CJCE, 5e ch., 11 juillet 1989, n° 246-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SC Belasco, Compagnie générale des Asphaltes (SA), Antwerpse Teer-en Asphalt-Bedrijf, De Boer en Co, Kempisch Asphalt-Bedrijf (nv), Limburgse Asphalt Fabrieken (PVBA), Lummerzheim en Co, Vlaams Asphalt-Bedrijf Huyghe en Co (PVBA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Guido Aerts (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Joliet
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Gordon Slynn, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Zuleeg
Avocats :
Mes De Bluts, Vandersanden, Defalque, Waelbroeck.
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 septembre 1986, la Société coopérative des asphalteurs belges (ci-après Belasco), la Compagnie générale des Asphaltes SA (ci-après Asphaltco), Antwerpse Teer-en Asphalt-Bedrijf NV (ci-après ATAB), De Boer en Co NV (ci-après De Boer), Kempisch Asphalt-Bedrijf NV (ci- après KAB), Limburgse Asphalt Fabrieken PVBA (ci-après LAF) Lummerzheim en Co NV (ci-après Lummerzheim), et Vlaams Asphalt-Bedrijf Huyghe en Co PVBA (ci-après Huyghe), ont introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du Traité CEE, un recours visant, à titre principal, à l'annulation de la décision 86-399 du 10 juillet 1986 (IV/31 371, JO L. 232, p. 15), par laquelle la Commission a constaté que ces entreprises avaient commis plusieurs infractions à l'article 85 du traité, et tendant, à titre subsidiaire, à la suppression ou, à tout le moins, la réduction du montant des amendes qui leur ont été infligées en vertu de cette décision.
2. Belasco est une société coopérative, constituée en 1955, qui regroupe des producteurs belges de revêtements bitumés. Les autres requérantes sont membres de cette société dont la principale activité est de participer à l'élaboration de normes de l'Institut belge de normalisation (ci-après normes IBN).
3. Les membres de Belasco ont conclu entre eux une convention, entrée en vigueur le 1er janvier 1978, qui prévoyait essentiellement l'adoption de tarifs et de conditions de vente applicables pour toute livraison de revêtements bitumés en Belgique, la fixation de quotas de répartition déterminant la part de marché attribuée à chacun des membres, la mise en œuvre de mesures collectives de publicité, l'étude et la promotion de mesures de standardisation et de rationalisation de la production et de la distribution, et une interdiction de faire des cadeaux aux clients et de vendre à perte. Cette convention remplaçait un accord conclu fin 1966 dans des termes analogues.
4. La convention prévoyait, en outre, l'adoption de mesures de protection pour faire face à la concurrence de la part d'entreprises étrangères ou résultant de la création de nouvelles entreprises ou de la découverte de produits de remplacement. Par ailleurs, les membres de Belasco se sont engagés à contribuer à l'achat de toute installation de fabrication des produits en cause, en cas de faillite ou en cas de vente d'une entreprise résultant de l'exercice du droit d'un tiers et à ne pas vendre ou louer des installations de fabrication de tels produits. Le respect des prix, des quotas et des remises fixés était contrôlé par un expert comptable et des sanctions étaient prévues en cas de non-respect de la convention ou des décisions prises par l'assemblée générale. En pareil cas, les entreprises étaient tenues de verser à un fonds commun une somme forfaitaire et, à défaut, cette somme pouvait être prélevée sur le cautionnement que chaque entreprise avait versé en espèces à Belasco.
5. Cette convention a été mise en œuvre par des délibérations de l'assemblée générale de Belasco et complétée par deux accords conclus, en mai et octobre 1978, entre membres et non-membres de Belasco, tendant à une réduction concertée des remises accordées aux clients.
6. Les produits visés par la convention et par les actes ci-dessus mentionnés étaient, d'une part, les produits "Belasco", qui incluent les produits "BENOR" agréés par IBN et des produits analogues ne répondant pas aux prescriptions de cet institut, et, d'autre part, les revêtements bitumés améliorés par l'adjonction de matières plastiques, généralement sur support de polyester, dénommés "produits nouveaux", ainsi que d'autres produits, tels que les mastics et le bitume liquide, utilisés en grande partie en association avec les revêtements bitumés, désignés les "produits annexes ".
7. La Commission a estimé que la convention et les accords susmentionnés ainsi que les mesures prises pour leur exécution constituaient des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité et, en conséquence, a infligé des amendes à Belasco et ses membres.
8. A l'appui de leur recours, les requérantes invoquent des moyens relatifs en substance à la non-réalisation des conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, à la violation du règlement n° 17-62 du Conseil du 6 février 1962 (JO n° 13, p. 204), à la violation du principe d'égalité de traitement, à la violation des formes substantielles en ce que la décision serait entachée d'une motivation erronée, contradictoire et insuffisante, et au caractère injustifié du montant des amendes.
9. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
I. Sur la violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité
A. Sur l'altération du jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun
1. En ce qui concerne l'adoption d'un tarif commun pour les produits Belasco et de prix communs pour les produits annexes et les produits nouveaux
10. Les requérantes soutiennent que l'adoption d'un tarif commun pour les produits Belasco avait pour objet non pas de fausser la concurrence mais uniquement de présenter, ainsi que le recommandait l'administration elle-même, des demandes collectives d'augmentation des prix afin d'obtenir les autorisations nécessaires plus rapidement qu'en cas de demandes individuelles. Elles font valoir qu'en tout état de cause l'adoption du tarif commun n'avait pas pour effet de fausser la concurrence dans la mesure où, d'une part, les prix pratiqués sur le marché variaient en réalité d'une entreprise à une autre et où, d'autre part, les tarifs en question étaient communiqués aux entreprises non-membres de Belasco qui avaient ainsi la possibilité de réaménager leurs prix de façon à améliorer leur position sur le marché par rapport à celle des membres de Belasco.
11. En ce qui concerne la fixation en commun de prix pour les produits annexes, les requérantes déclarent que la Commission aurait elle-même reconnu dans sa décision que ces prix n'avaient pas été respectés en pratique. Elles soulignent qu'il n'y aurait jamais eu de tarif commun pour les produits annexes même si l'assemblée générale a pris position à cet égard à dix reprises. En ce qui concerne les produits nouveaux, elles font valoir que la Commission aurait également admis dans sa décision que l'application de prix communs n'était pas établie.
12. Eu égard aux pièces du dossier, il y a lieu de constater tout d'abord que les requérantes ne se sont pas bornées à présenter des demandes collectives d'augmentation des prix mais se sont concertées également sur la répartition des hausses autorisées entre les différents produits et sur le moment le plus opportun de leur mise en application. Le tarif commun a, pour sa part, été complété par des mesures relatives aux taux des remises à pratiquer sur le marché. Dans ces conditions, il convient d'admettre que l'adoption du tarif commun avait pour objet de restreindre la concurrence en matière de prix.
13. Il y a lieu de constater, ensuite, que la communication à des entreprises non-membres de Belasco des projets de demandes de hausses de prix adressées aux autorités administratives ainsi que des projets de tarifs mettant en œuvre les augmentations accordées avait pour objet d'inciter ces entreprises à aligner leurs prix sur ceux des membres de manière à renforcer les effets de l'entente au-delà du cercle des membres. Il est constant, en effet, que la communication des projets en question entrait dans le cadre d'une concertation menée avec les entreprises non-membres de Belasco dans le but de les associer aux pratiques de prix, remises de prix et autres mesures définies par les membres de Belasco et de les amener à adopter un même comportement sur le marché.
14. Il y a lieu de relever, en outre, en ce qui concerne l'adoption de prix communs pour les produits nouveaux, que ces prix ont été fixés à plusieurs reprises par l'assemblée générale, même si, ainsi que la Commission l'a reconnu (point 107 de la décision litigieuse), le régime appliqué à ces produits était moins rigoureux que celui mis en place pour les autres produits.
15. Enfin, en ce qui concerne l'adoption de prix communs pour les produits annexes, il convient de souligner que, s'il est vrai que les prix fixés n'ont pas été respectés en pratique, les décisions de l'assemblée générale qui les ont fixées avaient pour objet de restreindre la concurrence.
16. Par conséquent, les arguments tirés de l'objet du tarif commun adopté ainsi que de la non-application des prix communs aux produits annexes et aux produits nouveaux ne sauraient être accueillis.
2.Interdiction de faire des cadeaux et de vendre à perte
17. Selon les requérantes, l'interdiction de faire des cadeaux et de vendre à perte ne serait que la transposition des règles du droit belge concernant la concurrence déloyale.
18. Cet argument ne peut être accueilli. Il convient, en effet, de relever que la loi belge, du 14 juillet 1971, sur les pratiques de commerce (moniteur belge du 30 juillet 1971, p. 9087) invoquée par les requérantes, ne vise que la vente aux consommateurs finaux et est donc inapplicable aux relations entre opérateurs économiques telles que celles en cause. En l'espèce, l'interdiction de faire des cadeaux et de vendre à perte ne pouvait donc avoir pour objet que d'éviter que la discipline convenue en matière de prix soit contournée par ces pratiques et qu'ainsi les entreprises concernées se fassent concurrence.
3. Mise en œuvre de quotas
19. Les requérantes soutiennent que s'il est exact que la convention fixait des quotas de répartition soumis à un contrôle et assortis d'un système de pénalités à titre de dédommagement, ce système n'aurait jamais été mis en application.
20. A cet égard, il suffit de constater que le contrôle du respect des quotas était effectivement exercé, ainsi que le démontre le fait que ceux qui avaient dépassé les quotas ont accepté de payer à titre de pénalité des sommes parfois importantes à ceux qui n'avaient pas réalisé les leurs. Dès lors, l'argument invoqué est contredit par les faits.
4. Les remises
21. Selon les requérantes, le niveau des remises n'aurait jamais fait l'objet d'un accord. Au contraire, chaque membre de Belasco pratiquait ses propres remises qui dépendaient de l'importance du client et du volume de la commande, comme le démontrerait l'analyse des factures fournies à la Commission à titre d'exemples.
22. A cet égard, il y a lieu de relever tout d'abord que, comme la Commission l'a établi, l'accord intervenu le 30 octobre 1978 prévoyait une discipline en matière de remises qui a été effectivement appliquée jusqu'en juillet-août 1980. Il est vrai que cette discipline n'a pas toujours été respectée mais, lorsqu'elle était violée, des plaintes étaient présentées devant l'assemblée générale par les membres qui se considéraient comme lésés.
23. Il convient de constater ensuite que l'argument selon lequel l'analyse des factures fournies à la Commission démontrerait le non-respect généralisé de la discipline des remises, ne peut être accueilli. En effet, ainsi que la Commission l'a fait valoir à juste titre, ces factures prouvent uniquement que, pendant l'application de l'accord de 1978, seuls trois clients des membres de Belasco ont obtenu des remises.
5.Le principe de la cristallisation de la clientèle
24. Les requérantes soutiennent que le principe selon lequel chacun doit travailler exclusivement avec sa clientèle, principe dit de la cristallisation de la clientèle, n'a jamais été respecté. La liste des clients gagnés et perdus pendant la période de référence démontrerait à l'évidence cette affirmation.
25. Il y a lieu de constater à cet égard que plusieurs membres ont demandé, lors des assemblées générales, que des offres plus favorables ne soient pas présentées à certains clients. En outre, certains membres se sont plaints de la perte de clients au profit d'autres membres. Ces plaintes ont été analysées par l'assemblée générale et, parfois ont donné lieu à une enquête destinée à vérifier leur bien-fondé. En outre, en janvier 1978, lors d'une campagne de prix menée par International Roofing Company SA, une entreprise non membre de Belasco, l'assemblée générale a incité les membres à conserver leur propre clientèle. Enfin, le principe de la cristallisation de la clientèle a été réaffirmé par le président de l'assemblée générale en 1981.
26. Il résulte de ces constatations que le principe de la cristallisation de la clientèle a été appliqué par les requérantes même si, comme la Commission l'a reconnu (point 74 VI de la décision), il l'était de manière limitée. L'argument invoqué à cet égard doit, par conséquent, être rejeté.
6.Actions concertées contre des entreprises concurrentes
27. Les requérantes soutiennent que l'action concertée visant à empêcher le rachat des usines Pol Madou (ci- après UPM), un ancien membre de Belasco, par des concurrents, et en particulier par une firme étrangère, n'a pas eu lieu. La faillite des usines Pol Madou aurait été la conséquence d'une gestion inconsidérée et non pas d'une action concertée des membres de Belasco.
28. A cet égard, il convient de relever que, ainsi que la Commission l'a démontré, les requérantes ont tenté d'entraver les possibilités de reprise d'UPM, alors en faillite, par une ou plusieurs entreprises étrangères dans la mesure où celles-ci n'étaient pas membres de l'entente. Il convient d'admettre que cette action concertée, qui s'inscrit dans le cadre d'actions menées contre d'autres producteurs et importateurs, visait à restreindre la concurrence ou à renforcer la position des requérantes sur le marché. Les arguments présentés à cet égard par les requérantes ne sont, dès lors, pas fondés et doivent être rejetés. Il y a lieu de relever en outre que, ainsi que les requérantes l'ont admis au cours de l'audience, l'action concertée contre IKO, un producteur non-membre de Belasco, tendant à l'inciter à renoncer à une politique de bas prix, avait eu des résultats positifs.
7.Adoption de mesures de standardisation et de rationalisation
29. Les requérantes font valoir que la pratique d'un programme commun pour les produits Belasco, les décisions relatives à la coordination des caractéristiques des produits nouveaux, l'utilisation de la dénomination Belasco et les mesures de publicité collective en faveur de cette dénomination n'étaient pas de nature à altérer le jeu de la concurrence, mais constituaient des mesures destinées à améliorer la qualité des produits, à rationaliser la fabrication et la distribution et à standardiser la gamme des produits offerts aux architectes.
30. A cet égard, il convient de relever que ces mesures s'inséraient dans le cadre de la convention de 1978 dont elles contribuaient à accentuer l'objet restrictif. En effet, les mesures de standardisation étaient destinées à empêcher les membres de différencier leurs produits et à éviter qu'ils ne se fassent concurrence. Par ailleurs, les mesures de publicité en commun, comme l'utilisation de la marque Belasco, restreignaient la concurrence dans la mesure où elles uniformisaient l'image de produits relevant d'un secteur où la publicité individuelle peut constituer un moyen de différenciation et donc de concurrence. Les arguments présentés, à cet égard, doivent dès lors être rejetés.
31. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré de la non-altération du jeu de la concurrence doit être rejeté comme non fondé.
B. Sur l'affectation du commerce entre États membres
32. Les requérantes font valoir que l'entente attaquée ne lie que des entreprises belges, ne porte que sur des produits fabriqués par ces entreprises et ne s'applique qu'au marché belge. Elles ajoutent que la réalisation d'actions collectives contre des producteurs étrangers n'a pas été démontrée et que la Commission a admis n'avoir trouvé aucune indication quant aux suites données aux actions proposées ou décidées. Elles en concluent que l'entente condamnée n'a pas affecté le commerce entre États membres.
33. Il convient d'abord de rappeler que selon une jurisprudence constante, le fait qu'une entente n'ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté.
34. Il convient de souligner ensuite que, dès lors qu'il s'agit d'un marché perméable aux importations, les membres d'une entente de prix nationale ne peuvent conserver leur part de marché que s'ils se protègent contre la concurrence étrangère.
35. Il y a lieu de relever à cet égard qu'en l'espèce la convention prévoyait des mesures de protection et de défense, notamment dans le cas d'un renforcement de la concurrence de la part d'entreprises étrangères. Les membres se sont engagés en outre, en vue d'empêcher les entreprises tierces, et notamment étrangères, d'améliorer leur capacité concurrentielle, à ne pas transférer un outil de production à un tiers, à ne pas fabriquer pour le compte d'un tiers et à reprendre l'outil de production de l'un d'entre eux au cas où celui-ci tomberait en faillite.
36. C'est ainsi qu'en février 1984 l'assemblée générale a décidé que des remises supplémentaires concertées seraient accordées par ses membres à la clientèle d'un importateur de revêtements bitumés (Canam Sales) et qu'en juillet 1980 les membres ont insisté auprès des autorités régionales compétentes pour que l'entreprise UPM, ancien membre de l'entente qui était tombé en faillite, ne soit achetée par une entreprise étrangère. A la même occasion, ils ont manifesté eux-mêmes leur intérêt au rachat de l'entreprise en cause.
37. L'importance de la part du marché détenue par les membres de Belasco permettait non seulement d'appliquer les mesures prévues, mais également de les rendre efficaces. En effet, les requérantes disposaient de 57 à 60% du marché des revêtements bitumés, le reste étant partagé entre leurs concurrents (environ 20 %) et les importateurs. La Commission a, à juste titre, exclu de ce marché les produits de synthèse dont le prix est beaucoup plus élevé que celui des revêtements bitumés et dont le placement exige un personnel hautement qualifié. De tels produits sont destinés à des usages spécifiques et ne sont donc pas substituables aux produits qui font l'objet des accords et pratiques en cause.
38. Dans ces conditions, et bien que l'entente incriminée n'ait eu pour objet que la commercialisation de produits dans un seul État membre, il y a lieu de constater qu'elle était susceptible d'exercer une influence sur les échanges intracommunautaires.
II. Sur la violation de l'article 15 du règlement n° 17
39. Les requérantes soutiennent que la décision attaquée aurait violé l'article 15 du règlement n° 17. A l'appui de cette affirmation, elles invoquent des arguments concernant le caractère non-intentionnel des infractions commises et leurs effets sur le marché.
1. Caractère non-intentionnel des infractions
40. Les requérantes soutiennent, ainsi que la Commission l'aurait elle-même reconnu, qu'elles n'auraient pas eu conscience de ce que leur accord était interdit en vertu de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Ce serait en toute bonne foi qu'elles auraient reconduit l'accord de 1966. La simple négligence ne pourrait pas justifier les amendes infligées aux requérantes, dès lors qu'aucune sanction n'a été appliquée aux entreprises non-membres de Belasco, dont la négligence a pourtant été reconnue par la Commission.
41. A cet égard, il y a lieu de relever que, conformément à la jurisprudence de la Cour (entre autres arrêt du 1er février 1978, Miller, 19-77, Rec. p. 131), pour qu'une infraction puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre l'interdiction de l'article 85; il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet de restreindre la concurrence.
42. Tel est le cas en l'espèce, étant donné la nature des clauses de la convention et des accords incriminés ainsi que les mesures prises en vue d'en assurer l'exécution.
2.Effets des infractions commises sur le marché
43. Les requérantes soutiennent que la Commission n'aurait pas précisé de quelle façon elle a tenu compte des effets des infractions sur le marché dans la détermination du montant des amendes. Ces effets étant contestés dans les mémoires produits en réponse à la communication des griefs, il s'ensuivrait qu'une telle précision était nécessaire. Son absence constituerait une violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
44. Il suffit de constater à cet égard que, aux points 76 à 82 de la décision litigieuse, la Commission a bien précisé les restrictions de la concurrence engendrées par chacune des pratiques concertées et leur répercussion sur le marché.
45. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la violation de l'article 15 du règlement n° 17 n'est pas fondé et doit, dès lors, être rejeté.
III. Sur la violation du principe d'égalité de traitement
46. Les requérantes font valoir qu'en leur infligeant un traitement différent de celui des non-membres la Commission aurait violé le principe d'égalité.
47. A cet égard, il suffit de constater que les situations respectives des membres et des non-membres de Belasco n'étaient pas comparables. Les non-membres n'ont pas adhéré à la convention incriminée et les seules infractions constatées à leur égard ne concernaient que les accords sur les remises, conclus en octobre 1978, qui d'ailleurs ne portaient pas sur les produits nouveaux.
48. Il s'ensuit que le moyen tiré de la violation du principe d'égalité de traitement doit être rejeté.
IV. Sur la motivation erronée, contradictoire et insuffisante
1. Caractère erroné et contradictoire de la motivation
49. Les requérantes soutiennent que la Commission se serait contredite en leur faisant grief d'avoir entrepris de définir en commun les principales caractéristiques de leurs produits, alors que, par ailleurs, la décision précisait que ce grief ne portait pas sur la participation des membres de Belasco à l'établissement de normes IBN qui suppose la mise sur le marché de produits standardisés pendant 10 ans. A cet égard, il convient de constater que, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, les mesures visant l'uniformisation des produits s'inséraient dans le cadre de la convention de 1978 et contribuaient à renforcer l'objet restrictif de celle-ci. Leur but n'était donc pas de permettre l'établissement de normes IBN.
50. La Commission se serait contredite aussi en affirmant que les effets d'une entente doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit d'apprécier des infractions alors que, à aucun moment, elle n'a pris en considération les effets de l'entente sur le marché en cause. A cet égard, il y a lieu de constater que, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, la Commission a bien analysé les effets de l'entente sur le marché.
51. La décision attaquée comporterait une autre contradiction dans la mesure où il y est dit, d'une part, que les livraisons des participants à l'entente ont représenté 57 à 60 % de la consommation des produits en cause (point 88) et, d'autre part, que ces livraisons en représentent 70 % au moins (point 91). Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, ainsi que la Commission l'a fait valoir, le pourcentage mentionné au point 88 concerne les livraisons des seuls membres, tandis que celui qui est indiqué au point 91 concerne la part de marché détenue par les membres et non-membres.
52. La décision serait également entachée de contradiction en ce qu'il est relevé, au point 88, que les actions collectives contre les concurrents n'étaient nullement théoriques, alors que, d'après le point 61, la Commission n'a trouvé aucune indication quant à la suite donnée aux deux actions proposées par un des membres de Belasco. Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, les requérantes ont reconnu à l'audience que l'action menée contre IKO avait produit des effets, et même s'il n'a pas été possible à la Commission de préciser les effets qu'avaient eus les autres actions concertées, la nature de celles-ci et les moyens dont disposaient les membres de l'entente grâce à leur part de marché permettent de considérer qu'il ne s'agissait pas d'actions purement théoriques.
53. Enfin, les requérantes soutiennent que la Commission se serait contredite lorsqu'elle a fait grief aux requérantes d'avoir conclu une entente portant également sur les revêtements nouveaux, alors qu'elle excluait Derbit, un producteur de revêtements bitumés non-membre de Belasco, des destinataires de la décision au motif que cette entreprise ne fabriquait que des produits nouveaux, admettant par là même que l'entente ne portait pas sur ces produits. Cet argument ne saurait pas davantage être accueilli. En effet, Derbit n'a pas été exclue des destinataires de la décision parce qu'elle ne produisait que des produits nouveaux, mais parce qu'elle ne figurait pas au nombre des entreprises tierces qui avaient conclu des accords avec les membres de Belasco.
2. Insuffisance de motivation
54. Les requérantes soutiennent que la Commission n'aurait pas suffisamment motivé les griefs concernant les quotas et les remises, n'aurait pas examiné les rapports établis par un réviseur de l'entreprise, dont il résulterait qu'aucun des engagements souscrits par les signataires de la convention n'a été respecté, et n'aurait pas répondu aux arguments par elles développés quant aux effets de l'entente sur le marché.
55. A cet égard, il y a lieu d'observer, d'abord, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, que la Commission a bien analysé les effets de l'entente sur le marché et sa mise en application par les membres de Belasco en ce qui concerne le respect des quotas et des remises. Ensuite, eu égard au grief dirigé contre l'omission de répondre aux arguments des requérantes, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour (entre autres arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco Company, 142 et 156-84, non encore publié au Recueil), si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations juridiques qui l'ont amenée à prendre celle-ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative.
56. A la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la Commission a indiqué les éléments de fait et les considérations juridiques sur la base desquels elle a constaté la violation des règles de concurrence et a infligé des amendes aux requérantes. La décision litigieuse ne peut donc pas être considérée comme insuffisamment motivée.
57. Le moyen tiré du caractère erroné, contradictoire et insuffisant de la motivation doit, dès lors, être rejeté.
V. Sur le montant des amendes
58. Il y a lieu de relever d'abord que certains des arguments avancés par les requérantes en vue d'obtenir une réduction des amendes sont identiques à ceux qu'elles avaient fait valoir pour conclure que la décision attaquée violait l'article 15 du règlement n° 17 et que, dans cette mesure, ils ont déjà été rejetés ci-dessus.
59. Les requérantes ont encore fait valoir que les produits nouveaux ne relevaient pas du champ d'application de la convention et que les membres de Belasco ont appliqué à leur égard des politiques commerciales autonomes.
60. Il convient de relever d'abord que, selon les termes mêmes de la convention, celle-ci s'appliquait aux "feutres de tous genres (...) imprégnés de bitume, tant ceux que l'on connaît actuellement dans le commerce sous le nom de 'feutres bitumés'... que les matériaux du même genre qui seraient fabriqués à l'avenir pour satisfaire aux mêmes besoins" (point 1 b) du chapitre "Objet de la Convention "), et donc aux produits nouveaux.
61. Ainsi qu'il ressort du dossier, certaines mesures d'exécution de la convention visaient les produits nouveaux. Ceux-ci ont été inclus dans le calcul des quotas, ont fait l'objet d'accords sur les prix et ont été soumis aux limites fixées pour les remises. En outre, des mesures d'uniformisation ont été décidées à leur égard.
62. Il y a donc lieu d'admettre que la convention visait les produits nouveaux même si, selon les points 4 c) et 74 xi) de la décision litigieuse, elle a été appliquée à ces produits de façon progressive.
63. Les requérantes soutiennent par ailleurs que l'entente n'aurait duré que du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1983 et soulignent que si des contacts entre les membres après cette date avaient eu lieu, ils auraient eu des effets encore plus négligeables que ceux qu'ils ont eus au cours de la période pendant laquelle la convention était en vigueur.
64. Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, il y a lieu de relever que, selon les termes de la convention, celle-ci était automatiquement reconduite pour une durée de cinq ans en cas de non-résiliation au 31 décembre 1983. Or, non seulement les requérantes n'ont pas résilié la convention, mais encore elles ont pris des mesures d'exécution de celle-ci jusqu'au 9 avril 1984 (fixation de quotas valables à partir du 1er janvier 1984, organisation des visites de l'expert comptable auprès des membres) et ont discuté des modifications à y apporter après cette date.
65. Le montant des amendes infligées est le suivant : 420 000 Ecus pour ATAB; 150 000 Ecus pour Asphaltco; 20 000 Ecus pour Lummerzheim; 30 000 Ecus pour LAF; 75 000 Ecus pour KAB; 75 000 Ecus pour de Boer; 50 000 Ecus pour Huyghe et 15 000 pour Belasco. Ces amendes se situent entre 0,75 et 2,5 % du chiffre d'affaires global réalisé en 1983 par les entreprises concernées, c'est-à-dire à un niveau sensiblement inférieur à la limite de 10% établie par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
66. Il convient de constater que, dans la fixation du montant de ces amendes, la Commission a tenu compte, d'une part, du chiffre d'affaires global de chacune des entreprises visées ainsi que de son chiffre d'affaires réalisé au titre de la fourniture de revêtements bitumés en Belgique et, dans le cas de Belasco, de ses dépenses annuelles. D'autre part, la Commission a considéré que, parmi les éléments de l'entente, les restrictions touchant les prix et la répartition du marché ainsi que les mesures collectives entre les concurrents sont parmi les atteintes les plus graves à la libre concurrence.
67. La Commission a aussi pris en considération le régime moins rigoureux appliqué par les membres de Belasco aux produits nouveaux, ainsi que la durée de l'entente et le fait que le principe de la cristallisation de la clientèle n'avait en fait été respecté que de manière limitée.
68. L'examen des arguments des parties et du raisonnement de la Commission n'a pas fait apparaître des raisons justifiant une réduction des amendes. Dès lors, le moyen présenté à cette fin doit être rejeté.
69. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
70. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner solidairement aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Les requérantes sont condamnées solidairement aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.