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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 19 mai 1993, n° 92-21091

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Labinal (SA)

Défendeur :

Mors (Sté), Westland Aerospace Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

MM. Bargue, Pluyette

Avoués :

Me Bourdais-Virenque, SCP Duboscq, Pellerin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Bartfeld, Skornicki, Cohen, SCP Thieffry.

T. com. Paris, du 3 juin 1992

3 juin 1992

LA COUR statue sur les appels respectivement interjetés à jour fixe par les sociétés Mors, Westland Aerospace (dite ci-après Westland) et Labinal d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 3 juin 1992.

Référence faite au jugement déféré et aux conclusions des parties, pour l'exposé des faits et de la procédure de première instance, il est cependant nécessaire de rappeler les faits suivants nécessaires à la solution du litige :

Dans le cadre du GIE Airbus Industrie, la société British Aerospace (ci-après BAe) est chargée de la construction des ailes et des trains d'atterrissage des avions Airbus.

Au mois de juillet 1988, BAe a lancé un appel d'offres pour le système de mesure de la pression des pneus (Type Pressure Indication System - TPIS) destiné à équiper optionnellement les futurs avions Airbus A. 330 et A. 340 (A.330-340), dont les premières homologations et entrées en service étaient prévues pour le printemps 1992.

D'usage récent sur les " gros porteurs ", le TPIS est composé d'un calculateur avec son logiciel annexe intégré au système informatique de l'avion, d'un capteur détectant la pression de chacun des pneus du train d'atterrissage et d'un transmetteur de ces données à l'ordinateur.

Pour participer à cet appel d'offre dans des conditions plus favorables notamment contre la société française Labinal très spécialisée dans le domaine des TPIS installés sur les avions existants, la société Techniphone (devant être peu après absorbée par la société Mors) et le groupe dépendant de la société Westland ont signé le 27 septembre 1988 un accord préliminaire de " joint venture ".

Aux termes de cette convention, les parties sont convenues que Westland serait le représentant commun de l'opération envers le client, qu'en cas d'agrément de l'offre, il serait conclu un contrat définitif entre eux et que seraient tranchés par voie d'arbitrage selon les règles de la CCI, avec application du droit suisse, " tous différents résultant de l'accord ", devant un Tribunal arbitral siégeant à Genève.

Le groupe Westland-Mors a été officiellement informé que son offre, déposée le 10 octobre 1988, avait été acceptée comme source standard optionnelle des TPIS de l'A. 330-340.

Cependant, par lettre du 24 janvier 1991, la BAe a fait savoir à Westland qui s'inquiétait de la situation, que " sur la pression des compagnies aériennes, via Airbus Industrie "..., elle avait agréé Labinal comme seconde source optionnelle de TPIS ; en fait, cette décision avait été prise et notifiée à Labinal dès le 8 octobre 1990.

Des discussions et des réunions ont alors eu lieu au cours du premier semestre de 1991 pour rechercher entre les parties prenantes des possibilités d'interventions en commun sur le marché des TPIS des A. 330-340. C'est ainsi qu'il est fait état principalement :

- d'un accord de confidentialité daté du 19 avril 1991 signé entre Westland et Labinal et d'une réunion entre elles du même jour,

- d'une réunion du 5 juin entre Westland et Mors pour discuter des termes d'un projet de coopération avec Labinal, lequel lui fut adressé le 13 juin suivant,

- de diverses rencontres entre, d'une part, Westland et Labinal, et d'autre part, Westland et Mors,

- d'une réunion tripartite, le 5 juillet 1991, pour discuter des propositions, au cours de laquelle Mors déclare avoir seulement appris l'existence de l'accord de confidentialité, la suspension des négociations entre Westland et BAe ainsi que l'importance réelle des discussions suivies entre Westland et Labinal, ce contre quoi elle protestait par lettre du 10 juillet 1991,

- de la décision prise le 30 juillet 1991 par Mors de refuser toute forme de coopération avec Labinal, d'une réunion entre Westland, Mors et BAe, le 29 août 1991, pour examiner la question d'un dédommagement éventuel de Westland/Mors en raison de l'introduction de Labinal comme seconde source,

- du refus de Westland de se joindre à Mors pour intenter toutes actions utiles contre Labinal.

Postérieurement au jugement dont appel, le 16 octobre 1992, BAe a finalement signé avec Westland, agissant pour le compte du groupement constitué avec Mors, le contrat d'approvisionnement comme première source pour le TPIS A. 330-340.

Les parties sont contraires en droit et en fait sur l'appréciation de l'ensemble de ces événements.

Soutenant que Westland avait recherché avec Labinal un accord secret en vue de poursuivre à son insu des négociations pour l'écarter et pour favoriser ses propres intérêts, la société Mors a fait assigner ces deux sociétés à jour fixe devant le Tribunal de commerce de Paris.

Devant la juridiction de première instance, la société Mors leur faisait grief de s'être livrées à des comportements abusifs et à des actes de concurrence déloyale et illicite pour avoir, notamment, fait pression sur BAe en vue de faire retenir Labinal comme seconde source, débauché deux salariés, retardé les conclusions des accords pour permettre à Labinal de rattraper son retard, transmis des informations techniques confidentielles sur le TPIS, mis en œuvre des pratiques d'abus de position dominante et enfin, constitué une entente illicite.

Par jugement du 3 juin 1991, le Tribunal de commerce de Paris a :

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Westland au profit de la juridiction arbitrale convenue par la clause compromissoire stipulée dans le contrat préliminaire de joint-venture du 27 septembre 1988 ;

- sur le fond, dit que l'accord du 19 avril 1991 passé entre Labinal et Westland constitue une entente illicite incompatible avec le marché commun et en a prononcé d'office la nullité ;

- d'office, interdit, sous astreinte de un million de francs, à Westland et à Labinal de reconstituer une telle entente ayant pour objet d'éliminer toute concurrence pour la fourniture du TPIS A. 330-340 ;

- dit que la société Westland s'est rendue coupable d'un comportement déloyal visant à désorganiser le plan de production de Mors en retardant sciemment la signature d'un contrat définitif avec BAe afin de favoriser l'objectif poursuivi par l'entente illicite ;

- condamné solidairement les sociétés Westland et Labinal à payer à Mors une provision de 300 000 F à titre de dommages-intérêts et a ordonné une mesure d'expertise sur l'entier préjudice susceptible d'être causé, si elle était écartée de la sélection obtenue ;

- débouté Mors de ses autres demandes tendant à faire juger que Labinal, avec la participation de Westland, aurait débauché deux salariés de son entreprise, MM. Beaucotte et Guillemin, puis aurait commis des actes de concurrence déloyale et d'abus de position dominante en sollicitant son agrément comme seconde source, le tribunal relevant sur ces points que le groupement Westland/Mors ne pouvait prétendre à aucune exclusivité pour la fourniture du TPIS ;

- débouté les sociétés Westland et Labinal de leurs demandes reconventionnelles ;

- accordé à la société Mors la somme de 200 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans ses conclusions d'appel à jour fixe, la société Westland poursuit l'infirmation du jugement en invoquant la compétence exclusive du Tribunal arbitral pour trancher le différend qui l'oppose à la société Mors, en application de la clause compromissoire stipulée à leur accord du 27 septembre 1988, dont la nullité manifeste n'est pas démontrée ;

Sur le fond, et à titre subsidiaire, elle demande que la société Mors soit déboutée de l'ensemble de ses prétentions qu'elle estime sans justification ni fondement ; à titre reconventionnel elle sollicite les sommes de 5 millions de francs pour procédure abusive et de 800 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Mors conclut à la confirmation de la décision du Tribunal en ce que l'entente entre Westland et Labinal, déclarée illicite, a été annulée et interdite ; elle demande la réformation des autres chefs de jugement en soutenant que Labinal s'est rendue coupable de concurrence déloyale et d'abus de position dominante en pratiquant, notamment, des prix inégaux ayant pour but de l'exclure du marché et de fausser la concurrence ; elle demande, par voie de conséquence, que soit ordonnée la cessation de toute vente par Labinal de TPIS A. 330-340 à BAe et prononcée la condamnation solidaire de Westland et de Labinal à lui payer 15 millions de francs, sous déduction de la provision ; pour le cas où l'interdiction ne serait pas prononcée, elle sollicite la somme de 99 millions de francs en réparation de son préjudice et, à titre subsidiaire, un complément d'expertise.

Par conclusions, la société Labinal soulève, en premier lieu, divers moyens de procédure tendant à faire déclarer irrecevable l'appel formé par Mors à son encontre ; elle conclut ensuite à la réformation du jugement du chef de l'entente illicite en soutenant que l'accord du 19 avril 1991 avait pour seul objet une obligation de confidentialité des informations échangées, que Westland a participé en tant que représentant commun du groupement Westland/Mors aux négociations auxquelles la société Mors a été associée jusqu'au mois de juillet 1991 ; elle fait valoir, enfin, que cette société ne peut plus se prévaloir d'un préjudice puisque le 16 octobre 1992, le groupement Westland/Mors a effectivement signé son contrat et son marché pour la fourniture de TPIS A. 330-340 comme option standard, dans des conditions strictement conformes à la sélection d'origine ;

À titre reconventionnel, la société Labinal demande la réparation de son préjudice en nature sous la forme de publication judiciaire de cet arrêt ainsi que la somme de 1 million de francs au titre des frais irrépétibles.

Sur quoi, LA COUR :

Se référant pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties au jugement déféré ainsi qu'aux conclusions d'appel ;

I - SUR LA PROCEDURE

A - Recevabilité de l'appel :

Considérant que pour opposer l'irrecevabilité de l'appel formé par Mors contre elle, la société Labinal fait valoir que des conclusions auraient été signifiées après le dépôt de la requête à jour fixe et des pièces communiquées tardivement et de façon incomplète ; qu'elle soutient en outre que Mors n'a pas précisé le fondement juridique de ses demandes ;

Mais considérant qu'il résulte de la procédure que toutes les parties ont disposé d'un temps suffisant pour prendre connaissance des pièces et des conclusions ainsi que pour y répondre ; que l'objet du litige n'a pas été modifié dans les dernières écritures des parties ; que, sans équivoque, Mors a exposé les fondements juridiques de ses prétentions ; que l'occultation de certaines clauses du contrat signé le 16 octobre 1992 est justifiée par le caractère confidentiel des informations de nature essentiellement commerciale ou technologique qui y sont contenues, lesquelles ne doivent pas être révélées au principal concurrent du groupe Westland/Mors sans justes motifs, ce qui n'est pas en l'espèce démontré ;

Qu'ainsi, il n'a pas été porté atteinte au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense ; que les moyens d'irrecevabilité soulevés par Labinal doivent être écartés comme mal fondés ;

B - Sur l'exception d'incompétence :

Considérant que pour rejeter l'exception d'incompétence de la juridiction étatique à l'égard de la société Westland, le Tribunal de commerce a considéré :

- que les règles de la concurrence sont d'ordre public économique tant au plan communautaire que de celui de chacun des Etats membres ;

- que les arbitres strictement tenus par le droit suisse ne peuvent appliquer directement le droit communautaire et, notamment, déclarer nulle une entente illicite au regard de l'article 85 du Traité instituant la Communauté économique européenne (ci-après traité CEE), loi de police économique communautaire ;

- qu'il est d'une bonne administration de la justice que la juridiction étatique étende sa compétence à l'autre co-auteur de l'entente alléguée ;

- qu'en tout état de cause, les deux actions dirigées par Mors contre Westland et Labinal sont indivisibles en raison de l'impossibilité d'exécution des deux décisions si elles étaient contraires ;

Considérant que la société Westland réitère en cause d'appel son exception d'incompétence en faisant valoir que tous les griefs articulés par Mors du contrat préliminaire de joint-venture, que les arbitres ont seuls compétence pour apprécier l'arbitrabilité du litige et la validité de leur investiture alors que la nullité manifeste de la clause compromissoire, stipulée en matière internationale, n'est pas établie ; qu'elle considère enfin que les deux litiges ne sont pas indivisibles ;

Considérant qu'en réplique, la société Mors soutient qu'elle s'est exclusivement fondée sur la concurrence déloyale et illicite déduite d'un comportement dolosif et intentionnel, source de responsabilité délictuelle et non contractuelle, que le domaine d'application de la clause compromissoire doit être d'interprétation stricte, que le caractère indivisible du litige résulte de la notion d'entente qui implique la présence de toutes les parties concernées dans une même instance pour assurer le respect du contradictoire et pour exclure une impossibilité d'exécution de décisions divergentes sur la validité de l'entente et qu'enfin la sanction de l'entente illicite relève de la compétence exclusive des juridictions étatiques ;

Mais considérant que l'arbitrabilité d'un litige n'est pas exclue du seul fait qu'une réglementation d'ordre public est applicable au rapport de droit litigieux;

Qu'en matière internationale, l'arbitre apprécie sa propre compétence quant à l'arbitrabilité du litige au regard de l'ordre public international et dispose du pouvoir d'appliquer les principes et les règles qui en relèvent ainsi que d'en sanctionner la méconnaissance éventuelle, sous le contrôle du juge de l'annulation ;

Considérant que si le caractère de loi de police économique de la règle communautaire du droit de la concurrence interdit aux arbitres de prononcer des injonctions ou des amendes, ils peuvent néanmoins tirer les conséquences civiles d'un comportement jugé illicite au regard de règles d'ordre public pouvant être directement appliquées aux relations des parties en cause, même si celles-ci ne sont pas toutes ensemble attraites à la procédure arbitrale ;

Considérant qu'en l'espèce, la société Mors fait grief à la société Labinal d'une part :

- de s'être prêtée à une concurrence déloyale, par le débauchage de deux salariés Afin de s'approprier son savoir faire et d'avoir fait pression sur les compagnies aériennes ainsi que sur Westland pour être agréée comme seconde source, ce qui a désorganisé sa production et le marché ;

- d'avoir commis des abus de position dominante (article 86 du traité CEE) caractérisés par des pratiques anticoncurrentielles ayant désorganisé et faussé le marché de TPIS A. 330-340, notamment, par des offres inégales au moyen de prix " prédateurs " ;

- d'avoir conclu avec Westland une entente illicite (article 85-1 du traité CEE) en signant avec celle-ci l'accord du 19 avril 1991 pour l'évincer du marché des TPIS A. 330-340 ;

Considérant que la société Mors reproche, d'autre part à la société Westland, comme en première instance :

- d'avoir favorisé, par son comportement, les actes de concurrence déloyale et les pratiques anticoncurrentielles constitutives des abus de position dominante imputés à faute à la société Labinal ;

- d'avoir constitué, avec la société Labinal, l'entente illicite alléguée pour l'écarter du marché à son profit ;

Mais considérant qu'en raison de leurs compétences respectives, la société Techniphone (devenue Mors) et la société EEL (groupe Westland) ont décidé de former un groupement commun et solidaire en signant l'accord préliminaire de " joint-venture " du 8 septembre 1988 ;

Que l'objet de cet accord est de fixer les relations des parties en vue de la préparation et de la négociation de l'offre devant être présentée à BAe ; qu'il est aussi une base de collaboration en cas d'agrément ; qu'à l'article 2 " portée de l'accord ", il est précisé " si le client attribue le contrat, les parties vont se charger de proposer leurs services et de conduire ensemble la recherche et le développement et d'établir un nouvel accord, basé sur les principes prévus dans le présent document " ;

Qu'enfin, à l'article 13 - Litiges - droit applicable, la clause compromissoire est ainsi rédigée :

" Tous différends découlant du présent accord, et plus particulièrement ceux concernant sa validité, son interprétation, son exécution et son expiration qui peuvent être réglés devant un Tribunal, seront tranchés par arbitrage "... ;

Qu'il s'en déduit que le litige opposant la société Mors à la société Westland se rattache au contrat préliminaire de joint-venture ;

Que la généralité des termes de la clause compromissoire donne vocation aux arbitres de connaître de ce litige, après avoir, s'il y a lieu, eux-mêmes apprécié leur compétence, quelque soit le fondement contractuel ou quasi-délictuel invoqué par la société Mors ;

Considérant que la nullité manifeste de la clause compromissoire susvisée n'est pas établie ;

Considérant que les actions formées par la société Mors contre Labinal et Westland ne présentent pas un caractère d'indivisibilité tel que doit être évincée, contre la volonté de Westland, la compétence des arbitres au seul profit de la juridiction étatique ;

Qu'en effet, s'agissant des actes de concurrence déloyale et d'entente et d'abus de position dominante imputés à faute à Labinal, pour lesquels Westland serait, selon Mors, " co-auteur ", chaque comportement peut être jugé distinctement ; que de même, si une situation d'entente implique pour sa reconnaissance la preuve d'un concours de volontés et d'un comportement commun, la responsabilité consécutive aux agissements critiqués peut néanmoins faire l'objet, pour chacun d'eux, d'une appréciation séparée sans entraîner, comme il est prétendu, une impossibilité d'exécution des décisions étatique et arbitrale, relevant chacune de voies de recours spécifiques ;

Qu'il s'ensuit que le lien existant entre les deux litiges de même que l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ne peuvent faire obstacle à la compétence arbitrale en application d'une clause compromissoire librement convenue et acceptée par la société Mors;

Qu'enfin, la possibilité de jugements distincts rend inopérants les moyens tirés d'une atteinte au principe du contradictoire et d'une extension, injustifiée en la cause, de la clause compromissoire à un tiers ;

Considérant que le jugement déféré a donc écarté à tort l'exception d'incompétence soulevée par la société Westland au profit d'une juridiction arbitrale ; qu'il doit être infirmé de ce chef et en ce qu'il a statué sur les demandes formées par Mors contre Westland ; qu'il y a lieu de renvoyer Mors à mieux se pouvoir à cet égard ;

II - SUR LE FOND

Considérant que la société Mors fonde son action contre la société Labinal sur des faits qu'elle prétend constitutifs de concurrence déloyale et de pratiques anticoncurrentielles ;

A - Sur le fondement de la concurrence déloyale :

Considérant que Mors reproche d'abord à Labinal d'avoir désorganisé son entreprise par des actes qui isolément ou dans leur ensemble sont constitutifs de concurrence déloyale, s'agissant :

- du débauchage de deux de ses employés, Messieurs Guillemin et Beaucote,

- de pressions exercées par BAe par l'intermédiaire des compagnies aériennes pour être retenue comme seconde source, ce qui a désorganisé gravement le marché,

- de pressions exercées sur Westland pour conclure avec elle une entente en vue de l'exclure ;

Mais considérant que par une exacte appréciation des éléments de preuves et de justes motifs auxquels la Cour se réfère, le Tribunal a rejeté ces griefs comme étant non prouvés ou non pertinents ;

Considérant en effet que, sur le premier grief, outre les motifs complets et adaptés des premiers juges, il doit être relevé que Messieurs Guillemin et Beaucote n'étaient soumis à aucune clause de non-concurrence envers leur employeur ; qu'ils n'avaient pas chez celui-ci des fonctions de cadres supérieurs ; qu'ils ont eux-mêmes sollicité et organisé leur changement d'emploi ; que si l'un d'eux a eu des responsabilités dans le projet de TPIS A. 330-340 chez Mors et lui a dissimulé l'identité de son nouvel employeur, il n'est pas prouvé que Labinal se soit livrée à l'égard de Mors et des deux salariés susnommés à des manœuvres ou à un comportement déloyal pour provoquer leur départ de cette société et leur embauche dans sa propre entreprise aux fins de s'approprier, de façon illicite, une technologie ou des informations privilégiées et désorganiser la société Mors ou le marché des TPIS ;

Considérant, sur le deuxième grief, que, comme l'a jugé le Tribunal par de justes motifs que la Cour reprend, même si BAe avait souhaité ne retenir qu'une seule source d'approvisionnement et si l'agrément d'une seconde source bouleversait l'équilibre de l'offre de Westland/Mors quant à l'amortissement des coûts non récurrents, l'appel d'offres fait par BAe le 26 juillet 1988 pour le marché optionnel standard de ces nouveaux appareils ne comportait aucun engagement d'exclusivité pour l'entreprise retenue ; que par la suite, BAe n'a pas modifié les termes de sa proposition initiale lorsqu'elle a notifié à Westland, le 18 août 1988, que Westland/Mors étaient sélectionnées " en tant que fournisseur des équipements... " et le 25 janvier 1991 qu'elle avait accepté de retenir Labinal " comme seconde source " ; qu'enfin l'ensemble de la correspondance échangée démontre que Westland et Mors n'ignoraient pas que, sous l'influence de ses clients et de Airbus Industrie, BAe risquait d'agréer Labinal comme autre source d'approvisionnement (cf. notamment, rapport de réunion du 17 novembre 1989 BAe/Westland, lettre Westland/BAe du 28 novembre suivant et réponse du 12 janvier 1990) ;

Qu'en outre bien que le groupement Westland/Mors ait été choisi comme fournisseur non exclusif mais cependant " privilégié " dans la mesure où il était retenu comme source optionnelle standard, il n'était toutefois pas interdit à Labinal d'user de sa notoriété et de ses relations avec les compagnies aériennes pour revenir sur le marché non plus comme première source mais comme un fournisseur concurrent et proposer, au lieu d'un matériel standard, un matériel seulement homologué par le constructeur ; que si la " pression " des compagnies aériennes déjà pourvues d'équipements Labinal et l'influence d'Airbus Industrie ont été déterminantes, il ne résulte toutefois pas des pièces versées au dossier qu'elles aient été accompagnées de manœuvre déloyale ;

Considérant sur le troisième grief, que si au premier semestre de 1991, Labinal et Westland se sont rapprochées pour rechercher les conditions d'une collaboration éventuelle, Mors n'en était pas exclue puisqu'elle était supposée représentée aux négociations par son partenaire, que le moment venu, le 5 juin 1990, elle a été informée par celui-ci du résultat des discussions et que comme les faits l'ont montré, aucun accord ne pouvait se réaliser contre sa volonté ; qu'enfin, ainsi qu'il sera ci-après énoncé, il n'est pas établi que Labinal et Westland se soient concertées pour exclure Mors de sa participation à la construction du TPIS et que, dès lors, l'allégation de comportement déloyal déduit de pressions exercées à cette fin par Labinal sur Westland n'est pas fondée ;

Considérant qu'aucun des comportements de Labinal, pris isolément ou dans leur ensemble, distincts de ceux qui seront ci-après retenus comme caractérisant des pratiques anticoncurrentielles, n'est prouvé ou constitutif d'acte de concurrence déloyale ;

Qu'il est par ailleurs sans objet de rechercher si les pratiques caractérisées d'entente ou d'abus de position dominante sont également constitutives de concurrence déloyale dès lors qu'elles ne fondent pas pour Mors un principe distinct d'indemnisation ;

B - Sur les pratiques anticoncurrentielles :

Considérant que la société Mors entend encore faire cesser et obtenir réparation du préjudice qu'elle allègue sur le fondement des articles 85-1 et 86 du traité CEE, en soutenant que les faits invoqués sont tout à la fois constitutifs d'une entente prohibée entre les sociétés Westland et Labinal ainsi que, pour cette dernière, d'exploitation abusive de sa position dominante sur le marché des TPIS ;

Qu'elle prétend que les pratiques dénoncées sont à examiner sur le marché économique constitué par l'ensemble des testeurs de pression des pneus d'avions qui, en dépit de différences objectives selon les types d'aéronefs qu'ils équipent, sont adaptables et remplissent des fonctions identiques ;

Mais considérant que les pièces du dossier et les explications des parties démontrent, ainsi que le prétend la société Labinal, que les TPIS pour les A. 330-340 sont des équipements exclusivement dédiés à ces avions et radicalement insubstituables à ceux conçus pour d'autres types d'aéronefs ;

Qu'en effet, même si les bases de leurs technologies relèvent de concepts communs et d'études voisines, chaque système est spécialement étudié puis construit en fonction d'un modèle déterminé d'avion après d'importantes recherches technologiques, ainsi qu'en témoigne le présent dossier pour le TPIS A. 330-340 ;

Qu'il est incontestable que, nonobstant toute considération de prix, les acquéreurs d'Airbus 330 ou 340 qui désirent s'équiper de testeurs de pression n'ont d'autre choix que les deux modèles spécialement conçus pour ces avions, l'un par Westland/Mors, l'autre par Labinal ;

Que si de tels accessoires peuvent être fabriqués par adaptation de modèles préexistants, un tel transfert n'est possible que par le fabricant ou l'acquéreur d'un brevet, au prix d'études préalables, de travaux industriels longs et complexes et d'investissements importants ;

Qu'il n'y a pas non plus substituabilité entre les différents modules et sous-ensembles composant chaque élément des TPIS : capteur, système de transmission ou même ordinateur de bord spécialement définis pour chaque type d'appareil ; que si certaines compagnies aériennes, déjà pourvues de systèmes Labinal, préfèrent pour des raisons de " communité " un TPIS de même marque pour leurs A. 330-340, ceci n'induit pas pour autant une substituabilité entre les testeurs équipant divers autres types d'avions dès lors qu'ils ne sont absolument pas transposables de l'un à l'autre et qu'à elles seules, la cohérence technologiques d'une gamme d'équipements et l'unicité de leur service de maintenance ne permettent pas de déduire la substituabilité de ces équipements ;

Qu'il s'ensuit que, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, le TPIS A. 330-340 détermine à lui seul un marché économique pertinent ;

Considérant que les pratiques anticoncurrentielles alléguées, commises à l'occasion de la fourniture des TPIS équipant les avions A. 330-340, sont de nature à affecter de manière sensible le commerce intra-communautaire, s'agissant d'un marché mettant en concurrence des fournisseurs des États membres, sur l'équipement d'un avion construit dans le cadre d'un GIE par des entreprises installées dans plusieurs pays de la Communauté et commercialisé à l'intérieur comme à l'extérieur de son territoire ; qu'elles peuvent en conséquence être examinées au regard des dispositions susvisées du traité instituant la Communauté Économique européenne;

1 - Sur l'application de l'article 85-1 du traité CEE :

Considérant que, faisant droit de ce chef aux prétentions de la société Mors, le tribunal de commerce a estimé que, dans le contexte des pourparlers qui l'ont accompagné, l'accord passé le 19 avril 1991 entre les entreprises concurrentes Westland et Labinal, visant à fournir ensemble à BAe un système de TPIS A. 330-340 en neutralisant Mors, autre concurrent potentiel, était contraire aux dispositions de l'article 85-1 du traité CEE et qu'il a eu pour effet, afin de favoriser l'objectif poursuivi, de désorganiser le plan de production de la société Mors en retardant sciemment la signature d'un contrat définitif avec BAe ;

Considérant que, concluant à l'infirmation du jugement déféré de ce chef, la société Labinal expose qu'après que BAe ait arrêté son choix en ce qui concerne les première et seconde sources d'approvisionnement, elle-même et la société Westland, représentant le groupement Westland/Mors, ont estimé utile de se rencontrer pour étudier des solutions communes, mais que :

- la société Mors, représentée à ces pourparlers par Westland, leader du groupement, a été tenue informée des projets auxquels elle était associée ;

- l'acte du 19 avril 1991, qui n'est qu'un accord de confidentialité, ne peut caractériser une entente illicite ;

- les discussions couvertes par cet accord, qui ne visaient pas à éliminer Mors en tant que co-producteur de l'équipement litigieux et ménageaient ses chances d'acquérir une notoriété en tant que fournisseur de TPIS, ne lui ont causé aucun préjudice ;

- faute d'aboutir, ces pourparlers n'ont eu ni objet ni effet restrictif de concurrence puisqu'en l'état du contrat signé le 16 octobre 1992, BAe reste en présence de deux sources d'approvisionnement de TPIS pour les Airbus 330-334, celle du groupement Westland/Mors étant toujours considérée comme option standard ;

Considérant qu'à cette argumentation, la société Mors oppose :

- que l'accord conclu entre Labinal et Westland daté du 19 avril 1991, mais signé un mois plus tard, ainsi que leur projet d'association et même les pourparlers engagés entre elles tombent sous le coup de l'article 85-1 du traité CEE ;

- que Westland a participé seule et en son seul nom à ces accords et négociations dont elle n'a été informée que le 5 juillet 1991 de ses aspects restrictifs de concurrence et que même si elle y avait été associée elle pourrait néanmoins se prévaloir de leur caractère illicite ;

- que cette entente a eu pour objet de supprimer la concurrence en ce qui concerne la fourniture des TPIS pour les A. 330-340 entre le groupe Westland/Mors et Labinal en permettant à celle-ci de se maintenir dans la situation de monopole dont elle jouit pour la fourniture de ce type d'équipements aéronautiques ;

- qu'elle a eu pour effet de retarder les négociations entre le groupe Westland/Mors et BAe pour la signature du contrat d'approvisionnement comme première source, de permettre à Labinal de combler son retard dans la conception des TPIS destinés aux A. 330-340 et de lui fournir des renseignements sur le comportement de ses concurrents et leur perception du marché ;

- que cette entente qui se perpétue au moins quant à ses effets ouvre à son bénéfice un droit à réparation ;

Considérant qu'aux termes de l'article 85-1 du traité CEE " sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun " ;

Considérant que l'accord conclu entre Westland et Labinal le 19 avril 1991 qui en lui-même n'a ni objet ni effet anticoncurrentiel doit être examiné avec les pourparlers dont il garantit la confidentialité;

Considérant que si ces entretiens visaient à rechercher une collaboration entre le groupe Westland/Mors d'une part, et la société Labinal d'autre part, pour la production, la commercialisation et la maintenance du TPIS destiné à l'Airbus 330-340, ils n'ont toutefois pas abouti à un accord ou une association d'entreprises exprimant une volonté commune de substituer entre elles une coopération pratique au risque de la concurrence qui les oppose;

Qu'en effet, ces discussions, qui ont commencé au début de l'année 1991 et se sont poursuivies par la réunion du 19 avril suivant la signature de l'accord de confidentialité et l'établissement d'un projet d'associations le 12 juin 1991, ont été interrompues le 30 juillet 1991 notamment par le refus de Mors d'accepter la position de sous-traitant qui lui était réservée; qu'il n'est pas démontré que cette recherche d'une solution commune se poursuive encore alors que, le 19 octobre 1992, la société Westland, agissant comme mandataire du groupement constitué avec Mors, a signé le contrat d'approvisionnement avec la société BAe;

Considérant qu'il n'est pas davantage établi que les pourparlers et le comportement de Labinal et Westland durant cette phase de négociation aient visé à écarter Mors du marché ;

Qu'en effet, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que, par ou à l'occasion de leurs discussions, les deux entreprises susvisées aient, à titre principal ou accessoire, voulu écarter la société Mors de la fabrication des TPIS A. 330-340 ; qu'il est à cet égard justement fait observer que celle-ci n'opère comme concurrent de Labinal que dans le cadre du groupement constitué avec Westland (au sein duquel elle n'est chargée que d'une partie de la conception et de la construction des équipements en cause) et que tous les documents préparatoires produits subordonnent expressément la constitution d'une association avec Labinal à son adhésion, à défaut de laquelle le projet a finalement été abandonné ;

Considérant qu'outre les informations strictement nécessaires à la recherche d'un accord de coopération, il n'apparaît pas que les pourparlers entrepris aient été le prétexte d'échanges de renseignements techniques, industriels ou commerciaux;

Mais considérant qu'ainsi que le relève le Tribunal, le compte rendu de la réunion du 19 avril 1991 rapporte (1-Contexte point 4) que :

" La finalisation de l'accord BAe/Wal concrétisant les commandes est attendue bientôt mais Wal n'a pas fait progresser cette question en attendant l'issue de cette discussion avec Labinal " ;

Que cette position, portée par Westland à la connaissance de Labinal lors de leur réunion du 19 avril 1991 et nécessaire à la poursuite de leurs discussions, caractérise entre elles la mise en œuvre d'une action concertée visant à retarder la signature du contrat entre le groupe Westland/Mors et la société BAe dans le but de permettre la recherche d'une association entre les deux groupes concurrents;

Qu'une telle pratique concertée, substituant au moins temporairement une coopération entre Westland et Labinal à la concurrence entre elles quant à l'aboutissement auprès de BAe de leurs projets respectifs de fourniture du TPIS A. 330-340, a eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence, d'une part, en retardant la signature par BAe du contrat retenant l'offre du groupement Westland/Mors et la mise en place des moyens industriels qui y étaient subordonnés, d'autre part, en accordant à Labinal un délai lui permettant de faire progresser ses propres recherches technologiques et de poursuivre ses démarches commerciales auprès des compagnies aériennes avant la régularisation du contrat agréant ses concurrents comme source standard;

Qu'il résulte des pièces fournies que si Mors a été informée par Westland le 5 juin 1991 de l'état des négociations avec Labinal (cf compte rendu de la réunion établi le 6 juin par Westland), elle n'a appris la suspension des négociations entre son partenaire et la société BAe que lors d'une conférence du 5 juillet suivant, la première avec Labinal à laquelle elle a pu assister, et a aussitôt par une lettre du 10 juillet protesté contre cette initiative prise sans son accord</sdc>;

Qu'il est en conséquence établi qu'à l'insu de Mors et en concertation avec Labinal, Westland s'est abstenue de poursuivre les relations avec BAe dont elle était chargée en tant que représentant du groupement, entre le mois de février de l'année 1991, période de l'ouverture des pourparlers avec Labinal, et le 29 août 1991, date à laquelle, à la demande expresse de Mors, ont été reprises les négociations en vue de la signature du contrat de fourniture du TPIS A. 330-340 ;

Considérant qu'ainsi que l'a jugé le Tribunal, la société Mors est fondée à obtenir réparation du préjudice résultant pour elle du retard causé par l'attitude de Westland concertée avec Labinal dans la discussion du contrat avec BAe entre le début de l'année et le mois d'août 1991 ;

Mais considérant que les pratiques ainsi caractérisées n'ayant donné lieu à aucune stipulation contractuelle, il n'y a lieu d'en prononcer la nullité ni de faire interdiction à la société Labinal de reconstituer une telle entente qui a pris par la reprise des négociations entre Westland et BAe ayant finalement abouti à la signature du contrat du 16 octobre 1992 ; que seront en conséquences infirmées les dispositions du jugement dont appel ordonnant de telles mesures ;

2 - Sur l'application de l'article 86 du traité CEE :

Considérant que le Tribunal a estimé que la domination économique reconnue à Labinal s'étendant sans restriction à tous les testeurs de pression de roues d'avion n'a toutefois pas eu pour effet de modifier les conditions de l'appel d'offres privé de BAe relatives au TPIS A. 330-340 ;

Considérant qu'il est établi et non réellement contesté que Labinal occupe depuis plusieurs années un monopole de fait sur l'ensemble des différents marchés des TPIS, équipement qu'elle a inventé et créé en 1980 et dont, à la seule exception de ceux des A. 330-340, elle est depuis cette date l'unique constructeur ; qu'en particulier elle fournit les trois principaux fabricants mondiaux d'avions commerciaux, Airbus, Boeing et M. C. Donnell Douglas ; qu'elle livre ses produits à plus de soixante-dix compagnies aériennes et qu'elle dit avoir développé un service de maintenance unique, particulièrement performant et immédiatement opérationnel sur l'ensemble du réseau aérien ;

Considérant que sa puissance économique et financière (le chiffre d'affaires consolidé du groupe a été en 1989 de 7 412 000 000 de F et les bénéfices de 155 000 000 F) est sans proportion avec celle de Mors (dont le chiffre d'affaires s'élevait la même année à 645 500 000 F et le résultat net à 35 500 000 F) ;

Considérant que cette situation de domination sur tous les marchés adjacents, tant en ce qui concerne la fourniture que la maintenance de ce type d'équipements, qui s'étend non seulement en France et en Europe mais aussi dans le monde entier et sur tous les types d'avions commercialisés, permet d'examiner le comportement de Labinal sur le marché des TPIS A. 330-340 au regard des dispositions de l'article 86 du traité CEE, dès lors qu'elle lui donne, sur ce marché spécifique, le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis à vis de ses concurrents et des clients ;

Considérant qu'il est établi que la position qu'elle occupe, dans l'ensemble du secteur des TPIS, a conféré à Labinal une telle indépendance de comportement sur le marché des TPIS A. 330-340 ; qu'en effet, alors qu'elle avait initialement été écartée en raison du prix de son offre très nettement supérieur à celui de Westland/Mors (presque le double), elle a pu, peu après leur agrément, grâce au soutien des compagnies aériennes fidélisées par sa notoriété et l'efficience de son réseau de maintenance ajouté aux démarches de ses agents commerciaux et à l'influence d'Airbus Industrie, revenir sur le marché, se faire homologuer par BAe et obtenir d'ores et déjà les trois quarts des commandes, bien que l'équipement ne soit qu'optionnel, que la fourniture standard dont la qualité technologique est reconnue émane de son concurrent et que son stade de fabrication soit moins avancée ;

Qu'en fonction des éléments déterminants sus-énoncés la société Labinal ne peut soutenir avec vraisemblance que les avantages dont le groupement Westland/Mors bénéficie de la part de BAe en ce qui concerne le développement et la certification du produit l'ont contrainte à une véritable compétition alors qu'au contraire, en dépit de ces obstacles, sa puissance économique renforcée et ses relations industrielles et commerciales l'imposent désormais comme source essentielle d'approvisionnement tant à l'égard d'Airbus Industrie, vendeur de l'avion, que des compagnies aériennes acquéreurs ;

Considérant que Mors prétend que Labinal a abusé de sa positon dominante en :

- " exerçant sur les opérateurs du marché en cause des pressions visant à :

* la remise en cause du résultat de la procédure d'appel d'offres ayant abouti à la sélection de Wal-Mors comme fournisseur unique du TPIS A. 330-340,

* sa sélection comme " seconde source " à l'issue d'un " deuxième tour ",

* la renonciation par les compagnies au TPIS de Westland/Mors à son profit.

- " s'appropriant les secrets technologiques et commerciaux de Mors " par le débauchage de deux salariés de Mors ;

Mais considérant qu'une entreprise en position dominante est en droit de défendre ou de conquérir des parts de marché pourvu qu'elle reste dans les limites d'un comportement compétitif normal et d'une concurrence légitime ;

Qu'ainsi qu'il a été ci-dessus exposé, il n'est pas établi que Labinal ait par des manœuvres fautives débauché des salariés de Mors et se soit ainsi approprié sa technologie ;

Qu'il a également été énoncé que les moyens par lesquels Labinal avait obtenu son agrément comme seconde source pour les TPIS A. 330-340 n'excèdent pas les limites de la libre compétition économique ;

Qu'il est en outre sans objet de rechercher si les faits d'entente ci-dessus retenus sont aussi constitutifs d'abus de position dominante puisqu'ils ne fondent pas pour la société Mors un principe distinct d'indemnisation ;

Considérant que ladite société fait encore reproche à Labinal d'avoir commis de tels abus " en consentant des conditions commerciales particulièrement prédatrices telles que primes, remises liées et pris inégaux " ; qu'à titre de preuve, elle verse aux débats en cause d'appel deux propositions commerciales adressées à Air France les 12 juin et 8 août 1991 ;

Qu'en réplique, Labinal fait valoir " qu'un système de TPIS est un produit de haute technologie à faible diffusion et à marge élevée pour ce qui concerne en particulier les prestations et les pièces de rechange vendues avec le système et pour lequel l'ensemble des fournisseurs qu'il s'agisse de Labinal, de Mors ou d'autres industriels étrangers intervenant sur le marché des TPIS spécifique à chaque catégorie d'avions, sont tous conduits à négocier avec les compagnies aériennes des conditions commerciales " ;

Qu'elle soutient en second lieu que le choix final est déterminé non pas par des remises mais par la qualité du produit, sa fiabilité et son service après-vente, ce qui explique le choix des compagnies aériennes du TPIS Labinal ; qu'elle fait enfin observer que la société Mors propose aussi des fournitures à titre gratuit et des remises liées pour l'acquisition d'Airbus A. 340, comme cela a été le cas avec les compagnies Air Inter et Turkish Airlines ;

Mais considérant que l'article 86 du traité CEE interdit à une entreprise dominante de chercher à éliminer un autre opérateur et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites, sans qu'à cet égard, toute forme de compétition par les prix soit nécessairement tenue pour légitime ;

Considérant qu'en l'espèce, par lettre du 12 juin 1991, Labinal a proposé à Air France, pour une commande ferme de TPIS pour sept avions A. 340, les conditions commerciales suivantes pour l'acquisition de TPIS Labinal :

1°) Des avantages spécifiquement applicables au TPIS A. 340 soit : une offre gratuite pour les quantités d'approvisionnement initial recommandées, des garanties MTBF et de masse ainsi que des garanties des coûts de maintenance,

2°) Des réductions applicables aux TPIS A. 310, A. 320, A. 340, B. 747 à savoir : une remise de décembre 1994 pour toutes nouvelles commandes ainsi que des prestations gratuites pour le support après-vente (adaptation des bancs de test) ;

Que le 8 août 1991, Labinal a réitéré de telles propositions en y ajoutant des avantages supplémentaires ; qu'en ce qui concerne le prix du système TPIS A. 340, Labinal a précisé qu'il était fixé en vente directe première monte à 49 984 dollars US (soit près de la moitié de son offre initiale), sur la base de la spécification BAe de mai 1989, valeur 1989 et qu'en fin de sa lettre elle a pris l'engagement suivant :

" 9 - Pris remis pas Air Bus

Labinal a contacté Airbus Industrie pour connaître les raisons qui ne leur permettaient pas de vous remettre le prix du système TPIS Labinal.

Il a été répondu par Airbus Industrie que la question ne se posait pas dans ces termes, le prix du système TPIS Labinal ayant été inclus dans le prix contractuel de l'avion, les services DS-MU d'Air France étant au courant.

Labinal ne fait que rapporter les propos téléphoniques et ne se trouve pas directement engagée par cette réponse d'Airbus Industrie.

Néanmoins, Labinal s'engage à ce que le coût de l'option TPIS Labinal tel que défini par Airbus Industrie ne soit pas pénalisant pour Air France par rapport au prix affiché de son concurrent " ;

Considérant, d'une part, que les remises et autres avantages consentis par Labinal sur des produits autres que ceux visés par l'offre s'apparentent à des rabais de fidélité visant à lier ses clients par des avantages inégaux pour les empêcher de s'approvisionner chez des concurrents ; que ce comportement d'exclusion, qui fait obstacle à la concurrence existante sur le marché des TPIS A. 330-340 lorsque, comme en l'espèce, il est pratiqué par une entreprise dominant l'ensemble des marchés du TPIS, est constitutif d'un abus au sens de l'article 86 du Traité CEE ;

Que Labinal est mal fondée à opposer que le groupement Westland/Mors a usé de pratiques semblables à l'égard de Turkish Airlines alors que les avantages consentis à cette compagnie l'ont été postérieurement et en réaction à ses propres propositions et qu'ils n'émanent pas d'une entreprise en position dominante ;

Considérant, d'autre part, qu'en offrant par l'engagement final de sa lettre du 8 août 1991 des prix, directement ou indirectement, alignés sur ceux de son concurrent, quel qu'en soit le montant et sans tenir compte de ses propres coûts, la société Labinal renonce à l'indépendance de son offre pour se livrer à une concurrence pour elle sans risque, la conduisant à pratiquer des prix inégaux et supprimant à terme toute compétition par les prix ;

Qu'en effet, par une telle proposition, Labinal vise à se faire communiquer par ses clients les prix de son concurrent et, ainsi, à s'affranchir de toute incertitude dans le jeu de la concurrence puisqu'elle lui évite de rechercher un tarif compétitif ; qu'elle lui permet d'emporter le marché sans aucun risque, par le seul alignement de son prix, grâce à sa notoriété et, qu'à terme, sachant leurs offres immédiatement suivies et préférées par celles de Labinal, le groupement Westland/Mors sera découragé de poursuivre le jeu de la concurrence par des concessions tarifaires;

Que cette politique commerciale conduit en outre Labinal à pratiquer des prix et conditions inégaux selon que son client aura ou non préalablement opté et négocié pour un système TPIS Westland/Mors ;

Que de telles pratiques, mises en œuvre alors qu'étaient rompues les discussions visant à instaurer une coopération avec les groupe Westland/Mors, sont manifestement dictées, à ce stade de leurs relations, par la volonté d'éliminer un concurrent sur le nouveau marché des TPIS A. 330-340 et par voir de conséquence de lui interdire l'accès de ceux des TPIS du traité CEE;

Considérant en conséquence que, par infirmation partielle du jugement dont appel, il doit, selon les conditions et modalités précisées au dispositif du présent arrêt, être sous astreinte, fait défense à la société Labinal de poursuivre de telles pratiques et que la société Mors et fondée à obtenir réparation du dommage qu'elles lui ont d'ores et déjà causé ;

III - SUR LE PREJUDICE

Considérant que le jugement dont appel a :

- d'une part, estimé que le préjudice essentiellement moral ou influencé par le coût des retards que son programme de fabrication qu'a éventuellement subi la société Mors devait [être] évalué toutes causes confondues à la somme de 300 000 F ;

- d'autre part, néanmoins ordonné une mesure d'instruction, afin d'avoir connaissance des coûts de recherche et développement relatifs à la mise au point de TPIS A. 330-340 ainsi que des frais généraux ou de représentation qui s'y rapportent, pour le cas où il s'avérerait que les manœuvres dont la société Mors a été victime lui feraient perdre sa quote part du marché de l'option standard sans compensation suffisante par BAe du montant de ses coûts non récurrents ;

Considérant que la société Mors prétend que, du fait des pratiques alléguées, elle a été gravement perturbée dans ses activités industrielles ; que des coûts importants ont dû être investis pour produire dans des délais acceptables la partie technique du TPIS à sa charge qui " ne seront pas amortis de la même manière que si elle avait bénéficié de l'intégralité du marché prévu " ;

Que le contrat désormais signé avec BAe, qui ne prévoit pas l'indemnisation de ses coûts non récurrents, ne change en rien la réalité de son préjudice ;

Qu'elle évalue à la somme de 15 millions de francs à la date de l'assignation introductive d'instance le dommage d'ores et déjà subi et à 99 millions de francs celui résultant de la perte de parts substantielles du marché en cause et de la possibilité d'utiliser les références acquises pour en conquérir d'autres ;

Considérant que pour conclure au rejet des demandes de son adversaire la société Labinal oppose que :

- la société Mors ne peut prétendre à la réparation du préjudice moral résultant de pourparlers avec la société Westland auxquels elle a été associée ;

- que l'expertise ordonnée par les premiers juges ne visait qu'à la réparation d'un préjudice éventuel au cas où le contrat retenant le TPIS Westland/Mors comme option standard ne serait pas signé, alors qu'il l'est depuis le 16 octobre 1992 et qu'il prévoit en outre l'indemnisation des coûts de fabrication non récurrents engagés par les sociétés Westland et Mors ;

Considérant qu'il a été jugé que les pratiques anticoncurrentielles dommageables retenues à l'encontre de Labinal ont causé à la société Mors un préjudice résultant, d'une part, du retard apporté à la signature du contrat avec BAe par l'abstention de Westland concertée avec Labinal de poursuivre les négociations à cette fin, d'autre part, des pratiques tarifaires abusives commises par Labinal ; que la société Mors ne peut par conséquent prétendre engager la responsabilité quasi-délicutelle de son adversaire sur d'autres faits non retenus comme fautifs et en particulier l'admission de celui-ci comme seconde source d'approvisionnement ;

Qu'en l'état la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires à l'évaluation, fût-ce à titre provisoire, du préjudice subi par la société Mors pour les faits sus-énoncés ;

Qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné le paiement d'une provision et de modifier la mission impartie à l'expert dans les conditions précisées au dispositif du présent arrêt ;

Considérant que, de ce qui précède, il ne résulte pas que l'action et l'appel formés par la société Mors soient de sa part constitutifs d'abus du droit d'ester en justice ni à l'égard de la société Westland ni à l'égard de la société Labinal ; qu'il n'y a lieu à réparation de ce chef ;

Considérant que les juridictions étatiques étant incompétentes pour connaître des demandes formées par la société Mors contre la société Westland, celle-ci ne peut être solidairement tenue au paiement des sommes allouées par le premier juge à la société Mors au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que le jugement sera de ce chef infirmé, la société Labinal étant seule condamnée à payer la dite somme ;

Qu'il doit être sursis à statuer jusqu'au dépôt du rapport d'expertise sur la demande formée en cause d'appel par la société Mors sur le fondement du même texte ;

Qu'à ce titre, il convient d'allouer une somme de 120 000 F à la société Westland ;

Par ces motifs : Rejette les moyens d'irrecevabilité opposés par la société Labinal ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Mors sur le fondement d'une concurrence déloyale ; L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau : - Se déclare incompétent pour statuer sur les demandes formées par la société Mors contre la société Westland et la renvoie à mieux se pourvoir devant le tribunal arbitral ; - Dit que la société Labinal s'est livrée, au préjudice de la société Mors, à des pratiques contraires aux articles 85-1 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne et engageant sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; - Fait en conséquence interdiction à la société Labinal, sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée : * de proposer à ses clients, pour des équipements, pièces et prestations indépendants de la fourniture de TPIS A. 330-340, des avantages, primes et remises liées à la vente de ces systèmes ; * de proposer à ses clients ou de prestations annexes, des prix se référant directement ou indirectement à ceux pratiqués par le groupement Westland/Mors ; - Avant dire droit sur le préjudice causé à la société Mors par les pratiques anticoncurrentielles caractérisées à l'encontre de la société Labinal, désigne en qualité d'expert M. William Nahum, 23 rue, d'Anjou à Paris 8ème (42 66 67 30) avec pour mission de : * se faire communiquer tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission ; * Entendre les parties et tous sachants ; * Donner un avis sur les divers éléments des préjudices causés à la société Mors par les faits dommageables retenus à l'encontre de la société Labinal à savoir : 1°) Le retard apporté, entre le début de l'année et la fin du mois d'août 1991, dans la négociation par la société Westland avec la société British Aérospace du contrat agréant comme option standard le TPIS A. 330-340 construit par le groupement Westland/Mors ; 2°) Les pratiques tarifaires abusives ci-dessus interdites mises en œuvre par la société Labinal ; - Dit que l'expert devra donner son avis avant le 1er octobre 1993 ; - Fixe à la somme de 20 000 F le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert à consigner par la société Mors avant le 1er juin 1993 et dit que passé ce délai la désignation de l'expert sera caduque et l'instance poursuivie ; - Désigne M. Canivet, Président, pour connaître de tous incidents et difficultés éventuels relatifs à cette mesure d'instruction ; - Condamne la société Labinal à payer à la société Mors une somme de 200 000 F au titre des frais exposés en première instance non compris dans les dépens ; Y ajoutant, Rejette les demandes reconventionnelles des sociétés Westland et Labinal ; Sur fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : - Surseoit à statuer sur la demande formée en cause d'appel par la société Mors ; - Rejette la demande de la société Labinal ; - Condamne la société Mors à payer à la société Westland une somme de 120 000 F ; Condamne la société Mors aux dépens de l'appel intenté par la société Westland ; les réserve pour le surplus et admet sur sa demande la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.