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Décisions

CJCE, 17 juillet 1997, n° C-242/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

GT-Link A/S

Défendeur :

De Danske Statsbaner

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mancini

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Murray, Kapteyn

Avocats :

Mes Torbol, Lett, Rubach-Larsen.

CJCE n° C-242/95

17 juillet 1997

LA COUR,

1. Par ordonnance du 30 juin 1995, parvenue à la Cour le 11 juillet suivant, l'Ostre Landsret a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 9 à 13, 84, 86, 90 et 95 du traité CEE.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant GT-Link A/S (ci-après "GT-Link"), une société par actions danoise, qui assure des services de ferry, depuis 1987, entre Gedser (Danemark) et Travemünde (ancienne Allemagne de l'Ouest) et, depuis 1990, entre Gedser et Rostock (ancienne Allemagne de l'Est), à De Danske Statsbaner, la société nationale des chemins de fer danois (ci-après "DSB"), au sujet de la perception par cette dernière, à charge de GT-Link, de taxes portuaires dues pour l'utilisation du port de Gedser, dont DSB est propriétaire. DSB, qui appartient à l'Etat danois, assume également, à côté des transports ferroviaires, des services de ferry à partir des ports qui lui appartiennent, dont celui de Gedser.

3. Au Danemark, l'autorisation de créer un port de commerce, c'est-à-dire un port utilisé pour le transport commercial de marchandises, de véhicules et de personnes, est accordée par le ministre des Transports. Selon le système de propriété et de contrôle, une distinction peut être opérée entre les ports sous contrôle communal, qui sont des entités administratives autonomes relevant de la commune, le port de Copenhague, qui bénéficie d'un régime juridique particulier, les ports d'Etat, qui relèvent soit du ministère des Transports, soit de DSB, et les ports privés, qui sont exploités par leurs propriétaires conformément aux conditions fixées dans l'autorisation correspondante.

4. Une partie des ressources des ports provient des taxes que versent les usagers pour leur utilisation. C'est ainsi que des taxes sur des navires et sur des marchandises doivent être payées pour l'entrée dans le port, ainsi que pour l'embarquement et le débarquement de marchandises, de véhicules ou de personnes. Des taxes spéciales sont exigées pour l'utilisation de grues, d'entrepôts ou d'emplacements.

5. Sous l'empire de la loi n° 239, du 12 mai 1976, sur les ports de commerce (Lovtidende A de 1976, p. 587, ci-après la "loi de 1976"), applicable jusqu'au 31 décembre 1990, il incombait au ministre compétent, désormais le ministre des Transports, de fixer les taux des taxes sur les navires et les marchandises après les avoir négociés avec la direction des ports de commerce. Selon la pratique ministérielle, les taux des taxes étaient calculés sur la base de la situation économique des 22 ports de commerce provinciaux les plus importants en termes de volume de trafic commercial et étaient fixés de manière à permettre aux ports de couvrir leurs dépenses de fonctionnement et d'entretien ainsi que d'assurer, dans une mesure raisonnable, l'autofinancement des extensions et des modernisations nécessaires.

6. Les taxes sur les navires et sur les marchandises étaient reprises dans un règlement pour chaque port, qui était établi conformément à un règlement commun élaboré par le ministre compétent pour l'ensemble des ports de commerce.

7. En vertu de la réglementation applicable au moment des faits au principal, la taxe sur les navires était due pour tous les navires et embarcations ainsi que pour tout matériel flottant séjournant dans le port ou dans le chenal aménagé pour l'accès au port. Elle était calculée selon un montant fixe par tonne de port en lourd (TPL) ou tonne brute (TB) soit pour chaque entrée au port, soit sous la forme d'une taxe mensuelle. Les navires de moins de 100 TPL/TB étaient exonérés du paiement de la taxe sur les navires.

8. La taxe sur les marchandises était due pour toutes les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans le port ou les chenaux aménagés vers le port. Elle représentait un certain montant par tonne. Des exonérations ou tarifs spéciaux étaient prévus pour certaines marchandises. Aux termes de cette réglementation, la taxe sur les marchandises devait être payée par le navire ou son agent local avant l'appareillage, mais était respectivement due par le destinataire et l'expéditeur des marchandises, sur lesquels elle pouvait être répercutée.

9. Au cours de la période pertinente dans l'affaire au principal, la taxe sur les marchandises perçue sur les marchandises importées de l'étranger était majorée de 40 %. Il résulte de l'ordonnance de renvoi que ce supplément à l'importation de 40 % a été introduit dans le cadre d'un ajustement général du niveau des tarifs des ports entrepris en 1956 sur la base d'un rapport de la commission des tarifs des ports et ponts constituée en 1954 par le ministère des Travaux publics.

10. Selon cette commission, l'augmentation jugée nécessaire des tarifs devait concerner les taxes tant sur les marchandises que sur les navires, mais devait "être effectuée de telle sorte que son objectif - l'augmentation des revenus des ports - ne soit pas compromis par une perte totale ou partielle du trafic des ports, la marchandise venant à être expédiée par route ou par voie ferrée". Aussi la commission des tarifs des ports et ponts a-t-elle proposé, en ce qui concerne les taxes sur les marchandises, "de se concentrer sur le commerce extérieur, car la plus grande partie des marchandises qui viennent de l'extérieur ou sont exportées sont naturellement transportées par mer et qu'on peut donc dans une certaine mesure négliger le risque que ce trafic échappe aux ports pour la seule raison d'une augmentation de la taxe sur les marchandises". Ladite commission a en outre considéré que "le moyen le plus approprié d'obtenir le supplément de revenus par le biais des taxes sur les marchandises [était d'augmenter] ces taxes seulement en ce qui concerne les marchandises importées", étant donné que la taxe frappant les produits importés, par exemple les engrais et fourrages pour le secteur agricole et les matières premières pour le secteur industriel, serait moins élevée que celle frappant les produits finis et qu'une augmentation de la taxe sur les importations aurait, dès lors, une influence bien plus limitée sur les secteurs d'activité concernés qu'une augmentation des taxes sur les exportations. Enfin, le risque que le trafic interne pourrait échapper aux ports au profit du transport par voie terrestre a conduit la commission des tarifs des ports et ponts à proposer, d'une part, d'exonérer les petits bateaux de l'augmentation envisagée des taxes sur les navires et, d'autre part, de faire bénéficier les bateaux jusqu'à 100 tonnes des taux inférieurs accordés normalement aux bateaux de moins de 100 tonnes.

11. Le supplément à l'importation de 40 % a été supprimé par le ministre des Transports avec effet au 1er avril 1990.

12. En vertu de l'article 1er, paragraphe 3, de la loi de 1976, le ministre compétent pouvait décider d'exclure certains ports de l'application de la loi. C'est ce que le ministre a fait pour les ports appartenant à DSB, dont celui de Gedser. Toutefois, par règlement ministériel, ces ports étaient soumis à une réglementation analogue qui fixait les taxes portuaires au même niveau que les taxes valables pour les ports de commerce auxquels la loi était applicable.

13. En vertu de la réglementation applicable à l'époque des faits du litige au principal au port de Gedser et à celui de Rodby, appartenant également à DSB, la taxe sur les navires pour le trafic par ferry était constituée d'une taxe mensuelle par bateau de 830 öre par TPL/TB, qui donnait droit à un nombre illimité d'entrées au port au cours du mois concerné. Sous réserve de deux exceptions, la taxe sur les marchandises s'élevait à 940 öre par tonne.

14. Cette réglementation prévoyait que, pour les marchandises transportées dans des véhicules automobiles immatriculés sur des ferries exploités par GT-Link sur la ligne Gedser-Travemünde, la taxe sur les marchandises devait être versée à DSB, au profit du port de Gedser, sur la base d'un calcul hebdomadaire à produire par GT-Link. Elle prévoyait par ailleurs que les bateaux de DSB, y compris ceux qu'elle louait, étaient exonérés du paiement des taxes portuaires, qu'ils fussent utilisés comme bateaux de signalisation ou d'une autre manière. En outre, les bateaux qui appartenaient à la Deutsche Fahregesellschaft Ostsee mbH (DFO), filiale de la Deutsche Bahn (DB), la société nationale des chemins de fer allemands, étaient également exonérés du paiement des taxes portuaires, au même titre que ceux de DSB étaient exonérés du paiement desdites taxes dans les ports appartenant à la Deutsche Bahn.

15. Le droit de GT-Link d'utiliser le port de Gedser résultait d'un contrat conclu entre elle et DSB. Ce contrat prévoyait que GT-Link était redevable des taxes sur les navires et sur les marchandises envers le port, conformément à la réglementation en vigueur.

16. Par requête déposée le 27 septembre 1989 auprès de l'Ostre Landsret, GT-Link a demandé que DSB soit condamnée à lui rembourser, à titre principal, la somme de 30 396 000 DKR sur le montant total des taxes portuaires qu'elle avait payées entre le 18 février 1987 et le 31 décembre 1989 et, à titre subsidiaire, le montant du supplément à l'importation qu'elle avait payé au cours de la même période, soit la somme de 6 016 000 DKR.

17. A l'appui de ses conclusions principales, GT-Link a fait valoir que les taxes portuaires perçues par DSB étaient contraires à l'article 86 du traité. Elle a soutenu à cet égard que DSB, en tant qu'unique propriétaire des ports de Rodby et de Gedser, détient une position dominante sur le marché pertinent en l'espèce, à savoir celui des prestations de services portuaires en ce qui concerne les ferries destinés au trafic routier entre le Danemark et l'Allemagne, et qu'elle abuse de cette position dominante en percevant des taxes portuaires d'un montant déraisonnable, comme l'attesterait la comptabilité que GT-Link avait elle-même dû reconstituer puisque DSB n'avait pas produit les documents comptables pertinents relatifs à l'exploitation du port de Gedser. A l'appui de ses conclusions subsidiaires, GT-Link a fait valoir que le supplément à l'importation, représentant 40 % de la taxe sur les marchandises, était contraire soit aux articles 9 à 13, soit à l'article 95 du traité.

18. DSB a contesté l'incompatibilité des taxes portuaires qu'elle a perçues avec l'article 86 du traité. D'une part, elle ne détiendrait aucune position dominante sur le marché pertinent en l'espèce au principal, qui serait celui des terminaux de transports maritimes, terrestres et aériens entre l'Allemagne, d'un côté, et le Danemark et la Suède, de l'autre. D'autre part, GT-Link n'aurait pas réussi à démontrer que les taxes portuaires étaient d'un montant déraisonnable par rapport aux prestations fournies, la comptabilité reconstituée par ses soins reposant sur des bases incorrectes et négligeant notamment le fait que la perception des taxes portuaires permet au propriétaire d'un port de retirer des ressources suffisantes destinées non seulement à l'exploitation du port, mais également à la rénovation et au renouvellement des équipements portuaires. Enfin, le port de Gedser constituerait une entreprise relevant de l'article 90, paragraphe 2, du traité et les taxes portuaires perçues auraient été nécessaires pour que DSB puisse s'acquitter des tâches particulières qui lui auraient été confiées. S'agissant des conclusions subsidiaires de GT-Link, DSB a soutenu que les articles 9 à 13 ou 95 du traité ne sont pas pertinents, les taxes portuaires devant être appréciées au regard du chapitre du traité relatif aux transports. A titre subsidiaire, elle a contesté l'incompatibilité des taxes portuaires litigieuses avec les articles 9 à 13 ou 95 du traité.

19. C'est dans ces conditions que l'Ostre Landsret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Un supplément spécial de 40 % de la taxe générale perçue sur les marchandises, tel qu'il est décrit dans l'ordonnance de renvoi, pour l'utilisation de ports habilités par le ministère des Transports en tant que ports de commerce, doit-il être considéré comme relevant des règles du traité CEE relatives à l'union douanière, dont les articles 9 à 13, ou de l'article 95 de ce traité ?

2) Convient-il d'interpréter les règles du traité CEE relatives à l'union douanière, dont les articles 9 à 13, ou l'article 95, en ce sens qu'il est incompatible avec ces dispositions d'exiger un supplément spécial de 40 % de la taxe générale perçue sur les marchandises, lorsque ce supplément n'est exigé que pour les marchandises qui viennent de l'étranger ?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, dans quelles conditions une telle taxe peut-elle être justifiée par des considérations de rémunération d'un service, ou de politique des transports en application du chapitre du traité CEE relatif aux transports ?

4) Une éventuelle incompatibilité avec le traité CEE affecte-t-elle la totalité du supplément spécial perçu après l'adhésion d'un Etat au traité CEE, ou uniquement l'augmentation de ce supplément après cette date ?

5) Le droit communautaire impose-t-il des obligations particulières quant aux règles nationales relatives à la charge de la preuve que les conditions de l'article 86 du traité CEE sont réunies ?

6) A supposer qu'une entreprise publique qui est propriétaire d'un port de commerce ou le gère détient une position dominante, le fait que le port de commerce impose les taxes décrites ci-dessus, fixées par le ministre des Transports pour l'utilisation des ports de commerce publics et privés, pourrait-il constituer un abus de cette position contraire à l'article 86 du traité ?

7) En cas de réponse affirmative à la sixième question, les règles communautaires confèrent-elles aux personnes ou entreprises auxquelles la taxe a été imposée le droit de prétendre au remboursement ou à une indemnisation ?

8) A supposer qu'une entreprise publique qui est propriétaire d'un port de commerce ou le gère détient une position dominante, le fait que le port de commerce renonce à imposer les taxes portuaires décrites dans l'ordonnance de renvoi sur ses propres services de ferry ou ceux de ses partenaires commerciaux constitue-t-il un abus de cette position dominante contraire à l'article 86 du traité ?

9) En cas de réponse affirmative aux première, deuxième, quatrième, sixième et/ou huitième questions, les obligations et tâches particulières imposées à la défenderesse peuvent-elles avoir pour conséquence de légitimer son comportement en application de l'article 90, paragraphe 2, du traité ?"

Sur les quatre premières questions

20. Dans l'arrêt de ce même jour, Haahr Petroleum (C-90-94, non encore publié au Recueil), la Cour a dit pour droit, en réponse à des questions identiques aux quatre premières questions posées par la même juridiction nationale, que l'article 95 du traité s'oppose à l'imposition par un Etat membre d'un supplément à l'importation de 40 % dont est majorée, en cas d'importation de marchandises par bateau en provenance d'un autre Etat membre, la taxe générale sur les marchandises perçue sur les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports du premier Etat membre ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

21. Il convient dès lors de répondre également en ce sens aux quatre premières questions posées dans la présente affaire.

Sur la cinquième question

22. Par cette question, la juridiction nationale demande si le droit communautaire impose des obligations particulières quant aux règles nationales relatives à la charge de la preuve que les conditions d'application de l'article 86 du traité sont remplies.

23. A cet égard, il convient de relever d'abord que l'application de l'article 86 du traité par les autorités nationales est en principe régie par les règles de procédure nationales (arrêt du 10 novembre 1993, Otto, C-60-92, Rec. p. I-5683, point 14).

24. Il y a lieu de rappeler ensuite que, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire. Toutefois, ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (voir, notamment, arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312-93, Rec. p. I-4599, point 12, et jurisprudence citée).

25. En application de ces principes, la Cour a déjà constaté, en ce qui concerne le remboursement de taxes perçues par un Etat membre en violation du droit communautaire, que seraient incompatibles avec le droit communautaire toutes modalités de preuve dont l'effet est de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'obtention dudit remboursement (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199-82, Rec. p. 3595, point 14).

26. Ces mêmes principes s'appliquent également lorsqu'il s'agit de prouver la violation d'une disposition du droit communautaire qui, tel l'article 86 du traité, est susceptible de produire des effets directs.

27. En conséquence, il y a lieu de répondre à la cinquième question qu'il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de régler les modalités procédurales, y compris en matière de charge de la preuve, des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct de l'article 86 du traité, étant entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire.

Sur les sixième et huitième questions

28. Par ces deux questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction nationale demande en substance si le fait pour une entreprise publique en situation de position dominante, qui est propriétaire d'un port de commerce et qui le gère, de percevoir des taxes portuaires, telles celles en cause dans l'affaire au principal, ou de renoncer à imposer ces taxes sur ses propres services de ferry et, à titre de réciprocité, sur ceux de certains de ses partenaires commerciaux peut constituer un abus de cette position dominante contraire à l'article 86 du traité.

29. Afin de répondre à ces questions, il convient de relever, à titre liminaire, qu'il résulte de l'ordonnance de renvoi que DSB est une entreprise publique, qui relève du ministère des Transports danois et dont le budget est compris dans la loi de finances. Par ailleurs, DSB est propriétaire d'un certain nombre de ports de commerce, dont celui de Gedser, ports à partir desquels les propres ferries de DSB partent.

30. Il importe de rappeler également que, si les ports appartenant à DSB sont en principe exclus de l'application de la loi de 1976, en vertu d'une décision du ministre des Transports, c'est en vertu d'un règlement ministériel du même ministre que les taxes portuaires litigieuses ont été rendues applicables au port de Gedser et que les propres services de ferry de DSB et ceux de certains de ses partenaires commerciaux ont été exonérés du paiement de ces taxes.

31. Il y a lieu enfin de relever que dans leurs observations présentées tant devant la Cour que devant la juridiction nationale, telles qu'elles se trouvent résumées dans l'ordonnance de renvoi, les parties au principal ont débattu du caractère raisonnable ou déraisonnable du montant des taxes portuaires, tel qu'il avait été fixé par le ministère des Transports.

32. Dès lors, afin de donner une réponse utile à la juridiction nationale, il convient d'examiner la compatibilité des pratiques visées aux sixième et huitième questions également au regard de l'article 90, paragraphe 1, du traité, qui détermine les conditions que les États membres doivent respecter en ce qui concerne les mesures qu'ils édictent ou maintiennent à l'égard notamment des entreprises publiques.

33. Sur ce point, il convient de rappeler que la Cour a déjà eu l'occasion de constater que serait incompatible avec les règles du traité toute mesure d'un Etat membre qui maintiendrait en vigueur une disposition légale créant une situation dans laquelle une entreprise publique serait nécessairement amenée à contrevenir aux termes de l'article 86 du traité (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979, point 27).

34. En particulier, un Etat membre enfreindrait les interdictions contenues à l'article 90, paragraphe 1, du traité, en liaison avec celles de l'article 86, si, par l'adoption d'une réglementation en matière de taxes portuaires à payer pour l'utilisation des ports appartenant à une entreprise publique, il amenait celle-ci à exploiter de façon abusive la position dominante qu'elle détient sur le Marché commun ou sur une partie substantielle de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 1994, Corsica Ferries, C-18-93, Rec. p. I-1783, point 43).

35. A cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour qu'une entreprise qui bénéficie d'un monopole légal dans une partie substantielle du Marché commun peut être considérée comme occupant une position dominante au sens de l'article 86 du traité (arrêt Corsica Ferries, précité, point 40, et jurisprudence citée). Tel est également le cas d'une entreprise publique qui est propriétaire d'un port de commerce et qui, à ce titre, est seule à détenir, dans ce port, le droit de percevoir les taxes portuaires dues pour l'utilisation des installations portuaires.

36. Cependant, afin d'examiner si l'entreprise publique concernée occupe effectivement une telle position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci, une importance fondamentale doit être accordée, ainsi que la Cour l'a souligné à de nombreuses reprises, à la détermination du marché en cause (voir, notamment, arrêt du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31-80, Rec. p. 3775, point 25) et à la délimitation de la partie substantielle du Marché commun où l'entreprise est en mesure de se livrer éventuellement à des pratiques abusives faisant obstacle à une concurrence effective (voir, notamment, arrêt du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27-76, Rec. p. 207, point 44).

37. Ainsi qu'il résulte de l'arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova (C-179-90, Rec. p. I-5889, point 15), il y a lieu de tenir compte, dans ce dernier contexte, notamment du volume du trafic dans le port en cause et de l'importance que revêt ce dernier au regard de l'ensemble des activités d'importation et d'exportation maritimes dans l'Etat membre concerné.

38. Il convient de souligner, en second lieu, que, selon l'article 86, second alinéa, sous a) et c), du traité, des pratiques abusives d'une position dominante peuvent consister dans le fait d'imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables et d'appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence.

39. Selon la jurisprudence de la Cour, par "prix non équitables", au sens de l'article 86, second alinéa, sous a), du traité, il convient d'entendre un prix excessif sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie (voir, en ce sens, arrêt United Brands/Commission, précité, point 250).

40. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si tel est le cas du montant des taxes portuaires litigieuses dans l'affaire au principal.

41. Il importe de constater que le fait pour une entreprise publique qui est propriétaire d'un port de commerce et qui le gère d'exonérer du paiement de ces taxes ses propres services de ferry et, à titre de réciprocité, ceux de certains de ses partenaires commerciaux est également susceptible de constituer un abus dans la mesure où il comporte l'application à l'égard des autres partenaires commerciaux de l'entreprise publique de conditions inégales pour des prestations équivalentes, au sens de l'article 86, second alinéa, sous c), du traité.

42. En ce qui concerne l'exonération de ses propres services de ferry du paiement des taxes, tel serait le cas s'il apparaissait que l'entreprise publique n'affecte pas, dans sa comptabilité, une somme équivalant au montant total des taxes portuaires normalement dues à la partie de son activité qui est relative à l'exploitation de ses services de ferry. En l'absence d'une comptabilité transparente, le fait que les prix pratiqués par l'entreprise publique pour ses services de ferry sont anormalement bas par rapport à ceux pratiqués par des entreprises de ferry concurrentes pourrait constituer un indice que cette affectation n'a pas eu lieu.

43. Quant à l'exonération du paiement des taxes, à titre de réciprocité, des services de ferry de certains des partenaires commerciaux de l'entreprise publique, elle pourrait également constituer une infraction à l'article 86, second alinéa, sous c), du traité s'il apparaissait que le montant total des taxes normalement dues par ces derniers pour l'utilisation des installations portuaires de l'entreprise publique au cours d'une période déterminée est supérieur à la somme normalement due par celle-ci pour les services portuaires qu'elle a reçus, au cours de la même période, dans les ports de ses partenaires commerciaux.

44. Il échet de relever, en troisième lieu, que la responsabilité incombant à l'Etat membre en vertu des articles 86 et 90, paragraphe 1, du traité n'est engagée que si le comportement abusif de l'entreprise publique en question était susceptible d'affecter le commerce entre les États membres. Pour que cette condition soit remplie, il n'est pas nécessaire que le comportement abusif en cause ait effectivement affecté ce commerce. Il suffit d'établir que ce comportement est de nature à avoir un tel effet (voir, en ce sens, arrêt Höfner et Elser, précité, point 32).

45. Or, la Cour a déjà jugé que des pratiques abusives qui, telles celles en cause dans l'affaire au principal, touchent des entreprises effectuant des transports maritimes entre deux États membres sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres (arrêt Corsica Ferries, précité, point 44).

46. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux sixième et huitième questions que, lorsqu'une entreprise publique, qui est propriétaire d'un port de commerce et qui le gère, détient une position dominante sur une partie substantielle du Marché commun, l'article 90, paragraphe 1, en liaison avec l'article 86 du traité, s'oppose à ce que, en application d'une réglementation de l'Etat membre dont elle relève, cette entreprise perçoive des taxes portuaires d'un montant inéquitable ou exonère du paiement de ces taxes ses propres services de ferry et, à titre de réciprocité, ceux de certains de ses partenaires commerciaux, dans la mesure où de telles exonérations comporteraient l'application de conditions inégales à des prestations équivalentes.Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, compte tenu du niveau des taxes et de la valeur économique des prestations fournies, le montant des taxes est effectivement inéquitable. Il lui appartient également de vérifier si l'exonération du paiement des taxes des propres services de ferry de l'entreprise publique et, à titre de réciprocité, de ceux de certains de ses partenaires commerciaux comporte effectivement l'application de conditions inégales à des prestations équivalentes.

Sur la neuvième question

47. Par cette question, la juridiction nationale demande en substance si l'article 90, paragraphe 2, du traité permet à une entreprise publique, qui est propriétaire d'un port de commerce et qui le gère, de percevoir des taxes portuaires dues pour l'utilisation des installations portuaires, qui sont contraires au droit communautaire.

48. A cet égard, il convient de rappeler que l'article 90, paragraphe 2, du traité prévoit que les entreprises qui sont chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles du traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie, sous la réserve cependant que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.

49. Dès lors, pour que la dérogation à l'application des règles du traité prévue à l'article 90, paragraphe 2, puisse jouer, il faut d'abord vérifier si l'entreprise en cause a été effectivement chargée par l'Etat membre de la gestion d'un service d'intérêt économique général et, dans l'affirmative, si l'application des règles du traité fait échec à l'accomplissement de la mission particulière qui lui a été impartie.

50. A cet égard, il convient de rappeler que, s'agissant d'une disposition qui permet, dans certaines circonstances, une dérogation aux règles du traité, la définition des entreprises qui peuvent l'invoquer doit être d'interprétation stricte (arrêt 21 mars 1974, BRT II, 127-73, Rec. p. 313, point 19).

51. Dans l'arrêt du 14 juillet 1971, Muller e.a. (10-71, Rec. p. 723, point 11), la Cour a jugé que peut relever de la notion d'"entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général" une entreprise qui, jouissant de certains privilèges pour l'exercice de la mission dont elle est légalement chargée et entretenant à cet effet des rapports étroits avec les pouvoirs publics, assure le débouché le plus important de l'Etat intéressé pour le trafic fluvial.

52. Il n'en découle toutefois pas que l'exploitation de tout port de commerce relève de la gestion d'un service d'intérêt économique général ni que, en particulier, l'ensemble des prestations fournies dans un tel port relève d'une telle mission.

53. En effet, dans l'arrêt Merci convenzionali porto di Genova, précité, point 27, la Cour a constaté que des opérations portuaires d'embarquement, de débarquement, de transbordement, de dépôt et de mouvement en général des marchandises ou de tout matériel dans le port ne revêtent pas nécessairement un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d'autres activités de la vie économique.

54. Enfin, même à supposer que la simple mise à disposition d'infrastructures portuaires puisse être qualifiée de service d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité, il y a lieu de constater que rien dans l'ordonnance de renvoi ni dans les observations déposées devant la Cour ne fait apparaître que l'application de l'article 86 du traité à la perception des taxes portuaires par DSB serait de nature à faire échec à l'accomplissement d'une telle mission.

55. Il convient dès lors de répondre à la neuvième question que l'article 90, paragraphe 2, du traité ne permet pas à une entreprise publique, qui est propriétaire d'un port de commerce et qui le gère, de percevoir des taxes portuaires dues pour l'utilisation des installations portuaires, qui sont contraires au droit communautaire mais qui ne sont pas nécessaires à l'accomplissement par celle-ci de la mission particulière qui lui a été impartie.

Sur la septième question

56. Par cette question, la juridiction nationale demande si, en cas d'incompatibilité des taxes en cause au principal avec les dispositions combinées des articles 90, paragraphe 1, et 86 du traité, le droit communautaire confère aux personnes ou aux entreprises auxquelles ces taxes ont été imposées le droit de prétendre à leur remboursement ou à une indemnisation.

57. A cet égard, il convient de rappeler, d'une part, que, même dans le cadre de l'article 90, les dispositions de l'article 86 du traité ont un effet direct et engendrent pour les justiciables des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêts du 30 avril 1974, Sacchi, 155-73, Rec. p. 409, point 18, et Merci convenzionali porto di Genova, précité, point 23).

58. D'autre part, il résulte d'une jurisprudence constante (voir, en dernier lieu, arrêt du 14 janvier 1997, Comateb e.a., C-192-95 à C-218-95, Rec. p. I-165, point 20) que le droit d'obtenir le remboursement de taxes perçues par un Etat membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires interdisant de telles taxes. L'Etat membre est donc tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit communautaire, sauf lorsqu'il est établi que la personne astreinte au paiement de ces taxes les a effectivement répercutées sur d'autres sujets (voir arrêt Comateb e.a., précité, point 21, et jurisprudence citée).

59. Le même raisonnement s'applique, en tout état de cause, lorsque les taxes sont perçues par une entreprise publique qui relève du ministère des Transports et dont le budget est compris dans la loi de finances (voir le point 29 du présent arrêt).

60. Il convient toutefois de souligner que les opérateurs ne sauraient être empêchés de demander aux juridictions compétentes, selon les procédures appropriées du droit national, et dans les conditions prévues dans l'arrêt du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C-46-93 et C-48-93, Rec. p. I-1029), la réparation des dommages subis en raison de la perception des taxes indues, et ce indépendamment de la question de la répercussion desdites taxes (arrêt Comateb e.a., précité, point 34).

61. Il découle de ce qui précède qu'il y lieu de répondre à la septième question que les personnes ou entreprises, auxquelles des taxes contraires aux dispositions combinées des articles 90, paragraphe 1, et 86 du traité ont été imposées par une entreprise publique relevant d'un ministère national et dont le budget est compris dans la loi de finances, ont droit en principe au remboursement des taxes indûment payées.

Sur les dépens

62. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par l'Ostre Landsret, par ordonnance du 30 juin 1995, dit pour droit :

1) L'article 95 du traité CEE s'oppose à l'imposition par un Etat membre d'un supplément à l'importation de 40 % dont est majorée, en cas d'importation de marchandises par bateau en provenance d'un autre Etat membre, la taxe générale sur les marchandises perçue sur les marchandises chargées, déchargées, ou mises en mer ou à terre d'une autre manière dans les ports du premier Etat membre ou dans le chenal aménagé pour l'accès à ces ports.

2) Il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de régler les modalités procédurales, y compris en matière de charge de la preuve, des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct de l'article 86 du traité CEE, étant entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire.

3) Lorsqu'une entreprise publique, qui est propriétaire d'un port de commerce et qui le gère, détient une position dominante sur une partie substantielle du Marché commun, l'article 90, paragraphe 1, en liaison avec l'article 86 du traité CEE, s'oppose à ce que, en application d'une réglementation de l'Etat membre dont elle relève, cette entreprise perçoive des taxes portuaires d'un montant inéquitable ou exonère du paiement de ces taxes ses propres services de ferry et, à titre de réciprocité, ceux de certains de ses partenaires commerciaux, dans la mesure où de telles exonérations comporteraient l'application de conditions inégales à des prestations équivalentes. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, compte tenu du niveau des taxes et de la valeur économique des prestations fournies, le montant des taxes est effectivement inéquitable. Il lui appartient également de vérifier si l'exonération du paiement des taxes des propres services de ferry de l'entreprise publique et, à titre de réciprocité, de ceux de certains de ses partenaires commerciaux comporte effectivement l'application de conditions inégales à des prestations équivalentes.

4) L'article 90, paragraphe 2, du traité ne permet pas à une entreprise publique, qui est propriétaire d'un port de commerce et qui le gère, de percevoir des taxes portuaires dues pour l'utilisation des installations portuaires, qui sont contraires au droit communautaire mais qui ne sont pas nécessaires à l'accomplissement par celle-ci de la mission particulière qui lui a été impartie.

5) Les personnes ou entreprises, auxquelles des taxes contraires aux dispositions combinées des articles 90, paragraphe 1, et 86 du traité ont été imposées par une entreprise publique relevant d'un ministère national et dont le budget est compris dans la loi de finances, ont droit en principe au remboursement des taxes indûment payées.