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Décisions

CJCE, 17 octobre 1989, n° 85-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dow Benelux NV

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Slynn, Kakouris, Schockweiler, Zuleeg

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Koopmans, Mancini, Joliet, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Díez de Velasco

Avocat :

Me Bos.

CJCE n° 85-87

17 octobre 1989

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 mars 1987, la société Dow Chemical (Nederland) BV (à présent Dow Benelux NV) a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, prise dans les affaires IV/31.865 - PVC et IV/31.866 - polyéthylène, du 15 janvier 1987 [(C(87)19/10)], concernant une vérification au sens de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 13, p. 204).

2 Disposant d'informations lui permettant de présumer l'existence d'accords ou de pratiques concertées concernant la fixation de prix et de quotas de livraison de PVC et de polyéthylène entre certains producteurs et fournisseurs de ces substances dans la Communauté, la Commission a décidé de procéder à une vérification auprès de plusieurs entreprises, dont la requérante, et a adopté à l'égard de celle-ci la décision litigieuse.

3 La vérification a été effectuée les 20 et 21 janvier 1987. Les représentants de la requérante ont prêté leur assistance aux agents de la Commission, mais ils ont émis des objections et exprimé des protestations tant à l'égard du contenu de la décision que de la façon d'agir des agents de la Commission pendant le déroulement de la vérification.

4 Pour un plus ample exposé des antécédents du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

5 A l'appui de son recours, la requérante invoque trois moyens tirés, à titre principal, du défaut de motivation de la décision litigieuse, à titre subsidiaire, de l'absence de preuves raisonnables ou régulières quant au bien-fondé de la vérification et, à titre tout à fait subsidiaire, de l'atteinte au droit fondamental à l'inviolabilité du domicile ainsi que de l'application irrégulière de la décision.

Sur le moyen tiré du défaut de motivation

6 Selon la requérante, la décision litigieuse ne satisfait pas aux exigences de motivation découlant de l'article 190 du traité et de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, notamment parce qu'elle contient une définition inexacte du marché en cause, qu'elle omet toute délimitation géographique de ce marché, qu'elle ne caractérise pas suffisamment les infractions présumées et, enfin, parce qu'elle ne contient pas d'indications en ce qui concerne la période pendant laquelle ces infractions auraient été commises.

7 Il convient de rappeler que, comme la Cour l'a déjà jugé dans l'arrêt du 26 juin 1980 (National Panasonic, 136-79, Rec. p. 2033, point 25), l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 définit lui-même les éléments essentiels de motivation de la décision qui ordonne une vérification en prévoyant qu'elle "indique l'objet et le but de celle-ci, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues à l'article 15, paragraphe 1, sous c), et à l'article 16, paragraphe 1, sous d), ainsi que le recours devant la Cour de justice contre la décision ".

8 Ainsi que la Cour l'a relevé récemment dans l'arrêt du 21 septembre 1989 (Hoechst/Commission, 46-87 et 227-88, Rec. 1989, p. 2859, point 41), l'exigence pour la Commission d'indiquer l'objet et le but de la vérification constitue une garantie fondamentale des droits de la défense des entreprises concernées. Il s' ensuit que la portée de l'obligation de motivation des décisions de vérification ne peut pas être restreinte en fonction de considérations tenant à l'efficacité de l'investigation.

9 Dans le même arrêt, la Cour a précisé que, s'il est vrai que la Commission n'est pas tenue de communiquer au destinataire d'une décision de vérification toutes les informations dont elle dispose à propos d'infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, elle doit, en revanche, indiquer clairement les présomptions qu'elle entend vérifier.

10 A la lumière des considérations qui précèdent, les griefs soulevés par la requérante à l'égard de la motivation de la décision litigieuse doivent être écartés. En effet, la délimitation précise du marché en cause, la qualification juridique exacte des infractions présumées et l'indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises ne sont pas indispensables dans une décision de vérification à condition que celle-ci contienne les éléments essentiels relevés ci-dessus.

11 A cet égard, il convient de constater que, si la motivation de la décision litigieuse est rédigée en termes très généraux qui auraient mérité d'être précisés et peut donc être critiquée à cet égard, elle contient néanmoins les éléments essentiels exigés par l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17. En effet, la décision en cause fait état, notamment, d'informations indiquant l'existence et l'application d'accords ou de pratiques concertées entre certains producteurs et fournisseurs de PVC et de polyéthylène (y inclus mais non limité à LdPE) dans la CEE, relatifs aux prix, quantités ou objectifs de vente de ces produits. Elle relève que ces accords et pratiques pourraient constituer une infraction grave à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Selon l'article 1er de la décision en question, la requérante "est tenue de se soumettre à une vérification concernant sa participation éventuelle" à ces accords ou pratiques concertées et, par conséquent, de permettre l'accès des agents de la Commission à ses locaux, de produire ou de laisser prendre copie aux fins d'inspection des documents professionnels "relatifs à l'objet de l'enquête".

12 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de motivation doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de l'absence de preuve raisonnable ou régulière quant au bien-fondé de la vérification

13 Dans sa requête et sa réplique, la requérante fait valoir que la décision litigieuse viole l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 en ce qu'elle n'indique aucune "preuve raisonnable" de nature à justifier une vérification. Le silence de la Commission à cet égard montrerait soit qu'elle ne disposait pas d'informations ou de preuves, soit que celles-ci n'étaient pas raisonnables, soit encore qu'elles auraient été obtenues de manière irrégulière.

14 Ayant appris par la suite que la Commission avait pris la décision litigieuse sur la base d'informations obtenues au cours de vérifications concernant un cartel présumé en matière de polypropylène effectuées les 13 et 14 octobre 1983 auprès d'autres entreprises, la requérante a fait valoir que la Commission avait violé les articles 14 et 20 du règlement n° 17 en utilisant ces informations dans un but autre que celui pour lequel ces vérifications ont eu lieu.

15 La requérante demande de pouvoir invoquer ces éléments, dont elle a eu connaissance après la fin de la procédure écrite, mais avant l'audience, soit à titre d'incident de procédure sur la base de l'article 91 du règlement de procédure, soit à titre de faits nouveaux sur le fondement de l'article 42, paragraphe 2, de ce règlement.

16 En ce qui concerne le moyen dans sa version originaire, il suffit de constater que l'argument de la requérante, qui revient à soutenir que la Commission serait tenue, en vertu de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, de faire état dans une décision de vérification de toutes les informations dont elle dispose à propos d'infractions présumées, a déjà été rejeté dans le cadre de l'examen du moyen tiré du défaut de motivation.

17 En ce qui concerne le grief tiré de l'utilisation irrégulière des informations obtenues au cours des vérifications effectuées les 13 et 14 octobre 1983, il convient de constater qu'il résulte en effet des articles 20, paragraphe 1, et 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 que les informations recueillies au cours des vérifications ne doivent pas être utilisées dans des buts autres que ceux indiqués dans le mandat de vérification ou la décision de vérification.

18 Cette exigence vise à préserver, outre le secret professionnel, expressément mentionné à l'article 20, précité, les droits de la défense des entreprises que l'article 14, paragraphe 3, a pour objet de garantir, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus. Ces droits seraient, en effet, gravement compromis si la Commission pouvait invoquer à l'égard des entreprises des preuves qui, obtenues au cours d'une vérification, seraient étrangères à l'objet et au but de celle-ci.

19 En revanche, on ne saurait en conclure qu'il serait interdit à la Commission d'ouvrir une procédure d'enquête afin de vérifier l'exactitude ou de compléter des informations dont elle aurait eu incidemment connaissance au cours d'une vérification antérieure au cas où ces informations indiqueraient l'existence de comportements contraires aux règles de concurrence du traité. En effet, une telle interdiction irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver le secret professionnel et les droits de la défense, et constituerait donc une entrave injustifiée à l'accomplissement, par la Commission, de la mission de veiller au respect des règles de concurrence dans le Marché commun et de déceler les infractions aux articles 85 et 86 du traité.

20 En l'espèce, le grief soulevé par la requérante vise précisément le fait que la Commission s'est fondée sur des informations obtenues au cours de vérifications précédentes ayant un autre objet pour ouvrir une nouvelle enquête relative à des infractions aux règles de concurrence du traité. Il résulte de ce qui précède que le grief doit être écarté.

21 Par conséquent, sans qu'il y ait lieu d'examiner la recevabilité de la demande incidente présentée à cet égard par la requérante, le moyen tiré de l'absence de preuves raisonnables ou régulières quant au bien-fondé de la vérification doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de l'atteinte au droit fondamental à l'inviolabilité du domicile ainsi que de l'application irrégulière de la décision litigieuse

22 La requérante estime que la décision litigieuse est illégale pour autant qu'elle autoriserait les agents de la Commission à procéder à des mesures qu'elle qualifie de perquisition, mesures qui ne seraient pas prévues par l'article 14 du règlement n° 17 et qui léseraient des droits fondamentaux reconnus par le droit communautaire. Elle ajoute que, si cette disposition devait être interprétée en ce sens qu'elle confère à la Commission le pouvoir de perquisitionner, elle serait illégale du fait de son incompatibilité avec les droits fondamentaux dont la protection exige qu'une perquisition ne puisse avoir lieu qu'en vertu d'un mandat judiciaire préalable. A titre tout à fait subsidiaire, elle soutient que, dans le cadre de l'application de la décision litigieuse, la Commission a violé l'article 14 du règlement n° 17 dans la mesure où elle aurait dépassé les limites des pouvoirs de vérification et procédé en fait à une perquisition.

23 La Cour a relevé récemment (arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst, précité) que l'article 14 du règlement n° 17 ne saurait recevoir une interprétation aboutissant à des résultats qui seraient incompatibles avec les principes généraux du droit communautaire, et notamment avec les droits fondamentaux.

24 En effet, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect, conformément aux traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi qu'aux instruments internationaux auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré (voir, notamment, arrêt du 14 mai 1974, Nold, 4/73, Rec. p. 491). La Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, du 4 novembre 1950 (ci-après "Convention européenne des Droits de l'Homme"), revêt, à cet effet, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 15 mai 1986, Johnston, 222-84, Rec. p. 1651).

25 Pour interpréter l'article 14 du règlement n° 17, il convient de tenir compte notamment des exigences découlant du respect des droits de la défense, principe dont le caractère fondamental a été souligné à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 9 novembre 1983, Michelin, 322-81, Rec. p. 3461, point 7).

26 Il y a lieu de préciser que, s'il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour a relevé que les droits de la défense doivent être respectés dans les procédures administratives susceptibles d'aboutir à des sanctions, il importe d'éviter que ces droits ne puissent être irrémédiablement compromis dans le cadre de procédures d'enquête préalable, dont notamment les vérifications, qui peuvent avoir un caractère déterminant pour l'établissement de preuves du caractère illégal de comportements d'entreprises de nature à engager leur responsabilité.

27 Par conséquent, si certains droits de défense ne concernent que les procédures contradictoires qui font suite à une communication de griefs, d'autres droits, par exemple celui d'avoir une assistance juridique et celui de préserver la confidentialité de la correspondance entre avocat et client (reconnu par la Cour dans l'arrêt du 18 mai 1982, AM & S, 155-79, Rec. p. 1575), doivent être respectés dès le stade de l'enquête préalable.

28 S'agissant des exigences découlant du droit fondamental à l'inviolabilité du domicile, invoqué par la requérante, il convient d'observer que, si la reconnaissance d'un tel droit en ce qui concerne le domicile privé des personnes physiques s'impose dans l'ordre juridique communautaire en tant que principe commun aux droits des États membres, il n' en va pas de même en ce qui concerne les entreprises, car les systèmes juridiques des États membres présentent des divergences non négligeables en ce qui concerne la nature et le degré de protection des locaux commerciaux face aux interventions des autorités publiques.

29 On ne saurait tirer une conclusion différente de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, dont le paragraphe 1 prévoit que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance". l'objet de la protection de cet article concerne le domaine d'épanouissement de la liberté personnelle de l'homme et ne saurait donc être étendu aux locaux commerciaux. Par ailleurs, il y a lieu de constater l'absence d'une jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme à cet égard.

30 Il n' en demeure pas moins que, dans tous les systèmes juridiques des États membres, les interventions de la puissance publique dans la sphère d'activité privée de toute personne, qu'elle soit physique ou morale, doivent avoir un fondement légal et être justifiées par les raisons prévues par la loi et que ces systèmes prévoient, en conséquence, bien qu'avec des modalités différentes, une protection face à des interventions qui seraient arbitraires ou disproportionnées. L'exigence d'une telle protection doit donc être reconnue comme un principe général du droit communautaire. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a affirmé sa compétence de contrôle à l'égard du caractère éventuellement excessif des vérifications effectuées par la Commission dans le cadre du traité CECA (arrêt du 14 décembre 1962, San Michele e.a., 5 à 11 et 13 à 15-62, Rec. p. 859).

31 C'est donc à la lumière des principes généraux rappelés ci-dessus qu'il convient d'examiner la nature et la portée des pouvoirs de vérification conférés à la Commission en vertu de l'article 14 du règlement n° 17.

32 Le paragraphe 1 de cet article habilite la Commission à procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises et associations d'entreprises et précise que, "à cet effet, les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs ci-après :

a) contrôler les livres et autres documents professionnels;

b) prendre copie ou extrait des livres et documents professionnels;

c) demander sur place des explications orales;

d) accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises ".

33 Les paragraphes 2 et 3 du même article prévoient que les vérifications peuvent être effectuées sur production d'un mandat écrit ou sur la base d'une décision obligeant les entreprises à s' y soumettre. Ainsi que la Cour l'a déjà jugé, la Commission a le choix entre ces deux possibilités, selon les particularités de chaque espèce (arrêt précité du 26 juin 1980, National Panasonic). Tant les mandats écrits que les décisions doivent indiquer l'objet et le but de la vérification. Quelle que soit la procédure suivie, la Commission est tenue d'informer au préalable l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée, autorité qui, en vertu du paragraphe 4 de l'article 14, doit être entendue avant l'adoption d'une décision ordonnant une vérification.

34 Selon le paragraphe 5 du même article, les agents de la Commission peuvent être assistés dans l'exécution de leurs tâches par des agents de l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée. Une telle assistance peut être accordée sur demande soit de cette autorité, soit de la Commission.

35 Enfin, selon le paragraphe 6, l'assistance des autorités nationales est nécessaire pour l'exécution de la vérification lorsqu'une entreprise s'y oppose.

36 Ainsi que la Cour l'a relevé dans l'arrêt précité du 26 juin 1980 (National Panasonic, point 20), il ressort des septième et huitième considérants du règlement n° 17 que les pouvoirs conférés à la Commission par l'article 14 de ce règlement ont pour but de permettre à celle-ci d'accomplir la mission, qui lui est confiée par le traité CEE, de veiller au respect des règles de concurrence dans le Marché commun. Ces règles ont pour fonction, ainsi qu'il ressort de l'alinéa 4 du préambule du traité, de l'article 3, sous f), et des articles 85 et 86, d'éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l'intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs. L'exercice des pouvoirs conférés à la Commission par le règlement n° 17 concourt ainsi au maintien du régime concurrentiel voulu par le traité dont le respect s' impose impérativement aux entreprises. Le huitième considérant, précité, précise que, à ces fins, la Commission doit disposer, dans toute l'étendue du Marché commun, du pouvoir d'exiger les renseignements et de procéder aux vérifications "qui sont nécessaires" pour déceler les infractions aux articles 85 et 86, précités.

37 Tant la finalité du règlement n° 17 que l'énumération, par son article 14, des pouvoirs dont sont investis les agents de la Commission font apparaître que les vérifications peuvent avoir une portée très large. A cet égard, le droit d'accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c' est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises.

38 Ce droit d'accès serait dépourvu d'utilité si les agents de la Commission devaient se limiter à demander la production de documents ou de dossiers qu'ils seraient à même d'identifier au préalable de façon précise. Un tel droit implique, au contraire, la faculté de rechercher des éléments d'information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés. Sans une telle faculté, il serait impossible à la Commission de recueillir les éléments d'information nécessaires à la vérification au cas où elle se heurterait à un refus de collaboration ou encore à une attitude d'obstruction de la part des entreprises concernées.

39 Si l'article 14 du règlement n° 17 confère ainsi à la Commission de larges pouvoirs d'investigation, l'exercice de ces pouvoirs est soumis à des conditions de nature à garantir le respect des droits des entreprises concernées.

40 A cet égard, il convient de relever d'abord l'obligation imposée à la Commission d'indiquer l'objet et le but de la vérification. Cette obligation constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l'intervention envisagée à l'intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de défense.

41 Il y a lieu de relever ensuite que les conditions pour l'exercice des pouvoirs de vérification de la Commission varient en fonction de la procédure choisie par la Commission, de l'attitude des entreprises concernées ainsi que de l'intervention des autorités nationales.

42 L'article 14 du règlement n° 17 vise, en premier lieu, des vérifications effectuées avec la collaboration des entreprises concernées, soit de façon volontaire, dans l'hypothèse du mandat écrit de vérification, soit en vertu d'une obligation découlant d'une décision de vérification. Dans cette dernière hypothèse, qui est celle de l'espèce, les agents de la Commission ont, entre autres, la faculté de se faire présenter les documents qu'ils demandent, d'entrer dans les locaux qu'ils désignent et de se faire montrer le contenu des meubles qu'ils indiquent. En revanche, ils ne peuvent pas forcer l'accès à des locaux ou à des meubles ou contraindre le personnel de l'entreprise à leur fournir un tel accès, ni entreprendre des fouilles sans l'autorisation des responsables de l'entreprise, qui, le cas échéant, peut être donnée implicitement, notamment par l'assistance prêtée aux agents de la Commission.

43 La situation est tout autre lorsque la Commission se heurte à l'opposition des entreprises concernées. Dans ce cas, les agents de la Commission peuvent, sur le fondement de l'article 14, paragraphe 6, rechercher, sans la collaboration des entreprises, tous les éléments d'information nécessaires à la vérification avec le concours des autorités nationales, qui sont tenues de leur fournir l'assistance nécessaire à l'accomplissement de leur mission. Si cette assistance n'est exigée que dans le cas où l'entreprise manifeste son opposition, il convient d'ajouter que l'assistance peut également être demandée à titre préventif, en vue de surmonter l'opposition éventuelle de l'entreprise.

44 Il résulte de l'article 14, paragraphe 6, que c'est à chaque État membre qu'il appartient de régler les conditions dans lesquelles l'assistance des autorités nationales aux agents de la Commission est fournie. A cet égard, les États membres sont tenus d'assurer l'efficacité de l'action de la Commission tout en respectant les principes généraux susvisés. Il s'ensuit que, dans ces limites, c' est le droit national qui définit les modalités procédurales appropriées pour garantir le respect des droits des entreprises.

45 Par conséquent, dès lors que la Commission entend mettre en œuvre, avec le concours des autorités nationales, des mesures de vérification non fondées sur la collaboration des entreprises concernées, elle est tenue de respecter les garanties procédurales prévues à cet effet par le droit national.

46 La Commission doit veiller à ce que l'instance compétente en vertu du droit national dispose de tous les éléments nécessaires pour lui permettre d'exercer le contrôle qui lui est propre. Il importe de souligner que cette instance - qu'elle soit judiciaire ou non - ne saurait, à cette occasion, substituer sa propre appréciation du caractère nécessaire des vérifications ordonnées à celle de la Commission, dont les évaluations de fait et de droit ne sont soumises qu'au contrôle de légalité de la Cour de justice. En revanche, il entre dans les pouvoirs de l'instance nationale d'examiner, après avoir constaté l'authenticité de la décision de vérification, si les mesures de contrainte envisagées ne sont pas arbitraires ou excessives par rapport à l'objet de la vérification et de veiller au respect des règles de son droit national dans le déroulement de ces mesures.

47 A la lumière de ce qui précède, il y a lieu de constater que les mesures que la décision litigieuse autorisait les agents de la Commission à mettre en œuvre n'excédaient pas les pouvoirs dont ils disposent en vertu de l'article 14 du règlement n° 17. En effet, l'article 1er de la décision en cause se limitait à imposer à la requérante l'obligation de "permettre aux agents mandatés par la Commission d'accéder à ses locaux aux heures normales d'ouverture des bureaux, de produire aux fins d'inspection et de laisser prendre copie des documents professionnels relatifs à l'objet de l'enquête, requis par lesdits agents, et de fournir immédiatement toutes explications que ceux-ci pourraient demander".

48 Il est vrai que, au cours de la procédure devant la Cour, la Commission a soutenu que ses agents seraient fondés à procéder, dans le cadre de vérifications, à des fouilles sans le concours des autorités nationales et sans respecter les garanties procédurales prévues par le droit national. Le caractère erroné d'une telle interprétation de l'article 14 du règlement n° 17 ne saurait toutefois entraîner l'illégalité des décisions adoptées sur la base de cette disposition.

49 En ce qui concerne l'argument subsidiaire de la requérante, relatif à la façon dont la décision litigieuse a été appliquée, il convient de relever que, à supposer que le comportement des agents de la Commission n'ait pas été conforme aux pouvoirs dont ils disposent en vertu de l'article 14 du règlement n° 17 et de la décision attaquée, cette circonstance ne saurait affecter la légalité de cette décision. En effet, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 8 novembre 1983 (IAZ, 96 à 102, 104, 105, 108 et 110-82, Rec. p. 3369, point 16), des actes postérieurs à l'adoption d'une décision ne peuvent pas affecter la validité de celle-ci. Par conséquent, il n' y a pas lieu d'examiner, dans le cadre du présent recours, les griefs soulevés à l'égard du déroulement de la vérification.

50 Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'atteinte au droit fondamental à l'inviolabilité du domicile ainsi que de l'application irrégulière de la décision litigieuse doit être rejeté.

51 Aucun des moyens soulevés contre la décision litigieuse n' ayant été retenu, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

52 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La partie requérante est condamnée aux dépens.