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Décisions

CCE, 30 juillet 1997, n° 98-182

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Aides octroyées par la région Frioul-Vénétie Julienne (Italie) aux entreprises de transport routier de marchandises de la région

CCE n° 98-182

30 juillet 1997

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 93, paragraphe 2, premier alinéa, après avoir mis les intéressés en demeure (1) de présenter leurs observations, conformément audit article, considérant ce qui suit:

I

La Commission a eu connaissance de l'existence de la loi n° 4 du 7 janvier 1985 de la région italienne Frioul-Vénétie Julienne (ci-après dénommée "loi n° 4/85") dans le cadre d'un autre dossier d'aides d'Etat. Le régime d'aides prévu par cette loi n'ayant jamais été notifié à la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité, il a été considéré comme une aide non notifiée.

Le 29 septembre 1995, la Commission a envoyé aux autorités italiennes une demande de renseignements complémentaires. Par télécopie du 27 octobre 1995, les autorités italiennes ont sollicité une prolongation du délai de réponse à ladite lettre, qui a été acceptée par la Commission le 9 novembre 1995. La réponse est arrivée hors délai par deux lettres du 10 janvier 1996, enregistrées à la direction générale "Transports" le 11 janvier 1996. Toutefois, ces lettres ne contenaient que des informations incomplètes sur le régime d'aides instauré par la loi n° 4/85.

A la suite d'une lettre du 30 mai 1996 des autorités italiennes, la Commission, par lettre du 19 juin 1996, leur a rappelé que des informations demandées par la lettre du 29 septembre 1995 étaient toujours manquantes, en particulier, le texte de la loi n° 4/85. Le 18 juillet 1996, une réunion a eu lieu à Bruxelles entre la Commission et les autorités italiennes, lors de laquelle le texte de la loi n° 4/85 a été finalement transmis. Le 18 novembre 1996, la Commission a reçu des informations complémentaires au sujet d'une autre aide, mais concernant aussi l'aide en cause.

Le 13 février 1997, une réunion a eu lieu entre les autorités italiennes et la Commission, lors de laquelle les premières ont à nouveau évoqué les problèmes particuliers auxquels doivent faire face les transporteurs de la région Frioul-Vénétie Julienne. Elles ont aussi présenté le projet de restructuration du transport routier dans la région, dont les lignes directrices étaient déjà contenues dans le rapport envoyé en novembre 1996.

Par lettre du 14 février 1997, la Commission a informé le gouvernement italien de sa décision d'ouvrir la procédure à l'encontre du régime d'aides en faveur des entreprises de transport routier de marchandises pour compte d'autrui de la région Frioul-Vénétie Julienne. La Commission a invité les autorités italiennes à se prononcer sur cette décision et elle en a informé les autres Etats membres et les intéressés, par publication de la lettre au Journal officiel des Communautés européennes (2).

Les autorités italiennes ont présenté leurs observations par lettre du 27 mars 1997, enregistrée à la Commission le 3 avril 1997. Celle-ci n'a pas reçu d'observations de tiers intéressés.

II

La loi n° 4/85 remplace le régime institué en 1981 par la loi régionale n° 28/81, mais la plupart des données dont dispose la Commission correspondent à la loi de 1985. Les deux régimes d'aides, dont l'objectif est de favoriser le développement du secteur du transport routier de marchandises pour compte d'autrui dans la région Frioul-Vénétie Julienne, prévoient les trois mesures suivantes:

L'article 4 prévoit une réduction d'intérêts allant jusqu'à 60 % (et 70 % dans le cas des entreprises associées) sur des opérations de prêt pour une période inférieure à dix ans ayant pour objet la réalisation d'infrastructures de l'entreprise, c'est-à-dire des locaux nécessaires à l'activité de l'entreprise pour l'entreposage, le stockage et la manipulation des marchandises, ainsi que des équipements fixes et mobiles de l'entreprise.

Selon le rapport des autorités italiennes du 18 novembre 1996, le budget prévu pour la période 1985-1995 aurait été de 13 000 millions de lires italiennes (6,7 millions d'écus) et 155 demandes auraient été retenues, l'intensité moyenne des subventions effectivement octroyées ayant été de 13 à 26 % du coût total des prêts et des intérêts. Le budget prévu par le régime d'aides précédent pour la période 1981-1985 aurait été de 930 millions de lires italiennes (0,4 million d'écus) et 14 demandes auraient été acceptées.

L'article 5 prévoit le financement du coût des opérations de leasing portant sur des véhicules neufs ou de la technologie informatique, pour une période de trois ou cinq ans, jusqu'à 25 % du prix d'acquisition des biens (30 % dans le cas des coopératives et des consortiums). La loi régionale n° 3/88 a ensuite fixé le pourcentage maximal à 20 % pour tous les bénéficiaires, puis la loi régionale n° 2/89 l'a réduit à 15 %.

D'après le rapport des autorités italiennes de novembre 1996, le budget prévu pour cette mesure aurait été de 23 300 millions de lires italiennes (11,8 millions d'écus) pour la période 1985-1995, durant laquelle un total de 1 691 demandes aurait été retenu, la moyenne de financement ayant été de l'ordre de 19 %. En 1993, 83 demandes ont été retenues et le pourcentage de financement a été limité à 10 %. Dans le cadre du régime précédent, 5 790 millions de lires italiennes (2,9 millions d'écus) auraient été octroyés pour un total de 305 demandes retenues.

L'article 6 de la loi n° 4/85 prévoit un financement allant jusqu'à 50 % des coûts supportés pour la gestion et la rénovation des équipements fixes et mobiles des entreprises sous forme de coopératives ou de consortiums. L'investissement objet de l'aide doit être destiné à favoriser la construction ou l'acquisition des installations et des équipements nécessaires à la réalisation des buts de la coopérative ou du consortium, ou contribuer à la gestion et au développement des services communs de garage, d'entretien et de réparation des véhicules, ainsi que des installations et équipements correspondants. Selon les informations sommaires reçues des autorités italiennes, les financements ont été octroyés pour des investissements dans des sièges sociaux, ainsi que dans des parkings pour le matériel roulant, des bureaux, des caisses mobiles et des entrepôts pour le stockage des marchandises.

A la suite de l'ouverture de la procédure, les autorités italiennes ont signalé que, dans le cadre de l'article 6 de la loi n° 4/85, il a été accordé des aides aux investissements portant sur des éléments de transport combiné. D'après ces informations, entre 10 et 15 % du total des subventions accordées sur la base du régime en cause auraient été destinés à l'achat de caisses mobiles et des installations d'accrochage correspondantes sur des véhicules et semi-remorques à usage intermodal.

Selon le rapport mentionné ci-dessus, le budget engagé aurait été de 1 074 millions de lires italiennes (0,5 million d'écus) pour la période 1985-1995 et 14 demandes auraient été retenues, pour un financement moyen de 32 %. En ce qui concerne le régime instauré par la loi n° 28/81, le budget aurait été de 480 millions de lires italiennes (0,2 million d'écus) pour un total de 23 demandes retenues.

Les autorités italiennes ont souligné à plusieurs reprises que, s'il existait effectivement des budgets prévus jusqu'à 2004 en ce qui concerne le financement des intérêts et jusqu'à 1999 pour ce qui est des opérations de leasing, l'octroi des subventions a été suspendu en 1995 à la suite des remarques faites par la Commission à propos du régime d'aides instauré par ladite loi.

Les bénéficiaires des aides sont les entreprises, les coopératives et les entreprises associées sous forme de coopératives ou de consortiums qui réalisent des activités de transport de marchandises pour compte d'autrui et sont inscrites au registre local ("albo provinciale") des transporteurs du Frioul-Vénétie Julienne et au registre de la chambre de commerce, d'industrie, d'artisanat et d'agriculture de la région. Pour ce qui est de la mesure prévue à l'article 6 de la loi n° 4/85, les bénéficiaires sont les entreprises de transport sous forme de coopératives ou de consortiums qui ont leur siège social dans la région, ainsi que les éventuelles entreprises adhérentes ayant leur siège social en dehors du territoire régional, pour autant qu'elles n'excèdent pas 20 % des associés.

Il y a eu 2 202 demandes retenues depuis 1981, la plupart d'entre elles (plus de 80 % selon les autorités italiennes) correspondant à des micro-entreprises avec un seul véhicule qui ne font que du transport local ou régional.

III

Le cabotage de transport routier de marchandises a été fermé à la concurrence communautaire jusqu'au 1er juillet 1990, date d'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 4059-89 du Conseil du 21 décembre 1989 fixant les conditions de l'admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un Etat membre (3), lequel a introduit les contingents de cabotage, l'Italie disposant de 1 767 autorisations.

Ce règlement a été remplacé par le règlement (CEE) n° 3118-93 du Conseil (4), actuellement en vigueur, qui fixe au 1er juillet 1998 la libéralisation complète du cabotage et établit, à partir du 1er janvier 1994, une période transitoire avec une augmentation annuelle de 30 % sur un nombre initial de 30 000 autorisations communautaires.

Par ailleurs, entre 1990 et 1993, 14 % du cabotage routier communautaire, en tonnes par kilomètre, était réalisé en Italie, ce qui plaçait ce pays en deuxième position parmi les Etats membres les plus intéressants pour les transporteurs communautaires.

En ce qui concerne le transport routier international de marchandises, l'accès à ce marché s'est ouvert à la concurrence communautaire à partir de 1969, date d'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 1018-68 du Conseil du 19 juillet 1968 relatif à la constitution d'un contingent communautaire pour les transports de marchandises par route effectués entre Etats membres (5), même s'il existait déjà auparavant des accords bilatéraux entre les Etats membres. L'accès au transport international a été soumis à des contingents communautaires jusqu'à l'adoption du règlement (CEE) n° 881*-92 du Conseil du 26 mars 1992 concernant l'accès au marché des transports de marchandises par route dans la Communauté exécutés au départ ou à destination du territoire d'un Etat membre, ou traversant le territoire d'un ou de plusieurs Etats membres (6). Le marché se trouve donc complètement ouvert à la concurrence depuis le 1er janvier 1993.

En ce qui concerne le transport routier de marchandises de la région Frioul-Vénétie Julienne, d'après le rapport envoyé à la Commission le 18 novembre 1996, il existe environ 31 700 entreprises qui exercent leurs activités pour compte propre, contre seulement 3 250 entreprises de transport pour compte d'autrui, qui représentent néanmoins 56 % de la capacité de charge globale de la région.

Les autorités italiennes ont fait valoir à la suite de l'ouverture de la procédure que, en 1993, la part de transport international exécutée par les transporteurs du Frioul-Vénétie Julienne par rapport au transport total effectué en Italie était de 4 % (ce chiffre est calculé en tonnes et il s'élève à 16 % s'il est calculé en tonnes par kilomètre). Le pourcentage de transport international fait au départ et à destination de la région ne représenterait que 5,4 % (en tonnes) du transport total de la région, y inclus le transport effectué par tous les transporteurs régionaux, nationaux et étrangers. Ce chiffre serait probablement supérieur sur la base des tonnes par kilomètre (7).

IV

L'article 92 du traité déclare incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. La notion d'aide requiert ainsi l'analyse de trois éléments fondamentaux: l'implication de ressources d'Etat, l'existence d'une distorsion de la concurrence et l'affectation des échanges.

V

La notion d'aide d'Etat se réfère aussi bien aux aides accordées par les autorités centrales que par les autorités régionales ou locales d'un Etat membre (8). Dans le cas d'espèce, l'article 1er des lois régionales n° 4/85 et n° 28/81 autorise expressément l'administration régionale à octroyer des financements aux entreprises de transport routier de marchandises, afin de promouvoir et développer la région Frioul-Vénétie Julienne. Il s'agit donc de ressources d'Etat au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

VI

La Commission a souligné lors de l'ouverture de la procédure que le régime d'aides en cause est susceptible de produire une distorsion de concurrence car il vise à améliorer la position concurrentielle des entreprises de transport routier de marchandises pour compte d'autrui établies dans la région Frioul-Vénétie Julienne en réduisant pour elles les coûts normaux de l'activité, lesquels continueraient à être supportés par les entreprises concurrentes pour compte propre et pour compte d'autrui en dehors de la région.

Dans la lettre du 27 mars 1997, les autorités italiennes ont souligné les énormes dépenses auxquelles les transporteurs de la région ont dû faire face pour adapter leur parc aux exigences imposées par l'Autriche voisine en matière de protection de l'environnement, ce qui aurait grandement favorisé les transporteurs de ce pays, en particulier par rapport à ceux de la région limitrophe Frioul-Vénétie Julienne. Elles ont par ailleurs fait référence à la situation de privilège des transporteurs autrichiens par rapport aux transporteurs italiens en général, et à ceux du Frioul-Vénétie Julienne en particulier, du fait que l'Autriche a pu octroyer des aides d'Etat considérables et sans aucune condition à ses entreprises de transport jusqu'en 1994, avant son adhésion à l'Union européenne, ce qui aurait entraîné un déséquilibre du marché en leur faveur.

Il convient toutefois d'observer, à cet égard, que l'Autriche, en tant que membe de l'Espace économique européen (EEE), était soumise depuis 1994 aux règles communautaires en matière d'aides d'Etat, telles que transposées dans l'accord EEE, et qu'il existait auparavant des accords conclus entre les pays membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE) et la Communauté qui prévoyaient déjà des normes dans ce domaine depuis 1972.

En ce qui concerne la législation autrichienne, d'après les informations transmises par les autorités italiennes, il s'agirait du système de droits de transit fondé sur les "écopoints" mis en place en vertu de l'accord conclu le 2 mai 1992 entre la Communauté européenne et la République d'Autriche en matière de transit de marchandises par rail et par route. Il ne s'agit donc pas d'une réglementation unilatérale imposée par l'Autriche, mais d'un accord approuvé par la décision 92-577-CEE du Conseil du 27 novembre 1992 concernant la conclusion de l'accord entre la Communauté économique européenne et la République d'Autriche en matière de transit de marchandises par rail et par route (9) et ayant des répercussions pour tous les Etats membres, l'Italie bénéficiant de certains avantages du fait de sa proximité avec l'Autriche.

Les autorités italiennes ont par ailleurs souligné la situation de désavantage dans laquelle se trouveraient les transporteurs de la région par rapport aux transporteurs de la Slovénie et de la Croatie, du fait que ces deux pays peuvent accéder librement au secteur des transports sans être soumis aux règles en matière d'aides d'Etat. Cette situation défavorable à la région Frioul-Vénétie Julienne justifierait, selon les autorités italiennes, la demande de pouvoir maintenir une forme d'aide à court terme sous peine que le secteur subisse une perte totale de compétitivité. Les autorités italiennes semblent donc considérer que les financements ne seraient pas des aides mais des compensations pour les désavantages en question.

Toutefois, la Cour de justice a confirmé dans sa jurisprudence [voir en particulier l'arrêt du 10 décembre 1969, affaires jointes 6 et 11/69, Commission contre France (10)] que des disparités législatives provoquant des distorsions de concurrence ne sauraient justifier des aides d'Etat compensatoires.

La Commission considère que, à supposer qu'il existe des distorsions dues à des facteurs extérieurs, tous les transporteurs communautaires seraient à égalité face à celles-ci, et donc, qu'elles ne sauraient justifier l'introduction d'un régime d'aides produisant des distorsions de concurrence entre transporteurs à l'intérieur de la Communauté. Au reste, les conditions de concurrence actuelles pour les transports effectués en Italie par des entreprises croates et slovènes dérivent des accords bilatéraux conclus entre l'Etat italien et ces deux pays tiers, ainsi que des contrôles effectifs du respect de ces accords.

La Commission considère que l'aide profite dès lors aux opérateurs d'un secteur particulier, le transport routier de marchandises pour compte d'autrui, et à une région particulière, en réduisant les coûts normaux des entreprises, ce qui entraîne une distorsion de la concurrence.

VII

Par ailleurs, les transporteurs routiers de marchandises pour compte d'autrui de la région Frioul-Vénétie Julienne sont en concurrence aussi bien avec les transporteurs pour compte d'autrui du reste de l'Italie et d'autres pays qu'avec les transporteurs pour compte propre.

Les autorités italiennes ont invoqué l'application de la règle de minimis car les montants des subventions sont assez réduits. Or, il faut rappeler que l'encadrement communautaire des aides aux petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que la règle de minimis n'ont été adoptés qu'en 1992 (11), puis modifiés en 1996 (12), et que ces normes ne sont pas applicables au secteur des transports, conformément au point 2.2 dudit encadrement, étant donné qu'il existe des normes spéciales en matière de concurrence dans ce domaine.

Il faut faire une distinction entre les entreprises faisant exclusivement du transport national, régional ou local et celles faisant du transport international.

En ce qui concerne les premières, elles sont en concurrence avec le reste des transporteurs italiens et avec les transporteurs communautaires faisant du cabotage en Italie.

Il faut néanmoins tenir compte du fait que, jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 4059-89, le marché national du transport routier n'était pas ouvert à la concurrence communautaire, comme indiqué ci-dessus. Etant donné cette absence de concurrence communautaire, l'octroi d'aides aux entreprises faisant exclusivement du transport national, régional ou local n'a pas pu affecter les échanges intra-communautaires.

La Commission considère, dès lors, que les subventions octroyées entre 1981 et le 1er juillet 1990 sur la base des lois régionales n° 28/81 et n° 4/85 aux entreprises de transport du Frioul-Vénétie Julienne faisant exclusivement du transport national, régional ou local ne constituent pas des aides d'Etat au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

En revanche, les aides octroyées à partir de l'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 4059-89, c'est-à-dire à partir du 1er juillet 1990, aux entreprises de transport routier de marchandises pour compte d'autrui de la région Frioul-Vénétie Julienne sont à considérer comme des aides d'Etat au sens de l'article 92 du traité, car elles étaient susceptibles d'affecter les échanges entre Etats membres.

A la suite de l'ouverture de la procédure, les autorités italiennes ont fait valoir que plus de 80 % des bénéficiaires seraient des micro-entreprises avec un seul véhicule et faisant exclusivement du transport local. La Commission considère néanmoins que le caractère local de l'activité ne constitue pas un critère permettant d'exclure une affectation des échanges, vu la possibilité d'accès au cabotage, même si celui-ci est contingenté.

En ce qui concerne les entreprises de la région Frioul-Vénétie Julienne qui font du transport international, elles sont, depuis 1969, en concurrence avec d'autres entreprises italiennes qui réalisent aussi cette activité.

Selon les autorités italiennes, les transporteurs de la région ne sont que très faiblement impliqués dans le transport international, ce qui permettrait d'affirmer que la concurrence des transporteurs régionaux en matière de transport international est peu significative. Néanmoins, la Commission considère que le caractère limité de la concurrence ne saurait exclure l'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité dans le secteur du transport routier.

Dès lors que la position des entreprises d'un secteur particulier participant aux échanges entre Etats membres se trouve renforcée, ces échanges doivent être considérés comme affectés au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. L'aide prévue par les lois n° 4/85 et n° 28/81 renforce la position financière et, partant, les possibilités d'action des entreprises de transport routier de marchandises pour compte d'autrui de la région Frioul-Vénétie Julienne par rapport à leurs concurrents depuis le 1er juillet 1990 pour les entreprises faisant du transport national et depuis 1969 pour celles faisant du transport international, et peut, de ce fait, avoir une incidence sur les échanges entre Etats membres.

VIII

Certaines des mesures financières en faveur du secteur du transport routier de marchandises pour compte d'autrui constituant donc une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, il convient d'examiner si elles peuvent bénéficier des dérogations prévues aux articles 77, 92 et 93 du traité.

L'article 3, paragraphe 1, point d), du règlement (CEE) n° 1107-70 du Conseil du 4 juin 1970 relatif aux aides accordées dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (13), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 543-97 (14), autorise "jusqu'à l'entrée en vigueur des réglementations communautaires relatives à l'accès au marché des transports, les aides qui sont accordées à titre exceptionnel et temporaire afin d'éliminer, dans le cadre d'un plan d'assainissement, une surcapacité entraînant de graves difficultés structurelles et de contribuer ainsi à mieux répondre aux besoins du marché des transports".

Les autorités italiennes ont souligné dans leur réponse à l'ouverture de la procédure que, dans la région Frioul-Vénétie Julienne, il n'existe pas une surcapacité dans le secteur mais qu'il y a au contraire un sous-dimensionnement du parc de véhicules d'environ 20 % par rapport aux besoins réels, c'est-à-dire une exploitation excessive des moyens et du personnel existant dans la région, ce qui aurait des répercussions négatives en termes de sécurité.

La Commission considère donc que l'aide en cause ne saurait être couverte par l'exemption de l'article 3, paragraphe 1, point d), du règlement susmentionné, étant donné que l'aide ne s'inscrit dans aucun plan d'assainissement du secteur en question au sens de cet article et qu'elle ne répond pas à une surcapacité du secteur, de sorte que les conditions pour l'application de cette disposition ne sont pas remplies.

Les autorités italiennes ont fait valoir dans leur réponse à l'ouverture de la procédure que le parc de véhicules de la région est très ancien, ce qui aurait des conséquences très négatives en termes de pollution atmosphérique, de bruit et de sécurité. Il faudrait donc un effort financier pour sa rénovation, qui serait difficile à assumer par les opérateurs du secteur. Elles ont par ailleurs soutenu que l'octroi d'aides pour le renouvellement du parc de véhicules ne semble pas avoir été refusé par la Commission dans le passé, comme il ressort de la réponse à la question parlementaire n° E-1883-96.

La Commission considère que les subventions au leasing et matériel roulant constituent des aides difficilement compatibles avec le Marché commun du fait, notamment, qu'elles entraînent une augmentation de la capacité, contrairement à ce que prévoit l'article 3, paragraphe 1, point d), du règlement (CEE) n° 1107-70. Par ailleurs, la réponse de la Commission à la question parlementaire mentionnée par les autorités italiennes se limite à signaler que de telles aides devraient être soumises à l'approbation de la Commission conformément à l'article 93 du traité, ce qui n'implique en aucun cas une position favorable de la Commission vis-à-vis des aides à la rénovation des véhicules.

Comme indiqué ci-dessus, une partie des subventions (entre 10 et 15 %) aurait été destinée au financement de matériel de transport combiné. Pour autant que de telles aides soient temporaires et visent à faciliter le développement du transport combiné, elles sont exemptées en vertu du règlement (CEE) n° 1107-70, tel que modifié par les règlements (CEE) n° 1658/82 (15) et (CEE) n° 1100-89 (16), pour ce qui est des aides octroyées jusqu'au 31 décembre 1992, et en vertu du règlement (CEE) n° 1107-70, tel que modifié par les règlements (CEE) n° 3578-92 (17) et (CE) n° 543-97, en ce qui concerne les aides octroyées par la suite, lorsqu'elles concernent des investissements en matériels de transport spécifiquement adaptés aux transports combinés et utilisés seulement en transport combiné.

Les aides au transport combiné dans le cadre du régime prévu par les lois n° 28-81 et n° 4-85 ont été destinées à l'achat de caisses mobiles et d'installations d'accrochage correspondantes sur des véhicules et semi-remorques à usage intermodal. Ces aides remplissent donc les conditions des exemptions visées ci-dessus visant à favoriser le développement du transport combiné.

La Commission considère dès lors qu'elles peuvent bénéficier jusqu'au 31 décembre 1997 de l'exemption prévue à l'article 3, paragraphe 1, point e), du règlement (CEE) n° 1107-70.

En ce qui concerne les exemptions prévues à l'article 92, paragraphe 2, points a) et b), et paragraphe 3, points b) et d) du traité, la Commission considère qu'elles ne sont pas applicables au cas d'espèce car l'aide en cause ne constitue pas une aide à caractère social octroyée à des consommateurs individuels, n'est pas destinée à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou d'autres événements extraordinaires, ne porte pas sur un projet d'intérêt européen et n'est pas non plus destinée à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine.

L'article 92, paragraphe 3, points a) et c), du traité comporte une exemption en faveur des aides destinées à favoriser le développement économique de certaines régions. Les autorités italiennes ont fait valoir dans leur réponse à l'ouverture de la procédure que les deux tiers du territoire régional font partie des zones de déclin industriel (objectif n° 2) et défavorisées [objectif n° 5 b)].

Cependant, d'une part, l'aide prévue ne s'inscrit pas dans un plan de développement régional touchant tous les secteurs de l'économie de la région, mais il s'agit d'une mesure à caractère sectoriel qui ne concerne que le secteur du transport routier de marchandises pour compte d'autrui de la région Frioul-Vénétie Julienne et, d'autre part, tout le territoire de la région ne fait pas partie des régions pouvant bénéficier des exemptions. La Commission considère dès lors que l'exemption de l'article 92, paragraphe 3, points a) et c), du traité n'est pas applicable en l'espèce.

L'exemption prévue à l'article 92, paragraphe 3, point c), du traité s'applique aux aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques lorsqu'elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Néanmoins, en ce qui concerne les aides au leasing de matériel roulant telles que décrites à l'article 5 de la loi n° 4-85, il s'agit d'aides au fonctionnement, lesquelles, d'après l'arrêt du Tribunal de première instance du 8 juin 1995 dans l'affaire T-459-93, Siemens SA contre Commission (18), sont les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu'elle-même aurait dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales et qui ne relèvent pas en principe du champ d'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité.

Par ailleurs, une telle exemption ne saurait être applicable au régime en cause dans la mesure où il s'agit de mesures qui ne s'accompagnent d'aucune action d'intérêt commun, telle qu'un plan de restructuration. Lorsque les autorités italiennes, dans leur réponse à l'ouverture de la procédure, font référence à la restructuration du secteur, elles se réfèrent au futur processus de restructuration et de rationalisation du secteur qu'elles envisagent de mettre en place dans la région à travers de nouveaux instruments législatifs d'aide.

Enfin, les autorités italiennes n'ont ni invoqué ni montré que les aides remplissent les conditions d'autres dérogations prévues par le traité ou par le règlement (CEE) n° 1107-70.

Eu égard à ce qui précède, la Commission considère que l'aide octroyée en vertu des lois n° 28-81 et n° 4-85 aux entreprises de transport routier de marchandises de la région Frioul-Vénétie Julienne faisant du transport national à partir du 1er juillet 1990, ainsi qu'à celles faisant du transport international, n'est pas compatible avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité.

IX

Conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité, l'aide aurait dû être notifiée à la Commission en temps utile. Le gouvernement italien ayant mis en œuvre le régime d'aides sans avoir rempli cette obligation de notification, celui-ci doit être considéré comme illégal.

Lors de l'ouverture de la procédure communiquée aux autorités italiennes par la lettre du 14 février 1997, la Commission a attiré leur attention sur la communication (19), rappelant aux Etats membres que toute aide octroyée illégalement est susceptible de faire l'objet d'une décision enjoignant à l'Etat membre de récupérer l'aide. Dans le cas d'espèce, la récupération est considérée comme nécessaire par la Commission en vue de rétablir les conditions de concurrence équitables existant avant l'octroi de l'aide,

A ARRÊTE LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

Les subventions octroyées au titre des lois n° 28/81 et n° 4/85 de la région Frioul-Vénétie Julienne (ci-après dénommées "subventions") jusqu'au 1er juillet 1990 aux entreprises faisant exclusivement du transport local, régional ou national ne constituent pas des aides d'Etat au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

Article 2

Les subventions non couvertes par l'article 1er de la présente décision constituent des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité et sont illégales car elles ont été mises en œuvre en violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité.

Article 3

Les subventions destinées au financement de matériels spécifiquement adaptés au transport combiné et utilisés seulement en transport combiné constituent des aides d'Etat au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, mais sont compatibles avec le Marché commun en vertu de l'article 3, paragraphe 1, point e), du règlement (CEE) n° 1107-70.

Article 4

Les subventions octroyées à partir du 1er juillet 1990 aux entreprises faisant du transport local, régional ou national et à celles faisant du transport international sont incompatibles avec le Marché commun car elles ne remplissent aucune des conditions requises pour les dérogations prévues à l'article 92, paragraphes 2 et 3, du traité, ni les conditions prévues par le règlement (CEE) n° 1107-70.

Article 5

L'Italie supprime et récupère l'aide visée à l'article 4. L'aide est remboursée selon les dispositions de droit interne, majorée des intérêts calculés en appliquant les taux de référence utilisés pour l'évaluation des régimes d'aides régionaux, qui courent à compter du jour où l'aide a été versée jusqu'à la date du remboursement effectif.

Article 6

L'Italie informe la Commission dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision des mesures prises pour s'y conformer.

Article 7

La République italienne est destinataire de la présente décision.

(1) JO C 98 du 26.3.1997, p. 16.

(2) JO C 98 du 26.3.1997, p. 16.

(3) JO L. 390 du 30.12.1989, p. 3.

(4) JO L. 279 du 12.11.1993, p. 1.

(5) JO L. 175 du 23.7.1968, p. 13.

(6) JO L. 95 du 9.4.1992, p. 1.

(7) Données tirées de l'article "L'activité du transport routier de marchandises en 1993" publié dans la revue trimestrielle "Sistemi di Trasporto" de juillet-septembre 1995.

(8) Arrêt de la Cour de justice du 14 novembre 1984 dans l'affaire C-323/82, Intermills contre Commission, Rec. 1984, p. 3809, et arrêt du 14 octobre 1987 dans l'affaire C-284/84, Allemagne contre Commission, Rec. 1987, p. 4013.

(9) JO L. 373 du 21.12.1992, p. 4.

(10) Rec. 1969, p. 523.

(11) JO C 213 du 19.8.1992, p. 2.

(12) JO C 213 du 23.7.1996, p. 4 et JO C 68 du 6.3.1996, p. 9.

(13) JO L. 130 du 15.6.1970, p. 1.

(14) JO L. 84 du 26.3.1997, p. 6.

(15) JO L. 184 du 29.6.1982, p. 1.

(16) JO L. 116 du 28.4.1989, p. 24.

(17) JO L. 364 du 12.12.1992, p. 11.

(18) Rec. 1995, p. II-1679.

(19) JO C 318 du 24.11.1983, p. 3.