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Décisions

CJCE, 31 mars 1998, n° C-68/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République française, Société commerciale des potasses et de l'azote, Entreprise minière et chimique

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodriguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Gulmann, Ragnemalm, Mancini

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Kapteyn, Murray, Edward, Puissochet, Hirsch, Jann

Avocats :

Mes Price, Quack, Albrechtskirchinger

CJCE n° C-68/94

31 mars 1998

LA COUR,

1. Le 14 juillet 1993, la Commission a, conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1990, L. 257, p. 14, ci-après le "règlement"), reçu notification d'un projet de concentration entre Kali und Salz AG (ci-après "K+S"), filiale du groupe chimique BASF, et Mitteldeutsche Kali AG (ci-après "MdK"), dont l'actionnaire unique, la Treuhandanstalt (ci-après la "Treuhand"), est un organisme de droit public chargé de restructurer les anciennes entreprises de l'ex-République démocratique allemande.

2. K+S opère essentiellement dans les secteurs de la potasse, du sel gemme et de la dépollution MdK regroupe l'ensemble des activités de l'ex-République démocratique allemande dans le domaine de la potasse et du sel gemme.

3. Le projet de concentration prévoyait que MdK serait transformée en une société à responsabilité limitée (MdK GmbH), à laquelle K+S et la Treuhand apporteraient l'une ses activités "potasse" et "sel gemme" et l'autre 1 044 millions de DM. Dans l'entreprise commune ainsi constituée, K+S et la Treuhand détiendraient respectivement 51 % et 49 % des parts et des droits de vote.

4. Par lettre du 5 août 1993, la Commission a informé les parties à l'opération envisagée de sa décision de proroger, en application des articles 7, paragraphe 2, et 18, paragraphe 2, du règlement, le sursis à la réalisation de la concentration jusqu'à l'adoption de la décision finale.

5. Le 16 août 1993, la Commission a décidé, en application de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement, d'engager la procédure dite "d'examen détaillé", au motif que l'opération de concentration notifiée soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.

6. La Commission a, le 13 octobre suivant, communiqué aux parties les objections retenues à leur encontre, conformément à l'article 18 du règlement. Selon elle, la concentration, telle qu'envisagée dans le projet notifié, pouvait créer une situation de position dominante collective sur le marché communautaire hors l'Allemagne et l'Espagne.

7. A la suite de cette communication de griefs, les parties ont proposé à la Commission de prendre certains engagements afin de lever ses doutes quant au fait que la concentration créerait une situation de position dominante oligopolistique sur le marché en cause.

8. La Commission a ensuite soumis un projet de décision au comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises, tel qu'établi en vertu de l'article 19, paragraphes 3 et suivants, du règlement, qui a, lors de sa réunion du 3 décembre 1993, rendu, à la majorité de ses membres, un avis favorable (JO 1994, C 199, p. 5).

9. La Commission a, par la décision 94-449-CE, du 14 décembre 1993, relative à une procédure d'application du règlement n° 4064-89 (Affaire n° IV-M308 - Kali + Salz/MdK/Treuhand) (JO 1994, L 186, p. 38, ci-après la "décision litigieuse"), déclaré le projet de concentration compatible avec le Marché commun, sous réserve toutefois que, en application de l'article 8, paragraphe 2, second alinéa, du règlement, certains engagements pris par les parties envers la Commission soient respectés En effet, selon cette disposition, la Commission "peut assortir sa décision [déclarant une opération de concentration compatible avec le Marché commun] de conditions et charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu'elles ont pris à l'égard de la Commission en vue de modifier le projet initial de concentration".

10. Le marché du produit en cause, tel qu'identifié dans la décision litigieuse, concerne les produits à base de sels de potasse à usage agricole, lesquels comprennent à la fois la potasse vendue pour être utilisée directement en agriculture et celle vendue pour servir à la fabrication d'engrais composés. S'agissant du marché géographique du produit en cause, la Commission a identifié deux marchés distincts: le marché allemand et le marché communautaire hormis l'Allemagne.

11. Quant au marché allemand, la Commission a constaté, au point 46 de la décision litigieuse, que la concentration projetée créerait un monopole de fait, les parts de marché de K+S et de MdK étant respectivement de 79 % et de 19 %, et a conclu, au point 50, que l'opération de concentration envisagée aurait pour effet de renforcer la position dominante de K+S sur le marché allemand de la potasse. Cependant, elle est parvenue, en application de la théorie de la "failing company defence" (théorie de la défense de l'entreprise en état d'insolvabilité), à la conclusion que l'opération de concentration visée en l'espèce n'était pas la cause du renforcement de la position dominante de K+S sur le marché allemand. A cet égard, il est constaté, au point 95 de la décision litigieuse, que les conditions de la "failing company defence" sont remplies, à savoir "que la position dominante de K+S sera renforcée, même si l'opération de concentration ne se fait pas, parce que MdK disparaîtra rapidement du marché si elle n'est pas rachetée par une autre entreprise, que la part de marché de MdK sera alors absorbée par K+S et que l'on peut pratiquement exclure qu'une autre entreprise que K+S reprendra l'ensemble ou une partie substantielle de MdK" (voir également point 71 de la décision litigieuse). La Commission a par ailleurs ajouté, au point 95, que, compte tenu de la grave faiblesse structurelle des régions d'Allemagne de l'Est qui étaient concernées par le projet de concentration et des sérieuses conséquences probables pour elles d'une fermeture de MdK, la conclusion à laquelle elle était parvenue était également conforme à l'objectif fondamental du renforcement de la cohésion économique et sociale de la Communauté évoquée au treizième considérant du règlement.

12. S'agissant du marché communautaire, à l'exception de l'Allemagne, la Commission a relevé, au point 51 de la décision litigieuse, que, du fait de la concentration projetée, deux entités seraient en position dominante: K+S/MdK et la Société commerciale des potasses et de l'azote (ci-après "SCPA"), filiale du groupe français Entreprise minière et chimique (ci-après "EMC"), qui est chargée de la distribution de la potasse.

13. L'analyse de la Commission se fonde, d'une part, sur la constatation que l'offre, en dehors du groupe K+S/MdK et SCPA, est morcelée et émane d'opérateurs qui ne paraissent pas en mesure de s'attaquer à la part de marché totale d'environ 60 % détenue par le duopole et, d'autre part, sur une forte présomption selon laquelle, entre K+S/MdK et SCPA, il n'existera aucune concurrence effective, à la fois à cause des caractéristiques du marché de la potasse, du comportement passé de K+S et de SCPA et, enfin, de leurs liens commerciaux étroits et anciens. Ces liens consistent essentiellement: a) dans le contrôle d'une entreprise commune au Canada, Potacan, dont K+S et SCPA détiennent chacune 50 % du capital, b) dans la collaboration au sein du cartel à l'exportation constitué par Kali-Export GmbH (ci-après "Kali-Export"), société de droit autrichien établie à Vienne, qui coordonne la vente des produits à base de potasse de ses associés dans les pays tiers et dont font partie, avec chacune 25 % du capital, K+S, MdK, EMC/SCPA et le producteur de potasse espagnol Coposa, et c) dans les rapports de longue date sur la base desquels, en France, SCPA effectue presque toutes les livraisons de K+S (voir points 54 à 61 de la décision litigieuse).

14. Dans ces conditions, la Commission a estimé, aux points 57 et 62, que la concentration, qui impliquerait l'addition de la part de marché de MdK, deuxième producteur de la Communauté, sur le marché communautaire hormis l'Allemagne, aboutirait à la création d'un duopole entre K+S/MdK et SCPA qui occuperait une position dominante.

15. Afin d'éviter que la Commission déclare la concentration entre K+S et MdK incompatible avec le Marché commun, les parties à cette concentration ont proposé à celle-ci certains engagements, formulés au point 63 de la décision litigieuse en ces termes:

"- Kali-Export GmbH, Vienne

K+S et l'entreprise commune se retireront sans délai de Kali-Export GmbH .

De la même façon K+S et l'entreprise commune résilieront le contrat de représentation avec Kali-Export GmbH conformément aux dispositions relatives à la résiliation qui y sont prévues. Après cette date, l'entreprise commune entrera en concurrence avec Kali-Export GmbH au travers de son propre réseau de distribution.

- Distribution en France

K+S et l'entreprise commune mettront en place dans la Communauté leur propre réseau de distribution - dans la mesure où il n'existe pas déjà - et distribueront leurs produits à travers ce réseau de distribution selon les pratiques commerciales d'usage. Un réseau de distribution sera créé en France pour la potasse ainsi que pour les spécialités de la potasse. Il couvrira l'ensemble du marché français, sa nature et sa taille seront proportionnées à l'importance du marché français. Sa mise en place s'effectuera dans le respect du principe de l'efficacité économique.

L'actuelle coopération avec SCPA en tant que distributeur associé sur le marché français prendra fin. Cela permettra, d'une part, à SCPA d'exécuter les contrats déjà conclus avec ses propres clients et, d'autre part, à l'entreprise commune de mettre en place son propre réseau de distribution. La conclusion de contrats de vente avec SCPA aux conditions normales du marché reste possible".

C'est précisément en considération de ces engagements que la Commission a, ainsi qu'il a été rappelé au point 9 du présent arrêt, déclaré le projet de concentration compatible avec le Marché commun.

16. Au point 65 de la décision litigieuse, il est rappelé que K+S, ayant pris connaissance des doutes de la Commission quant aux effets négatifs de l'opération de concentration sur les conditions de concurrence, s'est engagée à adapter, avant le 30 juin 1994, la structure de Potacan de telle sorte que chaque partenaire soit en mesure de commercialiser la potasse produite par Potacan de façon indépendante l'un de l'autre sur le marché communautaire. Toutefois, il est précisé, au point 67 de cette même décision, que la Commission a décidé de ne pas faire de cet engagement une obligation formelle, estimant que, "Dans l'hypothèse où K+S, en dépit de ses meilleurs efforts, ne serait pas en mesure de conclure un accord avec EMC, une solution appropriée aux problèmes de concurrence liés à la forme actuelle de l'entreprise commune Potacan devra être trouvée dans le cadre de la procédure [de notification des accords Potacan] engagée au titre du règlement n° 17 [du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après le règlement n° 17)]".

17. Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 février 1994, la République française a demandé, en vertu de l'article 173 du traité CE, l'annulation de la décision litigieuse (affaire C-68-94).

18. Par ordonnance du président de la Cour du 9 septembre 1994, la République fédérale d'Allemagne a été admise à intervenir dans cette affaire au soutien des conclusions de la Commission.

19. Par requête déposée au greffe du Tribunal de première instance le 25 février 1994, SCPA et EMC ont demandé, en vertu de l'article 173 du traité, l'annulation partielle de la décision litigieuse.

20. Dans le cadre de ce dernier recours, le président du Tribunal a, par ordonnance du 10 mai 1994, Société commerciale des potasses et de l'azote et Entreprise minière et chimique/Commission (T-88-94 R, Rec. p. II-263), ordonné le sursis à l'exécution de l'article 1er de la décision litigieuse, pour autant qu'elle pourrait impliquer la dissolution de Kali-Export, jusqu'au prononcé de l'ordonnance mettant fin à la procédure de référé et a rejeté la demande en référé pour le surplus.

21 Par ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 1994, Société commerciale des potasses et de l'azote et Entreprise minière et chimique/Commission (T-88-94 R, Rec. p. II-401), l'exécution de l'article 1er de la décision litigieuse a été suspendue, en ce qu'elle impose le retrait de K+S/MdK de Kali-Export, jusqu'à l'intervention de l'arrêt statuant sur le recours au principal.

22 Par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 7 juillet 1994, la République française a été admise à intervenir dans l'affaire T-88-94 au soutien des conclusions des requérantes.

23 Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 18 janvier 1995, Kali und Salz Beteiligungs-AG (anciennement K+S) et Kali und Salz GmbH (anciennement MdK, ci-après les "entreprises intervenantes") ont été admises à intervenir dans l'affaire T-88-94 à l'appui des conclusions de la Commission.

24 Eu égard au fait que les recours dont la Cour et le Tribunal étaient saisis mettent en cause la validité du même acte, le Tribunal s'est dessaisi de l'affaire T-88-94, par ordonnance de la deuxième chambre élargie du 1er février 1995, Société commerciale des potasses et de l'azote et Entreprise minière et chimique/Commission (Rec. p. II-221), afin que la Cour puisse statuer sur la demande en annulation. Cette affaire a été enregistrée au greffe de la Cour le 8 février suivant sous le numéro C-30-95.

25. Sur rapport du juge rapporteur, l'avocat général entendu, la Cour a décidé d'ouvrir la procédure orale dans les deux affaires sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

CONCLUSIONS DES PARTIES

Dans l'affaire C-68-94

26. La République française conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler la décision litigieuse;

- condamner la Commission aux dépens.

27 La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- rejeter le recours comme non fondé;

- condamner la République française aux dépens.

28 La République fédérale d'Allemagne, qui est intervenue à l'appui des conclusions de la Commission, conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- rejeter le recours.

Dans l'affaire C-30-95

29. SCPA et EMC concluent à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler partiellement l'article 1er de la décision litigieuse en ce qu'elle conditionne la déclaration de compatibilité de l'opération de concentration avec le Marché commun au respect des conditions énoncées en son point 63;

- annuler partiellement la décision litigieuse en ce qu'elle a accepté l'engagement mentionné en son point 65 par lequel K+S s'est engagée à modifier avant le 30 juin 1994 la structure de la société Potacan afin que chaque actionnaire de cette dernière puisse commercialiser dans la Communauté, indépendamment de l'autre actionnaire, la potasse qu'elle a obtenue auprès de Potacan;

- condamner la Commission aux dépens;

- condamner les entreprises intervenantes à supporter leurs propres dépens.

30. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- rejeter le recours comme irrecevable;

- rejeter le recours comme non fondé;

- condamner les requérantes aux dépens.

31. La République française, qui est intervenue à l'appui des conclusions des requérantes, conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- faire droit aux conclusions des requérantes tendant à l'annulation partielle de la décision litigieuse;

- condamner la Commission aux dépens.

32. Les entreprises intervenantes Kali und Salz Beteiligungs-AG et Kali und Salz GmbH, qui ont succédé respectivement à K+S et à MdK, soutiennent les conclusions de la Commission et demandent à la Cour de condamner les sociétés requérantes aux dépens.

SUR LA JONCTION DES AFFAIRES C-68-94 ET C-30-95

33. Etant donné la connexité de ces deux affaires, confirmée lors de la procédure orale, il convient, conformément à l'article 43 du règlement de procédure, de les joindre aux fins de l'arrêt.

SUR LA RECEVABILITE (AFFAIRE C-30-95)

34. Tout en engageant le débat au fond, la Commission soulève une exception d'irrecevabilité à l'encontre du recours en annulation de SCPA et de EMC qui s'articule en trois branches. En premier lieu, elle conteste la possibilité d'un recours en annulation partielle dans le cas d'espèce. En deuxième lieu, elle soutient que les sociétés requérantes ne sont ni directement ni individuellement concernées par la décision litigieuse. En troisième lieu, elle fait valoir l'absence de caractère décisionnel de l'engagement concernant la société Potacan, dont la Commission n'a fait que prendre note.

Sur l'annulation partielle

35. La Commission soutient que l'annulation, ne fût-ce que d'une seule des conditions dont est assortie la déclaration de compatibilité de la concentration avec le Marché commun, modifierait la substance même de la décision litigieuse, puisque les conditions pour autoriser la concentration ne seraient plus remplies. Il s'ensuivrait que la Commission serait contrainte de révoquer intégralement ladite décision.

36. Les sociétés requérantes font, en revanche, valoir que les conditions litigieuses pourraient être séparées du reste de la décision et que leur annulation n'aurait pour effet que de la rendre inconditionnelle. Dès lors, l'article 8, paragraphe 5, du règlement, qui autorise la Commission à révoquer sa décision en cas de non-respect d'un engagement par les parties, ne serait pas applicable.

37. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 26 de ses conclusions, il convient d'examiner cette exception en même temps que le fond du recours, car il sera ainsi possible de vérifier si l'éventuelle annulation des conditions est de nature à se répercuter sur le reste de la décision, en imposant l'annulation totale de cette dernière.

Sur le droit d'agir

38. La Commission fait valoir que, conformément à l'article 173 du traité, les particuliers qui sont des tiers à une décision des institutions adressée à d'autres particuliers ne peuvent former un recours en annulation d'une telle décision que s'ils sont directement et individuellement concernés par celle-ci. Or, d'après la Commission, ni SCPA ni EMC ne sont directement et individuellement concernées par la décision litigieuse.

39. A cet égard, elle fait observer notamment que, contrairement à ce qu'exige une jurisprudence constante (voir arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, et du 24 février 1987, Deutz und Geldermann/Conseil, 26-86, Rec. p. 941), les sociétés requérantes ne sont pas atteintes en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise de manière analogue à celle du destinataire. En effet, ces sociétés, qui ont été nommément mentionnées dans la décision litigieuse, n'auraient pas participé à la procédure devant la Commission, en sorte qu'elles ne peuvent pas être considérées comme individuellement concernées par cette décision. A ce propos, la Commission fait valoir en particulier que, contrairement aux critères dégagés dans l'arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391), ces sociétés n'ont pas été impliquées dans la procédure dès le début et n'en ont pas largement déterminé le déroulement par leurs observations. En outre, SCPA, en tant qu'actionnaire de Kali-Export, serait atteinte par la décision litigieuse au même titre que l'autre actionnaire du cartel, Coposa, tandis que EMC ne saurait tirer argument du fait qu'elle est actionnaire d'une société impliquée dans une décision de concentration pour être considérée comme individuellement concernée par celle-ci (arrêt du Tribunal du 28 octobre 1993, Zunis Holding e.a./Commission, T-83-92, Rec. p. II-1169). Enfin, le fait que EMC est actionnaire à 50 % de la société Potacan ne serait pas suffisant pour la considérer comme individuellement concernée par la décision, étant donné que l'engagement concernant Potacan n'aurait pas de caractère décisionnel.

40. Les entreprises intervenantes soutiennent qu'elles seules sont affectées par les conditions imposées par la Commission. Ces conditions pourraient tout au plus affecter indirectement les intérêts des sociétés requérantes, ce qui, selon la jurisprudence, ne constituerait pas une raison suffisante pour leur accorder un droit de recours contre lesdites conditions (arrêts du 18 mars 1975, Union syndicale-Service public européen ea/Conseil, 72-74, Rec. p. 401, et du 28 octobre 1982, Groupement des agences de voyages/Commission, 135-81, Rec. p. 3799).

41. A l'appui de la recevabilité de leur recours, les sociétés requérantes font valoir, d'abord, qu'elles sont non seulement nommément désignées dans la décision litigieuse, mais également au cours du raisonnement et de la motivation de la Commission.

42. Elles relèvent, ensuite, que, pour décider si un particulier est individuellement concerné par une décision, il convient, selon la jurisprudence, et notamment l'arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, de prendre en compte, d'une part, le préjudice causé à l'entreprise en question et, d'autre part, le rôle que cette entreprise aurait joué dans le cadre de la procédure devant la Commission.

43. S'agissant du préjudice, les sociétés requérantes soutiennent que SCPA en subit un du fait de la dissolution de Kali-Export, laquelle résulte directement du retrait obligé de K+S de Kali-Export. De même, l'obligation pour K+S de mettre fin aux relations de distribution avec SCPA impliquerait nécessairement un préjudice pour cette dernière. En outre, le fait que la Commission accepte l'engagement pris par K+S de modifier les structures de la société Potacan reviendrait à imposer un partage de production qui serait très préjudiciable à EMC et à Potacan, mais qui, en revanche, risquerait d'être assez avantageux pour K+S. Pour ce qui est de la seconde condition préconisée par l'arrêt Cofaz e.a./Commission, il serait établi que les entreprises requérantes ont toutes deux participé à la procédure qui a abouti à la décision litigieuse.

44. Enfin, SCPA et EMC s'estiment atteintes par cette décision en raison de certaines qualités qui leur sont particulières.

45. SCPA serait en grande partie dépendante de Kali-Export pour ses ventes à la grande exportation, ce qui la distinguerait nettement de Coposa: entre 50 et 60 % des exportations de SCPA seraient réalisées par l'intermédiaire de Kali-Export, les ventes à la grande exportation représentant en elles-mêmes quelque 15 % de toutes ses ventes. La situation de SCPA se distinguerait également de celle de Coposa en raison du fait que l'entreprise française serait concernée par la condition relative à la résiliation des liens de distribution existant entre elle et K+S ainsi que par l'engagement concernant la société Potacan. En tout état de cause, il ne résulterait nullement de l'arrêt Plaumann/Commission, précité, que deux ou plusieurs personnes ne peuvent pas être concernées individuellement par la même décision. Au contraire, la Cour aurait, à maintes reprises, décidé que les recours introduits par plusieurs personnes pouvaient être tous déclarés recevables (arrêts Cofaz e.a./Commission, précité du 13 mai 1971, International Fruit Company e.a./Commission, 41-70 à 44-70, Rec. p. 411, et du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809).

46. Selon les sociétés requérantes, EMC est individuellement concernée par la décision litigieuse, laquelle, d'une part, implique que K+S sera amenée à proposer des modifications à la structure de la société Potacan qui seront préjudiciables tant à cette dernière qu'à EMC et, d'autre part, entraîne la dissolution de Kali-Export, laissant ainsi le groupe EMC sans réseau de vente en ce qui concerne la grande exportation. Par ailleurs, EMC serait propriétaire de toutes les actions de SCPA.

47. Quant à la question de savoir si les sociétés requérantes sont directement concernées par la décision litigieuse, celles-ci font observer que tant le retrait de SCPA de Kali-Export que la résiliation des liens de distribution existant entre SCPA et K+S sont la conséquence directe de ladite décision.

48. A titre liminaire, il convient de rappeler que, selon l'article 173, paragraphe 4, du traité, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si cette décision la concerne directement et individuellement. La décision litigieuse étant adressée à K+S, à MdK et à la Treuhand, il y a lieu de vérifier si les sociétés requérantes sont directement et individuellement concernées par celle-ci.

49. S'agissant, en premier lieu, de la question de savoir si la décision litigieuse concerne directement ces dernières, force est de constater que les conditions au respect desquelles est subordonnée la déclaration de compatibilité de la concentration avec le Marché commun portent sur des engagements pris par les parties à la concentration envers la Commission, dont la mise en œuvre affecte, en droit comme en fait, la situation de SCPA. En effet, d'une part, la réalisation de la condition relative au retrait de K+S/MdK de Kali-Export met en cause, en l'espèce, la survie même de ce cartel d'exportation et donc, notamment, la position de SCPA qui n'a pas de réseau de vente pour écouler ses produits sur les marchés à la grande exportation. D'autre part, la réalisation de l'autre condition visée par l'article 1er du dispositif de la décision litigieuse comporte la résiliation des liens de distribution entre SCPA et K+S.

50. Quant à EMC, il ressort de la décision litigieuse que la Commission l'a considérée comme faisant partie d'une seule et même entité avec SCPA. En particulier, EMC a été considérée, au point 64 de la décision litigieuse, comme étant le destinataire matériel, avec SCPA, de la condition liée à Kali-Export, et ce en dépit de la seule participation formelle de SCPA au cartel en question. En l'occurrence, la confusion entre les deux sociétés trouve son fondement dans le fait que EMC détient toutes les parts de SCPA. Dès lors, la position de EMC ne saurait, au demeurant, être différenciée de celle de SCPA pour ce qui est du droit d'agir.

51. Enfin, s'il est vrai que les conditions dont est assortie la décision litigieuse de la Commission ne peuvent affecter les intérêts des sociétés requérantes que pour autant que les engagements auxquels elles se réfèrent sont mis en pratique par les parties à la concentration, il ne saurait toutefois faire de doute que, dès lors que celles-ci s'engagent vis-à-vis de la Commission à prendre certaines mesures en échange d'une déclaration de compatibilité de la concentration avec le Marché commun, la volonté des parties à la concentration de respecter leurs engagements est ferme et conséquente, d'autant plus que la Commission peut, selon l'article 8, paragraphe 5, sous b), du règlement, révoquer sa décision si les entreprises concernées contreviennent à une charge dont elle est assortie (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11-82, Rec. p. 207, points 7 à 9).

52. En conséquence, SCPA et EMC doivent être considérées comme directement concernées par la décision litigieuse en tant qu'elle énonce les conditions rappelées au point 49 du présent arrêt.

53. S'agissant, en second lieu, de la question de savoir si les sociétés requérantes sont également concernées de façon individuelle, il convient d'abord de rappeler que, comme la Cour l'a précisé dans l'arrêt Plaumann/Commission, précité, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle des destinataires.

54. Compte tenu qu'à cet égard la jurisprudence de la Cour attache de l'importance au rôle joué par les personnes physiques ou morales dans le cadre de la procédure précontentieuse (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 1985, Timex/Conseil et Commission, 264-82, Rec. p. 849, et Cofaz e.a./Commission, précité, point 24), il importe de relever, d'abord, que les sociétés requérantes ont été entendues en leurs observations lors de la procédure administrative devant la Commission, laquelle en a tenu compte aux fins de la décision litigieuse. En particulier, il ressort du dossier que, à la suite des préoccupations exprimées par ces sociétés, la Commission a renoncé à faire de l'engagement des parties à la concentration relatif à Potacan une condition formelle de compatibilité de la concentration avec le Marché commun.

55. Ensuite, il ressort du texte même de la décision litigieuse, et notamment des points 51 à 64, que la situation de EMC/SCPA, au regard de l'opération de concentration en cause, est nettement caractérisée par rapport à celle des autres fournisseurs de potasse considérés. En effet, les conditions dont est assortie la déclaration de compatibilité sont le résultat de l'appréciation que la Commission a faite de la situation concurrentielle découlant de l'opération de concentration, en tenant compte principalement de la situation de EMC/SCPA en tant qu'élément d'un duopole avec K+S/MdK.

56. Enfin, il apparaît que ces conditions, qui tendent à dénouer les liens entre K+S et EMC/SCPA, visent principalement les intérêts de cette dernière entité et sont de nature à affecter de façon substantielle sa position sur le marché.

57. Dans ces circonstances, le seul fait que les intérêts de Coposa sont également concernés par l'une des conditions en cause, à savoir celle relative au retrait de K+S/MdK de Kali-Export, ne saurait exclure, en lui-même, que les sociétés requérantes soient individuellement concernées par la décision litigieuse en ce qu'elle fixe lesdites conditions.

58. Il y a donc lieu de reconnaître que les sociétés requérantes sont individuellement concernées par la décision litigieuse dans la mesure où elle édicte les conditions visées ci-dessus.

59. Par suite, la deuxième branche de l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission doit être écartée.

Sur la possibilité de contester la décision litigieuse en ce qu'elle vise l'engagement concernant la société Potacan

60. La Commission et les entreprises intervenantes soutiennent que la partie de la décision relative à l'engagement concernant la société Potacan ne saurait être assimilée à une décision pouvant faire l'objet d'un recours au titre de l'article 173 du traité, car elle n'est pas susceptible de produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des sociétés requérantes. En effet, cet engagement n'aurait pas fait l'objet d'une condition formelle au sens de l'article 8, paragraphe 2, du règlement. La Commission relève qu'elle a seulement pris note de l'engagement de K+S.

61. Selon les sociétés requérantes, l'engagement proposé par K+S et accepté par la Commission, dans la mesure où il crée une obligation à charge de K+S, doit être assimilé à une condition au sens de l'article 8, paragraphe 2, du règlement. Pour ces sociétés, l'engagement en cause peut être regardé comme étant semblable à celui pris par les entreprises concernées dans l'affaire dite "pâte de bois II" (arrêt du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89-85, C-104-85, C-114-85, C-116-85, C-117-85 et C-125-85 à C-129-85, Rec. p. I-1307), dans laquelle la Cour aurait assimilé les obligations créées par cet engagement à charge desdites entreprises à des injonctions de cessation d'infractions prévues par l'article 3 du règlement n° 17.

62. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci, constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation au sens de l'article 173 du traité(arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639, point 9).

63. Or, pour déterminer si un acte ou une décision produit de tels effets, il y a lieu de s'attacher à sa substance.

64. Il ressort des points 65 et 67 de la décision litigieuse que la Commission, d'une part, a pris note, sans toutefois en faire une obligation formelle, de l'engagement de K+S d'adapter, avant le 30 juin 1994, la structure de Potacan afin que chaque partenaire soit en mesure de commercialiser la potasse produite par cette dernière de façon indépendante l'un de l'autre sur le marché communautaire et, d'autre part, part du principe que K+S déploiera tous ses efforts pour parvenir avec EMC/SCPA à un accord quant à une transformation de Potacan satisfaisant auxdites conditions.

65. Au point 66 de la décision litigieuse, il est précisé que toute transformation de Potacan ne peut être réalisée qu'avec l'accord du partenaire français.

66. Il apparaît donc que l'engagement de K+S a, en définitive, pour objet d'entamer des négociations avec EMC/SCPA en vue d'une transformation de Potacan.

67. Dès lors, à supposer même que la partie de la décision litigieuse relative à l'engagement de K+S concernant Potacan soit juridiquement contraignante pour K+S, elle ne saurait, en tout état de cause, produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de l'entité EMC/SCPA, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci. En effet, EMC/SCPA ne peut, en l'espèce, voir sa situation juridique affectée que si sa propre volonté y concourt. Cela équivaut, en l'occurrence, à constater en substance que la partie de la décision litigieuse relative à l'engagement concernant Potacan n'affecte pas directement EMC/SCPA.

68. Cela étant, il convient cependant de relever, ainsi que l'a fait M. l'avocat général au point 38 de ses conclusions, l'ambiguïté dont est empreinte la démarche de la Commission qui, ainsi qu'il ressort du point 67 de la décision litigieuse tel que rappelé au point 16 du présent arrêt, a créé un mélange malencontreux entre la procédure régie par le règlement et celle couverte par le règlement n° 17.

69. Compte tenu de ce qui précède, la troisième branche de l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission doit être accueillie.

Sur le défaut d'intérêt à agir

70. Les entreprises intervenantes font valoir que, puisque les deux engagements auxquels elles étaient tenues en vertu des conditions imposées par le dispositif de la décision litigieuse ont déjà été honorés, les sociétés requérantes n'auraient plus d'intérêt à faire annuler par la Cour des conditions qui seraient, dès lors, devenues obsolètes. En revanche, la Commission n'excipe pas du défaut d'intérêt à agir dans le chef des sociétés requérantes.

71. Selon ces dernières, il découle de l'arrêt du 5 mars 1980, Könecke/Commission (76-79, Rec. p. 665), que le fait qu'une décision a été exécutée ne constitue pas un obstacle à un recours en annulation, celui-ci conservant tout son intérêt en tant que base d'un recours éventuel en responsabilité.

72. A cet égard, il convient de rappeler que, selon l'article 37, quatrième alinéa, du statut CE de la Cour de justice, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties. En outre, selon l'article 93, paragraphe 4, du règlement de procédure, l'intervenant accepte le litige dans l'état où il se trouve lors de son intervention. Il s'ensuit que les parties intervenantes n'ont pas qualité pour soulever une exception d'irrecevabilité et que la Cour n'est donc pas tenue d'examiner les moyens invoqués par celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, points 11 et 12).

73. Cependant, ainsi que l'a rappelé la Cour dans l'ordonnance du 24 septembre 1987, Vlachou/Cour des comptes (134-87, Rec. p. 3633, point 6), aux termes de l'article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Cour peut à tout moment, d'office, examiner les fins de non-recevoir d'ordre public.

74. Or, indépendamment du point de savoir si l'exception soulevée par les entreprises intervenantes doit être considérée comme une fin de non-recevoir d'ordre public, force est de constater que, selon l'arrêt Könecke/Commission, précité, point 9, même au cas où, en raison des circonstances, la mise en œuvre de l'obligation incombant à l'institution dont émane l'acte annulé de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour devrait s'avérer impossible, le recours en annulation conserverait à tout le moins un intérêt en tant que base d'un recours éventuel en responsabilité.

75. Compte tenu de ce qui précède, il n'apparaît pas, en toute hypothèse, qu'un défaut d'intérêt à agir puisse être établi dans le chef des sociétés requérantes.

SUR LE FOND

Moyens présentés par les requérantes

76. La République française et les sociétés requérantes demandent respectivement l'annulation totale et l'annulation partielle de la décision litigieuse. Les différents griefs qu'elles formulent se recoupent en partie et peuvent s'ordonner autour de quatre moyens principaux dont les deux premiers ont été uniquement développés par le gouvernement français. Les deux derniers moyens étant communs, ils seront traités ensemble. Premièrement, la Commission n'aurait pas respecté l'obligation qui lui incombe de collaborer avec les autorités nationales. Deuxièmement, elle aurait évalué de manière erronée les effets de la concentration sur le marché allemand. Troisièmement, elle aurait fait une appréciation erronée de l'opération de concentration sur le marché communautaire, à l'exception de l'Allemagne. Quatrièmement, le règlement ne permettrait pas de subordonner la déclaration de compatibilité à des conditions et charges qui se répercutent sur des tiers étrangers à l'opération de concentration.

A - Sur le non-respect de l'obligation de collaboration avec les autorités nationales

77. Par ce moyen, le gouvernement français fait grief à la Commission de n'avoir pas respecté les obligations, prévues par l'article 19 du règlement, qui imposent, d'une part, de rester en liaison étroite et constante avec les autorités compétentes des Etats membres, notamment en leur transmettant, dans les meilleurs délais, les pièces les plus importantes qui lui sont adressées ou qui sont émises par elle et, d'autre part, de mettre le comité consultatif en mesure d'émettre son avis en toute connaissance de cause.

78. Quant à la première obligation, le gouvernement français indique que la Commission n'a pas fourni en temps utile, aux autorités compétentes nationales, des données indispensables à l'appréciation de la pertinence de la définition des marchés en cause et de l'impact concurrentiel de l'opération de concentration. En l'espèce, il s'agit de données chiffrées sur lesquelles la Commission se serait fondée dans sa communication des objections et qui concernent la répartition des ventes de chaque opérateur par Etat membre, exprimée en volumes. A la suite de la demande réitérée des autorités françaises (Service de la concurrence et de l'orientation des activités du Ministère de l'Economie), la Commission se serait contentée de communiquer par téléphone certaines des données réclamées. Le gouvernement français expose que, bien que l'autorité française ait ensuite adressé à la Commission un nouveau courrier afin que lui soit communiquée la totalité des renseignements nécessaires et que soient confirmés par écrit ceux qui avaient été fournis oralement, ce n'est que le 3 décembre 1993, date à laquelle s'est réuni le comité consultatif, que la Commission a communiqué formellement les renseignements demandés depuis le 18 octobre de la même année. De surcroît, le document contenant ces renseignements indiquait erronément que SCPA écoulait sur le territoire belgo-luxembourgeois 221 000 tonnes de produits au lieu de 22 000.

79. Quant à la seconde obligation, le gouvernement français fait valoir que la remise des données chiffrées à l'occasion de la réunion du comité consultatif a été beaucoup trop tardive. Selon lui, ces informations auraient dû être transmises au plus tard avec l'avant-projet de décision joint à la convocation du comité consultatif, laquelle doit intervenir au moins quatorze jours avant la réunion. En agissant ainsi, la Commission aurait empêché le comité consultatif d'émettre un avis éclairé sur l'avant-projet de décision.

80. En conclusion, le gouvernement français soutient que la Commission a violé les formes substantielles requises pour prendre la décision litigieuse et que cette violation a vraisemblablement pu conduire à un résultat différent de celui qui aurait été retenu si ces formes avaient été respectées (arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C-142-87, Rec. p. I-959).

81. La Commission conteste que les données concernant les volumes de potasse commercialisés dans chaque État membre par les différentes entreprises opérant dans la Communauté relèvent de la catégorie des pièces les plus importantes de la procédure pendante devant elle, au sens de l'article 19, paragraphe 1, du règlement. En tout état de cause, ces données auraient été communiquées aux autorités françaises par téléphone le 5 novembre 1993, sous réserve de vérification compte tenu de ce que l'examen de la Commission était en cours.

82. La Commission observe que la communication des griefs, qui a été transmise au gouvernement français le 14 octobre 1993, ainsi que l'avant-projet de décision, communiqué le 16 novembre 1993, reprennent tous les éléments importants, y compris les parts de marché des opérateurs présents dans la Communauté, de sorte que les autorités compétentes des Etats membres étaient suffisamment informées pour pouvoir rendre un avis fondé. En fait, l'information concernant les volumes de potasse commercialisés aurait uniquement servi à étayer l'information relative aux parts de marché.

83. S'agissant de la faute de frappe relative au volume de potasse vendu par SCPA sur le territoire belgo-luxembourgeois, elle n'a, selon la Commission, nullement pu influencer l'avis du comité consultatif, étant donné son caractère manifeste. A cet égard, la Commission fait observer que cette donnée erronée ne s'est répercutée ni sur les parts de marché inscrites dans la deuxième colonne de la partie du tableau relative au marché belgo-luxembourgeois ni sur le montant total des ventes imputé à ce marché. Dans ces conditions, il ne serait pas vraisemblable que les membres du comité consultatif, qui sont des experts en matière de concentrations, aient pu être induits en erreur par ladite faute de frappe.

84. Il convient de rappeler que l'article 19, paragraphe 1, du règlement impose à la Commission de transmettre "dans un délai de trois jours ouvrables aux autorités compétentes des Etats membres copie des notifications ainsi que, dans les meilleurs délais, les pièces les plus importantes qui lui sont adressées ou qui sont émises par elle en application du présent règlement". Le paragraphe 2 de cette disposition précise que "La Commission mène les procédures visées au présent règlement en liaison étroite et constante avec les autorités compétentes des Etats membres qui sont habilitées à formuler toutes observations sur ces procédures". Enfin, l'article 19 prévoit la participation de représentants des autorités nationales à un comité consultatif ad hoc qui est chargé d'émettre un avis sur la base d'un exposé de l'affaire avec indication des pièces les plus importantes et d'un avant-projet de décision.

85. Il n'est pas contesté en l'espèce que la Commission a transmis en temps utile aux autorités françaises et au comité consultatif à la fois les objections adressées aux parties ayant notifié le projet de concentration et l'avant-projet de décision relatif à l'opération visée.

86. Or, ce dernier contient notamment les informations suivantes:

Quant au marché allemand

- les fabricants de potasse allemands ont un quasi-monopole sur le marché allemand qui, pour diverses raisons, constitue un marché très peu perméable aux importations.

Quant au marché communautaire hormis l'Allemagne

- Coposa détient environ 85 % du marché espagnol Cependant, à la différence de l'Allemagne, l'Espagne importe des quantités significatives et croissantes de potasse en provenance du producteur britannique Cleveland Potash Ltd (ci-après "CPL") et, dans une moindre mesure, de producteurs de pays tiers tels que DSW (producteur israélien);

- SCPA ne contrôle pas la distribution en France dans la même mesure que K+S en Allemagne. En effet, CPL a réussi à y établir son propre réseau de distribution Par ailleurs, contrairement à la situation qui prévaut en Allemagne, la gamme des engrais potassiques que les mines françaises sont capables de produire peut également être obtenue à partir de sources extérieures à la France;

- K+S/MdK et SCPA ont des parts de marché cumulées d'environ 50 % (entre 15 % et 20 % pour K+S, moins de 10 % pour MdK et environ 25 % pour SCPA). Toutefois, compte tenu du fait que SCPA commercialise aussi de grandes quantités de potasse d'autres producteurs, et notamment des produits importés de pays tiers, l'ensemble des ventes contrôlées par K+S/MdK et SCPA représente des parts de marché cumulées d'environ 60 %;

- les importations de la Communauté des États indépendants (ci-après la "CEI") s'élèvent à 8 % (environ 5 % si l'on exclut les importations de la CEI qui transitent par SCPA);

- CPL détient 15 % du marché;

- Coposa détient moins de 10 % du marché;

- DSW a une part de marché d'un peu plus de 5 %;

- PCA (producteur canadien) a une part de marché de moins de 5 %;

- Canpotex (producteur canadien) a une part de marché de moins de 1 %;

- APC (producteur jordanien) a une part de marché de moins de 1 %;

- tous les Etats membres, excepté l'Allemagne, qu'ils aient ou non une propre production de potasse, importent des quantités considérables de produits à partir d'autres Etats membres et, parfois, de pays tiers.

87. Dans ces conditions, le document détaillant la répartition des ventes de chaque opérateur par Etat membre ne saurait être considéré comme l'une des pièces les plus importantes que la Commission était tenue, en vertu de l'article 19 du règlement, d'une part, de transmettre dans les meilleurs délais aux autorités compétentes des Etats membres et, d'autre part, d'indiquer dans l'exposé de l'affaire, dont est assortie la convocation du comité consultatif. En effet, les données contenues dans ce document ne sont pas de nature à remettre en cause l'état du marché tel que résultant des informations contenues dans l'avant-projet de décision et mentionnées au point 86 du présent arrêt. Cette constatation vaut également pour la donnée figurant dans ledit document et concernant le volume de potasse écoulé par SCPA sur les territoires belge et luxembourgeois, dont le caractère erroné est rendu manifeste, ainsi que l'a relevé à juste titre la Commission, par les autres données chiffrées pertinentes du document.

88. Dès lors, il n'apparaît pas que, en l'espèce, les obligations imposées à la Commission par l'article 19 du règlement aient été violées.

89. Ce premier moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

B - Sur l'appréciation erronée des effets de la concentration sur le marché allemand

90. Le gouvernement français reproche à la Commission d'avoir fait une application inexacte du règlement en autorisant, en application de la théorie de la société défaillante ("failing company defence") et sans imposer aucune condition, une opération de concentration conduisant à la création d'un monopole sur le marché allemand de la potasse.

91. Quant à l'utilisation erronée de cette théorie, le gouvernement français rappelle qu'il s'agit d'une théorie issue de la réglementation antitrust américaine, en vertu de laquelle une concentration ne peut pas être considérée comme cause de la création ou du renforcement d'une position dominante lorsque sont remplies les conditions suivantes:

a) une des entreprises parties à la concentration se trouve dans une situation telle qu'elle ne devrait pas être à même d'honorer ses engagements dans un futur proche;

b) elle serait incapable de se réorganiser avec des chances de succès, au sens du chapitre 11 du Bankruptcy Act;

c) il n'existe pas d'autres solutions moins dommageables pour les conditions de concurrence que celle de la concentration;

d) l'entreprise défaillante disparaîtrait du marché si la concentration n'était pas réalisée.

92. Or, la Commission se serait référée à la théorie de la "failing company defence" sans prendre en compte la totalité des critères retenus dans la réglementation antitrust américaine, et en particulier ceux mentionnés aux points a) et b), alors que seule l'application intégrale des critères américains garantirait la mise en œuvre d'un mécanisme d'exception dont l'application ne conduirait pas à aggraver une situation concurrentielle déjà dégradée.

93. Le gouvernement français soutient que la Commission, qui a estimé qu'en toute hypothèse K+S reprendrait la part de marché de MdK en Allemagne, a introduit arbitrairement le critère de l'absorption des parts de marché.

94. Il fait valoir que l'absorption par K+S de la part de marché de MdK en cas de disparition de cette dernière prouve que le marché allemand est imperméable à la concurrence, mais ne permet pas d'écarter le caractère préjudiciable de l'opération en termes de concurrence.

95. Par ailleurs, la Commission n'aurait pas démontré que les critères qu'elle a retenus, relatifs à la disparition de l'entreprise et à l'absence d'alternative d'achat moins dommageable pour la concurrence, seraient effectivement remplis en l'espèce.

96. S'agissant de la prétendue disparition de MdK en l'absence de l'opération de concentration, le gouvernement français indique que la Commission a totalement négligé l'éventualité que MdK puisse, à la suite d'un processus de restructuration autonome mené avec l'aide financière de la Treuhand dans le respect des articles 92 et 93 du traité CE, retrouver sa viabilité.

97. Enfin, il estime que la Commission n'a pas démontré qu'il n'y avait pas d'autre possibilité de reprise moins dommageable pour la concurrence. A cet égard, le gouvernement français relève que les syndicats de MdK avaient fait état d'un manque de transparence dans la procédure d'appel d'offres.

98 Quant à l'absence de conditions pour autoriser l'opération de concentration sur le marché allemand, ce gouvernement soutient que, en tout état de cause, la décision litigieuse, dans la mesure où elle autorise sans aucune condition l'opération sur le marché allemand sur lequel l'entreprise commune détiendra 98 % des parts de marché, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et est contraire à l'article 2, paragraphe 3, du règlement. En effet, il serait évident que l'opération en cause renforcerait la position dominante de K+S en Allemagne, avec comme conséquence que la concurrence serait entravée de manière significative dans une partie substantielle du Marché commun.

99. A cet égard, ce gouvernement fait remarquer que l'objectif de la cohésion économique et sociale visé aux articles 2 et 3, sous j), du traité CE, également rappelé au treizième considérant du règlement, auquel la Commission a renvoyé dans sa décision, bien qu'il doive être pris en compte dans l'appréciation des opérations de concentration, ne saurait en toute hypothèse justifier une autorisation faisant échec à l'objectif essentiel du contrôle communautaire des concentrations, qui consiste dans la protection de la concurrence. En définitive, la Commission n'aurait pu autoriser l'opération en faisant appel à l'objectif de la cohésion économique et sociale que si les entreprises notifiantes avaient pris, à l'instar de la société Nestlé dans la décision 92-553-CEE de la Commission, du 22 juillet 1992, relative à une procédure au titre du règlement n° 4064-89 (Affaire n° IV-M190 - Nestlé/Perrier) (JO L 356, p. 1, ci-après la "décision Nestlé/Perrier"), des engagements précis et suffisants visant à ouvrir le marché pertinent à la concurrence.

100. La Commission admet que, dans la décision litigieuse, elle n'a pas fait sienne, dans son intégralité, la théorie américaine de la "failing company defence". Néanmoins, elle ne voit pas en quoi cela serait de nature à porter atteinte à la légalité de cette décision.

101. Elle estime, en outre, avoir suffisamment démontré que les critères qu'elle a retenus pour l'application de la théorie de la "failing company defence" sont effectivement remplis dans le cas d'espèce.

102 Pour ce qui est du risque de disparition rapide de MdK à défaut de reprise par un autre opérateur, la Commission rappelle que, aux points 76 et 77 de la décision litigieuse, elle a constaté qu'il ne saurait être attendu de la Treuhand qu'elle éponge, à l'aide de fonds publics, les pertes durables d'une entreprise qui n'est plus économiquement viable, et que, même si cela n'arrive pas dans l'immédiat pour des raisons de politique sociale, régionale ou générale, la fermeture de MdK dans un avenir proche est très probable.

103. Ensuite, il ne serait pas contesté que la part de marché de MdK en Allemagne serait, selon toute probabilité, reprise par K+S.

104.. Quant à la condition qu'il n'y ait pas d'alternative d'acquisition de MdK moins dommageable pour la concurrence, la Commission se réfère aux points 81 à 90 de la décision litigieuse. Elle estime, en outre, que le gouvernement français n'a pas démontré en quoi les critiques des syndicats de MdK pourraient mettre en cause son appréciation. Au demeurant, la Commission ne se serait pas contentée de constater que l'appel d'offres n'avait pas permis de trouver un autre acquéreur, mais aurait elle-même fait une enquête complémentaire.

105. S'agissant de l'absence de conditions pour autoriser l'opération de concentration sur le marché allemand, la Commission relève que le gouvernement français ne précise pas les engagements que K+S et MdK auraient pu prendre en vue d'ouvrir le marché allemand à la concurrence. L'argument que le gouvernement français croit pouvoir tirer de la décision Nestlé/Perrier, précitée, manquerait de pertinence Selon la Commission, dans cette décision, l'opération de concentration avait pu être autorisée compte tenu de certains engagements portant sur la structure de la concurrence dans le marché du produit pertinent. Or, en l'espèce, pour ouvrir le marché allemand à la concurrence, il faudrait s'attaquer non pas à la structure de la concurrence, mais au comportement des acheteurs. Selon la Commission, quand bien même le moyen pour ouvrir le marché allemand aurait pu être d'ordre structurel, il y a lieu de constater qu'aucune solution d'acquisition de MdK moins dommageable pour la concurrence ne s'est présentée.

106. Le gouvernement allemand soutient que, conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement, il n'est justifié d'interdire une concentration que si elle entraîne une détérioration des conditions de concurrence. Or, le lien de causalité entre la concentration et ses effets sur la concurrence ferait défaut dès lors que, même sans la concentration, il faudrait s'attendre à une détérioration identique des conditions de concurrence. Cela se produirait lorsque les trois conditions retenues par la Commission sont remplies.

107. Le gouvernement allemand estime, contrairement au gouvernement français, que la Commission a suffisamment démontré que les conditions qu'elle a définies étaient remplies. En premier lieu, MdK ne serait pas viable seule, c'est-à-dire qu'il ne serait pas possible d'assainir l'entreprise en maintenant son autonomie sur le marché. La Commission aurait, au point 76 de la décision litigieuse, motivé de façon substantielle que, avec le maintien de la participation à 100 % de la Treuhand, MdK n'aurait pas été susceptible d'être assainie à long terme. En deuxième lieu, il ne ferait pas de doute que la part de marché de MdK serait absorbée automatiquement par K+S, puisque celle-ci demeurerait seule sur le marché considéré après la disparition de MdK, et qu'il s'agirait, dans ce contexte, d'une condition essentielle. En troisième lieu, le gouvernement allemand soutient que la Commission a motivé de façon exhaustive le fait qu'il n'existait pas d'autre possibilité d'acquisition de MdK.

108. Quant à l'approbation de la concentration sur le marché allemand sans conditions ni charges, le gouvernement allemand relève que, à défaut de lien de causalité entre la concentration et le renforcement d'une position dominante, une des conditions pour adopter une décision d'interdiction, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement, n'était pas remplie. Dès lors, la concentration devait être autorisée sans charges ni conditions.

109. Il convient au préalable de rappeler que, aux termes de l'article 2, paragraphe 2, du règlement, "Les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le Marché commun".

110. Ainsi, dès lors qu'une opération de concentration n'est pas la cause de la création ou du renforcement d'une position dominante affectant de manière significative la situation concurrentielle sur le marché pertinent, il y a lieu de la déclarer compatible avec le Marché commun.

111. Il ressort du point 71 de la décision litigieuse que, selon la Commission, une concentration qui, normalement, devrait être considérée comme conduisant à la création ou au renforcement d'une position dominante de la société acquéresse peut être considérée comme n'étant pas à l'origine d'une telle position si, dans le cas où la concentration serait interdite, cette société obtenait ou renforçait inévitablement une position dominante. Au même point, il est constaté que, en général, une concentration n'est pas la cause de la détérioration de la structure concurrentielle s'il est certain que:

- l'entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si elle n'était pas reprise par une autre entreprise,

- l'entreprise acquéresse reprendrait la part du marché de l'entreprise acquise si celle-ci venait à disparaître du marché,

- il n'y a pas d'autre alternative d'achat moins dommageable pour la concurrence.

112. En premier lieu, il convient de relever que le fait que les conditions posées par la Commission pour conclure à l'inexistence d'un lien de causalité entre la concentration et la détérioration de la structure concurrentielle ne recoupent pas intégralement les conditions retenues dans le cadre de la théorie américaine de la "failing company defence" n'est pas en soi un motif d'invalidité de la décision litigieuse. En effet, seule la circonstance que les conditions fixées par la Commission ne seraient pas de nature à exclure qu'une concentration soit la cause de la détérioration de la structure concurrentielle du marché pourrait constituer un motif d'invalidité de la décision litigieuse.

113. En l'occurrence, le gouvernement français conteste la pertinence du critère selon lequel il importe de vérifier si l'entreprise qui procède à l'acquisition obtiendrait en tout état de cause la part de marché de l'entreprise acquise si celle-ci venait à disparaître du marché.

114. Or, il y a lieu de constater que, à défaut de ce critère, une concentration pourrait, à condition que soient remplis les autres critères, être considérée comme n'étant pas la cause de la détérioration de la structure concurrentielle du marché même s'il apparaissait que, en l'absence de cette concentration, l'entreprise qui procède à l'acquisition n'obtiendrait pas la totalité de la part de marché de l'entreprise acquise. Ainsi, l'existence d'un lien de causalité entre la concentration et la détérioration de la structure concurrentielle du marché pourrait être écartée alors même que, sans la concentration, la détérioration de la structure concurrentielle du marché serait moindre.

115. En fait, l'introduction de ce critère vise à assurer que l'existence d'un lien de causalité entre la concentration et la détérioration de la structure concurrentielle du marché ne peut être exclue qu'au cas où la détérioration de la structure concurrentielle, faisant suite à l'opération de concentration, se produirait pareillement même en l'absence de cette opération.

116. Dès lors, le critère de l'absorption des parts de marché, bien qu'il ne soit pas considéré par la Commission elle-même comme suffisant à lui seul pour exclure le caractère préjudiciable de l'opération de concentration pour le jeu de la concurrence, concourt à assurer la neutralité de cette opération par rapport à la dégradation de la structure concurrentielle du marché, ce qui est conforme à la notion de causalité figurant à l'article 2, paragraphe 2, du règlement.

117. Quant au grief tiré de ce que la Commission n'aurait pas démontré que, en l'absence de l'opération de concentration, MdK aurait inéluctablement disparu du marché, il convient de rappeler que la Commission a constaté, au point 73 de la décision litigieuse, que, bien que la restructuration de MdK ait été achevée le 1er janvier 1993, cette entreprise avait continué à enregistrer des pertes considérables au cours du premier trimestre. Selon la Commission, la grave situation économique de MdK résultait essentiellement de sa structure d'exploitation obsolète et de la crise des débouchés qui s'expliquait principalement par l'effondrement des marchés dans l'Europe de l'Est. Par ailleurs, MdK manquait également d'un système de distribution efficace (voir points 74 et 75 de la décision litigieuse).

118. Au point 76 de la décision litigieuse, la Commission a relevé que MdK n'avait pu continuer de fonctionner jusqu'à ce jour que grâce à l'intervention de la Treuhand qui avait constamment couvert ses pertes. La Commission a cependant ajouté que les pertes de MdK ne pouvaient être durablement couvertes par la Treuhand au moyen d'aides publiques, dans la mesure où il s'agirait d'une solution en toute hypothèse incompatible avec les dispositions du traité sur les aides d'État.

119. Compte tenu de ce qui précède, il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir constaté que MdK n'était plus économiquement viable et d'avoir considéré qu'il était probable que, livrée à elle-même, celle-ci continuerait à cumuler des pertes même si elle avait obtenu de la Treuhand les fonds prévus dans le projet de concentration à des fins d'assainissement.

120. Dans ces conditions, la prévision de la Commission selon laquelle la fermeture de MdK dans un avenir proche était, à défaut de reprise par une entreprise privée, très probable ne saurait être considérée comme ne s'appuyant pas sur des éléments de preuve consistants.

121. Enfin, s'agissant de la condition relative au défaut d'alternative d'acquisition de MdK moins dommageable pour la concurrence, il convient de rappeler que le grief du gouvernement français est tiré de ce que la Commission n'aurait pas, en raison du manque de transparence dans la procédure d'appel d'offres, démontré que cette condition était effectivement remplie.

122. A cet égard, il suffit de constater que le gouvernement français s'est contenté de rappeler que les syndicats de MdK avaient fait état du manque de transparence dans la procédure d'appel d'offres, sans aucunement fournir d'éléments de nature à préciser en quoi consistait ce prétendu manque de transparence.

123. Or, en l'absence de toute précision de ce grief, celui-ci ne saurait être accueilli.

124. Il ressort de ce qui précède que l'absence de lien de causalité entre l'opération de concentration et la détérioration de la structure concurrentielle sur le marché allemand n'a pas pu être valablement remise en cause. Dès lors, il y a lieu de constater que, pour ce qui est de ce marché, ladite opération apparaît comme satisfaisant au critère mentionné à l'article 2, paragraphe 2, du règlement, en sorte qu'elle pouvait être déclarée compatible avec le Marché commun, sans qu'il y soit apportée de modification En conséquence, contrairement à ce que prétend le gouvernement français, il ne saurait être exigé, sans contredire cette prémisse, que, s'agissant du marché allemand, la Commission assortisse de quelque condition que ce soit sa déclaration de compatibilité de l'opération de concentration.

125. En conséquence, ce deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

C - Sur l'appréciation erronée de l'opération de concentration sur le marché communautaire, à l'exception de l'Allemagne

126. Par ce moyen, le gouvernement français ainsi que SCPA et EMC font grief à la Commission, premièrement, d'avoir délimité de manière erronée le marché géographique hors l'Allemagne, deuxièmement, d'avoir interprété le règlement en ce sens qu'il s'applique aux positions dominantes collectives et, troisièmement, d'avoir fait une mauvaise application de la notion de position dominante collective.

1. Sur la délimitation du marché géographique en cause

127. Selon les requérantes, la détermination de la Communauté hormis l'Allemagne comme étant un marché géographique en cause distinct pour la potasse n'est pas suffisamment motivée et repose sur une analyse erronée et, en tout cas, partielle des éléments à prendre en considération La Commission aurait, au demeurant, fait un amalgame entre des situations de concurrence totalement hétérogènes.

128. Ainsi, la Commission aurait placé sur un même plan des Etats sans aucune production nationale, des Etats producteurs dans lesquels la production est structurellement supérieure ou équivalente à la consommation, tels l'Espagne et le Royaume-Uni, et des Etats producteurs dans lesquels la production est structurellement inférieure à la consommation, telle la France.

129. Le gouvernement français fait observer que la quasi-totalité des échanges intra-communautaires résulte de flux à sens unique, et non d'échanges réciproques, qui caractérisent un véritable marché homogène. A cet égard, il rappelle que les Etats membres non producteurs importent exclusivement, que l'Espagne n'importe que du Royaume-Uni et n'y exporte rien, que la France importe d'Allemagne, d'Espagne et du Royaume-Uni, mais n'y exporte pratiquement rien et, enfin, que le Royaume-Uni importe beaucoup d'Allemagne, mais n'y exporte que des quantités négligeables.

130. En outre, les stratégies d'achat des Etats membres seraient différentes. La France aurait des approvisionnements relativement équilibrés entre les trois autres Etats producteurs et importerait également de pays tiers. En revanche, les importations vers le Royaume-Uni proviendraient essentiellement d'Allemagne. Parmi les Etats qui n'ont aucune production, l'Irlande et le Portugal importeraient exclusivement de la potasse d'origine communautaire, tandis que le Danemark, la Belgique et le Luxembourg importeraient environ un quart de leur consommation de pays tiers, alors que l'Italie et les Pays-Bas plus de la moitié.

131. Une autre preuve de l'absence d'homogénéité du marché considéré ressort, selon le gouvernement français, de l'examen des parts de marché des fournisseurs, qui varient considérablement d'un Etat à l'autre En fait, seule K+S serait présente dans tous les Etats membres, à l'exception toutefois de l'Espagne.

132. Par ailleurs, le degré de concentration de l'offre serait important en Espagne, en France, et sur le territoire belgo-luxembourgeois. Or, ce facteur plaiderait en principe pour une solution consistant à isoler les marchés sur lesquels une telle concentration existerait.

133. Selon le gouvernement français, même l'analyse des caractéristiques de la demande confirme l'inexistence en l'espèce d'un marché géographique constitué par l'ensemble des Etats membres, à l'exclusion de l'Allemagne. En effet, l'appréciation de la Commission sur l'interchangeabilité des produits serait erronée étant donné que le choix des produits à base de potasse dépendrait de la nature géologique du sol, de la superficie agricole, des habitudes des consommateurs et des politiques agricoles, ainsi que de la présence d'industries de potasse sur le territoire. Ainsi, il se vendrait près de deux fois plus de potasse au Royaume-Uni qu'en Italie et trois fois plus sur le territoire belgo-luxembourgeois qu'aux Pays-Bas, Etats de dimensions comparables Au Portugal, il se vendrait douze fois moins de potasse qu'au Danemark.

134. Les requérantes contestent la fiabilité de l'examen des coûts de transport et des prix de la potasse à l'intérieur du marché de référence effectué par la Commission. Pour ce qui est des premiers, la Commission se serait essentiellement contentée d'affirmer que les coûts de transport n'apparaissent pas constituer un obstacle aux flux commerciaux. En particulier, la circonstance qu'il n'existe aucun flux commercial du Royaume-Uni vers l'Italie ni d'Espagne vers les Pays-Bas ou le Danemark permettrait de douter de l'absence d'influence des coûts de transport sur les approvisionnements. S'agissant des prix, la Commission aurait omis de se livrer à un examen comparatif des prix pratiqués par les différents opérateurs dans chaque Etat membre. Le gouvernement français soutient que la Commission n'a fondé ses appréciations quant aux coûts de transport et aux prix que sur quelques données fournies par K+S ainsi que sur des statistiques vieilles de cinq ans.

135. Ce gouvernement estime que la Commission aurait dû isoler les marchés espagnol et français, qui, du fait de leurs caractéristiques particulières, présentent des conditions de concurrence qui ne sont pas comparables à celles rencontrées dans les autres États membres. En particulier, le marché espagnol présenterait des caractéristiques analogues à celles du marché allemand, alors que le marché français se distinguerait nettement de tous les autres marchés nationaux par une production inférieure à la consommation et par la présence d'un grand opérateur largement dominant.

136. La Commission rétorque que le fait d'inclure, dans un même marché, des États membres n'ayant aucune production nationale ou une production nationale soit supérieure, soit inférieure à la consommation, n'implique pas une délimitation erronée du marché géographique en cause. Par ailleurs, l'existence de flux commerciaux à sens unique dans le marché géographique tel que délimité n'exclurait pas, selon la doctrine économique, que celui-ci soit homogène quant aux conditions de concurrence.

137. Selon la Commission, la présence plus ou moins significative de producteurs d'une certaine zone géographique sur le marché d'une autre zone géographique s'expliquerait par des stratégies de vente des fournisseurs qui, pour des raisons diverses, préfèrent concentrer leurs efforts sur telle ou telle zone géographique. Les prétendues stratégies d'achat des États membres ne seraient pas, en tant que telles, révélatrices d'une absence de conditions de concurrence suffisamment homogènes.

138. Quant à l'argument tiré des différences considérables existant d'un Etat à l'autre entre les parts de marché des fournisseurs, la Commission objecte que ces différences ne peuvent pas, en tant que telles, être considérées comme une preuve que les fournisseurs ne peuvent pas pénétrer les marchés et, donc, qu'il y a des marchés géographiques distincts. Ainsi, ce critère ne constituerait aucunement un facteur décisif pour la détermination du marché géographique pertinent.

139. Le degré relativement élevé de concentration de l'offre que connaissent certains Etats membres ne serait pas davantage un critère déterminant pour définir un marché distinct, notamment lorsqu'il existe des flux commerciaux importants entre ces Etats membres.

140. S'agissant des caractéristiques de la demande des produits potassiques, la Commission rappelle qu'elle a déjà constaté, d'une part, un degré élevé d'interchangeabilité, compte tenu que, dans aucun État, à l'exception de l'Allemagne, les utilisateurs n'ont une nette préférence pour les produits locaux et, d'autre part, la capacité de tous les producteurs communautaires du secteur concerné de produire les différentes sortes de potasse. En outre, elle relève que, en dépit des écarts assez importants entre les quantités de potasse consommées dans les différents États membres, la potasse se vend en quantité non négligeable dans toute la Communauté hors l'Allemagne. En définitive, il n'existerait en l'espèce aucun élément de nature à établir que la structure de la demande est révélatrice de marchés nationaux distincts.

141. La Commission conteste que son analyse des coûts de transport soit superficielle ou erronée, en objectant que l'absence de flux d'échanges entre pays producteurs et pays importateurs n'est pas nécessairement causée par les coûts de transport. D'autre part, la présence d'échanges entre certains États non limitrophes démontrerait que les coûts de transport ne sont aucunement prohibitifs. S'agissant des prix de la potasse dans les États membres, à l'exclusion de l'Allemagne, la Commission fait remarquer qu'ils présentent des différences négligeables. En effet, la différence maximale de prix entre les États membres autres que l'Allemagne serait de 10 % alors que, pour l'Allemagne, elle ne serait jamais inférieure à 15 %.

142. Enfin, la Commission soutient que ni le marché espagnol ni le marché français ne peuvent être considérés comme des marchés pertinents distincts. Quant au marché espagnol, elle relève que, avec ses 16 % d'importations, il est plus ouvert que le marché allemand, où les importations ne représentent que 2 % du marché. D'ailleurs, la part des importations dans le marché espagnol irait en s'accroissant au détriment de la part de marché détenue par Coposa. En outre, les produits de potasse espagnols seraient largement substituables à ceux des autres États membres hormis l'Allemagne. Enfin, il n'y aurait pas de différences sensibles entre les prix de la potasse en Espagne et dans le reste de la Communauté hors l'Allemagne. Quant au marché français, la Commission relève qu'il est même plus largement approvisionné par les importations que le marché espagnol. Par ailleurs, les considérations qu'elle a faites à propos des prix et de l'interchangeabilité des produits potassiques espagnols vaudrait, mutatis mutandis, pour les produits français. La Commission souligne également que les méthodes de distribution utilisées dans ces deux États sont identiques à celles employées dans le reste de la Communauté hormis l'Allemagne.

143. A titre liminaire, il convient de relever que la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable à toute appréciation portée sur l'impact concurrentiel d'une opération de concentration. S'agissant de l'application du règlement telle qu'envisagée dans le cas d'espèce, le marché géographique en cause est une zone géographique définie dans laquelle le produit en cause est commercialisé et où les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes pour tous les opérateurs économiques, de manière à pouvoir apprécier raisonnablement les effets sur la concurrence de la concentration d'entreprises notifiée (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207, points 11 et 44).

144. Il est constant que tous les États membres, à l'exception de l'Allemagne, importent des quantités appréciables de potasse en provenance d'autres États membres et, parfois, de pays tiers. Ainsi, l'Espagne, dont le producteur national, Coposa, est, de tous les producteurs communautaires, le plus solidement implanté sur son marché domestique, importe de la potasse dans une mesure excédant 15 % du marché espagnol. La France, quant à elle, importe le produit pour plus de 20 % de son marché alors que le Royaume-Uni l'importe pour plus de 50 % du sien. Les autres États de la Communauté hormis l'Allemagne n'ont pas de production propre et sont dès lors nécessairement tributaires des importations.

145. Ainsi qu'il ressort des points 53 et 56 de la décision litigieuse, les producteurs des pays tiers détiennent, dans la Communauté hormis l'Allemagne, une part de marché libre de la potasse d'environ 15 %. Cette donnée est du reste confirmée par les chiffres contenus dans le document détaillant la répartition des ventes de chaque opérateur par État membre, produit lors de la procédure administrative et dont il est fait mention aux points 78 et suivants du présent arrêt.

146. Or, une aire géographique telle que celle visée en l'espèce, dans la mesure où elle s'avère sensiblement perméable à la circulation de la potasse d'origine tant communautaire qu'extra-communautaire, forme en principe une zone ouverte à la concurrence.

147. Par ailleurs, il est constant que les utilisateurs dans les différents États membres hormis l'Allemagne s'approvisionnent en produits à base de potasse qui sont largement substituables et n'ont pas de préférence marquée pour des spécialités qui ne sont disponibles qu'auprès des producteurs locaux.

148. En outre, il ressort des données fournies par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture que, durant la période 1987-1989, les prix de la potasse dans chaque État membre hormis l'Allemagne ne différaient pas de façon significative, alors que les prix allemands étaient plus élevés de 20 % que ceux pratiqués dans les autres États membres. De plus, selon les informations fournies par les parties, les prix pratiqués par K+S en 1992 pour le "Korn-Kali" (produit potassique contenant du magnésium) et le granulé de potasse 40-8 étaient par exemple en Belgique et aux Pays-Bas rigoureusement identiques, mais, comparés aux prix allemands pour les mêmes produits, ils étaient respectivement inférieurs de 15 et 20 % (voir point 43 de la décision litigieuse). Ces informations, bien qu'assez approximatives, ainsi que l'a relevé le gouvernement français, constituent toutefois, en l'absence de toute preuve contraire, un indice que les prix de la potasse pratiqués dans la Communauté hormis l'Allemagne sont assez homogènes et diffèrent significativement de ceux pratiqués en Allemagne.

149. Ensuite, ainsi que l'a observé la Commission, les coûts de transport n'apparaissent pas constituer un empêchement aux flux commerciaux à l'intérieur de la Communauté hormis l'Allemagne. En ce sens milite le fait qu'il existe des flux commerciaux entre des États non limitrophes tels que le Royaume-Uni et l'Espagne, l'Espagne et l'Irlande, l'Espagne et l'Italie, l'Espagne et la zone belgo-luxembourgeoise, l'Allemagne et l'Irlande, l'Allemagne et le Portugal, l'Allemagne et l'Italie et la France et les Pays-Bas.

150. Enfin, l'affirmation de la Commission selon laquelle il n'apparaît pas, au niveau de la distribution, qu'il existe des barrières à l'entrée des produits dans la Communauté, à l'exception de l'Allemagne, semblables à celles existant en Allemagne, n'a pas été contestée par les requérants.

151. Dans ces conditions et en l'absence d'éléments décisifs contraires, l'appréciation économique faite par la Commission selon laquelle la Communauté, à l'exception de l'Allemagne, constitue un ensemble suffisamment homogène pour être considéré globalement comme un marché géographique distinct apparaît étayée à suffisance de droit, notamment par opposition au marché allemand dans lequel les importations sont négligeables, K+S et MdK détenant en effet 98 % du marché national de la potasse.

2. Sur l'applicabilité du règlement aux positions dominantes collectives

152. Le gouvernement français et les sociétés requérantes font valoir que le règlement n'autorise pas la Commission à l'appliquer dans les situations de position dominante collective. A cet égard, ils font observer que le texte du règlement, et en particulier son article 2, à la différence de l'article 86 du traité CE, ne vise pas expressément l'hypothèse de la position dominante collective. En effet, tandis que l'article 86 du traité "interdit... le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante...", l'article 2 du règlement considère comme respectivement compatibles et incompatibles avec le Marché commun, d'une part, les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante anticoncurrentielle et, d'autre part, celles qui créent ou renforcent une telle position.

153. Par ailleurs, les bases juridiques du règlement ne justifieraient pas l'interprétation retenue par la Commission. Il ne serait pas, en effet, un texte d'application de l'article 86 du traité. Selon le gouvernement français, ce règlement est principalement fondé sur l'article 235 du traité CE, et, s'il est également fondé sur l'article 87 de ce traité, lequel habilite le Conseil à arrêter les règlements ou directives utiles en vue de l'application des principes figurant aux articles 85 et 86, c'est précisément parce que, alors que la Cour avait retenu la possibilité d'utiliser l'article 86 pour contrôler certaines concentrations (arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6-72, Rec. p. 215), il en réduit le champ d'application, en disposant notamment en son article 22, paragraphe 1, que "Le présent règlement est seul applicable aux opérations de concentration telles que définies à l'article 3".

154. En outre, rien dans les travaux ayant précédé l'adoption du règlement ne permettrait de soutenir que le législateur ait également entendu viser les positions dominantes collectives. Or, admettre que ce type de situation est couvert par le règlement équivaudrait à retenir un champ d'interdictions ou d'autorisations conditionnelles extrêmement large et surtout très incertain. Le gouvernement français estime dès lors que, si le législateur communautaire, dont l'un des soucis essentiels était d'assurer la sécurité juridique des entreprises, avait voulu introduire cette notion dans le cadre du règlement, il l'aurait fait expressément, à l'instar de l'article 86 du traité.

155. EMC et SCPA soutiennent que l'interprétation du règlement proposée par la Commission a pour effet de fausser l'économie de celui-ci. A l'appui de cette thèse, elles font valoir que ladite interprétation peut aboutir à appliquer le règlement même lorsque la part de marché des entreprises concernées ne dépasse 25 % ni dans le Marché commun ni dans une partie substantielle de celui-ci, contrairement à ce que prévoit le quinzième considérant de ce règlement. Selon ce considérant, l'indication que les opérations de concentration ne sont pas susceptibles d'entraver une concurrence effective et peuvent donc être présumées compatibles avec le Marché commun existe notamment lorsque la part de marché des entreprises concernées ne dépasse 25 % ni dans le Marché commun ni dans une partie substantielle de celui-ci.

156. Enfin, l'absence de garanties de procédure adéquates pour les tiers confirme, selon les requérantes, que le règlement n'est pas conçu pour servir de cadre à l'utilisation de la notion de position dominante collective. Ainsi, les entreprises qui sont étrangères à l'opération de concentration examinée dans le cadre du règlement, mais qui, avec les entreprises participant à cette opération, constituent, aux yeux de la Commission, un oligopole, ne sont au départ destinataires d'aucune information spécifique pouvant leur indiquer quelles conséquences la procédure en cours pourrait impliquer à leur encontre. Le gouvernement français indique que, s'il est vrai que, en application de l'article 18, paragraphe 4, première phrase, du règlement, la Commission ou les autorités compétentes des États membres ont la possibilité d'entendre des tiers à l'opération de concentration et donc, le cas échéant, les représentants des sociétés étrangères à ladite opération, cette démarche n'est cependant pas obligatoire et, lorsqu'elle a lieu, revêt un caractère informel et n'offre pas les garanties prévues pour les auditions des parties à l'opération. En outre, les tiers considérés comme participant à une position dominante collective n'étant pas informés de la décision que la Commission a l'intention de prendre, ils ne seraient pas non plus mis à même d'utiliser de manière efficace la possibilité, prévue à l'article 18, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement, de demander à être entendus.

157. La Commission rétorque que le texte du règlement ne permet pas d'exclure que cet instrument serve également à prévenir la constitution ou le renforcement de positions dominantes collectives. En particulier, l'article 2, paragraphe 3, de ce règlement relierait la position dominante à l'opération de concentration, et non pas aux entreprises concernées, et viserait les conséquences de la concentration projetée sur la structure de la concurrence, se référant ainsi à une situation objective.

158. Par ailleurs, l'utilisation conjointe des articles 87 et 235 du traité en tant que base juridique du règlement démontrerait que l'objectif de celui-ci est de combler, en ce qui concerne le contrôle des positions dominantes oligopolistiques, une lacune en matière de concurrence laissée par les articles 85 et 86 du traité.

159. Selon la Commission, rien dans les travaux préparatoires n'autorise à considérer que le Conseil a entendu exclure que le règlement puisse servir à prévenir des situations de dominance collective du marché, c'est-à-dire des situations de dominance liées à la présence de plusieurs entités économiques fortement interdépendantes. La Commission rappelle que, lorsqu'il est apparu que les délégations des États membres étaient divisées sur la question du contrôle des oligopoles, un accord a été trouvé sur une formule neutre qui laissait la question ouverte. C'est cette formule qui aurait finalement été retenue à l'article 2 du règlement.

160. Au demeurant, l'interprétation défendue par le gouvernement français aurait pour conséquence que, à la suite de l'adoption du règlement, les concentrations, auparavant soumises à un contrôle des oligopoles dans certains États membres, ne seraient désormais soumises qu'au contrôle communautaire quant à l'existence d'une domination individuelle.

161. D'après la Commission, les modalités procédurales d'application du règlement protègent amplement les intérêts des tiers dès lors qu'elles leur permettent de faire valoir leur point de vue. La Commission relève que, en tout état de cause, une décision d'autorisation d'une concentration, même assortie de conditions et de charges, comme le permet l'article 8, paragraphe 2, du règlement, ne lie que les parties à la concentration. En effet, ces conditions et charges seraient destinées à garantir le respect par les parties à la concentration des engagements qu'elles ont pris à l'égard de la Commission. A titre subsidiaire, la Commission considère que, étant donné que le droit d'être entendu est un principe fondamental du droit communautaire, qui doit s'appliquer même en dehors de toute codification expresse, il ne saurait être déduit de l'absence d'une référence au droit de défense des tiers que le règlement a entendu exclure des mesures pouvant affecter les intérêts des tiers.

162. Enfin, la Commission soutient que la possibilité d'interdire une concentration qui renforce le caractère oligopolistique du marché découle, d'une part, de la théorie économique selon laquelle la concurrence, dès lors que certaines conditions sont remplies, ne fonctionne pas de manière adéquate dans un marché oligopolistique et, d'autre part, de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le Marché commun, conformément à l'article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement.

163. D'après le gouvernement allemand, le règlement est applicable à des cas de position dominante collective notamment parce qu'il constitue un instrument complétant les articles 85 et 86 du traité et parce qu'il a été adopté pour atteindre l'objectif général énoncé à l'article 3, sous f), du traité CEE [devenu l'article 3, sous g), du traité CE]. En effet, le règlement devrait permettre un contrôle efficace des concentrations qui pourraient s'avérer incompatibles avec un régime de concurrence non faussé. Or, l'efficacité d'un tel contrôle impliquerait la possibilité d'empêcher toute concentration conduisant à la création ou au renforcement d'une position dominante, qu'elle émane d'une ou de plusieurs entreprises.

164. Ce gouvernement relève que, si l'on interprétait le règlement en ce sens que son champ d'application serait limité au cas de position dominante exploitée par une seule entreprise, cela aurait pour conséquence que les concentrations intervenues après l'adoption du règlement, qui étaient auparavant soumises au contrôle d'un État membre, ne feraient plus l'objet d'un contrôle.

165. Il convient, en premier lieu, de constater que l'argument des requérantes selon lequel le choix des bases juridiques plaiderait en lui-même en faveur de la thèse selon laquelle le règlement ne serait pas applicable aux positions dominantes collectives ne saurait être accueilli. En effet, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 83 de ses conclusions, les articles 87 et 235 du traité peuvent, en principe, être utilisés comme base juridique pour une réglementation permettant d'intervenir de manière préventive à l'égard d'opérations de concentration créant ou renforçant une position dominante collective susceptible de porter une atteinte significative au jeu de la concurrence.

166. En deuxième lieu, il ne saurait être inféré du libellé de l'article 2 du règlement que seules les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante individuelle, c'est-à-dire une position dominante détenue par les parties à la concentration, relèvent dudit règlement. En effet, l'article 2 du règlement, dans la mesure où il vise "les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante", n'exclut pas en lui-même la possibilité d'appliquer le règlement à des cas où les opérations de concentration aboutissent à la création ou au renforcement d'une position dominante collective, à savoir une position de dominance détenue par les parties à la concentration avec une entité tierce à cette concentration.

167. S'agissant, en troisième lieu, des travaux préparatoires, il ressort du dossier qu'ils ne peuvent être considérés comme exprimant clairement l'intention des auteurs du règlement quant à la portée de l'expression "position dominante". Dans ces conditions, les travaux préparatoires ne sont pas de nature à fournir des indications utiles en vue de l'interprétation de la notion controversée (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 1961, Simon/Cour de justice, 15-60, Rec. p. 223).

168. Dès lors que les interprétations littérale et historique du règlement, et en particulier de l'article 2, ne permettent pas d'en apprécier la portée exacte quant au type de position dominante visée, il y a lieu d'interpréter la réglementation en cause en se fondant tant sur sa finalité que sur son économie générale(voir, en ce sens, arrêt du 7 février 1979, Pays-Bas/Commission, 11-76, Rec. p. 245, point 6).

169. A cet égard, il convient de relever que, ainsi qu'il résulte de ses deux premiers considérants, le règlement est fondé sur la prémisse selon laquelle l'objectif d'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le Marché commun est essentiel dans la perspective de l'achèvement du marché intérieur prévu pour 1992 et de son approfondissement ultérieur.

170. Par ailleurs, il ressort de ses sixième, septième, dixième et onzième considérants que ce règlement, à la différence des articles 85 et 86 du traité, a vocation à s'appliquer à toutes les opérations de concentration de dimension communautaire pour autant qu'elles risquent, en raison de leur effet sur la structure de la concurrence dans la Communauté, de se révéler incompatibles avec le régime de concurrence non faussé visé par le traité.

171. Or, une opération de concentration qui crée ou renforce une position dominante des parties concernées avec une entité tierce à l'opération est susceptible de se révéler incompatible avec le régime de concurrence non faussé voulu par le traité. Dès lors, s'il était admis que seules les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante des parties à la concentration sont visées par le règlement, la finalité de celui-ci telle que résultant notamment des considérants précités serait partiellement mise en échec. Ce règlement serait ainsi privé d'une partie non négligeable de son effet utile, sans que cela s'impose au regard de l'économie générale du régime communautaire de contrôle des opérations de concentration.

172. A cet égard, il y a lieu de constater que ni l'argument tiré de l'absence de garanties procédurales ni celui tiré du quinzième considérant du règlement ne sont de nature à remettre en cause l'applicabilité du règlement à des cas de domination collective résultant d'une opération de concentration.

173. Quant au premier de ces arguments, il convient de constater que le règlement ne prévoit pas expressément que les entreprises tierces à l'opération de concentration, considérées comme le pôle externe de l'oligopole dominant, doivent être mises en mesure de faire connaître utilement leurs points de vue dès lors que la Commission envisage d'assortir l'"autorisation" de ladite opération à des conditions ou à des charges leur faisant spécifiquement grief. Or, il en va de même dans la situation où la Commission envisage d'assortir une opération de concentration ne donnant lieu qu'à la création ou au renforcement d'une position dominante individuelle de conditions ou charges faisant grief à des entreprises tierces.

174. En tout état de cause, à supposer même que la constatation par la Commission que l'opération de concentration projetée crée ou renforce une position dominante collective entre les entreprises concernées, d'une part, et une entreprise tierce, d'autre part, puisse en elle-même faire grief à cette dernière, il importe de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à une personne déterminée constitue un principe fondamental de droit communautaire qui doit être assuré même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, et du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C-32-95 P, Rec. p. I-5373, point 21).

175. En présence d'un tel principe et compte tenu de la finalité du règlement telle que dégagée précédemment, le fait que le législateur communautaire n'ait pas, dans le cadre de ce règlement, prévu expressément de procédure garantissant les droits de la défense des entreprises tierces supposées détenir une position dominante collective avec les entreprises parties à la concentration ne saurait être considéré comme une preuve décisive de l'inapplicabilité dudit règlement aux positions dominantes collectives.

176. Quant au second argument, il convient de constater que la présomption de compatibilité avec le Marché commun des opérations de concentration où les entreprises concernées totalisent une part de marché inférieure à 25 %, telle qu'elle figure au quinzième considérant du règlement, n'a nullement été développée dans le dispositif du règlement.

177. En fait, le quinzième considérant du règlement, eu égard notamment aux réalités du marché qui le sous-tendent, doit être interprété en ce sens qu'une opération de concentration qui n'apporte pas à l'ensemble des entreprises participantes une part d'au moins 25 % du marché de référence est présumée ne pas créer ni renforcer une position dominante anticoncurrentielle desdites entreprises.

178. Il ressort de ce qui précède que les positions dominantes collectives ne sont pas exclues du champ d'application du règlement.

3. Sur la constatation de l'existence d'une position dominante collective dans le cas d'espèce

179. Par cette troisième branche du moyen, tant le gouvernement français que EMC et SCPA font valoir que la motivation de la Commission concernant la prétendue création d'un duopole dominant est fondée sur une appréciation erronée en fait et en droit et est, en tout état de cause, insuffisante. La Commission aurait fondé son analyse de la position dominante collective sur des critères qui ne seraient pas ceux retenus par la jurisprudence relative à l'article 86 du traité et aurait, par ailleurs, commis des erreurs manifestes dans l'application des critères qu'elle a elle-même définis dans d'autres décisions aux fins d'établir s'il y a constitution d'une position dominante collective.

180. La Commission rétorque que les critères qu'elle a utilisés dans la décision litigieuse ne sont aucunement en contradiction avec ceux qu'elle a employés dans d'autres décisions concernant des cas de position dominante collective. En effet, pour établir, en l'espèce, l'existence d'une position dominante collective, elle affirme s'être essentiellement fondée sur trois critères: le degré de concentration du marché, tel qu'il résulterait de l'opération de concentration, les éléments structurels relatifs à la nature du marché et aux caractéristiques du produit, ainsi que les liens structurels entre les entreprises intéressées. En outre, la Commission conteste que les critères pour la détermination de l'existence d'une position dominante collective doivent être identiques dans le cadre de l'article 86 du traité et dans celui du règlement. Quant à l'article 86, il s'agirait de se référer au passé, tandis que, pour ce qui est du règlement, l'analyse serait axée sur le futur, son but étant de préserver une structure de concurrence effective et non de mettre fin à l'abus d'une position dominante.

a) Sur le degré de concentration du marché

181. Le gouvernement français et les sociétés requérantes soutiennent que l'augmentation du degré de concentration du marché n'est pas substantielle, puisque les parts de marché détenues par K+S et SCPA sont passées, du fait de la concentration, de 54 % à 61 %. Selon le gouvernement français, l'analyse de la Commission est partiale, car, d'une part, elle ne tient pas compte du fait que, à la suite de l'opération de concentration, les concurrents sur le marché ne sont passés que de dix à neuf et, d'autre part, elle ne prend pas dûment en considération le rôle de deux opérateurs importants tels que CPL et Coposa.

182. La Commission réplique que son analyse tient amplement compte des parts de marché de tous les producteurs communautaires et des intervenants extérieurs. Elle n'aurait nullement ignoré l'existence de CPL et de Coposa, mais aurait constaté que ces deux producteurs communautaires ne pourraient plus accroître leurs ventes afin de conquérir une part de marché sur K+S/MdK et SCPA.

b) Sur les conditions du concurrent éliminé

183. Le gouvernement français fait valoir qu'il ressort de la décision Nestlé/Perrier, précitée, que la Commission, dans son appréciation de la création d'une position dominante collective, attache une importance particulière au fait que la concentration entraîne l'élimination d'un concurrent qui, de par sa taille et la position qu'il occupe sur le marché, est un facteur essentiel de concurrence effective. En l'espèce, toutefois, il serait manifeste que la reprise de MdK par K+S n'entraînerait pas la suppression d'un tel concurrent. En effet, MdK représente seulement 7 % du marché pertinent. Par ailleurs, la question des "capacités de production impressionnantes" de MdK dont fait état la Commission dans son mémoire en défense n'aurait pas été abordée dans la décision litigieuse.

184. Selon le gouvernement français, la Commission, ayant en outre estimé que MdK était en grande difficulté, aurait dû conclure que cette entreprise n'était pas un concurrent dont l'élimination entraînerait une modification substantielle des structures du marché de laquelle pourrait résulter la constitution d'un duopole.

185. La Commission, se référant au point 120 de la décision Nestlé/Perrier, précitée, considère que, pour déterminer si la réduction du nombre de producteurs doit être prise en compte aux fins de l'établissement de l'existence d'une position dominante collective, il est essentiel de savoir si cette réduction est plus qu'une simple modification de pure forme de la structure du marché. Or, tel serait bien le cas en ce qui concerne la reprise de MdK par K+S. A cet égard, la Commission indique que MdK dispose de capacités de production impressionnantes qui, après une restructuration poussée, constitueront un potentiel concurrentiel très important. Elle fait valoir, en outre, que l'importance de MdK comme concurrent sur le marché communautaire hors l'Allemagne ressort également du fait qu'il n'est pas établi avec suffisamment de certitude que la situation concurrentielle serait pratiquement la même, que MdK disparaisse du marché ou que l'opération de concentration se réalise.

c) Sur la position des concurrents

186. Selon le gouvernement français, l'analyse de la Commission relative au degré de pression concurrentielle pouvant être exercée par les concurrents sur le prétendu duopole formé par K+S/MdK et SCPA tend à donner une image faussée de la situation réelle de la concurrence sur le marché communautaire hormis l'Allemagne. En effet, la Commission chercherait à minimiser l'importance des divers opérateurs susceptibles de contrebalancer la prétendue prépondérance des entreprises chefs de file.

187. Or, selon ce gouvernement, l'analyse de la Commission présente des incohérences. A cet égard, il relève que, alors que la Commission met l'accent sur les capacités de production limitées de CPL et de Coposa, lorsqu'il s'agit de définir le marché géographique, elle insiste sur l'importance des exportations de l'Espagne et du Royaume-Uni vers d'autres États membres. Ensuite, la Commission minimiserait l'importance des importations en provenance de pays tiers en soulignant que la France est le plus important consommateur de potasse dans la Communauté et que ses importations en provenance de pays tiers sont canalisées par SCPA. Ainsi, de manière illogique avec sa propre définition du marché géographique pertinent, la Commission évaluerait la position des concurrents soit au regard du marché français, soit au regard de la Communauté hors l'Allemagne. Le gouvernement français maintient en outre que, contrairement à ce qu'affirme la Commission, les importations de potasse en provenance de la CEI continuent à exister et que la part de marché que représentent celles-ci n'a pas diminué, ainsi que le démontre l'ouverture d'un réexamen du règlement (CEE) n° 3068-92 du Conseil, du 23 octobre 1992, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de chlorure de potassium originaire du Bélarus, de Russie et d'Ukraine (JO L. 304, p. 41, ci-après le "règlement antidumping"). D'ailleurs, selon les sources IFA et Douanes, les importations en provenance de la CEI se seraient élevées à 11 % des ventes dans la Communauté en 1993.

188. D'après le gouvernement français, le raisonnement de la Commission est en réalité entaché d'un vice essentiel, car il repose sur l'existence d'un marché géographique comprenant tous les États de la Communauté hors l'Allemagne, alors qu'il est manifeste qu'au moins la France n'aurait pas dû être incluse compte tenu de ses caractéristiques propres en matière de production, d'importation et de distribution de produits potassiques.

189. La Commission estime qu'il n'y a pas de contradiction entre la constatation de l'existence de flux significatifs d'exportation d'Espagne vers d'autres États membres et la constatation que Coposa ne constitue pas un contrepoids face au duopole.

190. Selon la Commission, la canalisation des importations de pays tiers par l'un des membres du duopole, à savoir SCPA, dans une partie importante du marché géographique pertinent, la France, qui est le marché le plus porteur, implique que la pression concurrentielle des pays tiers sur ce duopole est nécessairement limitée.

191. La Commission soutient qu'elle ne s'est nullement limitée à retenir des critères qui concernent exclusivement le marché français. Quant aux importations de la CEI, elle relève qu'elle a seulement constaté que la part de marché de K+S/MdK et de SCPA devrait encore augmenter à l'avenir à cause non seulement de la diminution attendue des importations de la CEI, mais également du fait que le dernier producteur de potasse indépendant du Canada, PCA, a été repris par PCS, membre du cartel à l'exportation Canpotex, dont les livraisons vers la France et l'Irlande passent par SCPA. Par ailleurs, le réexamen des mesures antidumping ne constituerait pas une preuve que les importations de potasse en provenance de la CEI continuent. A cet égard, la Commission rappelle qu'elle a en fait constaté que, depuis l'adoption du règlement antidumping, les ventes du principal distributeur de potasse de la CEI dans la Communauté ont diminué pour représenter un huitième de leur niveau de 1992.

d) Sur la position sur le marché de K+S/MdK et de SCPA

192. En premier lieu, le gouvernement français reproche à la Commission d'avoir, parmi les critères appliqués pour affirmer l'existence d'une domination oligopolistique, attribué un poids excessif à la part de marché cumulée détenue par K+S/MdK et SCPA.

193. Ce gouvernement fait grief, en second lieu, à la Commission de ne pas avoir tenu compte de l'absence de symétrie entre les deux entités supposées constituer le duopole, alors même que, dans des décisions précédentes, une telle absence avait au contraire constitué un élément significatif pour nier l'existence d'une position dominante oligopolistique. Le gouvernement français souligne qu'il existe une différence substantielle entre les parts de marché de K+S/MdK (23 %) et de SCPA (37 %). Par ailleurs, la Commission aurait fait abstraction de nombreux éléments de fait qui feraient apparaître un déséquilibre manifeste entre SCPA et K+S/MdK, tels que leur capacité de production, leur puissance économique et leur différente intégration verticale.

194. La Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante, une part de marché d'environ 60 % démontre bien l'existence d'une position dominante collective, en particulier lorsque, comme en l'espèce, il y a une différence sensible avec les parts de marché détenues par les concurrents.

195. Tout en admettant qu'il y a des différences entre K+S/MdK et SCPA, la Commission conteste l'idée selon laquelle un duopole ne serait concevable que dans le cas où les positions des entreprises en question sont similaires, d'autant plus lorsque, comme en l'espèce, il existe des liens importants entre lesdites entreprises, qui empêchent une concurrence effective sur le marché.

e) Sur le pouvoir économique de la clientèle

196. Le gouvernement français reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte du critère relatif au pouvoir économique de la clientèle. D'après lui, l'analyse de cet élément aurait conduit la Commission à constater que les clients constituent un contrepoids propre à mettre en cause la création du prétendu duopole. Par ailleurs, la baisse sensible de la demande de potasse à la suite des modifications de la politique agricole commune constituerait un facteur de concurrence intensive à l'égard des producteurs de potasse. Cela serait d'autant plus vrai que, ainsi que l'indique le gouvernement français, la demande de potasse a baissé, de 1988 à 1993, de près de 30 % en Europe, tandis que les importations n'ont diminué que de 23 % durant la même période.

197. La Commission rétorque que, bien que dans certaines de ses décisions elle ait pu conclure à l'absence de position dominante au vu du contrepoids existant du côté des acheteurs, il ne s'agit que d'un facteur parmi d'autres qu'elle prend en considération. Quant à la baisse de la demande de potasse, la Commission admet qu'une telle baisse a eu lieu, mais ajoute qu'elle affecte tous les producteurs communautaires. De plus, cette baisse ne serait pas très considérable étant donné que l'élasticité de la demande est limitée, la potasse étant un engrais essentiel pour l'agriculture, qui ne peut être remplacé par aucun autre.

f) Sur les barrières à l'entrée de produits potassiques dans la Communauté

198. Le gouvernement français fait valoir que, dans le passage de la décision relatif au marché géographique, la Commission a mis en exergue des éléments qui vont dans le sens d'un marché ouvert et "aisément contestable". Cependant, lors de la constatation de l'existence d'une position dominante collective de K+S/MdK et de SCPA, la Commission aurait totalement méconnu le niveau peu élevé des barrières à l'entrée de produits potassiques dans la Communauté.

199. Selon ce gouvernement, les arguments de la Commission, avancés pour la première fois dans son mémoire en défense et fondés sur les droits antidumping et sur le monopole légal de SCPA, ne prouvent pas qu'il existe des barrières à l'entrée du marché géographique de référence. S'agissant du premier argument, ce gouvernement soutient que les droits antidumping sont des mesures qui visent à rétablir les conditions de concurrence et non à instaurer une mesure de restriction des échanges transfrontaliers. Quant à l'autre argument concernant le monopole légal de SCPA, le gouvernement français considère que, bien que ce monopole soit susceptible de créer une barrière à l'entrée du marché français, il serait sans effet sur l'accès des produits des pays tiers aux marchés des autres États membres qui constituent, avec le marché français, le marché géographique pertinent.

200. La Commission rappelle qu'il n'y a pas de barrières à l'entrée à l'intérieur de la Communauté. En revanche, il existerait deux types de barrières à l'entrée des produits provenant d'entreprises de pays tiers: les mesures antidumping pour les importations originaires de la CEI et le monopole légal de SCPA qui fait que toutes les importations françaises en provenance de pays tiers doivent transiter par cette dernière. D'après la Commission, les droits antidumping constituent des barrières à l'entrée puisqu'ils limitent, avec les frais de transport, la marge de prix disponible aux importateurs. Elle relève, par ailleurs, que le fait que toutes les importations des pays tiers en France, qui est le marché le plus porteur avec une consommation représentant trois fois celle du deuxième marché, transitent par SCPA est une barrière à l'entrée pour les importations sur le marché communautaire en général.

g) Sur les caractéristiques du marché et du produit

201. Le gouvernement français estime que l'analyse faite par la Commission au point 57 de la décision litigieuse quant aux facteurs objectifs favorisant la création d'une position dominante collective, sur lesquels elle a mis l'accent dans des décisions précédentes telles que notamment les décisions Nestlé/Perrier, précitée, et 94-359-CE, du 21 décembre 1993, déclarant la compatibilité avec le Marché commun d'une concentration (Affaire n° IV-M358 - Pilkington-Techint/SIV) (JO 1994, L. 158, p. 24), est vague et non probante. La Commission aurait fait totalement abstraction de critères d'analyse fondamentaux tels que ceux relatifs aux prix, à leur évolution, au degré d'élasticité de la demande et aux coûts des deux entreprises censées constituer le duopole. Par ailleurs, ce gouvernement conteste le bien-fondé de certaines considérations de la Commission. S'agissant de l'homogénéité du produit, il rappelle que la dénomination générale de potasse comprend toute une variété de produits. Pour ce qui est de l'affirmation de la Commission selon laquelle le marché de la potasse est transparent, elle serait en contradiction avec la difficulté que cette institution a eue pour disposer d'une vision claire et rapide du marché exprimé en valeur et en volume.

202. La Commission rétorque d'abord qu'elle a clairement fait référence aux éléments structurels se rapportant aux caractéristiques du marché et du produit. Elle souligne que la décision litigieuse se réfère à une situation distincte de celles qui font l'objet des décisions invoquées par le gouvernement français. En effet, cette décision aurait pour toile de fond une situation dans laquelle, déjà avant l'opération de concentration, il n'y aurait pas eu de concurrence effective entre les deux plus importants fournisseurs de potasse dans la Communauté. Dans ces conditions, les éléments qui ont été examinés dans les décisions évoquées par le gouvernement français ne seraient qu'un des facteurs à prendre en considération. Ensuite, s'agissant de l'homogénéité du produit, la Commission constate que la potasse est identique tant sur le plan chimique que sur le plan de son utilisation. Enfin, pour ce qui est de la transparence du marché, la Commission soutient que chaque producteur connaît sa position et celle de ses concurrents. En effet, les chiffres de production et les prix seraient généralement connus et il existerait des statistiques concernant la consommation de la potasse ainsi que des études détaillées sur le marché de la potasse.

h) Sur l'existence de comportements parallèles

203. Le gouvernement français relève que la Commission cherche à établir la persistance de comportements anticoncurrentiels entre K+S et SCPA en constatant que, en dépit de la déclaration d'incompatibilité avec l'article 85 du traité d'un accord de coopération conclu dans les années 70 entre ces deux entreprises [décision 73-212-CEE de la Commission, du 11 mai 1973 (JO L. 217, p. 3)] et nonobstant les surcapacités de production en Allemagne, il n'existe que très peu de flux entre l'Allemagne et la France qui ne transite pas par SCPA. A cet égard, ce gouvernement observe, en premier lieu, que le caractère récent des comportements anticoncurrentiels est essentiel dans la démonstration d'une position dominante collective. En deuxième lieu, les pratiques déclarées incompatibles avec l'article 85 auraient concerné l'ensemble de la Communauté. Or, pour soutenir que l'accord en question persiste, le seul élément de fait que la Commission invoquerait serait limité à des échanges depuis l'Allemagne vers la France. En troisième lieu, la faiblesse des échanges ne transitant pas par SCPA serait très relative. En effet, les livraisons vers la France représenteraient seulement 87 000 tonnes, soit 6 % de la consommation française, dont seulement 47 000 tonnes seraient canalisées par SCPA. Enfin, le gouvernement français conteste la thèse de la Commission selon laquelle la faible présence de K+S sur le marché français suffirait à établir l'existence d'un duopole entre K+S/MdK et SCPA dans la Communauté hors l'Allemagne.

204. La Commission observe qu'elle n'a pas indiqué dans la décision litigieuse s'être fondée sur un accord de coopération passé dans les années 70 pour conclure à l'existence d'une position dominante collective. Elle rappelle qu'elle a constaté que l'absence substantielle de K+S sur le marché français et la canalisation d'une partie majeure de ses importations par SCPA indiquent l'existence d'une position dominante collective.

i) Sur l'existence de liens structurels entre les entreprises

205. Selon le gouvernement français, les trois liens recensés par la Commission entre K+S et SCPA, à savoir l'entreprise commune Potacan, la collaboration au sein du cartel d'exportation Kali-Export et la canalisation par SCPA des livraisons de K+S en France, ne sont pas de nature à établir la création du duopole résultant de l'acquisition de MdK par K+S. Concernant le cartel d'exportation Kali-Export, son objectif est, selon ce gouvernement, de favoriser et de coordonner l'exportation de la potasse de ses membres hors de la Communauté. En revanche, ce cartel ne concernerait pas leurs ventes à l'intérieur de la Communauté. La crainte de la Commission de voir la collaboration au sein de ce cartel restreindre la concurrence entre K+S et SCPA dans la Communauté ne serait fondée sur aucun élément de preuve.

206. Pour ce qui est de Potacan, les sociétés requérantes soutiennent que la Commission a omis de justifier l'affirmation selon laquelle la structure actuelle de Potacan empêcherait ses actionnaires, K+S et SCPA, de se fournir de façon indépendante auprès de leur filiale commune pour approvisionner les marchés de la Communauté européenne.

207. Dans son mémoire en réplique, le gouvernement français fait état de quatre erreurs d'appréciation. Premièrement, il relève que la Commission, dans son analyse des liens entre K+S et SCPA, n'établit aucune relation entre ceux-ci et leurs conséquences sur l'ensemble du marché pertinent, mais se borne à montrer que ces liens ont uniquement une portée en France. Ainsi la Commission, partant du fait qu'il n'existe pas de concurrence entre K+S et SCPA dans l'État qui consomme la plus grande quantité de potasse produite, conclurait que ces entreprises sont en position dominante sur l'ensemble du marché communautaire, à l'exception de l'Allemagne. Or, une telle démarche serait en contradiction avec l'argument de la Commission selon lequel les situations nationales importent peu dès lors qu'il est établi que le marché de référence est la Communauté hors l'Allemagne.

208. Deuxièmement, le gouvernement français fait observer que la Commission, pour les besoins de sa démonstration, tantôt considère que Coposa exporte de manière autonome des volumes significatifs en France (dans le cadre de la définition du marché géographique en cause), tantôt fait valoir que l'entreprise espagnole est peu présente en France et qu'une partie importante de ses ventes est canalisée (pour démontrer que la coopération dans Kali-Export influe sur le comportement concurrentiel des membres du cartel dans la Communauté). En outre, tels qu'appliqués par la Commission, les critères auraient pu tout aussi bien conduire à la constatation d'un oligopole K+S/MdK, SCPA et Coposa. La décision litigieuse serait à tout le moins insuffisamment motivée sur ce point.

209. Troisièmement, le gouvernement français estime que la canalisation en France par SCPA d'une partie des fournitures de potasse de K+S, représentant seulement 1,4 % de la consommation du marché de référence, ne peut pas être considérée comme un indice de la création d'un duopole sur ledit marché à la suite de l'acquisition de MdK par K+S. De même, le niveau relativement réduit des ventes de K+S en France ne suffirait pas pour conclure qu'il existe des liens anticoncurrentiels entre K+S et SCPA, car il pourrait parfaitement avoir des justifications différentes. Ainsi, il pourrait résulter des structures du marché français ou de la stratégie industrielle de K+S. A cet égard, le gouvernement français indique que la politique d'exportation de K+S semble être orientée vers les pays situés hors de l'Europe, vers les États membres non producteurs et vers un État producteur comme le Royaume-Uni, qui est demandeur de potasse.

210. Sur ce point, les sociétés requérantes font valoir que le seul lien de distribution entre K+S et SCPA est constitué par un contrat portant sur la distribution de kiesérite, à savoir un produit non potassique relevant d'un marché de produits distinct. Les relations entre K+S et SCPA portant sur les produits potassiques ne comporteraient, en revanche, aucune coopération en matière de distribution et se limiteraient strictement à des relations entre fournisseur et acheteur selon des conditions normales de marché.

211. Quatrièmement, le gouvernement français soutient que la Commission n'a pas établi le lien de causalité entre la reprise de MdK et la prétendue création d'un duopole entre K+S/MdK et SCPA. Selon lui, ni le fait que la part de marché cumulée de K+S et SCPA est passée de 54 % à 61 % à la suite de l'opération de concentration ni le fait que MdK est l'un des plus importants producteurs communautaires ne sont des facteurs de création d'un duopole sur le marché pertinent.

212. Les sociétés requérantes, quant à elles, font valoir que, la Commission ayant constaté lors de l'examen des effets de la concentration sur le marché allemand que MdK allait de toute façon disparaître du marché, elle ne pouvait pas conclure que la reprise de MdK par K+S donnerait lieu à la création d'une position dominante de K+S/MdK et de SCPA.

213. Quant à Potacan, la Commission fait observer qu'il résulte notamment de sa structure organisationnelle qu'aucune décision importante en matière de politique de l'entreprise ne peut être prise contre la volonté d'un des partenaires. Ainsi, l'approvisionnement du groupe français en potasse pour des volumes importants ne serait pas possible si K+S s'y opposait.

214. S'agissant de Kali-Export, la Commission estime qu'il ne suffit pas de constater qu'un cartel à l'exportation ne concerne pas les ventes de ses membres dans la Communauté pour établir qu'il ne restreint pas la concurrence entre ceux-ci dans la Communauté. Elle expose que, en raison des différentes interdépendances entre K+S et SCPA, il n'y a pas de concurrence effective entre les deux pôles de l'oligopole dans la Communauté hors l'Allemagne. La Commission indique que: i) bien que le territoire français soit le plus porteur pour les produits potassiques dans la Communauté et qu'il n'y ait aucune barrière à l'entrée, K+S n'est que marginalement présente sur ce marché malgré sa capacité de production susceptible de fournir largement l'ensemble du marché communautaire; ii) bien que K+S ait établi un réseau de distribution très développé dans tous les États membres, elle n'a, jusqu'à ce jour, aucun réseau de distribution propre en France; iii) CPL n'a pu avoir accès au marché français qu'après avoir quitté Kali-Export et, en six ans, elle a pu obtenir une part du marché français s'élevant à 13 %; Coposa, membre de Kali-Export, est peu présente sur le marché français et une partie importante de sa potasse est vendue en France par SCPA. Sur la base de ces éléments, la Commission conclut qu'il y a une interférence nette entre la participation dans Kali-Export et la vente en France.

215. Dans sa duplique, la Commission soutient, en premier lieu, qu'elle a établi une relation évidente entre les liens existant entre K+S et SCPA, qui ne concernent que la France et l'absence de concurrence sur l'ensemble du marché communautaire hors l'Allemagne (points 57, 59, 61 et 67 de la décision litigieuse).

216. Deuxièmement, la Commission fait valoir qu'elle n'a nullement affirmé que Coposa exporte de manière significative en France. Au contraire, elle aurait constaté que, bien qu'il y ait des importations de Coposa en France, elles sont limitées et transitent en grande partie par SCPA. Selon la Commission, il n'y a pas lieu d'inclure Coposa dans le duopole avec K+S/MdK et SCPA, car elle est seulement liée à K+S et à SCPA par sa participation dans Kali-Export. En outre, elle exporterait plus de potasse en France que K+S, malgré la proximité géographique des minerais allemands et le fait qu'en Allemagne la production est quatre fois plus importante que la consommation. Par ailleurs, les liens de distribution entre K+S et SCPA seraient établis depuis longtemps.

217. Troisièmement, la Commission constate que les structures du marché français n'ont pas empêché CPL de pénétrer le territoire français sans transiter par SCPA. En outre, la politique commerciale de K+S, qui consisterait à ne pas vendre en France, serait incompréhensible sur le plan commercial compte tenu de ce que la France serait également un Etat demandeur de potasse et vu la surcapacité importante de l'Allemagne ainsi que la proximité géographique des minerais allemands.

218. Quatrièmement, la Commission constate que la reprise de MdK a modifié substantiellement les conditions structurelles du marché et a conduit à la création d'une position dominante collective entre K+S/MdK et SCPA pour les raisons suivantes: i) MdK assure 25 % de la production totale de potasse dans la Communauté (point 51 de la décision litigieuse) et a des réserves substantielles de potasse; ii) le taux d'utilisation de la capacité de MdK n'est que d'environ 50 % actuellement (point 73 de la décision litigieuse), ce qui implique que la production pourrait être augmentée facilement; iii) la part de marché de MdK de 7 % est le facteur crucial dans la création de la position dominante conjointe (point 62 de la décision litigieuse) eu égard au fait que l'offre, en dehors du groupe K+S/MdK et SCPA, est morcelée (point 54 de la décision litigieuse) et que la part de marché de K+S/MdK et de SCPA devrait encore augmenter (point 53 de la décision litigieuse).

219. Avant d'examiner les griefs avancés par les parties requérantes à l'encontre de l'application que la Commission a faite en l'espèce de la notion de position dominante collective, il convient de rappeler que, pour conclure à la création d'une position dominante collective entre K+S/MdK et SCPA, susceptible d'entraver la concurrence de manière significative dans le marché communautaire hors l'Allemagne, la Commission a notamment constaté dans la décision litigieuse que:

- le marché de la potasse est un marché arrivé à maturité qui se caractérise par un produit largement homogène et l'absence d'innovations techniques (point 57 de la décision litigieuse);

- les relations sur le marché sont très transparentes, de sorte que les données relatives à la production, à la demande, aux ventes et aux prix sont généralement disponibles (point 57 de la décision litigieuse);

- il existe depuis longtemps des liens exceptionnellement étroits entre K+S et SCPA, qui pourraient, par eux-mêmes, laisser supposer une absence réelle de concurrence entre ces entreprises qui, du reste, représentent environ 53 % du marché communautaire hors l'Allemagne, calculés sur la base des ventes, celles-ci incluant, outre les ventes à partir de la production propre de K+S et de SCPA, les ventes de SCPA portant sur la potasse en provenance directe de pays tiers, laquelle doit transiter par cette entreprise qui peut ainsi contrôler les approvisionnements venant de l'extérieur de la Communauté (points 52, 56 et 57 de la décision litigieuse);

- malgré la surproduction en Allemagne, il n'existe toujours qu'un petit courant de livraisons de potasse de K+S vers la France qui ne transite pas par SCPA, la France étant de loin le plus important État consommateur de potasse dans la Communauté (points 56 et 57 de la décision litigieuse);

- K+S et MdK, qui à la suite de l'opération de concentration formeront une entreprise commune, et SCPA assurent respectivement 35 %, 25 % et 20 % de la production totale de potasse dans la Communauté (point 51 de la décision litigieuse);

- MdK est le deuxième producteur de potasse de la Communauté, et ce bien que le taux d'utilisation de la capacité de l'entreprise ne soit que d'environ 50 % actuellement (points 51 et 73 de la décision litigieuse);

- à la suite de l'opération de concentration, le groupe K+S/MdK et SCPA détiendra une part de marché totale, calculée à partir des ventes, d'à peu près 60 % (point 52 de la décision litigieuse);

- l'offre en dehors de ce groupe est morcelée (point 54 de la décision litigieuse);

- les autres producteurs ne disposent pas de la base nécessaire pour survivre sur ce marché face à un duopole K+S/MdK et SCPA (point 62 de la décision litigieuse).

220. Ainsi qu'il a été précédemment indiqué, aux termes de l'article 2, paragraphe 3, du règlement, doivent être déclarées incompatibles avec le Marché commun les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

221. S'agissant d'une prétendue position dominante collective, la Commission est donc tenue d'apprécier, selon une analyse prospective du marché de référence, si l'opération de concentration dont elle est saisie aboutit à une situation dans laquelle une concurrence effective dans le marché en cause est entravée de manière significative par les entreprises parties à la concentration et une ou plusieurs entreprises tierces qui ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs.

222. Une telle démarche nécessite un examen attentif notamment des circonstances qui, selon chaque cas d'espèce, se révèlent pertinentes aux fins de l'appréciation des effets de l'opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché de référence.

223. A cet égard, il convient toutefois de relever que les règles de fond du règlement, et en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d'ordre économique.

224. En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l'exercice d'un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d'appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations.

225. Cela étant, il y a lieu de constater que l'analyse de l'opération de concentration et de ses effets sur le marché en cause, telle qu'elle a été développée par la Commission, comporte certains vices affectant l'appréciation économique de l'opération en cause.

226. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu'il ressort des points 51 et 52 de la décision litigieuse, les entreprises K+S/MdK et SCPA auront sur le marché en cause, après l'opération de concentration, des parts de marché, calculées sur la base des ventes, respectivement de 23 % et de 37 %. Or, une part de marché totale d'environ 60 % ainsi répartie ne saurait constituer par elle-même un indice décisif de l'existence d'une position dominante collective desdites entreprises.

227.Quant aux prétendus liens structurels entre K+S et SCPA, qui ont constitué le facteur essentiel sur lequel s'est fondée la Commission pour formuler sa propre appréciation, il convient de relever que certains des griefs des parties requérantes, tendant à minimiser l'importance de ces liens comme indice de la création d'une position dominante collective des deux pôles concernés, sont fondés.

228. Ainsi, la constatation de la Commission, selon laquelle la participation de K+S et de SCPA au cartel à l'exportation Kali-Export peut avoir des répercussions sur leur comportement concurrentiel dans la Communauté, n'apparaît pas étayée par des éléments suffisamment significatifs et concordants. En effet, la Commission se borne à rappeler, à cet égard, que le producteur britannique CPL n'a commencé à commercialiser ses produits de façon indépendante sur le marché français qu'après avoir quitté le cartel, en 1987, parce qu'il ne pouvait pas concilier la concurrence directe avec SCPA sur le marché français avec son appartenance au cartel (voir point 60 de la décision litigieuse). Or, même à vouloir faire abstraction du fait que l'argument avancé par la Commission ne concerne que les effets prétendus de l'appartenance au cartel sur une partie seulement du marché communautaire hormis l'Allemagne, il y a lieu d'observer que le producteur espagnol Coposa, tout en étant également membre de Kali-Export, commercialise de façon indépendante en France une quantité de potasse correspondant à un peu plus de 5 % de la consommation française. Une telle quantité représente, à la fois, environ 47 % des exportations de Coposa dans le marché en cause et près de deux tiers de ses exportations en France, et a, du reste, été considérée comme significative dans le cadre de la définition du marché géographique pertinent (voir point 38 de la décision litigieuse). Dans ces conditions, il apparaît que la Commission n'a pas établi à suffisance de droit l'existence d'une relation causale entre l'appartenance de K+S et de SCPA au cartel à l'exportation et leur comportement anticoncurrentiel sur le marché en cause.

229. Pour ce qui est des prétendus liens entre K+S et SCPA relatifs aux livraisons de K+S en France, il importe de relever que la Commission, d'une part, a imposé à K+S de mettre fin à l'actuelle coopération avec SCPA en tant que distributeur associé sur le marché français et, d'autre part, a admis que K+S puisse conclure des contrats de vente avec SCPA aux conditions normales de marché (voir point 63 de la décision litigieuse). Il en résulte que la Commission a estimé qu'il existait, entre K+S et SCPA, une relation de partenariat pour la distribution de la potasse allemande en France.

230. Or, il ressort du dossier que les seuls liens spécifiques de distribution existant entre ces deux entreprises portaient sur la kiesérite, c'est-à-dire un produit ne relevant pas du marché du produit en cause. Pour le reste, SCPA se limitait à acheter à K+S, aux conditions normales de marché, de la potasse utilisée par EMC ou destinée à la vente en dehors du marché français.

231. Il apparaît donc que K+S et SCPA n'avaient aucun rapport privilégié pour la distribution de produits à base de potasse.

232. Il ressort de ce qui précède que le faisceau de liens structurels unissant K+S et SCPA, qui, de l'aveu même de la Commission, constitue le coeur de la décision litigieuse, n'est, somme toute, pas aussi dense et probant que ne l'a voulu faire apparaître l'institution défenderesse.

233. Par ailleurs, il importe de rappeler que la Commission a constaté dans la décision litigieuse qu'il n'y avait pas de concurrence effective entre K+S et SCPA sur le marché en cause. Selon le point 57 de la décision litigieuse, "la raison essentielle pour supposer une absence réelle de concurrence entre K+S et SCPA est constituée par les liens exceptionnellement étroits entre les deux sociétés et qui existent depuis longtemps".

234. Il ressort en outre de ce dernier point de la décision litigieuse que la reprise de MdK par K+S à la suite de l'opération de concentration impliquera pour cette dernière entreprise une addition de la part de marché de MdK, addition que la Commission a qualifiée d'importante dans ses observations.

235. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, au-delà de la part de marché de 7 % qu'elle détient dans la Communauté hormis l'Allemagne, MdK, bien qu'exploitant ses installations seulement à 50 % de leurs capacités, est le deuxième producteur de potasse dans la Communauté, après K+S (voir points 51, 52, 62 et 76 de la décision litigieuse).

236. Ainsi, l'opération de concentration aura pour conséquence de renforcer considérablement la capacité industrielle de K+S. En effet, K+S et MdK assurent respectivement 35 % et 25 % de la production totale de potasse dans la Communauté, tandis que SCPA plafonne à 20 % et que ses réserves propres de potasse seront complètement épuisées avant 2004 (voir points 51 et 66 de la décision litigieuse).

237. Par ailleurs, il ressort du dossier que K+S est une filiale d'un des principaux transformateurs d'engrais, BASF, dont la puissance économique est très supérieure à celle du groupe EMC auquel appartient SCPA.

238. Enfin, il est constant que la demande de potasse a, de 1988 à 1993, baissé de près de 30 % en Europe, notamment à la suite des changements intervenus dans la politique agricole commune. Or, un marché en baisse est généralement considéré comme favorisant, en principe, la concurrence entre les entreprises du secteur concerné.

239. Dans ces conditions et compte tenu du fait que l'importance des liens structurels entre K+S et SCPA s'avère être moindre que ne le prétend la Commission, l'argument sous-jacent à la constatation de la création d'une position dominante collective entre K+S/MdK et SCPA, selon lequel l'"importante" agrégation de MdK à la seule entreprise K+S maintiendra dans le chef du groupe allemand et SCPA un intérêt commun à ne pas s'engager dans une concurrence active l'un vis-à-vis de l'autre, n'apparaît pas, en l'absence d'autres éléments décisifs, suffisamment fondé.

240. S'agissant des autres éléments avancés par la Commission à l'appui de sa conclusion que la reprise de MdK par K+S aboutira à la création d'une position dominante collective, il y a lieu de renvoyer au point 57 de la décision litigieuse. Il y est constaté que "Le marché de la potasse est un marché arrivé à maturité, qui se caractérise par un produit largement homogène et l'absence d'innovations techniques. Les relations sur le marché sont très transparentes. Les données relatives à la production, à la demande, aux ventes et aux prix sont généralement disponibles. De plus, les parts de marché de K+S et SCPA ont été stables ces quatre dernières années... Enfin, dans le passé, il y a eu un accord entre K+S et SCPA relatif, entre autres, à la prise de décision conjointe sur les quantités et qualités de produits à base de potasse exportés par chacune des parties. Cet accord a été déclaré incompatible avec l'article 85 du traité CEE... A cet égard, on doit cependant noter que, à la suite de cette décision et malgré la surproduction en Allemagne, il n'existe toujours qu'un petit courant d'échanges transfrontaliers depuis l'Allemagne vers la France qui ne transite pas par SCPA".

241. Or, dans le cas d'espèce, ces données ne sauraient être considérées comme décisives en faveur de la conclusion de la Commission. En particulier, l'accord entre K+S et SCPA, qui a été déclaré, en 1973, incompatible avec l'article 85 du traité (JO 1973, L. 217, p. 3), constitue, en raison de la période de vingt ans qui s'est écoulée entre la déclaration d'incompatibilité et la notification du projet de concentration, un indice extrêmement faible, voire insignifiant, pour faire présumer l'absence de concurrence entre K+S et SCPA et, a fortiori, entre K+S/MdK et SCPA. A cet égard, il convient de relever que l'allégation de la Commission, selon laquelle il n'existe toujours qu'un petit courant d'échanges transfrontaliers depuis l'Allemagne vers la France qui ne transite pas par SCPA, ne saurait, en l'espèce, conforter la valeur d'indice de l'accord précité dans le sens visé par l'institution défenderesse. Premièrement, le prétendu petit courant d'échanges transfrontaliers représente toutefois près de la moitié des ventes de potasse de K+S en France. Deuxièmement, l'analyse de la Commission, en ce qu'elle se limite uniquement au marché français, est en tout état de cause incomplète dès lors que le marché en cause est le marché communautaire hors l'Allemagne.

242.S'agissant de l'analyse de la Commission relative au degré de pression concurrentielle pouvant être exercé par les concurrents sur le prétendu groupe formé par K+S/MdK et SCPA, il y a lieu de rappeler que la Commission a exposé dans la décision litigieuse que les importations originaires de la CEI, qui ont représenté, en 1992, 8 % du marché communautaire hormis l'Allemagne (en incluant les importations qui transitent par SCPA), semblent avoir diminué depuis l'adoption du règlement antidumping (voir point 53 de la décision litigieuse).

243. Or, selon les données fournies par le gouvernement français, qui n'ont pas été contestées par la Commission, ces importations ont atteint, en 1993, 11 % des ventes à l'intérieur de la Communauté.

244. Ainsi, compte tenu du fait que le marché allemand est très peu accessible aux producteurs étrangers et qu'il n'apparaît pas que le rapport de grandeur d'environ 4 à 1 entre le marché communautaire hormis l'Allemagne et le marché allemand ait entre-temps changé, il peut être conclu que, si les importations de potasse originaires de la CEI ont atteint, en 1993, 11 % des ventes à l'intérieur de la Communauté, elles ont certainement représenté un pourcentage supérieur des ventes à l'intérieur de la Communauté hormis l'Allemagne.

245. Dès lors, l'affirmation de la Commission faite au point 53 de la décision litigieuse selon laquelle, dans le cadre du marché communautaire, à l'exception de l'Allemagne, ces importations semblent avoir diminué, au moins pour partie, depuis l'adoption du règlement antidumping ne traduit pas la réalité, en ce qu'elle occulte le fait que la part de marché de la CEI a augmenté sur le marché de référence.

246. En outre, compte tenu de l'évolution durant l'année 1993 des importations de la CEI vers la Communauté hors l'Allemagne, la constatation que la pression concurrentielle que ces importations pourront exercer sur le groupe K+S/MdK et SCPA sera limitée pour des raisons tenant à la qualité des produits et aux difficultés d'assurer des livraisons rapides et dans les délais prévus apparaît fondée sur une motivation, à tout le moins, peu conséquente. Or, pour apprécier avec un degré de vraisemblance suffisant les effets que pourra produire une opération de concentration sur le jeu de la concurrence dans le marché en cause, il est indispensable de se fonder sur une analyse rigoureuse du poids des concurrents.

247. Quant à Coposa, qui détient une part de marché dans la Communauté hormis l'Allemagne d'un peu moins de 10 %, la Commission a affirmé que sa capacité de production serait considérablement réduite dès l'année à venir en raison de la fermeture d'une de ses mines. A cet égard, le gouvernement français a fait observer, sans être contredit par la Commission, que le niveau actuel de surcapacité de Coposa était d'environ 70 %. Dès lors, la constatation que la capacité de production de Coposa diminuerait considérablement sous peu, sans plus de précision, ne permettait pas en soi d'arguer que l'entreprise espagnole ne disposerait pas de la base nécessaire pour conserver, voire augmenter, sa part de marché, et donc exercer une contrainte sur le prétendu duopole, d'autant plus que le marché de la potasse est, ainsi qu'il a été rappelé au point 238 du présent arrêt, en baisse.

248. Il apparaît donc que la Commission n'est pas parvenue à démontrer l'absence d'un contrepoids concurrentiel effectif à l'égard du prétendu groupe formé par K+S/MdK et SCPA.

249. Au vu de ce qui précède, et sans qu'il soit nécessaire de décider si les constatations faites par la Commission dans la décision litigieuse suffiraient, en l'absence des vices relevés ci-dessus, pour conclure à l'existence d'une position dominante collective, il apparaît que la Commission n'a, en tout état de cause, pas établi à suffisance de droit que l'opération de concentration engendrerait une position dominante collective de K+S/MdK et SCPA susceptible de constituer une entrave significative à une concurrence effective dans le marché en cause.

250. La troisième branche du moyen invoqué par les parties requérantes doit donc être accueillie.

SUR L'ANNULATION TOTALE OU PARTIELLE

251. Le gouvernement français a demandé, dans ses conclusions, l'annulation totale de la décision, tandis que les sociétés requérantes ont expressément limité l'objet de leur demande d'annulation aux conditions dont est assortie la déclaration de compatibilité contenue dans ladite décision.

252. Selon les sociétés requérantes, l'annulation partielle laisserait intact le corps de la décision litigieuse, laquelle deviendrait simplement inconditionnelle.

253. La Commission soutient que les conditions attachées à la décision litigieuse ne sont nullement susceptibles de faire l'objet d'une limitation quelconque, car elles font partie de la substance même de la décision.

254. Il importe de relever que la partie du dispositif déclarant l'opération en cause compatible avec le Marché commun est favorable aux intérêts des entreprises formellement visées par la décision litigieuse et n'a pas été considérée par les sociétés requérantes comme leur faisant grief.

255. Quant au gouvernement français, bien qu'ayant demandé, dans ses conclusions, l'annulation totale de la décision litigieuse, il a précisé, lors de la procédure devant la Cour, que son objectif n'était pas d'aboutir à l'interdiction de l'opération de concentration entre K+S et MdK.

256. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'annulation partielle d'une décision, limitée aux seules conditions qu'elle impose, est possible pour autant que ces dernières sont détachables du reste de la décision (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 1972, Jamet/Commission, 37-71, Rec. p. 483, point 11, et du 23 octobre 1974, Transocean Marine Paint/Commission, 17-74, Rec. p. 1063, point 21). L'annulation partielle d'une décision de la Commission prise en matière de contrôle des opérations de concentration est, au demeurant, l'une des hypothèses expressément envisagées par l'article 10, paragraphe 5, du règlement.

257. Or, il n'apparaît pas qu'une annulation limitée à la partie du dispositif de la décision litigieuse qui porte sur les conditions et obligations énoncées à son point 63 soit possible, sans que la substance de cette dernière soit modifiée.

258. A cet égard, il ressort de cette dernière et du dossier dans son ensemble que lesdites conditions forment, avec la déclaration de compatibilité contenue dans le dispositif, une unité indissociable. En effet, ces conditions font suite à une appréciation négative, par la Commission, de l'opération de concentration telle que notifiée et sont considérées par la même Commission comme indispensables pour que cette opération puisse être déclarée compatible avec le Marché commun.

259. Par conséquent, il y a lieu d'annuler la totalité du dispositif de la décision litigieuse.

SUR LES DEPENS

260. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Dans l'affaire C-68-94, il y a lieu, dès lors, de condamner la Commission à supporter les dépens. Dans l'affaire C-30-95, il y a également lieu de condamner la Commission aux dépens, la Société commerciale des potasses et de l'azote (SCPA) et l'Entreprise minière et chimique (EMC) ayant eu, en substance, gain de cause. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, dernier alinéa, du règlement de procédure, qui prévoit que la Cour peut décider qu'une partie intervenante supportera ses propres dépens, Kali und Salz GmbH et Kali und Salz Beteiligungs-AG supporteront leurs propres dépens.

261. Aux termes de l'article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, les gouvernements intervenus dans les présentes affaires supporteront chacun leurs propres dépens.

Par ces motifs, LA COUR déclare et arrête:

1) La décision 94-449-CE de la Commission, du 14 décembre 1993, relative à une procédure d'application du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil (Affaire n° IV-M.308 - Kali + Salz/MdK/Treuhand), est annulée.

2) Dans l'affaire C-68-94, la Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

3) Dans l'affaire C-30-95, la Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens. Kali und Salz GmbH et Kali und Salz Beteiligungs-AG supporteront leurs propres dépens.

4) La République fédérale d'Allemagne, partie intervenante dans l'affaire C-68-94, et la République française, partie intervenante dans l'affaire C-30-95, supporteront leurs propres dépens.