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Décisions

Cass. com., 15 juin 1993, n° 91-15.993

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Abbeville funéraire (SARL)

Défendeur :

Pompes funèbres générales (SA), Omnium de gestion et de financement (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

Mes Henry, Luc-Thaler.

T. com. Abbeville, du 13 mars 1987

13 mars 1987

LA COUR: - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Amiens, 3e ch. civ., du 17 mai 1991) que la société Pompes funèbres générales (PFG), concessionnaire exclusif du service extérieur des pompes funèbres de la ville d'Abbeville, en application des articles L. 362-1 et suivants du Code des communes, a assigné la société Rasse et Holleville (société Rasse) devant le tribunal de commerce pour obtenir réparation du préjudice que lui aurait causé cette entreprise en exerçant des activités comprises dans le service extérieur des pompes funèbres; que la société Rasse a appelé en intervention forcée la société Omnium de gestion et de financement (OGF) aux motifs que la PFG est sa filiale et que ces deux entreprises ont des activités de groupe complémentaires et qu'elles exercent ainsi un abus de position dominante sur le marché en violation de l'article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne;

Sur le deuxième moyen: - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'accueillir la question préjudicielle soulevée par la société Rasse tirée du caractère illicite du contrat de concession, alors, selon le pourvoi, qu'il résulte de la loi des 16 et 24 août 1790 l'impossibilité, pour le juge judiciaire, d'apprécier la légalité d'un acte administratif; qu'ainsi, l'arrêt attaqué, en analysant le contrat de concession en ses différentes clauses, afin d'en apprécier la légalité au regard du droit des marchés publics, a méconnu les dispositions du texte susvisé;

Mais attendu que l'arrêt a relevé que la société Rasse ne formulait aucune critique particulière à l'encontre de la licéité du contrat de concession; qu'ayant constaté qu'il n'existait aucune difficulté sérieuse en ce domaine, la cour d'appel, qui n'a pas apprécié la légalité de cet acte administratif, a pu décider qu'elle n'était pas tenue d'accueillir la question préjudicielle soulevée; que le moyen n'est pas fondé;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches: - Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir décidé que les sociétés PFG et OGF n'étaient pas en situation d'abus de position dominante en ce qui concerne l'ensemble de son activité de concessionnaire exclusif du service extérieur des pompes funèbres, alors que, d'une part, selon le pourvoi, il résulte de l'article 86 du traité de Rome, tel qu'interprété par la Cour de justice des communautés européennes en son arrêt du 4 mai 1988, qu'un groupe d'entreprises, concessionnaire d'un ensemble de monopole communaux et dont la ligne d'action sur le marché est déterminée par la maison-mère, dans une situation où les monopoles couvrent une certaine partie du territoire national et ont pour objet le service extérieur des pompes funèbres, se trouve en situation d'abus de position dominante empêchant le jeu de la libre concurrence entre entreprises communautaires, dès lors que se trouvent cumulativement réunies les trois conditions suivantes: 1°) lorsque les activités du groupe et la situation de monopole, dont les entreprises en question disposent sur une partie du territoire d'un Etat membre, ont des effets sur l'importation de marchandises en provenance d'autres Etats membres ou sur la possibilité, pour les entreprises concurrentes établies dans ces états membres, d'assurer des prestations de services dans le premier Etat membre; 2°) lorsque le groupe d'entreprises occupe une position dominante, caractérisée par une situation de puissance économique, lui fournissant le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective sur le marché des pompes funèbres; 3°) lorsque ce groupe d'entreprises pratique des prix non équitables, alors même que le niveau de ces prix est fixé par un cahier des charges faisant partie des conditions du contrat de concession; qu'à cet égard, les juges du fond, saisis de la question de la licéité de la position dominante d'un groupe d'entreprises au regard de l'article 86 du traité de Rome, doivent prendre en considération les critères suivants, afin de vérifier si les conditions précitées sont effectivement réunies: l'existence d'un effet de cloisonnement du Marché commun; les livraisons de bières et les prestations de services non couvertes par les concessions exclusives, ainsi que les ressources financières du groupe; qu'il s'ensuit que les juges du fond, saisis par la société PFG, concessionnaire exclusif du service extérieur des pompes funèbres en application des articles L. 362-1 et suivants du Code des communes, d'une demande d'interdiction d'une activité de service extérieur similaire exercée par un concurrent, doivent vérifier que la société PFG, sur qui pèse la charge de la preuve d'un trouble manifestement illicite de la part dudit concurrent, exerce son monopole conformément aux règles communautaires, les conditions susvisées n'étant point cumulativement réunies; qu'ainsi, la Cour d'appel d'Amiens, constatant la position dominante du groupe OGF-PFG sur le territoire français en matière de service extérieur des pompes funèbres, ainsi que le fait que 5 % seulement des cercueils utilisés en France étaient importés, tandis qu'aucune entreprise étrangère n'était installée en France pour exercer le service extérieur des pompes funèbres, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, desquelles résultait que la position dominante du groupe PFG sur le marché français avait des effets sur l'importation des cercueils en provenance des autres Etats membres de la Communauté, ainsi que sur la possibilité, pour les entreprises concurrentes, d'effectuer des prestations relatives au service extérieur des pompes funèbres en France, de sorte qu'en estimant que la première condition posée par l'arrêt du 4 mai 1988 de la CJCE ne se trouvait point établie, l'arrêt attaqué a violé l'article 86 du traité de Rome, en ne recherchant point si les deux autres conditions se trouvaient réunies; alors que, d'autre part, en toute hypothèse, la Cour d'appel d'Amiens, en se bornant à énoncer que la première condition posée par l'arrêt de la CJCE du 4 mai 1988 n'était point établie eu égard à l'importation de 5 % des cercueils français en provenance d'Italie et à la tradition selon laquelle aucune entreprise étrangère ne s'installe en France pour assurer le service extérieur des pompes funèbres, sans vérifier si cette situation n'était pas la conséquence directe de la puissance économique et financière du groupe OGF-PFG sur le marché français, provoquant un effet de cloisonnement, a entaché son arrêt attaqué d'un défaut de base légale au regard de l'article 86 du traité de Rome;

Mais attendu que l'arrêt s'est référé à la décision de la Cour de justice des Communautés européennes du 4 mai 1988 et a procédé à une analyse concrète afin de rechercher si les activités du groupe PFG-OGF sur le marché français avaient eu pour effet d'entraver la liberté des prestations de service en matière funéraire; qu'à l'occasion de cette recherche, il a constaté que les entreprises françaises importent 25 à 30 000 cercueils par an, utilisés en France; que, compte tenu du fait que le service extérieur des pompes funèbres n'implique aucune autre livraison de biens que celle des cercueils et de leurs accessoires indispensables, l'activité du groupe OGF-PFG ne peut avoir qu'une influence imperceptible sur les transactions avec d'autres Etats membres et n'affecte donc pas de façon sensible le commerce intra-communautaire; qu'il a encore constaté qu'il ne résulte pas des éléments de la cause que les activités du groupe OGF-PFG et la situation de monopole dont il dispose sur une partie du territoire national empêchent les entreprises concurrentes établies dans d'autres Etats membres d'assurer en France des prestations de service dès lors, notamment, selon les données chiffrées émanant de la Commission des Communautés européennes et du Gouvernement français, que la situation de monopole du service extérieur des pompes funèbres ne se présente que dans 14 % des communes, le groupe OGF-PFG n'étant concessionnaire que dans deux tiers de celle-ci, soit 9 % au total; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer de recherches complémentaires, a pu décider que la société n'avait pas méconnu les dispositions du texte susvisé ; que le premier moyen, pris en ses deux branches, n'est pas fondé;

Sur le troisième moyen: - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la société Rasse au paiement de 35 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, que l'arrêt attaqué, en condamnant la société Rasse et Holleville à des dommages-intérêts, sans préciser la nature et l'étendue du préjudice subi par la société PFG du fait des agissements de la société Rasse et Holleville, manque de base légale au regard des articles 1392 et suivants du Code civil, violant ainsi ce texte;

Mais attendu que l'arrêt a relevé que le préjudice de la société PFG pouvait être évalué en tenant compte du bénéfice dont la société PFG a été privée sur les prestations et fournitures vendues aux familles des défunts par la société Rasse et Holleville et qu'il devait être tenu compte de la perte des prestations et fournitures non monopolisées que les familles se seraient procurées auprès de la société PFG si elles s'étaient adressées à celle-ci pour le service extérieur des pompes funèbres, ainsi que des difficultés de gestion et financières résultant de la perte de clientèle provoquée par les activités de la société Rasse et Holleville; qu'en l'état de ces constatations la cour d'appel a ainsi justifié, par l'évaluation qu'elle en a faite, tant l'existence que l'importance du préjudice qui en est résulté pour la société PFG; que le moyen n'est pas fondé;

Par ces motifs: rejette le pourvoi.