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Décisions

Cass. com., 18 novembre 1997, n° 95-21.846

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Brasserie de Saint-Omer (SA)

Défendeur :

de Toni (Époux), Quéguiner (Époux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Huglo

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

SCP Nicola, de Lanouvelle, Me Hémery

T. com. Rouen, du 23 juill. 1993

23 juillet 1993

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 12 octobre 1995), que les époux Quéguiner ont conclu avec la société Brasserie Semeuse, aux droits de laquelle se trouve la société Brasserie de Saint-Omer, un contrat d'approvisionnement exclusif de bières pour l'exploitation d'un fonds de commerce de café à Rouen ; qu'en 1989, les époux Quéguiner ont cédé leur fonds de commerce aux époux de Toni ; que ceux-ci n'ayant pas poursuivi l'exécution de la clause d'approvisionnement exclusif, la société Brasserie de Saint-Omer a assigné les époux Quéguiner et les époux de Toni devant le tribunal de commerce de Rouen en paiement de l'indemnité contractuellement prévue ; que les défendeurs ont soulevé la nullité de la clause d'approvisionnement exclusif ;

Sur le premier moyen : - Vu les articles 1134 et 1135 du Code civil ; - Attendu que la clause d'un contrat d'approvisionnement exclusif faisant référence au tarif en vigueur au jour des commandes d'approvisionnement à intervenir n'affecte pas la validité du contrat, l'abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu'à résiliation ou indemnisation ;

Attendu que, pour déclarer nulle la clause d'approvisionnement exclusif, l'arrêt retient que, bien que la clause ait prévu la détermination du prix par un tiers choisi d'un commun accord entre les parties et, à défaut d'accord, désigné par le président du Tribunal de grande instance de Lille statuant en référé, les conditions contractuelles de mise en œuvre de cette procédure, en elle-même génératrice de " lourdeur et de coût ", ne pouvaient que dissuader les cocontractants du brasseur d'y recourir, compte tenu de la nécessité de saisir un juge éloigné de leur domicile avec une procédure de représentation obligatoire et de l'incertitude sur la charge des frais de procédure et d'expertise et que, dès lors, le mécanisme prévu abandonne l'une des parties aux prix unilatéralement fixés par l'autre ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés;

Et sur le second moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 85, 1, du Traité instituant la Communauté européenne ; - Attendu que, pour constater que le contrat d'approvisionnement exclusif était contraire à l'article 85 du Traité susvisé, l'arrêt retient que l'effet cumulatif de contrats de cette nature conclus avec d'autres détaillants était, compte tenu de la nature des produits et de l'importance de la société Brasserie de Saint-Omer, à même d'affecter le commerce entre Etats membres ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher concrètement, ainsi que la Cour de justice des Communautés européennes l'a dit pour droit dans l'arrêt du 28 février 1991 (Delimitis), si le marché national de la distribution de bière dans des débits de boissons est difficilement accessible pour des concurrents qui pourraient s'implanter sur ce marché ou qui pourraient y élargir leur part de marché et si le contrat litigieux contribue de manière significative à l'effet de blocage produit par l'ensemble de ces contrats, compte tenu de leur contexte économique et juridique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 2-3-b) du règlement d'exemption de la Commission n° 1984/83 du 22 juin 1983 ; - Attendu que, pour décider que le contrat litigieux ne pouvait pas bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement susvisé, l'arrêt retient que la disproportion entre les quantités de bière à écouler et la capacité de l'établissement ne pouvait, dans la pratique, qu'entraîner l'obligation, pour les gérants du fonds, de poursuivre l'exclusivité d'approvisionnement au-delà des dix années contractuellement prévues ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de l'article 2-3-b) du règlement d'exemption susvisé que l'obligation d'acheter des quantités minimales des produits faisant l'objet de l'obligation d'achat exclusif ne fait pas obstacle au bénéfice de l'exemption et qu'elle constatait que le contrat litigieux prévoyait que l'obligation d'achat exclusif était d'une durée de dix années, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du second moyen, casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 octobre 1995, entre les parties, par la Cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.