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Décisions

TPICE, 2e ch., 28 octobre 1993, n° T-83/92

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Zunis Holding (SA), Finan (Srl), Massinvest (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cruz Vilaça

Juges :

MM. Barrington, Biancarelli, Briët, Kalogeropoulos

Avocats :

Mes Forwood, Crossick.

Comm. CE, du 19 déc. 1991

19 décembre 1991

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, (deuxième chambre)

Faits à l'origine du litige

1 Le 27 novembre 1991, la Commission a reçu une notification au titre du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (version révisée publiée au JO 1990 L 257, p. 14, ci-après "règlement n° 4064-89"), concernant une opération par laquelle Mediobanca - Banca di Credito Finanziario SpA (ci-après "Mediobanca") portait sa participation dans le capital de Assicurazioni Generali SpA (ci-après "Generali") de 5,98 % à 12,84 %.

2 Par décision du 19 décembre 1991, adoptée au titre de l'article 6, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 4064-89, la Commission a estimé que l'opération notifiée ne relevait pas de ce règlement, au motif que Mediobanca ne serait pas en mesure, à la suite de l'opération notifiée, d'exercer seule ou conjointement avec d'autres entreprises une "influence déterminante" sur Generali.

3 Dans une lettre adressée à la Commission le 26 juin 1992, les requérantes, qui sont toutes actionnaires de Generali, ont demandé la réouverture de la procédure, suite à la publication, le 19 mars 1992, dans le quotidien italien Il Sole 24 Ore, d'un article reproduisant le texte intégral d'un accord, signé à Paris le 26 juin 1985, qui serait jusque-là resté secret, conclu entre Mediobanca, Lazard Frères de Paris (ci-après "Lazard") - dont la filiale Euralux SA était le deuxième actionnaire de Generali avec 4,77 % du capital - et Generali elle-même (ci-après "accord"). Cet accord prévoit notamment la création d'un comité directeur, composé de représentants de Generali et de ses deux principaux actionnaires, dans le but d'examiner les problèmes de Generali ayant un intérêt commun et d'intervenir dans la désignation d'un certain nombre de membres des organes d'administration et de direction de la société.

4 En réponse à une question écrite du Tribunal, les requérantes ont affirmé, d'une part, avoir eu connaissance de cet article "fin mars/début avril 1992" et, d'autre part, avoir eu un premier contact informel avec les services de la Commission, le 6 mai 1992, avant l'introduction de la demande formelle de réouverture de la procédure par lettre du 26 juin 1992.

5 Dans cette demande, les requérantes faisaient valoir, en substance, que l'appréciation portée par la Commission dans sa décision du 19 décembre 1991, selon laquelle l'opération de concentration notifiée ne relevait pas du règlement n° 4064-89, résultait d'une méprise fondamentale sur les données essentielles concernant l'étendue de l'influence et du contrôle exercés par Mediobanca, tant seule que conjointement avec Lazard, antérieurement à l'augmentation de sa participation, en vertu de l'opération notifiée. Une telle méprise ne pouvait, de l'avis des requérantes, qu'être la conséquence d'une information notoirement incomplète ou inexacte sur les termes de l'accord conclu entre Mediobanca, Lazard et Generali, et en particulier sur ses effets. Les requérantes faisaient valoir, par ailleurs, que l'existence d'une notification incomplète et incorrecte quant à son contenu avait pour conséquence procédurale que la Commission restait compétente pour rouvrir le dossier, et qu'une telle réouverture serait justifiée tant dans l'intérêt public que dans l'intérêts des parties concernées.

6 Par lettre du 31 juillet 1992, signée par le directeur général de la concurrence de la Commission, celle-ci a rejeté la demande des requérantes tendant à obtenir la réouverture de la procédure, au motif, notamment, que : "... la décision Mediobanca/Generali n'était pas basée sur des "informations incorrectes", comme vous l'alléguez, puisque la Commission avait connaissance de l'accord de Paris de 1985 et en a tenu compte dans l'adoption de sa décision. Je renvoie à la déclaration de la Commission selon laquelle "Il predetto accordo non contiene disposizioni circa l'esercizio congiunto dei diritti di voto né include qualsivoglia meccanismo societraio che garantisca il risultato finale delle proposizioni concernenti la composizione degli organi sociali" ("l'accord mentionné ne contient pas de dispositions sur l'exercice conjoint du droit de vote, ni aucun mécanisme sociétaire qui garantisse le résultat final des propositions concernant la composition des organes sociaux") (point 9, deuxième alinéa, de la décision).

Il s'ensuit qu'il n'existe aucun motif de réouverture de l'examen de l'affaire, et il n'est par conséquent pas nécessaire de prendre une décision sur une suspension de l'opération...".

Procédure et conclusions des parties

7 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 1992, les requérantes ont formé un recours en annulation contre la décision qui serait contenue dans cette lettre.

8 Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 17 décembre 1992, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité à l'encontre du recours introduit par les requérantes, dans les conditions prévues à l'article 114 du règlement de procédure.

9 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- ordonner à la Commission, à titre de mesures d'instruction, de produire le texte intégral de la décision du 19 décembre 1991 et de la notification de Generali/Mediobanca, ainsi que tous les autres documents relatifs à l'accord et à ses effets ;

- déclarer nulle la décision de la Commission telle qu'elle est notifiée dans la lettre du 31 juillet 1992 ;

- condamner la Commission aux dépens.

10 La Commission, pour sa part, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme irrecevable ;

- condamner les requérantes solidairement et conjointement aux dépens.

11 Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission, les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter l'exception de la Commission comme non fondée et déclarer le recours recevable ;

- à titre subsidiaire, joindre la question de la recevabilité au fond de l'affaire et adopter toutes les mesures d'instruction nécessaires en ce qui concerne la véritable nature de la lettre du 31 juillet 1992 ;

- condamner la Commission à l'ensemble des dépens.

12 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé de donner suite à la demande de la Commission de statuer sur l'exception d'irrecevabilité sans engager le débat au fond et, en même temps, d'inviter les parties à répondre à certaines questions écrites. Les parties requérantes et la partie défenderesse ont répondu aux questions posées par le Tribunal, par actes enregistrés le 14 juin 1993. Elles ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal à l'audience publique du 24 juin 1993.

13 A l'issue de l'audience, le président a prononcé la clôture de la procédure orale sur l'exception d'irrecevabilité.

Sur la recevabilité de la demande en annulation

Arguments des parties

14 A l'appui de l'exception d'irrecevabilité qu'elle a soulevée, la Commission fait valoir, en premier lieu, que la lettre du 31 juillet 1992 ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, en ce qu'elle se limite à informer les requérantes que la Commission était au courant de l'accord lorsqu'elle a arrêté sa décision et qu'elle en a tenu compte. Elle souligne, à cet égard, que, s'il est certes vrai que rien ne s'oppose, sur le plan juridique, à ce qu'elle rouvre l'enquête sur une opération de concentration qui a abouti à une décision au titre de l'article 6, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 4064-89, il n'en reste pas moins qu'aucune disposition de droit communautaire ne l'oblige à rouvrir une telle enquête à la demande d'une entreprise concernée et encore moins d'une tierce partie se prévalant d'un fait prétendument nouveau. Par ailleurs, la Commission considère que, eu égard au principe de la confiance légitime et à la difficulté d'annuler les conséquences d'une opération de concentration, elle se doit d'être prudente dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la réouverture d'une affaire dans ce domaine.

15 Etablissant à ce sujet un parallèle avec les règles applicables aux demandes de révision d'un arrêt de la Cour ou du Tribunal, la partie défenderesse estime qu'une demande de révision d'une décision adoptée en application du règlement n° 4064-89 ne serait "valable" qu'après la découverte d'un fait qui, avant l'adoption de la décision, était inconnu de la Commission et de la partie qui demande la révision. Or, selon la Commission, les requérantes n'ont présenté aucun fait nouveau et ne prétendent pas que l'accord constituait un fait inconnu de la Commission au moment où elle a arrêté sa décision du 19 décembre 1991, mais se limitent à faire valoir que la Commission n'a pas évalué de manière correcte les effets dudit accord.

16 Dans son exception d'irrecevabilité, la Commission soutient encore que la lettre du 31 juillet 1992 n'a pas la teneur d'une décision et qu'il ressort, tant du libellé que de l'esprit de cette lettre, qu'elle se situe à un stade préliminaire de l'examen de la demande des requérantes et n'exprime qu'une première réaction des services de la Commission, ne produisant ainsi aucun effet juridique. La défenderesse fait valoir, par ailleurs, qu'un refus définitif de rouvrir la procédure aurait dû émaner de la même autorité que celle qui serait compétente pour rouvrir une affaire de concentration, c'est-à-dire du collège des commissaires. A l'audience, toutefois, la Commission a déclaré qu'elle ne souhaitait pas maintenir cet argument.

17 En second lieu, la Commission estime qu'en tout état de cause la lettre du 31 juillet 1992 ne saurait constituer un acte affectant directement et individuellement les requérantes et que, par conséquent, celles-ci n'ont pas qualité pour contester cette lettre, car elles n'avaient pas non plus qualité pour contester la décision du 19 décembre 1991 ni demander la réouverture de l'enquête qui a abouti à cette décision. La Commission remarque, à cet égard, que, indépendamment de la question de savoir si et quand des actionnaires minoritaires sont susceptibles d'être concernés directement et individuellement par des décisions prises au titre du règlement n° 4064-89, tel n'est pas, en l'espèce, le cas des requérantes, lesquelles n'ont, au demeurant, fait aucune observation ni participé d'aucune manière à la procédure administrative qui a conduit à la décision du 19 décembre 1991.

18 Enfin, la Commission fait observer, à titre subsidiaire, que la lettre du 31 juillet 1992 ne peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel séparé, car elle ne fait que confirmer la décision antérieure. Selon la Commission, ladite lettre se limite, en réalité, à répéter que rien dans l'accord n'avait pour effet de donner à Mediobanca, seule ou conjointement, le contrôle de Generali et à citer le passage de la décision du 19 décembre 1991 s'y rapportant. De l'avis de la défenderesse, le recours des requérantes constitue, en réalité, une tentative inadmissible de contester la décision antérieure bien après l'expiration du délai prévu à l'article 173, troisième alinéa, du traité CEE.

19 Dans leur requête, les requérantes soulignent, à titre liminaire, que, dans sa lettre du 31 juillet 1992, la Commission n'a pas contesté leur qualité pour demander la réouverture de la procédure, admettant ainsi implicitement que, si sa décision était basée sur des informations inexactes fournies par les auteurs de la notification, elle aurait des motifs suffisants pour soumettre l'affaire à un réexamen.

20 A cet égard, les requérantes rappellent, tout d'abord, que les faits qui ont conduit au présent litige trouvent leur origine dans une augmentation du capital de Generali effectuée en juillet 1991, dont la structure inhabituelle aurait permis à Mediobanca de prendre le contrôle d'environ 50 000 000 des 145 750 000 actions supplémentaires, portant ainsi sa part directe de 5,98 % à 12,84 % du capital social. Selon les requérantes, le but principal - sinon le seul - de l'augmentation de capital était de créer un mécanisme par lequel Mediobanca pourrait renforcer de façon disproportionnée son influence sur Generali, ce qui lui permettrait d'exercer avec la filiale de Lazard, Euralux, un contrôle effectif sur Generali.

21 Les requérantes estiment qu'il résulte des éléments versés au dossier que, si Mediobanca et Generali avaient fourni des renseignements utiles et complets, comme l'exige la réglementation applicable, la Commission n'aurait pas pu conclure que la composition du conseil d'administration de Generali confirmait que Mediobanca n'était pas en mesure d'exercer une influence déterminante sur les organes sociaux de Generali ni n'aurait manqué de faire référence à la composition du comité exécutif. De même, les requérantes considèrent que, si le contenu et l'effet de l'accord avaient été communiqués entièrement et loyalement, la Commission n'aurait pas pu parvenir à la conclusion énoncée au point 9 de la décision du 19 décembre 1991, selon laquelle il n'existait pas de "mécanisme sociétaire" garantissant le résultat des propositions concernant les organes de la société.

22 Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, les requérantes contestent, en particulier, l'interprétation de la Commission visant à faire croire que le "fait nouveau" qu'elles ont invoqué était la simple publication du texte de l'accord. Selon les requérantes, le véritable "fait nouveau" que cette publication aurait rendu apparent était la circonstance que la Commission avait été trompée au cours de la procédure administrative à propos de l'effet véritable de l'accord, et en particulier à propos du rôle et de l'influence réels du comité de coordination dans les organes de direction de Generali. Une telle méprise de la Commission sur la véritable nature de la demande des requérantes serait de nature à ébranler les moyens d'irrecevabilité de la Commission.

23 Les requérantes contestent, par ailleurs, la thèse de la Commission, selon laquelle la validité d'une demande de révision est soumise aux mêmes conditions que celles qui s'appliquent à une demande de révision d'un arrêt de la Cour ou du Tribunal. Une telle analogie est, de l'avis des requérantes, doublement inappropriée. En premier lieu, parce que, la Commission étant un organe administratif et non une juridiction, les considérations relatives au fait qu'il est souhaitable que les procédures judiciaires aboutissent à des décisions définitives ne sont pas directement applicables. En second lieu, parce que la compétence de la Commission pour rouvrir une procédure, ayant donné lieu à une décision antérieure, sur la base de la découverte, par la partie qui demande cette réouverture, d'un fait nouveau substantiel, est largement reconnue dans d'autres domaines du droit communautaire.

24 S'agissant de l'argument de la Commission relatif au défaut d'intérêt à agir des requérantes, celles-ci soulignent, en particulier, que, si elles avaient demandé à intervenir dans la procédure antérieurement à l'adoption de la décision du 19 décembre 1991, comme elles l'auraient fait si elles avaient connu les éléments révélés ultérieurement, leur qualité pour agir n'aurait pas pu être mise en cause. Elles rappellent qu'en tout état de cause leurs intérêts sont affectés plus directement encore que ceux des travailleurs des entreprises concernées, dont l'intérêt à agir potentiel a été reconnu dans l'ordonnance en référé rendue le 15 décembre 1992 par le président du Tribunal dans l'affaire CCE Grandes Sources e.a./Commission (T-96-92 R, Rec. p. II-2579, points 31 et suivants). A l'audience, les requérantes ont expliqué que l'existence d'un accord entre Mediobanca et Lazard interdisant à ceux-ci de céder leurs parts à des tiers était connue depuis longtemps et que le procès-verbal de l'assemblée générale de Generali de 1991 y faisait déjà référence. Cependant, la véritable nature de l'accord leur aurait été cachée. Telle serait la raison pour laquelle les requérantes n'ont pas demandé à intervenir dans la procédure devant la Commission ou à obtenir le texte de la décision adoptée le 19 décembre 1991.

25 Les requérantes contestent, enfin, l'argument de la Commission, selon lequel la lettre du 31 juillet 1992 ne saurait faire l'objet d'un contrôle juridictionnel distinct, au motif qu'elle ne fait que confirmer la décision antérieure du 19 décembre 1991. Elles relèvent, en particulier, que leur demande de réouverture de l'affaire a été presque entièrement consacrée à étudier en détail les éléments nouveaux qui s'étaient révélés depuis la décision originaire du 19 décembre 1991 et que la Commission ne saurait invoquer le fait qu'elle n'a pas pris ces éléments nouveaux en considération pour justifier sa qualification de la lettre du 31 juillet 1992 comme purement confirmative de la décision antérieure.

Appréciation du Tribunal

En ce qui concerne le cadre juridique du litige

26 En vertu de l'article 4 du règlement n° 4064-89, les opérations de concentration de dimension communautaire doivent être notifiées à la Commission dans un délai d'une semaine à compter de la conclusion de l'accord ou de la publication de l'offre d'achat ou d'échange ou de l'acquisition d'une participation de contrôle. Cette notification est suspensive, la concentration ne pouvant, sauf dérogation expresse, être réalisée ni avant d'être notifiée ni pendant un délai de trois semaines suivant sa notification. Parallèlement, en vue de garantir l'efficacité du contrôle et la sécurité juridique des entreprises concernées, la Commission est tenue de respecter, conformément à l'article 10 du même règlement, des délais stricts pour l'engagement d'une procédure, ainsi que pour l'adoption de la décision finale, faute de quoi l'opération est réputée compatible avec le Marché commun.

27 S'agissant en particulier de l'examen de la notification et de l'engagement de la procédure, l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89 prévoit que, dans un délai d'un mois, la Commission doit constater, par voie de décision, soit que l'opération de concentration ne relève pas du règlement, soit que ladite opération ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun et qu'il n'y a pas lieu de s'y opposer, soit encore que l'opération soulève des doutes sérieux et qu'il y a lieu d'engager la procédure.

28 Le règlement n° 4064-89 ne contient aucune disposition prévoyant expressément la possibilité de demander à la Commission la réouverture d'une procédure. Son article 8, paragraphe 5, sous a), permet, toutefois, à la Commission de révoquer une décision déclarant, sur le fondement du paragraphe 2 du même article, une concentration compatible avec le Marché commun, notamment si celle-ci repose sur des indications inexactes ou obtenues frauduleusement.

En ce qui concerne l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission

29 Aux termes de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions indiquées au premier alinéa du même article, un recours "contre les décisions dont elle est le destinataire, et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement".

30 Pour statuer sur la recevabilité du présent recours, il convient de relever, en premier lieu, que, ainsi que la Cour l'a jugé (voir l'ordonnance du 27 janvier 1993, Miethke/Parlement, C-25-92, Rec. p. I-473), il ne suffit pas qu'une lettre ait été envoyée par une institution communautaire à son destinataire, en réponse à une demande formulée par ce dernier, pour qu'une telle lettre puisse être qualifiée de décision au sens de l'article 173 du traité, ouvrant ainsi la voie du recours en annulation. Seules constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation, au sens de l'article 173 du traité CEE, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires, de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (voir l'arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10-92, T-11-92, T-12-92 et T-15-92, Rec. p. II-2667, point 28).

31 Il convient d'observer, en second lieu, qu'il résulte également de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu'un acte de la Commission revêt un caractère négatif, il doit être apprécié en fonction de la nature de la demande à laquelle il constitue une réponse (voir, en dernier lieu, l'arrêt du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C-15-91 et C-108-91, Rec. p. I-6061, point 22). En particulier, le refus opposé, par une institution communautaire, de procéder au retrait ou à la modification d'un acte ne saurait constituer lui-même un acte dont la légalité peut être contrôlée, conformément à l'article 173 du traité CEE, que lorsque l'acte que l'institution communautaire refuse de retirer ou de modifier aurait pu lui-même être attaqué en vertu de cette disposition (voir, pour des actes à caractère réglementaire, les arrêts de la Cour du 8 mars 1972, Nordgetreide/Commission, 42-71, Rec. p. 105, point 5, du 26 avril 1988, Asteris e.a. et République hellénique/Commission, 97-86, 193-86, 99-86 et 215-86, Rec. p. 2181, point 17 ; du 17 mai 1990, Sonito/Commission, C-87-89, Rec. p. I-1981, point 8 ; voir également les conclusions de l'avocat général M. Gulmann sous l'arrêt Buckl e.a./Commission, précité, point 14).

32 En l'espèce, les requérantes ont saisi la Commission d'une demande de réouverture de la procédure relative à l'opération de concentration entre Mediobanca et Generali, sur laquelle la Commission s'est prononcée par décision du 19 décembre 1991. Le Tribunal rappelle que, dans cette décision, la Commission a constaté que l'opération notifiée ne relevait pas du règlement n° 4064-89, au motif que Mediobanca ne serait pas en mesure, à la suite de l'opération notifiée, d'exercer, seule ou conjointement avec d'autres entreprises, une "influence déterminante" sur Generali (voir, ci-dessus, point 2).

33 Le Tribunal estime que, à travers leur demande de réouverture de la procédure, les requérantes visaient, en réalité, à obtenir de la Commission, d'une part, l'adoption d'une décision de retrait de la précédente décision du 19 décembre 1991, au motif que celle-ci reposait sur des faits matériellement inexacts, et, d'autre part, l'adoption d'une nouvelle décision concernant l'opération qui lui avait été notifiée. La correspondance du 31 juillet 1992, objet du présent litige, doit donc être interprétée comme un refus de la Commission de prononcer un tel retrait et, par voie de conséquence, d'examiner à nouveau l'opération dont l'avaient saisie les parties notifiantes. Or, il est constant que les requérantes ont la qualité de tiers, par rapport à la décision initialement adoptée par la Commission le 19 décembre 1991 et adressée aux entreprises parties à l'opération de concentration en cause. Dans ces circonstances, et conformément au principe susexposé (point 31), les requérantes ne peuvent prétendre obtenir le retrait de la décision initiale du 19 décembre 1991 que pour autant qu'elles sont directement et individuellement concernées par ladite décision, au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE.

34 A cet égard, le Tribunal relève, liminairement, que la seule circonstance qu'un acte est susceptible d'exercer une influence sur les relations existant entre les différents actionnaires d'une société ne saurait suffire pour que l'un quelconque de ces actionnaires puisse être considéré comme directement et individuellement concerné par ce dernier. En effet, seule l'existence de circonstances spécifiques pourrait habiliter un tel actionnaire, prétendant que l'acte se répercute sur sa position au sein de la société, à se pourvoir en vertu de l'article 173 du traité CEE(voir l'arrêt de la Cour du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission, 10-68 et 18-68, Rec. p. 459).

35 S'agissant de la question de savoir si de telles circonstances spécifiques se vérifient en l'espèce, le Tribunal estime, en premier lieu, que les requérantes, qui se prévalent de leur qualité d'actionnaires de l'une des parties notifiantes, ne sont pas au nombre des tiers dont la situation juridique ou matérielle est susceptible d'être affectée par ladite décision. En effet, la constatation par la Commission, dans les conditions prévues à l'article 6, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 4064-89, qu'une opération qui lui a été notifiée ne relève pas du champ d'application de celui-ci n'est pas de nature à modifier, par elle-même, la consistance ou l'étendue des droits des actionnaires des parties notifiantes, qu'il s'agisse de leurs droits patrimoniaux ou de la vocation que ces derniers leur confèrent à participer à la gestion de la société. Or, en l'espèce, les requérantes, qui se limitent, à ce propos, à faire valoir qu'"il va de soi que l'acquisition par Mediobanca d'une telle influence réduira sérieusement l'efficacité des votes des actionnaires restants, tels que les requérantes, qui sont désormais en minorité permanente" (point 3.3 des observations sur l'exception d'irrecevabilité), n'ont pas établi que la décision du 19 décembre 1991 a affecté leur situation juridique ou matérielle.

36 Le Tribunal relève, en second lieu, que cette décision, constatant que l'opération de concentration notifiée n'entre pas dans le champ d'application du règlement n° 4064-89, atteint les requérantes, en leur qualité d'actionnaires de Generali, au même titre que tout actionnaire de cette société, au nombre d'environ 140 000. En effet, en admettant même que, comme le prétendent les requérantes et contrairement à ce qu'affirme la décision, Mediobanca ait, seule ou conjointement avec d'autres entreprises, acquis le contrôle de Generali, une telle prise de contrôle affecterait les intérêts des requérantes dans les mêmes conditions que ceux des autres actionnaires. Il s'ensuit que la décision de la Commission du 19 décembre 1991 ne saurait concerner individuellement les requérantes, alors surtout, d'une part, que leur participation dans le capital de Generali était, à la date des faits et pour chacune d'entre elles, inférieure à 0,5 % du capital social et, d'autre part, qu'elles n'ont pas établi que, du fait de la décision, elles se trouveraient dans une situation différente de celle de tout autre actionnaire.Or, ainsi que la Cour l'a jugé, "les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que s'ils sont atteints en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à tout autre personne et de ce fait les individualise de manière analogue à celle du destinataire" (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 199).

37 Le Tribunal considère, enfin, que c'est à tort que les requérantes font valoir, en vue de soutenir qu'elles sont individuellement concernées par la décision du 19 décembre 1991, que leur intérêt à agir ne saurait être mis en doute, dans la mesure où, si elles avaient demandé à intervenir dans la procédure qui a abouti à l'adoption de cette décision - comme elles l'auraient fait si elles avaient eu connaissance des éléments qui se sont révélés ultérieurement -, elles auraient disposé, conformément à une jurisprudence établie tant en matière de concurrence et d'aides d'Etat que de dumping et de subventions (voir l'ordonnance CCE Grandes Sources e.a./Commission, précitée, et les arrêts de la Cour qui y sont cités), d'une voie de recours pour protéger leurs intérêts légitimes.

38 En effet, et en admettant même que cette jurisprudence soit transposable dans le cadre du contentieux des opérations de concentration, des considérations tenant, d'une part, à la sécurité juridique des opérateurs économiques et, d'autre part, à la brièveté des délais qui caractérise l'économie générale du règlement n° 4064-89, exigeraient, en tout état de cause, qu'une demande de réouverture de la procédure, motivée par la découverte d'un prétendu fait nouveau, soit présentée dans un délai raisonnable.

39 Or, en l'espèce, le Tribunal estime, d'une part, que le contact informel que les requérantes ont eu avec les services de la Commission le 6 mai 1992 ne peut être qualifié de demande de réouverture de la procédure et, d'autre part, que la demande de réouverture de la procédure, présentée à la Commission le 26 juin 1992, alors que les requérantes ont déclaré elles-mêmes avoir pris connaissance "fin mars/début avril 1992" du prétendu fait nouveau, en l'occurrence le texte intégral de l'accord dit de Paris de 1985, est tardive, faute d'avoir été présentée dans un délai raisonnable. Par suite, l'argument des requérantes, tiré de l'existence d'un prétendu fait nouveau, doit être rejeté.

40 Dès lors, le Tribunal estime que les requérantes ne sont pas directement et individuellement concernées par la décision de la Commission du 19 décembre 1991 et, que, par conséquent, le recours n'est pas recevable, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si, dans des circonstances différentes, l'invocation d'un fait nouveau aurait été de nature à permettre aux requérantes d'échapper au système des délais de recours prévus par le traité.

Sur les dépens

41 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les parties requérantes ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la Commission et de les condamner solidairement aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) Les parties requérantes sont condamnées solidairement aux dépens.