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Décisions

TPICE, 1re ch., 9 juin 1997, n° T-9/97

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Elf Atochem (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saggio

Juges :

Mme Tiili, M. Moura Ramos

Avocat :

Me de Roux.

TPICE n° T-9/97

9 juin 1997

Faits à l'origine du recours

1 Le 8 novembre 1996, la direction générale de la concurrence de la Commission (DG IV) a adressé une télécopie à la requérante pour l'informer que, dans le cadre de l'affaire n° IV/E-2-35.765, concernant une enquête sur l'existence de certains accords ou pratiques concertées contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité dans le secteur des oléfines et polyoléfines, la Commission avait décidé de procéder, entre autres, auprès d'elle à une vérification au titre de l'article 14, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1963, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17").

2 La requérante a accepté de se soumettre à ladite vérification qui a eu lieu les 18, 19 et 20 novembre 1996.

3 Au cours de ces trois jours, les agents de la Commission ont pris copies d'un certain nombre de documents et se sont entretenus avec les représentants de la requérante. Ils ont proposé qu'un membre du personnel de la requérante prenne note des explications orales fournies. Cette proposition a été rejetée par les représentants de la requérante.

4 Les agents de la Commission, ayant pris note de ces explications, ont soumis aux représentants de la requérante un document contenant un sommaire des propos que ces derniers avaient tenus lors des entretiens du 18 novembre 1996 (annexe 1 à la requête). Ce document est qualifié de "procès-verbal" aussi bien par les agents mandatés de la Commission que par la requérante.

5 Les représentants de la requérante ont refusé, d'une part, de vérifier l'exactitude dudit document et, d'autre part, de le signer. En revanche, ils ont marqué leur désaccord avec la façon dont le document avait été établi. Celui-ci a finalement été signé par les agents de la Commission ainsi que par les deux représentants de l'autorité française compétente au sens de l'article 14, paragraphe 5, du règlement n° 17, à savoir la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

6 Les agents de la Commission ont également rédigé un second document qui contient un sommaire des propos des représentants de la requérante recueillis les 19 et 20 novembre 1996 (annexe 2 à la requête). Ceux-ci ont, tout comme dans le cas du premier procès-verbal, refusé de participer à l'établissement de ce document et de le signer. Ce document est également qualifié de procès-verbal par les parties.

Procédure et conclusions

7 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 janvier 1997, la requérante a introduit le présent recours, dans lequel elle conclut à ce qu'il plaise au Tribunal d'annuler l'intégralité des procès-verbaux et de leurs annexes établis à la suite de la vérification effectuée auprès d'elle les 18, 19 et 20 novembre 1996.

8 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 février 1997, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité dans laquelle elle conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer le recours irrecevable en application de l'article 114 du règlement de procédure,

- condamner la requérante aux dépens.

9 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, déposées le 20 mars 1997, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal d'"adjuger de plus fort à la requérante le bénéfice de ses précédentes écritures".

En droit

Sur la recevabilité

Arguments des parties

10 La Commission relève que constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Elle souligne que, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, seules constituent, en principe, des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de la procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639, points 8 et suivants, et du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10-92, T-11-92, T-12-92 et T-15-92, Rec. p. II-2667, point 28).

11 La défenderesse fait valoir que les documents mis en cause par la requérante ne produisent aucun effet juridique de nature à affecter ses intérêts en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Il s'agirait, au contraire, de simples rapports reprenant les notes prises par les agents de la Commission lors de la vérification.

12 Elle ajoute que, si la Commission utilisait ces rapports dans son éventuelle décision concernant la requérante, en tant qu'éléments de preuve d'un comportement anticoncurrentiel, la requérante aurait toute possibilité de contester cette utilisation devant la Commission et, le cas échéant, devant le juge communautaire.

13 Enfin, la défenderesse fait remarquer que, si un recours est possible à l'encontre d'une décision de la Commission de procéder à une demande de renseignements formelle, au titre de l'article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, et à l'encontre d'une décision de la Commission de procéder à une vérification formelle, au titre de l'article 14, paragraphe 3, dudit règlement, un tel recours n'est pas prévu en ce qui concerne une simple demande de renseignements, visée à l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, ni en ce qui concerne une vérification par simple mandat, visée à l'article 14, paragraphe 2, dudit règlement, comme c'était le cas en l'espèce.

14 La requérante, pour sa part, fait valoir que l'existence même des documents mis en cause constitue pour elle un grief parce que, même s'ils sont qualifiés d'actes préparatoires, ils ont un effet juridique en ce qu'ils auront une influence certaine sur l'évolution du dossier et sur la préparation de l'acte final. Ces documents modifieraient donc de façon préjudiciable sa situation juridique.

15 Elle soutient que, comme la Cour a reconnu la possibilité de former un recours à l'encontre d'une demande de renseignements fondée sur l'article 11 du règlement n° 17 (arrêts de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374-87, Rec. p. 3283, et Solvay/Commission, 27-88, Rec. p. 3355) et que les agents de la Commission ont, en l'espèce, détourné la procédure du règlement n° 17 en tentant d'obtenir, sur le fondement de l'article 14, des réponses écrites à des questions, mesure qui aurait dû être fondée sur l'article 11 de ce règlement, le présent recours doit être considéré comme recevable.

16 Elle conclut que, plutôt que de risquer d'entacher de nullité l'acte final qui pourra être pris par la Commission, il semble d'une bonne administration de la justice et d'une meilleure garantie des droits de la défense d'annuler les actes faisant grief, avant qu'ils n'aient produit des effets plus graves de nature à vicier l'ensemble de la procédure.

17 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, la requérante rétorque en outre que les documents ne sont aucunement de simples "notes reprenant les explications orales entendues", car les agents de la Commission ont demandé aux représentants de la requérante, ainsi qu'aux représentants des autorités nationales, de les signer. Elle souligne qu'ils constituent de véritables procès-verbaux que la Commission se réserve la possibilité d'utiliser en tant qu'éléments de preuve ou comme éléments soutenant sa décision.

Appréciation du Tribunal

18 En vertu de l'article 114 du règlement de procédure, lorsqu'une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l'irrecevabilité sans engager le débat au fond. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu'il peut statuer sur la demande sans ouvrir la procédure orale et sans engager le débat au fond.

19 Pour statuer sur la recevabilité du présent recours, il convient de rappeler que constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation, au sens de l'article 173 du traité, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique(arrêt IBM/Commission, précité, point 9).

20 A cet égard, il y a lieu d'observer que, lorsqu'il s'agit d'actes ou de décisions dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases, seules constituent, en principe, des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position de l'institution au terme de la procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (voir arrêt IBM/Commission, précité, point 10 ; arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64-89, Rec. p. II-367, point 42 ; Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, point 28 ; du 27 juin 1995, Guérin automobiles/Commission, T-186-94, Rec. p. II-1753, point 39, et ordonnance du Tribunal du 14 mars 1996, Dysan Magnetics et Review Magnetics/Commission, T-134-95, Rec. p. II-181, point 20).

21 En l'espèce, il appartient donc au Tribunal d'apprécier si les deux documents, leurs annexes comprises - dénommés procès-verbaux -, qui ont été mis en cause par la requérante, sont de nature à produire, par eux-mêmes, des effets juridiques susceptibles d'affecter les intérêts de la requérante ou si, au contraire, leur établissement ne constitue qu'une mesure préparatoire dont l'illégalité pourrait être soulevée dans le cadre d'un recours dirigé contre l'éventuelle décision finale, tout en assurant une protection suffisante aux parties intéressées (arrêt de la Cour du 24 juin 1986, Akzo Chemie/Commission, 53-85, Rec. p. 1965, point 19, et arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, point 31). Or, seuls des actes affectant immédiatement et de manière irréversible la situation juridique de l'entreprise concernée seraient de nature à justifier, dès avant l'achèvement de la procédure administrative, la recevabilité d'un recours en annulation (arrêts Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, point 42, et Dysan Magnetics et Review Magnetics/Commission, précité, point 21).

22 Il convient de rappeler que la procédure de vérification dont il est question à l'article 14 du règlement n° 17 ne vise pas à faire cesser une infraction ou à constater une incompatibilité légale, mais a uniquement pour objet de permettre à la Commission de recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait et de droit déterminée(arrêt de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136-79, Rec. p. 2033, point 21). Une décision éventuelle constatant une infraction à l'article 85 ou 86 du traité, au titre de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, n'est prise qu'à un stade ultérieur.

23 D'ailleurs, l'article 14, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17 ménage aux agents mandatés par la Commission la possibilité de demander des explications orales lors et aux fins de la vérification. La circonstance qu'ils aient ce pouvoir de demander des renseignements sur des questions concrètes spécifiques découlant des livres et des documents professionnels qu'ils examinent ne suffit pas pour conclure qu'une vérification s'identifie à une procédure tendant à obtenir des renseignements, au sens de l'article 11 du règlement n° 17 (arrêt National Panasonic/Commission, précité, point 15).

24 En tout état de cause, s'il est vrai qu'une décision formelle de procéder à une vérification peut avoir un caractère déterminant pour l'établissement de preuves du caractère illégal du comportement d'une entreprise de nature à engager sa responsabilité(voir l'arrêt de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85-87, Rec. p. 3137, point 26), une demande d'explications ou de renseignements qui n'est pas prise sous la forme d'une décision formelle ne peut être considérée comme ayant un tel caractère déterminant.

25 Enfin, quant aux questions relatives à la façon dont s'est déroulée la vérification, y compris l'établissement de procès-verbaux, elles peuvent être, le cas échéant, examinées dans le cadre d'un recours à l'encontre d'une éventuelle décision finale de la Commission.

26 Dans ces circonstances, comme les documents mis en cause par la requérante ne peuvent être considérés comme affectant immédiatement et de manière irréversible la situation juridique de celle-ci, leur existence n'est pas de nature à justifier, dès avant l'achèvement de la procédure administrative, la recevabilité d'un recours en annulation.

27 De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que le recours doit être déclaré irrecevable.

Sur les dépens

28 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant demandé la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu d'ordonner que la requérante supportera l'ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) La requérante supportera l'ensemble de dépens.