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Décisions

CJCE, 3e ch., 18 décembre 1986, n° 10-86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

VAG France (SA)

Défendeur :

Établissements Magne (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Galmot

Avocat général :

M. Mischo.

Juges :

MM. Everling, Moitinho de Almeida

CJCE n° 10-86

18 décembre 1986

LA COUR,

1. Par jugement du 18 décembre 1985, parvenu à la Cour le 16 janvier 1986, le Tribunal de Grande Instance de Paris a posé, en vertu de l'article 177 du Traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation du règlement n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du Traité CEE, à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985 L. 15, p. 16).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant la société VAG France SA, distributeur des véhicules et produits des marques Volkswagen AG et Audi en France, aux Établissements Magne SA, concessionnaire exclusif chargé de la vente au public et du service après-vente des produits VW et Audi, pour différents cantons de la circonscription d'Angoulême. Le litige porte sur la rupture des relations commerciales entre les parties au principal, intervenue à la suite d'un différend sur les conséquences qui résultent pour leur contrat de l'entrée en vigueur du règlement n° 123-85, précité.

3. Le règlement n° 123-85 subordonne, dans son article 5, paragraphe 2, une exemption de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE pour certaines catégories d'accords de distribution dans le secteur des véhicules automobiles à la condition qu'il s'agisse soit d'un accord d'une durée déterminée d'au moins quatre ans, soit d'un accord conclu pour une durée indéterminée avec un délai de résiliation d'au moins un an.

4. Il ressort du dossier que les relations commerciales entre les parties au principal étaient régies par des contrats type conclus chaque année pour la durée d'un an, dont le dernier avait été signé le 18 décembre 1984 pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1985. Après l'adoption du règlement n° 123-85, VAG France SA a proposé aux Établissements Magne SA la conclusion d'un nouveau contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 1986, tout en faisant dépendre cette conclusion de la réalisation de certains objectifs de vente pour l'année en cours ; les Établissements Magne SA ont rejeté cette proposition et ont exigé la signature d'un nouveau contrat à durée déterminée, et cela pour quatre ans, en faisant valoir que le contrat en cours à mettre en conformité avec le règlement n° 123-85 était lui-même à durée déterminée.

5. Le Tribunal de grande instance de Paris a considéré que le litige entre les parties portait essentiellement sur le point de savoir si l'entrée en vigueur du règlement n° 123-85 les obligeait à modifier le contrat en cours pour le mettre en conformité notamment avec l'article 5, paragraphe 2, du règlement quant à la durée de sorte que celle-ci soit portée à quatre ans, comme le soutiennent les Établissements Magne SA, ou si, comme le prétend VAG France SA, elle avait, seulement pour effet de frapper de nullité les clauses d'exclusivité et de non-concurrence et, éventuellement, l'ensemble du contrat, et ce jusqu'à son expiration ou jusqu'à ce que les parties aient conclu un nouvel accord conforme aux règles communautaires. Pour être mis en mesure de statuer sur ce litige, le Tribunal de Grande Instance a estimé nécessaire d'interroger la Cour

" Sur les conditions d'application du règlement n° 123-85 au contrat conclu le 18 décembre 1984 pour une durée d'un an prenant effet le 1er janvier 1985 pour expirer le 31 décembre 1985, sans tacite reconduction, entre la société VAG France SA et les Établissements Magne SA, compte tenu des interprétations respectives des parties. "

6. Pour un plus ample exposé des faits de la cause, de la réglementation communautaire en question et des observations présentées à la Cour par les parties au principal et par la Commission il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris dans le présent arrêt que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

7. Il y a lieu d'abord de rappeler que la Cour n'a pas compétence, dans le cadre de l'article 177 du Traité CEE, pour se prononcer sur l'application des dispositions du droit communautaire à des espèces concrètes. Toutefois, elle peut dégager du libellé de la question formulée par le juge national, eu égard aux données fournies par celui-ci, les éléments relevant du droit communautaire qui permettront au juge national de résoudre le problème juridique dont il est saisi.

8. Ainsi comprise, la question posée par le Tribunal de Grande Instance de Paris vise à savoir si le règlement n° 123-85 est à interpréter en ce sens que son article 5, paragraphe 2, établit des prescriptions contraignantes qui affectent directement la validité ou le contenu du contrat dans son ensemble ou de certaines de ses clauses ou qui obligent les parties contractantes à adapter le contenu de leur contrat pour le mettre en conformité avec ces dispositions.

9. La réponse à cette question doit être cherchée dans une lecture du règlement n° 123-85 à la lumière de l'article 85 du Traité CEE et du règlement n° 19-65 du Conseil, du 2 mars 1965, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du Traité à des catégories d'accords et de pratiques concertées (JO, p. 533) sur la base duquel le règlement n° 123-85 a été arrêté.

10. En vertu de l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE, certains accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États Membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun sont incompatibles avec le marché commun et interdits. Selon le paragraphe 2 de cet article, de tels accords sont nuls de plein droit, sauf si les dispositions du paragraphe 1 ont été déclarées inapplicables par la Commission conformément au paragraphe 3 du même article.

11. La décision d'inapplicabilité du paragraphe 1 de l'article 85 que prévoit le paragraphe 3 de cet article peut être prise par la Commission soit sous la forme d'une décision individuelle pour un accord spécifique en application du règlement du Conseil n° 17, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du Traité (JO p. 204), soit par la voie d'un règlement d'exemption pour certaines catégories d'accords en vertu de l'article 1er du règlement n° 19-65. Par un tel règlement, la Commission établit des conditions sous lesquelles l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, est inapplicable à un accord bien que celui-ci remplisse, en soi, les conditions de cette interdiction.

12. Il résulte de ce qui précède que le règlement n° 123-85, en tant que règlement d'application de l'article 85, paragraphe 3, du Traité, se limite à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non-concurrence, dans leurs accords de distribution et de service de vente et d'après-vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1. Les dispositions du règlement n° 123-85 n'imposent toutefois pas aux opérateurs économiques de faire usage de ces possibilités. Elles n'ont pas non plus pour effet de modifier le contenu d'un tel accord ou de le rendre nul lorsque toutes les conditions du règlement ne sont pas remplies.

13. Lorsqu'un accord ne remplit pas toutes les conditions posées par ce règlement, les parties contractantes peuvent soit demander à la Commission une décision individuelle d'inapplicabilité de l'article 85, paragraphe 1, soit faire valoir que les conditions d'un autre règlement d'exemption pour d'autres catégories d'accords sont remplies, soit encore établir que l'accord en question n'est pas pour d'autres motifs incompatible avec l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1.

14. Il convient d'ajouter que, selon la jurisprudence de la Cour (arrêts du 30 juin 1966, la Technique minière, 56-65, Rec. p. 337, et du 14 décembre 1983, Société de vente de ciments et bétons de l'Est, 319-82, Rec. p. 4173) les conséquences de la nullité de plein droit des clauses contractuelles incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, pour tous les autres éléments de l'accord ou pour d'autres obligations qui en découlent, ne relèvent pas du droit communautaire.

15. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier, en vertu du droit national applicable, la portée et les conséquences, pour l'ensemble des relations contractuelles, d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles en vertu de l'article 85, paragraphe 2. C'est en vertu du droit national qu'il y a, notamment, lieu d'apprécier si une telle incompatibilité peut avoir pour conséquence d'obliger les parties contractantes à adapter le contenu de leur contrat afin de le faire échapper à la nullité, et le cas échéant de choisir à cet effet l'une ou l'autre des possibilités prévues par l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 123-85, en ce qui concerne la durée du contrat.

16. Il y a dès lors lieu de répondre à la question posée par le Tribunal de Grande Instance de Paris que le règlement n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985 L. 15, p. 16) n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à établir des conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévues par l'article 85, paragraphes 1 et 2, du Traité CEE ; et qu'il appartient à la juridiction nationale d'apprécier, en vertu du droit national applicable, les conséquences d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles.

Sur les dépens

17. Les frais exposés par la Commission des Communautés Européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre), Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de Grande Instance de Paris, par jugement du 18 décembre 1985, dit pour droit : Le règlement n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du Traité à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L. 15, p. 16) n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à y adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à établir des conditions qui, si elles dont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévues par l'article 85, paragraphes 1 et 2, du Traité CEE. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier en vertu du droit national applicable les conséquences d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles.