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Décisions

CJCE, 17 novembre 1993, n° C-2/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Meng

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Due, Présidents de chambre : MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Rodriguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn

Avocats :

Mes Bernd, Griber.

CJCE n° C-2/91

17 novembre 1993

LA COUR,

1 Par ordonnance du 26 novembre 1990, parvenue à la Cour le 3 janvier 1991, le Kammergericht Berlin a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, et 85, paragraphe 1, du traité en vue d'apprécier la conformité avec ces dispositions d'une réglementation étatique qui a pour effet de restreindre la concurrence entre opérateurs économiques.

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un recours introduit par M. Meng contre un jugement par lequel l'Amtsgericht Tiergarten (République fédérale d'Allemagne) lui a infligé une amende pour infraction à la réglementation sur les assurances qui interdit les cessions de commissions aux clients.

3 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que M. Meng a pour profession de donner des conseils en matière financière et notamment sur des contrats d'assurance. C'est dans le cadre de cette activité qu'à six reprises, entre mars 1987 et juillet 1988, lors de la conclusion de contrats d'assurance, il a cédé à ses clients la commission qui lui avait été versée par la compagnie d'assurance. Trois de ces contrats avaient trait à l'assurance maladie et trois autres à l'assurance défense et recours.

4 La cession de commission est interdite en République fédérale d'Allemagne, pour ce qui concerne l'assurance maladie, par l'Anordnung über das Verbot der Gewahrung von Sondervergütungen und des Abschlusses von Begünstigungsvertragen in der Krankenversicherung (ordonnance relative à l'interdiction des mesures préférentielles et des contrats de faveur dans le domaine de l'assurance maladie, ci-après "Anordnung", publiée au Deutscher Reichsanzeiger und Preussischer Staatsanzeiger n° 129 du 6 juin 1934, p. 3), qui a été édictée le 5 juin 1934 par le Reichsaufsichtsamt für Privatversicherung (office allemand de contrôle des assurances, ci-après "office de contrôle"). Le point I de l'Anordnung dispose :

"Il est interdit aux sociétés d'assurance et aux intermédiaires intervenant dans la conclusion de contrats d'assurance d'accorder au preneur d'assurance des bonifications spéciales sous quelque forme que ce soit."

5 La même interdiction est applicable dans le domaine de l'assurance dommage ainsi que dans celui de l'assurance défense et recours en vertu de la Verordnung über das Verbot von Sondervergütungen und Begünstigungsvertragen in der Schadenversicherung (règlement relatif à l'interdiction des mesures préférentielles et des contrats de faveur dans le domaine de l'assurance dommage, ci-après "Verordnung", publiée au Bundesgesetzblatt I, p. 1243) qui, quant à elle, a été adoptée le 17 août 1982 par le Bundesaufsichtsamt für das Versicherungswesen (office allemand de contrôle des assurances, qui a repris les fonctions du Reichsaufsichtsamt für Privatversicherung, ci-après également "office de contrôle"). La Verordnung prévoit en son article 2 :

"1) Il est interdit aux entreprises d'assurance soumises au contrôle fédéral et aux personnes agissant comme intermédiaires pour les contrats d'assurance souscrits auprès d'elles et couvrant les risques d'assurance dommage, d'assurance contre les accidents, d'assurance crédit, d'assurance caution et d'assurance défense et recours, de consentir des mesures préférentielles, quelle qu'en soit la forme, aux preneurs d'assurance.

2) Est une mesure préférentielle tout avantage direct ou indirect accordé en sus des prestations résultant du contrat d'assurance, notamment toute cession de commission."

6 L'Anordnung et la Verordnung ont été adoptées par l'office de contrôle sur la base de la Gesetz über die Beaufsichtigung der Versicherungsunternehmen du 12 mai 1901 (loi sur le contrôle des entreprises d'assurances, RGBI. S. 139). L'article 81, paragraphe 2, troisième phrase, de cette loi, telle qu'elle résulte de la version codifiée du 13 octobre 1983 (BGBl. I S. 1261), dispose que l'office de contrôle "peut, de manière générale ou pour certains secteurs d'assurance, interdire aux sociétés d'assurance et aux intermédiaires en assurance d'accorder des avantages spéciaux sous quelque forme que ce soit."

7 Estimant qu'en cédant sa commission à ses clients M. Meng avait enfreint la réglementation mentionnée ci-dessus, l'Amtsgericht Tiergarten lui a infligé une amende de 1850 DM. L'intéressé a alors fait appel de ce jugement devant le Kammergericht Berlin, en faisant valoir que la réglementation était contraire aux articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, et 85, paragraphe 1, du traité.

8 C'est dans ces conditions que le Kammergericht Berlin, considérant que l'issue du litige dépendait de l'interprétation du droit communautaire, a déféré à la Cour la question préjudicielle suivante :

"Les dispositions du point I de l'ordonnance du Deutsches Reichsaufsichtsamt für Privatversicherung du 5 juin 1934 relative à l'interdiction des mesures préférentielles et des contrats de faveur dans le domaine de l'assurance maladie (n° 129 du Deutscher Reichsanzeiger und Preussischer Staatsanzeiger du 6 juin 1934) et de l'article 1er du règlement du Bundesaufsichtsamt für das Versicherungswesen du 17 août 1982 relatif à l'interdiction des mesures préférentielles et des contrats de faveur dans le domaine de l'assurance dommage (BGBl. I, p. 1243 - VerBAV 1982, p. 456), en vertu desquelles il est interdit - également - aux intermédiaires indépendants en assurances d'accorder un traitement préférentiel par cession de la commission, sont-elles incompatibles avec les articles 3, sous f), 5 et 85, paragraphe 1 du traité CEE et, partant, inapplicables ?"

9 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

10 A titre liminaire, il convient de relever qu'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d'une procédure introduite en vertu de l'article 177 du traité, sur la compatibilité de normes de droit interne avec les dispositions du droit communautaire, mais que la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui permettent à celle-ci d'apprécier la compatibilité de ces normes avec la réglementation communautaire.

11 Dans ces conditions, la question posée par le Kammergericht Berlin doit être comprise, en substance, comme visant à savoir si les articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, et 85 du traité font obstacle à ce qu'une réglementation étatique interdise aux intermédiaires en assurance de céder à leurs clients tout ou partie des commissions versées par les compagnies d'assurance.

Sur le caractère étatique de la réglementation

12 A titre liminaire, il convient de relever que l'office de contrôle est une autorité administrative, qu'il dépend d'un ministère (à l'heure actuelle le ministère fédéral des Finances) et qu'il est chargé par la loi de contrôler l'activité des entreprises d'assurance. A cette fin, l'office est notamment habilité à prendre des mesures réglementaires visant à interdire des comportements susceptibles de porter atteinte aux intérêts des consommateurs. C'est sur cette base qu'il a édicté en 1934 et en 1982 les mesures litigieuses.

13 Du statut et des pouvoirs de l'office, il y a lieu de déduire que lesdites mesures présentent un caractère étatique. Il convient donc d'examiner si, ainsi que le soutient M. Meng, l'article 85 lu en liaison avec les articles 3, sous f), et 5, deuxième alinéa, du traité s'oppose à une telle réglementation.

Sur l'interprétation des articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, et 85 du traité

14 Pour ce qui est de l'interprétation des articles 3, sous f), 5 deuxième alinéa, et 85 du traité, il y a lieu de rappeler que, par lui-même, l'article 85 du traité concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des Etats membres. Il résulte cependant d'une jurisprudence constante que l'article 85, lu en combinaison avec l'article 5 du traité, impose aux Etats membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Tel est le cas, en vertu de cette même jurisprudence, lorsqu'un Etat membre soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 85 ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention en matière économique(voir arrêt du 21 septembre 1988, Van Eycke, 267-86, Rec. p. 4769, point 16).

15 A cet égard, il convient de constater tout d'abord que la réglementation allemande sur les assurances n'impose ni ne favorise la conclusion d'une entente illicite par les intermédiaires en assurances, puisque l'interdiction qu'elle édicte se suffit à elle-même.

16 Il y a lieu de vérifier ensuite si la réglementation a eu pour effet de renforcer un accord anticoncurrentiel.

17 A cet égard, il est constant que cette réglementation n'a été précédée d'aucun accord dans les secteurs qu'elle couvre, à savoir ceux de l'assurance maladie, de l'assurance dommage et de l'assurance défense et recours.

18 La Commission a toutefois fait valoir que certaines entreprises avaient conclu un accord visant à interdire les cessions de commissions dans le secteur de l'assurance vie et qu'en rendant cet accord applicable à d'autres secteurs, la réglementation en a renforcé la portée.

19 Ce point de vue ne saurait être retenu. Une réglementation applicable à un secteur d'assurance déterminé ne saurait être regardée comme renforcant les effets d'une entente préexistante que si elle se borne à reprendre les éléments d'une entente intervenue entre les opérateurs économiques de ce secteur.

20 Enfin, il convient de relever que la réglementation formule elle-même l'interdiction d'accorder des avantages aux preneurs d'assurances et ne délégue pas à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention en matière économique.

21 Des considérations qui précèdent il résulte qu'une réglementation comme celle en cause dans le litige au principal n'entre pas dans les catégories de réglementations étatiques qui, selon la jurisprudence de la Cour, portent atteinte à l'effet utile des articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, et 85 du traité.

22 Dès lors, il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction nationale que les articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, et 85 du traité CEE ne font pas obstacle à ce que, en l'absence de tout lien avec un comportement d'entreprises visé par l'article 85, paragraphe 1, du traité, une réglementation étatique interdise aux intermédiaires en assurance de céder à leurs clients tout ou partie des commissions versées par les compagnies d'assurance.

Sur les dépens

23 Les frais exposés par les Gouvernements belge, danois, allemand, hellénique, espagnol, français, irlandais, italien, néerlandais, portugais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par le Kammergericht Berlin, par ordonnance du 26 novembre 1990, dit pour droit :

Les articles 3, sous f), 5, deuxième alinéa, et 85 du traité CEE ne font pas obstacle à ce que, en l'absence de tout lien avec un comportement d'entreprises visé par l'article 85, paragraphe 1, du traité, une réglementation étatique interdise aux intermédiaires en assurance de céder à leurs clients tout ou partie des commissions versées par les compagnies d'assurance.