kopparbergs Bergslags AB ('Stora') de la représenter, elle et ses différentes filiales, y compris les sociétés Billerud, Kopparfors et Feldmühle, qui produisent et fournissent du carton ; aux fins de la présente affaire, Stora et celles de ses filiales carton qui sont en cause seront dénommées Groupe Stora.

La direction de Stora m'a chargé d'informer la Commission qu'elle reconnaît la gravité des allégations d'infraction aux règles de la concurrence formulées dans les décisions de la Commission prises en application de l'article 14 du règlement n° 17 (pour enquêter sur place) et dans ses lettres émises en application de l'article 11 dudit règlement (demandes de renseignements), et qu'elle a commencé à contrôler les politiques et pratiques pertinentes des différentes filiales au sein du Groupe Stora. Les premiers résultats de ce contrôle ont amené Stora à conclure que des sociétés du Groupe Stora se sont livrées à certaines politiques et pratiques qui sont susceptibles de constituer des infractions aux règles de la concurrence.

[...]

En attendant, les différentes demandes de renseignements qui ont été envoyées aux onze sociétés du Groupe Stora sont traitées, et les réponses seront transmises à la Commission dans les plus brefs délais."

44. Dans sa première déclaration du 30 août 1991 (annexe 35 à la communication des griefs), la requérante a ensuite précisé:

"Le présent document contient les réponses de la cartonnerie Béghin Corbehem SA (CBC), Feldmühle AG (Feldmühle) et Kopparfors AB (Kopparfors) (ensemble dénommées 'les producteurs Stora') à la première demande fondée sur l'article 11 adressée par la Commission aux producteurs le 11 juin 1991. Les producteurs Stora sont tous contrôlés par Stora Kopparbergs Bergslags AB (Stora), qui a collecté les réponses aux demandes fondées sur l'article 11 adressées à ses filiales. Chacun des producteurs Stora a fourni les renseignements contenus dans ces réponses [...]"

45. Enfin, les déclarations ultérieures de la requérante (annexes 38, 39, 43 et 44 à la communication des griefs) n'ont pas indiqué au nom de qui elles étaient établies. Elles contiennent des références à "Stora" et aux "producteurs Stora" ("Stora Producers").

46. A la lumière de ces documents, la Commission pouvait légitimement comprendre que la requérante, compte tenu de son attitude ambiguë durant la phase de la procédure administrative précédant l'envoi de la communication des griefs, n'avait pas l'intention de contester sa responsabilité du chef du comportement infractionnel de ses filiales. A ce stade, la Commission aurait également pu interpréter l'attitude de la requérante en ce sens qu'elle se présentait comme un interlocuteur unique disposé à collaborer pour établir le comportement infractionnel reproché aux sociétés du groupe Stora, sans pour autant admettre de manière implicite qu'elle serait le bon destinataire de la communication des griefs et de l'éventuelle décision ultérieure.

47. En ce qui concerne la période postérieure, il convient de relever que la communication des griefs, dont la requérante a été destinataire, précisait: "Stora reconnaît être responsable pour les agissements anticoncurrentiels de ses filiales Feldmühle, Kopparfors et CBC à la fois avant et après leur acquisition par le groupe." Dès lors, en décidant de ne répondre qu'à certaines des allégations contenues dans la communication des griefs, la requérante a délibérément choisi de ne pas prendre position sur l'allégation explicite de la Commission relative à la responsabilité de Stora du fait des agissements anticoncurrentiels de ses filiales.

48. Dans ces conditions, même s'il ne saurait lui être reproché d'avoir réagi ainsi, puisqu'une entreprise n'est pas obligée de répondre à la communication des griefs qui lui est adressée (arrêt Hilti/Commission, précité, points 37 et 38), la Commission était néanmoins en droit, compte tenu des circonstances relevées aux points 43 à 47 ci-dessus, de déduire de l'attitude de la requérante qu'elle se considérait comme le bon destinataire de la décision à intervenir et qu'elle ne soulèverait aucune contestation sur ce point devant le Tribunal.

49. Toutefois, nonobstant cette conclusion, le présent moyen doit être déclaré recevable.

50. En effet, si la reconnaissance explicite ou implicite d'éléments de fait ou de droit par une entreprise durant la procédure administrative devant la Commission peut constituer un élément de preuve lors de l'appréciation du bien-fondé d'un recours juridictionnel, elle ne saurait limiter l'exercice même du droit de recours devant le Tribunal en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité. En l'absence de base légale expresse, une telle limitation serait contraire aux principes fondamentaux de légalité et de respect des droits de la défense.

51. En l'espèce, le comportement de Stora lors de la procédure administrative devant la Commission et, notamment, le contenu des déclarations adressées à celle-ci constitueront un élément d'appréciation dont il sera tenu compte lors de l'examen du bien-fondé du recours.

Sur le fond

52. Le moyen s'articule en deux branches. Dans la première branche, la requérante fait valoir une violation de l'obligation de motivation de la décision. Dans la seconde, elle soutient que l'infraction ne lui est pas imputable.

Sur la première branche, tirée d'une insuffisance de motivation

- Arguments des parties

53. La requérante rappelle que la Commission a en principe choisi d'adresser la décision aux sociétés figurant sur la liste des membres du GEP Carton. Elle ajoute que la Commission a cependant, par dérogation à ce principe, adressé la décision au groupe lui-même, représenté par la société mère, premièrement, lorsque plusieurs sociétés du groupe avaient participé à l'infraction ou, deuxièmement, lorsqu'il existait des preuves précises impliquant la société-mère dans la participation de la filiale à l'entente (point 143 des considérants de la décision). Les deux critères de dérogation retenus n'auraient toutefois aucun fondement en droit communautaire. La seule motivation de l'envoi de la décision à la requérante serait sa prétendue acceptation de la responsabilité du chef du comportement de ses filiales (point 158 des considérants). Cette motivation ne constituerait pas une motivation réelle, de sorte que la décision ne satisferait pas aux exigences posées par l'arrêt du Tribunal du 28 avril 1994, AWS Benelux/Commission (T-38-92, Rec. p. II-211, point 30), selon lequel une décision prise en application de l'article 85 du traité et qui concerne plusieurs destinataires doit faire apparaître les motifs pour lesquels les infractions concernées sont attribuées aux divers destinataires.

54. La requérante rejette par ailleurs la thèse de la Commission selon laquelle l'institution ne serait pas tenue de répondre, dans la décision, à des arguments non soulevés lors de la procédure administrative. En effet, dans l'arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission (322-81, Rec. p. 3461, point 14), invoqué par la Commission, la Cour aurait précisé que la Commission est tenue de mentionner les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision.

55. La Commission fait valoir que les points 140 et suivants des considérants de la décision contiennent un exposé des principes généraux sur lesquels elle s'est fondée. Les points 147 et suivants des considérants, consacrés à la question du bon destinataire dans les cas individuels, ne constitueraient que l'application concrète de ces principes. En tout état de cause, elle n'aurait pas été tenue de fournir une motivation complète sur des points qui n'avaient même pas été avancés devant elle (voir arrêt Michelin/Commission, précité, points 14 et 15).

- Appréciation du Tribunal

56. Il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre l'exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée. Le caractère suffisant d'une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications. Pour remplir les fonctions précitées, une motivation suffisante doit faire apparaître, d'une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé. Lorsque, comme en l'espèce, une décision d'application des articles 85 ou 86 du traité concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d'imputabilité de l'infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l'égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d'entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction (voir, notamment, arrêt AWS Benelux/Commission, précité, point 26).

57. En l'espèce, les points 140 à 146 des considérants de la décision exposent de manière suffisamment claire les critères généraux sur lesquels la Commission s'est fondée pour déterminer les destinataires de ladite décision.

58. Selon le point 143, la Commission a en principe adressé la décision à l'entité mentionnée dans la liste des membres du GEP Carton, sauf:

"1) lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe [avaient] participé à l'infraction

ou

2) lorsqu'il [existait] des preuves précises impliquant la société-mère dans la participation de la filiale à l'entente, [cas dans lesquels] la décision a été adressée au groupe (représenté par la société-mère)".

59. En ce qui concerne les hypothèses de transferts de sociétés, la Commission a déterminé les destinataires de la décision en particulier sur la base du critère suivant, énoncé au point 145, troisième alinéa, des considérants de ladite décision: "[...] si la filiale transférée reste membre de l'entente, c'est en fonction des circonstances particulières qu'il sera décidé si la décision relative à cette participation doit être adressée à cette filiale en son nom propre ou à la nouvelle société-mère."

60. Elle a par ailleurs exposé, aux points 147 à 160 des considérants de la décision, la manière dont elle a appliqué, dans chacun des cas individuels, les critères généraux susmentionnés.

61. Certes, s'agissant de la situation de la requérante, le point 158 des considérants énonce uniquement: "Stora admet être responsable de la participation à l'infraction de ses filiales Feldmühle, Kopparfors et CBC, tant avant qu'après leur acquisition par le groupe."

62. Toutefois, comme le Tribunal l'a déjà constaté (point 48 ci-dessus), il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir interprété l'attitude adoptée par la requérante lors de la procédure administrative en ce sens qu'elle avait l'intention de ne pas contester sa responsabilité du chef de l'infraction constatée.

63. Par conséquent, la requérante n'ayant pas pris expressément position sur l'allégation, dépourvue d'ambiguïté, contenue dans la communication des griefs, selon laquelle elle reconnaissait être responsable des agissements anticoncurrentiels de ses filiales, la Commission n'était pas tenue de fournir une motivation spécifique relative à l'application des critères généraux retenus dans le cas individuel de la requérante.

64. Au surplus, les renseignements individuels de la communication des griefs contiennent plusieurs passages portant sur les raisons ayant amené la Commission à adresser ladite communication à la requérante. En particulier, elle indique (p. 7): "La responsabilité de Feldmühle pour sa participation à l'infraction avant son acquisition par Stora est transférée au groupe dans son ensemble. Les mêmes considérations valent pour le comportement de CBC avant sa prise de contrôle par Feldmühle. En tout état de cause, Stora ne saurait soutenir être devenue responsable en tant qu'acquéreur 'innocent' d'un producteur en infraction: Kopparfors a été un membre actif et à part entière de l'entente dès le départ, et la conduite de Feldmühle et de CBC a été poursuivie par le nouveau groupement."

65. La communication des griefs ayant donc indiqué, avec suffisamment de clarté, le raisonnement suivi par la Commission, il convient de considérer que la requérante a disposé de toutes les indications nécessaires pour savoir si la décision était, ou non, bien fondée en ce qu'elle lui était adressée (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie ea/Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73, 55-73, 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, point 230).

66. S'agissant de la question de la légalité des critères généraux appliqués par la Commission, elle relève de l'examen du contenu de la décision. Force est donc de constater que l'argument de la requérante tiré de l'illégalité des critères exposés au point 143 des considérants est, dans le présent contexte, dénué de pertinence.

67. La première branche du moyen ne saurait donc être retenue.

Sur la seconde branche, tirée de ce que la requérante ne serait pas responsable des comportements infractionnels

- Arguments des parties

68. La requérante fait valoir, en premier lieu, que la responsabilité de l'infraction concernée ne lui est pas imputable en tant que successeur juridique des sociétés ayant commis l'infraction, car lesdites sociétés existent toujours.

69. En second lieu, les conditions pour que lui soit attribuée la responsabilité des infractions commises au sein du groupe ne seraient pas, non plus, remplies.

70. En effet, la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence requerraient la réunion de trois conditions pour que la responsabilité du comportement infractionnel des filiales soit attribuée à la société-mère en vertu de la notion d'unité économique, à savoir a) l'existence d'un lien entre les sociétés résultant de la possession d'actions, b) l'existence d'une identité partielle du personnel de direction des sociétés participant aux pratiques anticoncurrentielles et c) l'absence d'autonomie des filiales du fait de leur appartenance à un groupe de sociétés géré de manière centralisée ou du fait d'une imbrication entre la direction de la société-mère et celle de sa filiale (voir, notamment, arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48-69, Rec. p. 619, du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107-82, Rec. p. 3151, et du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65-89, Rec. p. II-389).

71. Or, pendant la période couverte par la décision, la requérante n'aurait pas contrôlé de manière effective la politique commerciale des trois sociétés concernées.

72. S'agissant de Kopparfors, cette société aurait été une filiale à 100 % de la requérante depuis 1986. Cependant, conformément à la structure décentralisée du groupe Stora, Kopparfors aurait continué à exercer son activité sur le marché du carton comme entité juridique autonome et en déterminant sa politique commerciale en grande partie par elle-même, ayant été, à l'époque, la seule société du groupe active dans le secteur du carton. Elle aurait d'ailleurs disposé de son propre conseil d'administration ainsi que de représentants extérieurs.

73. Quant à Feldmühle, la requérante relève qu'elle-même a, en avril 1990, conclu des contrats d'achat d'environ 75 % des actions du groupe FeNo auquel appartenait la société Feldmühle. Or, le transfert effectif des actions n'aurait eu lieu qu'en septembre 1990. A la fin de l'année 1990, la requérante aurait acquis des actions de petits actionnaires, de sorte qu'elle détenait, en avril 1991, 97,84 % des actions de FeNo. Si elle détenait ainsi la majorité du capital de Feldmühle à la fin de la période couverte par la décision, elle n'en aurait toutefois pas possédé le contrôle nécessaire pour se voir attribuer la responsabilité d'un comportement dont la filiale était principalement responsable.

74. A cet égard, elle soutient qu'elle n'a pas pu remplacer les membres du comité directeur ("Vorstand") de Feldmühle par des administrateurs du groupe Stora, car une révocation des membres du comité directeur n'aurait pu avoir lieu, en vertu du paragraphe 84 de l'Aktiengesetz (loi allemande sur les sociétés anonymes), que dans des circonstances spécifiques, non invoquées en l'occurrence. La requérante n'aurait donc pas disposé, avant la cessation de l'infraction, de la possibilité d'influencer la politique commerciale de Feldmühle, dans la mesure où elle n'aurait commencé à intégrer l'activité carton de Feldmühle dans sa division carton que postérieurement à l'automne 1991.

75. Les arguments relatifs à l'absence d'influence sur Feldmühle vaudraient aussi en ce qui concerne CBC, cette dernière étant déjà, au moment de l'acquisition de FeNo, une filiale à 100 % de Feldmühle.

76. Enfin, la requérante conteste la thèse de la Commission selon laquelle une société-mère peut être rendue responsable du comportement anticoncurrentiel d'une filiale au seul motif qu'elle lui appartient à 100 %. En particulier, l'interprétation de l'arrêt AEG/Commission, précité, par la Commission serait erronée, car la raison pour laquelle la Cour n'aurait pas exigé une preuve supplémentaire de l'influence exercée par AEG sur l'une des filiales en cause serait que cette entreprise n'avait pas contesté qu'elle pouvait exercer une influence déterminante sur la politique de prix de la filiale (point 50 de l'arrêt). De même, AEG aurait eu une forte influence sur ses filiales au regard de l'infraction en cause, qui consistait dans la mise en place et l'application d'un système de distribution sélective élaboré par elle-même. D'ailleurs, les conclusions de l'avocat général et le point 49 de l'arrêt même contrediraient la thèse de la Commission. Cette thèse serait de surcroît contredite par les arrêts du Tribunal BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, et du 12 janvier 1995, Viho/Commission (T-102-92, Rec. p. II-17). En ce qui concerne Feldmühle, la thèse de la Commission serait en tout état de cause inopérante, car, même à l'heure actuelle, sa part des actions de cette société ne s'élèverait qu'à 98,3 %.

77. Selon la Commission, à supposer même que les sociétés Feldmühle, Kopparfors et CBC existent à ce jour en tant qu'entités juridiques autonomes, cela serait sans pertinence. Il ressortirait en effet de l'arrêt AEG/Commission, précité (point 49), que, dans le cas d'une filiale contrôlée à 100 %, la Commission est parfaitement en droit d'adresser la décision, comme en l'espèce, à la société-mère. Dans un tel cas, le contrôle de la société-mère sur la politique commerciale serait présumé. Cette jurisprudence aurait été confirmée par les arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 312, et de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C-310-93 P, Rec. p. I-865. Dès lors, il n'y aurait lieu de rechercher la preuve d'un contrôle effectif qu'en l'absence de contrôle à 100 % de la filiale.

- Appréciation du Tribunal

78. Ainsi que cela a déjà été constaté, il convient de se rapporter aux renseignements individuels de la communication des griefs afin d'apprécier les motifs ayant conduit la Commission à adresser la décision à la requérante. Il ressort de ces renseignements que le comportement des sociétés Kopparfors, Feldmühle et CBC a été imputé à la requérante en sa qualité de société-mère du groupe Stora.

79. Selon une jurisprudence constante, la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société-mère, notamment lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société-mère (voir, notamment, arrêt ICI/Commission, précité, points 132 et 133).

80. En l'espèce, la requérante n'ayant pas contesté qu'elle pouvait influencer de manière déterminante la politique commerciale de Kopparfors, il est, conformément à la jurisprudence de la Cour, superflu de vérifier si elle a effectivement exercé ce pouvoir. En effet, Kopparfors étant une filiale à 100 % de la requérante depuis le 1er janvier 1987, elle suit nécessairement une politique tracée par les organes statutaires qui fixent la politique de sa société-mère (voir arrêt AEG/Commission, précité, point 50).En tout état de cause, la requérante n'a invoqué aucun élément de preuve de nature à étayer ses affirmations selon lesquelles Kopparfors aurait exercé son activité sur le marché du carton comme une entité juridique autonome déterminant sa politique commerciale en grande partie par elle-même et aurait possédé son propre conseil d'administration avec des représentants extérieurs.

81. S'agissant de Feldmühle et de CBC, il y a lieu de rappeler que, au cours des années 1988 et 1989, Feldmühle a acquis l'ensemble des actions de CBC, cette dernière société étant devenue une filiale à 100 % de Feldmühle. Il est par ailleurs constant que la requérante a, en avril 1990, conclu des contrats d'achat d'environ 75 % des actions du groupe FeNo auquel appartenait la société Feldmühle, le transfert effectif des actions n'ayant cependant eu lieu qu'en septembre 1990. Enfin, la requérante elle-même a indiqué avoir acquis des actions de petits actionnaires à la fin de l'année 1990, de sorte qu'elle détenait 97,84 % des actions de FeNo.

82. Il n'est ensuite pas contesté par la requérante qu'à la date à laquelle elle a acquis la majorité des actions du groupe FeNo deux sociétés de ce groupe, Feldmühle et CBC, participaient à une infraction à laquelle Kopparfors, filiale à 100 % de la requérante, prenait également part. Le comportement de Kopparfors devant être imputé à la requérante, c'est à bon droit que la Commission a souligné, dans les renseignements individuels de la communication des griefs (voir point 64 ci-dessus), que la requérante n'a pas pu ignorer le comportement anticoncurrentiel de Feldmühle et de CBC.

83. Dans ces conditions, la Commission a pu imputer à la requérante le comportement de Feldmühle et de CBC pour la période précédant et pour la période suivant leur acquisition par la requérante. Il incombait à la requérante, en sa qualité de société-mère, de prendre à l'égard de ses filiales toute mesure destinée à empêcher la poursuite de l'infraction dont elle n'ignorait pas l'existence.

84. Cette conclusion n'est en rien infirmée par l'argument de la requérante selon lequel elle n'aurait pas disposé, en vertu de la législation allemande, du pouvoir d'influencer de manière déterminante la politique commerciale de Feldmühle et, partant, de CBC. En effet, la requérante n'a même pas soutenu avoir tenté de faire cesser l'infraction en cause, par exemple en adressant une simple demande à cet effet au conseil d'administration de Feldmühle.

85. Au vu des développements qui précèdent, la Commission a été en droit d'imputer à la requérante le comportement des sociétés en cause. Cette constatation est étayée par le comportement adopté par la requérante lors de la procédure administrative, au cours de laquelle elle s'est présentée comme étant, pour ce qui était des sociétés du groupe Stora, le seul interlocuteur de la Commission au sujet de l'infraction concernée (voir, par analogie, l'arrêt de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374-87, Rec. p. 3283, point 6). Enfin, force est de constater que le choix de la requérante comme destinataire de la décision est conforme aux critères généraux retenus par la Commission au point 143 des considérants de la décision (voir ci-dessus point 58), puisque plusieurs sociétés du groupe Stora ont participé à l'infraction visée par celle-ci.

86. Il s'ensuit que la seconde branche du présent moyen ne saurait être accueillie, de sorte que le moyen doit être rejeté dans son intégralité.

Sur la demande d'annulation de l'article 2 de la décision

Arguments des parties

87. La requérante invoque un moyen tiré d'une illégalité de l'interdiction relative aux échanges futurs d'informations.

88. Elle fait valoir, en premier lieu, que l'article 2 de la décision ne contient pas une indication suffisamment précise des informations dont l'échange est interdit pour l'avenir. L'article 2 de la décision serait rédigé de manière tellement imprécise que tout échange d'informations pourrait être considéré comme interdit par cette disposition. En particulier, l'article 2 de la décision semblerait interdire tout échange d'informations qui pourraient potentiellement être utilisées à des fins anticoncurrentielles.

89. En second lieu, l'article 2 de la décision interdirait certains échanges d'informations qui ne seraient pas anticoncurrentiels. A cet égard, la requérante se réfère à la communication de la Commission relative aux accords, décisions et pratiques concertées concernant la coopération entre entreprises (JO 1968, C. 75, p. 3, rectificatif au JO C. 84, p. 14) ainsi qu'au Septième Rapport sur la politique de concurrence (point 7), dont il ressortirait qu'un échange de données purement statistiques ne se rapportant pas à des informations individuelles d'entreprises individuelles ne serait pas prohibé. Dès lors, l'article 2 de la décision irait trop loin, dans la mesure où il interdit tout échange d'informations commerciales, même générales, d'une part, et tout échange de statistiques intéressant la concurrence, d'autre part.

90. La requérante conteste que la portée de l'injonction contenue à l'article 2 de la décision puisse être déduite des motifs de la décision. La Commission n'ayant pas examiné, dans la décision, la question de savoir dans quelle mesure le système d'échange d'informations constituait, en lui-même, une violation à l'article 85 du traité, les motifs de la décision ne contiendraient pas des indications suffisamment précises pour déterminer la portée de l'article 2 de celle-ci. Sur ce point, la décision se distinguerait des affaires antérieures (arrêts du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T-34-92, Rec. p. II-905, et du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83-91, Rec. p. II-755). La requérante ajoute que la question en cause n'a pas été soulevée dans les arrêts dits "Polypropylène" (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7-89, Rec. p. II-1711).

91. Enfin, en troisième lieu, la Commission n'aurait eu aucun intérêt légitime à lui adresser l'injonction contenue à l'article 2 de la décision. En effet, sa coopération avec la Commission ainsi que l'application d'un programme d'alignement auraient prouvé sa volonté de prévenir toute infraction future au droit de la concurrence. Dans ces conditions, la Commission n'aurait pas été autorisée à émettre l'injonction en cause (arrêt de la Cour du 2 mars 1983, GVL/Commission, 7-82, Rec. p. 483).

92. La Commission rappelle que, en vertu de l'article 3 du règlement n° 17, elle peut enjoindre aux entreprises de mettre fin à des infractions effectivement constatées. La portée de l'injonction pourrait valablement être déterminée par référence aux agissements passés des entreprises. La décision contiendrait des indications détaillées sur le fonctionnement de l'entente permettant de déterminer précisément la portée de l'article 2 de la décision (voir, en particulier, points 49 et 69 des considérants). Cette disposition préciserait le type d'informations et les circonstances dans lesquelles elles ne doivent pas être échangées.

93. La décision 86-398-CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.149 - Polypropylène) (JO L. 230, p. 1, ci-après "décision Polypropylène"), et la décision 92-163-CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV-31.043 - Tetra Pak II) (JO 1992, L. 72, p. 1) contiendraient des injonctions similaires qui auraient été confirmées par le Tribunal. En outre, dans les arrêts du Tribunal du 27 octobre 1994, Deere/Commission, T-35-92, Rec. p. II-957, ainsi que Fiatagri et New Holland Ford/Commission, précité, le Tribunal aurait, par rapport à une injonction portant sur des échanges d'informations entre concurrents, également rejeté une argumentation analogue à celle invoquée par Stora. La Commission souligne qu'elle n'a pas eu besoin d'analyser le système d'échange d'informations comme une infraction en soi, eu égard au fait que ledit système a été utilisé comme moyen d'appliquer un accord illégal. Elle aurait procédé de la même manière dans la décision Polypropylène.

94. Enfin, la Commission conteste n'avoir eu aucun intérêt légitime à adresser l'injonction à la requérante.

Appréciation du Tribunal

95. Il y a lieu de rappeler que l'article 2 de la décision dispose :

"Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

a) par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants;

b) par lequel, même si aucune information individuelle n'est communiquée, une réaction commune du secteur dans le domaine des prix ou un contrôle de la production seraient promus, facilités ou encouragés

ou

c) qui permettrait aux entreprises concernées de suivre l'exécution ou le respect de tout accord exprès ou tacite sur les prix ou le partage des marchés dans la Communauté.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure non seulement toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés, mais aussi toutes données relatives à l'état des entrées de commandes et des commandes en carnet, au taux prévu d'utilisation des capacités de production (dans les deux cas, même si elles sont agrégées) ou à la capacité de production de chaque machine.

Tout système d'échange de ce type sera limité à la collecte et à la diffusion, sous une forme agrégée, de statistiques sur la production et les ventes qui ne puissent être utilisées pour promouvoir ou faciliter un comportement commun du secteur.

Les entreprises s'abstiendront également de tout échange d'informations intéressant la concurrence autre que les échanges admis, ainsi que de toute réunion ou contact en vue d'examiner l'importance des informations échangées ou la réaction possible ou probable du secteur ou de fabricants individuels à ces informations.

Un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision est accordé pour procéder aux modifications nécessaires de tout système éventuel d'échange d'informations."

96. Ainsi que cela ressort du point 165 des considérants, l'article 2 de la décision a été adopté en application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17. En vertu de cette disposition, la Commission, lorsqu'elle constate une infraction, notamment, aux dispositions de l'article 85 du traité, peut obliger par voie de décision les entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée.

97. Il est de jurisprudence constante que l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 peut comporter l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, dont l'illégalité a été constatée (arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6-73 et 7-73, Rec. p. 223, point 45, et du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241-91 P et C-242-91 P, Rec. p. I-743, point 90), mais aussi celle d'adopter un comportement futur similaire (arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 220).

98. De plus, dans la mesure où l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 doit se faire en fonction de l'infraction constatée, la Commission a le pouvoir de préciser l'étendue des obligations qui incombent aux entreprises concernées afin qu'il soit mis fin à ladite infraction. De telles obligations pesant sur les entreprises ne doivent toutefois pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir le rétablissement de la légalité au regard des règles qui ont été méconnues (arrêt RTE et ITP/Commission, précité, point 93; dans le même sens, voir arrêts du Tribunal du 8 juin 1995, Langnese-Iglo/Commission, T-7-93, Rec. p. II-1533, point 209, et Schöller/Commission, T-9-93, Rec. p. II-1611, point 163).

99. En l'espèce, il convient de rejeter, tout d'abord, l'argument de la requérante selon lequel la Commission ne saurait faire usage du pouvoir de lui adresser des injonctions en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, au motif qu'elle aurait fait preuve de sa volonté de prévenir toute infraction future aux règles communautaires de la concurrence. Il suffit, à cet égard, de remarquer que la requérante conteste la portée matérielle des injonctions contenues à l'article 2 de la décision, ce qui démontre l'intérêt légitime qu'avait la Commission à préciser l'étendue des obligations qui incombent aux entreprises, dont la requérante (voir, dans le même sens, arrêt GVL/Commission, précité, points 26 à 28).

100. Afin de vérifier ensuite si, comme le prétend la requérante, l'injonction contenue à l'article 2 de la décision a une portée trop large, il convient d'examiner l'étendue des diverses interdictions qu'il impose aux entreprises.

101. Quant à l'interdiction édictée à l'article 2, premier alinéa, deuxième phrase, consistant pour les entreprises à s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou analogue à ceux des infractions constatées à l'article 1er de la décision, elle vise uniquement à ce que les entreprises soient empêchées de répéter les comportements dont l'illégalité a été constatée. Par conséquent, la Commission, en adoptant une telle interdiction, n'a pas outrepassé les pouvoirs que lui confère l'article 3 du règlement n° 17.

102. Quant à l'article 2, premier alinéa, sous a), sous b) et sous c), ses dispositions visent plus spécifiquement des interdictions de futurs échanges d'informations commerciales.

103. L'injonction contenue dans l'article 2, premier alinéa, sous a), qui interdit à l'avenir tout échange d'informations commerciales permettant aux participants d'obtenir directement ou indirectement des informations individuelles sur des entreprises concurrentes, suppose que l'illégalité d'un échange d'informations d'une telle nature au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité ait été constatée par la Commission dans la décision.

104. A cet égard, il y a lieu de constater que l'article 1er de la décision n'énonce pas que l'échange d'informations commerciales individuelles constitue en soi une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

105. Il dispose de manière plus générale que les entreprises ont enfreint cet article du traité en participant à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les entreprises ont, notamment, "échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus".

106. Cependant, le dispositif de la décision devant être interprété à la lumière de ses motifs (arrêt Suiker Unie ea/Commission, précité, point 122), il convient de relever que le point 134, deuxième alinéa, des considérants de la décision indique:

"L'échange par les fabricants, lors de réunions du GEP Carton (essentiellement celles du JMC), d'informations commerciales individuelles normalement confidentielles et sensibles sur les commandes en carnet, les arrêts de machines et les rythmes de production était à l'évidence contraire aux règles de concurrence, puisqu'il avait pour but de rendre les conditions aussi propices que possible à la mise en œuvre des augmentations de prix [...]"

107. Dès lors, la Commission ayant dûment considéré dans la décision que l'échange d'informations commerciales individuelles constituait, en soi, une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'interdiction future d'un tel échange d'informations satisfait aux conditions requises pour l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17.

108. S'agissant des interdictions relatives aux échanges d'informations commerciales visés à l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision, elles doivent être examinées à la lumière des deuxième, troisième et quatrième alinéas de ce même article, qui en étayent le contenu. C'est en effet dans ce contexte qu'il convient de déterminer si, et dans l'affirmative, dans quelle mesure la Commission a considéré comme illégaux les échanges en cause, dès lors que l'étendue des obligations pesant sur les entreprises doit être limitée à ce qui est nécessaire pour rétablir la légalité de leurs comportements au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

109. La décision doit être interprétée en ce sens que la Commission a considéré le système Fides comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en tant que support de l'entente constatée (point 134, troisième alinéa, des considérants de la décision). Une telle interprétation est corroborée par le libellé de l'article 1er de la décision, duquel il ressort que les informations commerciales ont été échangées entre les entreprises "afin de soutenir les mesures" considérées comme contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

110. C'est à la lumière de cette interprétation par la Commission de la compatibilité, en l'espèce, du système Fides avec l'article 85 du traité que doit être appréciée l'étendue des interdictions futures contenues à l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision.

111. A cet égard, d'une part, les interdictions en cause ne sont pas limitées aux échanges d'informations commerciales individuelles mais concernent aussi ceux de certaines données statistiques agrégées [article 2, premier alinéa, sous b), et deuxième alinéa, de la décision]. D'autre part, l'article 2, premier alinéa, sous b) et sous c), de la décision interdit l'échange de certaines informations statistiques afin de prévenir la constitution d'un possible support de comportements anticoncurrentiels potentiels.

112. Une telle interdiction, en ce qu'elle vise à empêcher l'échange d'informations purement statistiques n'ayant pas le caractère d'informations individuelles ou individualisables, au motif que les informations échangées pourraient être utilisées à des fins anticoncurrentielles, excède ce qui est nécessaire pour rétablir la légalité des comportements constatés. En effet, d'une part, il ne ressort pas de la décision que la Commission ait considéré l'échange de données statistiques comme étant en soi une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. D'autre part, le seul fait qu'un système d'échange d'informations statistiques puisse être utilisé à des fins anticoncurrentielles ne le rend pas contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, puisqu'il convient, dans de telles circonstances, d'en constater in concreto les effets anticoncurrentiels.

113. En conséquence, l'article 2, premier à quatrième alinéa, de la décision doit être annulé, sauf en ce qui concerne les passages suivants :

"Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

a) par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés."

Sur la demande d'annulation ou de réduction de l'amende

114. La requérante invoque un moyen unique tiré d'une violation de l'article 15 du règlement n° 17. Ce moyen s'articule en cinq branches qu'il convient d'examiner séparément.

Sur la première branche, tirée d'une violation de l'obligation de motivation du montant des amendes

Arguments des parties

115. La requérante fait valoir que la Commission aurait dû expliquer, dans la décision, la façon dont le montant des amendes infligées aux diverses entreprises a été déterminé. En effet, si le point 167 des considérants de la décision précise les critères pris en considération, la décision ne contiendrait pas d'indications concernant l'importance attribuée à chacun de ces critères. De même, les explications relatives au taux appliqué pour déterminer le montant de l'amende, que la Commission a fournies dans son mémoire en défense, auraient dû figurer dans la décision.

116. La Commission fait valoir qu'elle a exposé de manière suffisante, aux points 167 et suivants des considérants de la décision, les critères appliqués pour calculer les amendes. Ces critères seraient très proches de ceux qui ont été retenus dans la décision Polypropylène et confirmés par le Tribunal.

Appréciation du Tribunal

117. Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49-95, Rec. p. II-1799, point 51).

118. Pour ce qui est d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO ea/Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-1611, point 54).

119. De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 59).

120. Dans la décision, les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 168 et 169 des considérants. En outre, pour ce qui est des amendes individuelles, la Commission explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des "chefs de file" de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des "membres ordinaires" de celle-ci. Enfin, aux points 171 et 172 des considérants, elle indique que les montants des amendes infligées à Rena et à la requérante doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission et que huit autres entreprises peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs.

121. Dans ses écritures devant le Tribunal ainsi que dans sa réponse à une question écrite de celui-ci, la Commission a expliqué que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990. Des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % de ce chiffre d'affaires individuel ont ainsi été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les "chefs de file" de l'entente et aux autres entreprises. Enfin, la Commission a tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle. Deux entreprises ont bénéficié à ce titre d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes, tandis que d'autres entreprises ont bénéficié d'une réduction d'un tiers.

122. Il ressort, par ailleurs, d'un tableau fourni par la Commission et contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles que, si celles-ci n'ont pas été déterminées en appliquant de manière strictement mathématique les seules données chiffrées susmentionnées, lesdites données ont cependant été systématiquement prises en compte aux fins du calcul des amendes.

123. Or, la décision ne précise pas que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990. De plus, les taux de base appliqués de 9 et de 7,5 % pour calculer les amendes infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme des "chefs de file" et à celles considérées comme des "membres ordinaires" ne figurent pas dans la décision. N'y figurent pas davantage les taux des réductions accordées à Rena et à la requérante, d'une part, et à huit autres entreprises, d'autre part.

124. En l'espèce, il y a lieu de considérer, en premier lieu, que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2-89, Rec. p. II-1087, point 264).

125. En second lieu, lorsque le montant de chaque amende est, comme en l'espèce, déterminé sur la base de la prise en compte systématique de certaines données précises, l'indication, dans la décision, de chacun de ces facteurs permettrait aux entreprises de mieux apprécier, d'une part, si la Commission a commis des erreurs lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et, d'autre part, si le montant de chaque amende individuelle est justifié par rapport aux critères généraux appliqués. En l'espèce, l'indication dans la décision des facteurs en cause, soit le chiffre d'affaires de référence, l'année de référence, les taux de base retenus et les taux de réduction du montant des amendes, n'aurait comporté aucune divulgation implicite du chiffre d'affaires précis des entreprises destinataires de la décision, divulgation qui aurait pu constituer une violation de l'article 214 du traité. En effet, le montant final de chaque amende individuelle ne résulte pas, comme la Commission l'a elle-même souligné, d'une application strictement mathématique desdits facteurs.

126. La Commission a d'ailleurs reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer, dans la décision, les facteurs qui avaient été pris systématiquement en compte et qui avaient été divulgués pendant une conférence de presse tenue le jour même de l'adoption de cette décision par le membre de la Commission en charge de la politique de la concurrence. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et que des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61-89, Rec. p. II-1931, point 131, et, dans le même sens, arrêt Hilti/Commission, précité, point 136).

127. Malgré ces constatations, il doit être relevé que la motivation relative à la fixation du montant des amendes contenue aux points 167 à 172 des considérants de la décision est, au moins, aussi détaillée que celles contenues dans les décisions antérieures de la Commission portant sur des infractions similaires. Or, bien que le moyen tiré d'un vice de motivation soit d'ordre public, aucune critique n'avait, au moment de l'adoption de la décision, été soulevée par le juge communautaire quant à la pratique suivie par la Commission en matière de motivation des amendes infligées. Ce n'est que dans l'arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148-89, Rec. p. II-1063, point 142), et dans deux autres arrêts rendus le même jour, Société métallurgique de Normandie/Commission (T-147-89, Rec. p. II-1057, publication sommaire), et Société des treillis et panneaux soudés/Commission (T-151-89, Rec. p. II-1191, publication sommaire), que le Tribunal a, pour la première fois, souligné qu'il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.

128. Il s'ensuit que lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de la concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination.

129. Dans les circonstances particulières relevées au point 127 ci-dessus, et compte tenu du fait que la Commission s'est montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes, l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes ne doit pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une violation de l'obligation de motivation justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées.

130. Par conséquent, la première branche du moyen ne saurait être retenue.

Sur la deuxième branche, tirée de ce que la requérante n'aurait pas dû être considérée comme l'un des "chefs de file" de l'entente

131. La requérante fait valoir qu'elle a été considérée à tort, au point 170 des considérants de la décision, comme l'un des "chefs de file" de l'entente en raison de sa participation au PWG. Elle affirme qu'elle n'est pas responsable du comportement de Feldmühle et de CBC. Dès lors, il n'existerait aucune base pour lui attribuer une responsabilité particulière fondée sur une prétendue participation au PWG.

132. A cet égard, il suffit de relever que tant Feldmühle que CBC ont participé aux réunions du PWG et que la requérante ne conteste pas que les participants aux réunions de cet organe doivent être considérés comme les "chefs de file" de l'entente. Par conséquent, la Commission ayant à juste titre imputé à la requérante le comportement de Feldmühle et de CBC (voir ci-dessus points 78 et suivants), c'est à bon droit qu'elle l'a considérée comme l'un des "chefs de file" de l'entente.

133. La deuxième branche du moyen doit dès lors être rejetée.

Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission aurait commis une erreur d'appréciation concernant les effets de l'entente

Arguments des parties

134. La requérante souligne que, selon la décision (point 168, septième tiret, des considérants), l'entente avait largement réussi à atteindre ses objectifs, ce qui a été considéré comme une circonstance aggravante aux fins de la détermination du niveau de l'amende. Elle souligne en outre que sa réponse à la communication des griefs contenait un exposé détaillé des conditions du marché et des raisons pour lesquelles les accords sur les augmentations de prix n'avaient eu qu'un effet extrêmement limité sur les prix effectivement appliqués. Néanmoins, dans la décision, la Commission n'aurait pas examiné ces éléments et se serait limitée à présumer que l'entente avait "largement réussi" à atteindre ses objectifs. Une telle approche constituerait un abus de pouvoir.

135. La Commission rappelle qu'elle était en droit de prendre en considération les effets de l'infraction en tant qu'élément d'appréciation de la gravité de celle-ci. A cette fin, elle prétend qu'elle a pu se fonder sur des déductions opérées à partir des faits observables et tenir compte de toute preuve documentaire indiquant que les participants concluaient eux-mêmes au succès de l'entente.

136. Se référant aux indications relatives à l'utilisation des capacités et aux marges d'exploitation (points 15 et 16 des considérants de la décision), au fait que la plupart des producteurs participaient à l'entente qui couvrait la quasi-totalité du marché (point 168 des considérants), aux reproches faits aux membres de l'entente s'ils ne suivaient pas les augmentations de prix (points 82 et 136 des considérants), ainsi qu'aux documents mentionnant que les membres du GEP Carton estimaient que l'entente avait été couronnée de succès (points 101 et 137 des considérants), la Commission soutient qu'elle a dûment établi l'effet de l'entente aux fins de la détermination du montant des amendes.

Appréciation du Tribunal

137. Selon le point 168, septième tiret, des considérants de la décision, la Commission a déterminé le montant général des amendes en prenant notamment en considération le fait que l'entente a "largement réussi à atteindre ses objectifs". Il est constant qu'une telle considération se réfère aux effets sur le marché de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision.

138. Aux fins du contrôle de l'appréciation portée par la Commission sur les effets de l'infraction, le Tribunal estime qu'il suffit d'examiner celle portée sur les effets de la collusion sur les prix. En effet, en premier lieu, il ressort de la décision que la constatation relative à la large réussite des objectifs est essentiellement fondée sur les effets de la collusion sur les prix. Si ces effets sont analysés aux points 100 à 102, 115, et 135 à 137 des considérants de la décision, la question de savoir si la collusion sur les parts de marché et celle sur les temps d'arrêt ont eu des effets sur le marché n'y fait, en revanche, l'objet d'aucun examen spécifique.

139. En second lieu, l'examen des effets de la collusion sur les prix permet, en tout état de cause, d'apprécier également si l'objectif de la collusion sur les temps d'arrêt a été atteint, puisque celle-ci visait à éviter que les initiatives concertées en matière de prix soient compromises par un excédent d'offre.

140. En troisième lieu, s'agissant de la collusion sur les parts de marché, la Commission ne soutient pas que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG avaient pour objectif le gel absolu de leurs parts de marché. Selon le point 60, deuxième alinéa, des considérants de la décision, l'accord sur les parts de marché n'était pas figé, "mais périodiquement adapté et renégocié". Au vu de cette précision, il ne saurait donc être reproché à la Commission d'avoir estimé que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs sans avoir spécifiquement examiné dans la décision la réussite de cette collusion sur les parts de marché.

141. S'agissant de la collusion sur les prix, la Commission en a apprécié les effets généraux.

142. Il ressort de la décision, ainsi que la Commission l'a confirmé lors de l'audience, qu'une distinction a été établie entre trois types d'effets. De plus, la Commission s'est fondée sur le fait que les initiatives en matière de prix ont été globalement considérées comme une réussite par les producteurs eux-mêmes.

143. Le premier type d'effets pris en compte par la Commission, et non contesté par la requérante, consiste dans le fait que les augmentations de prix convenues ont été effectivement annoncées aux clients. Les nouveaux prix ont ainsi servi de référence en cas de négociations individuelles des prix de transaction avec les clients (voir, notamment, points 100 et 101, cinquième et sixième alinéas, des considérants de la décision).

144. Le deuxième type d'effets consiste dans le fait que l'évolution des prix de transaction a suivi celle des prix annoncés. A cet égard, la Commission soutient que "les producteurs ne se contentaient pas d'annoncer les augmentations de prix convenues mais, à quelques exceptions près, [qu']ils prenaient également des mesures concrètes pour faire en sorte qu'elles soient effectivement imposées aux clients" (point 101, premier alinéa, des considérants de la décision). Elle admet que les clients ont parfois obtenu des concessions sur la date d'entrée en vigueur des augmentations ou des rabais ou réductions individuelles, notamment en cas de grosse commande, et que "l'augmentation nette perçue en moyenne après déduction des réductions, rabais et autres concessions était donc toujours inférieure au montant total de l'augmentation annoncée" (point 102, dernier alinéa, des considérants). Cependant, se référant à des graphiques contenus dans une étude économique réalisée, aux fins de la procédure devant la Commission, pour le compte de plusieurs entreprises destinataires de la décision (ci-après "rapport LE"), elle affirme qu'il existait, au cours de la période visée par la décision, une "étroite relation linéaire" entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction exprimés en monnaies nationales ou convertis en écus. Elle en conclut: "Les augmentations nettes des prix obtenues suivaient étroitement les augmentations annoncées, fût-ce avec un certain retard. L'auteur du rapport a lui-même reconnu pendant l'audition qu'il en a été ainsi en 1988 et 1989." (Point 115, deuxième alinéa, des considérants.)

145. Il doit être admis que, dans l'appréciation de ce deuxième type d'effets, la Commission a pu à bon droit considérer que l'existence d'une relation linéaire entre l'évolution des prix annoncés et celle des prix de transaction constituait la preuve d'un effet produit sur ces derniers par les initiatives en matière de prix, conformément à l'objectif poursuivi par les producteurs. En fait, il est constant que, sur le marché en cause, la pratique de négociations individuelles avec les clients implique que les prix de transaction ne sont, en général, pas identiques aux prix annoncés. Il ne saurait donc être escompté que les augmentations des prix de transaction soient identiques aux augmentations de prix annoncées.

146. En ce qui concerne l'existence même d'une corrélation entre les augmentations de prix annoncées et celles des prix de transaction, la Commission s'est référée à juste titre au rapport LE, celui-ci constituant une analyse de l'évolution des prix du carton pendant la période visée par la décision, fondée sur des données fournies par plusieurs producteurs.

147. Toutefois, ce rapport ne confirme que partiellement, dans le temps, l'existence d'une "étroite relation linéaire". En effet, l'examen de la période de 1987 à 1991 révèle trois sous-périodes distinctes. A cet égard, lors de l'audition devant la Commission, l'auteur du rapport LE a résumé ses conclusions de la manière suivante: "Il n'y a pas de corrélation étroite, même avec un décalage, entre l'augmentation de prix annoncée et les prix du marché, pendant le début de la période considérée, de 1987 à 1988. En revanche, une telle corrélation existe en 1988/1989, puis cette corrélation se détériore pour se comporter de façon plutôt singulière [oddly] sur la période 1990/1991" (Procès-verbal de l'audition, p. 28.) Il a relevé, en outre, que ces variations dans le temps étaient étroitement liées à des variations de la demande (voir, notamment, procès-verbal de l'audition, p. 20).

148. Ces conclusions orales de l'auteur sont conformes à l'analyse développée dans son rapport, et notamment aux graphiques comparant l'évolution des prix annoncés et l'évolution des prix de transaction (rapport LE, graphiques 10 et 11, p. 29). Force est donc de constater que la Commission n'a que partiellement prouvé l'existence de l'"étroite relation linéaire" qu'elle invoque.

149. Lors de l'audience, la Commission a indiqué avoir également pris en compte un troisième type d'effets de la collusion sur les prix consistant dans le fait que le niveau des prix de transaction a été supérieur au niveau qui aurait été atteint en l'absence de toute collusion. A cet égard, la Commission, soulignant que les dates et l'ordre des annonces des augmentations de prix avaient été programmés par le PWG, estime dans la décision qu'"il est inconcevable que, dans ces conditions, ces annonces concertées n'aient eu aucun effet sur le niveau réel des prix" (point 136, troisième alinéa, des considérants de la décision). Toutefois, le rapport LE (section 3) a établi un modèle permettant de prévoir le niveau de prix résultant des conditions objectives du marché. Selon ce rapport, le niveau des prix, tels que déterminés par des facteurs économiques objectifs durant la période de 1975 à 1991, aurait évolué, avec des variations négligeables, de manière identique à celui des prix de transaction pratiqués, y compris pendant la période retenue par la décision.

150. Malgré ces conclusions, l'analyse faite dans le rapport ne permet pas de constater que les initiatives concertées en matière de prix n'ont pas permis aux producteurs d'atteindre un niveau des prix de transaction supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence. A cet égard, comme l'a souligné la Commission lors de l'audience, il est possible que les facteurs pris en compte dans ladite analyse aient été influencés par l'existence de la collusion. Ainsi, la Commission a fait valoir à bon droit que le comportement collusoire a, par exemple, pu limiter l'incitation pour les entreprises à réduire leurs coûts. Or, elle n'a invoqué l'existence d'aucune erreur directe dans l'analyse contenue dans le rapport LE et n'a pas davantage présenté ses propres analyses économiques de l'hypothétique évolution des prix de transaction en l'absence de toute concertation. Dans ces conditions, son affirmation selon laquelle le niveau des prix de transaction aurait été inférieur en l'absence de collusion entre les producteurs ne saurait être entérinée.

151. Il s'ensuit que l'existence de ce troisième type d'effets de la collusion sur les prix n'est pas prouvée.

152. Les constatations qui précèdent ne sont en rien modifiées par l'appréciation subjective des producteurs sur laquelle la Commission s'est fondée pour considérer que l'entente avait largement réussi à atteindre ses objectifs. Sur ce point, la Commission s'est reportée à une liste de documents qu'elle a fournie lors de l'audience. Or, à supposer même qu'elle ait pu fonder son appréciation de l'éventuelle réussite des initiatives en matière de prix sur des documents faisant état des sentiments subjectifs de certains producteurs, force est de constater que plusieurs entreprises, dont la requérante, ont à juste titre fait référence à l'audience à de nombreux autres documents du dossier faisant état des problèmes rencontrés par les producteurs dans la mise en œuvre des augmentations de prix convenues.

Dans ces conditions, la référence faite par la Commission aux déclarations des producteurs eux-mêmes n'est pas suffisante pour conclure que l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs.

153. Au vu des considérations qui précèdent, les effets de l'infraction relevés par la Commission ne sont que partiellement prouvés. Le Tribunal analysera la portée de cette conclusion dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée en l'espèce (voir ci-après point 170).

Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission aurait dû prendre en considération, en tant que circonstance atténuante, le programme d'alignement mis en œuvre par la requérante

Arguments des parties

154. La requérante fait valoir qu'elle a adopté et appliqué, depuis 1991, un programme d'alignement au droit communautaire de la concurrence pour l'ensemble du groupe Stora. Elle souligne ensuite que les amendes ont une fonction préventive, en ce sens qu'elles sont notamment infligées dans le but d'inciter les entreprises fautives à se conformer, à l'avenir, au droit de la concurrence. Le programme d'alignement mis en œuvre en 1991 prouverait à cet égard sa réelle volonté de prévenir au mieux des infractions futures. Conformément à sa pratique antérieure, la Commission aurait dû prendre en considération, comme circonstance atténuante, la rapidité de la mise en œuvre de ce programme [voir, notamment, décision 91-532-CEE de la Commission, du 5 juin 1991, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-32.879 - Viho/Toshiba) (JO L. 287, p. 39)]. Cette circonstance se distinguerait de sa coopération au cours de la procédure devant la Commission, laquelle aurait consisté dans la révélation de faits relatifs aux prétendues infractions commises, alors que le programme d'alignement aurait eu pour but de prévenir des infractions futures. La prise en compte du programme d'alignement n'aurait donc pas équivalu, contrairement à ce que soutient la Commission, à la récompenser deux fois pour la même chose.

155. La Commission soutient qu'elle a déjà récompensé la coopération de la requérante et que, le programme d'alignement faisant partie de la politique qui a amené la requérante à coopérer, accorder une réduction de l'amende en raison de ce programme reviendrait à la récompenser doublement. Elle ajoute qu'un programme d'alignement n'est qu'un moyen d'assurer le respect du droit. Or, souligne-t-elle, toute entreprise est censée respecter le droit en toutes circonstances.

Appréciation du Tribunal

156. Il a déjà été relevé que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO ea/Commission, précitée, point 54).

157. Il s'ensuit que, si la mise en œuvre d'un programme d'alignement démontre la volonté de l'entreprise en cause de prévenir les infractions futures et constitue donc un élément permettant à la Commission de mieux accomplir sa mission consistant, notamment, à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens les entreprises, le seul fait que, dans certains cas, la Commission a pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la mise en place d'un programme d'alignement en tant que circonstance atténuante n'impliquait pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans le cas présent.

158. Dès lors, la Commission a été en droit de considérer qu'il convenait, en l'espèce, de récompenser uniquement le comportement des entreprises lui ayant permis de constater l'infraction concernée avec moins de difficulté. Par conséquent, la requérante ayant bénéficié d'une réduction du montant de l'amende des deux tiers en raison de sa coopération active avec la Commission pendant la procédure administrative, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir accordé à la requérante une réduction supplémentaire du montant de l'amende qui lui a été infligée.

159. Enfin, s'il est certes important que la requérante ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l'avenir par des membres de son personnel, ce fait ne change rien à la réalité de l'infraction qui a été constatée en l'espèce (arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 357).

160. Par conséquent, la quatrième branche du moyen ne saurait être retenue.

Sur la cinquième branche, tirée de ce que la Commission se serait fondée, pour la détermination du montant de l'amende, sur des considérations étrangères

Arguments des parties

161. La requérante constate que le montant total de l'amende est le plus élevé que la Commission ait jamais imposé. A défaut d'explications sur ce point dans la décision, on ne pourrait que supposer que des considérations étrangères ont été retenues. Le point 161 des considérants de la décision faisant mention de l'existence d'accords collusoires depuis 1975, il ne pourrait être exclu que l'amende a été infligée pour une période ayant commencé en 1975, ce qui ne serait pas justifié. En outre, la Commission n'aurait pas été fondée à prendre en considération à titre de circonstances aggravantes, au point 168 des considérants, le fait que "l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté", et que "des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion". En effet, ces éléments étant inhérents à l'infraction retenue, ils ne pourraient pas être considérés comme circonstances aggravantes dans le calcul de l'amende.

162. Quant à la prétendue fonction d'avertissement de la décision Polypropylène, elle ne constituerait pas, contrairement à ce que la Commission affirme dans son mémoire en défense, un critère légitime justifiant une augmentation du montant de l'amende.

163. Selon la Commission, le montant de l'amende n'est pas disproportionné, compte tenu de la gravité de l'infraction. Le fait que l'amende soit plus élevée que celles infligées dans des affaires antérieures serait justifié, car, à la différence de certaines affaires antérieures (notamment la décision Polypropylène), les participants à l'entente n'auraient pas subi de pertes substantielles pendant la durée de l'infraction. En toute hypothèse, les participants ne pourraient pas exciper du peu de succès de celle-ci. Au surplus, la décision Polypropylène aurait dû servir d'avertissement à l'époque. D'ailleurs, le Tribunal aurait jugé, en ce qui concerne ladite décision, que l'infraction justifiait amplement les amendes (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Atochem/Commission, T-3-89, Rec. p. II-1177, point 229).

164. Enfin, l'affirmation de la requérante selon laquelle la détermination de l'amende aurait été fondée sur des "considérations étrangères" ne serait que pure conjecture. La décision ne traduirait pas un changement significatif de politique. Le Tribunal aurait déjà confirmé, relativement à la décision Polypropylène, que le secret et le degré d'organisation constituent des circonstances aggravantes.

Appréciation du Tribunal

165. La Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte de la durée de l'infraction (point 167 des considérants de la décision), ainsi que des considérations suivantes (point 168 des considérants):

"-la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence,

-l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté,

-le marché communautaire du carton est un secteur économique important qui totalise chaque année quelque 2,5 milliards d'écus,

-les entreprises participant à l'infraction couvrent pratiquement tout le marché,

-l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté,

-des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres', etc.),

-l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs".

166. De plus, le Tribunal rappelle qu'il ressort d'une réponse de la Commission à une question écrite du Tribunal que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les "chefs de file" de l'entente et aux autres entreprises.

167. Il y a lieu de souligner, en premier lieu, que, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d'élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif. Par conséquent, le fait que la Commission a appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence (voir, notamment, arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française ea/Commission, 100-80, 101-80, 102-80 et 103-80, Rec. p. 1825, points 105 à 108, et arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13-89, Rec. p. II-1021, point 385).

168. En second lieu, la Commission a soutenu à bon droit que, en raison des circonstances propres à l'espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la présente décision et ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en particulier, dans la décision Polypropylène, considérée par la Commission elle-même comme la plus comparable à celle du cas d'espèce. En effet, contrairement à l'affaire à l'origine de la décision Polypropylène, aucune circonstance atténuante générale n'a été prise en compte en l'espèce pour déterminer le niveau général des amendes. En outre, l'adoption de mesures visant à dissimuler l'existence de la collusion démontre que les entreprises concernées ont été pleinement conscientes de l'illégalité de leur comportement. Partant, la Commission a pu prendre en compte ces mesures lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction, car elles constituaient un aspect particulièrement grave de l'infraction de nature à la caractériser par rapport aux infractions antérieurement constatées par la Commission.

169. En troisième lieu, il convient de souligner la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, qui a été commise malgré l'avertissement qu'aurait dû constituer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, et notamment la décision Polypropylène.

170. Sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision justifient le niveau général des amendes fixé par la Commission. Rien ne permet, par conséquent, de considérer que la Commission s'est fondée sur des considérations étrangères lors de la détermination du montant des amendes. Le Tribunal a certes déjà constaté que les effets de la collusion sur les prix retenus par la Commission pour la détermination du niveau général des amendes ne sont que partiellement prouvés. Toutefois, à la lumière des considérations qui précèdent, cette conclusion ne saurait affecter sensiblement l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée. A cet égard, le fait que les entreprises ont effectivement annoncé les augmentations de prix convenues et que les prix ainsi annoncés ont servi de base pour la fixation des prix de transaction individuels suffit, en soi, pour constater que la collusion sur les prix a eu tant pour objet que pour effet une grave restriction de la concurrence. Partant, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal considère que les constatations opérées au sujet des effets de l'infraction ne justifient aucune réduction du niveau général des amendes fixé par la Commission.

171. La cinquième branche du moyen ne peut, dès lors, être accueillie.

172. Il s'ensuit qu'il y a lieu de rejeter le moyen unique invoqué à l'appui de la demande d'annulation ou de réduction de l'amende infligée à la requérante.

173. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, il convient d'accueillir partiellement le moyen tiré de l'illégalité de l'article 2 de la décision et de rejeter le recours pour le surplus.

Sur les dépens

174. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1) L'article 2, premier à quatrième alinéa, de la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-C-33.833 - Carton) est annulé à l'égard de la requérante, sauf en ce qui concerne les passages suivants:

"Les entreprises mentionnées à l'article 1er mettent fin immédiatement aux infractions précitées, si elles ne l'ont pas déjà fait. Elles s'abstiennent à l'avenir, dans le cadre de leurs activités dans le secteur du carton, de tout accord ou pratique concertée susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou similaire, y compris tout échange d'informations commerciales:

a) par lequel les participants seraient informés directement ou indirectement de la production, des ventes, des commandes en carnet, des taux d'utilisation des machines, des prix de vente, des coûts ou des plans de commercialisation d'autres fabricants.

Tout système d'échange de données générales auquel elles seraient abonnées, tel que le système Fides ou son successeur, sera géré de manière à exclure toutes données permettant d'identifier le comportement de fabricants déterminés."

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) La requérante est condamnée aux dépens.