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Décisions

TPICE, 3e ch. élargie, 14 mai 1998, n° T-327/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SCA Holding (Ltd)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Juges :

MM. Briët, Potocki, Cooke, Mme Lindh

Avocats :

Mes Scasselati-Sforzolini, Garzaniti.

TPICE n° T-327/94

14 mai 1998

LE TRIBUNAL,

Faits à l'origine du litige

1. La présente affaire concerne la décision 94-601-CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-C-33.833 - Carton) (JO L. 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après "décision"). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2. Le produit faisant l'objet de la décision est le carton. Trois types de carton, désignés comme relevant des qualités "GC", "GD" et "SBS", sont mentionnés dans la décision.

3. Le carton de qualité GD (ci-après "carton GD") est un carton à intérieur gris (papiers recyclés) qui sert habituellement à l'emballage de produits non alimentaires.

4. Le carton de qualité GC (ci-après "carton GC") est un carton présentant une couche extérieure blanche et servant habituellement à l'emballage de produits alimentaires. Le carton GC est d'une qualité supérieure à celle du carton GD. Dans la période couverte par la décision, il a généralement existé entre ces deux produits un écart de prix d'environ 30 %. Dans une moindre mesure, le carton GC de haute qualité sert également à des utilisations graphiques.

5. SBS est le sigle utilisé pour désigner le carton entièrement blanc (ci-après "carton SBS"). Ce carton est un produit dont le prix est d'environ 20 % supérieur à celui du carton GC. Il sert à l'emballage des aliments, des produits cosmétiques, des médicaments et des cigarettes, mais il est destiné principalement à des utilisations graphiques.

6. Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après "BPIF"), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

7. Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

8. Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

9. A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

10. Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

11. En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

12. Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:

"Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard - the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarriò SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

- dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

- dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

- dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

- dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins, à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

- se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

- ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

- ont planifié et mis en œuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

- se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

- ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en œuvre desdites augmentations de prix concertées,

- ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

[...]

xvi) SCA Holding Limited, une amende de 2 200 000 écus;

[...]"

13. Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé "Groupe d'étude de produit Carton" (ci-après "GEP Carton"), composé de plusieurs groupes ou comités.

14. Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un "Presidents Working Group" (ci-après "PWG") réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

15. Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en œuvre par les fabricants.

16. Le PWG faisait rapport à la "President Conference" (ci-après "PC") à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

17. A la fin de l'année 1987 a été créé le "Joint Marketing Committee" (ci-après "JMC"). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en œuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

18. Enfin, le comité économique (ci-après "COE") débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

19. Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

20. La société Reed Paper & Board Ltd (ci-après "Reed P & B") a détenu, durant toute la durée de l'infraction, la cartonnerie Colthrop Mill (ci-après "Colthrop").

21. Reed P & B a été, jusqu'en juillet 1988, une filiale de Reed International plc. En juillet 1988, la reprise par les salariés de plusieurs sociétés du groupe Reed International a conduit à la constitution de la société Reedpack Ltd (ci-après "Reedpack") et à l'acquisition, par cette dernière, de Reed P & B.

22. En juillet 1990, le groupe suédois Svenska Cellulosa Aktiebolag (ci-après "SCA") a acquis Reedpack et, par voie de conséquence, Reed P & B et plusieurs usines, dont Colthrop. Reed P & B a changé sa dénomination une première fois le 1er février 1991 en SCA Aylesford Ltd (ci-après "SCA Aylesford") puis, une seconde fois, le 4 février 1992, en SCA Holding Ltd (ci-après "SCA Holding").

23. En mai 1991, Colthrop a été cédée à la société Field Group Ltd, laquelle l'a revendue en octobre 1991 à Mayr-Melnhof AG. A la date de cette dernière opération, Colthrop avait déjà été constituée en société dénommée Colthrop Board Mill Ltd.

24. Selon la décision, Reed P & B a participé à l'infraction en cause, notamment en participant à certaines réunions du JMC et de la PC. De plus, SCA Holding n'étant qu'une dénomination différente de SCA Aylesford et de Reed P & B et n'étant, par conséquent, qu'une seule et même entité, la Commission a considéré qu'il y avait lieu de lui adresser la décision (points 155 et suivants des considérants de la décision).

PROCÉDURE

25. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

26. Seize des dix-huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-295-94, T-301-94, T-304-94, T-308-94, T-309-94, T-310-94, T-311-94, T-317-94, T-319-94, T-334-94, T-337-94, T-338-94, T-347-94, T-348-94, T-352-94 et T-354-94).

27. La requérante dans l'affaire T-301-94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton-Commission (T-301-94, non publiée au Recueil).

28. Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339-94, T-340-94, T-341-94 et T-342-94).

29. Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard-Commission (T-312-94, non publiée au Recueil).

30. Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295-94, T-304-94, T-308-94, T-309-94, T-310-94, T-311-94, T-317-94, T-319-94, T-327-94, T-334-94, T-337-94, T-338-94, T-347-94, T-348-94, T-352-94 et T-354-94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.

31. Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-334-94.

32. Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337-94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.

33. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

34. Les parties dans les affaires mentionnées au point 30 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.

CONCLUSIONS DES PARTIES

35. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler l'article 1er et-ou l'article 3 de la décision dans la mesure où ils concernent la requérante;

- à titre subsidiaire, réduire sensiblement l'amende infligée à la requérante à l'article 3;

- condamner la Commission aux dépens.

36. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme non fondé;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité de certains moyens

37. Lors de la réunion informelle du 29 avril 1997, les entreprises ayant introduit des recours contre la décision ont été invitées à considérer, dans l'hypothèse d'une éventuelle jonction des affaires aux fins de la procédure orale, la possibilité de la présentation de plaidoiries communes à plusieurs d'entre elles. Il a été souligné que de telles plaidoiries communes ne pourraient être présentées que par des parties requérantes ayant effectivement invoqué dans leurs requêtes introductives d'instance des moyens correspondant aux thèmes à plaider en commun.

38. Par télécopie du 14 mai 1997, déposée au nom de l'ensemble des entreprises en cause, celles-ci ont communiqué leur décision de traiter six sujets dans le cadre de plaidoiries communes, et notamment les sujets suivants:

a) la description du marché et l'absence d'effets de l'entente,

b) la notion d'"infraction unique" et le niveau requis des preuves,

c) l'allégation relative à une concertation portant sur le contrôle des volumes.

39. La requérante a fait savoir, par télécopie déposée au greffe du Tribunal le 23 juin 1997, qu'elle participerait à l'ensemble des plaidoiries communes. A cette occasion, elle a admis ne pas avoir fait valoir des moyens portant sur les trois sujets susmentionnés, mais a soutenu que cette circonstance ne devrait pas l'empêcher de se rallier aux plaidoiries communes en cause. Elle a prétendu, réitérant ensuite cette argumentation lors de l'audience, qu'elle n'avait été en mesure de contester, dans sa requête, ni l'existence même des différents aspects de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision, ni l'appréciation de la Commission relative aux effets de cette infraction, car les personnes censées l'avoir représentée au sein de l'entente alléguée n'étaient plus employées par celle-ci. Dès lors, ce ne serait qu'au moment où elle a eu connaissance du contenu des plaidoiries communes en cause qu'elle aurait eu connaissance des éléments de fait lui permettant de soulever les moyens s'y rapportant.

40. Cette argumentation ne saurait être retenue.

41. En effet, aux termes de l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Or, en l'espèce, force est de constater que rien n'a empêché la requérante de contester, dans sa requête, les allégations de droit et de fait contenues dans la décision et qu'elle ne s'est rapportée à aucun élément de fait ou de droit précis, révélé pendant la procédure, de nature à justifier la production de moyens nouveaux.

42. Dès lors, les moyens invoqués par la requérante pour la première fois dans sa télécopie du 23 juin 1997 doivent être déclarés irrecevables.

SUR LE FOND

Sur la demande d'annulation des articles 1er et 3 de la décision

A - Sur le moyen tiré de ce que SCA Holding ne serait pas le bon destinataire de la décision

Arguments des parties

43. La requérante fait valoir qu'elle n'aurait pas dû être tenue pour responsable du comportement de Colthrop et qu'elle n'est donc pas le bon destinataire de la décision.

44. En premier lieu, elle souligne que, après la cession de Colthrop en mai 1991 et après que Reed P & B eut changé de dénomination sociale pour devenir SCA Aylesford puis SCA Holding, il a été procédé à des restructurations des activités du groupe SCA au Royaume-Uni, en conséquence desquelles SCA Holding, la requérante, est devenue une société holding.

45. En second lieu, Colthrop devrait être considérée comme l'"entreprise concernée" par la procédure. En effet, elle aurait été et serait toujours une "unité économique dotée d'une identité distincte", formant un "centre de profit distinct" et concernée par l'infraction [voir points 97 à 102 des considérants de la décision 86-398-CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-31.149 - Polypropylène) (JO L. 230, p. 1, ci-après "décision Polypropylène")], ou un "ensemble organisé de moyens humains et matériels en vue de poursuivre de manière durable un but économique déterminé" [communication 90-C 203-06 de la Commission, concernant les opérations de concentration et de coopération au titre du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, JO 1990, C 203, p. 10].

46. Afin de démontrer que Colthrop occupait une position autonome la rendant susceptible d'enfreindre le droit de la concurrence, la requérante développe de manière très détaillée une série d'arguments selon lesquels, en substance, a) Colthrop a été l'unique entité active dans le secteur du carton au sein des groupes auxquels elle a successivement appartenu au cours de la période concernée, b) la structure organisationnelle de Colthrop contribuait à son autonomie, c) Colthrop se comportait comme une entité distincte vis-à-vis des tiers. La requérante ajoute que Colthrop est ultérieurement devenue une société, Colthrop Board Mill Ltd, ayant les mêmes actifs, le même personnel et le même responsable (M. Dalgleish). Enfin, elle explique que les liens opérationnels entre Colthrop et Reed P & B n'ont jamais été aussi étroits que le prétend la Commission.

47. L'autonomie de Colthrop n'aurait nullement été affectée par l'acquisition de Reedpack par le groupe SCA. En effet, un certain nombre d'actifs de Reedpack, dont Colthrop, n'aurait revêtu aucun intérêt pour SCA, ce qui expliquerait sa revente dès mai 1991. Pendant la période durant laquelle Colthrop a été détenue par SCA, celle-ci n'aurait pas non plus participé à la gestion de celle-là.

48. En troisième lieu, Colthrop devant être considérée comme l'entreprise concernée, la décision aurait dû être adressée à Colthrop Board Mill Ltd en tant que successeur de ladite entreprise. La requérante rappelle que, pour ce qui est des règles de fond du droit communautaire de la concurrence, la notion d'"entreprise" est déterminante et la personnalité morale ne doit avoir d'importance que dans la mesure où, pour des raisons pratiques de facilité d'exécution, la communication des griefs et la décision sont adressées et l'amende infligée à une entité disposant de la personnalité morale. Même si la requérante admet que, puisque Colthrop n'était pas constituée en société à l'époque, la Commission avait la faculté d'identifier une entité juridique pouvant être tenue pour responsable de l'infraction aux fins de l'exécution de la décision, elle souligne toutefois que la présente affaire pose un problème de succession étant donné que l'entreprise concernée, Colthrop, est devenue une société, dotée d'une personnalité juridique propre, après l'infraction, mais avant la communication des griefs, et qu'elle est son propre successeur économique et fonctionnel.

49. Dans une telle situation, il y aurait lieu de résoudre la question de la succession en suivant l'entreprise concernée à travers les différents transferts et réorganisations qu'elle peut avoir subis s'il n'est pas prouvé que l'ancien propriétaire a directement participé à l'infraction. Ce raisonnement serait implicite dans l'arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission (T-6-89, Rec. p. II-1623, point 55), et dans la décision Polypropylène (en ce qui concerne l'imposition d'une amende à Statoil), à savoir que l'entreprise ayant réellement participé à l'entente ne doit pas échapper aux amendes.

50. En quatrième lieu, même si Colthrop n'est pas l'entreprise concernée par l'infraction, la décision n'aurait pas dû être adressée à la requérante. Il aurait été estimé, dans la décision 84-388-CEE de la Commission, du 23 juillet 1984, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV-30.988 - Accords et pratiques concertées dans le secteur du verre plat dans les pays du Benelux) (JO L. 212, p. 13), qu'une société-mère ayant acquis deux entreprises n'avait pas eu le temps d'en assumer le plein contrôle entre la date de l'acquisition et la cessation de l'infraction (cinq mois). La Commission aurait dû, pour les mêmes raisons, ne pas adresser la décision à la requérante.

51. A titre subsidiaire, la requérante soutient que la Commission a commis une erreur en estimant que l'entreprise était Reed P & B, puisque celle-ci aurait été réorganisée après son acquisition par SCA et n'aurait plus été qu'une société intermédiaire dépourvue d'autonomie quant à sa stratégie commerciale et sans contrôle sur ses actifs. La Commission aurait donc dû rechercher si la responsabilité des activités de Colthrop incombait à l'ultime société mère, qui a changé à plusieurs reprises. La requérante en conclut que la Commission aurait dû, en tout état de cause, partager la responsabilité entre Reed International plc, Reedpack et SCA, mais, en ce qui concerne cette dernière, seulement pour la période allant de juillet à novembre 1990.

52. Enfin, la Commission considérerait erronément que Reed P & B et SCA Holding sont la même entreprise, car, étant donné que SCA Holding n'exerce qu'un contrôle indirect (par l'intermédiaire d'une filiale) sur l'une des six papeteries originairement détenues par Reed P & B, celle-là ne saurait être considérée comme la même entreprise que celle-ci. Les seuls éléments sur lesquels se fonderait la Commission afin de constater que Reed P & B et SCA Holding sont la même entreprise seraient l'adresse et le numéro d'immatriculation. Or, la détermination d'une entreprise ne pourrait être fondée sur de tels éléments purement formels.

53. La Commission estime que l'argumentation de la requérante est dénuée de fondement, puisque la décision a été adressée à l'entreprise et à la société ayant commis l'infraction. Lorsqu'une infraction aux règles communautaires de la concurrence a été constatée, il faudrait identifier la personne morale qui doit en répondre, car seule celle-ci peut être destinataire d'une décision infligeant des amendes. En l'espèce, Reed P & B aurait été la personne morale responsable de l'infraction et elle devrait donc en répondre.

54. Reed P & B, en tant qu'entreprise concernée, aurait fabriqué du carton dans sa cartonnerie de Colthrop, celle-ci n'ayant été, pendant toute la durée de l'infraction, y compris après l'acquisition de Reed P & B par le groupe SCA, qu'un simple actif appartenant à Reed P & B, puis à SCA Aylesford et enfin à SCA Holding.

55. Dans ce contexte, la Commission souligne que deux personnes ayant assisté aux discussions au sein de la PC et du JMC ont participé auxdites discussions en tant que représentants non pas de la cartonnerie Colthrop mais de Reed P & B.

56. De plus, après l'acquisition par le groupe SCA d'une partie du groupe Reedpack, dont Reed P & B, cette dernière entreprise aurait continué à fabriquer le même produit au même endroit avec le même personnel, certains membres du personnel de SCA venant s'y adjoindre au niveau de la direction générale et du conseil d'administration. Par la suite, Reed P & B aurait simplement changé de raison sociale pour devenir, en février 1991, SCA Aylesford Ltd, puis, le 4 février 1992, SCA Holding Ltd, mais il se serait toujours agi de la même société, SCA Holding ayant la même adresse et le même numéro d'immatriculation que Reed P & B et SCA Aylesford.

57. La Commission relève que la vente de l'actif que constituait la cartonnerie Colthrop et son ultérieure constitution en société ne change rien au fait que Reed P & B doit être considérée comme l'entreprise et la société ayant commis l'infraction. Comme indiqué au point 156 des considérants de la décision, il y aurait lieu de distinguer entre les personnes morales et les simples actifs, distinction confirmée par le Tribunal dans l'arrêt Enichem Anic-Commission, précité (points 236 à 240).

58. La Commission conclut que, contrairement à ce qu'affirme SCA Holding, la présente espèce ne pose aucune question de succession.

59. Au surplus, même si la Commission avait pu s'adresser au nouveau propriétaire de la cartonnerie, cela n'impliquerait aucunement qu'elle ne pouvait pas choisir de s'adresser à Reed P & B, à présent SCA Holding. En effet, dans l'hypothèse où Colthrop pourrait être considérée comme l'entreprise concernée, cela impliquerait uniquement que la Commission avait un choix en ce qui concerne le destinataire de la décision (voir arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum-Commission, T-65-89, Rec. p. II-389, confirmé par arrêt de la Cour du 6 avril 1995, C-310-93 P, Rec. p. I-865).

60. Enfin, les allégations de SCA Holding relatives à l'autonomie de Colthrop seraient dénuées de pertinence, ces allégations n'étant même pas confirmées par les faits.

Appréciation du Tribunal

61. Il est constant que Colthrop était l'usine fabriquant du carton et que cette usine était la propriété de la société Reed P & B, puis de SCA Aylesford Ltd et enfin de SCA Holding pendant toute la période d'infraction.

62. Ensuite, il convient de constater que Reed P & B, SCA Aylesford Ltd et SCA Holding (la requérante) sont les dénominations sociales successives d'une seule et même personne morale.

63. Les circonstances du cas d'espèce ne présentent donc aucune question de succession. En effet, il ressort de la jurisprudence du Tribunal (arrêt Enichem Anic-Commission, précité, points 236 à 238) que la personne morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise au moment où l'infraction a été commise doit se voir imputer le comportement infractionnel de celle-ci. Tant que cette personne morale existe, la responsabilité du comportement infractionnel de l'entreprise suit cette personne morale, même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été cédés après la période d'infraction à des tierces personnes.

64. Dès lors, c'est à bon droit que la Commission a adressé la décision à la personne morale qui était responsable des agissements anticoncurrentiels constatés durant la période d'infraction et qui a continué d'exister jusqu'à l'adoption de la décision.

65. Il s'ensuit que, à supposer même que Colthrop puisse être considérée comme une entreprise au sens de l'article 85 du traité et que cette entreprise ait été détenue au jour de l'adoption de la décision par la personne morale Colthrop Board Mill Ltd, les conclusions de la requérante ne peuvent tendre, tout au plus, qu'à démontrer que la Commission disposait d'un choix quant au destinataire de la décision. Le choix opéré par la Commission ne saurait donc, dans de telles circonstances, être valablement mis en cause.

66. De plus, Reed P & B figurait sur la liste des membres du GEP Carton.

67. Or, selon le point 143 des considérants de la décision, la Commission a en principe adressé la décision à l'entité mentionnée dans la liste des membres du GEP Carton, sauf:

"1) lorsque plusieurs sociétés d'un même groupe [avaient] participé à l'infraction

ou

2) lorsqu'il [existait] des preuves précises impliquant la société-mère dans la participation de la filiale à l'entente,[cas dans lesquels] la décision a été adressée au groupe (représenté par la société-mère)".

68. La Commission n'ayant pas estimé que l'une de ces deux conditions d'une exception au principe énoncé au point 143 était remplie, elle a pu valablement décider de ne pas adresser la décision aux sociétés-mères successives de la société Reed P & B-SCA Aylesford-SCA Holding.

69. Le présent moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

B - Sur le moyen tiré d'une insuffisance ou d'une erreur de motivation en ce qui concerne la désignation de Reed P & B comme l'entreprise concernée et SCA Holding comme le destinataire de la décision

Arguments des parties

70. La requérante rappelle que le Tribunal a jugé, dans l'arrêt du 28 avril 1994, AWS Benelux-Commission (T-38-92, Rec. p. II-211, point 26), qu'une décision adoptée au titre des articles 85 et 86 du traité, qui est adressée à une pluralité de destinataires et qui soulève un problème d'imputabilité, doit être clairement motivée à l'égard de tous les destinataires et, en particulier, à l'égard de ceux qui doivent supporter la charge des amendes.

71. La présente affaire présenterait une analogie avec l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, car la requérante aurait vivement contesté, au cours de la procédure devant la Commission, être le bon destinataire de la décision. Or, la Commission aurait, en l'espèce, décidé de ne pas suivre les actifs à l'origine de l'infraction mais d'imputer la responsabilité à la personne morale qui, à un moment donné, les avait directement détenus. Ce choix du destinataire aurait été fondé uniquement sur des raisons d'opportunité.

72. De plus, pour constater que Reed P & B était l'entreprise concernée, la Commission se serait limitée à retenir qu'elle était mentionnée sur la liste des membres du GEP Carton. Une telle motivation ne satisferait cependant pas aux exigences d'une motivation adéquate.

73. En ce qui concerne l'analogie opérée par la Commission, au point 155 des considérants de la décision, avec la situation de MoDo-Iggesund, la requérante souligne que Colthrop ne fait plus partie du groupe SCA, dont elle n'a fait partie que pendant quelques mois, alors que Iggesund appartient toujours, depuis 1989, au groupe MoDo. Ces deux situations ne seraient donc aucunement comparables, contrairement aux indications figurant dans la décision.

74. La décision serait également insuffisamment motivée en ce qui concerne l'affirmation selon laquelle SCA Holding serait le successeur économique de Reed P & B. Sur ce point, la Commission se fonderait uniquement sur le fait que SCA Holding détient actuellement les actions de deux sociétés auxquelles une partie des actifs de Reed P & B a été transférée. Au surplus, selon l'arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a.-Commission (40-73 à 48-73, 50-73, 54-73, 55-73, 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663), la continuité qui entre en ligne de compte serait celle entre l'entreprise concernée et son successeur, soit, en l'espèce, Colthrop Board Mill Ltd.

75. La requérante relève que, selon le point 145 des considérants de la décision, une société-mère ou un groupe considéré comme partie à l'infraction et qui transfère une filiale à une autre entreprise supporte la responsabilité de cette filiale pour la période antérieure à la date du transfert. Toutefois, la décision ne contiendrait aucune motivation expliquant pourquoi elle n'a pas été adressée, conformément audit raisonnement, à Reed International, l'ultime propriétaire de Colthrop jusqu'en juillet 1988.

76. La requérante fait enfin observer que, selon le point 143 des considérants de la décision, la Commission a décidé d'adresser la décision aux entités citées dans la liste des membres du GEP Carton sauf "lorsqu'il [existait] des preuves précises impliquant la société mère dans la participation de la filiale à l'entente", la décision étant, dans ce dernier cas, adressée à la société-mère. Or, bien que n'ayant pas ouvert une procédure contre SCA, la Commission continuerait à soutenir, sans preuves précises, que SCA était impliquée dans la gestion de Colthrop. Selon la requérante, si la Commission considérait que SCA avait participé à la gestion de Colthrop, elle aurait dû examiner la question plus en détail dans la décision, afin de déterminer avec précision l'entreprise concernée.

77. La Commission considère avoir amplement exposé, aux points 155 à 157 des considérants de la décision, les raisons pour lesquelles SCA Holding était le bon destinataire de la décision. Elle souligne que l'élément essentiel de la motivation contenue dans la décision est que SCA Holding est simplement le nouveau nom de Reed P & B.

Appréciation du Tribunal

78. Il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision faisant grief doit permettre l'exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée. Le caractère suffisant d'une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications. Pour remplir les fonctions précitées, une motivation suffisante doit faire apparaître, d'une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé. Lorsque, comme en l'espèce, une décision d'application des articles 85 ou 86 du traité concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d'imputabilité de l'infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l'égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d'entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction (voir, notamment, arrêt AWS Benelux-Commission, précité, point 26).

79. En l'espèce, il est constant que, dans le cadre de la procédure administrative devant la Commission, la requérante a invoqué plusieurs raisons pour lesquelles elle estimait que l'infraction alléguée ne pouvait lui être imputée.

80. Il en résulte que, pour être suffisamment motivée à l'égard de la requérante, la décision attaquée devait contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l'imputabilité de l'infraction à la requérante.

81. Les griefs de la requérante visant plus particulièrement les points 155 à 157 des considérants de la décision, il y a lieu de vérifier si ces points contiennent une motivation suffisante.

82. Aux termes du point 155, premier alinéa, "l'acquisition par le groupe forestier suédois SCA de Reedpack plc, le propriétaire ultime de Colthrop Board Mill, ne pose aucun problème particulier au regard de l'approche décrite au considérant 143" (voir point 67 ci-dessus).

83. Au point 155, deuxième alinéa, la Commission relève que Reed P & B figure sur la liste des membres du GEP Carton.

84. Elle explique ensuite au point 156, premier alinéa:

"[..I]l y a une continuité évidente entre Reed P & B (UK) Ltd, SCA Aylesford Ltd et SCA Holding Ltd: il s'agit d'une seule et même entité connue sous des noms différents. Le fait que la cartonnerie de Colthrop a été vendue en mai 1991 n'a pas porté atteinte à l'existence de SCA Holding Ltd. La responsabilité de sa participation n'a pas été transférée à la cartonnerie de Colthrop, qui n'était que l'un de ses actifs."

85. Au soutien de son affirmation, elle renvoie (même point des considérants) à l'arrêt Enichem Anic-Commission, précité (points 236 à 240), référence qui s'avère de nature à priver d'ambiguïté l'approche retenue.

86. Au vu de ces indications de la décision, le Tribunal estime que la Commission a suffisamment exposé les motifs l'ayant conduite à adresser la décision à la requérante.

87. Les points 155 à 157 des considérants de la décision contiennent également, d'une part, le rappel des principales contestations de la requérante quant à l'identité de l'entreprise devant supporter la charge de l'infraction et, d'autre part, les réponses de la Commission à ces contestations.

88. Ces points montrent clairement que la Commission a examiné et apprécié les arguments avancés par la requérante durant la procédure administrative.

89. L'existence d'une motivation suffisante ne saurait, en conséquence, être mise en cause en ce qui concerne ces arguments.

90. Enfin, dans la mesure où les arguments de la requérante évoqués ci-dessus aux points 73 à 76 visent uniquement à contester le bien-fondé des motifs ayant conduit la Commission à lui adresser la décision, leur examen dépasse le contrôle devant être effectué dans le cadre du présent moyen. Il s'ensuit que ces arguments sont dénués de pertinence.

91. Il y a donc lieu de rejeter le présent moyen.

C - Sur le moyen tiré d'une erreur commise quant à la durée de l'infraction

Arguments des parties

92. La requérante soutient que toute participation de Colthrop aux réunions des différents organes du GEP Carton et aux activités de celui-ci a cessé à la fin de novembre 1990, lorsque SCA s'est rendu compte d'une possible infraction au droit communautaire de la concurrence au sein de cet organisme (voir, également, point 157, dernière phrase, des considérants de la décision). Il incomberait donc à la Commission de prouver son affirmation selon laquelle l'infraction a continué à avoir des effets après cette date (arrêt Enichem Anic-Commission, précité, points 90 à 100). Or, l'institution n'aurait pas fourni la moindre preuve de cette affirmation et n'avancerait que des spéculations non confirmées.

93. La requérante conteste plus particulièrement l'affirmation de la Commission selon laquelle Colthrop aurait appliqué une augmentation de prix décidée en octobre 1990 et devant être mise en œuvre entre janvier et avril 1991. Elle soutient que les prix réels de Colthrop au début de l'année 1991 n'ont suivi ni le montant ni le calendrier de cette augmentation. A la fin d'octobre 1990, Colthrop aurait annoncé une augmentation de 40 UKL par tonne, qui devait prendre effet à la fin de janvier 1991. En fait, ladite augmentation aurait été, pour les plus gros clients, retardée jusqu'au 1er mars ou au 1er avril 1991. Colthrop aurait donc changé, de manière unilatérale et indépendante, la date d'entrée en vigueur de l'augmentation de prix. De plus, celle-ci aurait été justifiée par une augmentation des coûts et par une amélioration du produit.

94. La Commission estime avoir à juste titre considéré, pour déterminer la durée de l'infraction commise, que celle-ci a continué à produire des effets jusqu'à la cessation de l'entente dans son ensemble.

Appréciation du Tribunal

95. Le régime de concurrence instauré par les articles 85 et suivants du traité s'intéresse aux résultats économiques des accords, ou de toute forme comparable de concertation ou de coordination, plutôt qu'à leur forme juridique. Par conséquent, dans un cas d'ententes qui ont cessé d'être en vigueur, il suffit, pour que l'article 85 soit applicable, qu'elles poursuivent leurs effets au-delà de leur cessation formelle(voir, par exemple, arrêt de la Cour du 3 juillet 1985, Binon, 243-83, Rec. p. 2015, point 17).

96. En l'espèce, la requérante ne conteste pas sa participation à l'entente au cours du mois d'octobre 1990, date à laquelle la dernière augmentation de prix concertée a été annoncée, y compris par la requérante (voir tableau 4 annexé à la décision).

97. Concernant la mise en œuvre effective de cette augmentation, qui devait entrer en vigueur à partir de janvier 1991, la requérante, par lettre du 23 janvier 1991, a communiqué les informations suivantes au service juridique de la société mère du groupe SCA:

"Nous avons annoncé une augmentation de prix de 40 UKL-tonne à partir de la fin janvier 1991. Cette augmentation s'est heurtée à une forte résistance et nous avons craint qu'elle ne soit sensiblement retardée ou réduite. Nous savons à présent que la majorité de nos clients paiera le nouveau tarif à compter de la date prévue, quelques gros clients retardant son application jusqu'au 1er mars ou au 1er avril. Toutefois, la situation présente est meilleure que nous ne l'avions prévu récemment."

98. Il apparaît ainsi clairement qu'elle s'est efforcée d'assurer la mise en œuvre effective, à la date convenue, de l'augmentation de prix concertée annoncée au mois d'octobre 1990. La requérante ayant agi sur le marché conformément au comportement convenu, l'entente a donc continué de produire ses effets, en ce qui la concerne, au-delà du mois de novembre 1990, date à laquelle elle a cessé d'assister aux réunions des organes du GEP Carton.

99. Le niveau des prix de catalogue convenu entre les entreprises étant toujours en vigueur au mois d'avril 1991, mois durant lequel les agents de la Commission ont procédé à des vérifications dans les locaux de plusieurs entreprises conformément à l'article 14 du règlement n° 17, le mois d'avril 1991 a été retenu à bon droit comme date de la cessation de l'infraction commise par la requérante.

100. Au vu de ce qui précède, le moyen doit être rejeté.

Sur la demande d'annulation ou de réduction de l'amende

A - Sur le moyen tiré de ce que la Commission aurait omis à tort de prendre en considération plusieurs circonstances particulières

101. La requérante invoque une série de circonstances qui auraient dû, soutient-elle, être prises en considération en tant que circonstances atténuantes lors de la détermination du montant de l'amende qui lui a été infligée. En l'espèce, il y a lieu d'examiner séparément chacune de ces circonstances.

Sur le grief tiré de ce que Colthrop ne formait qu'une partie minime des activités de Reedpack acquises par le groupe SCA et de son absence d'intégration réelle dans le groupe SCA

102. La requérante fait valoir que Colthrop ne formait qu'une partie minime des activités de Reedpack acquises par le groupe SCA, car ses ventes ne représentaient que 2,3 % du chiffre d'affaires de Reedpack. De plus, le groupe SCA aurait eu l'intention de revendre Colthrop, ce qu'il a effectivement fait en 1991. Aucun représentant du groupe n'aurait même visité cette entreprise avant l'acquisition de Reedpack. Enfin, la médiocrité des résultats de Colthrop aurait rendu difficile sa vente à un prix raisonnable.

103. Ces éléments seraient pertinents pour illustrer deux critères que la Commission prétend, au point 169 des considérants de la décision, avoir pris en considération, à savoir l'importance de l'entreprise concernée et le rôle joué par chaque entreprise. Ils démontreraient la faible dimension de Colthrop, l'absence d'intérêt de SCA et de la requérante pour les activités liées au carton et une absence de participation à celles-ci.

104. Le Tribunal relève cependant que le comportement infractionnel constaté a été imputé à bon droit à la requérante.

105. Pour ce qui est de la faible dimension de Colthrop, il convient de rappeler que l'amende infligée a été calculée à partir du chiffre d'affaires que la requérante a réalisé sur le marché communautaire du carton en 1990 par le biais de la cartonnerie de Colthrop. Il s'ensuit que, lors de la fixation du montant de l'amende, la Commission a pris en compte la puissance économique de la requérante sur le marché concerné.

106. Quant à l'argumentation selon laquelle le secteur du carton et, notamment, la cartonnerie de Colthrop n'auraient présenté aucun intérêt pour le groupe SCA, il suffit de constater que la Commission a effectivement établi l'existence d'une violation commise de propos délibéré, par la requérante, de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Pour le surplus, le groupe SCA n'ayant pas été destinataire de la décision et ne s'étant pas vu reprocher dans celle-ci, en sa qualité de société mère de la requérante, une implication dans l'infraction constatée, la question de savoir si le secteur du carton présentait ou non un intérêt pour le groupe SCA est dénuée de pertinence.

107. Le grief avancé par la requérante ne saurait donc être accueilli.

Sur le grief tiré d'une absence d'implication du groupe SCA dans la gestion de Colthrop et dans les infractions alléguées

108. La requérante réitère les arguments qu'elle a avancés dans le cadre du premier moyen pour démontrer que SCA n'était aucunement impliquée dans la gestion de Colthrop. Cette absence d'implication de la société-mère aurait dû être prise en compte, puisque la charge de l'amende pèserait sur celle-ci, la requérante n'étant qu'une simple société holding.

109. Cette argumentation ne saurait être retenue. En effet, le comportement infractionnel ayant été imputé à bon droit à la requérante, la question de savoir si le groupe SCA était impliqué dans la gestion de Colthrop et si l'ultime société-mère du groupe avait connaissance du comportement infractionnel est dénuée de pertinence aux fins de la détermination du montant de l'amende.

110. Il s'ensuit qu'il convient de rejeter le grief en cause.

Sur le grief tiré de ce que l'infraction commise par Colthrop aurait pris fin en novembre 1990

111. La requérante réaffirme que la participation de Colthrop aux réunions des différents organes du GEP Carton a pris fin en novembre 1990 (voir points 92 et suivants ci-dessus). Dès lors, Colthrop n'aurait pas eu à "se dissocier" de l'augmentation de prix du début de 1991 annoncée par l'entente puisque, à cette date, elle n'y était pas associée.

112. A cet égard, il suffit de rappeler que c'est à bon droit que la requérante a été considérée comme ayant participé à l'infraction constatée jusqu'au mois d'avril 1991 (voir ci-dessus points 95 et suivants).

113. Le présent grief doit, dès lors, être rejeté.

Sur le grief tiré d'une absence de prise en compte du fait que le groupe SCA applique une politique rigoureuse de prévention des infractions au droit de la concurrence

114. La requérante relève que SCA a mené, depuis 1988, une politique rigoureuse de prévention des infractions au droit de la concurrence, plusieurs séances d'information ayant été tenues aux sièges les plus importants du groupe en Europe afin d'expliquer cette politique au personnel. Dans ces conditions, la requérante ne saurait être tenue pour responsable du comportement reproché à une autre entreprise qui se démarque nettement des efforts engagés par SCA pour se conformer aux règles communautaires de la concurrence.

115. La Commission souligne notamment que le programme d'alignement en cause s'est révélé inefficace, puisque rien n'a été fait pour prévenir la continuation de l'infraction.

116. Il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a.-Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-1611, point 54). Parmi les éléments pouvant être pris en compte à titre de circonstances atténuantes figure notamment la mise en place d'un programme d'alignement (voir, à cet égard, arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen-Commission, T-77-92, Rec. p. II-549, point 93).

117. En l'espèce, si la requérante affirme qu'elle n'a plus participé aux réunions du GEP Carton aussitôt après qu'elle s'est rendu compte, à la suite de la plainte déposée par la BPIF, de l'éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence (voir point 163, second alinéa, des considérants de la décision), la Commission a néanmoins constaté à juste titre que l'infraction s'était poursuivie jusqu'au mois d'avril 1991 (voir ci-dessus points 95 et suivants).

118. Force est donc de constater que le programme d'alignement invoqué s'est révélé inefficace et que, dans ces conditions, la Commission ne devait pas le prendre en considération en tant que circonstance atténuante.

119. Le grief de la requérante doit donc être rejeté.

Sur le grief tiré d'une absence de prise en compte du fait que Colthrop n'aurait été qu'un membre très secondaire du GEP Carton

- Arguments des parties

120. La requérante fait valoir les éléments suivants:

- Colthrop n'était pas l'un des "chefs de file" et sa taille était trop faible pour la rendre importante aux yeux de ceux-ci;

- Colthrop était un petit producteur fabriquant uniquement du carton GD et la Commission admet que la collusion avait eu moins de succès pour cette qualité;

- Colthrop n'a jamais participé aux réunions du PWG;

- Colthrop n'est mentionnée que très rarement dans les documents invoqués par la Commission;

- Colthrop n'était pas membre de la Paper Agents Association, qui aurait exécuté les infractions au niveau national (points 94 à 99 des considérants de la décision);

- à la différence des autres producteurs, Colthrop n'a assisté à aucune réunion du GEP Carton après que la plainte déposée eut été rendue publique à la fin de novembre 1990;

- Colthrop ne fait pas partie des entreprises accusées d'avoir pris part au système de régulation des volumes.

121. La requérante ajoute que la Commission a décidé de ne pas adresser la décision à certaines entreprises plus importantes que Colthrop (en termes de ventes de carton dans la Communauté) et qui ne sont peut-être pas moins importantes que Colthrop dans l'entente. Dans ces conditions, on ne pourrait pas exclure que la Commission ait été influencée par le fait que, au moment de la découverte de l'infraction, Colthrop appartenait au groupe SCA.

122. Enfin, la requérante souligne n'avoir jamais contesté la participation de Colthrop à un plan sectoriel commun contraire à l'article 85 du traité. Elle demande seulement que la Commission applique les critères de détermination du montant de l'amende qu'elle a elle-même énoncés.

123. La Commission rappelle avoir constaté que tous les destinataires de la décision ont participé à une infraction unique consistant en un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence comportant des augmentations de prix convenues, un accord de répartition des marchés, des mesures concertées de maîtrise de l'offre et un échange d'informations commerciales destiné à soutenir ces politiques (voir points 116 et suivants des considérants de la décision). Tous les destinataires de la décision auraient commis cette infraction dans sa totalité, ce qui aurait justifié les amendes infligées. La requérante ne pourrait demander une réduction de son amende au motif qu'elle n'aurait pas pris de mesures pour restreindre sa propre production. Certes, seuls les gros producteurs assistant aux réunions du PWG auraient procédé à cette restriction. Cependant, ils l'auraient fait au bénéfice de toutes les entreprises participant à l'infraction. La requérante ne pourrait donc demander une réduction de l'amende au motif qu'elle était un "participant marginal" à l'entente.

124. De plus, Reed P & B aurait assisté fréquemment aux réunions de l'entente. Toutefois, il n'aurait jamais été affirmé qu'elle avait assisté aux réunions du PWG. Etant donné qu'elle assistait notamment aux réunions du JMC et appliquait les prix convenus, elle ne pourrait être considérée comme un participant marginal et donc bénéficier d'une réduction de l'amende. Il n'y aurait pas eu de participants marginaux mais uniquement des participants ordinaires et des "chefs de file".

- Appréciation du Tribunal

125. Afin de déterminer le montant de l'amende infligée à chacun des destinataires de la décision, la Commission a notamment tenu compte du rôle joué par chacun d'eux dans les accords collusoires (point 169, premier alinéa, premier tiret, des considérants de la décision). Elle explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des "chefs de file" de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des "membres ordinaires" de celle-ci. La Commission a précisé, dans ses écritures devant le Tribunal ainsi que dans sa réponse à une question écrite de celui-ci, que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacun des destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 et que des taux de base de 9 et de 7,5 % de ce chiffre d'affaires ont été ensuite appliqués pour déterminer l'amende à infliger, respectivement, aux "chefs de file" de l'entente et aux "membres ordinaires" de celle-ci.

126. Ces indications ont été confirmées par un tableau relatif à la fixation du montant des amendes fourni par la Commission en réponse à une question écrite du Tribunal.

127. La requérante déclare ne pas contester la participation de Colthrop au plan commun de restriction de la concurrence décrit à l'article 1er de la décision. De même, elle ne conteste pas la description, faite dans la décision, du rôle de chacun des organes du GEP Carton.

128. A cet égard, il ressort de la décision que le PWG a été l'organe au sein duquel les principales décisions à objet anticoncurrentiel ont été adoptées. En outre, bien que la Commission estime que toutes les entreprises mentionnées à l'article 1er de la décision doivent être considérées comme ayant participé à l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction mentionnés dans ladite disposition, il ressort de la décision que la collusion visant à maintenir les parts de marché des principaux producteurs à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles, n'a porté que sur les parts de marché des entreprises participant aux réunions du PWG (points 51 à 60 des considérants de la décision). Enfin, la Commission admet qu'en ce qui concerne la collusion sur les temps d'arrêt des installations "il semble que ce soient à nouveau les principaux producteurs qui aient supporté la charge de la réduction de la production pour maintenir les niveaux des prix" (point 71, deuxième alinéa, des considérants de la décision).

129. Au vu de ces éléments, le grief de la requérante selon lequel la Commission n'aurait pas correctement apprécié son rôle dans l'entente ne saurait être accueilli.

130. En premier lieu, la requérante n'a pas été considérée comme l'un des "chefs de file" de l'entente. La Commission a donc tenu compte de l'absence de participation de la requérante aux réunions du PWG. Elle a par ailleurs fait une juste appréciation de la gravité de l'infraction commise respectivement par les "chefs de file" de l'entente et par les "membres ordinaires" de celle-ci, en retenant, aux fins du calcul des amendes infligées à ces deux catégories d'entreprises, des taux de base de 9 et de 7,5 % du chiffre d'affaires pertinent.

131. En second lieu, il est expliqué dans la décision que les entreprises ne participant pas aux réunions du PWG ont été informées des décisions adoptées par celui-ci lors des réunions du JMC et que cet organe constituait l'enceinte principale tant pour la préparation des décisions adoptées par le PWG que pour les discussions détaillées portant sur la mise en œuvre desdites décisions (voir, en particulier, points 44 à 48 des considérants de la décision). Dans ces conditions, dès lors que la requérante ne conteste ni la description contenue dans la décision des fonctions du JMC ni la participation de Colthrop aux différents éléments constitutifs de l'infraction et qu'elle figurait parmi les participants les plus assidus aux réunions du JMC (voir tableau 4 annexé à la décision), elle ne peut soutenir valablement que la Commission aurait dû la considérer comme ayant joué dans l'entente un rôle moins important que celui des autres entreprises considérées comme des "membres ordinaires".

132. Le fait que la requérante n'ait pas participé aux réunions des différents organes du GEP Carton après novembre 1990 ne modifie en rien cette constatation, étant donné que l'infraction s'est poursuivie jusqu'au mois d'avril 1991 (voir ci-dessus points 95 et suivants).

133. En troisième lieu, il a nécessairement été tenu compte de l'importance de chacune des entreprises dans le secteur du carton, puisque le chiffre d'affaires réalisé dans ce secteur a été pris en compte en tant que chiffre d'affaires de référence aux fins de la détermination du montant de l'amende infligée à chacune des destinataires de la décision. La requérante a donc tort d'affirmer que la Commission n'a pas tenu compte de la faible taille et de la moindre importance de Colthrop dans le secteur.

134. S'agissant enfin du fait que Colthrop n'a produit que du carton GD, force est de constater que la requérante ne conteste pas que l'infraction a concerné tant le carton GC, le carton SBS que le carton GD, et que son comportement individuel n'a pas contribué à atténuer les effets anticoncurrentiels de l'infraction (voir également ci-après points 143 et suivants). Dans ces conditions, la Commission était fondée à ne pas retenir, en tant que circonstance atténuante, le fait que la collusion ait, peut-être, eu un succès moindre pour la seule qualité de carton fabriquée par Colthrop.

135. Sur la base des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent grief.

Sur le grief tiré d'une absence de prise en compte du fait que les prix de Colthrop n'auraient pas correspondu aux prix annoncés de l'entente

- Arguments des parties

136. La requérante soutient avoir démontré, dans sa réponse à la communication des griefs (p. 15 à 20), que la politique en matière de prix de Colthrop était généralement sans relation avec les prix apparents de l'entente. Elle aurait démontré, au moyen de la description de l'évolution de ses prix annoncés et pratiqués à l'égard d'un échantillon représentatif de huit clients, que pour trois de ceux-ci les prix n'avaient augmenté que de 10 à 15 %, alors que le tarif moyen de Colthrop aurait augmenté de près de 30 % et que le prix moyen de l'entente aurait augmenté de plus de 35 %. De plus, les prix appliqués à l'un des clients auraient même baissé. Enfin, pour les quatre clients restants, les prix n'auraient suivi ni les tarifs de Colthrop ni les prix annoncés de l'entente.

137. Même les prix annoncés par Colthrop ne sembleraient pas avoir suivi les prix annoncés de l'entente. Quelques-unes des augmentations de prix de l'entente n'auraient pas été suivies par Colthrop, ces augmentations ne concernant pas la qualité GD ni le marché britannique. En outre, les augmentations de prix de Colthrop n'auraient pas non plus coïncidé avec le calendrier ni avec le niveau des augmentations des autres producteurs. Enfin, elles auraient été justifiées par des augmentations des coûts réels.

138. La requérante souligne qu'elle ne conteste pas avoir participé à une infraction à l'article 85 du traité. Elle fait cependant valoir que la Commission aurait dû tenir compte du fait que Colthrop n'avait pas mis en œuvre les décisions de l'entente en matière de prix. Cela démontrerait que le comportement de Colthrop n'a pas porté atteinte à la concurrence ni affecté les clients. A cet égard, la requérante rappelle, dans sa réplique, que la Commission justifie le montant plus élevé de l'amende par rapport à la décision Polypropylène par le fait que l'entente avait largement réussi à atteindre ses objectifs. Cependant, cet argument ne vaudrait pas pour Colthrop, dont l'infraction aurait été moins grave.

139. La Commission considère que la requérante ne fait que montrer la distinction existant entre le tarif et le prix effectivement appliqué et souligne que l'entente se préoccupait des tarifs. En outre, elle renvoie aux points 89, 101 et 102 des considérants de la décision.

140. Les annonces d'augmentations de prix de la requérante auraient correspondu aux prix convenus en diverses occasions (voir tableaux annexés à la décision, relatifs aux initiatives d'augmentation des prix). Les arguments de la requérante ne contrediraient pas le fait que la base des prix appliqués aux clients a été le tarif dans lequel figurait le prix convenu. Enfin, aucun autre producteur ne se serait plaint du fait que la requérante n'appliquait pas le prix convenu, alors qu'il existerait des indices en ce sens en ce qui concerne au moins un autre participant à l'entente (point 59 des considérants de la décision).

- Appréciation du Tribunal

141. La requérante ne conteste pas la participation de Colthrop à la collusion sur les prix constatée à l'article 1er de la décision. Ce comportement infractionnel lui a été imputé à bon droit. De même, la requérante ne conteste pas l'appréciation faite par la Commission des effets généraux de ladite collusion sur le marché (voir, notamment, points 100 à 102, 115, et 135 à 137 des considérants de la décision).

142. Le fait qu'une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger. En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit.

143. En l'espèce, les éléments fournis par la requérante ne permettent pas de considérer que son comportement réel sur le marché a été susceptible de contrarier les effets anticoncurrentiels de l'infraction constatée. En particulier, la requérante produit, à l'appui du présent grief, des graphiques illustrant des comparaisons entre les prix annoncés de Stora, les prix annoncés de la requérante et les prix de transaction de cette dernière. Or, les graphiques concernant les prix de transaction de la requérante ne visent que huit de ses clients, choisis par elle, et sans indication du tonnage livré à chacun d'eux. En outre, ils font apparaître des fluctuations très importantes, pour chaque client en cause, des prix de transaction, ceux-ci étant parfois même supérieurs aux prix annoncés aussi bien par la requérante que par Stora. Enfin, dans la décision, la Commission admet que les prix de transaction n'étaient pas toujours identiques aux prix annoncés. Elle relève notamment: "Même si tous les producteurs restaient déterminés à appliquer intégralement l'augmentation, les possibilités qu'avaient les clients de passer à une qualité ou à un produit moins onéreux pouvaient amener certains producteurs à faire à leurs clients traditionnels des concessions sur la date d'entrée en vigueur des augmentations ou à leur consentir un avantage supplémentaire sous la forme de rabais ou de réduction en cas de grosse commande, pour leur faire accepter l'intégralité de l'augmentation du prix de base. Il était par conséquent inévitable que les augmentations de prix ne puissent faire sentir immédiatement tous leurs effets." (Point 101, sixième alinéa, des considérants.)

144. Dès lors, les graphiques invoqués par la requérante ne démontrent pas que ses prix de transaction se soient sensiblement écartés de ceux des autres participants à l'infraction constatée.

145. En outre, il convient de souligner que la requérante ne soutient pas avoir fait l'objet de pressions exercées par les autres entreprises participant à l'entente. Elle ne soutient pas davantage qu'elle s'est publiquement distanciée des décisions adoptées, lors des réunions auxquelles elle prenait part, au sujet des augmentations de prix.

146. Dans ces circonstances, la Commission était en droit de ne pas retenir, en tant que circonstance atténuante, le comportement de la requérante sur le marché prétendument divergent de celui convenu au sein du GEP Carton.

147. Le grief de la requérante doit donc être rejeté.

B - Sur le moyen tiré de ce que la Commission n'aurait pas appliqué ou aurait appliqué de manière discriminatoire à SCA Holding-Colthrop les critères retenus pour la fixation des amendes

Arguments des parties

148. La requérante rappelle qu'il ressort des explications fournies par le membre de la Commission en charge de la politique de la concurrence, au cours d'une conférence de presse du 13 juillet 1994, que la Commission a accordé une réduction d'un tiers du montant des amendes infligées aux entreprises n'ayant pas contesté les principales allégations de fait invoquées par la Commission à leur égard dans la communication des griefs.

149. Le moyen s'articule ensuite en deux branches.

150. Dans une première branche, la requérante fait valoir qu'elle n'a pas bénéficié d'une réduction de l'amende, bien qu'elle n'ait pas contesté, dans sa réponse à la communication des griefs, les principales allégations de fait retenues par la Commission à l'encontre de Colthrop (voir point 172 des considérants de la décision). Cette discrimination à son égard serait d'autant moins justifiable qu'elle n'aurait eu aucune connaissance de l'infraction et n'aurait possédé aucun élément pour contester les allégations de fait de la Commission.

151. Le fait qu'elle ait contesté, sur le plan du droit, être le bon destinataire de la décision n'affecterait en rien l'absence de contestation des principales allégations de fait de la Commission. Cette attitude aurait permis à la Commission de gagner du temps, ce qui aurait été apparemment le critère principal utilisé pour accorder une réduction des amendes.

152. Dans une seconde branche du moyen, la requérante soutient que la Commission affirme avoir considéré que certains producteurs, bien que déjà membres du GEP Carton, n'y avaient pas joué un rôle actif avant la création du JMC, à la fin de 1987 ou au début de 1988. Colthrop n'ayant jamais joué un rôle actif au sein du GEP Carton, la Commission aurait dû la retenir parmi ces entreprises.

153. La Commission affirme, en ce qui concerne la première branche du moyen, que la requérante n'a rien admis et s'est limitée à contester sa responsabilité, attitude qui ne constituait pas une aide. Or, seuls l'aide apportée à la constitution de son dossier, l'aveu de comportements illicites et un gain de temps auraient mérité d'être récompensés. En conséquence, la contestation de la qualité de destinataire ne mériterait aucune récompense, ce qui serait illustré par le fait que la Commission a dû expliquer abondamment, aux points 154 à 157 des considérants de la décision, les raisons pour lesquelles la requérante était le bon destinataire de celle-ci.

154. La Commission ne répond pas à la seconde branche du moyen.

Appréciation du Tribunal

155. S'agissant de la première branche du moyen, il y a lieu de rappeler que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante relève:

"SCA Holding est handicapée dans sa défense parce que personne dans ce groupe ne sait quoi que ce soit des activités du GEP carton ni du comportement exposé dans la communication des griefs. En outre, SCA n'a jamais travaillé dans le secteur du carton et n'a aucune connaissance de cette branche. C'est pourquoi SCA holding ne peut se prononcer - et ne se prononce pas - sur l'existence ou l'étendue des prétendues infractions."(P. 2.)

156. La Commission a estimé à bon droit que, en répondant de la sorte, la requérante ne s'est pas comportée d'une manière justifiant une réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, ICI-Commission, T-13-89, Rec. p. II-1021, point 393).

157. Une entreprise qui déclare expressément qu'elle ne conteste pas les allégations de fait sur lesquelles la Commission fonde ses griefs peut être considérée comme ayant contribué à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence. Dans ses décisions constatant une infraction à ces règles, la Commission est en droit de considérer un tel comportement comme constitutif d'une reconnaissance des allégations de fait et donc comme un élément de preuve du bien-fondé des allégations en cause. Dès lors, un tel comportement peut justifier une réduction de l'amende.

158. Il en est autrement lorsqu'une entreprise conteste dans sa réponse à la communication des griefs l'essentiel des allégations avancées par la Commission dans celle-ci, s'abstient de toute réponse ou déclare uniquement, comme la requérante, ne pas prendre position sur les allégations de fait avancées par elle. En effet, en adoptant une telle attitude lors de la procédure administrative, l'entreprise ne contribue pas à faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence.

159. Par conséquent, lorsque la Commission déclare au point 172, premier alinéa, des considérants de la décision qu'elle a accordé des réductions des amendes infligées aux entreprises qui, dans leurs réponses à la communication des griefs, n'ont pas nié les principales allégations de fait invoquées par la Commission, force est de constater que ces réductions des amendes ne peuvent être considérées comme licites que dans la mesure où les entreprises concernées ont expressément déclaré qu'elles ne contestaient pas lesdites allégations.

160. A supposer même que la Commission ait appliqué un critère illégal en réduisant les amendes infligées à des entreprises qui n'avaient pas déclaré expressément qu'elles ne contestaient pas les allégations de fait, il convient de rappeler que le respect du principe d'égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 4 juillet 1985, Williams-Cour des comptes, 134-84, Rec. p. 2225, point 14). Dans la mesure où l'argumentation de la requérante tend précisément à ce que lui soit reconnu un droit à une réduction illégale de l'amende, la première branche du moyen ne saurait, par conséquent, être accueillie.

161. S'agissant de la seconde branche du moyen, il ressort du point 162 des considérants de la décision que la Commission a considéré que certains producteurs de carton, bien que déjà membres du GEP Carton, semblaient ne pas y avoir joué un rôle actif avant la création du JMC, à la fin de 1987 ou au début de 1988, et que ces producteurs devaient être considérés comme n'ayant participé que plus tardivement à l'infraction.

162. Selon l'article 1er de la décision, la requérante a participé à l'infraction constatée à partir du milieu de l'année 1986. Dans la mesure où elle ne conteste pas ce point de départ, le fait que Colthrop n'ait pas joué de rôle actif au sein du GEP Carton avant la création du JMC à la fin de 1987 ou au début de 1988 ne justifie pas que la requérante soit traitée de manière identique aux producteurs considérés comme ayant commencé à participer plus tardivement à l'infraction constatée.

163. Par conséquent, la seconde branche du moyen ne saurait, non plus, être accueillie.

164. Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté dans son intégralité.

C - Sur le moyen tiré du caractère déraisonnablement élevé en valeur absolue et disproportionné de l'amende infligée à la requérante au regard de l'innocence de celle-ci et des objectifs de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

Arguments des parties

165. Le présent moyen s'articule en trois branches.

166. Dans la première branche, la requérante soutient que le niveau de l'amende infligée - 7,5 % du chiffre d'affaires global de Colthrop sur le marché concerné et 9 % si l'on déduit les ventes internes - est considérablement plus élevé que celui des amendes infligées dans des cas comparables, en considération de la société, du volume de ses activités et du degré de sa participation à l'infraction. Elle fait valoir que le niveau moyen des amendes infligées par la décision Polypropylène s'élevait à 4 % des ventes du produit concerné par les destinataires en Europe occidentale.

167. Dans la deuxième branche du moyen, la requérante rappelle que le Tribunal a jugé, dans l'arrêt Parker Pen-Commission (précité, point 94) que le montant de l'amende doit être calculé par référence au chiffre d'affaires global de l'entreprise, qui donne une indication de sa taille et de sa puissance économique, ainsi que par référence au chiffre d'affaires sur le marché concerné, qui donne une indication de l'ampleur de l'infraction. Etant donné que l'amende infligée a été calculée sans tenir compte du chiffre d'affaires global de Colthrop, la Commission n'aurait pas tenu compte du fait que, pendant l'année de référence, Colthrop n'avait réalisé aucun chiffre d'affaires en dehors du marché concerné. Par conséquent, elle n'aurait pas tenu compte de la faible taille et de la faible puissance de Colthrop. L'amende infligée serait donc disproportionnée par rapport à celles infligées aux entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires appréciable en dehors du marché concerné. Un tel résultat contreviendrait aux exigences posées par le Tribunal dans l'arrêt Parker Pen-Commission, précité.

168. Dans la troisième branche du moyen, la requérante rappelle que les amendes ont pour but général d'assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence et de prévenir le renouvellement d'infractions (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Boehringer Mannheim-Commission, 45-69, Rec. p. 769, 805, et du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a.-Commission, 100-80, 101-80, 102-80 et 103-80, Rec. p. 1825). En renvoyant aux arguments qu'elle a avancés à l'appui du moyen tiré de ce qu'elle n'est pas le bon destinataire de la décision, elle soutient que, en l'espèce, l'amende est infligée à un spectateur innocent, et la Commission n'atteint donc aucun des objectifs de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

169. La Commission rappelle que, en l'absence de circonstances atténuantes individuelles, l'amende doit être fixée par référence aux critères applicables à l'infraction dans son ensemble (points 167 à 169 des considérants de la décision). Ces critères seraient pertinents et suffisamment exposés dans la décision. En particulier, ils seraient semblables, voire identiques, à ceux que la Cour et le Tribunal ont entérinés à de nombreuses reprises (arrêts rendus par le Tribunal relativement à la décision Polypropylène, notamment du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc-Commission, T-1-89, Rec. p. II-867). Les critères retenus pour l'infraction dans son ensemble devraient être appliqués au chiffre d'affaires de chaque destinataire.

170. En l'espèce, la gravité et la durée de l'infraction auraient justifié un niveau général élevé des amendes. A cet égard, la Commission compare la décision avec la décision Polypropylène, dans laquelle le niveau moyen des amendes était de 4 %, avec des amendes standard de 4 à 5 %. Le niveau des amendes légèrement supérieur en l'espèce serait justifié par le fait que, contrairement à la situation constatée dans la décision Polypropylène, l'infraction s'est déroulée à une époque où le secteur était rentable dans son ensemble, d'une part, et que l'entente aurait largement atteint ses objectifs, d'autre part. La Commission ajoute que le Tribunal semble avoir considéré que les amendes infligées dans la décision Polypropylène auraient pu être encore plus élevées, puisqu'il a admis que la gravité de l'infraction les justifiait amplement (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Atochem-Commission, T-3-89, Rec. p. II-1177, point 226).

171. Elle souligne que les entreprises destinataires de la décision en cause dans le présent litige n'ont pas déduit de la décision Polypropylène, publiée en août 1986, qu'elles avaient l'obligation de respecter la loi. Ces entreprises auraient, au contraire, adopté des mesures visant à dissimuler leurs agissements et élaboré des explications alternatives des faits constatés sur le marché.

172. La requérante se serait vu infliger une amende parce qu'elle était Reed P & B, l'auteur de l'infraction, et que celle-ci s'était poursuivie même après l'apparition du groupe SCA. En conséquence, elle ne pourrait être considérée comme un spectateur innocent.

173. Enfin, la Commission souligne que, si une entreprise est de petite taille, son amende absolue est faible.

Appréciation du Tribunal

174. Il convient tout d'abord d'apprécier ensemble la première et la deuxième branche du moyen.

175. Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité des amendes de 1 000 écus au moins et de 1 000 000 écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Le montant de l'amende est déterminé en considération à la fois de la gravité de l'infraction et de sa durée. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a.-Commission, précitée, point 54).

176. Parmi les éléments d'appréciation de la gravité, peuvent figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l'objet de l'infraction, la taille et la puissance économique de l'entreprise et, partant, l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Il s'ensuit, d'une part, qu'il est loisible, en vue de la détermination de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il en résulte, d'autre part, qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation et que la fixation des amendes ne peut être le résultat d'un simple calcul fondé sur le chiffre d'affaires global (voir arrêt Musique Diffusion française e.a.-Commission, précité, points 120 et 121).

177. En l'espèce, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte de la durée de l'infraction (point 167 des considérants de la décision), ainsi que des considérations suivantes (point 168 des considérants):

"- la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence,

- l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté,

- le marché communautaire du carton est un secteur économique important qui totalise chaque année quelque 2,5 milliards d'écus,

- les entreprises participant à l'infraction couvrent pratiquement tout le marché,

- l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté,

- des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres', etc.),

- l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs."

178. De plus, le Tribunal rappelle que des niveaux de base de 9 ou de 7,5 % ont été appliqués afin de déterminer le montant de l'amende à infliger respectivement aux "chefs de file" de l'entente et aux "membres ordinaires" de celle-ci (voir point 125 ci-dessus).

179. Il y a lieu de souligner, en premier lieu, que, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d'élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif. Par conséquent, le fait que la Commission a appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence (voir, notamment, arrêts précités Musique Diffusion française e.a.-Commission, points 105 à 108, et ICI-Commission, point 385).

180. En second lieu, la Commission a soutenu à bon droit que, en raison des circonstances propres à l'espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la présente décision et ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en particulier, dans la décision Polypropylène, considérée par la Commission elle-même comme la plus comparable à celle du cas d'espèce. En effet, contrairement à l'affaire à l'origine de la décision Polypropylène, aucune circonstance atténuante générale n'a été prise en compte en l'espèce pour déterminer le niveau général des amendes. En outre, l'adoption de mesures visant à dissimuler l'existence de la collusion démontre que les entreprises concernées ont été pleinement conscientes de l'illégalité de leur comportement. Partant, la Commission a pu prendre en compte ces mesures lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction, car elles constituaient un aspect particulièrement grave de l'infraction de nature à la caractériser par rapport aux infractions antérieurement constatées par la Commission.

181. En troisième lieu, il convient de souligner la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, qui a été commise malgré l'avertissement qu'aurait dû constituer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, et notamment la décision Polypropylène.

182. Sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision justifient le niveau général des amendes fixé par la Commission.

183. Dans ce contexte, l'argument de la requérante, selon lequel il n'a pas pu être tenu compte de la taille et de la puissance économique de Colthrop, puisque le chiffre d'affaires global réalisé par celle-ci en 1990 serait le même que le chiffre d'affaires réalisé sur le marché communautaire du carton au cours de cette même année, doit être écarté.

184. En effet, d'une part, la Commission a tenu compte des éléments d'appréciation de la gravité susmentionnés. D'autre part, la Commission n'est pas obligée de prendre en compte, pour apprécier la gravité de l'infraction, la relation existant entre le chiffre d'affaires global d'une entreprise et le chiffre d'affaires qui provient des marchandises faisant l'objet de l'infraction (arrêt Musique Diffusion française e.a.-Commission, précité, point 121, et ordonnance SPO e.a.-Commission, précitée, point 54).

185. De plus, dans la mesure où il y a lieu de se fonder sur le chiffre d'affaires des entreprises impliquées dans une même infraction en vue de déterminer les relations entre les amendes à infliger, la Commission est en droit de calculer les amendes infligées à chacune de ces entreprises en appliquant le pourcentage d'amende retenu à un chiffre d'affaires de référence identique pour les entreprises concernées, de manière que les chiffres obtenus soient aussi comparables que possible.

186. Les première et deuxième branches du moyen doivent donc être rejetées comme non fondées.

187. La troisième branche du moyen, qui est fondée sur la supposition que la requérante serait un "spectateur innocent", doit également être rejetée. A cet égard, il suffit de rappeler que le Tribunal a constaté que la Commission a adressé à bon droit la décision à la requérante.

188. Il y a donc lieu de rejeter le moyen dans son ensemble.

D - Sur le moyen tiré de ce que l'imposition d'une amende à la requérante constituerait une violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, de l'article 6, paragraphe 2, de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, du 4 novembre 1950, ainsi que du principe fondamental d'équité

189. La requérante soutient que la Commission, en lui infligeant une amende, a violé les dispositions de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, de l'article 6, paragraphe 2, de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, du 4 novembre 1950, ainsi que le principe fondamental d'équité. A l'appui de cette thèse, elle renvoie pour l'essentiel aux arguments qu'elle a avancés dans le cadre du moyen tiré de ce qu'elle n'était pas le bon destinataire de la décision. Elle en conclut qu'une amende lui a été infligée sans qu'elle eût commis une faute.

190. Il convient de constater, d'une part, que la décision a été adressée à bon droit à la requérante et, d'autre part, que la requérante ne conteste pas l'existence du comportement infractionnel qui lui a été imputé. Par conséquent, la requérante ne saurait valablement prétendre qu'une amende lui a été infligée sans qu'elle eût commis une faute.

191. Il s'ensuit que le présent moyen doit être également rejeté.

E - Sur le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation quant aux amendes

Arguments des parties

192. La requérante rappelle qu'elle n'a eu connaissance de certains aspects essentiels des motifs et des critères appliqués par la Commission aux fins du calcul des amendes que par un enregistrement de la conférence de presse donnée, le jour même de l'adoption de la décision, par le membre de la Commission en charge de la politique de la concurrence. Or, si la jurisprudence n'impose pas à la Commission de divulguer les calculs exacts des amendes infligées à chacune des sociétés, cela ne signifierait pas que le raisonnement suivi ne doive pas être transparent.

193. Les calculs effectués et la "politique de réductions" appliquée dans la présente affaire ayant été divulgués à la presse, ces explications auraient dû également figurer dans la décision. En effet, la requérante n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses arguments relatifs à la discrimination subie, si elle n'avait pas appris, par des sources non officielles, l'existence d'un enregistrement de la conférence de presse.

194. La Commission rappelle que la motivation de la présente décision est aussi détaillée en ce qui concerne les amendes que celles confirmées dans d'autres affaires, notamment dans les arrêts dits "Polypropylène" (voir, par exemple, arrêt Rhône-Poulenc-Commission, précité). Comme la requérante l'admet elle-même, la Commission ne serait pas tenue d'appliquer une formule mathématique aux fins du calcul des amendes, car une telle approche serait de nature à permettre aux entreprises d'apprécier à l'avance si la commission d'une infraction peut s'avérer profitable (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti-Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439).

Appréciation du Tribunal

195. Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports-Commission, T-49-95, Rec. p. II-1799, point 51).

196. Pour ce qui est d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a.-Commission, précitée, point 54).

197. De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli-Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 59).

198. Dans la décision, les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 168 et 169 des considérants. En outre, pour ce qui est des amendes individuelles, la Commission explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des "chefs de file" de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des "membres ordinaires" de celle-ci. Enfin, aux points 171 et 172 des considérants, elle indique que les montants des amendes infligées à Rena et à Stora doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission et que huit autres entreprises peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs.

199. Comme cela a déjà été relevé, la Commission a fourni, au cours de la procédure devant le Tribunal, des indications supplémentaires relatives au mode de calcul des amendes appliqué dans le cas d'espèce (voir point 125 ci-dessus). Elle a précisé qu'elle avait tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle et que, à ce titre, deux d'entre elles avaient bénéficié d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes, tandis que d'autres avaient bénéficié d'une réduction d'un tiers.

200. Il ressort, par ailleurs, d'un tableau fourni par elle et contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles que, si celles-ci n'ont pas été déterminées en appliquant de manière strictement mathématique les seules données chiffrées susmentionnées, lesdites données ont cependant été systématiquement prises en compte aux fins du calcul des amendes.

201. Or, la décision ne précise pas que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990. De plus, les taux de base appliqués de 9 et de 7,5 % pour calculer les amendes infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme des "chefs de file" et à celles considérées comme des "membres ordinaires" ne figurent pas dans la décision. N'y figurent pas davantage les taux des réductions accordées à Rena et à Stora, d'une part, et à huit autres entreprises, d'autre part.

202. En l'espèce, il y a lieu de considérer, en premier lieu, que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina-Commission, T-2-89, Rec. p. II-1087, point 264).

203. En second lieu, lorsque le montant de chaque amende est, comme en l'espèce, déterminé sur la base de la prise en compte systématique de certaines données précises, l'indication, dans la décision, de chacun de ces facteurs permettrait aux entreprises de mieux apprécier, d'une part, si la Commission a commis des erreurs lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et, d'autre part, si le montant de chaque amende individuelle est justifié par rapport aux critères généraux appliqués. En l'espèce, l'indication dans la décision des facteurs en cause, soit le chiffre d'affaires de référence, l'année de référence, les taux de base retenus et les taux de réduction du montant des amendes, n'aurait comporté aucune divulgation implicite du chiffre d'affaires précis des entreprises destinataires de la décision, divulgation qui aurait pu constituer une violation de l'article 214 du traité. En effet, le montant final de chaque amende individuelle ne résulte pas, comme la Commission l'a elle-même souligné, d'une application strictement mathématique desdits facteurs.

204. La Commission a d'ailleurs reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer, dans la décision, les facteurs qui avaient été pris systématiquement en compte et qui avaient été divulgués pendant une conférence de presse tenue le jour même de l'adoption de cette décision. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et que des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening-Commission, T-61-89, Rec. p. II-1931, point 131, et, dans le même sens, arrêt Hilti-Commission, précité, point 136).

205. Malgré ces constatations, il doit être relevé que la motivation relative à la fixation du montant des amendes contenue aux points 167 à 172 des considérants de la décision est, au moins, aussi détaillée que celles contenues dans les décisions antérieures de la Commission portant sur des infractions similaires. Or, bien que le moyen tiré d'un vice de motivation soit d'ordre public, aucune critique n'avait, au moment de l'adoption de la décision, été soulevée par le juge communautaire quant à la pratique suivie par la Commission en matière de motivation des amendes infligées. Ce n'est que dans l'arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion-Commission (T-148-89, Rec. p. II-1063, point 142), et dans deux autres arrêts rendus le même jour, Société métallurgique de Normandie-Commission (T-147-89, Rec. p. II-1057, publication sommaire), et Société des treillis et panneaux soudés-Commission (T-151-89, Rec. p. II-1191, publication sommaire), que le Tribunal a, pour la première fois, souligné qu'il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.

206. Il s'ensuit que lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de la concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination.

207. Dans les circonstances particulières relevées au point 205 ci-dessus, et compte tenu du fait que la Commission s'est montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes, l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes ne doit pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une violation de l'obligation de motivation justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées.

208. Par conséquent, le présent moyen ne saurait être retenu.

209. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

210. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante est condamnée aux dépens.