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Décisions

CJCE, 27 octobre 1993, n° C-46/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur du Roi

Défendeur :

Lagauche, Evrard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco, Edward

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Rodriguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn, Murray

Avocats :

Mes Marissens, Lehman.

CJCE n° C-46/90

27 octobre 1993

LA COUR,

1. Par jugements du 19 avril 1989 et du 11 mars 1991, parvenus à la Cour respectivement le 28 février 1990 et le 15 mars 1991, le Tribunal de première instance (57e et 55e chambres) de Bruxelles a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 30 à 37 et 86 du traité CEE, ainsi que de la directive 88-301-CEE de la Commission, du 16 mai 1988, relative à la concurrence sur les marchés de terminaux de télécommunication (JO L 131, p. 73), en vue d'apprécier la compatibilité avec ces dispositions d'un régime national qui, d'une part, subordonne la détention d'appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication à une autorisation ministérielle et, d'autre part, interdit la mise en vente ou en location d'appareils émetteurs ou récepteurs dont un exemplaire n'aurait pas été préalablement agréé par un organisme public, placé sous l'autorité hiérarchique du ministre compétent, comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par ce ministre.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux procédures pénales.

3. La première procédure, qui a donné lieu à l'affaire C-46-90, a été introduite contre M. Jean-Marie Lagauche et sept autres personnes, prévenus notamment d'avoir détenu des téléphones sans fil et une paire de walkie-talkie, sans avoir obtenu l'autorisation ministérielle requise, et d'avoir mis en vente ou en location des téléphones sans fil dont aucun exemplaire n'avait préalablement été agréé par la Régie des télégraphes et téléphones (ci-après " RTT ").

4. La deuxième procédure, qui a donné lieu à l'affaire C-93-91, a été introduite contre M. Pierre Evrard, prévenu d'avoir détenu et mis en vente, entre le 1er janvier 1989 et le 2 février 1989, un téléphone sans fil non agréé par la RTT, et d'avoir, le 23 janvier 1990, détenu et mis en vente onze appareils de radiocommunication, également non agréés, sans avoir obtenu l'autorisation ministérielle exigée.

5. Pour sa défense, M. Evrard a fait valoir que l'un de ces appareils portait la marque de la Deutsche Bundespost qui l'avait homologué. Il a produit par ailleurs une attestation d'un laboratoire agréé par British Telecom, selon laquelle certains de ces appareils produisent une puissance inférieure à dix milliwatts. Il estime que dans ces conditions, et comme l'admet d'ailleurs le Ministère public, la détention de ces appareils n'était soumise à aucune autorisation ministérielle. Il conteste cependant la position de ce dernier, selon laquelle l'ensemble des appareils en cause devaient néanmoins répondre aux normes techniques belges et être agréés comme tels par la RTT, et invoque les dispositions de la directive 88-301, précitée, au soutien de son argumentation.

6. Il ressort du dossier que l'article 3, paragraphe 1, de la loi du 30 juillet 1979, relative aux radiocommunications (Moniteur belge du 30 août 1979), prévoit que " nul ne peut dans le royaume (...) détenir un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication (...) sans avoir obtenu l'autorisation écrite du Ministre (ayant les télégraphes et les téléphones dans ses attributions) ". Cette même disposition précise que l'autorisation ministérielle est personnelle et révocable.

7. Habilité en vertu de l'article 3, paragraphe 2, de la même loi à déterminer les cas dans lesquels les autorisations ne sont pas requises, le Roi a, par l'article 5, paragraphe 3, de l'arrêté royal du 15 octobre 1979, relatif aux radiocommunications privées (Moniteur belge du 30 octobre 1979), accordé une dispense d'autorisation pour " les dispositifs radioélectriques agréés par la Régie dont la puissance d'émission ne dépasse pas 10 milliwatts ", ce qui inclut les téléphones sans fil.

8. En vertu d'une loi du 13 octobre 1930, la RTT détient en Belgique le monopole de l'établissement et de l'exploitation, pour la correspondance du public, des lignes et des bureaux télégraphiques et téléphoniques (y compris la téléphonie sans fil). En outre, selon l'article 2 de la loi relative aux radiocommunications, précitée, elle est autorisée " à entreprendre et à exploiter tout service de radiocommunication ".

9. Il résulte par ailleurs de l'article 17 de l'arrêté royal du 15 octobre 1979, précité, que la RTT est chargée " de la gestion du spectre des fréquences radioélectriques et du contrôle de leur utilisation dans le royaume ". Il lui appartient à cette fin d'assigner les fréquences nécessaires au fonctionnement des stations et réseaux de radiocommunications autorisés et de procéder à leur coordination, tant sur le plan national qu'international. La RTT est chargée également d'instruire les demandes introduites auprès du ministre en vue de l'obtention de l'autorisation de détenir un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication.

10. Il ressort enfin de l'article 7 de la loi belge relative aux radiocommunications, précitée, qu'" aucun appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication ne peut être mis en vente ou en location si un exemplaire n'a pas été agréé par la Régie comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le Ministre " et que " les modalités de l'agrément sont arrêtées par le Ministre ".

11. A cet égard, l'article 1er de l'arrêté ministériel du 19 octobre 1979, relatif aux radiocommunications privées (Moniteur belge du 30 octobre 1979), qui fixe les modalités de l'agrément, précise que ce régime vise tous les appareils construits ou importés en Belgique en vue de la vente ou de la location ainsi que tout appareil construit par un particulier pour son propre usage. La RTT peut toutefois agréer, sans essai préalable, des appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication importés, qui ont déjà été homologués dans l'un des Etats membres de la Conférence européenne des administrations des Postes et Télécommunications, comme satisfaisant à des spécifications techniques équivalentes à celles définies à l'article 6 de cet arrêté ministériel.

12. Le non-respect des exigences d'autorisation et d'agrément est sanctionné pénalement. A cet égard, les agents de la RTT, agissant en qualité d'officiers de police judiciaire, veillent au respect par les usagers des dispositions applicables et constatent les infractions à la loi du 30 juillet 1979 et aux arrêtés d'exécution.

13. La directive 88-301, précitée, concerne les marchés de terminaux de télécommunication, entendant par l'expression " appareil terminal ", selon son article 1er, tout appareil qui est connecté directement ou indirectement à la terminaison d'un réseau public de télécommunication pour transmettre, traiter ou recevoir des informations.

14. L'article 5 de la directive prévoit la publication, par les Etats membres, de toutes les spécifications et procédures d'agrément pour les appareils terminaux.

15. L'article 6 de la directive dispose :

" les Etats membres assurent qu'à partir du 1er juillet 1989 la formalisation des spécifications mentionnées à l'article 5 de la directive et le contrôle de leur application ainsi que l'agrément sont effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens et-ou des services dans le domaine des télécommunications. "

16. Ayant des doutes quant à la conformité avec le droit communautaire de la législation invoquée par le Ministère public pour demander la condamnation des prévenus au principal, le Tribunal de première instance de Bruxelles a sursis à statuer et a posé, dans l'affaire C-46-90, Lagauche e.a., les questions préjudicielles suivantes : " Les articles 37 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne doivent-ils être interprétés comme interdisant dans le secteur des radiocommunications et radiocommunications privées, des dispositions légales du type de la loi du 30/7/1979 et de l'AR du 15/10/1979, lesquelles sanctionnent par des peines de prison et/ou d'amende ceux qui auront :

1) mis en vente ou en location un appareil émetteur ou récepteur en l'espèce des TSF sans qu'ils aient été agréés par la RTT,

ou

2) détenu, établi ou fait fonctionner un appareil émetteur, en l'espèce des TSF et une paire de walkie-talkie sans avoir obtenu l'autorisation écrite, personnelle et révocable du ministre compétent ? "

et, dans l'affaire C-93-91, Evrard, les questions suivantes :

" Les articles 30 à 37 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, ainsi que la directive de la Commission européenne du 16 mai 1988 relative à la concurrence sur les marchés des terminaux de télécommunication, doivent-ils être interprétés comme interdisant dans le secteur des radiocommunications des dispositions légales du type de la loi du 30 juillet 1979 et de l'arrêté royal du 15 octobre 1979, lesquels sanctionnent par des peines d'emprisonnement et/ou d'amende ceux qui auront :

1) dans le Royaume de Belgique ou à bord d'un navire, d'un bateau, d'un aéronef ou de tout autre support soumis au droit belge, détenu un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication, ou établi et fait fonctionner une station ou un réseau de radiocommunication sans avoir obtenu l'autorisation écrite, personnelle et révocable du Ministre ou du Secrétaire d'Etat ayant les télégraphes et les téléphones dans ses attributions ;

2) mis en vente ou en location un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication sans qu'un exemplaire ait été agréé par la Régie des Télégraphes et des Téléphones comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le Ministre compétent, et ce malgré, le cas échéant, l'existence d'une agréation obtenue dans le cadre d'une procédure établie par un autre Etat membre de la Communauté européenne ? "

17. L'affaire C-46-90, ayant été renvoyée devant la cinquième chambre, a fait l'objet d'une audience publique le 2 mai 1991 et de conclusions de l'avocat général le 11 juillet 1991. Par la suite, en application de l'article 95, paragraphe 3, du règlement de procédure, cette affaire a été renvoyée devant la Cour plénière. A la suite des conclusions de l'avocat général, il a été décidé, par ordonnance du 14 juillet 1993, de joindre les deux affaires aux fins de l'arrêt.

18. Pour un plus ample exposé des faits des litiges au principal, de la législation belge applicable, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé aux rapports d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

19. Par ses questions, la juridiction nationale cherche à savoir en substance si les articles 30 à 37 et 86 du traité, d'une part, et les dispositions de la directive 88-301, d'autre part, s'opposent à l'application de dispositions nationales, telles que celles décrites ci-dessus (points 6 à 12).

20. A cet égard, il y a lieu de préciser tout d'abord que, pour ce qui concerne les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, il suffit d'examiner ces questions successivement sous l'angle de l'article 30 et de l'article 37 du traité.

21. Il convient de relever ensuite que l'article 86 du traité ne visant que les comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative (voir notamment arrêt du 19 mars 1991, France/Commission, C-202-88, Rec. p. I-1223, point 55), alors que les questions posées concernent des mesures étatiques, c'est au regard de l'article 90, paragraphe 1, du traité, en liaison avec l'article 86, que ces questions doivent être examinées.

22. Il y a lieu de relever encore que, dans l'affaire C-46-90, les faits du litige au principal sont antérieurs au 1er juillet 1989, date d'entrée en vigueur de l'article 6 de la directive 88-301, alors que, dans l'affaire C-93-91, ils sont pour partie antérieurs et pour partie postérieurs à cette date.

23. Il y a lieu de souligner enfin que le champ d'application matériel de la directive 88-301 est limité aux appareils connectés directement ou indirectement à la terminaison d'un réseau public de télécommunication, de sorte que seulement certains des appareils dont il est question dans les affaires au principal relèvent du champ d'application de celle-ci.

24. Il s'ensuit que, indépendamment de l'interprétation des articles 30 et 37 du traité, les questions posées doivent être examinées au regard des articles 86 et 90, paragraphe 1, du traité pour ce qui concerne les faits antérieurs au 1er juillet 1989 et au regard des dispositions de la directive pour ce qui concerne les faits postérieurs à cette date, tout en opérant la distinction entre les appareils relevant du champ d'application de la directive et ceux qui n'en relèvent pas.

Sur l'article 30 du traité

25. Dans l'arrêt du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM (C-18-88, Rec. p. I-5941), la Cour a dit pour droit que l'article 30 du traité s'oppose à ce qu'une entreprise publique se voie accorder le pouvoir d'agréer les appareils téléphoniques destinés à être raccordés au réseau public et non fournis par elle, si les décisions de cette entreprise ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel.

26. Cette interprétation doit être étendue au cas où une entreprise publique agrée les appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication, que ceux-ci soient destinés ou non à fonctionner par le biais du réseau public.

27. Le gouvernement belge a affirmé dans ses observations qu'un refus par la RTT d'accorder l'agrément en question est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat belge.

28. Dès lors, et dans la mesure où la procédure d'agrément en question respecte les critères énoncés dans l'arrêt GB-Inno-BM, précité, elle ne saurait être considérée comme contraire à l'article 30 du traité.

29. Il en résulte que l'article 30 du traité ne s'oppose pas à ce qu'une entreprise publique se voie accorder le pouvoir d'agréer les appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication non fournis par elle, dès lors que les décisions de cette entreprise sont susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel.

Sur l'article 37 du traité

30. Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que l'article 37 qui prévoit l'aménagement des monopoles nationaux présentant un caractère commercial s'applique " à tout organisme par lequel un Etat membre, de jure ou de facto, contrôle, dirige ou influence sensiblement, directement ou indirectement, les importations ou les exportations entre les Etats membres. Ces dispositions s'appliquent également aux monopoles d'Etat délégués ".

31. Il y a lieu, en outre, de souligner qu'une interdiction de détenir certains appareils sans autorisation ministérielle n'entre pas dans le champ d'application de l'article 37.

32. Les prérogatives dont est investi un organisme public tel que la RTT portent sur l'instruction des demandes introduites auprès du ministre en vue de l'obtention d'une autorisation de détention d'un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication, sur l'assignation et la coordination des fréquences hertziennes ainsi que sur la délivrance des agréments après vérification de la conformité des appareils commercialisés avec les normes techniques fixées par le ministre. Elles sont destinées à éviter la perturbation des radiocommunications.

33. L'exercice de ces prérogatives répond donc à des préoccupations de nature régalienne, à savoir la police du domaine public hertzien, et ne constitue pas une prestation de services. Une telle activité est, en tout état de cause, étrangère au champ d'application de l'article 37 du traité qui, ainsi que l'a jugé la Cour (voir notamment arrêt du 28 juin 1983, Mialocq, 271-81, Rec. p. 2057), vise les échanges de marchandises et ne concerne les prestations de services que dans la mesure où le monopole de telles prestations contreviendrait au principe de libre circulation des marchandises en discriminant les produits importés au profit de produits d'origine nationale.

34. Il convient donc de constater que l'article 37 du traité ne s'oppose pas à l'application de dispositions législatives ou réglementaires nationales qui comportent l'interdiction de vendre ou de donner en location des appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication, dont un exemplaire n'aurait pas été préalablement agréé par l'organisme public compétent, comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le ministre.

Sur la directive 88-301-CEE

35. Il convient, à ce stade, d'examiner la portée de la directive 88-301 pour ce qui concerne les appareils relevant de son champ d'application.

36. Cette directive a été arrêtée par la Commission dans l'exercice de son pouvoir normatif, qui lui est conféré par l'article 90, paragraphe 3, du traité, d'édicter des règles générales précisant les obligations résultant du traité, qui s'imposent aux Etats membres en ce qui concerne les entreprises visées aux deux paragraphes précédents du même article (arrêt France/Commission, précité, points 14 et 15).

37. L'article 6 de ladite directive opère une distinction entre les activités ou fonctions tenant, d'une part, à la formalisation des spécifications des appareils terminaux, au contrôle de leur application et à l'agrément de tels appareils et, d'autre part, à l'offre par une entreprise publique ou privée des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications.

38. L'article 6 précise l'obligation pour les Etats membres d'assurer qu'à partir du 1er juillet 1989 les activités de la première catégorie soient effectuées par une entité indépendante des entreprises qui s'engagent dans les activités de la deuxième catégorie.

39. Or, il est constant, ainsi que le gouvernement belge l'a admis au cours de l'audience, qu'au cours de la période postérieure au 1er juillet 1989, visée en l'espèce au principal, cette division des activités n'avait pas été opérée en Belgique.

40. Il s'ensuit que, pour autant que les appareils en cause relèvent du champ d'application matériel de la directive 88-301, et dans la mesure où il s'agit de la période postérieure au 1er juillet 1989, l'article 6 de cette directive s'oppose à une réglementation nationale qui interdit, sous peine de sanctions, la mise en vente ou en location d'appareils sans qu'un exemplaire ait été agréé par une entreprise publique offrant des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications. Il appartient au juge national d'en tirer les conséquences.

41. Pour ce qui concerne la période antérieure au 1er juillet 1989, et pour ce qui concerne les appareils qui ne relevaient ni avant ni après cette date du champ d'application matériel de la directive, il y a lieu d'examiner le problème sous l'angle de l'article 90, paragraphe 1, en liaison avec l'article 86 du traité.

Sur l'article 90, paragraphe 1, en liaison avec l'article 86 du traité

42. Il convient de relever à titre liminaire que les articles 86 et 90 font partie d'un ensemble de règles qui, aux termes de l'article 3, sous f), du traité, visent à assurer que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun.

43. Comme il a été précisé ci-avant, le contrôle du domaine public hertzien est nécessaire au bon fonctionnement des radiocommunications, tant dans le domaine des services publics que dans celui des activités commerciales et privées. Un tel contrôle est également nécessaire à la réalisation d'une concurrence non faussée entre les opérateurs économiques qui se servent des radiocommunications, ainsi qu'entre les producteurs et entre les vendeurs des appareils, ces opérateurs ayant tout intérêt à ce que leurs appareils puissent être utilisés sans perturbation.

44. Il y a lieu cependant de signaler, dans le même temps, qu'un système de concurrence non faussée, tel que celui prévu par le traité, ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée. Tel ne serait pas le cas si une entreprise qui commercialise des appareils terminaux se voyait confier la tâche de formaliser les spécifications auxquelles devront répondre les appareils terminaux, de contrôler leur application et d'agréer ces appareils (arrêts France/Commission, précité, point 51, et GB-Inno-BM, précité, point 25).

45. C'est à la lumière de ces considérations que doit être appréciée la compatibilité d'une législation nationale, telle que la loi belge du 30 juillet 1979, avec les exigences du traité.

46. Quant à l'exigence, pour la détention d'un appareil émetteur ou récepteur, d'une autorisation écrite du ministre ayant les télégraphes et les téléphones dans ses attributions, telle que prévue par l'article 3, paragraphe 1, de la loi belge, il convient de relever que seules entrent dans le champ d'application de l'article 90, paragraphe 1, les mesures prises par les Etats membres à l'égard des entreprises publiques et des entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux et/ou exclusifs. Cette disposition du traité ne saurait dès lors être invoquée à l'encontre d'un pouvoir d'autorisation conféré à un ministre dans le cadre normal de ses attributions.

47. La même constatation s'impose en ce qui concerne la simple fonction, telle que celle qui a été confiée à la RTT, d'instruire les demandes d'autorisation introduites auprès du ministre, cette fonction n'étant qu'accessoire à l'exercice du pouvoir ministériel.

48. Quant au pouvoir d'agrément, il y a lieu de constater que la loi belge s'applique indistinctement à tout appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication, y compris les appareils destinés, comme les téléphones sans fil, à être connectés indirectement à un réseau public de télécommunication.

49. Or, il ressort des termes de l'article 7 de la loi belge, précité, que, à la différence de la situation visée par l'affaire GB-Inno-BM, précitée, c'est le ministre qui fixe les prescriptions techniques nécessaires pour l'agrément de tels appareils, ainsi que les modalités de l'agrément, et ceci dans le cadre de ses attributions de contrôle de la radiocommunication sur le territoire belge. S'il est vrai que la RTT est autorisée par l'article 2 de cette même loi à entreprendre et à exploiter tout service de radiocommunication, il ressort des termes dudit article 7 que, en ce qui concerne l'agrément d'appareils émetteurs ou récepteurs, la seule mission de la RTT consiste en la vérification de la conformité de tels appareils aux prescriptions fixées par le ministre.

50. Pour ce qui concerne les appareils agréés par l'organisme compétent d'un autre Etat membre, il y a lieu de relever qu'aussi longtemps que les systèmes de télécommunications et de radiocommunications des Etats membres n'ont pas été harmonisés, l'homologation accordée par un Etat membre ne garantit pas que l'appareil en question ne perturbe pas le bon fonctionnement de ces systèmes sur le territoire d'un autre Etat dont les prescriptions techniques peuvent encore être différentes.

51. Il s'ensuit que l'article 90, paragraphe 1, en liaison avec l'article 86 du traité, ne s'oppose pas à l'application de dispositions nationales qui comportent l'interdiction, en premier lieu, de détenir des appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication sans autorisation ministérielle, et, en deuxième lieu, de vendre ou de donner en location de tels appareils dont un exemplaire n'aurait pas été agréé comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le ministre compétent, même si l'appareil a été agréé dans un autre Etat membre.

Sur les dépens

52. Les frais exposés par le gouvernement belge, par le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de première instance de Bruxelles, par jugements du 19 avril 1989 et du 11 mars 1991, dit pour droit :

1) L'article 30 du traité CEE ne s'oppose pas à ce qu'une entreprise publique se voie accorder le pouvoir d'agréer les appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication non fournis par elle, dès lors que les décisions de cette entreprise sont susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel.

2) L'article 37 du traité CEE ne s'oppose pas à l'application de dispositions législatives ou réglementaires nationales qui comportent l'interdiction de vendre ou de donner en location des appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication, dont un exemplaire n'aurait pas été préalablement agréé par l'organisme public compétent, comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le ministre.

3) Pour autant que les appareils en cause relèvent du champ d'application matériel de la directive 88-301-CEE de la Commission, du 16 mai 1988, relative à la concurrence sur les marchés de terminaux de télécommunication, et dans la mesure où il s'agit de la période postérieure au 1er juillet 1989, l'article 6 de cette directive s'oppose à une réglementation nationale qui interdit, sous peine de sanctions, la mise en vente ou en location d'appareils sans qu'un exemplaire ait été agréé par une entreprise publique offrant des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications. Il appartient au juge national d'en tirer les conséquences.

4) L'article 90, paragraphe 1, en liaison avec l'article 86 du traité CEE, ne s'oppose pas à l'application de dispositions nationales qui comportent l'interdiction, en premier lieu, de détenir des appareils émetteurs ou récepteurs de radiocommunication sans autorisation ministérielle, et, en deuxième lieu, de vendre ou de donner en location de tels appareils dont un exemplaire n'aurait pas été agréé comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le ministre compétent, même si l'appareil bénéficie d'un agrément accordé par un autre Etat membre.