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Décisions

CJCE, 6e ch., 2 avril 1998, n° C-367/95 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes, République fédérale d'Allemagne, Royaume d'Espagne, Royaume des Pays-Bas, République française

Défendeur :

Chambre syndicale nationale des entreprises de transport de fonds et valeurs, Brink's France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodriguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Ragnemalm, Wathelet

Rapporteur :

M. Gulmann

Avocat général :

M. Lenz.

Juges :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Kapteyn, Murray, Edward, Puissochet, Hirsch, Jann, Sevon

Comm. CE, du 31 déc. 1993

31 décembre 1993

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 novembre 1995, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 28 septembre 1995, Sytraval et Brink's France/Commission (T-95-94, Rec. p. II-2651, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a annulé la décision du 31 décembre 1993 de la Commission (ci-après la "décision litigieuse"), qui a rejeté la demande de la chambre syndicale nationale des entreprises de transport de fonds et valeurs (Sytraval) et de Brink's France SARL visant à voir constater que la République française avait enfreint les articles 92 et 93 du traité CE en octroyant des aides à l'entreprise Sécuripost SA (ci-après "Sécuripost").

2 La République française, partie intervenante en première instance au soutien des conclusions de la Commission, a présenté un mémoire en réponse. La chambre syndicale nationale des entreprises de transport de fonds et valeurs (Sytraval) et Brink's France SARL (ci-après "les plaignantes") n'ont pas présenté d'observations devant la Cour.

3 Par trois requêtes déposées au greffe de la Cour les 24 janvier, 22 et 26 février 1996, la République fédérale d'Allemagne, le royaume d'Espagne et le royaume des Pays-Bas ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par trois ordonnances du 5 mars 1996, la Cour a admis ces interventions.

Faits et procédure devant le Tribunal

4 Il ressort de l'arrêt attaqué que, jusqu'en 1987, la Poste française (ci-après la "Poste") a assuré, au moyen de ses services internes, le transport de ses fonds et valeurs. En 1986, la Poste a décidé d'exercer un certain nombre de ses activités par l'intermédiaire de sociétés à forme commerciale. C'est ainsi que, le 16 décembre 1986, la Société holding des filiales de la Poste (ci-après "Sofipost"), contrôlée à 99 % par la République française, a été constituée. Le 16 avril 1987, Sofipost a créé Sécuripost qu'elle contrôle à 99,92 %. Cette dernière a pour objet le transport de fonds sécurisé, le gardiennage et la protection, ainsi que la surveillance La Poste a détaché plus de 220 fonctionnaires auprès de Sécuripost.

5 Par convention privée du 28 septembre 1987, la Poste a confié à Sécuripost les activités, dans les domaines précisés ci-dessus, qu'elle réalisait elle-même auparavant Sécuripost devait ensuite élargir sa clientèle et ses activités. Le 30 septembre 1987, un accord-cadre a été conclu entre le Ministre des Postes et Télécommunications et Sécuripost. Entre 1987 et 1989, Sofipost a concédé deux prêts-avances, respectivement d'un montant de 5 000 000 FF et de 15 000 000 FF, à Sécuripost et a réalisé une augmentation du capital de cette dernière.

6 Le 4 septembre 1989, plusieurs entreprises et associations d'entreprises françaises, parmi lesquelles les plaignantes, ont saisi la Commission de deux demandes d'ouverture de procédure en application des articles 85, 86 et 90 du traité CE, d'une part, et des articles 92 et 93 du même traité, d'autre part. Seule cette dernière demande fait l'objet de la présente affaire.

7 A la suite de cette plainte, la Commission a, par lettre du 14 mars 1990, demandé des explications au gouvernement français, qui y a répondu par lettre du 3 mai 1990.

8 Le 28 juin 1991, la Commission a informé les plaignantes que leur plainte "[soulevait] plusieurs questions de principe importantes, nécessitant, en l'occurrence, un examen approfondi de la part des services concernés de la Commission". Le 9 octobre 1991, elle a encore indiqué aux plaignantes que leur dossier "[paraissait] particulièrement complexe, nécessitant de nombreuses analyses techniques de la copieuse documentation produite tant par les plaignantes que par les autorités françaises".

9 Le 5 février 1992, la Commission a adopté une décision dans laquelle elle exposait qu'il n'était pas possible de conclure à l'existence d'aides d'État au sens de l'article 92 du traité. Elle a notamment constaté que, sur la base des éléments d'appréciation dont elle disposait, l'opération ayant conduit à la création de Sécuripost était comparable à la réorganisation opérée par une entreprise décidant de mettre sur pied une filiale pour la gestion séparée d'une branche d'activité.

10 Les plaignantes ont introduit, le 13 avril 1992, un recours en annulation au titre de l'article 173 du traité CE à l'encontre de cette décision. Ce recours est toutefois devenu sans objet, la Commission ayant retiré, le 22 juin 1992, sa décision du 5 février 1992.

11 Le 24 juillet 1992, les plaignantes ont complété la plainte qu'elles avaient introduite auprès de la Commission. Le 21 janvier 1993, celle-ci les a informées qu'elle avait inscrit au registre des aides non notifiées les mesures prises par le gouvernement français à l'égard de Sécuripost.

12 Le 26 mars 1993, le gouvernement français a autorisé Sofipost à transférer au secteur privé la propriété de Sécuripost. Le 22 avril 1993, les plaignantes ont introduit un nouveau complément de plainte. Le 5 mai 1993, la Commission les a informées qu'elle avait décidé de séparer l'instruction de l'affaire en deux parties, l'une antérieure à la privatisation et l'autre postérieure à celle-ci.

13 Le 11 octobre 1993, les plaignantes ont, en application de l'article 175 du traité CE, mis la Commission en demeure d'adopter une décision à la suite du dépôt de leur plainte du 4 septembre 1989.

14 Le 31 décembre 1993, la Commission - représentée par son membre chargé des questions de concurrence - a adressé au gouvernement français un courrier l'informant, sans motivation spécifique, qu'elle avait décidé, sur la base des éléments dont elle disposait, de clôturer le dossier par la constatation de l'inexistence d'aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Elle a toutefois souligné que sa décision ne s'étendait pas aux mesures prises depuis 1992 dans le cadre de la privatisation de Sécuripost.

15 Le même jour, la Commission - toujours représentée par son membre chargé des questions de concurrence - a adressé aux plaignantes un courrier qui, répondant aux arguments développés par celles-ci, les informait qu'elle avait constaté que l'enquête à laquelle elle avait procédé ne permettait pas de conclure en l'espèce à l'existence d'aides étatiques au sens de l'article 92 du traité, en sorte qu'elle avait décidé de classer le dossier.

16 Par requête du 2 mars 1994, les plaignantes ont introduit devant le Tribunal un recours visant à l'annulation de cette décision.

17 Elles ont invoqué quatre moyens à l'appui de leur recours. Le premier était pris de la violation de l'article 93, paragraphe 2, du traité, en ce que la Commission aurait décidé à tort, eu égard aux circonstances de l'espèce, de ne pas ouvrir la procédure prévue par cette disposition. Le deuxième moyen était tiré de la violation des droits de la défense des plaignantes, en ce que la Commission aurait retenu dans sa décision - qui leur ferait grief - des documents qui ne leur auraient pas été communiqués, comme les observations du gouvernement français. Le troisième moyen était pris de la violation de l'article 190 du traité CE, en ce que la Commission aurait omis de répondre, dans la décision litigieuse, aux griefs formulés par les plaignantes dans leur plainte, relatifs aux aides que constitueraient: 1) le détachement de personnel administratif de la Poste auprès de Sécuripost, 2) la mise à la disposition de cette dernière de locaux de la Poste, 3) l'approvisionnement en carburant et l'entretien de véhicules à des conditions excessivement favorables, et 4) le prêt de 15 000 000 FF consenti à un taux préférentiel par Sofipost à Sécuripost. Le quatrième moyen était tiré de l'existence d'erreurs manifestes d'appréciation concernant le traitement, dans la décision litigieuse, de l'augmentation du capital de Sécuripost de 9 775 000 FF, les avances sur commandes consenties par la Poste au profit de cette dernière et les tarifs et garanties anormaux pratiqués à son égard par la Poste.

L'arrêt attaqué

18 Selon l'arrêt attaqué, le recours des plaignantes avait pour objet l'annulation de la décision litigieuse "rejetant la demande des requérantes de voir constater par la Commission que la République française a enfreint les articles 92 et 93 du traité en octroyant des aides à Sécuripost".

19 Le Tribunal a d'abord estimé, au point 32 de l'arrêt attaqué, que, au vu des pièces du dossier, il convenait de concentrer son examen sur les troisième et quatrième moyens confondus, tirés de la violation de l'article 190 du traité et de l'erreur manifeste d'appréciation.

20 Il a ensuite constaté, au point 51, d'une part, que la décision litigieuse était une décision de la Commission rejetant les allégations des plaignantes au motif que les mesures dénoncées ne constituaient pas des aides d'État au sens de l'article 92 du traité et, d'autre part, qu'il n'était pas contesté que celle-ci était une décision au sens de l'article 189, quatrième alinéa, du traité CE, qui devait donc être motivée en vertu de l'article 190 du traité. Le Tribunal a donc considéré, au point 53, qu'il convenait de vérifier si la décision litigieuse faisait apparaître, de manière claire et non équivoque, le raisonnement qui avait conduit la Commission à considérer que les mesures dénoncées par les plaignantes ne constituaient pas des aides d'État au sens de l'article 92 du traité, de façon à permettre aux plaignantes de connaître les justifications du rejet de leur plainte afin de défendre leurs droits et au Tribunal d'exercer son contrôle.

21 A cet égard, le Tribunal a souligné, au point 54, que le contrôle juridictionnel que devait permettre cette motivation n'était pas, en l'espèce, un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation comme celui portant sur l'examen de la compatibilité de mesures nationales d'ores et déjà qualifiées d'aides d'État, examen qui relève de la compétence exclusive de la Commission, mais un contrôle de l'interprétation et de l'application de la notion d'aide d'État visée à l'article 92 du traité, opérées par la Commission en vue de déterminer si les mesures nationales dénoncées par les plaignantes devaient ou non être qualifiées d'aides d'État.

22 Le Tribunal a considéré, au point 55, qu'il importait de rappeler le contexte dans lequel s'était inscrite la décision litigieuse, le caractère suffisant ou non d'une motivation devant être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte. A cet égard, le Tribunal a relevé quatre points: en premier lieu, le fait que la décision litigieuse avait été adoptée après l'écoulement d'un délai particulièrement long (point 56) en deuxième lieu, le fait que la Commission avait précisé dans sa correspondance échangée avec les plaignantes que leur plainte soulevait plusieurs questions de principe importantes nécessitant un examen approfondi et de nombreuses analyses techniques (point 57) en troisième lieu, le fait que la Commission avait retiré sa première décision du 5 février 1992 à la suite du recours en annulation introduit par les plaignantes, alors même que ce recours se limitait à reprendre les différents griefs déjà avancés dans leur plainte initiale, sans en soulever de nouveaux (point 58), et, en quatrième lieu, le fait que la Commission avait inscrit les mesures litigieuses dans le registre des aides non notifiées et avait regretté, dans une lettre adressé au gouvernement français, qu'aucune des mesures en cause n'eût fait l'objet de notification préalable au titre de l'article 93, paragraphe 3, du traité (point 59).

23 A la lumière de ces constatations, le Tribunal a estimé, au point 60, qu'il convenait de rechercher si, en l'espèce, la motivation de la décision litigieuse pouvait supporter la conclusion que les mesures dénoncées par les plaignantes ne constituaient pas des aides d'État au sens de l'article 92 du traité.

24 A cet égard, il a conclu que, s'agissant du grief formulé par les plaignantes relatif au personnel administratif détaché, la décision litigieuse était entachée d'un défaut de motivation (points 62 et 63), et que, s'agissant des griefs relatifs à la mise à disposition des locaux (points 65 à 66), à l'entretien des véhicules (point 69), à l'octroi de l'avance de 15 000 000 FF (point 72) et aux prix pratiqués par Sécuripost à l'égard de la Poste (points 74 à 76), la motivation de cette décision était insuffisante.

25 Dans ce contexte, le Tribunal a considéré, aux points 66 et 72, que, dès lors que la Commission décide de rejeter une plainte portant sur une mesure qualifiée par le plaignant d'aide d'État non notifiée, sans permettre au plaignant de se prononcer, avant l'adoption de la décision définitive, sur les éléments recueillis dans le cadre de son enquête, elle a l'obligation d'examiner d'office les griefs que n'aurait pas manqué de soulever le plaignant s'il avait pu prendre connaissance de ces éléments.

26 En outre, le Tribunal a considéré, au point 78, que l'obligation pour la Commission de motiver ses décisions peut requérir, dans certaines circonstances, l'engagement d'un débat contradictoire avec le plaignant dès lors que, pour justifier à suffisance de droit son appréciation de la nature d'une mesure qualifiée par le plaignant d'aide d'État, la Commission a besoin de connaître la position de celui-ci sur les éléments qu'elle a recueillis dans le cadre de son instruction. Le Tribunal a estimé que, dans de telles circonstances, cette obligation constitue le prolongement nécessaire de l'obligation qui incombe à la Commission d'assurer un traitement diligent et impartial de l'instruction du dossier en s'entourant de tous les avis nécessaires.

27 Enfin, le Tribunal a constaté, au point 80, que la décision litigieuse devait être annulée, sa motivation ne pouvant supporter la conclusion que les mesures dénoncées par les plaignantes ne constituaient pas des aides d'État au sens de l'article 92 du traité.

Le pourvoi

28 Dans son pourvoi, la Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler l'arrêt attaqué et tirer de cette annulation toutes conséquences de droit, et en particulier de renvoyer l'affaire devant le Tribunal afin qu'il soit statué sur le fond, et

- condamner les parties requérantes dans l'instance devant le Tribunal aux dépens.

29 La République française demande à la Cour

- de faire droit au pourvoi de la Commission et d'annuler l'arrêt attaqué, et

- de faire droit aux conclusions présentées en première instance par la Commission.

30 La République fédérale d'Allemagne, le royaume d'Espagne et le royaume des Pays-Bas demandent également à la Cour de faire droit au pourvoi de la Commission.

31 A l'appui du pourvoi, la Commission invoque trois moyens. Elle fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit:

- quant au destinataire d'une décision en matière d'aides d'État

- quant à l'étendue de l'obligation de motivation et

- quant aux règles procédurales à suivre dans le cadre de la gestion des dossiers dans le domaine des aides d'État.

32 La Commission considère que le Tribunal a méconnu le cadre juridique institué par le traité en matière d'aides d'État ainsi que la jurisprudence de la Cour y relative. Dans une situation telle que celle en cause, dans laquelle la Commission se prononce sur l'existence d'une aide d'État dénoncée dans une plainte, l'auteur de cette plainte ne bénéficierait pas de droits spécifiques et ne saurait contester la légalité de cette décision qu'au même titre que tout autre requérant directement et individuellement concerné par la décision.

L'appréciation de la Cour

Sur le système de contrôle des aides étatiques institué par le traité

33 Avant d'examiner les moyens invoqués dans le cadre du pourvoi, il convient de rappeler les règles pertinentes du système de contrôle des aides étatiques institué par le traité.

34 L'article 92, paragraphe 1, du traité dispose que, "Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions".

35 L'article 93 du traité prévoit une procédure spéciale organisant l'examen permanent et le contrôle des aides d'État par la Commission. En ce qui concerne les aides nouvelles que les États membres auraient l'intention d'instituer, il est établi une procédure préalable sans laquelle aucune aide ne saurait être considérée comme régulièrement instaurée. En vertu de l'article 93, paragraphe 3, première phrase, du traité, tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour, les projets tendant à instituer ou à modifier des aides doivent être notifiés à la Commission préalablement à leur mise en œuvre.

36 Celle-ci procède alors à un premier examen des aides projetées. Si, au terme de cet examen, il lui apparaît qu'un projet n'est pas compatible avec le Marché commun, elle ouvre sans délai la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, qui dispose: "Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le Marché commun aux termes de l'article 92, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine".

37 Il ressort de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité que, tout au long de la phase préliminaire, l'État membre concerné ne peut mettre à exécution le projet d'aide. En cas d'ouverture de la procédure d'examen prévue à l'article 93, paragraphe 2, cette interdiction subsiste jusqu'à l'adoption de la décision de la Commission sur la compatibilité du projet d'aide avec le Marché commun. En revanche, si la Commission n'a pas réagi dans les deux mois de la notification, l'État membre concerné peut alors mettre à exécution le projet d'aide après en avoir averti la Commission (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39-94, Rec. p. I-3547, point 38).

38 Dans le cadre de la procédure prévue à l'article 93, il faut donc distinguer, d'une part, la phase préliminaire d'examen des aides instituée par l'article 93, paragraphe 3, du traité, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l'aide en cause, et, d'autre part, la phase d'examen visée à l'article 93, paragraphe 2, qui est destinée à permettre à la Commission d'avoir une information complète sur l'ensemble des données de l'affaire (voir arrêts du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198-91, Rec. p. I-2487, point 22, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, point 16).

39 La procédure de l'article 93, paragraphe 2, revêt un caractère indispensable dès lors que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le Marché commun. La Commission ne peut donc s'en tenir à la phase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, pour prendre une décision favorable à une aide que si elle est en mesure d'acquérir la conviction, au terme d'un premier examen, que cette aide est compatible avec le traité. En revanche, si ce premier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire, ou même n'a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l'appréciation de la compatibilité de cette aide avec le Marché commun, la Commission a le devoir de s'entourer de tous les avis nécessaires et d'ouvrir, à cet effet, la procédure de l'article 93, paragraphe 2 (voir, notamment, arrêt du 20 mars 1984, Allemagne/Commission, 84-82, Rec. p. 1451, point 13, et arrêts précités Cook/Commission, point 29, et Matra/Commission, point 33).

40 Lorsque, sans ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, la Commission constate, sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu'une aide est compatible avec le Marché commun, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues par le paragraphe 2 de cet article ne peuvent en obtenir le respect que s'ils ont la possibilité de contester devant la Cour cette décision de la Commission (voir, notamment, arrêts précités Cook/Commission, point 23, et Matra/Commission, point 17).

41 Or, les intéressés au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, qui peuvent ainsi, conformément à l'article 173, quatrième alinéa, du traité, introduire des recours en annulation en tant que directement et individuellement concernés, sont les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi d'une aide, c'est-à-dire notamment les entreprises concurrentes et les organisations professionnelles (voir, notamment, arrêt du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 16).

42 C'est au regard de ces éléments de droit qu'il convient d'examiner les trois moyens invoqués par la Commission au soutien de son pourvoi.

Sur le premier moyen

43 Par son premier moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a mal apprécié la nature de la décision litigieuse en jugeant qu'elle était une décision de rejet de plainte. La Commission et les quatre États membres intervenants soulignent que les seules décisions que la Commission peut prendre dans le cadre des articles 92 et 93 du traité sont des décisions adressées à un État membre se prononçant sur l'existence ou la compatibilité d'une aide. Si la Commission, au titre de son devoir de bonne administration, communique sa décision à un éventuel plaignant, il n'en reste pas moins que cette information n'est pas susceptible de constituer en tant que telle une décision adressée au plaignant. En l'état actuel du droit communautaire, la catégorie des décisions de rejet de plainte n'existerait pas dans le domaine des aides d'État.

44 A cet égard, il convient de rappeler, ainsi que l'a fait le Tribunal au point 50 de l'arrêt attaqué, que ni le traité ni la législation communautaire n'ont défini le régime procédural des plaintes dénonçant l'existence d'aides d'État.

45 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les décisions adoptées par la Commission dans le domaine des aides d'État ont pour destinataires les États membres concernés.Cela vaut également lorsque ces décisions concernent des mesures étatiques dénoncées dans des plaintes comme des aides d'État contraires au traité et qu'il en résulte que la Commission refuse d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, parce qu'elle estime soit que les mesures dénoncées ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 92 du traité, soit qu'elles sont compatibles avec le Marché commun. Si la Commission adopte de telles décisions et informe, conformément à son devoir de bonne administration, les plaignants de sa décision, c'est la décision adressée à l'État membre qui doit, le cas échéant, faire l'objet d'un recours en annulation de la part du plaignant et non pas la lettre adressée à celui-ci l'informant de la décision.

46 Dès lors, même si l'on peut regretter que la Commission n'ait pas informé les plaignantes de sa position en leur envoyant copie de la décision dûment motivée adressée à l'État membre concerné, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la décision litigieuse n'avait pas pour destinataire cet État mais qu'elle constituait une décision adressée aux plaignantes, rejetant leur demande de voir constater par la Commission que la République française avait enfreint les articles 92 et 93 du traité en octroyant des aides à Sécuripost.

47 Toutefois, l'erreur de droit ainsi commise par le Tribunal n'est pas de nature à invalider son arrêt dès lors que, ainsi que la Commission l'a d'ailleurs admis, les plaignantes étaient directement et individuellement concernées par la décision en cause. En effet, en constatant dans sa décision que l'enquête ne permettait pas de conclure à l'existence d'une aide d'État au sens de l'article 92 du traité, la Commission a implicitement refusé d'ouvrir la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité. Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour citée aux points 40 et 41 du présent arrêt que, dans une telle situation, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues par cette disposition ne peuvent en obtenir le respect que s'ils ont la possibilité de contester devant la juridiction communautaire cette décision conformément à l'article 173, quatrième alinéa, du traité. Ce principe s'applique aussi bien dans le cas où la décision est prise au motif que la Commission estime que l'aide est compatible avec le Marché commun que lorsqu'elle est d'avis que l'existence même d'une aide doit être écartée.

48 Les plaignantes figurant incontestablement parmi les bénéficiaires des garanties de procédure en question, elles doivent être regardées, en cette qualité, comme directement et individuellement concernées par la décision litigieuse. Elles étaient dès lors recevables à en demander l'annulation (arrêt Cook/Commission, précité, points 25 et 26).

49 Au vu de ces considérations, il y a lieu de constater que le Tribunal n'a pas commis une erreur de droit de nature à invalider son arrêt en jugeant que, dans les circonstances de la présente espèce, la décision litigieuse était une décision adressée aux plaignantes, rejetant leur demande de faire constater par la Commission une violation des articles 92 et 93 du traité.

Sur les deuxième et troisième moyens

50 Par ses deuxième et troisième moyens, la Commission fait valoir que, de l'erreur du Tribunal quant au destinataire de la décision de la Commission, il résulte une appréciation erronée quant aux obligations de motivation et d'instruction de la plainte.

51 Tout en admettant que, quelle que soit la qualité du destinataire de sa décision, elle est tenue à une obligation de motivation permettant d'assurer le contrôle de la légalité de l'acte et que, à l'égard des plaignantes, elle était tenue d'examiner l'ensemble des éléments de fait et de droit que celles-ci avaient porté à sa connaissance, la Commission fait valoir que c'est à tort que le Tribunal a apprécié la portée de l'obligation de motivation comme si les plaignantes étaient les destinataires de sa décision.

52 La Commission estime ainsi que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 53 de l'arrêt attaqué, que la décision litigieuse devait être motivée de façon à permettre aux plaignantes de connaître les justifications du rejet de leur plainte afin de défendre leurs droits. Selon elle, le plaignant qui invoque ultérieurement le défaut de motivation d'une décision dans le cadre d'un recours en annulation ne doit pouvoir le faire qu'au même titre que tout autre requérant directement et individuellement concerné.

53 La Commission fait encore valoir que, s'il est exact que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte lui faisant grief constitue un principe fondamental du droit communautaire, s'agissant d'aides d'État, seul l'État membre concerné se trouve dans une telle situation et, dès lors, lui seul doit être mis en demeure de faire connaître utilement son point de vue sur les observations présentées par des tiers intéressés.

54 La Commission observe ensuite que, comme conséquence de cette interprétation erronée de la portée de la décision litigieuse, le Tribunal, estimant que la Commission a l'obligation d'examiner d'office les griefs que n'aurait pas manqué de soulever le plaignant s'il avait pu prendre connaissance de ces éléments et que l'obligation de motivation peut requérir, dans certaines circonstances, l'engagement d'un débat contradictoire avec le plaignant, a, sans base légale, octroyé des droits procéduraux nouveaux au plaignant. La Commission indique que, vu la portée de l'instruction telle que conçue par le Tribunal par référence à tous les griefs hypothétiques qu'un "plaignant idéal" n'aurait pas manqué de soulever, elle serait systématiquement obligée d'engager un tel débat contradictoire.

55 Enfin, la Commission soutient que, dans le cas d'espèce, le Tribunal a, sous couvert du contrôle de motivation, effectué un contrôle de l'erreur d'appréciation, confondant ainsi l'exigence purement procédurale de motivation et la légalité au fond de la décision. Le Tribunal aurait en fait reproché à la Commission une erreur manifeste d'appréciation qui trouverait son origine dans l'insuffisance de l'instruction à laquelle la Commission aurait procédé.

56 Les quatre États intervenants font valoir en substance les mêmes arguments que la Commission. La République fédérale d'Allemagne observe toutefois que, lorsque la Commission décide de clore la procédure d'examen préliminaire au titre de l'article 93, paragraphe 3, et, ce faisant, choisit la forme de la décision au sens de l'article 189 du traité, il ne lui incombe aucune obligation de motivation puisque la phase d'examen préliminaire est une procédure non contradictoire qui ne confère au plaignant aucune protection juridique.

57 Au vu de cette argumentation, il y a lieu d'examiner l'étendue des obligations qui incombent à la Commission lorsqu'elle reçoit une plainte dénonçant des mesures nationales comme des aides d'État.

58 Pour ce qui concerne d'abord la prétendue obligation de la Commission d'engager, dans certaines circonstances, un débat contradictoire avec le plaignant, laquelle peut, selon l'arrêt attaqué, découler de l'obligation qu'a la Commission de motiver ses décisions, il y a lieu de constater qu'il n'existe aucune base pour imposer une telle obligation à la Commission.

59 En effet, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 83 de ses conclusions, une telle obligation ne peut être fondée sur la seule base de l'article 190 du traité. Par ailleurs, et ainsi que la Commission et les États intervenants l'ont observé, il résulte de la jurisprudence de la Cour citée aux points 38 et 39 du présent arrêt que la Commission n'a pas l'obligation d'entendre les plaignants pendant la phase préliminaire d'examen des aides instituée par l'article 93, paragraphe 3, du traité. En outre, il découle de cette même jurisprudence que, lors de la phase d'examen visée à l'article 93, paragraphe 2, la Commission doit seulement mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations. Dès lors, ainsi que l'ont relevé les gouvernements intervenants lors de la procédure devant la Cour et M. l'avocat général au point 91 de ses conclusions, le fait d'imposer à la Commission d'engager, dans le cadre de la phase préliminaire visée à l'article 93, paragraphe 3, un débat contradictoire avec le plaignant pourrait conduire à des discordances entre le régime procédural prévu par cette disposition et celui prévu par l'article 93, paragraphe 2.

60 Pour ce qui concerne ensuite la prétendue obligation de la Commission d'examiner d'office certains griefs, il y a lieu de constater que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, il n'existe pas d'obligation pour la Commission d'examiner d'office les griefs que n'aurait pas manqué de soulever le plaignant s'il avait pu prendre connaissance des éléments que la Commission a recueillis dans le cadre de son enquête.

61 En effet, ce critère, qui oblige la Commission à se mettre à la place du requérant, n'est pas apte à délimiter l'obligation d'instruction qui incombe à la Commission.

62 Toutefois, il convient encore de relever que cette constatation n'implique pas que la Commission n'a pas l'obligation, le cas échéant, d'instruire une plainte en allant au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par le plaignant. En effet, la Commission est tenue, dans l'intérêt d'une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d'État, de procéder à un examen diligent et impartial de la plainte, ce qui peut rendre nécessaire qu'elle procède à l'examen des éléments qui n'ont pas été expressément évoqués par le plaignant.

63 Pour ce qui est de l'obligation de motivation qui incombe à la Commission, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l'article 190 du traité doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêts du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296-82 et 318-82, Rec. p. 809, point 19 du 14 février 1990, Delacre ea/Commission, C-350-88, Rec. p. I-395, points 15 et 16, et du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56-93, Rec. p. I-723, point 86).

64 S'agissant plus particulièrement d'une décision de la Commission qui conclut à l'inexistence d'une aide d'État dénoncée par un plaignant, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, la Commission est en tout état de cause tenue d'exposer de manière suffisante au plaignant les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans la plainte n'ont pas suffi à démontrer l'existence d'une aide d'État. Toutefois, la Commission n'est pas tenue de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires.

65 C'est au vu de ces constatations relatives à l'étendue des obligations de la Commission en ce qui concerne l'instruction du dossier et la motivation de la décision litigieuse qu'il convient d'apprécier les arguments avancés par la Commission et les États intervenants, selon lesquels le Tribunal aurait confondu l'exigence purement procédurale de motivation avec la légalité au fond de la décision et, sous couvert d'une prétendue insuffisance de motivation, aurait en fait reproché à la Commission une erreur manifeste d'appréciation qui trouverait son origine dans l'insuffisance de l'instruction à laquelle la Commission avait procédé.

66 A cet égard, il importe de relever que le Tribunal a fusionné, ainsi qu'il a été rappelé au point 19 du présent arrêt, l'examen des moyens tirés respectivement de la violation de l'article 190 du traité et de l'erreur manifeste d'appréciation.

67 Or, il y a lieu de rappeler qu'il s'agit de deux moyens distincts susceptibles d'être invoqués dans le cadre du recours prévu par l'article 173 du traité. Le premier, qui vise un défaut ou une insuffisance de motivation, relève de la violation des formes substantielles, au sens de cette disposition, et constitue un moyen d'ordre public qui doit être soulevé d'office par le juge communautaire (voir, notamment, arrêt du 20 février 1997, Commission/Daffix, C-166-95 P, Rec. p. I-983, point 24). En revanche, le second, qui porte sur la légalité au fond de la décision litigieuse, relève de la violation d'une règle de droit relative à l'application du traité, au sens du même article 173, et ne peut être examiné par le juge communautaire que s'il est invoqué par le requérant.

68 Il y a d'ailleurs lieu de constater, ainsi que l'a fait M. l'avocat général au point 52 de ses conclusions, que le Tribunal, s'il a fusionné l'examen des deux moyens précités, a finalement fondé l'annulation de la décision de la Commission sur la seule violation de l'article 190 du traité. Cependant, certains des griefs retenus dans l'arrêt attaqué à l'encontre de cette décision ne peuvent pas être tirés de la violation de l'obligation de motivation.

69 Ainsi, s'agissant de la mise à disposition de locaux faite par la Poste à Sécuripost, le Tribunal a considéré, au point 65 de l'arrêt attaqué, que la Commission aurait dû comparer les prix effectivement pratiqués à l'égard de Sécuripost et ceux que devaient payer les concurrents de Sécuripost pour bénéficier de locaux comparables. Pour ce qui concerne l'entretien des véhicules de Sécuripost par le "Service national des Ateliers et Garages des PTT", le Tribunal a estimé, au point 69 de l'arrêt attaqué, que la Commission aurait dû comparer les tarifs effectivement pratiqués par ce service et ceux pratiqués par les garages privés.

70 De même, au point 72 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le fait que l'octroi d'une avance de 15 000 000 FF consentie par Sofipost à Sécuripost constituait une opération payante ne suffisait pas à démontrer qu'il ne s'agissait pas d'une aide d'État, puisqu'une telle opération payante peut être pratiquée à un taux qui représente un avantage particulier. La Commission aurait donc dû examiner si le taux pratiqué correspondait à celui du marché.

71 En outre, s'agissant du grief des plaignantes selon lequel les prix pratiqués par Sécuripost à l'égard de la Poste étaient nettement supérieurs à ceux habituellement pratiqués dans la profession, le Tribunal a relevé, aux points 74 et 75 de l'arrêt attaqué, que la Commission s'était contentée de comparer le prix de la desserte pratiqué respectivement à l'égard de la Poste et à l'égard des magasins Casino sur la base exclusive des données relatives à l'année 1993. Elle l'aurait fait sans prendre en considération les différences entre les prix pratiqués durant les années 1987 à 1992, et ce malgré le fait que les tarifs pratiqués par Sécuripost à l'égard de la Poste avaient diminué de façon continue de 1987 à 1993, conformément notamment à l'accord-cadre du 30 septembre 1987 liant la Poste et Sécuripost, ce qui aggraverait encore les différences soulevées par les plaignantes. Il en découle que, selon le Tribunal, la Commission aurait dû examiner les tarifs pratiqués par Sécuripost à l'égard de la Poste et des autres clients pour les années antérieures à l'année 1993.

72 Dans les cas évoqués aux points 69 à 71 du présent arrêt, il apparaît ainsi que le Tribunal n'a pas opéré la distinction nécessaire entre l'exigence de motivation et la légalité au fond de la décision. En effet, sous couvert d'une prétendue insuffisance de motivation, il a reproché à la Commission une erreur manifeste d'appréciation qui trouverait son origine dans l'insuffisance de l'instruction à laquelle la Commission avait procédé.

73 Cela étant, encore convient-il de constater que, relativement aux autres griefs, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en constatant que la décision litigieuse était entachée d'un défaut de motivation.

74 A cet égard, il y a d'abord lieu de rappeler que le Tribunal a considéré, au point 62 de l'arrêt attaqué, que la décision litigieuse était entachée d'un défaut de motivation en ce qui concerne le grief des plaignantes selon lequel la Commission n'avait pas examiné l'avantage particulier dénoncé dans leur plainte, consistant dans le fait que les fonctionnaires de la Poste, détachés auprès de Sécuripost, pouvaient à tout moment être réaffectés à leur administration d'origine lorsque des compressions de personnel s'avéraient nécessaires dans l'entreprise auprès de laquelle ils étaient détachés, sans que celle-ci doive payer dans ce cas une quelconque indemnité de préavis ou de licenciement. Devant le Tribunal, la Commission s'était limitée à avancer à cet égard que le non-versement d'indemnités de préavis et de licenciement n'était qu'un aspect secondaire d'un grief avancé dans les diverses plaintes, à savoir la prise en charge totale ou partielle par l'État du traitement du personnel de Sécuripost.

75 Il convient d'observer que le Tribunal a constaté à juste titre que la motivation de la décision litigieuse faisait défaut sur ce point en ce que la Commission n'avait pas répondu à ce grief. En effet, celui-ci, qui était expressément mentionné dans la plainte, ne pouvait pas être considéré comme un aspect secondaire du grief concernant la prise en charge totale ou partielle par l'État du traitement du personnel de Sécuripost. A supposer même que tout le personnel en provenance de la Poste eût été intégralement pris en charge par Sécuripost, cela n'aurait pas exclu que Sécuripost bénéficie éventuellement de l'avantage de ne pas avoir à verser, le cas échéant, des indemnités de préavis et de licenciement.

76 Ensuite, le Tribunal a considéré, au point 63 de son arrêt, que la motivation de la décision litigieuse faisait défaut en ce qui concerne le grief des plaignantes tiré de l'absence de cotisation par Sécuripost aux caisses d'assurance chômage à l'égard des fonctionnaires détachés. Selon l'arrêt attaqué, la Commission y avait répondu en déclarant que, "en revanche, aucune cotisation n'est due aux caisses d'assurance chômage pour l'emploi de fonctionnaires détachés puisque leur statut leur procure une garantie d'emploi".

77 Il échet de constater que, sur ce point également, le Tribunal a considéré à juste titre que la motivation de la décision litigieuse faisait défaut. En effet, ainsi que l'a relevé le Tribunal, la Commission a expressément reconnu dans la décision litigieuse qu'aucune cotisation aux caisses d'assurance n'avait été versée, mais son explication sur les raisons qui l'ont amenée à considérer que cette circonstance ne constituerait pas une aide d'État au sens de l'article 92 du traité est à ce point déficiente qu'il y a lieu de considérer que la motivation de la décision litigieuse fait défaut.

78 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les moyens du pourvoi de la Commission sont partiellement fondés. Toutefois, de même que le Tribunal, la Cour a également constaté que la décision litigieuse est entachée de défauts de motivation. Or, ceux-ci suffisent en eux-mêmes à fonder l'annulation de la décision litigieuse Par conséquent, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

79 En vertu de l'article 122, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n'est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Il résulte de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens, et de l'article 69, paragraphe 3, de ce même règlement que la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

80 Dans la présente espèce, la Commission a succombé, mais les plaignantes en première instance n'ont pas participé à la procédure de pourvoi et n'ont, par conséquent, pas conclu sur les dépens. Dans ces circonstances, il y a lieu de décider, conformément à l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, que la Commission et la République française supporteront leurs propres dépens. La République fédérale d'Allemagne, le royaume d'Espagne et le royaume des Pays-Bas supporteront également leurs propres dépens, conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure. Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La Commission des Communautés européennes, la République fédérale d'Allemagne, le royaume d'Espagne, la République française et le royaume des Pays-Bas supporteront leurs propres dépens.