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Décisions

TPICE, 2e ch. élargie, 12 juin 1997, n° T-504/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tiercé Ladbroke (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Société d'encouragement à l'élevage du cheval français, Société d'encouragement et des steeple-chases de France, Société sportive d'encouragement, Société de sport de France, Société des courses de la Côte d'Azur, Société des courses du pays d'Auge, Société des courses de Compiègne, Société des courses de Dieppe, Société des courses de Fontainebleau, Groupement d'intérêt économique Pari mutuel urbain, Pari mutuel international SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Juges :

MM. Bellamy, Kalogeropoulos

Avocats :

Mes Lever, Vajda, Kon, Chain, Depondt.

Comm. CE, du 24 juin 1993

24 juin 1993

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

Faits et procédure

1 Tiercé Ladbroke SA (ci-après "Ladbroke") est une société de droit belge, constituée en 1982 et appartenant au holding Ladbroke group plc, dont l'activité consiste à prendre en Belgique des paris à la cote sur les courses de chevaux courues à l'étranger.

2 Le Pari mutuel urbain français (ci-après "PMU") est un groupement d'intérêt économique (ci-après "GIE"), constitué par les principales sociétés de courses françaises (ci-après "sociétés de courses"). Le PMU est chargé en exclusivité de l'organisation en France des paris pris hors hippodrome, selon le système du pari mutuel, sur les courses de chevaux organisées par les sociétés de courses autorisées à cet effet. Le PMU bénéficie aussi de droits exclusifs pour la prise de paris à l'étranger sur les courses organisées en France et pour les paris pris en France sur les courses organisées à l'étranger.

3 Le Pari mutuel international (ci-après "PMI") est une société anonyme de droit français, dont la majorité du capital est détenue par le PMU, ayant pour objet de valoriser hors de France les images et informations télévisées sur les courses de chevaux organisées en France. En vertu d'un contrat conclu le 9 janvier 1990, avec effet au 1er août 1989, le PMU, auquel les sociétés de courses avaient concédé le droit de commercialiser les images télévisées et les commentaires sonores sur les courses qu'elles organisent, a cédé ce droit au PMI pour la République fédérale d'Allemagne et l'Autriche.

4 Le 25 août 1989, le PMI a conclu un accord avec Deutscher Sportverlag Kurt Stoof GmbH & Co. (ci-après "DSV"), société de droit allemand spécialisée dans l'édition de journaux de courses hippiques et notamment de courses françaises. Par cet accord le PMI accordait au DSV le droit exclusif d'exploiter les images télévisées et les commentaires sonores des courses françaises (ci-après "sons et images français") en République fédérale d'Allemagne, à l'intérieur des frontières antérieures à la réunification, y compris l'ancienne zone de Berlin-Ouest, et en Autriche (ci-après "territoire concédé").

5 En septembre 1989, Ladbroke a demandé au DSV le droit de retransmettre en Belgique les sons et images français. Cette demande s'est heurtée, en octobre 1989, au refus du DSV, au motif que le contrat qui le liait au PMI lui interdisait de retransmettre les sons et images français en dehors du territoire concédé.

6 A la suite d'une modification du cadre législatif belge régissant les paris hors hippodrome, qui a permis aux agences hippiques de rester ouvertes l'après-midi pendant le déroulement des courses hippiques, Ladbroke a demandé au PMI, par lettre en date du 18 juin 1990, des détails sur les conditions financières et techniques d'abonnement au service "Courses en direct", géré par le PMI, qui permet de suivre en direct, via satellite, les courses hippiques courues en France.

7 Par lettre en date du 13 juillet 1990, le PMI a répondu qu'il ne pouvait pas donner suite à cette demande au motif qu'il n'avait pas "la libre disposition des droits sur les images des courses françaises et les informations qui y sont associées, celles-ci étant la propriété des sociétés de courses et du GIE-PMU".

8 Le 27 juillet 1990, Ladbroke a écrit au PMU et à chacune des sociétés de courses pour demander des détails sur les conditions financières et techniques d'abonnement au service "Courses en direct".

9 Par lettre en date du 8 août 1990, le PMU a répondu à Ladbroke comme suit :

"Nous vous informons que le GIE-PMU, conformément au contrat qui le lie aux sociétés de courses, ne dispose des images leur appartenant que pour leur diffusion dans son réseau de prise de paris en temps réel en France et, en ce qui concerne l'étranger, uniquement pour leur retransmission en RFA et en Autriche. Dans ces conditions nous ne disposons pas des droits que suppose votre demande. Par ailleurs, les sociétés de courses membres du groupement nous ont informés que, par une lettre de même date et de même teneur, vous leur aviez demandé individuellement de vous faire connaître leurs conditions pour la fourniture de leur service. Lesdites sociétés nous ont chargés en tant que groupement d'intérêt économique entre elles de vous faire connaître, en leur nom et pour leur compte, qu'elles n'entendaient pas concéder l'exploitation commerciale de leurs droits d'auteur en Belgique."

10 Le 9 octobre 1990, Ladbroke a saisi la Commission d'une plainte en vertu de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), en lui demandant de mettre fin à une infraction à l'article 85 et/ou à l'article 86 du traité CEE, commise par les principales sociétés de courses françaises, le PMU, le PMI et le DSV. Elle demandait en outre à la Commission d'adopter des mesures provisoires.

11 Dans sa plainte, elle mettait en cause le refus direct des sociétés de courses, du PMU et du PMI, et le refus indirect du DSV de lui fournir les sons et images français pour ses agences hippiques en Belgique, en soulignant cependant que, dans la mesure où la conduite du DSV consistait uniquement à répercuter les restrictions contractuelles que lui avaient imposées les autres parties visées par la plainte, celle-ci ne visait pas à attribuer au DSV une quelconque responsabilité au regard des articles 85 et 86 du traité et du règlement n° 17.

12 Selon Ladbroke, le marché du produit en cause, dans lequel devaient être examinées les infractions dénoncées, était le marché de la transmission des sons et images français. Quant au marché géographique en cause, Ladbroke soutenait qu'il s'agissait d'un marché de dimension communautaire ou d'un marché constitué au moins par la France, l'Allemagne et la Belgique.

13 S'agissant, en premier lieu, de la violation alléguée de l'article 86, elle faisait valoir que les principales sociétés de courses seules ou avec le PMU/PMI occupaient une position collective dominante pour la transmission des sons et images français dans le Marché commun et dans chaque Etat membre. Leur refus direct de lui fournir les sons et images français aurait constitué un abus de position dominante collective, dépourvu de justification objective puisque i) il était techniquement possible pour le PMU et le PMI de lui fournir ces sons et images moyennant le paiement d'une redevance raisonnable, ii) le PMU et le PMI étaient prêts à les fournir à ses concurrents en Belgique, à savoir le Paris mutuel unifié belge, le Tiercé franco-belge, et la société Dumoulin, iii) les principales sociétés de courses avaient déjà autorisé la transmission des sons et images français en France et en Allemagne, iv) le refus de les fournir à Ladbroke empêchait l'introduction d'un nouveau produit, au détriment des agences hippiques belges et de leurs clients, et que v), dans la mesure où elles étaient titulaires de droits sur les sons et images français, les sociétés de courses n'étaient pas autorisées à en user de façon abusive. Pour ce qui était des points iv) et v), la requérante invoquait, à l'appui de ses arguments, la décision 89-205-CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure au titre de l'article 86 du traité (IV-31.851, Magill TV Guide/ITP, BBC et RTE) (JO L 78, p. 43, ci-après "décision 89-205" ou "décision Magill").

14 Quant au refus indirect du DSV de lui transmettre les sons et images français en raison des restrictions qui lui avaient été contractuellement imposées à cet égard par le PMU et/ou le PMI et/ou les sociétés de courses, il aurait également constitué un abus de position dominante dépourvu de toute justification objective.

15 S'agissant, en second lieu, de la violation alléguée de l'article 85, paragraphe 1, du traité, Ladbroke soutenait dans sa plainte que l'obligation imposée par le PMU/PMI au DSV d'interdire, dans les contrats qu'elle passait avec les bookmakers allemands, la retransmission des sons et images français en dehors du territoire concédé, constituait une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

16 A la suite du dépôt de la plainte, la Commission a adressé au PMU et au PMI une demande de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17. Une version expurgée des informations de nature confidentielle contenues dans les réponses du PMU et du PMI à cette demande a été, par la suite, communiquée à la plaignante.

17 Par lettre en date du 19 mars 1991, Ladbroke a indiqué à la Commission que le PMU, au vu de sa réponse à ladite demande, avait l'intention de commercialiser les sons et images français en Belgique en collaboration avec des tiers, à l'exclusion de Ladbroke. En conséquence, elle a invité la Commission à poursuivre son enquête à l'encontre des pratiques abusives dénoncées dans sa plainte ou, dans le cas contraire, à lui envoyer une communication au titre de l'article 6 du règlement 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"), afin de lui exposer les motifs pour lesquels il n'y avait pas lieu de donner une suite favorable à sa plainte.

18 Par lettre en date du 26 juin 1992, Ladbroke a mis la Commission en demeure, en application de l'article 175, deuxième alinéa, du traité, d'adopter une décision sur sa plainte.

19 Par requête déposée le 12 octobre 1992, Ladbroke a introduit devant le Tribunal, sur le fondement de l'article 175, paragraphe 3, du traité, un recours en carence visant à faire constater que la Commission s'était abstenue, en violation du traité, de prendre une décision définitive à la suite du dépôt de sa plainte. Cette affaire a été enregistrée sous le numéro T-86-92.

20 Par lettre en date du 11 novembre 1992, envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, la Commission a informé Ladbroke qu'elle n'envisageait pas de réserver une suite favorable à sa plainte.

21 Selon cette lettre, le marché du produit en cause à prendre en considération aux fins de l'application des articles 85 et 86 du traité était en l'espèce le marché de la transmission des sons et images des courses hippiques en général. Quant à l'étendue géographique de ce marché, la Commission considérait qu'il se limitait au seul territoire de la Belgique.

22 S'agissant de l'application de l'article 86 du traité, la Commission considérait que Ladbroke n'avait pas établi que les sociétés de courses détenaient une position dominante collective, au sens de l'arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission, dit "Verres plats" (T-68-89, T-77-89 et T-78-89, Rec. p. II-1403). Elle a, en outre, souligné qu'il n'existait pas d'analogie entre le cas d'espèce et l'arrêt du Tribunal du 10 juillet 1991, RTE/Commission (T-69-89, Rec. p. II-485, ci-après "arrêt Magill"), rendu dans le cadre d'un recours en annulation dirigé contre la décision 89-205 (ci-après "affaire Magill"). En effet, selon la Commission, Ladbroke se trouvait déjà en position dominante sur le marché sur lequel les sons et images français sont offerts aux consommateurs, à savoir le marché de la prise de paris sur les courses hippiques, alors que les sociétés de courses n'étaient même pas présentes sur ce marché. En outre, l'élément décisif dans l'affaire Magill aurait été le fait que le comportement abusif des chaînes de télévision concernées consistait à empêcher la commercialisation d'un nouveau produit au détriment des intérêts des consommateurs, alors que dans la présente affaire la diffusion des sons et images des courses hippiques n'aurait pas constitué un service vraiment différent de celui qui était déjà fourni aux parieurs, à savoir le service de la prise de paris.

23 Quant à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, la Commission a estimé que, au stade actuel du droit communautaire, l'interdiction imposée par les principales sociétés de courses au DSV de retransmettre les sons et images français en dehors du territoire concédé faisait partie des droits du donneur de licence et que, par conséquent, elle n'était pas visée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

24 Par lettre en date du 13 janvier 1993, Ladbroke a présenté ses observations en réponse à la lettre de la Commission du 11 novembre 1992. Elle a fait valoir que le refus direct des sociétés de courses de lui concéder une licence de transmission des sons et images de leur courses, de même que leur refus indirect opposé par l'intermédiaire du DSV, faisaient l'objet d'un accord et/ou d'une pratique concertée entre les sociétés de courses et/ou d'une décision d'une association d'entreprises, contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

25 Par ordonnance en date du 19 mars 1993, le président de la deuxième chambre, à la demande de Ladbroke, a ordonné la radiation du registre du recours en carence faisant l'objet de l'affaire T-86-92, en raison de l'envoi de la lettre de la Commission du 11 novembre 1992 (voir ci-dessus points 19 et 20).

26 Par décision contenue dans une lettre en date du 24 juin 1993, la Commission, se limitant à aborder les principaux arguments présentés par Ladbroke dans ses observations du 13 janvier 1993, a rejeté définitivement la plainte de Ladbroke pour les motifs contenus dans cette décision et ceux énoncés dans sa lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 ("For the reasons set out in its letter of 11 November 1992, [...] there are insufficient grounds for granting your application for a finding of infringement. The comments you submitted on 13 January 1993 do not contain any new points of fact or law which could alter the views taken and conclusions reached by the Commission in its letter of 11 November 1992. This letter therefore does not repeat what was said in that letter but deals only with the main arguments contained in your comments.").

27 S'agissant de la définition du marché des produits en cause défini comme étant celui des sons et images en général et non celui des sons et images français, la Commission, dans sa décision, a considéré que ceux-ci étaient substituables aux sons et images des autres courses dans la mesure où, ainsi qu'il résultait de l'analyse du marché principal des paris en Allemagne, bien que 40 % des paris pris par les bookmakers portassent sur les courses allemandes, 40 % sur les courses françaises et 20 % sur les courses britanniques, 67 % des bookmakers avaient choisi de recevoir les sons et images français, 23 % les sons et images britanniques et 10 % aussi bien les sons et images des courses françaises que des courses britanniques. Elle a en outre rejeté un argument de Ladbroke selon lequel la Commission elle-même aurait admis que le marché du produit en cause était celui des sons et images français lorsque, dans une décision antérieure portant mesures provisoires, à savoir la décision 92-35-CEE de la Commission, du 11 juin 1991, demandant au gouvernement français de suspendre les aides qu'il a octroyées au PMU, et mises en vigueur en violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité (JO L 14, p. 35, ci-après "décision PMU"), elle s'est référée à un jugement rendu le 21 décembre 1990 par le Landgericht Saarbrücken dans une affaire Buchmacher Herbert Hellmund/Deutscher Sportverlag Kurt Stoof GmbH & Co. KG (annexe 9 à la requête) (ci-après "affaire Hellmund/Deutscher Sportverlag").

28 La Commission a souligné que la définition du marché géographique en cause dépendait non pas du critère de la faisabilité technique de la retransmission des sons et images français dans toute la Communauté, mais de plusieurs autres facteurs tels que les habitudes des parieurs, le type des paris offerts (pari mutuel, bookmaking) et les pays dans lesquels des courses sont organisées, c'est-à-dire de la structure de l'offre et de la demande, déterminée par les marchés des paris eux-mêmes, ainsi que des différences entre les législations nationales en la matière.

29 S'agissant en particulier des habitudes des consommateurs belges et allemands, la Commission a constaté que, bien que les sons et images des courses britanniques fussent diffusés sur les marchés allemand et belge, ces courses ne représentaient en Allemagne que moins de 10 % des paris, alors que les courses nationales, dont seul le commentaire et non pas les images était transmis, représentaient 90 % de l'ensemble des paris. En revanche, s'agissant du marché belge, les courses nationales ne représentaient que 31,5 % des paris, le reste étant pris sur les courses étrangères, à savoir 63 % sur les courses françaises et 5 % sur les courses britanniques.

30 Invoquant ainsi les différences caractérisant le comportement des parieurs belges et allemands, opérateurs économiques auxquels est destinée l'offre sur le marché des paris et sur le marché de la retransmission des sons et images des courses, la Commission a conclu que le marché des sons et images des courses hippiques était divisé en marchés nationaux.

31 S'agissant de la violation de l'article 86 du traité et de la position dominante collective alléguée, la Commission a rejeté l'argument de Ladbroke selon lequel le contrat du 9 janvier 1990, conclu entre les sociétés de courses et le PMU (voir ci-dessus point 3), serait à l'origine des liens économiques noués entres elles et leur conférerait une position dominante collective au sens de l'arrêt Verres plats. Elle a souligné, d'une part, que le droit du PMU de gérer les droits des sociétés de courses relatifs à l'organisation de leurs courses résultait non pas du contrat susvisé, lequel n'accordait par ailleurs aucune exclusivité au PMU, mais de la législation française concernant l'organisation des paris mutuels hors hippodrome. Elle a souligné, d'autre part, que, bien que le cadre législatif en question eût confié au PMU la gestion exclusive des paris hors hippodrome, les sociétés de courses demeuraient titulaires des droits de propriété intellectuelle sur les courses qu'elles organisaient, au vu de certaines clauses dudit contrat et en particulier de ses articles 2 et 4, premier et deuxième alinéas. Enfin, le fait que les sociétés de courses avaient toutes répondu à une demande d'informations de la Commission au moyen d'une seule lettre, envoyée en leur nom par le PMU, ne pouvait, selon la Commission, constituer une preuve que les sociétés de courses avaient renoncé à un comportement indépendant sur le marché en cause.

32 Quant à l'existence d'un abus, la Commission a considéré que, s'agissant en l'espèce de marchés géographiques nationaux, le comportement reproché aux sociétés de courses ne pouvait pas être apprécié à la lumière de leur politique de concession de licences dans les divers marchés géographiques et que, en refusant d'octroyer à Ladbroke les licences sollicitées pour le marché belge, ces sociétés ne l'avaient pas discriminée par rapport à d'autres opérateurs.

33 Elle a en outre estimé que Ladbroke ne pouvait invoquer, comme elle l'avait fait dans ses observations sur la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, sa décision 88-589-CEE, du 4 novembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité (IV-32.318, London European - Sabena (JO, L 317, p. 47, ci-après "décision London European/Sabena"), selon laquelle Sabena avait enfreint l'article 86 du traité en raison d'un comportement destiné à dissuader London European de s'implanter sur la ligne Bruxelles-Luton, en lui refusant l'accès au système de réservation informatisé des places d'avions en Belgique. Selon la Commission, dans la présente affaire, à la différence de l'affaire ayant donné lieu à la décision London European/Sabena, ni les sociétés de courses ni le PMU n'étaient présents sur le marché en cause, c'est-à-dire le marché belge de la transmission des courses hippiques en général. Il en aurait été de même des arrêts de la Cour du 6 mars 1974, ICI et Commercial Solvents/Commission (6-73 et 7-73, Rec. p. 223), et du 3 octobre 1985, CBEM (311-84, Rec. p. 3261), que la requérante avait également invoqués dans ses observations.

34 S'agissant, enfin, de la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, la Commission a souligné que tant l'interdiction imposée par les sociétés de courses au DSV de retransmettre les sons et images français en dehors du territoire concédé que leur refus d'octroi d'une licence des sons et images français opposé à Ladbroke faisaient partie de leurs droits de propriété intellectuelle garantis par le droit communautaire, de sorte qu'ils ne constituaient pas une infraction à cet article du traité.

35 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 août 1993, Ladbroke a introduit le présent recours.

36 Le 11 janvier 1994, la Société d'encouragement et des steeple-chases de France, la Société d'encouragement à l'élevage du cheval français, la Société sportive d'encouragement, la Société de sport de France, la Société des courses de la Côte d'Azur, la Société des courses du pays d'Auge, la Société des courses de Compiègne, la Société des courses de Dieppe, la Société des courses de Fontainebleau, le PMU et le PMI (ci-après "parties intervenantes") ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

37 Par ordonnance du Tribunal (deuxième chambre) du 8 juin 1994, cette demande en intervention a été accueillie. Le 19 juillet 1994, les parties intervenantes ont déposé leur mémoire en intervention, sur lequel la Commission a présenté ses observations le 13 septembre 1994 et la requérante le 14 octobre 1994.

38 Par décision du Tribunal en date du 19 septembre 1995, le juge rapporteur a été affecté à la nouvelle deuxième chambre élargie, à laquelle l'affaire a, par conséquent, été attribuée. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a invité les parties à répondre à certaines questions écrites. Les parties ont donné suite à l'invitation du Tribunal dans les délais impartis.

39 A l'audience du 8 mai 1996, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal, composé de MM. H. Kirchner, président, B. Vesterdorf, C. W. Bellamy, A. Kalogeropoulos et A. Potocki.

40 A la suite du décès du juge M. H. Kirschner, le 6 février 1997, le présent arrêt a été délibéré par les trois juges dont il porte la signature, conformément à l'article 32, paragraphe 1, du règlement de procédure.

Conclusions des parties

41 La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision de la Commission du 24 juin 1993 ;

- ordonner à la Commission de réexaminer immédiatement la plainte belge (IV-33.699) en application de l'article 176 du traité ;

- condamner la Commission aux dépens.

42 La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme non fondé ;

- condamner la requérante aux dépens.

43 Les parties intervenantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer non fondé et rejeter le recours de la requérante ;

- condamner la requérante aux dépens de l'intervention.

Sur les conclusions visant à faire adresser une injonction à la Commission

44 Dans ses conclusions, la requérante demande au Tribunal d'ordonner à la Commission de réexaminer immédiatement sa plainte en application de l'article 176 du traité CE.

45 Cependant, selon une jurisprudence constante, il n'appartient pas au juge communautaire d'adresser des injonctions aux institutions ou de se substituer à ces dernières (voir arrêt du Tribunal du 11 juillet 1991, Von Hoessle/Cour des comptes, T-19-90, Rec. p. II-615, point 30) dans le cadre du contrôle de légalité qu'il exerce. Il incombe en effet à l'administration concernée de prendre les mesures que comporte l'exécution d'un arrêt rendu dans le cadre d'un recours en annulation (voir arrêt de la Cour du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission, 53-85, Rec. p. 1965, point 23, et arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Windpark Groothusen/Commission, T-109-94, Rec. p. II-3007, point 61).

46 Par suite, les conclusions de la requérante visant à faire adresser une injonction à la Commission doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions en annulation

47 La requérante soutient d'abord que la Commission ne peut pas invoquer les arguments contenus dans sa lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, dès lors qu'elle ne les a pas repris dans la décision attaquée. Elle invoque ensuite deux moyens tirés d'une application erronée, respectivement, des articles 86 et 85 du traité.

1. Sur la possibilité pour la Commission de motiver la décision de rejet de la plainte par référence à sa lettre adressée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

48 La requérante soutient que la Commission ne pouvait pas motiver valablement la décision attaquée en visant, sans les reprendre expressément, les arguments contenus dans sa lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63. Elle considère que sur ce point, la solution devrait être la même que pour les décisions qui constatent une infraction à l'article 85, paragraphe 1, et qui, adoptées à la suite d'une communication des griefs et des réponses données à ceux-ci, contiennent toutes les objections et observations des entreprises concernées. Les principes fondamentaux du droit administratif interdiraient à la Commission de se limiter, dans ses décisions, à un renvoi pur et simple à des motifs exposés dans un acte préparatoire, tel qu'une communication des griefs ou une lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63. Cette interdiction permettrait de vérifier que le destinataire de la décision a été "entendu" au sens des règlements nos 17 et 99-63, c'est-à-dire que ses arguments ont été effectivement pris en compte par la Commission.

49 La requérante soutient que, à la lecture de ses observations sur la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, on ne peut considérer que lesdites observations n'ont rien ajouté à ce qui avait déjà été exposé dans sa plainte.

50 La Commission considère que la possibilité de motiver une décision de rejet d'une plainte par référence à une lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 est fonction du rôle d'une telle lettre dans le cadre du traitement des plaintes. A cet égard, elle souligne que, après que le plaignant a soumis de nouvelles observations sur la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, elle peut, soit rejeter la plainte en mentionnant les motifs contenus dans cette lettre, soit indiquer ces motifs et aborder également les nouveaux arguments du plaignant, soit, enfin, reproduire mot à mot le raisonnement exposé dans sa lettre, avec ou sans discussion des nouveaux arguments du plaignant. Elle considère que, quel que soit son choix, le plaignant ne peut pas prétendre ignorer les motifs du rejet de sa plainte et demander que le contrôle juridictionnel de légalité se limite aux seuls motifs exposés dans la décision finale.

51 Elle ajoute que, en tout état de cause, Ladbroke n'a soulevé aucun élément nouveau de fait ou de droit dans ses observations sur la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63.

Appréciation du Tribunal

52 La réponse à la question de savoir si un acte communautaire satisfait à l'obligation de motivation prévue par l'article 190 du traité dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (arrêt du 11 janvier 1973, Pays Bas/Commission, 13-72, Rec. p. 27, point 11). Ainsi, lorsque l'intéressé a été étroitement associé au processus d'élaboration de la décision attaquée et connaît donc les raisons pour lesquelles l'administration a estimé ne pas devoir faire droit à sa demande, l'étendue de l'obligation de motivation est fonction du contexte ainsi créé par une telle participation (arrêt de la Cour du 14 janvier 1981, Allemagne/Commission, 819-79, Rec. p. 21, points 19 à 21, et du 14 novembre 1989, Italie/Commission, 14-88, Rec. p. 3677, point 11). Dans une telle hypothèse, les exigences de la jurisprudence en la matière sont fortement atténuées (arrêt du 11 décembre 1980, Lucchini/Commission, 1252-79, Rec. p. 3753, point 14, et du 28 octobre 1981, Krupp/Commission, 275-80 et 24-81, Rec. p. 2489, points 10 à 13).

53 Pour ce qui est plus particulièrement du droit de la concurrence, domaine dans lequel la participation des personnes concernées par les procédures aboutissant à l'adoption de l'une des décisions prévues par le règlement n° 17 joue un rôle déterminant, le juge communautaire doit se considérer saisi de tous les éléments de fait ou de droit qui étaient contenus dans la demande ou dans les observations du plaignant et ont été pris en considération par la Commission pour parvenir à la décision de classement d'une plainte (arrêt de la Cour du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298-83, Rec. p. 1105, point 19). Par conséquent, en cas de recours contre une telle décision, le juge communautaire doit être considéré comme également saisi de l'ensemble des éléments de fait ou de droit portés par la Commission à la connaissance du plaignant en réponse à sa plainte (voir, à cet égard, arrêt du Tribunal du 24 janvier 1995, BEMIM/Commission, T-114-92, Rec. p. II-147, point 45).

54 En l'espèce, la Commission était donc fondée à rejeter la plainte de la requérante pour les motifs contenus aussi bien dans la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 que dans la décision attaquée, en indiquant qu'elle n'aborderait, dans cette décision, que les seuls arguments de la requérante nécessitant une réponse complémentaire de sa part (voir ci-dessus point 26).

55 En se référant à la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, la décision attaquée a fait apparaître de façon suffisamment claire les raisons pour lesquelles la plainte était rejetée, en permettant ainsi à la requérante de faire valoir ses droits devant le juge communautaire et à ce dernier d'exercer son contrôle sur la légalité de cette décision(arrêt de la Cour du 17 janvier 1995, Publishers Association/Commission, C-360-92 P, Rec. p. I-23, point 39 ; arrêts du Tribunal du 12 janvier 1995, Branco/Commission, T-85-94, Rec. p. II-45, point 32, et BEMIM/Commission, précité, point 41).

56 Il résulte de ce qui précède que le moyen n'est pas fondé et doit, par conséquent, être rejeté.

2. Sur l'application erronée de l'article 86 du traité

57 Ce moyen s'articule en quatre branches. Dans les deux premières branches, la requérante fait valoir que la Commission a mal défini, respectivement, le marché du produit et le marché géographique en cause. Dans la troisième branche, elle soutient que, contrairement à ce qui est indiqué dans la décision attaquée, les sociétés de courses se trouvent en position dominante collective. Dans la quatrième branche, elle fait valoir que le refus direct des sociétés de courses et le refus indirect de leurs "associés" relèvent d'un abus de position dominante collective au sens de l'article 86 du traité.

Première branche : sur la définition du marché du produit en cause

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

58 La requérante soutient que la décision est viciée, parce que la Commission n'explique pas quel est le marché du produit en cause et ne fournit aucune motivation permettant de comprendre les raisons pour lesquelles elle a rejeté la définition du marché proposée dans la plainte, à savoir le marché des sons et images français.

59 Il serait d'abord impossible de comprendre la signification du second alinéa du point 8 de la décision attaquée où, afin de faire admettre que le marché du produit en cause est celui des sons et images en général, la Commission affirme que les courses françaises et britanniques sont concurrentielles du point de vue des parieurs, dès lors que sur le marché allemand, bien que 40 % des paris engagés par les bookmakers allemands portent sur les courses allemandes, 40 % sur les courses françaises et 20 % sur les courses britanniques, 67 % des bookmakers ont choisi de recevoir les sons et images français, 23 % les sons et images britanniques et 10 % les uns et les autres.

60 Par ailleurs, le fait qu'il existe en France, en Allemagne et en Belgique des marchés de paris différents ne devrait pas affecter la définition du marché des sons et images, lequel est un marché entièrement différent. La substituabilité éventuelle entre les différentes courses sur le marché des paris ne signifierait pas que les transmissions des différentes courses seraient également substituables sur le marché des sons et images. En effet, ni le bookmaker, qui désire augmenter son chiffre d'affaires des courses françaises, ni le parieur, qui parie sur ces mêmes courses, n'auraient un intérêt à recevoir les sons et images d'autres courses. Ainsi, en invoquant dans la décision attaquée les caractéristiques propres aux marchés des paris dans les différents pays, la Commission aurait introduit un élément sans pertinence, qui aurait obscurci la définition du marché du produit en cause.

61 Les défauts et les insuffisances de la décision attaquée concernant la définition du marché du produit en cause seraient d'autant plus incompréhensibles que la Commission, dans la décision PMU (voir ci-dessus point 27), s'était référée au jugement du Landgericht Saarbrücken dans l'affaire Hellmund/Deutscher Sportverlag, jugement qui aurait conclu à l'existence en Allemagne d'un marché distinct des sons et images français. Dès lors, si la Commission avait en l'espèce l'intention de s'écarter de ses propres constatations à propos de ce jugement, elle aurait dû procéder à une motivation minutieuse et complète de la décision attaquée. Selon la requérante, soutenir que la Commission n'était pas liée par les constatations susmentionnées du juge allemand concernant le marché du produit en cause est difficile à concilier non seulement avec les constatations contraires contenues dans la décision PMU, mais aussi avec les principes de "coopération permanente et loyale" qui lient mutuellement la Commission et les juridictions nationales.

62 La Commission soutient que la décision attaquée est suffisamment motivée, puisqu'elle porte définition du marché du produit en cause, telle qu'exposée dans la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, que la requérante ne saurait ignorer, pour les raisons exposées ci-dessus (voir ci-dessus points 50 et 51).

63 Elle soutient par ailleurs que les arguments de la requérante visant à contester la définition même du marché du produit sont dénués de fondement.

64 A cet égard, elle explique que, si elle a défini le marché en cause comme étant non pas celui des paris sur les courses, mais celui du marché de la retransmission des sons et images des courses hippiques en général, c'est parce que les acheteurs des sons et images sur le marché de la "retransmission" des courses sont les bookmakers, tandis que les clients du marché "des paris" sont les consommateurs finals, c'est-à-dire les parieurs.

65 Elle considère ensuite qu'il ne peut être répondu dans l'abstrait, sans tenir compte des données de fait variables d'un pays à l'autre, à la question de savoir si le marché de la retransmission des sons et images des courses hippiques françaises doit être défini comme un marché distinct du marché de la retransmission des sons et images des autres courses et, notamment, des courses britanniques. Pour étudier le degré de substituabilité entre la retransmission des sons et images français et la retransmission des sons et images des autres courses, il lui aurait fallu procéder à une analyse détaillée et chiffrée de l'effet que peuvent avoir, sur le choix des parieurs, les différences de couverture horaire et journalière des courses hippiques. Etant donné que, à l'époque des faits, il n'y avait aucune retransmission des sons et images français en Belgique, une telle étude aurait été impossible, de sorte que, selon la Commission, le marché en cause devait être défini comme étant celui de la retransmission des sons et images des courses hippiques en général.

66 La Commission conteste la thèse de la requérante selon laquelle les sons et images français et les sons et images des autres courses ne seraient pas substituables au motif que le parieur aurait besoin de voir les images des courses sur lesquelles il parie. A cet égard, il serait vrai que le choix des paris à prendre sur les diverses courses, par exemple britanniques ou françaises, n'est pas sans rapport avec les préférences et les connaissances hippiques des parieurs, mais il n'en demeurerait pas moins que, aux yeux de ces derniers, ces courses sont concurrentes quant aux paris à prendre sur elles. Il en serait de même du choix porté par les bookmakers sur les sons et images des différentes courses transmises, lesquelles doivent être considérées comme des produits concurrents, dans la mesure où le choix des bookmakers ne dépend pas seulement du volume des paris pris sur les diverses courses, mais également d'autres facteurs, tels que les conditions des contrats de licence et/ou l'existence d'autres agences hippiques proposant d'autres sons et images. Le bien-fondé de cette analyse serait démontré par des informations recueillies lors de l'instruction d'une autre plainte de la requérante concernant le marché allemand des paris (plainte IV-33.375, annexe 8 à la requête, ci-après "plainte allemande"), sur lequel sont retransmises plusieurs courses. En effet, bien que 40 % des paris placés sur ce dernier marché auprès des bookmakers allemands portent sur les courses françaises, 40 % sur les courses allemandes et 20 % sur les courses britanniques, 67 % des bookmakers auraient choisi de recevoir les sons et images français, tandis que 23 % auraient opté pour la retransmission des courses britanniques et que 10 % auraient choisi les deux réseaux.

67 Enfin, s'agissant de la référence faite dans la décision PMU au jugement du Landgericht Saarbrücken du 21 décembre 1990, précité, la Commission souligne que, par cette référence, elle ne reprenait en aucun cas l'affirmation du tribunal allemand concernant l'existence d'un marché distinct de sons et images français, mais visait seulement à démontrer, d'une part, que Ladbroke avait des activités commerciales en Allemagne et, d'autre part, que la retransmission de sons et images des courses dans un pays influence considérablement le choix des paris pris sur les courses.

68 Dans sa réplique, la requérante rétorque que le fait qu'un produit n'a jamais été vendu sur un marché déterminé et qu'il n'existe pas de données statistiques concernant le produit en cause ne doit pas empêcher d'examiner l'existence d'un abus de position dominante. Elle affirme que tant la Commission que la Cour ont, dans le passé, défini le marché du produit en cause sans avoir besoin d'une étude statistique détaillée [décision 92-521-CEE de la Commission, du 27 octobre 1992, relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV-33.384 et 33.378 - Distribution des forfaits touristiques lors de la Coupe du monde de football 1990, JO, L 326, p. 31) ; décision Magill, arrêts de la Cour du 13 novembre 1975, General Motors/Commission, 26-75, Rec. p. 1367, et du 11 novembre 1986, British Leyland/Commission, 226-84, Rec. p. 3263].

69 Les parties intervenantes souscrivent aux arguments de la Commission. Le bien-fondé de l'analyse de celle-ci concernant la définition du marché du produit en cause serait, en outre, démontré par les considérations suivantes. D'une part, la possibilité de suivre la diffusion télévisée d'une course serait sans rapport avec la possibilité d'engager des paris avant le début de la course. D'autre part, l'intérêt des parieurs pour les images diffusées dans les lieux où ils enregistrent leurs paris serait, en fait, déterminé par l'étendue de leurs connaissances et de leur expérience en la matière. A cet égard, les parties intervenantes, en distinguant entre parieurs occasionnels et parieurs réguliers, observent que les premiers, qui visitent de temps en temps une agence, engageraient des paris sur les courses proposées sans avoir une quelconque préférence pour telle ou telle catégorie de courses ni, par conséquent, pour les images de telle ou telle course. En revanche, pour les parieurs réguliers, l'engagement de leurs paris serait fonction de leurs connaissances approfondies du sport hippique et, en particulier, des qualités et performances des jockeys et des chevaux, sans dépendre du lieu où la course est courue ou de sa retransmission éventuelle.

70 Quant à la question de savoir s'il existe entre la transmission des différentes courses hippiques une substituabilité qui serait fonction de celle des paris pris sur celles-ci, les parties intervenantes observent que, dans sa requête, datée du 28 août 1993, la requérante a indiqué que les courses allemandes représentaient 40 % des paris engagés en Allemagne, les courses françaises 30 % et les courses britanniques 30 %, alors que dans sa plainte allemande, déposée au mois de novembre 1989, dans laquelle elle reprochait au PMU d'avoir refusé de lui fournir les sons et images français pour ses agences en Allemagne, elle indiquait que les courses françaises représentaient approximativement 40 % des paris sur les courses. Cela démontrerait que, malgré la retransmission des courses françaises en Allemagne, la part de marché des paris sur les courses françaises aurait diminué d'environ 25 % en trois ans. Les parties intervenantes ajoutent que, de même, selon la décision attaquée, la part du marché des courses britanniques en Allemagne était de 20 %, alors que selon les chiffres cités par la requérante dans sa requête, cette part est passée aujourd'hui à 30 %. Elles en concluent que ces chiffres démontrent aussi bien la variabilité permanente du marché des sons et images que le caractère substituable des différentes transmissions de courses.

71 Enfin, selon les parties intervenantes, l'absence de lien entre la transmission des sons et images de courses et la collecte des paris sur ces mêmes courses résulte du fait que i) la disponibilité des images ne conditionne pas l'accès à la prise de paris, ii) les acteurs concernés sur le marché des paris (agences hippiques, parieurs) et ceux du marché de la retransmission des images (agences hippiques, producteurs des images) sont différents, iii) ce n'est pas la disponibilité des sons et images qui conditionne la préférence des parieurs, mais le montant d'enjeux engagé sur une course, iv) la transmission d'une course est d'autant plus indépendante de la prise de paris que l'une et l'autre ne se recouvrent pas dans le temps et v) une entreprise peut détenir une position dominante sur le marché des retransmissions des sons et images sans être présente sur le marché de la prise de paris, ainsi que cela ressortirait de la décision attaquée concernant les faits de l'espèce.

Appréciation du Tribunal

- Sur l'absence ou l'insuffisance de motivation

72 Le Tribunal relève, tout d'abord, que, ainsi que cela ressort de la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 (voir ci-dessus point 21), la Commission a clairement défini le marché du produit en cause comme étant celui de la transmission des sons et images des courses hippiques en général plutôt que celui des paris sur ces courses (voir point II 1 a de la lettre, p. 11).

73 Elle a par ailleurs motivé la définition retenue par la considération que, d'une part, les opérateurs économiques sur le marché des paris sont différents de ceux qui opèrent sur le marché de la retransmission des sons et images des courses hippiques, de sorte que la définition du marché du produit en cause ne saurait comprendre que les seuls services de diffusion des sons et images télévisés des courses (voir point II 1 a, deuxième alinéa, de la lettre précitée, p. 12). D'autre part, la Commission a estimé qu'il ne peut être répondu dans l'abstrait à la question de savoir si ce marché se limite exclusivement aux courses françaises, ainsi que le soutient la requérante, ou s'il s'étend au contraire à d'autres courses, dans la mesure où cette question dépend de données factuelles variant d'un Etat membre à l'autre. A cet égard, la Commission s'est déclarée dans l'impossibilité d'effectuer une analyse détaillée des effets des différences de couverture horaire et journalière des diverses courses sur le choix des parieurs en Belgique, en raison du fait qu'il n'y avait pas de retransmission des sons et images français en Belgique pendant la période de l'examen de la plainte. Toutefois, se référant aux conditions de la concurrence entre les différentes courses prévalant sur le marché des paris en Allemagne, elle a conclu que le marché en cause était celui de la retransmission des sons et images sur les courses hippiques en général (voir point II 1 a, cinquième alinéa, de la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, p. 12, et point 8 de la lettre du 24 juin 1993).

74 Ainsi, la décision attaquée contient de façon suffisamment claire les motifs essentiels ayant conduit à la définition du marché du produit en cause retenue par la Commission. Par conséquent, le grief de la requérante tiré d'une absence ou d'une insuffisance de motivation ne saurait être accueilli.

75 Cette conclusion n'est pas infirmée par l'argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû motiver "de façon particulièrement minutieuse" la définition du marché du produit, puisque cette définition aurait été en contradiction avec la référence antérieure faite par la Commission, dans la décision PMU, au jugement rendu dans l'affaire Hellmund Deutscher Sportverlag par le Landgericht Saarbrücken (voir ci-dessus point 27), lequel aurait défini le marché du produit comme étant celui des sons et images français uniquement.

76 En premier lieu, la décision PMU était une décision portant mesures provisoires. Or, à la différence d'une décision définitive, une telle décision ne saurait lier la Commission, cette dernière ayant toujours la possibilité, à la suite d'un examen approfondi d'une plainte, de maintenir ou de modifier sa position initiale.

77 En second lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas de la décision PMU que la Commission a fait siennes les conclusions du juge allemand concernant le marché du produit en cause.

78 En effet, au point 8 de cette décision, sous le titre "Marché communautaire des paris sur les courses et les services connexes", la Commission expose que les informations à sa disposition suffisent "à démontrer qu'il existe des échanges commerciaux et de la concurrence dans le domaine des paris sur les courses et des services connexes, que le PMU et un nombre limité d'entreprises concurrentes participent à ces échanges", pour conclure, sous le titre "Pari mutuel urbain (PMU)", que "le PMU participe, directement ou indirectement, aux échanges intracommunautaires, qu'il poursuit une politique active d'expansion en matière d'exportation et qu'il est l'un des principaux acteurs sur le marché", et "qu'il existe des échanges et de la concurrence dans la fourniture des services liés aux paris et des services connexes dans la Communauté".

79 Il ressort clairement de ces extraits, comme de l'ensemble de la décision PMU, que la Commission s'est référée au jugement du Landgericht Saarbrücken pour démontrer l'existence d'échanges entre la France et l'Allemagne dans le domaine des paris et de la fourniture des services connexes, susceptibles de justifier, ensemble avec les autres considérations contenues dans la décision PMU (voir notamment p. 36, 37 et 38 de celle-ci), l'application des articles 92 et 93 du traité aux aides octroyées par l'Etat français au PMU et non pas pour définir le marché du produit en cause.

80 Par conséquent, la requérante ne peut soutenir que la définition du marché du produit en cause était en contradiction avec la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et nécessitait, de ce fait, une motivation plus minutieuse.

- Sur le bien-fondé de la définition du marché du produit

81 Selon une jurisprudence constante, aux fins de l'application de l'article 86 du traité, le marché du produit ou du service en cause englobe les produits ou les services qui sont substituables ou suffisamment interchangeables avec celui-ci, en fonction non seulement de leurs caractéristiques objectives, en vertu desquelles ils sont particulièrement aptes à satisfaire les besoins constants des consommateurs, mais également en fonction des conditions de concurrence et de la structure de la demande et de l'offre sur le marché en cause (arrêts de la Cour du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31-80, Rec. p. 3775, point 25, du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 37, du 3 juillet 1991, AKZO Chemie/Commission, C-62-86, Rec. p. I-3359, point 51 ; arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30-89, Rec. p. II-1439, point 64 et du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83-91, Rec. p. II-755, point 63).

82 S'agissant de l'argumentation de la requérante selon laquelle la Commission ne pouvait pas justifier son affirmation qu'il existe une concurrence entre les sons et images des différentes courses en se référant au marché allemand de prise de paris alors que ce dernier serait un marché distinct, le Tribunal estime que, en l'absence de toute transmission télévisée des sons et images français sur le marché belge, où seuls les sons et images des courses britanniques étaient transmis, la Commission était fondée, afin d'examiner s'il existait ou non une relation de concurrence entre les sons et images français et les sons et images des autres courses hippiques, à se référer au marché allemand, où sont effectivement transmises les courses françaises, parallèlement à d'autres courses. De surcroît, la requérante ne peut lui faire grief d'avoir pris en considération les conditions de concurrence existant sur le marché allemand des paris. En effet, en soutenant dans sa plainte que le marché des sons et images français avait, en fait, une étendue géographique communautaire ou qu'il comprenait, à tout le moins, les territoires de l'Allemagne, de la France et de la Belgique, elle avait invité la Commission à examiner le caractère substituable des sons et images français et des sons et images des autres courses, en tenant précisément compte des conditions de concurrence existant sur plusieurs marchés communautaires, dont le marché allemand.

83 La Commission pouvait par ailleurs se référer aux conditions de concurrence existant sur le marché principal de la prise de paris afin d'examiner les conditions de concurrence existant en aval sur le marché des sons et images. En procédant à la comparaison des parts du marché des paris pris sur les différentes courses hippiques et des parts du marché des sons et images de ces courses, elle s'est mise à même de se prononcer sur la question de savoir si le choix des bookmakers portant sur les courses transmises dans leurs agences était uniquement fonction, comme le soutient la requérante, du désir supposé des parieurs de ne voir que la retransmission des courses sur lesquelles ils parient.

84 A cet égard, il ressort clairement du point 8 de la décision attaquée qu'il existe, en ce qui concerne la demande sur le marché allemand des sons et images, une variabilité certaine par rapport à la demande sur le marché de la prise de paris. Cela démontre que, contrairement à ce que soutient la requérante, le choix fait par les bookmakers allemands entre les différents sons et images n'est pas uniquement fonction du désir des parieurs de voir seulement les courses sur lesquelles ils ont parié, mais aussi d'autres éléments, tels que les conditions dans lesquelles la transmission des courses leur est proposée et/ou la poursuite d'une politique de promotion de certaines courses par rapport à d'autres, qui constituent, ainsi que la Commission l'a, à juste titre, souligné, autant d'éléments de concurrence entre les différents sons et images offerts. En effet, selon des chiffres non contestés par la requérante, bien que 40 % des paris placés auprès des bookmakers allemands portent sur des courses françaises, 40 % sur les courses allemandes et 20 % sur des courses britanniques, 67 % des bookmakers ont choisi de recevoir et de retransmettre les sons et images français, tandis que 23 % ont opté pour la transmission des courses britanniques et que 10 % ont choisi les deux réseaux.

85 En outre, il y a lieu de relever que, en Belgique, des agences hippiques ne peuvent prendre des paris à la cote que sur les courses de chevaux courues à l'étranger et que, à l'époque des faits, les sons et images des courses britanniques étaient les seules à être retransmises dans les agences hippiques belges. Il en résulte que, en Belgique, il y avait au moins un produit autre que la transmission des sons et images français qui était comparable du point de vue de ses caractéristiques techniques et de son utilisation.

86 Dans ces circonstances, l'affirmation de la requérante selon laquelle les parieurs sur des courses françaises ne seraient pas satisfaits par des images d'autres courses ne suffit pas non plus à établir que, dans le cas d'espèce, la définition du marché du produit doit être limitée aux sons et images des courses françaises, à l'exclusion notamment des sons et images des courses britanniques, actuellement disponibles en Belgique. Ainsi que cela vient d'être constaté (voir ci-dessus point 84), il ne saurait être présumé, sans aucun élément concret de preuve, que la décision d'acquérir des transmissions des sons et images des courses, prise par l'agence hippique et non par le parieur, est arrêtée seulement en fonction des habitudes existantes des parieurs sans prendre en compte d'autres facteurs tels que les conditions des contrats de licence offertes par les différents donneurs de licences.

87 En effet, il ressort du dossier, et notamment des informations fournies par la requérante elle-même (voir points 6.14 et 6.15 de la requête et point 94 ci-après), que les paris pris par les agences de la requérante en Belgique, avant la modification de la législation belge ayant rendu possible la retransmission des images des courses britanniques, portaient à 100 % sur les courses françaises contre 0 % sur les courses britanniques et que, depuis la modification en question, les paris pris sur les courses françaises, qui ne sont toujours pas retransmises en Belgique, s'élèvent à 60 % contre 40 % pour les courses britanniques, dont les images sont à présent retransmises. Au vu de ces éléments avancés par la requérante elle-même, il convient de conclure que l'absence de transmission des sons et images français et la transmission des sons et images britanniques n'ont pas empêché et n'empêchent toujours pas les parieurs belges de continuer à parier sur les courses françaises. Par conséquent, la requérante ne saurait faire valoir que la demande sur le marché des sons et images et le choix consécutif des bookmakers des différents sons et images sont uniquement fonction du désir des parieurs de voir seulement les courses sur lesquelles ils ont parié et que, partant, les sons et images des différentes courses ne sont pas substituables entre eux.

88 Il s'ensuit que la requérante n'a pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne la définition du marché des produits.

89 Il résulte de tout ce qui précède que l'argumentation de la requérante tirée d'une absence ou d'une insuffisance de motivation et d'une définition erronée du marché du produit en cause doit être rejetée dans son ensemble.

Deuxième branche : sur la définition du marché géographique en cause

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

90 La requérante soutient que la distinction de plusieurs marchés géographiques nationaux résulte d'une confusion du marché des sons et images et du marché des paris, alors qu'il s'agirait de marchés de produits différents, dont la délimitation géographique pourrait aussi être différente. A cette fin, il faudrait tenir compte du fait qu'il existe en Belgique, comme en France et en Allemagne, une demande importante pour les sons et images français, comme le démontrerait le fait qu'elle réalise 95 % de son chiffre d'affaires sur les paris pris sur les courses françaises, et que cette demande ne peut être satisfaite d'une autre façon. En outre, les parieurs belges pourraient placer par téléphone ou par minitel des paris dans les agences françaises, ou même traverser la frontière franco-belge pour engager un pari en France. Enfin, il n'y aurait aucun obstacle technique à la transmission des sons et images français en Belgique.

91 La requérante soutient par ailleurs que les chiffres cités dans la décision attaquée, concernant la demande de prise de paris en Allemagne et en Belgique sur les courses allemandes, françaises, belges et britanniques, ne figuraient pas dans la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 et que la décision attaquée ne fait aucune référence à leur source.

92 En outre, les chiffres cités par la Commission concernant la structure de la demande en Allemagne et en Belgique seraient inexacts, trompeurs et sans pertinence, dans la mesure où ils reflètent les paris pris sur les hippodromes et par les bookmakers au lieu de se limiter aux paris pris uniquement par ces derniers, ce qui permettrait de constater que la structure de la demande sur les marchés belge et allemand est fortement influencée par la possibilité de transmettre les sons et images.

93 La requérante souligne que les chiffres relatifs au marché allemand cités par la Commission (point 10 de la décision attaquée) démontrent que 90 % des paris sont pris sur les courses allemandes (sans images) et 10 % sur les courses britanniques (avec images), tandis que les diverses parts du marché des paris pris uniquement par les bookmakers allemands représenteraient 40 % des paris pris sur les courses allemandes, 30 % sur les courses françaises, et 30 % sur les courses britanniques, ainsi que cela résulterait des informations reçues par les bookmakers en Allemagne. Les informations provenant de la seule agence de la requérante à Berlin, à laquelle les images françaises ont été refusées, démontreraient que les parts du marché des courses seraient les suivantes : courses allemandes 35 %, courses françaises 2 %, courses britanniques 63 %.

94 Quant aux chiffres concernant le marché belge (voir ci-dessus point 29), selon lesquels la part du marché des paris sur les courses françaises (sans images) serait de 63 %, celle de la prise de paris sur les courses belges (également sans images) de 31,5 % et celle des prises de paris sur les courses britanniques (avec images) de 5 %, la requérante soutient que, sur la base des informations à sa disposition, la répartition des paris concernant ses agences hippiques en Belgique s'établissent comme suit : courses françaises (sans images) 60 %, courses britanniques (avec images) 40 %. Elle ajoute que, avant la modification de la législation belge concernant la prise de paris sur les courses hippiques, lorsqu'il n'était pas possible de transmettre des images sur les courses britanniques, la répartition des paris était la suivante : courses françaises 100 %, courses britanniques 0 %, de sorte que la demande de courses britanniques se serait accrue en fonction de la diffusion en direct de celles-ci.

95 La requérante soutient encore que la décision attaquée est défectueuse au motif que la Commission, contrairement à la jurisprudence résultant de l'arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission (27-76, Rec. p. 207), aurait écarté le volet constitué par l'offre, caractérisé par l'absence de tout obstacle d'ordre technique à la diffusion des sons et images en Belgique.

96 Enfin, la définition du marché géographique serait défectueuse parce que la décision attaquée ne fournit aucune explication sur le contenu et l'importance des différences entre les divers cadres réglementaires nationaux ainsi que sur l'étendue des droits de propriété intellectuelle relatifs aux courses hippiques au sein de la Communauté.

97 La Commission estime que les préférences divergentes des consommateurs, créant des conditions différentes de concurrence dans les diverses zones géographiques concernées, justifient la délimitation du marché en cause à un niveau national. L'exigence d'une certaine demande pour le même produit dans toutes ces zones ne signifierait pas que celles-ci font partie d'un territoire unique, car cette demande serait négligeable [décision 92-553-CEE de la Commission, du 22 juillet 1992, relative à une procédure au titre du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil (Affaire n° IV-M.190 - Nestlé/Perrier) JO, L 356, p. 1], les paris donnés par téléphone ou ceux engagés dans des pays voisins ne représentant qu'une infime partie de la demande globale.

98 Les liens étroits entre parieurs et preneurs de paris, dus à l'absence relative de mobilité des parieurs, auraient comme conséquence que la concurrence entre les agences hippiques aurait une portée limitée se situant à un niveau local ou régional, de sorte que le marché auxiliaire des sons et images serait aussi limité au seul territoire national. La possibilité technique de la transmission des sons et images en Belgique ou en tout autre Etat membre ne pourrait pas mettre en cause cette division nationale du marché concerné, parce que son étendue ne serait fonction que des conditions de concurrence déterminées par la structure de la demande et des différences entre les cadres réglementaires des Etats membres. Sur ce dernier point, la législation belge aurait établi un cadre réglementaire créant des conditions de concurrence différentes de celles existant dans les autres Etats membres, comme le montrerait le fait qu'avant la modification de la législation concernant les heures d'ouverture des agences hippiques, la disponibilité technique des sons et images britanniques n'avait aucune influence sur l'intérêt des agences belges à les diffuser.

99 La Commission explique que les chiffres relatifs à la demande sur le marché allemand proviennent de la "plainte allemande" de la requérante (points 2.5.2, sous c) et d) de l'annexe 8 à la requête). Les divergences entre ceux-ci et ceux qu'avance à présent la requérante seraient probablement dues au fait que les données fournies à cette dernière par les bookmakers allemands ne concernent que les paris pris par eux, ce qui représenterait 20 % de tous les paris, les 80 % restants étant pris par les sociétés de courses allemandes sur les courses qu'elles organisent.

100 Concernant les chiffres de la demande sur le marché belge, la Commission considère que les informations de la requérante relatives aux paris pris sur les courses françaises et britanniques dans les agences hippiques, figurant pour la première fois dans la requête, ne remettent pas en cause l'image générale du marché belge telle qu'elle a été décrite dans la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63 et dans la décision attaquée.

101 Les parties intervenantes soulignent que les prises de paris par téléphone ou par minitel entre la Belgique et la France sont négligeables, qu'à ce jour seulement 22 personnes résidant en Belgique sont titulaires soit d'un compte par téléphone avec le PMU, soit d'un compte par minitel. Elles ajoutent que, en 1993, le montant des enjeux engagés sur l'ensemble de ces comptes aurait représenté 33 576 FF, soit 0,0001 % du montant des enjeux collectés la même année en France par le PMU. Enfin, le volume d'enjeux engagé par les 22 résidents belges titulaires d'un compte auprès du PMU n'aurait représenté que 0,0013 % du total des enjeux en Belgique sur les courses hippiques courues en Belgique et à l'étranger.

Appréciation du Tribunal

102 Dans l'économie de l'article 86 du traité, la définition du marché géographique relève, tout comme celle du marché des produits, d'une appréciation économique. Le marché géographique peut être défini comme le territoire sur lequel tous les opérateurs économiques concernés se trouvent exposés à des conditions objectives de concurrence qui sont similaires ou suffisamment homogènes (arrêts de la Cour United Brands/Commission, précité, point 44, Michelin/Commission, précité, point 26, et du 5 octobre 1988, Alsatel, 247-86, Rec. p. 5987, point 15 ; arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 91).

103 Le Tribunal estime qu'en l'espèce les conditions de concurrence existant sur le marché des sons et images doivent être examinées au niveau des agences hippiques. Celles-ci sont en effet les demandeurs de sons et images en vue de leur retransmission aux consommateurs finals, c'est-à-dire aux parieurs, de sorte que les conditions de fonctionnement du marché en aval des sons et images sont ainsi déterminées par les conditions de fonctionnement du marché principal des paris.

104 En effet, contrairement à ce que soutient la requérante, le marché des sons et images ne constitue pas un marché autonome mais plutôt un marché auxiliaire créé en conséquence du marché principal des paris, dont le fonctionnement tend à influencer et à diriger le choix des parieurs vers les paris pris sur les courses transmises, les parieurs étant les consommateurs finals tant sur le marché principal des paris que sur le marché auxiliaire des sons et images.

105 De toute façon, la requérante ne saurait faire valoir que la Commission a confondu le marché de paris avec le marché des sons et images. En effet, c'est la requérante elle-même qui, afin d'étayer son argumentation selon laquelle la transmission télévisée influence le choix des parieurs, s'est référée à la structure de la demande sur le marché des paris et, en particulier, à la structure de la demande concernant les paris pris par les agences et à la variabilité que cette demande connaîtrait du fait de la transmission ou non des sons et images des courses hippiques (voir ci-dessus points 93 et 94).

106 Cela étant, les conditions du fonctionnement du marché principal des paris sont caractérisées par des liens de proximité géographique étroite entre les parieurs et les agences hippiques, dans la mesure où la mobilité des parieurs ne peut être que limitée et marginale, comme le démontrent les éléments produits par les parties intervenantes et non contestés par la requérante, en ce qui concerne le marché transfrontalier de la prise de paris entre la Belgique et la France (voir ci-dessus point 101).Or, la proximité géographique nécessaire entre les agences hippiques et les parieurs a pour effet que la concurrence entre les diverses agences hippiques se développe, en substance, à l'intérieur de zones géographiques dont l'étendue prise dans son ensemble ne saurait, en tout état de cause, dépasser le cadre du territoire national.

107 Le cadre géographique du marché principal des paris demeurant national, il doit en être de même du cadre géographique du marché auxiliaire des sons et images. Il s'ensuit que les arguments de la requérante tirés du caractère inexact et non pertinent des chiffres relatifs à la structure de la demande en Belgique et en Allemagne doivent être écartés comme inopérants. A supposer même que les chiffres cités par la Commission à cet égard ne reflètent pas correctement la structure de la demande dans ces deux pays, ce qui n'est pas le cas, ainsi que le confirme une analyse circonstanciée de l'ensemble des chiffres produits par les parties dans leurs mémoires écrits et en réponse aux questions écrites du Tribunal, une telle constatation ne suffirait pas, en tout état de cause, à mettre en doute le caractère national du marché, compte tenu des considérations qui précèdent (voir points 103 à 106).

108 Il résulte de tout ce qui précède que les arguments de la requérante tirés d'une définition erronée du marché géographique en cause doivent être rejetés.

Troisième branche : sur la position dominante

109 La requérante soutient que la décision attaquée aurait dû considérer les sociétés de courses comme étant en position dominante collective sur le marché belge des sons et images français.

110 Toutefois, il y a lieu de relever que, même si les sociétés de courses devaient être regardées comme étant en position dominante collective, une telle constatation ne pourrait justifier l'annulation de la décision attaquée que si le refus des sociétés de courses de concéder à la requérante une licence de transmission réunissait effectivement les conditions d'un comportement abusif au sens de l'article 86 du traité.

111 Il convient donc de passer directement à l'examen de la quatrième branche du moyen de la requérante, tirée du caractère abusif du refus litigieux.

Quatrième branche : sur l'abus allégué

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

112 La requérante, partant de la considération que le marché géographique est de dimension communautaire et non pas, comme le soutient la Commission, de dimension nationale, soutient que l'abus allégué résulte du fait que le refus des sociétés de courses de lui concéder une licence de transmission des sons et images français est discriminatoire à son égard et cloisonne le marché, dans la mesure où les sociétés de courses ont octroyé des licences de transmission à d'autres parties, à savoir le PMU, le PMI, le DSV et les agences de paris en France et en Allemagne. Ce refus serait en outre arbitraire, puisque la requérante était disposée à payer aux sociétés de courses une redevance appropriée pour obtenir une licence des sons et images français. Il viserait, en fait, à limiter la croissance du groupe Ladbroke dans le secteur des paris sur les courses hippiques.

113 La requérante considère que, même dans le cas où le marché géographique serait la Belgique, le refus des sociétés de courses de lui accorder une licence des sons et images français serait, en soi, arbitraire et dépourvu d'une justification objective, en raison du fait que les sociétés de courses ont accordé de telles licences à des tiers sur des territoires voisins du marché commun. Le caractère arbitraire du refus litigieux serait également démontré par le fait que, d'une part, il n'existe aucun obstacle d'ordre technique à l'octroi de telles licences en Belgique et, d'autre part, par le fait que la requérante est un concurrent au moins potentiel des sociétés de courses, du PMU ainsi que du PMU belge, "allié" étroit du PMU. A cet égard, la Commission ne serait pas fondée à invoquer les arrêts de la Cour du 18 mars 1980, Coditel (62-79, Rec. p. 881, ci-après "arrêt Coditel I"), et du 6 octobre 1982, Coditel (262-81, Rec. p. 3381, ci-après "Coditel II"), à l'appui de son allégation selon laquelle les règles du traité ne font pas, en principe, obstacle aux limites géographiques convenues dans un contrat de licence, car ces arrêts ne concernent pas l'abus d'une position dominante, mais la libre prestation des services et les accords entre entreprises.

114 Les sociétés de courses, en accordant des licences à des entreprises en France et en Allemagne, auraient épuisé leur droit d'exclusivité sur les sons et images français, de sorte que les démarches de la requérante pour obtenir une licence de retransmission de ceux-ci ne sauraient être qualifiées de tentative pour obtenir une licence obligatoire, mais plutôt comme une tentative pour mettre fin à une politique de concession de licences qui serait arbitraire et discriminatoire.

115 La requérante considère que l'on ne peut éviter de qualifier d'abus le comportement reproché aux sociétés de courses en invoquant les arrêts de la Cour du 5 octobre 1988, Volvo (238-87, Rec. p. 6211), et Magill. Il découlerait en effet de ces arrêts que le refus d'une entreprise en position dominante d'accorder une licence en vertu de ses droits de propriété intellectuelle n'échappe pas à l'interdiction de l'article 86 du traité lorsqu'il est abusif. Ainsi, la thèse de la Commission selon laquelle le comportement dénoncé des sociétés de courses ne tombe pas dans la liste des exemples d'exercice abusif des droits de propriété intellectuelle donnée par la Cour et le Tribunal dans leurs arrêts Volvo et Magill serait erronée, parce que la liste en question ne serait pas exhaustive. L'arrêt Magill montrerait au contraire que le simple fait qu'un comportement déterminé ne correspond pas exactement aux exemples d'abus de position dominante visés dans l'arrêt Volvo n'empêche pas l'application éventuelle de l'article 86 à d'autres cas de figure.

116 De même, la requérante estime que la Commission n'est pas fondée à opérer, dans la décision attaquée, une distinction entre la décision London european/Sabena et les arrêts ICI et Commercial Solvents/Commission et CBEM, précités, d'une part, et la présente affaire, d'autre part, en invoquant le fait que, à la différence de ces trois affaires, les sociétés de courses ne sont pas, en l'espèce, présentes sur le marché en cause. Elle soutient que, contrairement à ce qui est affirmé dans la décision attaquée, les sociétés de courses sont présentes en Belgique par l'intermédiaire du PMU et de sa filiale belge, le PMB, et ont même, par l'intermédiaire du PMU et du PMI, proposé à des agences belges de leur fournir les sons et images français.

117 La Commission rappelle que, selon les arrêts précités de la Cour et du Tribunal, l'exercice du droit d'auteur n'est abusif que si les conditions et les modalités d'exercice de ce droit poursuivent un but manifestement contraire aux objectifs de l'article 86, comme dans l'affaire Magill, où le refus d'une licence empêchait l'arrivée sur le marché d'un nouveau produit. Ces conditions ne seraient pas réunies dans le cas d'espèce, dans la mesure où la requérante est active et même en position dominante sur le marché de la prise de paris sur lequel les sons et images sont proposés aux parieurs, alors que les titulaires des droits d'auteur en cause, les sociétés de courses, ne sont pas, actuellement, présents sur ce marché. En outre, à la différence de l'affaire Magill, le refus des sociétés de courses d'octroyer à Ladbroke une licence pour la diffusion des sons et images français n'aurait pas pour effet de priver les parieurs d'un service, c'est-à-dire des sons et images, lequel serait fondamentalement différent du service existant, c'est-à-dire la prise de paris.

118 Selon la Commission, le refus des sociétés de courses d'accorder des licences à la partie requérante aurait une justification commerciale. Dans la mesure où les licences des sons et images constituent un soutien publicitaire aux paris organisés par le PMU en France et en Suisse, il serait naturel que les sociétés de courses refusent de les accorder à des concurrents opérant sur les mêmes marchés que leur agent commercial commun, le PMU. En revanche, là où le PMU n'exerce aucune activité, les sociétés de courses seraient libres de concéder des licences à des tiers à condition que l'octroi de celles-ci ne soit pas discriminatoire, ce qui ne peut pas être le cas du marché belge où, à la différence du marché allemand, les sociétés de courses n'ont, jusqu'à aujourd'hui, concédé aucune licence. La Commission conteste l'affirmation de la requérante selon laquelle, d'une part, les sociétés de courses seraient présentes en Belgique par l'intermédiaire du PMU et de sa filiale, le PMB, et, d'autre part, leurs sons et images auraient été proposés, par l'intermédiaire du PMU/PMI, à des agences hippiques en Belgique. Comme indiqué dans la lettre envoyée au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, le PMB n'aurait jamais eu d'activités en Belgique et la situation d'une entreprise qui envisage d'accéder à un marché, soit directement, soit indirectement par le biais d'une licence, ne pourrait être comparée avec la situation d'une société déjà présente sur ce marché.

119 S'agissant du cloisonnement du marché commun allégué par la requérante, qui résulterait du fait que les sociétés de courses ont octroyé des licences en France et en Allemagne, la Commission souligne que, selon la jurisprudence (arrêts Coditel I et Coditel II), les règles du traité ne font pas en principe obstacle aux limites géographiques convenues dans un contrat de concession de droits de propriété intellectuelle. Le seul fait que ces limites coïncident en l'espèce avec des frontières nationales n'impliquerait pas une solution différente, puisque l'exploitation de ces droits est faite sur une base nationale en raison de ses liens avec le marché principal des paris. A la lumière de l'arrêt Volvo, précité, la position de la Cour adoptée dans les arrêts Coditel I et Coditel II s'appliquerait également dans le contexte de l'article 86 du traité. Ces arrêts auraient expressément rejeté la thèse selon laquelle l'octroi d'une licence pour un territoire particulier aurait comme effet d'épuiser le droit de réserver une exclusivité pour d'autres territoires et interdirait à une entreprise en position dominante de refuser l'octroi d'une licence alors qu'elle en a déjà octroyé dans d'autres Etats membres.

120 La Commission souligne que, dans l'hypothèse où le Tribunal considérerait que le marché géographique en cause s'étend à toute la Communauté, le refus des sociétés de courses de concéder une licence à la requérante ne serait abusif que s'il était effectivement établi que certaines agences hippiques, faute de disposer des sons et images, sont désavantagées par rapport à d'autres. Or, Ladbroke n'aurait rapporté une telle preuve ni au cours de la procédure administrative ni devant le Tribunal.

121 Les parties intervenantes soutiennent que, selon l'arrêt Magill, le refus d'un titulaire de droit de propriété intellectuelle de concéder une licence ne peut être qualifié d'abus de position dominante que si i) le refus de concession empêche l'apparition d'un produit nouveau beaucoup plus commode pour les consommateurs et constituant un marché dérivé, ii) le titulaire du droit en cause est présent tant sur le marché principal que sur le marché dérivé et iii) le titulaire du droit en cause empêche, par son refus de concession d'une licence, l'entrée des concurrents sur le marché afin de préserver son monopole. Dans la présente affaire, aucune de ces conditions ne serait remplie, dans la mesure où, d'une part, les sons et images ne constituent pas pour les parieurs un produit nouveau susceptible d'influencer leur choix de paris et, d'autre part, ni les sociétés de courses ni le PMU ou le PMI ne sont présents sur le marché belge de la prise de paris (marché principal) et celui de l'exploitation de leurs droits d'auteur (marché dérivé) et, enfin, le refus litigieux des sociétés de courses n'empêche pas l'entrée de la requérante sur le marché de la prise de paris.

122 Quant à l'affirmation de la requérante selon laquelle les sociétés de courses seraient déjà présentes en Belgique par l'intermédiaire du PMB, les parties intervenantes répondent qu'au mois de février 1981, le PMI a effectivement constitué une société de droit belge, dénommée PMB, en vue de tirer profit des perspectives d'une évolution législative rendant possible l'exploitation en Belgique des paris sur les courses étrangères, mais que le PMB n'a jamais eu, en fait, d'activité en Belgique, parce que cette évolution ne s'est pas produite.

Appréciation du Tribunal

123 L'argumentation de la requérante selon laquelle les sociétés de courses ont abusé de leur position dominante collective repose sur une définition du marché géographique qui comprendrait au moins la Belgique, la France et l'Allemagne. Or, pour les raisons déjà exposées ci-dessus (voir points 103 à 106), le marché en cause, à savoir le marché belge des sons et images, est national.

124 A cet égard, il est constant que les sociétés de courses n'ont jusqu'à présent octroyé aucune licence pour le territoire de la Belgique. Dès lors, leur refus de concéder une licence à Ladbroke ne constitue pas une discrimination entre les opérateurs sur le marché belge. Le seul fait que les sociétés de courses ont, selon la requérante, proposé à des agences belges de leur fournir les sons et images français ne saurait suffire, au sens de l'article 86 du traité, à les faire considérer comme ayant déjà exploité de façon discriminatoire en Belgique leurs droits de propriété intellectuelle sur les courses qu'elles organisent. Enfin, les sociétés de courses ne sauraient davantage être considérées comme présentes sur le marché belge par l'intermédiaire de leur filiale PMB, alors que la requérante ne conteste pas que cette dernière société, si elle a effectivement été constituée selon le droit belge par le PMI, n'a jamais eu d'activité commerciale en Belgique (voir ci-dessus point 122).

125 Par ailleurs, dans la mesure où le marché géographique se divise en marchés nationaux distincts, sur la base de sa structure déterminée par les critères tenant aux conditions de concurrence et, notamment, à la structure de la demande sur le marché des sons et images des courses en général, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le cloisonnement du Marché commun qu'elle allègue serait le résultat de la politique de concession des licences suivie par les sociétés de courses.

126 S'agissant, enfin, du caractère prétendument arbitraire du refus des sociétés de courses de fournir à la requérante les sons et images français, le Tribunal estime que, en présence de marchés de dimension nationale, le caractère arbitraire ou non du refus des sociétés de courses de procéder à l'exploitation de leurs droits de propriété intellectuelle en Belgique ne saurait être apprécié à la lumière de la politique suivie par les sociétés de courses sur d'autres marchés géographiquement distincts. Le fait que la requérante soit disposée, comme elle l'affirme, à payer une redevance appropriée pour une licence de transmission des courses françaises ne suffit pas à démontrer l'existence d'un abus, en l'absence d'une discrimination à son égard de la part des sociétés de courses sur le marché géographique en cause.

127 La requérante soutient que, même dans l'hypothèse où le marché géographique en cause serait la Belgique, le refus des sociétés de courses de lui concéder une licence de transmission serait arbitraire en raison du fait que ces dernières ont accordé des licences à des opérateurs économiques établis dans des pays voisins.

128 Toutefois, il doit être relevé que, si le refus de livrer à la requérante les sons et images français en Belgique n'est pas abusif dans la mesure où, ainsi qu'il vient d'être constaté, il n'implique aucune discrimination entre les opérateurs sur le marché belge, ce refus ne peut non plus être tenu pour abusif au seul motif que des agences qui opèrent sur le marché allemand disposent des sons et images français. En effet, il n'existe pas de concurrence entre les agences hippiques opérant en Belgique et celles opérant en Allemagne.

129 Il convient d'ajouter que ni l'absence d'obstacles techniques pour la transmission des sons et images français en Belgique, ni le fait que la requérante puisse être considérée, dans une perspective globale, comme un concurrent potentiel des sociétés de courses ne sauraient suffire à faire considérer le refus de fourniture litigieux comme un abus de position dominante, dès lors que, d'une part, les sociétés de courses sont elles-mêmes absentes du marché géographique distinct sur lequel opère la requérante et que, d'autre part, elles n'ont pas octroyé une licence à d'autres opérateurs sur ce marché.

130 La requérante ne peut invoquer utilement l'arrêt Magill pour démontrer l'existence de l'abus allégué, cette jurisprudence n'étant pas pertinente en l'espèce. Contrairement à l'affaire Magill, dans laquelle le refus de donner une licence au requérant l'empêchait d'entrer sur le marché des guides généraux de télévision, en l'espèce, la requérante non seulement est présente, mais occupe la plus grande part du marché principal de la prise de paris sur lequel le produit en cause, à savoir les sons et images, est proposé aux consommateurs, alors que les sociétés de courses, titulaires des droits de propriété intellectuelle, en sont absentes. Dès lors, en l'absence d'une exploitation directe ou indirecte par les sociétés de courses de leurs droits de propriété intellectuelle sur le marché belge, le refus litigieux desdites sociétés ne saurait être regardé comme entraînant une restriction quelconque de la concurrence sur le marché belge.

131 A supposer même que la présence des sociétés de courses sur le marché belge des sons et images ne soit pas, en l'espèce, un élément déterminant aux fins de l'application de l'article 86, cette disposition du traité ne serait pas applicable en l'espèce. En effet, le refus opposé à la requérante ne pourrait relever de l'interdiction de l'article 86 que s'il concernait un produit ou un service qui se présente soit comme essentiel pour l'exercice de l'activité en cause, en ce sens qu'il n'existe aucun substitut réel ou potentiel, soit comme un produit nouveau dont l'apparition serait entravée, malgré une demande potentielle spécifique constante et régulière de la part des consommateurs (voir à cet égard l'arrêt de la Cour du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241-91 P et C-242-91 P, Rec. p. I-743, points 52, 53, et 54).

132 En l'espèce, ainsi que la Commission et les parties intervenantes l'ont, par ailleurs, souligné, la transmission télévisée des courses hippiques, bien qu'elle constitue un service complémentaire, voire convenable, offert aux parieurs, n'est pas en soi indispensable à l'exercice de l'activité principale des bookmakers, c'est-à-dire la prise de paris, comme le démontre le fait que la requérante est présente sur le marché belge de la prise de paris et occupe une position importante dans le domaine des paris sur les courses françaises. La transmission n'est en outre pas indispensable, dans la mesure où elle s'effectue après l'engagement des paris, de sorte que son défaut n'affecte pas en soi le choix des parieurs et que, dès lors, il ne peut pas empêcher les bookmakers de poursuivre leurs activités commerciales.

133 Pour les mêmes raisons, la requérante ne saurait davantage invoquer la décision London european/Sabena et les arrêts ICI et Commercial Solvents/Commission et CBEM, précités. En effet, dans la décision London european/Sabena, le comportement d'exclusion en cause concernait un marché dans lequel tant Sabena que son concurrent, London european, étaient présents, tandis que dans la présente affaire, les sociétés de courses ne sont pas présentes sur le marché belge. Il en est de même des deux arrêts invoqués. Dans l'affaire ICI et Commercial Solvents/Commission, l'abus consistait dans le refus d'une société en position dominante sur le marché des matières premières de fournir ces matières à un client produisant des produits dérivés dans le but de réserver ces matières premières à sa propre production de dérivés, la société en position dominante étant ainsi, comme ses clients, présente sur le marché en aval, à savoir le marché des dérivés. En revanche, dans la présente affaire, les sociétés de courses ne sont pas présentes sur le marché belge de sons et images français. Dans l'arrêt CBEM, la Cour a dit pour droit que constitue un abus de position dominante le fait pour une entreprise de se réserver ou de réserver à une entreprise appartenant au même groupe qu'elle, sans nécessité objective, une activité auxiliaire qui pourrait être exercée par une tierce entreprise sur un marché voisin mais distinct. Or, dans la présente affaire, les sociétés de courses ne se sont pas réservées le marché des sons et images français en Belgique et n'ont pas non plus donné accès à ce marché à une entreprise tierce ou à une entreprise leur appartenant.

134 Il résulte de tout ce qui précède que le moyen de la requérante tiré d'un abus de position dominante de la part de sociétés de courses doit être rejeté.

3. Sur l'application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

135 La requérante soutient que tant le refus indirect du DSV que le refus direct des sociétés de courses de lui concéder une licence de transmission des courses françaises en Belgique tombent sous le coup de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

136 Le refus indirect du DSV de lui concéder une telle licence découlerait de l'interdiction imposée par les sociétés de courses au DSV de retransmettre les sons et images français en dehors du territoire concédé. Il équivaudrait donc à une interdiction d'exportation et aboutirait à un cloisonnement des marchés nationaux, en violation de l'article 85, paragraphe 1, étant donné que cette interdiction constituerait le moyen d'une entente ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence entre le PMU, le PMI et leurs "alliés", d'une part, et le groupe Ladbroke, d'autre part.

137 Le raisonnement contraire énoncé sur ce point par la Commission dans la décision attaquée s'écarterait de sa pratique antérieure en la matière, selon laquelle la protection des droits d'auteur ne peut pas servir à justifier des interdictions contractuelles d'exportation (affaire Stempa, Onzième Rapport sur la politique de concurrence, 1982, point 98). La requérante souligne que, dans l'arrêt Coditel I, la Cour n'a pas exclu que les modalités d'exercice des droits d'auteur puissent se révéler incompatibles avec les dispositions de l'article 85, dès lors qu'elles constituent le moyen d'une entente susceptible d'avoir pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

138 A cet égard, la décision attaquée serait entachée d'une insuffisance de motivation, dans la mesure où la Commission n'aurait pas examiné si l'interdiction imposée au DSV de retransmettre des sons et images français en dehors du territoire concédé était la conséquence de l'exercice légal des droits de propriété intellectuelle de la part des sociétés de courses ou, au contraire, le résultat d'une entente ayant pour objet ou pour effet la restriction de la concurrence au sein du marché commun, ainsi que la plainte le soutenait.

139 La requérante soutient que le refus direct des sociétés de courses, communiqué par le PMU par lettre du 8 août 1990, constitue l'objet d'un accord entre les sociétés de courses et/ou d'une décision d'association d'entreprises et/ou d'une pratique concertée contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Un tel refus ne pourrait être considéré comme la "conséquence naturelle" du fait que ni le PMU ni les sociétés de courses n'acceptent des paris en Belgique sur les courses françaises, parce que en Allemagne, où, pareillement, ni le PMU ni les sociétés de courses n'acceptent des paris, ces dernières ont transmis les sons et images français au DSV et lui ont permis de les retransmettre à des agences établies sur le territoire concédé.

140 Enfin, la Commission ne serait pas fondée à soutenir que, dans la mesure où aucune licence n'a été concédée sur le marché belge, le refus de chaque société de courses de concéder à la requérante une licence sur ce marché ne restreint pas de manière discriminatoire la concurrence. D'une part, la Commission aurait mal défini le marché géographique en cause et, d'autre part, le refus litigieux empêcherait la requérante d'entrer en concurrence avec les autres agences de paris en Belgique. La requérante considère que, si les sociétés de courses avaient concédé de façon discriminatoire des licences à certaines agences belges et non à d'autres, cela aurait en effet constitué une distorsion supplémentaire de la concurrence. Toutefois, l'absence d'une telle discrimination supplémentaire ne signifierait pas que le refus litigieux ne constitue pas, en soi, une restriction de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

141 La Commission rappelle que, en l'état actuel du droit communautaire, la clause interdisant au DSV de retransmettre en dehors du territoire concédé les sons et images français relève de la substance des droits de propriété intellectuelle dont disposent les sociétés de courses et ne constitue donc pas une violation au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

142 Elle affirme que le refus direct des sociétés de courses d'octroyer une licence à la requérante constitue la conséquence normale du fait que les sociétés de courses et le PMU n'assurent pas actuellement la prise de paris sur les courses françaises en Belgique ni n'exploitent des droits de propriété intellectuelle dans ce pays. En l'absence de preuve contraire, ce comportement ne pourrait donc être considéré comme découlant d'un accord ou d'une pratique concertée entre les sociétés de courses.

143 La Commission fait valoir que la position qu'elle avait adoptée dans l'affaire Stempa, précitée (voir ci-dessus point 137), a été par la suite rejetée par la Cour dans l'arrêt Coditel II.

144 Enfin, elle conteste la thèse de la requérante selon laquelle le refus litigieux des sociétés de courses, en ce qu'il ne serait pas objectivement justifié, entraînerait en soi une restriction de la concurrence, même en l'absence de toute discrimination, parce qu'il empêcherait la requérante de recevoir les sons et images français et de faire ainsi concurrence aux autres agences hippiques en Belgique. La Commission estime en effet que, en l'absence de relation de concurrence entre Ladbroke et les sociétés de courses sur le marché belge, l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité est par définition exclue.

145 Les parties intervenantes souscrivent aux arguments avancés par la Commission et soulignent que lors de la publication au Journal officiel des Communautés européennes de la communication de la Commission au titre de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, concernant le contrat entre le PMI et le DSV, la clause interdisant au DSV la rediffusion des sons et images français en dehors du territoire concédé n'a fait l'objet d'aucune réserve de la part de la Commission.

Appréciation du Tribunal

146 Il convient de rappeler à titre liminaire qu'il ne saurait être exclu que certaines modalités d'exercice d'un droit de propriété intellectuelle puissent se révéler incompatibles avec l'article 85 du traité, dès lors qu'elles constituent le moyen d'une entente susceptible d'avoir pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun(voir arrêt Coditel II, point 14). Toutefois, la seule circonstance que le titulaire du droit d'auteur ait concédé à un licencié unique un droit exclusif sur le territoire d'un Etat membre, en interdisant l'octroi de sous-licences pendant une période déterminée, ne suffit pas à faire constater qu'un tel contrat doit être considéré comme l'objet, le moyen ou la conséquence, d'une entente interdite par le traité(même arrêt, point 15).

147 Cependant, si les traits qui caractérisent l'industrie et les marchés en cause font apparaître qu'une licence de représentation exclusive n'est pas, en soi, de nature à empêcher, restreindre ou fausser la concurrence, il n'en reste pas moins que l'exercice du droit d'auteur ainsi que celui du droit concédé qui en découle peuvent, dans un contexte économique ou juridique dont l'effet est de restreindre d'une manière sensible l'activité en cause ou de fausser la concurrence sur le marché, eu égard aux particularités de celui-ci, relever de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité(même arrêt, points 16 et 17).

148 C'est à la lumière de ces orientations de la jurisprudence que doivent être examinés les arguments de la requérante tirés d'une motivation insuffisante de la décision attaquée et, en ce qui concerne les refus indirect et direct d'une licence de transmission des courses françaises en Belgique, d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Sur le grief tiré d'une motivation insuffisante de l'acte

149 Selon une jurisprudence constante, l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si cette décision est bien fondée ou si elle est, éventuellement, entachée d'un vice permettant d'en contester la validité. La portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (arrêts de la Cour du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C-121-91 et C-122-91, Rec. p. I-3873, point 31, du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56-93, Rec. p. I-723, point 86 et du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, C-329-93, C-62-95 et C-63-95, non encore publié au Recueil, point 31 ; arrêt Branco/Commission, précité, point 32). Ainsi, s'agissant des décisions de la Commission qui ont pour objet de constater une infraction aux règles de la concurrence, il ne saurait être exigé de la Commission qu'elle discute tous les points de fait ou de droit qui ont été soulevés au cours de la procédure administrative (arrêt RTE et ITP/Commission, précité, point 99 ; arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Sotralentz/Commission, T-149-89, Rec. p. II-1127, point 73).

150 En l'espèce, la Commission, en considérant dans la décision attaquée que l'interdiction de retransmission imposée par les sociétés de courses au DSV ne relève pas, en l'état actuel du droit communautaire, de l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais fait partie des droits dont dispose le donneur de licence, a fourni une indication suffisante permettant à la requérante de connaître les principaux éléments de fait et de droit qui sont à la base du raisonnement contenu dans la décision attaquée. La question de savoir si le refus litigieux pourrait éventuellement être le résultat d'une entente interdite par l'article 85, paragraphe 1, du traité relève de l'examen du fond de cette décision et non pas de l'obligation de motivation. Par conséquent, le grief tiré d'une motivation insuffisante doit être rejeté.

Sur le refus indirect d'une licence de transmission

151 Quant au bien-fondé de la position de la Commission, selon laquelle le refus de retransmission imposé au DSV, c'est-à-dire d'accorder des sous-licences en dehors du territoire concédé, fait partie, en l'état actuel du droit communautaire, des droits de propriété intellectuelle, le Tribunal rappelle que la seule circonstance que le titulaire d'un droit d'auteur ait décidé de concéder une licence exclusive unique sur le territoire d'un Etat membre, et donc d'interdire l'octroi de sous-licences en dehors du territoire concédé, ne suffit pas pour faire constater qu'un tel contrat constitue l'objet, le moyen ou la conséquence d'une entente visant à restreindre la concurrence sur le marché en cause(voir arrêt Coditel II, point 15).

152 Or, en l'espèce, la requérante n'a apporté aucun élément de preuve pour démontrer que le contrat conclu entre le PMU/PMI et le DSV constituait en réalité le moyen d'une entente interdite par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Dans ces circonstances, on se saurait conclure que la Commission a commis une erreur en considérant que l'article 85, paragraphe 1, n'était pas applicable.

153 Par conséquent, le grief de la requérante tiré d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 1, au contrat conclu entre les sociétés de courses et le DSV ainsi qu'au refus opposé par ce dernier à la requérante doit être rejeté.

Sur le refus direct d'une licence de transmission

154 Ainsi que cela ressort du dossier, la requérante a, lors du déroulement de la procédure administrative, fait valoir devant la Commission que le refus direct de chacune des sociétés de courses de lui accorder une licence faisait l'objet d'un accord conclu entre les sociétés de courses et que cet accord relevait de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. A l'appui de cette affirmation, elle avait invoqué la lettre du 8 août 1990, susvisée, par laquelle le PMU lui avait communiqué le refus litigieux au nom des sociétés de courses, ainsi que le caractère exclusif du contrat du 9 janvier 1990, conclu entre les sociétés de courses et le PMU et portant sur l'exploitation par ce dernier, en dehors de la France, de leurs droits de propriété intellectuelle sur les courses qu'elles organisent (voir lettre de Ladbroke du 13 janvier 1993, points 2.7.1 à 2.7.3, annexe 5.16 à la requête et point 24, ci-dessus).

155 La Commission, dans la décision attaquée, a estimé que ce refus était la conséquence normale du fait que ni le PMU ni les sociétés de courses ne sont, à l'heure actuelle, présents sur le marché de la prise de paris en Belgique et que, par conséquent, ce comportement ne restreignait pas, de façon discriminatoire, la concurrence sur ce marché. En outre, elle a fait valoir devant le Tribunal que la requérante n'avait pas établi l'existence d'un accord entre les sociétés de courses contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Enfin, dans sa réponse à une question écrite du Tribunal, elle a expliqué que, si elle n'avait pas examiné la question de savoir si le refus d'une licence faisait l'objet d'un accord entre les sociétés de courses destiné à restreindre la concurrence entre elles au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, c'était parce que la plainte de la requérante était, en tout état de cause, dépourvue sur ce point d'un intérêt légitime au sens de l'article 3 du règlement n° 17.

156 Il y a lieu de rappeler que sont visés par la prohibition de l'article 85, paragraphe 1, du traité tout accord, décision d'association d'entreprises ou pratique concertée ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence que se font ou pourraient se faire les parties concernées entre elles, mais également la concurrence qui pourrait s'exercer entre elles ou l'une d'elles et les tiers (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56-64 et 58-64, Rec. p. 429, 493, et Italie/Conseil et Commission, 32-65, Rec. p. 563, 592).

157 Il en résulte qu'un accord entre deux ou plusieurs entreprises ayant comme objet d'interdire l'octroi à un tiers d'une licence d'exploitation des droits de propriété intellectuelle ne tombe pas, comme le soutient la Commission, hors du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, au seul motif qu'aucune des parties contractantes n'a accordé à un tiers une telle licence sur le marché en cause et qu'aucune restriction de la position concurrentielle actuelle des tiers n'en découle.

158 En effet, s'il est vrai qu'un tel refus, en l'absence d'une concurrence actuelle sur le marché en cause, ne saurait être considéré comme discriminatoire et donc comme susceptible de relever de l'article 85, paragraphe 1, sous d), du traité, il n'en reste pas moins qu'un accord comme celui dénoncé par la requérante peut avoir pour effet de restreindre une concurrence potentielle sur le marché en cause, dès lors qu'il prive chacune des parties contractantes de sa liberté de contracter directement avec un tiers en lui concédant une licence d'exploitation de ses droits de propriété intellectuelle et d'entrer ainsi en concurrence avec les autres parties contractantes sur le marché pertinent.

159 Il s'ensuit qu'un accord horizontal entre des sociétés de courses qui empêcherait chacune d'elles d'accorder à un tiers, tel que la requérante, une licence de transmission des sons et images sur les courses qu'elle organise serait susceptible de faire obstacle à l'entrée de chacune d'elles sur le marché belge des sons et images des courses en général et de restreindre ainsi la concurrence potentielle qui pourrait exister sur ce marché, au détriment des intérêts des bookmakers et des consommateurs finals. En outre, un tel accord pourrait avoir pour effet de "limiter ou de contrôler [...] les débouchés" et/ou de "répartir les marchés" au sens de l'article 85, paragraphe 1, sous b) et c), du traité.La Commission ne saurait donc exciper d'une absence d'intérêt légitime dans le chef de la requérante au sens de l'article 3 du règlement n° 17, pour justifier son omission d'examiner ce volet de la plainte, telle que complétée par les observations de la requérante contenues dans sa lettre du 13 janvier 1993.

160 Dans ces conditions, en considérant que le refus de fourniture d'une licence, communiqué à la requérante par la lettre du 8 août 1990, ne constituait pas un accord ayant pour objet de restreindre la concurrence entre les sociétés de courses sur le marché belge de l'exploitation de leurs droits de propriété intellectuelle sur les courses organisées par elles, aux motifs que ce refus était la conséquence normale de l'absence de concurrence actuelle sur ce marché et que, en tout état de cause, la requérante ne justifiait pas sur ce point d'un intérêt légitime au sens de l'article 3 du règlement n° 17, la Commission n'a pas examiné avec la diligence requise tous les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par Ladbroke.

161 Faute d'avoir examiné avec la diligence requise cet aspect de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, la Commission ne pouvait écarter la pertinence ni de la lettre du 8 août 1990, susmentionnée, ni du contrat du 9 janvier 1990, conclu entre les sociétés de courses et le PMU (voir lettre à la Commission du 13 janvier 1993, susvisée), invoqués par la requérante comme éléments de preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle le refus litigieux faisait l'objet d'un accord entre les sociétés de courses relevant, même en l'absence d'un traitement discriminatoire sur le marché belge, de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

162 Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée doit être annulée dans la mesure où, en s'abstenant d'examiner si le refus litigieux pouvait éventuellement avoir fait l'objet d'un accord entre les sociétés de courses empêchant chacune d'elles de concéder à Ladbroke une licence de transmission des courses qu'elles organisaient, et en écartant en conséquence la pertinence de la lettre du 8 août 1990 en tant qu'élément de preuve de l'existence d'un accord interdit par l'article 85, paragraphe 1, du traité, au motif que le refus litigieux serait la conséquence normale du fait que ni le PMU ni aucune des sociétés de courses n'est présent sur le marché de la prise de paris en Belgique, la Commission n'a pas examiné avec la diligence requise ce volet de la plainte de la requérante.

Sur les dépens

163 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l'article 87, paragraphe 3, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours ayant été partiellement accueilli et les parties ayant l'une et l'autre conclu à la condamnation de l'autre aux dépens, il y a lieu de décider que chacune des parties supportera ses propres dépens.

164 Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, la partie intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) La décision de la Commission contenue dans sa lettre du 24 juin 1993 rejetant la plainte de la requérante du 9 octobre 1990 (IV-33.699) est annulée en ce qu'elle considère que le refus des sociétés de courses de fournir à la requérante une licence de transmission des courses françaises en Belgique, tel que communiqué à la requérante par une lettre du Paris mutuel urbain en date du 8 août 1990, était la conséquence normale du fait que ni le Paris mutuel urbain ni les sociétés de courses ne prennent des paris sur le marché de la prise de paris en Belgique et ne pouvait, par conséquent, faire l'objet d'un accord entre les sociétés de courses, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Chaque partie, y compris la partie intervenante, supportera ses propres dépens.