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Décisions

CJCE, 5e ch., 7 mai 1998, n° C-401/96 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Somaco (SARL)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

et rapporteur : M. Gulmann

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Wathelet, Edward, Jann, Sevon

Avocat :

Me Fourgoux.

Comm. CE, du 13 oct. 1994

13 octobre 1994

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 décembre 1996, Somaco SARL (ci-après "Somaco") a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission (T-387-94, Rec. p. II-961, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci, d'une part, a refusé d'annuler la décision de la Commission du 13 octobre 1994 (ci-après la "décision litigieuse") rejetant une plainte formée par Somaco le 5 juin 1990 et, d'autre part, a rejeté comme irrecevables ses conclusions en paiement d'une indemnité.

Faits et procédure devant le Tribunal

2. Il ressort de l'arrêt attaqué que, s'estimant victimes d'une entente illicite conclue entre cinq importateurs de voitures japonaises en France (à savoir Sidat Toyota France, Mazda France Motors, Honda France, Mitsubishi Sonauto et Richard Nissan SA), Asia Motor France et trois autres sociétés se livrant à l'importation et au commerce en France métropolitaine de véhicules de marques japonaises admis en libre pratique dans d'autres États membres de la Communauté ont déposé, les 18 novembre 1985 et 29 novembre 1988, des plaintes auprès de la Commission pour violation, notamment, de l'article 85 du traité CEE.

3. Ces entreprises y faisaient en substance valoir que les cinq importateurs précités s'étaient engagés envers l'administration française à ne pas vendre, sur le marché intérieur français, un nombre de voitures supérieur à 3 % du nombre des immatriculations de véhicules automobiles enregistrées sur l'ensemble du territoire français au cours de l'année civile antérieure. Ces mêmes importateurs se seraient entendus afin de se partager ce quota suivant des règles préétablies, excluant toute autre entreprise souhaitant distribuer en France des véhicules d'origine japonaise de marques autres que celles distribuées par les parties à l'entente alléguée.

4. A la suite de ces plaintes, la Commission a, par lettre du 9 juin 1989, demandé des renseignements aux importateurs mis en cause. Par lettre du 20 juillet 1989, la direction générale de l'industrie du Ministère de l'Industrie et de l'Aménagement du territoire français a donné instruction auxdits importateurs de ne pas répondre à l'une des questions posées par la Commission, constatant que "la Commission [leur demandait] de lui communiquer des informations relatives à la politique menée par les pouvoirs publics français à l'égard des importations de véhicules japonais" et qu'"il ne [leur appartenait] pas de lui répondre en leur lieu et place".

5. Dans ces conditions, les services de la Commission ont sollicité des renseignements de la part des autorités françaises. Le 28 novembre 1989, les autorités françaises ont répondu à cette demande en faisant valoir, pour l'essentiel, que les entreprises concernées ne disposaient d'aucune autonomie dans la gestion de cette régulation.

6. Après l'introduction, le 20 mars 1990, par les quatre parties requérantes, d'un recours en carence et en indemnité, la Commission, par lettre du 8 mai 1990, les a informées, conformément à l'article 6 du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268), qu'elle n'envisageait pas de donner suite à leurs plaintes et les a invitées à présenter leurs observations éventuelles à cet égard. Le 29 juin 1990, ces parties ont fait parvenir à la Commission leurs observations, dans lesquelles elles ont réaffirmé le bien-fondé de leurs plaintes.

7. Entre-temps, le 5 juin 1990, Somaco a déposé auprès de la Commission une plainte analogue fondée sur l'article 85 du traité et notamment dirigée contre les pratiques des sociétés CCIE, SIGAM, SAVA, SIDA et Auto GM, toutes établies au Lamentin (Martinique), respectivement concessionnaires des marques Toyota, Nissan, Mazda, Honda et Mitsubishi, et importateurs de ces marques dans cette île.

8. Par lettre du 9 août 1990, se référant à sa lettre du 8 mai 1990 adressée aux quatre autres plaignantes, la Commission a informé Somaco qu'elle n'envisageait pas de donner suite à sa plainte et l'a invitée, conformément aux dispositions de l'article 6 du règlement n° 99-63, à présenter ses observations à cet égard. Par lettre du 28 septembre 1990, Somaco a réaffirmé le bien-fondé de sa plainte.

9. Par lettre du 5 décembre 1991, la Commission a communiqué aux cinq entreprises en question (ci-après les "plaignantes") une décision rejetant leurs plaintes. Ce rejet était fondé sur deux motifs. Selon le premier, le comportement des cinq importateurs mis en cause faisait partie intégrante de la politique des pouvoirs publics français en matière d'importations d'automobiles japonaises en France. Dans le cadre de cette politique, les pouvoirs publics fixaient non seulement les quantités totales de véhicules admises chaque année en France, mais déterminaient également les modalités de répartition de ces quantités. Selon le second motif de rejet, il n'y avait pas de lien entre l'intérêt des plaignantes et l'infraction alléguée, en raison du fait que l'éventuelle application de l'article 85 ne serait pas susceptible d'apporter un remède à la situation dont les plaignantes s'estimaient victimes.

10. La décision de la Commission du 5 décembre 1991 a fait l'objet d'un recours en annulation introduit au greffe du Tribunal le 4 février 1992. Par arrêt du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission (T-7-92, Rec. p. II-669, ci-après l'"arrêt Asia Motor France II"), le Tribunal l'a annulée en tant qu'elle concernait l'article 85 du traité. Analysant notamment le compte-rendu d'une réunion interministérielle du 19 octobre 1987, à laquelle les concessionnaires mis en cause à la Martinique avaient participé, et le protocole d'accord qui y était annexé, le Tribunal a constaté que le premier motif de rejet reposait sur une appréciation inexacte en fait et en droit des éléments soumis à l'appréciation de la Commission. S'agissant du second motif de rejet, le Tribunal a considéré qu'il était entaché d'une erreur de droit.

11. A la suite de cet arrêt, la Commission a adressé, le 25 août 1993, aux autorités françaises et aux concessionnaires de la Martinique mis en cause dans la plainte de Somaco du 5 juin 1990 des nouvelles demandes de renseignements.

12. Le 10 janvier 1994, la Commission a adressé aux plaignantes une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63. Elle leur a fourni une copie des réponses aux demandes de renseignements précitées et leur a offert la possibilité d'examiner les preuves documentaires qui lui avaient été soumises. Par lettre du 9 mars 1994, les plaignantes ont présenté leurs observations sur cette communication.

13. Par lettre du 13 octobre 1994, la Commission a communiqué aux plaignantes la décision litigieuse. Dans cette décision, la Commission a d'abord rappelé le libellé de sa décision du 5 décembre 1991. Ensuite, elle a constaté que le Tribunal, dans l'arrêt Asia Motor France II, avait mis en doute les conclusions auxquelles elle était parvenue en se fondant principalement sur des documents émanant du département de la Martinique. C'était donc sur ces documents qu'avaient porté les nouvelles demandes de renseignements adressées aux autorités françaises et aux importateurs de la Martinique.

14. Ensuite, la Commission a notamment constaté que l'examen des réponses aux nouvelles demandes de renseignements confirmait que les autorités françaises avaient instauré dès 1977 un régime étatique d'importation pour les véhicules des pays tiers. Ainsi, le Ministère de l'Industrie avait accrédité cinq importateurs comme représentants exclusifs respectivement des cinq marques Honda, Toyota, Mazda, Mitsubishi et Nissan et chacun d'eux recevait à ce titre, chaque année, communication par le Ministère du nombre total maximal de véhicules de sa marque dont l'importation était autorisée (pour la France métropolitaine 3 % du marché et pour le département de la Martinique 15 %).

15. La Commission a expliqué que c'était dans ce contexte qu'une réunion avait été tenue à la Martinique le 19 octobre 1987 et avait donné lieu à un compte-rendu accompagné d'un protocole d'accord, lesquels avaient été présentés au Tribunal dans le cadre de l'arrêt Asia Motor France II. La Commission a toutefois exposé que, en réalité, cette réunion s'était tenue sur convocation du préfet et avait comme seul objet la question adjacente des modalités de la "restitution" par la société CCIE, représentant local de Toyota, de 487 véhicules vendus par celle-ci depuis 1982 en excédent par rapport au nombre d'importations qui lui avaient été assignées, restitution exigée par l'administration. La Commission a donc constaté que, replacés dans leur contexte, ces documents n'altéraient pas le caractère exclusivement étatique du régime d'importation et de ses modalités.

16. La Commission a ajouté qu'il en allait de même des autres documents mentionnés dans l'arrêt Asia Motor France II, en sorte qu'il était confirmé à suffisance que les importateurs mis en cause, et en particulier ceux de la Martinique, ne disposaient d'aucune marge de manœuvre dans la mise en œuvre du régime d'importation en question. Dans ces conditions, la Commission a maintenu son rejet des plaintes, pour autant qu'elles visaient à faire constater une entente au sens de l'article 85 du traité.

17. C'est dans ces circonstances que les plaignantes ont introduit un nouveau recours en annulation et en indemnité devant le Tribunal. Elles ont notamment demandé à ce dernier d'annuler la décision litigieuse et de condamner la Communauté à les indemniser du préjudice causé. Elles ont invoqué deux moyens, l'un tiré d'une erreur manifeste d'appréciation, l'autre tiré d'un défaut de motivation.

L'arrêt attaqué

18. Pour ce qui concerne le moyen des plaignantes tiré d'une erreur manifeste d'appréciation, le Tribunal a décidé, au point 58, d'examiner séparément le comportement dénoncé dans les plaintes relatives aux importations en France métropolitaine et celui dénoncé dans la plainte relative aux importations à la Martinique.

19. S'agissant des plaintes mettant en cause les importateurs en France métropolitaine, le Tribunal a rappelé, au point 60, la jurisprudence relative à la question de savoir si le comportement d'une entreprise peut échapper à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, par manque d'autonomie dans son chef. Il a notamment constaté, au point 61, que, lorsqu'une disposition réglementaire contraignante susceptible d'influencer le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun et d'affecter les échanges entre États membres ne présente aucun lien avec un comportement d'entreprises visé par l'article 85, paragraphe 1, du traité, la simple observation par des entreprises d'une telle disposition réglementaire échappe à l'application de l'article 85, paragraphe 1. En effet, dans une telle hypothèse, la marge d'autonomie dans le chef des opérateurs économiques qu'implique l'article 85, paragraphe 1, du traité fait défaut.

20. Le Tribunal a ensuite constaté, au point 62, que, en l'espèce, les autorités françaises, dans leur réponse à la demande de nouveaux renseignements de la Commission, avaient confirmé qu'elles avaient décidé, en 1977, de prendre des mesures pour limiter la pénétration des véhicules japonais à 3 % du marché métropolitain et que, dans ce contexte, elles avaient décidé de répartir le volume d'importations autorisées entre les cinq importateurs accrédités alors présents sur le marché en considération des parts de marché que ceux-ci détenaient à ce moment-là. Les autorités françaises avaient également affirmé que, pour mettre en œuvre cette politique, elles informaient chaque importateur, chaque année, de la quantité précise de véhicules correspondant à son quota en lui donnant l'instruction de ne pas importer de véhicules au-delà de ces quantités.

21. Dès lors, le Tribunal a examiné, au point 63, si la décision litigieuse soutenait la conclusion selon laquelle les autorités françaises avaient imposé ce régime d'importation aux entreprises mises en cause dans les plaintes de manière telle qu'elles avaient exclu toute marge d'autonomie dans le chef de ces dernières. A cet égard, il a tout d'abord constaté, au point 64, que les autorités françaises elles-mêmes avaient confirmé qu'aucune disposition de droit français n'avait imposé aux importateurs de voitures japonaises en France métropolitaine le comportement dénoncé dans les plaintes. En l'absence d'une disposition réglementaire contraignante imposant le comportement dénoncé, le Tribunal a estimé, au point 65, que la Commission ne pouvait rejeter les plaintes pour manque d'autonomie dans le chef des entreprises mises en cause que s'il apparaissait, sur le fondement d'indices objectifs, pertinents et concordants, que ce comportement leur avait été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l'exercice de pressions irrésistibles telles que la menace de l'adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes.

22. A cet égard, le Tribunal a constaté, au point 66, que la Commission avait fondé la décision litigieuse, pour autant qu'elle avait trait aux plaintes mettant en cause les importations de voitures japonaises en France métropolitaine, sur les mêmes éléments retenus à l'appui de la conclusion, dans sa décision antérieure du 5 décembre 1991, que les opérateurs économiques mis en cause ne disposaient d'aucune autonomie ou "marge de manœuvre". Ainsi, les éléments qualifiés par la Commission d'"éléments nouveaux" ne concernaient que la situation à la Martinique. En outre, les réponses des autorités françaises à la nouvelle demande de renseignements n'ont fourni aucun élément de nature à étayer ou à expliciter l'affirmation selon laquelle il ne saurait être fait un quelconque reproche aux importateurs mis en cause qui se seraient contentés d'appliquer des mesures résultant des décisions des pouvoirs publics, sans disposer d'aucune marge de manœuvre.

23. Dans ces circonstances, le Tribunal a constaté, au point 68, qu'aucun élément du dossier ne permettait de conclure que des pressions avaient, en fait, été exercées à l'égard des importateurs et que cette question n'avait fait l'objet d'aucune vérification pendant la procédure administrative auprès des autorités françaises ou des importateurs en France métropolitaine.

24. Le Tribunal a dès lors conclu, au point 70, que, au vu des constatations faites dans l'arrêt Asia Motor France II, la décision litigieuse ne reposait pas, en l'absence d'éléments nouveaux sur le régime d'importation applicable en France métropolitaine, sur des indices objectifs, pertinents et concordants de nature à démontrer que les autorités françaises avaient exercé unilatéralement des pressions irrésistibles sur les entreprises concernées afin qu'elles adoptent le comportement dénoncé dans les plaintes. Par conséquent, il a constaté, au point 71, que la Commission avait commis une erreur manifeste d'appréciation des faits, en sorte qu'il a, au point 72, annulé la décision litigieuse pour autant qu'elle rejetait les plaintes relatives à la France métropolitaine.

25. Concernant ensuite la plainte de Somaco du 5 juin 1990 mettant en cause les concessionnaires à la Martinique, le Tribunal a rappelé, au point 73, que, aux termes de la plainte, Somaco avait été constituée en juin 1988 en vue d'importer à la Martinique des véhicules japonais et coréens des marques Daihatsu, Isuzu, Hyundai, Suzuki et Subaru. Dans sa plainte, Somaco avait fait valoir qu'elle était victime d'une entente illicite entre les concessionnaires des marques japonaises Toyota, Honda, Mazda, Mitsubishi et Nissan et que ces mêmes concessionnaires "se [partageaient le] marché, fixé par l'administration à 15 % des immatriculations, aux dépens de la société Somaco, exclue du marché". Pour soutenir sa plainte, elle avait produit deux documents, à savoir le compte-rendu de la réunion interministérielle du 19 octobre 1987 et le protocole d'accord annexé à ce compte-rendu.

26. Le Tribunal a observé, au point 75, en ce qui concerne les importations de voitures japonaises en France, dont la Martinique constitue un département, que les autorités françaises avaient expliqué, dans leur réponse du 11 novembre 1993 à la demande de renseignements de la Commission du 25 août 1993, que seuls cinq importateurs représentant les marques Toyota, Honda, Mitsubishi, Mazda et Nissan avaient été accrédités en France. Par ailleurs, le Tribunal a indiqué, au point 76, qu'il était constant que ces importateurs accrédités étaient exclusivement compétents pour délivrer les certificats de conformité aux concessionnaires à la Martinique et que l'obtention d'un certificat de conformité était une condition nécessaire à l'immatriculation à la Martinique d'un véhicule importé.

27. Le Tribunal a considéré, au point 77, que ce système - indépendamment de la question de savoir s'il avait été imposé unilatéralement par les autorités françaises ou s'il reposait sur un accord conclu entre les cinq importateurs accrédités et les autorités françaises - empêchait que les sociétés voulant importer en France (métropolitaine et à la Martinique) des voitures japonaises autres que les voitures de ces marques accèdent au marché. Dès lors et en tout état de cause, l'impossibilité pour Somaco de commercialiser à la Martinique des voitures des marques Daihatsu, Isuzu, Suzuki et Subaru ne découlait pas de l'existence d'une éventuelle entente entre les concessionnaires martiniquais visés par la plainte.

28. Le Tribunal a ensuite constaté, au point 78, que la Commission avait, dans la décision litigieuse, examiné les griefs soulevés dans la plainte alors qu'elle aurait pu s'interroger sur l'intérêt de Somaco à faire constater l'infraction alléguée. Ainsi, à la suite de l'annulation de la décision du 5 décembre 1991, la Commission avait entamé une nouvelle instruction et, après avoir examiné les réponses aux nouvelles demandes de renseignements, elle avait rejeté cette plainte en invoquant également l'absence d'autonomie des concessionnaires dans la mise en œuvre du régime d'importation en question.

29. A cet égard, le Tribunal a rappelé, au point 79, que, au point 55 de l'arrêt Asia Motor France II, il avait constaté que ce motif de rejet était fondé sur une erreur manifeste d'appréciation des faits. Il a, dès lors, décidé d'examiner si les éléments nouveaux recueillis pendant l'instruction qui avait été menée à la suite de cet arrêt étaient de nature à mettre sous un jour nouveau les documents auxquels, après une première analyse, le Tribunal avait reconnu une forte valeur probante quant à l'existence vraisemblable d'un concours de volontés.

30. Or, le Tribunal a constaté, au point 80, qu'aucune disposition réglementaire n'avait imposé aux concessionnaires de voitures japonaises à la Martinique le comportement dénoncé dans la plainte et a indiqué, au point 81, qu'il y avait lieu, par conséquent, d'examiner s'il apparaissait, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, que les autorités nationales avaient exercé unilatéralement des pressions irrésistibles sur les concessionnaires concernés afin qu'ils adoptent le comportement dénoncé dans la plainte.

31. Le Tribunal a donc examiné, au point 84, les documents qualifiés par la Commission d'"éléments nouveaux" et a constaté qu'il ressortait des pièces du dossier, et en particulier d'une lettre du 19 août 1982 du secrétaire d'Etat auprès du Ministre chargé des départements et territoires d'outre-mer, que le quota global de 15 % des véhicules immatriculés à la Martinique avait été unilatéralement imposé par les autorités françaises aux importateurs locaux, que le défaut d'autonomie dans le chef des concessionnaires était encore corroboré par le fait que la limitation des importations de voitures japonaises à 15 % du marché martiniquais amputait aux concessionnaires 50 % de leur marché et qu'il n'avait pas été contesté que le taux de pénétration des voitures japonaises à la Martinique était voisin de 30 % avant l'instauration du régime d'importation dénoncé.

32. En outre, le Tribunal a constaté, au point 85, qu'il ressortait des pièces produites par la Commission que les autorités publiques avaient, pendant la même période, réparti le quota global de 15 % entre les marques représentées par les cinq concessionnaires mis en cause par la plainte et que la fixation des quotas individuels pour chaque concessionnaire par les autorités publiques était encore corroborée par une lettre adressée le 3 septembre 1986 au préfet de la Martinique par le concessionnaire Nissan, dans laquelle celui-ci se plaignait du fait que "le quota qui [lui était] alloué [était] beaucoup trop faible et ne [permettait] pas à [son] entreprise de se développer normalement d'autant qu'il [était] en constante diminution".

33. Le Tribunal a ensuite constaté, au point 86, que l'étanchéité du système ainsi mis en place par les autorités publiques avait été assurée par le fait que les cinq importateurs de voitures japonaises accrédités en France métropolitaine, en se conformant aux instructions données par les autorités nationales, n'avaient envoyé au concessionnaire de "leur" marque à la Martinique qu'un nombre de certificats de conformité correspondant exactement au quota fixé pour lui. Le Tribunal a relevé, au point 87, que, eu égard au fait que les importateurs accrédités des cinq marques japonaises étaient exclusivement compétents pour délivrer les certificats de conformité aux concessionnaires à la Martinique, d'une part, et que l'obtention d'un certificat de conformité était une condition nécessaire à l'immatriculation à la Martinique d'un véhicule importé, d'autre part, les concessionnaires martiniquais ne pouvaient qu'accepter les conséquences de l'arrangement mis en place entre les importateurs accrédités et les autorités françaises.

34. Le Tribunal a donc constaté, au point 88, que la conclusion de la Commission selon laquelle les concessionnaires de la Martinique mis en cause par la plainte de Somaco "ne disposaient d'aucune autonomie dans la mise en œuvre du régime d'importation en question" reposait, à première vue, sur des indices objectifs, pertinents et concordants.

35. Le Tribunal a indiqué, au point 89, qu'il convenait d'examiner si les plaignantes avaient produit des éléments "discordants" de nature à démontrer l'existence d'une marge d'autonomie dans le chef des concessionnaires de voitures japonaises quant à la répartition du quota global fixé par les autorités françaises à 15 % pour les importations des voitures japonaises à la Martinique.

36. A cet égard, le Tribunal a examiné, en premier lieu, le compte-rendu de la réunion interministérielle du 19 octobre 1987 et le protocole d'accord y annexé. Il a rappelé, au point 91, que les termes mêmes utilisés dans ces documents tendaient à faire croire que les concessionnaires de voitures japonaises mis en cause dans la plainte avaient conclu une entente sur la répartition du quota de 15 % fixé par l'administration française et que, se fondant sur les termes de ces documents, il avait conclu dans l'arrêt Asia Motor France II que ces documents "[constituaient], à première vue, un indice sérieux de l'existence d'une réelle autonomie de comportement" dans le chef des opérateurs économiques concernés.

37. Le Tribunal a toutefois observé, au point 92, que, dans la décision litigieuse, la Commission expliquait que, à la lumière des éléments nouveaux qui avaient été portés à sa connaissance dans le cadre de l'instruction qu'elle avait menée à la suite du prononcé de l'arrêt Asia Motor France II, le compte-rendu de la réunion interministérielle du 19 octobre 1987 et le protocole d'accord y annexé, replacés dans leur contexte, n'altéraient pas le caractère exclusivement étatique du régime d'importation.

38. Or, le Tribunal a constaté, au point 93, que, entre 1982 et 1986, le concessionnaire Toyota à la Martinique avait, en immatriculant les véhicules excédant son quota au moyen de plaques provisoires (plaques "WW"), dépassé considérablement le quota annuel qui lui avait été attribué. Le Tribunal a aussi relevé, au point 94, qu'il ressortait également des pièces du dossier que les autorités françaises, après avoir constaté les abus du régime d'immatriculation provisoire par ce concessionnaire, avaient décidé au plus tard en mars 1987 d'imputer dorénavant la délivrance des carnets d'immatriculation provisoire (WW) au quota alloué à chaque marque.

39. Dans ces circonstances, le Tribunal a considéré, au point 95, que la Commission avait pu raisonnablement conclure que la réunion du 19 octobre 1987 à l'initiative du préfet de la Martinique constituait également la manifestation par l'autorité publique de sa volonté de faire respecter le système d'importation qu'elle avait imposé unilatéralement. Bien qu'il soit vrai que le protocole d'accord faisait état d'un plafond de 15 % et d'une clé de répartition pour ces 15 %, il n'en résultait pas nécessairement que les concessionnaires avaient conclu une entente relevant de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En effet, les pièces qui avaient été révélées lors de la nouvelle instruction étaient de nature à soutenir la thèse selon laquelle les concessionnaires avaient cru nécessaire de "codifier" la politique non écrite d'importation imposée unilatéralement par les autorités publiques depuis 1982, en vue d'éviter à l'avenir des problèmes analogues à ceux qui s'étaient produits avec le concessionnaire de la marque Toyota.

40. Par conséquent, le Tribunal a considéré, au point 96, que les plaignantes n'avaient pas établi l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation des faits commise par la Commission. Le Tribunal a également examiné, au point 97, certains autres documents invoqués par les plaignantes et a constaté qu'aucun d'eux n'était de nature à ébranler la thèse de la Commission selon laquelle les concessionnaires de la Martinique "ne disposaient d'aucune autonomie dans la mise en œuvre du régime d'importation en question". Le Tribunal a donc conclu, au point 100, que le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des faits n'était pas fondé pour autant que ce moyen avait trait à la décision de la Commission de rejeter la plainte de Somaco du 5 juin 1990.

41. Enfin, pour ce qui concerne les conclusions en indemnité, le Tribunal a notamment relevé, au point 107, qu'il ressortait de la jurisprudence que, pour être recevable, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d'identifier le comportement que le requérant reproche à l'institution, les raisons pour lesquelles il estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu'il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice.

42. Le Tribunal a constaté, à cet égard, au point 109, que, en l'espèce, l'argument développé par les plaignantes dans leur requête à l'appui de leurs conclusions en indemnité se lisait, dans son ensemble, comme suit:

"Les entreprises plaignantes distinguent le préjudice imputable à l'attitude des entreprises membres de l'entente et du gouvernement français et celui mettant directement en jeu la responsabilité de la Commission.

Le préjudice total subi par les entreprises du fait de l'entente peut être évalué à ce jour à :

Asia Motor France : 259 552 000 écus;

M. Cesbron : 244 292 000 écus;

Monin Automobiles : 82 231 000 écus;

EAS : 76 177 000 écus;

Somaco : 2 153 500 écus.

Le préjudice, augmenté des intérêts de droit, dont la Commission est responsable, dû aux retards et prises de décisions illégales, peut être raisonnablement évalué à l'intérêt usuel de ces sommes appliqué par la Communauté (9,75 %) pendant la durée qui sépare la décision de classement du 5 décembre 1991 de l'arrêt à intervenir jusqu'à la date du prononcé de l'arrêt".

43. Le Tribunal a estimé, au point 110, que ni l'argumentation ainsi développée par les plaignantes ni la requête considérée dans son ensemble ne permettaient d'identifier, avec le degré de clarté et de précision requis, le comportement fautif imputé à la Commission ou le caractère du préjudice prétendument subi. Par conséquent, le Tribunal a rejeté, au point 111, les conclusions en indemnité comme irrecevables.

Le pourvoi

44. Dans son pourvoi, Somaco demande à ce qu'il plaise à la Cour

1) annuler la partie de l'arrêt attaqué qui a rejeté sa demande en annulation ainsi que sa demande d'indemnité,

2) en application de l'article 54 du statut CE de la Cour de justice :

- annuler la décision litigieuse en ce qu'elle rejette la plainte de Somaco, et

- condamner la Commission, sur le fondement des articles 178 et 215 du traité CE, à l'indemniser du préjudice causé par cette institution et, en conséquence, de fixer l'indemnité au montant de l'intérêt de 9,75 % des sommes auxquelles est évalué le préjudice principal depuis la décision de classement du 5 décembre 1991 jusqu'au prononcé de l'arrêt, et

3) condamner la Commission aux entiers dépens, tant de la présente procédure que de celle ayant abouti à l'arrêt attaqué.

45. La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et l'ensemble des conclusions de Somaco et de condamner cette dernière aux dépens. Elle soulève, en outre, s'agissant des conclusions en annulation présentées par Somaco, une exception d'irrecevabilité.

L'appréciation de la Cour

Sur la recevabilité

46. Dans son mémoire en défense, la Commission fait valoir que les conclusions en annulation présentées par Somaco dans le pourvoi sont irrecevables en ce qu'elles ne répondent pas aux exigences posées à cet égard par la jurisprudence de la Cour.

47. Elle soutient, en premier lieu, que cette partie du pourvoi ne contient pas un exposé précis des moyens soulevés et renvoie aux moyens développés dans le cadre de la procédure devant le Tribunal. En second lieu, elle observe que l'argumentation présentée par Somaco tend à contester l'appréciation des faits opérée par le Tribunal. Elle précise notamment que, selon le pourvoi de Somaco, le Tribunal n'aurait pas fait état, dans la motivation de l'arrêt attaqué, de circonstances caractérisant des pressions irrésistibles justifiant un traitement différent du comportement des entreprises sur le marché martiniquais par rapport à celui des entreprises métropolitaines. La Commission considère également que, en soutenant que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve qui lui étaient soumis, Somaco demande en fait à la Cour d'apprécier les éléments de preuve qui étaient soumis au Tribunal.

48. Il convient de rappeler que, aux termes de l'article 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux questions de droit et doit être fondé sur des moyens tirés de l'incompétence du Tribunal, d'irrégularités de procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ou de la violation du droit communautaire par le Tribunal (voir, notamment, ordonnance du 5 décembre 1997, Conseil/Leite Mateus, C-218-97 P, non encore publiée au Recueil, point 20). En outre, selon l'article 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi doit contenir les moyens et arguments de droit invoqués.

49. Selon une jurisprudence constante, il résulte de ces dispositions qu'un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l'arrêt dont l'annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas à ces exigences le pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction (voir, notamment, ordonnance du 26 avril 1993, Kupka-Floridi/Comité économique et social, C-244-92 P, Rec. p. I-2041, points 9 et 10; arrêt du 24 octobre 1996, Viho/Commission, C-73-95 P, Rec. p. I-5457, points 25 et 26, et ordonnance du 16 septembre 1997, Koelman/Commission, C-59-96 P, Rec. p. I-4809, point 52).

50. Il y a lieu de constater d'abord que les conclusions en annulation présentées par Somaco dans la présente affaire ne se limitent pas à répéter les moyens et les arguments déjà exposés devant le Tribunal, mais font, au contraire, ressortir de façon suffisamment claire les éléments critiqués de l'arrêt attaqué ainsi que les arguments juridiques avancés au soutien de la demande d'annulation. En effet, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 16 de ses conclusions, le pourvoi permet d'identifier deux moyens distincts, même si ceux-ci ne sont pas spécifiquement mis en évidence.

51. Ainsi, le premier moyen porte sur la motivation de l'arrêt attaqué qui serait contradictoire ou insuffisante en ce que le Tribunal a jugé, d'une part, que les pressions irrésistibles exercées sur les importateurs accrédités en France métropolitaine étaient inexistantes et, d'autre part, que la motivation de la décision litigieuse était correcte, pour autant qu'elle identifiait de telles pressions à l'égard des concessionnaires de la Martinique qui dépendaient de ces mêmes importateurs. Le second moyen est tiré de la dénaturation des éléments de preuve qu'aurait opérée le Tribunal en constatant l'existence de pressions irrésistibles à l'encontre des concessionnaires de la Martinique.

52. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le premier grief de la Commission, selon lequel le pourvoi de Somaco n'expose pas de manière suffisamment précise les moyens invoqués, ne peut être accueilli.

53. S'agissantensuite de la question de savoir si les deux moyens avancés par Somaco tendent à remettre en cause les appréciations de fait opérées par le Tribunal, il convient de constater d'abord que la question de savoir si la motivation d'un arrêt du Tribunal est contradictoire ou insuffisante constitue une question de droit pouvant, en tant que telle, être invoquée dans le cadre d'un pourvoi(voir, notamment, arrêts du 1er octobre 1991, Vidranyi/Commission, C-283-90 P, Rec. p. I-4339, point 29, et du 20 novembre 1997, Commission/V, C-188-96 P, non encore publié au Recueil, point 24).

54. Enfin, concernant le moyen portant sur la dénaturation des éléments de preuve, il y a lieu d'observer que, s'il appartient au seul Tribunal d'apprécier la valeur qu'il convient d'attribuer aux éléments de preuve produits devant lui (voir, notamment, arrêt du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 66), la Cour a toutefois retenu que le moyen tiré de la dénaturation des éléments de preuve est recevable (voir arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53-92 P, Rec. I-667, point 42; du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission, C-362-95 P, Rec. p. I-4775, point 29, ainsi que les ordonnances du 6 octobre 1997, AIUFFASS et AKT/Commission, C-55-97 P, Rec. p. I-5383, point 25, et du 16 octobre 1997, Dimitriadis/Cour des comptes, C-140-96 P, Rec. p. I-5635, point 35).

55. Il résulte de ce qui précède que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission doit être rejetée.

Sur le fond

Sur les conclusions en annulation

56. Par son premier moyen, Somaco reproche au Tribunal d'avoir distingué la situation en métropole de celle à la Martinique. Le Tribunal ne pourrait, d'une part, tenir pour établie une entente relevant de l'article 85 du traité entre les importateurs accrédités relativement au territoire de la France métropolitaine, et, d'autre part, conclure dans le sens de l'existence de pressions étatiques irrésistibles sur les concessionnaires de la Martinique qui dépendent de ces importateurs. Or, le Tribunal n'aurait pas fait état dans la motivation de circonstances caractérisant des pressions irrésistibles justifiant un traitement différent du comportement des entreprises sur le marché martiniquais par rapport à celui des entreprises métropolitaines dont elles dépendent. Si pressions il y avait, elles s'exerceraient dans les rapports entre entreprises, c'est-à-dire entre les concessionnaires et les importateurs métropolitains.

57. A cet égard, il convient de rappeler que, au point 70 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que la décision litigieuse, pour ce qui concerne les plaintes mettant en cause les importateurs en France métropolitaine, ne reposait pas, en l'absence d'éléments sur le régime d'importation applicable autres que ceux qui étaient à la base de la première décision de rejet de la Commission, sur des indices objectifs, pertinents et concordants de nature à démontrer que les autorités françaises avaient exercé unilatéralement des pressions irrésistibles sur les entreprises afin qu'elles adoptent le comportement dénoncé dans les plaintes. C'est au vu de l'absence d'éléments démontrant l'existence de telles pressions que le Tribunal a considéré, au point 71, que le comportement des importateurs, lesquels se conformaient aux souhaits de l'administration française en tenant compte de l'ensemble des risques et avantages pertinents, devait être considéré comme relevant de l'exercice d'un choix commercial, et, au point 72, que la décision litigieuse devait être annulée.

58. En revanche, pour ce qui concerne la plainte de Somaco mettant en cause les concessionnaires à la Martinique, le Tribunal a constaté, au point 88, que, sur la base des éléments nouveaux recueillis dans le cadre de l'instruction à laquelle la Commission avait procédé à la suite de l'annulation par le Tribunal de sa première décision, la conclusion de la Commission selon laquelle les concessionnaires de la Martinique ne disposaient d'aucune autonomie dans la mise en œuvre du régime d'importation reposait sur des indices objectifs, pertinents et concordants, et, au point 97, qu'aucun autre document invoqué par les plaignantes n'était de nature à ébranler cette thèse.

59. Il en résulte que la motivation de l'arrêt attaqué n'est pas contradictoire ou insuffisante. Contrairement à ce que soutient Somaco, le Tribunal n'a pas établi l'existence d'une entente proscrite par l'article 85 entre les importateurs accrédités en France métropolitaine, mais s'est limité à constater que le motif présenté par la Commission pour rejeter les plaintes, à savoir que les importateurs mis en cause ne disposaient d'aucune autonomie ou "marge de manœuvre", n'était pas étayé par des éléments de preuve suffisants. En effet, le Tribunal a constaté que les éléments qualifiés par la Commission d'"éléments nouveaux" par rapport au dossier qui lui avait été présenté dans l'affaire Asia Motor France II ne concernaient que la situation à la Martinique, et c'est précisément l'examen de ces éléments qui a conduit le Tribunal à une conclusion différente pour ce qui concerne la situation existant à la Martinique par rapport à celle à laquelle il était parvenu en ce qui concerne la France métropolitaine, à savoir que les concessionnaires de la Martinique ne disposaient d'aucune autonomie dans la mise en œuvre du régime d'importation en question.

60. Dans ce contexte, la situation de dépendance des concessionnaires de la Martinique vis-à-vis des importateurs accrédités en France métropolitaine, constatée notamment par le Tribunal au point 87 de l'arrêt attaqué, n'est pas de nature à mettre en cause le fait que le Tribunal a considéré, sur la base des éléments de preuve qui lui avaient été soumis, que le régime d'importation en vigueur à la Martinique était exclusivement étatique.

61. Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

62. Par son second moyen, Somaco fait valoir que le Tribunal s'est livré à une dénaturation des éléments de preuve produits par elle, et en particulier du compte-rendu de la réunion du 19 octobre 1987 et du protocole d'accord signé par les entreprises le même jour.

63. Ainsi, selon Somaco, la réunion du 19 octobre 1987 n'avait pas pour seul objet la restitution par Toyota d'un excédent de quota. D'autres points auraient également été abordés. Somaco renvoie, à cet égard, notamment aux expressions utilisées dans le compte-rendu selon lequel, "A l'issue d'une discussion entre tous les participants, il a été décidé entre les concessionnaires présents... d'accepter une autolimitation, toutes marques confondues, à 15 % du marché global, et de respecter impérativement cette autolimitation, au besoin en s'autocontrôlant...".

64. Somaco souligne également qu'il ressort du compte-rendu que les participants "font des litiges existant entre eux leur affaire personnelle" et que l'établissement d'un protocole d'accord entre les concessionnaires y était prévu. Ce protocole serait également clair et sans ambiguïté, stipulant que "Les signataires engageant leur concession... conviennent..." et que, "En cas de non-respect de l'une des clauses susvisées par l'une ou l'autre des parties, le présent protocole deviendra caduc". Ainsi, le texte même du compte-rendu et du protocole d'accord serait incompatible avec l'interprétation du Tribunal selon laquelle la réunion aurait eu pour seul objet la restitution par Toyota d'un excédent de quota.

65. A cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal, dans l'arrêt attaqué, a examiné les deux documents invoqués par Somaco afin d'établir si celle-ci avait produit des éléments "discordants" de nature à démontrer l'existence d'une marge d'autonomie dans le chef des concessionnaires de voitures japonaises quant à la répartition du quota global fixé par les autorités françaises à 15 % pour les importations des voitures japonaises à la Martinique.

66. Le Tribunal a relevé à cet égard que les termes mêmes utilisés dans le compte-rendu de la réunion interministérielle du 19 octobre 1987 et le protocole d'accord y annexé tendaient à faire croire que les concessionnaires avaient conclu une entente et que c'était précisément sur la base des termes de ces documents que le Tribunal avait conclu, dans son arrêt Asia Motor France II, qu'il y avait, à première vue, un indice sérieux de l'existence d'une réelle autonomie de comportement dans le chef de ces opérateurs.

67. Le Tribunal a toutefois constaté, dans l'arrêt attaqué, que les documents qui avaient été révélés lors de la nouvelle instruction de la Commission étaient de nature à expliquer les expressions utilisées dans le compte-rendu et le protocole d'accord sans qu'il soit nécessaire de conclure à l'existence d'une entente.

68. Il en résulte que le Tribunal n'a pas procédé à une dénaturation des deux documents invoqués par Somaco. En effet, il a expressément reconnu que les termes utilisés dans les deux documents plaidaient en faveur de l'existence d'une entente, comme cela a été invoqué dans la plainte, mais a toutefois retenu que ces deux documents, replacés dans un contexte plus large, pouvaient s'expliquer autrement et, à la lumière des autres éléments de preuve produits par la Commission, ne pouvaient pas affaiblir la thèse de l'existence d'une détermination des quotas d'importation par l'administration sans participation active des concessionnaires.

69. Il s'ensuit que le Tribunal n'a pas altéré le sens des deux documents invoqués par Somaco et que le moyen avancé à cet égard doit être rejeté.

Sur les conclusions en indemnité

70. S'agissant des conclusions en indemnité, Somaco fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit manifeste en constatant que la requête ne permettait pas d'identifier le comportement reproché ou que ce comportement fautif ne pouvait pas être clairement et précisément identifié. Ces deux énonciations seraient contradictoires et, en tout état de cause, il conviendrait de savoir si le comportement de la Commission, qui avait provoqué plusieurs saisines successives du Tribunal, bloquant ainsi le dossier depuis onze ans, ne peut pas être constitutif d'une faute mettant en jeu sa responsabilité et l'obligeant à réparer le préjudice qui a été explicité et dont l'origine résulte à l'évidence du comportement incriminé lui-même.

71. A cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient au premier chef à la partie qui met en cause la responsabilité de la Communauté d'apporter des preuves concluantes quant à l'existence ou à l'étendue du préjudice qu'elle invoque et d'établir le lien de causalité entre ce dommage et le comportement incriminé des institutions communautaires (voir, notamment, arrêts du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission, 26-74, Rec. p. 677, points 22 et 23, et Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission, précité, point 31).

72. Or, au point 110 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que ni l'argumentation développée par les plaignantes ni la requête considérée dans son ensemble ne permettaient d'identifier, avec le degré de clarté et de précision requis, le comportement fautif imputé à la Commission ou le caractère du préjudice prétendument subi.

73. Il y a donc lieu de constater que c'est à juste titre que le Tribunal a jugé que la requête ne répondait pas aux exigences posées. En effet, il ressort du point 109 de l'arrêt attaqué que l'argumentation développée par les plaignantes était limitée à la mention des chiffres censés représenter le "préjudice total subi par les entreprises du fait de l'entente" et à l'affirmation que "le préjudice, augmenté des intérêts de droit, dont la Commission est responsable, dû aux retards et prises de décisions illégales, peut être raisonnablement évalué à l'intérêt usuel de ces sommes appliqué par la Communauté (9,75 %) pendant la durée qui sépare la décision de classement du 5 décembre 1991 de l'arrêt à intervenir jusqu'à la date du prononcé de l'arrêt". Ainsi, Somaco n'a ni expliqué le comportement fautif imputable à la Commission ni documenté le préjudice prétendument subi.

74. Il s'ensuit que ce moyen du pourvoi doit être rejeté.

75. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que, l'ensemble des moyens présentés par Somaco étant non fondé, le pourvoi doit être rejeté.

Sur les dépens

76. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure du pourvoi en vertu de l'article 118, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Somaco ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Somaco SARL est condamnée aux dépens.