CJCE, 17 octobre 1989, n° 97-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dow Chemical Ibérica (SA); Alcudia'Empresa para la Industria Química (SA); Empresa Nacional del Petróleo (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Slynn, Kakouris, Schockweiler, Zuleeg
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Koopmans, Mancini, Joliet, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Díez de Velasco
Avocat :
Me Santos
LA COUR,
1 Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 2 avril 1987, les sociétés Dow Chemical Ibérica, SA (ci-après "Dow Ibérica "), Alcudia, Empresa para la Industria Química, SA (ci-après "Alcudia "), et Empresa Nacional del Petróleo, SA (ci-après "EMP "), ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, des recours visant à l'annulation des décisions de la Commission, prises dans les affaires IV/31.865 - PVC et IV/31.866 - polyéthylène, du 15 janvier 1987 [C(87)19-1, 2 et 3], concernant une vérification au sens de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 13, p. 204).
2 Disposant d'informations lui permettant de présumer l'existence d'accords ou de pratiques concertées concernant la fixation de prix et de quotas de livraison de PVC et de polyéthylène entre certains producteurs et fournisseurs de ces substances dans la Communauté, la Commission a décidé de procéder à une vérification auprès de plusieurs entreprises, dont les requérantes, et a adopté à l'égard de celles-ci les décisions litigieuses.
3 Les 20 et 21 janvier suivants, la Commission a procédé aux vérifications en question. Après avoir pris connaissance des décisions litigieuses et après avoir été informés, par les fonctionnaires de la Commission, des droits et obligations des entreprises concernées, les représentants des requérantes se sont estimés tenus de se soumettre à l'inspection, de sorte qu'ils ne se sont pas opposés à ce que les fonctionnaires de la Commission prennent, examinent et photocopient des dossiers et leur ont prêté l'assistance nécessaire à cette fin.
4 La Commission a ainsi eu accès à tous les bureaux, archives et dossiers ainsi qu'à une mallette et à l'agenda personnel d'un représentant de Dow Ibérica et elle a pris toutes les photocopies qu'elle désirait.
5 Pour un plus ample exposé des antécédents du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
6 A l'appui de leurs recours, les requérantes invoquent huit moyens tirés de la violation du droit fondamental à l'inviolabilité du domicile et au respect de la vie privée, de la violation du principe de proportionnalité, de la violation du principe de non-discrimination, du défaut de motivation, de l'inexistence ou de l'indétermination des faits qui sont à la base des décisions, de la violation du droit fondamental à la présomption d'innocence, de la violation des formes substantielles et du fait que les décisions visent des comportements antérieurs à l'adhésion de l'Espagne à la Communauté.
Sur le moyen tiré de la violation du droit fondamental à l'inviolabilité du domicile et au respect de la vie privée.
7 Selon les requérantes, les décisions litigieuses ou au moins leur exécution ont comporté une violation de leur droit fondamental à l'inviolabilité du domicile et au respect de la vie privée. L'article 14 du règlement n° 17, qui constitue certes une dérogation à ce droit, n'autoriserait nullement les agents de la Commission à procéder à des mesures que les requérantes qualifient de perquisition. Elles ajoutent que, si cette disposition devait être interprétée en ce sens qu'elle confère à la Commission le pouvoir de perquisitionner, elle serait illégale du fait de son incompatibilité avec les droits fondamentaux, dont la protection exige qu'une perquisition ne puisse avoir lieu qu'en vertu d'un mandat judiciaire préalable.
8 La Commission relève d'abord qu'il ne saurait y avoir violation du domicile et de la vie privée dès lors que les requérantes se sont soumises à la vérification sans manifester la moindre opposition. Elle soutient ensuite que les pouvoirs qu'elle détient en vertu de l'article 14 du règlement n° 17 comprennent des mesures qui, selon le droit de certains États membres, relèveraient de la notion de perquisition. Elle estime néanmoins que les exigences de protection judiciaire découlant des droits fondamentaux, exigences qu'elle ne conteste pas en principe, sont satisfaites dès lors que les destinataires des décisions de vérification ont la possibilité, d'une part, d'attaquer ces décisions devant la Cour et, d'autre part, de demander le sursis à leur exécution par la voie du référé qui permet à la Cour de vérifier rapidement le caractère non arbitraire des vérifications ordonnées. Un tel contrôle serait équivalent à un mandat judiciaire préalable.
9 Ainsi que la Cour l'a relevé récemment (arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46-87 et 227-88, Rec. 1989, p. 2859), l'article 14 du règlement n° 17 ne saurait recevoir une interprétation aboutissant à des résultats qui seraient incompatibles avec les principes généraux du droit communautaire, et notamment avec les droits fondamentaux.
10 En effet, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect, conformément aux traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi qu'aux instruments internationaux auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré (voir, notamment, arrêt du 14 mai 1974, Nold, 4-73, Rec. p. 491). La Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (ci-après "Convention européenne des Droits de l'Homme"), revêt, à cet effet, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 15 mai 1986, Johnston, 222-84, Rec. p. 1651).
11 Pour interpréter l'article 14 du règlement n° 17, il convient de tenir compte notamment des exigences découlant du respect des droits de la défense, principe dont le caractère fondamental a été souligné à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 9 novembre 1983, Michelin, 322-81, Rec. p. 3461, point 7).
12 Il y a lieu de préciser que, s'il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour a relevé que les droits de la défense doivent être respectés dans les procédures administratives susceptibles d'aboutir à des sanctions, il importe d'éviter que ces droits ne puissent être irrémédiablement compromis dans le cadre de procédures d'enquête préalable, dont, notamment, les vérifications, qui peuvent avoir un caractère déterminant pour l'établissement de preuves du caractère illégal de comportements d'entreprises de nature à engager leur responsabilité.
13 Par conséquent, si certains droits de défense ne concernent que les procédures contradictoires qui font suite à une communication de griefs, d'autres droits, par exemple celui d'avoir une assistance juridique et celui de préserver la confidentialité de la correspondance entre avocat et client (reconnu par la Cour dans l'arrêt du 18 mai 1982, AM & S, 155-79, Rec. p. 1575), doivent être respectés dès le stade de l'enquête préalable.
14 S'agissant des exigences découlant du droit fondamental à l'inviolabilité du domicile et au respect de la vie privée, invoquées par les requérantes, il convient d'observer que, si la reconnaissance d'un tel droit en ce qui concerne le domicile privé des personnes physiques s'impose dans l'ordre juridique communautaire en tant que principe commun aux droits des États membres, il n'en va pas de même en ce qui concerne les entreprises, car les systèmes juridiques des États membres présentent des divergences non négligeables en ce qui concerne la nature et le degré de protection des locaux commerciaux face aux interventions des autorités publiques.
15 On ne saurait tirer une conclusion différente de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, dont le paragraphe 1 prévoit que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ". L'objet de la protection de cet article concerne le domaine d'épanouissement de la liberté personnelle de l'homme et ne saurait donc être étendu aux locaux commerciaux. Par ailleurs, il y a lieu de constater l'absence d'une jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme à cet égard.
16 Il n'en demeure pas moins que, dans tous les systèmes juridiques des États membres, les interventions de la puissance publique dans la sphère d'activité privée de toute personne, qu'elle soit physique ou morale, doivent avoir un fondement légal et être justifiées par les raisons prévues par la loi et que ces systèmes prévoient, en conséquence, bien qu'avec des modalités différentes, une protection face à des interventions qui seraient arbitraires ou disproportionnées. L'exigence d'une telle protection doit donc être reconnue comme un principe général du droit communautaire. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a affirmé sa compétence de contrôle à l'égard du caractère éventuellement excessif des vérifications effectuées par la Commission dans le cadre du traité CECA (arrêt du 14 décembre 1962, San Michele e.a., 5 à 11 et 13 à 15-62, Rec. p.859).
17 C'est donc à la lumière des principes généraux rappelés ci-dessus qu'il convient d'examiner la nature et la portée des pouvoirs de vérification conférés à la Commission en vertu de l'article 14 du règlement n° 17.
18 Le paragraphe 1 de cet article habilite la Commission à procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises et associations d'entreprises et précise que, "à cet effet, les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs ci-après :
a) contrôler les livres et autres documents professionnels;
b) prendre copie ou extrait des livres et documents professionnels;
c) demander sur place des explications orales;
d) accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises".
19 Les paragraphes 2 et 3 du même article prévoient que les vérifications peuvent être effectuées sur production d'un mandat écrit ou sur la base d'une décision obligeant les entreprises à s' y soumettre. Ainsi que la Cour l'a déjà jugé, la Commission a le choix entre ces deux possibilités, selon les particularités de chaque espèce (arrêt du 26 juin 1980, National Panasonic, 136/79, Rec. p. 2033). Tant les mandats écrits que les décisions doivent indiquer l'objet et le but de la vérification. Quelle que soit la procédure suivie, la Commission est tenue d'informer au préalable l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée, autorité qui, en vertu du paragraphe 4 de l'article 14, doit être entendue avant l'adoption d'une décision ordonnant une vérification.
20 Selon le paragraphe 5 du même article, les agents de la Commission peuvent être assistés dans l'exécution de leurs tâches par des agents de l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée. Une telle assistance peut être accordée sur demande soit de cette autorité, soit de la Commission.
21 Enfin, selon le paragraphe 6, l'assistance des autorités nationales est nécessaire pour l'exécution de la vérification lorsqu'une entreprise s'y oppose.
22 Ainsi que la Cour l'a relevé dans l'arrêt précité du 26 juin 1980 (National Panasonic, point 20), il ressort des septième et huitième considérants du règlement n° 17 que les pouvoirs conférés à la Commission par l'article 14 de ce règlement ont pour but de permettre à celle-ci d'accomplir la mission, qui lui est confiée par le traité CEE, de veiller au respect des règles de concurrence dans le marché commun. Ces règles ont pour fonction, ainsi qu'il ressort de l'alinéa 4 du préambule du traité, de l'article 3, sous f), et des articles 85 et 86, d'éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l'intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs. L'exercice des pouvoirs conférés à la Commission par le règlement n° 17 concourt ainsi au maintien du régime concurrentiel voulu par le traité dont le respect s'impose impérativement aux entreprises. Le huitième considérant précité précise que, à ces fins, la Commission doit disposer, dans toute l'étendue du Marché commun, du pouvoir d'exiger les renseignements et de procéder aux vérifications "qui sont nécessaires" pour déceler les infractions aux articles 85 et 86, précités.
23 Tant la finalité du règlement n° 17 que l'énumération, par son article 14, des pouvoirs dont sont investis les agents de la Commission font apparaître que les vérifications peuvent avoir une portée très large. A cet égard, le droit d'accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c'est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises.
24 Ce droit d'accès serait dépourvu d'utilité si les agents de la Commission devaient se limiter à demander la production de documents ou de dossiers qu'ils seraient à même d'identifier au préalable de façon précise. Un tel droit implique, au contraire, la faculté de rechercher des éléments d'information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés. Sans une telle faculté, il serait impossible à la Commission de recueillir les éléments d'information nécessaires à la vérification au cas où elle se heurterait à un refus de collaboration ou encore à une attitude d'obstruction de la part des entreprises concernées.
25 Si l'article 14 du règlement n° 17 confère ainsi à la Commission de larges pouvoirs d'investigation, l'exercice de ces pouvoirs est soumis à des conditions de nature à garantir le respect des droits des entreprises concernées.
26 A cet égard, il convient de relever, d'abord, l'obligation imposée à la Commission d'indiquer l'objet et le but de la vérification. Cette obligation constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l'intervention envisagée à l'intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de défense.
27 Il y a lieu de relever ensuite que les conditions pour l'exercice des pouvoirs de vérification de la Commission varient en fonction de la procédure choisie par la Commission, de l'attitude des entreprises concernées ainsi que de l'intervention des autorités nationales.
28 L'article 14 du règlement n° 17 vise en premier lieu des vérifications effectuées avec la collaboration des entreprises concernées, soit de façon volontaire, dans l'hypothèse du mandat écrit de vérification, soit en vertu d'une obligation découlant d'une décision de vérification. Dans cette dernière hypothèse, qui est celle de l'espèce, les agents de la Commission ont, entre autres, la faculté de se faire présenter les documents qu'ils demandent, d'entrer dans les locaux qu'ils désignent et de se faire montrer le contenu des meubles qu'ils indiquent. En revanche, ils ne peuvent pas forcer l'accès à des locaux ou à des meubles ou contraindre le personnel de l'entreprise à leur fournir un tel accès, ni entreprendre des fouilles sans l'autorisation des responsables de l'entreprise, autorisation qui, le cas échéant, peut être donnée implicitement, notamment en prêtant assistance aux agents de la Commission.
29 La situation est tout autre lorsque la Commission se heurte à l'opposition des entreprises concernées. Dans ce cas, les agents de la Commission peuvent, sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, rechercher, sans la collaboration des entreprises, tous les éléments d'information nécessaires à la vérification avec le concours des autorités nationales, qui sont tenues de leur fournir l'assistance nécessaire à l'accomplissement de leur mission. Si cette assistance n'est exigée que dans le cas où l'entreprise manifeste son opposition, il convient d'ajouter que l'assistance peut également être demandée à titre préventif, en vue de surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise.
30 Il résulte de l'article 14, paragraphe 6, que c'est à chaque État membre qu'il appartient de régler les conditions dans lesquelles l'assistance des autorités nationales aux agents de la Commission est fournie. A cet égard, les États membres sont tenus d'assurer l'efficacité de l'action de la Commission tout en respectant les principes généraux susvisés. Il s'ensuit que, dans ces limites, c'est le droit national qui définit les modalités procédurales appropriées pour garantir le respect des droits des entreprises.
31 Par conséquent, dès lors que la Commission entend mettre en œuvre, avec le concours des autorités nationales, des mesures de vérification non fondées sur la collaboration des entreprises concernées, elle est tenue de respecter les garanties procédurales prévues à cet effet par le droit national.
32 La Commission doit veiller à ce que l'instance compétente en vertu du droit national dispose de tous les éléments nécessaires pour lui permettre d'exercer le contrôle qui lui est propre. Il importe de souligner que cette instance - qu'elle soit judiciaire ou non - ne saurait, à cette occasion, substituer sa propre appréciation du caractère nécessaire des vérifications ordonnées à celle de la Commission, dont les évaluations de fait et de droit ne sont soumises qu'au contrôle de légalité de la Cour de justice. En revanche, il entre dans les pouvoirs de l'instance nationale d'examiner, après avoir constaté l'authenticité de la décision de vérification, si les mesures de contrainte envisagées ne sont pas arbitraires ou excessives par rapport à l'objet de la vérification et de veiller au respect des règles de son droit national dans le déroulement de ces mesures.
33 A la lumière de ce qui précède, il y a lieu de constater que les mesures que les décisions litigieuses autorisaient les agents de la Commission à mettre en œuvre n'excédaient pas les pouvoirs dont ils disposent en vertu de l'article 14 du règlement n° 17. En effet, l'article 1er des décisions en cause se limitait à imposer aux requérantes l'obligation de "permettre aux agents mandatés par la Commission d'accéder à ses locaux aux heures normales d'ouverture des bureaux, de produire aux fins d'inspection et de laisser prendre copie des documents professionnels relatifs à l'objet de l'enquête, requis par lesdits agents, et de fournir immédiatement toutes explications que ceux-ci pourraient demander".
34 Il est vrai que, au cours de la procédure devant la Cour, la Commission a soutenu que ses agents seraient fondés à procéder, dans le cadre de vérifications, à des fouilles sans le concours des autorités nationales et sans respecter les garanties procédurales prévues par le droit national. Le caractère erroné d'une telle interprétation de l'article 14 du règlement n° 17 ne saurait toutefois entraîner l'illégalité des décisions adoptées sur la base de cette disposition.
35 En ce qui concerne l'argument relatif à la façon dont les décisions litigieuses ont été appliquées, il convient de relever que, à supposer que le comportement des agents de la Commission n'ait pas été conforme aux pouvoirs dont ils disposent en vertu de l'article 14 du règlement n° 17 et des décisions attaquées, cette circonstance ne saurait affecter la légalité de ces décisions. En effet, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 8 novembre 1983 (IAZ, 96 à 102, 104, 105, 108 et 110-82, Rec. p. 3369, point 16), des actes postérieurs à l'adoption d'une décision ne peuvent pas affecter la validité de celle-ci. Par conséquent, il n' y a pas lieu d'examiner, dans le cadre du présent recours, les griefs soulevés à l'égard du déroulement des vérifications.
36 Le moyen tiré de la violation du droit fondamental à l'inviolabilité du domicile et au respect de la vie privée doit donc être rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité
37 Les requérantes estiment que les décisions litigieuses violent le principe communautaire de proportionnalité en ce qu'elles enfreignent sans nécessité le droit fondamental, reconnu aux entreprises par l'article 18, paragraphe 2, de la Constitution espagnole, de s'opposer aux vérifications et aux perquisitions, sauf en cas de flagrant délit ou lorsque celles-ci sont opérées en exécution d'un mandat judiciaire préalable. La Commission aurait dû, en vertu du principe communautaire de proportionnalité, interpréter l'article 14 du règlement n° 17 conformément à la disposition nationale précitée pour éviter une perturbation grave de l'ordre constitutionnel espagnol qui est compatible, en l'espèce, avec la structure et les objectifs de la Communauté.
38 A cet égard, il y a lieu d'observer que, tout en invoquant le principe communautaire de proportionnalité, l'argument des requérantes revient en réalité à faire dépendre la validité des décisions litigieuses de l'interprétation du règlement n° 17 en fonction d'une disposition du droit national. Or, il y a lieu de rappeler que, comme la Cour l'a déjà jugé dans l'arrêt du 17 décembre 1970 (Internationale Handelsgesellschaft, 11-70, Rec. p. 1125, point 3), la validité des actes communautaires ne saurait être appréciée qu'en fonction du seul droit communautaire et que, dès lors, l'invocation d'atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu'ils sont formulés par la Constitution d'un État membre, soit aux principes d'une structure constitutionnelle nationale ne saurait affecter la validité d'un acte de la Communauté ou son effet sur le territoire de cet État.
39 Le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité doit donc être rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation du principe de non-discrimination
40 Les requérantes invoquent une violation du principe de non-discrimination du fait que la Commission a procédé aux vérifications litigieuses sans contrôle judiciaire préalable alors qu'elle aurait effectué certaines vérifications auprès d'entreprises établies dans d'autres pays de la Communauté seulement à la suite d'un tel contrôle judiciaire.
41 A cet égard, il suffit de constater que le grief des requérantes est relatif à la façon dont les décisions litigieuses ont été appliquées. Or, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, il n'y a pas lieu d'examiner, dans le cadre des présents recours, les griefs soulevés à l'encontre du déroulement des vérifications.
42 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation du principe de non-discrimination.
Sur le moyen tiré du défaut de motivation
43 Selon les requérantes, les décisions litigieuses ne satisfont pas aux exigences de motivation découlant de l'article 190 du traité et de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, parce qu'elles sont vagues, imprécises et partiellement erronées. Elles relèvent notamment que les décisions attaquées contiennent une définition inexacte du marché en cause, sans distinguer le marché du PVC de celui du polyéthylène, qu'elles omettent toute délimitation géographique de ce marché, qu'elles ne caractérisent pas suffisamment les infractions présumées, qu'elles ne contiennent pas d'indications en ce qui concerne la période pendant laquelle ces infractions auraient été commises, enfin qu'elles méconnaissent les faits non contestés que Dow Ibérica et Alcudia ne produisent ni ne commercialisent le PVC et que EMP, tout en étant, certes, l'actionnaire majoritaire d'Alcudia, ne produit ni ne commercialise elle-même aucune des substances en cause.
44 Il convient de rappeler que, comme la Cour l'a déjà jugé dans l'arrêt précité du 26 juin 1980 (National Panasonic, point 25), l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 définit lui-même les éléments essentiels de motivation de la décision qui ordonne une vérification en prévoyant qu'elle "indique l'objet et le but de celle-ci, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues à l'article 15, paragraphe 1, sous c), et à l'article 16, paragraphe 1, sous d), ainsi que le recours devant la Cour de justice contre la décision".
45 Ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, l'exigence pour la Commission d'indiquer l'objet et le but de la vérification constitue une garantie fondamentale des droits de la défense des entreprises concernées. Il s'ensuit que la portée de l'obligation de motivation des décisions de vérification ne peut pas être restreinte en fonction de considérations tenant à l'efficacité de l'investigation. A cet égard, il convient de préciser que, s'il est vrai que la Commission n'est pas tenue de communiquer au destinataire d'une décision de vérification toutes les informations dont elle dispose à propos d'infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, elle doit, en revanche, indiquer clairement les présomptions qu'elle entend vérifier.
46 A la lumière des considérations qui précèdent, les griefs soulevés par les requérantes à l'égard de la motivation des décisions litigieuses doivent être écartés. En effet, la délimitation précise du marché en cause, la qualification juridique exacte des infractions présumées et l'indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises ne sont pas indispensables dans une décision de vérification à condition que celle-ci contienne les éléments essentiels relevés ci-dessus.
47 A cet égard, il convient de constater que, si la motivation des décisions litigieuses est rédigée en termes très généraux qui auraient mérité d'être précisés et peut donc être critiquée à cet égard, elle contient néanmoins les éléments essentiels exigés par l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17. En effet, les décisions en cause font état, notamment, d'informations indiquant l'existence et l'application d'accords ou de pratiques concertées entre certains producteurs et fournisseurs de PVC et de polyéthylène (y inclus mais non limité à LdPE) dans la CEE, relatifs aux prix, quantités ou objectifs de vente de ces produits. Elles relèvent que ces accords et pratiques pourraient constituer une infraction grave à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Selon l'article 1er des décisions en question, chaque requérante "est tenue de se soumettre à une vérification concernant sa participation éventuelle" à ces accords ou pratiques concertées et, par conséquent, de permettre l'accès des agents de la Commission à ses locaux, de produire ou de laisser prendre copie aux fins d'inspection des documents professionnels "relatifs à l'objet de l'enquête".
48 En ce qui concerne le grief particulier soulevé par EMP à l'encontre de la décision qui la concerne, il suffit d'observer que la participation de cette entreprise en tant que société mère d'Alcudia aux comportements anticoncurrentiels faisant l'objet de la vérification, possibilité mentionnée par la décision attaquée, ne peut pas être exclue au seul motif que EMP ne produit ni ne commercialise elle-même les substances auxquelles ces comportements anticoncurrentiels se rapportent.
49 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de l'inexistence ou de l'indétermination des faits qui sont à la base des décisions
50 Les requérantes estiment que les décisions litigieuses violent le principe de légalité parce qu'elles ne reposent pas sur l'existence de preuves ou d'indices de nature à justifier les vérifications ordonnées.
51 A cet égard, il convient de relever d'abord que, dans la mesure où ce moyen est fondé sur l'argument selon lequel la Commission est tenue de communiquer aux destinataires d'une décision de vérification toutes les informations dont elle dispose à propos d'infractions présumées, cet argument a déjà été rejeté dans le cadre de l'examen du moyen tiré du défaut de motivation.
52 Dans la mesure où le moyen repose sur l'affirmation de l'inexistence de toute circonstance de fait susceptible de justifier les vérifications ordonnées et, par conséquent, sur le caractère arbitraire des décisions litigieuses, il y a lieu d'observer que, en l'absence de tout élément fourni par la requérante à l'appui de cette affirmation, le grief doit être écarté.
53 Le moyen tiré de l'inexistence ou de l'indétermination des faits qui sont à la base des décisions doit donc être rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation du droit fondamental à la présomption d'innocence
54 Les requérantes soutiennent que les décisions litigieuses violent leur droit fondamental à la présomption d'innocence en ce qu'elles font état de "preuves" de leur participation à des accords ou pratiques concertées.
55 A cet égard, il suffit de constater que le texte même de la décision fait apparaître que les accords ou pratiques concertées en cause ne sont pas considérés comme établis, mais comme "suspectés".
56 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation du droit fondamental à la présomption d'innocence sans qu'il soit nécessaire d'examiner si un tel droit doit être reconnu aux entreprises dans l'ordre juridique communautaire.
Sur le moyen tiré de la violation des formes substantielles
57 Selon les requérantes, les décisions litigieuses sont entachées de violation des formes substantielles en ce que, d'une part, elles ne permettent ni de préciser l'identité de l'organe de décision ni de juger si cet organe était ou non investi du pouvoir d'adopter la décision en cause et que, d'autre part, elles ne sont pas signées par l'organe de décision.
58 En ce qui concerne le premier grief, il y a lieu de constater que les décisions attaquées ont été adoptées selon la procédure dite d'habilitation, prévue par la décision de la Commission, du 5 novembre 1980, habilitant son membre chargé des questions de concurrence à prendre, au nom et sous la responsabilité de la Commission, une décision au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, ordonnant aux entreprises de se soumettre à des vérifications. Dans l'arrêt du 23 septembre 1986 (AKZO Chemie/Commission, 5-85, Rec. p. 2585), la Cour a déjà jugé que cette décision d'habilitation ne portait pas atteinte au principe de la collégialité inscrit à l'article 17 du traité de fusion. Il ne pouvait donc pas y avoir de doute sur l'identité et les pouvoirs de l'organe de décision, à savoir la Commission des Communautés européennes.
59 En ce qui concerne le second grief, il y a lieu d'observer qu'aucune disposition ne prévoit que l'exemplaire de la décision notifié à l'entreprise doit être signé par le membre habilité. Par ailleurs, il est constant que les décisions litigieuses étaient dûment authentifiées par la signature du secrétaire général de la Commission.
60 Le moyen tiré de la violation des formes substantielles doit donc être rejeté.
Sur le moyen tiré du fait que les décisions visent des comportements antérieurs à l'adhésion de l'Espagne à la Communauté
61 Les requérantes font valoir que, si des comportements antérieurs à l'adhésion de l'Espagne à la Communauté sont bien soumis au "for territorial communautaire" pour autant qu'ils produisent des effets anticoncurrentiels à l'intérieur du territoire communautaire, ils ne seraient néanmoins pas soumis au "for personnel communautaire", c'est-à-dire qu'ils ne pourraient pas faire l'objet d'une investigation par voie de contrainte du fait que les entreprises qui les avaient commis ne relevaient pas de la compétence de la Commission. Le pouvoir d'investigation de cette institution ne saurait avoir un caractère rétroactif.
62 A cet égard, il convient de constater d'abord que, aucune dérogation n'ayant été prévue en ce qui concerne le règlement n° 17, cet acte est applicable dès l'adhésion dans les nouveaux États membres en vertu de la règle générale consacrée par l'article 2 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise. Par conséquent, les entreprises établies en Espagne pouvaient être soumises à des vérifications à partir du 1er janvier 1986.
63 L'objet des vérifications effectuées par la Commission après cette date auprès des entreprises établies dans les nouveaux États membres ne saurait être limité qu'en fonction du domaine d'application des règles communautaires de concurrence. Aucune règle ne limite à cet égard la compétence d'investigation de la Commission aux seuls comportements qui auraient eu lieu après l'adhésion.
64 Il s'ensuit que le moyen tiré du fait que la décision vise des comportements antérieurs à l'adhésion de l'Espagne à la Communauté doit être rejeté.
65 Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés contre les décisions litigieuses n'a pu être retenu et que les recours doivent être rejetés.
Sur les dépens
66 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner solidairement aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête :
1) Les recours sont rejetés.
2) Les parties requérantes sont condamnées solidairement aux dépens.