CJCE, 4e ch., 22 octobre 1986, n° 75-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Metro SB-Grossmarkte GmbH & Co. (KG)
Défendeur :
SABA (GmbH)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bahlmann
Avocat général :
M. Verloren Van Themaat
Juges :
MM. O'higgins, Schockweiler, Bosco, Koopmans
Avocats :
Mes Taylor, Marks, Richards, Gleiss, Lutz, Hootz, Hirsch.
LA COUR,
(1) Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 mars 1984, la société Metro SB-Grossmärkte GmbH & Co. KG (ci-après Metro), à Leverkusen, république fédérale d'Allemagne, a introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision 83-672 de la Commission des Communautés européennes du 21 décembre 1983, relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV-29.598, Système de distribution sélective SABA dans la Communauté économique européenne, JO L 376, p. 41).
(2) Par cette décision, la Commission a accordé, au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, une exemption de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, en faveur de certains accords faisant partie du système de distribution sélective mis en œuvre par la société SABA GmbH (ci-après SABA) pour la commercialisation dans le marché commun des appareils de l'électronique de divertissement de sa marque.
(3) La requérante exploite une entreprise de commerce de gros, dit en libre service, dont les activités s'exercent dans toute la Communauté. Elle dispose d'une quarantaine d'établissements en république fédérale d'Allemagne ainsi que d'un certain nombre de débouchés dans les autres Etats membres. Ses activités consistent à vendre, après s'être approvisionnée directement auprès des producteurs, une large gamme de produits, dont des produits de l'électronique de divertissement, soit à des détaillants aux fins de la revente par ceux-ci, soit à des entreprises commerciales, artisanales ou industrielles en vue de l'utilisation à des fins professionnelles. Metro vend également à des utilisateurs finaux privés qualifiés de " consommateurs institutionnels " tels que les hôpitaux et les hôtels.
(4) Le système de distribution de Metro, dit " cash and carry " (payez et enlevez), permet aux acheteurs de s'approvisionner sur les lieux de vente en marchandises qui sont stockées de façon à rendre possible un enlèvement rapide par le client lui-même, présentées de façon rudimentaire et payées au comptant. Ce système aboutit à une diminution des coûts et à la possibilité pour Metro de se contenter de marges bénéficiaires plus réduites que celles du commerce de gros traditionnel.
(5) SABA, ayant son siège à Villingen-Schwenningen en république fédérale d'Allemagne, fabrique des produits de l'électronique de divertissement tels que récepteurs de radio, récepteurs de télévision, magnétoscopes, appareils de haute fidélité et magnétophones. Elle met ces produits sur le marché au moyen d'un réseau de contrats et d'accords avec des concessionnaires exclusifs, des grossistes et des détaillants agréés, le tout constituant un système de distribution sélective (ci-après système SABA).
(6) SABA est, depuis 1980, une filiale à 100 % de la société Thomson-Brandt qui a son siège en France et qui détient des participations dans d'autres entreprises allemandes du secteur de l'électronique de divertissement dont les sociétés Dual, Nordmende et Telefunken Fernseh und Rundfunk GmbH.
SUR L'OBJET DU LITIGE
(7) Le système SABA se présente comme un système de distribution uniforme pour tout le territoire de la Communauté. Il comporte pour la république fédérale d'Allemagne, y compris Berlin Ouest, un réseau de grossistes et de détaillants spécialisés, les uns et les autres agréés par SABA, et pour les autres Etats membres (sauf l'Irlande) des concessionnaires exclusifs et des détaillants spécialisés, les concessionnaires exclusifs désignés pour l'Italie et le Royaume-Uni étant des filiales de SABA.
(8) Ce système consiste en une série de contrats et accords entre SABA et les différents distributeurs de son réseau qui correspondent aux accords types suivants:
- le contrat de distribution sélective des grossistes spécialisés SABA pour la Communauté économique européenne (SABA-EG-Vertriebsbindungsvertrag SABA-Fachgrosshändler) (ci-après " contrat grossistes ") ;
- l'accord de coopération SABA (SABA-Kooperationsvertrag) (ci-après " accord de coopération ") ayant pour objet notamment les obligations en matière de promotions à remplir par les grossistes SABA en Allemagne qui s'approvisionnent directement auprès de SABA ;
- le contrat de distribution sélective des détaillants spécialisés SABA pour la Communauté économique européenne (SABA-EG-Vertriebsbindungsvertrag SABA-Facheinzelhändler) (ci-après " contrat détaillants spécialisés ") ;
- l'accord SABA " Fair Service " déterminant entre SABA et ses détaillants agréés la mise en œuvre des services de réparation sous garantie pour les produits SABA.
(9) En ce qui concerne les obligations de promotion susmentionnées, l'accord de coopération oblige les grossistes spécialisés en Allemagne, qui s'approvisionnent directement auprès de SABA de proposer la gamme complète des produits SABA et de conclure avec SABA au début de chaque année un accord sur le chiffre d'affaires annuel qui comporte des engagements contraignants en ce qui concerne les ventes prévisionnelles, par types et nombre d'unités.
(10) Le fonctionnement du système de distribution SABA s'est heurté à la contestation de Metro depuis le moment où celle-ci, ayant demandé à SABA de l'admettre en qualité de grossiste pour la distribution de l'électronique de divertissement, s'est vu opposer un refus de livraison au motif qu'elle ne remplirait pas les conditions pour être agréée comme grossiste par SABA.
(11) Par décision du 15 décembre 1975 (JO L 28, p. 19), la Commission a pris position sur une version antérieure des contrats qui constituent le système SABA. Par cette décision, elle a reconnu que certaines clauses de ces contrats ne tombaient pas sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité, alors que d'autres dispositions de ces contrats bénéficieraient d'une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3. Le recours de Metro contre cette décision a été rejeté par arrêt du 25 octobre 1977 (Metro, 26-76, Rec. p. 1875, ci-après Metro I).
(12) Les termes des divers accords constituant le système SABA actuel correspondent essentiellement à ceux de l'ancien système SABA, à l'exception de quelques modifications qui concernent notamment la procédure d'agrément de distributeurs qualifiés. Alors que la procédure prévue dans le cadre de l'ancien système se caractérisait par le pouvoir de SABA de décider si un commerçant répondait, ou non, aux critères pour être agréé, la nouvelle procédure d'agrément habilite tout grossiste spécialisé SABA à agréer lui-même, en qualité de détaillants spécialisés SABA, les commerçants répondant aux critères de qualification, et à les approvisionner en marchandises. De plus, les grossistes, même lorsqu'ils ne signent pas l'accord de coopération et ne sont donc pas approvisionnés directement par SABA, peuvent obtenir des livraisons par d'autres grossistes agréés après s'être conformés aux critères du " contrat grossistes ".
(13) Par lettre du 2 juillet 1979, SABA a demandé à la Commission d'exempter les contrats formant le système de distribution SABA de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité en prorogeant l'exemption accordée par la décision de 1975 dont la validité expirait le 21 juillet 1980. A la suite de deux communications de griefs qui ont amené SABA à apporter les modifications susmentionnées aux accords SABA, la Commission a adopté, le 21 décembre 1983, la décision litigieuse.
(14) Par cette décision, la Commission a déclaré inapplicables, conformément au paragraphe 3 de l'article 85, les dispositions du paragraphe 1 de cet article au " contrat grossistes ", à l'accord de coopération SABA et au " contrat détaillants spécialisés ", tandis qu'elle a décidé de ne pas intervenir, en vertu du paragraphe 1 de l'article 85, à l'égard de l'accord SABA " Fair Service ". En outre, elle a obligé SABA à lui communiquer chaque année, et pour la première fois le 31 décembre 1984, un rapport sur les cas dans lesquels SABA a refusé ou retiré à un grossiste ou à un détaillant la qualité de " distributeur SABA ", ou ordonné contre lui une suspension des livraisons, ou dans lesquels elle a demandé à examiner les documents de contrôle numérique d'un distributeur SABA.
(15) Metro demande, sur la base de l'article 173 du traité, l'annulation de la décision litigieuse pour autant que celle-ci accorde, au titre de l'article 85, paragraphe 3, une exemption aux accords qui constituent le système SABA.
(16) Dans la présente affaire, le gouvernement du Royaume-Uni est intervenu au soutien de Metro, alors que SABA et le gouvernement de la république fédérale d'Allemagne sont intervenus à l'appui de la Commission.
(17) En ce qui concerne les détails du système SABA et de la décision attaquée de la Commission ainsi que les faits et les moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
SUR LA RECEVABILITÉ
(18) Seule SABA soutient que le recours est irrecevable. Elle estime que Metro n'est pas directement et individuellement concernée par la décision qu'elle attaque, celle-ci n'ayant pas été rendue sur une demande de Metro en vertu de l'article 3, paragraphe 2, lettre b), du règlement n° 17.
(19) Il convient de rappeler que selon l'article 173, deuxième alinéa, du traité, des personnes physiques ou morales peuvent former un recours en annulation contre les décisions dont elles sont les destinataires, ou contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, les concernent directement et individuellement. Metro n'étant pas destinataire de la décision attaquée, il y a lieu d'examiner si celle-ci concerne Metro directement et individuellement.
(20) Il ressort d'une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés au sens de l'article 173, deuxième alinéa, que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire(arrêt du 28 janvier 1986, COFAZ, 169-84, non encore publié).
(21) A cet égard, il y a lieu de rappeler d'abord que les demandes de Metro d'être admise, en qualité de grossiste, à participer au système SABA ont été refusées.
(22) Il y a lieu de relever en outreque Metro, par plusieurs lettres de février 1983, et ultérieurement à la suite de la publication de l'avis de la Commission concernant son intention d'accorder à SABA une exemption en application de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17(JO C 140 du 28 mai 1983, p. 3), a soulevé des objections. La Commission a reconnu l'intérêt légitime de Metro de présenter ses observations, conformément au paragraphe 3 de l'article 19 du règlement précité, et a constaté que ce sont précisément les objections de Metro qui sont rejetées dans la partie I C de la décision attaquée. Celle-ci maintient, malgré certaines modifications de la version originaire des accords SABA, les particularités du système de distribution critiquées par Metro au cours de la procédure administrative.
(23) Dans ces circonstances, Metro doit être considérée comme étant directement et individuellement concernée, au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité, par la décision attaquée. Le recours est dès lors recevable.
SUR LE FOND
(24) A l'appui de son recours, Metro fait valoir six moyens. Les cinq premiers moyens sont basés sur un détournement de pouvoir commis par la Commission en ce que celle-ci aurait, respectivement:
- omis de tenir compte des conditions établies par la Cour dans l'arrêt Metro I ;
- violé les conditions que pose l'article 85, paragraphe 3, à l'octroi d'une exemption ;
- omis de tenir compte de la mise en œuvre effective des accords SABA ;
- pris en considération, pour procéder à l'octroi de l'exemption, des données limitées, incomplètes et périmées ;
- autorisé l'exploitation abusive, par SABA et le groupe dont elle est une filiale, d'une position dominante sur le marché de l'électronique.
(25) Le sixième moyen, qu'il convient d'examiner d'abord, est tiré du défaut de compétence de la Commission, celle-ci ayant accordé l'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, en l'absence de la notification requise par la réglementation applicable.
1. L'absence de notification (sixième moyen)
(26) Metro fait valoir que, compte tenu des modifications importantes apportées par SABA à son système originaire, la décision attaquée constitue non pas un simple renouvellement de l'exemption initiale, mais une exemption nouvelle. En l'absence de notification formelle du système modifié, conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 17, la Commission n'aurait pas eu compétence pour accorder à SABA une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. En tout cas, l'exploitation concrète du système SABA s'écarterait sensiblement des conditions notifiées à l'origine et des conditions des nouveaux accords-type.
(27) La Commission conteste qu'une nouvelle notification formelle ait été nécessaire en l'espèce, s'agissant non pas d'une exemption nouvelle mais uniquement du renouvellement, avec certains amendements et modifications, d'une exemption venue à expiration. Dans un tel cas, la notification originaire du système SABA couvrirait les modifications et amendements ultérieurs qui lui auraient été communiqués de façon informelle.
(28) L'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 17, dispose :
"1. Les accords, décisions et pratiques concertées visés à l'article 85, paragraphe 1, du traité, intervenus après l'entrée en vigueur du présent règlement et en faveur desquels les intéressés désirent se prévaloir des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, doivent être notifiés à la Commission. Aussi longtemps qu'ils n'ont pas été notifiés, une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, ne peut être rendue."
(29) Par contre, l'article 8, paragraphe 2, prévoit que
"la décision peut être renouvelée sur demande si les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité continuent d'être remplies" ;
dans ce cas, il ne faut qu'une communication des modifications apportées ainsi qu'une simple demande de renouvellement.
(30) Il y a donc lieu d'examiner si la demande d'exemption de SABA du 2 juillet 1979, introduite par une simple lettre, concerne une exemption tout à fait nouvelle ou bien le simple renouvellement de l'exemption qui lui a été accordée par la décision 76-179, du 15 décembre 1975.
(31) Comme il a été mentionné plus haut, la nouvelle version des accords SABA ne se distingue pas en principe de la version antérieure, dûment notifiée en 1972 et 1974, à l'exception de quelques modifications qui ont comporté notamment un allègement de la procédure d'agrément des distributeurs qualifiés SABA, telle que prévue dans leur version initiale. Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que l'introduction d'une simple demande combinée avec la communication des modifications prévues par SABA était suffisante pour mettre la Commission en mesure de prendre une décision concernant la prorogation de l'exemption du système SABA au sens de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 17.
(32) Le reproche de Metro selon lequel les modalités réelles de l'exploitation du système SABA s'écarteraient sensiblement des conditions initialement notifiées et des conditions des nouveaux accords type n'est pas pertinent. En effet, si les allégations de Metro se révélaient exactes, elles pourraient justifier le refus ou la révocation d'une exemption ; elles ne sauraient cependant servir de base à l'exigence d'une nouvelle notification.
(33) Dans ces conditions, ce moyen doit être rejeté.
2. Les conditions établies par l'arrêt Metro I (premier moyen)
(34) Les considérations de la Cour invoquées par Metro sont les suivantes. D'abord, en constatant la régularité de l'exemption initialement accordée au réseau SABA, la Cour a précisé
" qu'il pourrait en être autrement si, notamment par une multiplication de réseaux de distribution sélective d'un contenu semblable à celui de SABA les grossistes en libre service se voyaient effectivement éliminés comme distributeurs dans le secteur de l'électronique de divertissement " (attendu 50),
alors que la Cour a, en outre, expressément déclaré
" qu'il appartiendra cependant à la Commission de veiller à ce que la rigidité de cette structure " (la structure des prix) "ne soit pas renforcée, ce qui pourrait se produire dans l'hypothèse d'une multiplication de réseaux de distribution sélective pour la commercialisation d'un même produit" (attendu 22).
(35) Or, d'après Metro, la structure de la concurrence sur le marché des produits électroniques destinés à la consommation se serait profondément modifiée depuis 1975. En particulier, le nombre de systèmes de distribution sélective exploités par les principaux producteurs tant sur le marché allemand qu'au niveau de la Communauté se serait sensiblement accru. Il y aurait actuellement, à côté des systèmes dont l'existence a été notifiée à la Commission et de ceux pour lesquels des demandes d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, ont été introduites, un grand nombre d'autres réseaux de distribution sélective similaires non notifiés, qui feraient également obstacle à l'approvisionnement direct des grossistes en libre service tels que Metro.
(36) Metro allègue qu'en accordant une nouvelle exemption par la décision litigieuse, la Commission a omis de tenir compte de ces changements, bien que l'arrêt Metro I lui ait imposé l'obligation de le faire. La Commission aurait notamment dû prendre en considération tous les systèmes de distribution sélective, même les systèmes dits " simples ", qui n'ont d'autre objet que de réserver la livraison des marchandises au commerce spécialisé ou à des commerçants disposant de rayons spécialisés.
(37) La Commission rappelle d'abord que, selon l'arrêt Metro I, les systèmes de distribution sélective constituent " parmi d'autres, un élément de concurrence conforme à l'article 85, paragraphe 1, à condition que le choix de revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatif à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire ". En conséquence, la Commission n'aurait aucune autorité pour intervenir à l'encontre de la mise en place de tels systèmes " simples " de distribution sélective. Un accroissement du nombre de tels systèmes serait dès lors sans pertinence dans le contexte de l'article 85, paragraphe 1. En revanche, l'existence de tels systèmes devrait être prise en compte lors de l'examen de l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3.
(38) Sur ce point, la Commission fait valoir qu'en accordant un renouvellement de l'exemption du système SABA, elle était certaine que le marché en cause ne connaissait pas d'autres réseaux de distribution sélective d'un contenu semblable à celui de SABA ; en particulier, l'accord de coopération obligeant les grossistes à signer des estimations des livraisons constituerait un trait unique du système SABA. Sur un total de treize systèmes de distribution sélective opérant, dans ce secteur, sur le territoire de la Communauté et notifiés à la Commission, quatre comporteraient de simples obligations de livrer uniquement à des revendeurs spécialisés qui ne relèveraient pas de l'article 85, paragraphe 1. Les neuf autres systèmes auraient requis une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, mais aucun d'eux ne comporterait des obligations de promouvoir la distribution ou de coopérer comparables à celles du système SABA.
(39) Il convient de préciser que, comme Metro l'allègue et la Commission le reconnaît, la Commission était obligée, en examinant la demande de SABA de renouveler l'exemption accordée en 1975, de vérifier si la situation concurrentielle sur le marché concerné n'était pas modifiée à tel point que les conditions requises pour l'octroi d'une exemption n'étaient plus réunies.
(40) Il y a lieu de rappeler que, si les systèmes de distribution sélective " simples " sont susceptibles, selon la jurisprudence de la Cour, de constituer un élément de concurrence conforme à l'article 85, paragraphe 1, du traité, une restriction ou une élimination de la concurrence peut néanmoins se produire lorsque l'existence d'un certain nombre de tels systèmes ne laisse aucune place à d'autres formes de distribution axées sur une politique concurrentielle de nature différente ou aboutit à une rigidité dans la structure des prix qui n'est pas contrebalancée par d'autres facteurs de concurrence entre produits d'une même marque et par l'existence d'une concurrence effective entre marques différentes.
(41) Par conséquent, l'existence d'un grand nombre de systèmes de distribution sélective pour un produit déterminé ne permet pas, à elle seule, de conclure que la concurrence est restreinte ou faussée. L'existence de ces systèmes n'est pas non plus décisive pour l'octroi ou le refus d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, le seul élément à prendre en considération à cet égard étant la répercussion effective de l'existence de tels systèmes sur la situation concurrentielle. Dès lors, le taux de couverture des systèmes de distribution sélective pour les téléviseurs couleur, tel qu'allégué par Metro, ne peut pas en soi être considéré comme élément qui ferait obstacle à l'octroi d'une exemption.
(42) Il en résulte que l'accroissement du nombre de systèmes de distribution sélectives " simples ", après l'octroi d'une exemption, ne doit être pris en considération au moment de l'examen d'une demande de renouvellement de cette exemption que dans la situation particulière où le marché concerné était déjà tellement rigide et structuré que l'élément de concurrence inhérent aux systèmes " simples " n'est pas suffisant pour maintenir une concurrence efficace. Metro n'a pas été en mesure de démontrer l'existence d'une telle situation particulière en l'espèce.
(43) En ce qui concerne l'incidence, sur le marché, de l'existence de systèmes de distribution sélective autres que des systèmes simples, la Commission s'est fondée, en renouvelant l'exemption, sur la part de marché relativement modeste couverte par le système SABA ainsi que sur la circonstance que celui-ci ne se distingue des systèmes simples que par l'existence d'obligations promotionnelles. En agissant ainsi, elle n'a pas fait une fausse application du pouvoir d'appréciation dont elle dispose pour évaluer, dans le cadre de l'article 85, paragraphe 3, le contexte économique dans lequel se situe le système SABA.
(44) Il est vrai que Metro a encore allégué que, suite à la prolifération des systèmes de distribution sélective, la concurrence au niveau des prix aurait fléchi sensiblement depuis 1975, mais cette allégation ne trouve pas d'appui dans le dossier. Il ressort en effet des études et des renseignements fournis par la Commission et par SABA que des différences de prix considérables peuvent être constatées sur le marché allemand, non seulement entre les marques de différents fabricants, mais également à l'intérieur d'une même marque. Il en résulte, en tout état de cause, qu'aucun renforcement de la rigidité de la structure des prix ne peut, pour le moment, être constaté.
(45) Par ailleurs, la Cour a reconnuà cet égard dans l'arrêt Metro I qu'une certaine limitation de la concurrence sur le plan du prix doit être considérée comme inhérente à tout système de distribution sélective, étant donné que les prix pratiqués par des commerçants spécialisés restent nécessairement à l'intérieur d'une fourchette beaucoup moins large que celle que l'on pourrait envisager dans le cas d'une concurrence entre commerçants spécialisés et commerçants non spécialisés. Elle a constaté que cette limitation est contrebalancée par une concurrence sur la qualité des prestations fournies aux clients, qui ne serait normalement pas possible en l'absence d'une marge bénéficiaire adéquate permettant de supporter les frais plus élevés entraînés par ces prestations.
(46) Dès lors, le moyen de Metro basé sur l'évolution des systèmes de distribution sélective dans le secteur de l'électronique de divertissement doit être rejeté.
(47) Le grief tiré de la disparition d'autres canaux de distribution sera examiné dans le cadre du deuxième moyen.
3. Les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 3 (deuxième moyen)
(48) Les griefs avancés par Metro portent plus précisément sur les points suivants:
- le système SABA ne serait pas indispensable compte tenu de la nature des produits en cause ;
- le consommateur n'en retirerait aucun profit ;
- le système fournirait à SABA la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.
(49) La Commission soutient que les éléments du système SABA qui relèvent de l'article 85, paragraphe 1, à savoir les obligations pour les revendeurs de promouvoir la vente de produits SABA, remplissent entièrement les conditions d'exemption de l'article 85, paragraphe 3, les effets avantageux du système au regard de la concurrence étant plus importants que les effets négatifs.
(50) SABA observe que les divers éléments de son système de distribution se justifient par l'évolution technologique dans le secteur de l'électronique de divertissement et servent les intérêts des consommateurs. Il y aurait, d'ailleurs, une concurrence assez vive entre les producteurs européens, et entre ceux-ci et les producteurs japonais. SABA ne serait donc pas en mesure de mener une politique de prix élevés ou d'empêcher délibérément les importations parallèles.
(51) Selon le gouvernement allemand, un distributeur ne devrait pas pouvoir imposer sa stratégie de commercialisation au fabricant. Il appartiendrait plutôt à celui-ci de choisir les canaux de distribution appropriés pour l'utilisateur. La liberté de choix de celui-ci serait actuellement garantie par la multiplicité des fournisseurs européens et japonais appliquant des systèmes de distribution différents. En république fédérale d'Allemagne, le commerce de gros en libre service ne serait pas exclu, d'une manière générale, de la distribution des produits en cause.
(52) Il y a lieu de rappeler d'abord que le système SABA qui est à la base du présent recours correspond pour l'essentiel au système qui a fait l'objet de l'arrêt Metro I, sauf en ce qui concerne certaines modifications qui ont rendu le système moins restrictif qu'auparavant. La Commission était donc justifiée à partir de l'hypothèse que, à première vue et sauf preuve du contraire, le système SABA actuel était aussi bien susceptible de bénéficier d'une exemption que le système ancien.
(53) En ce qui concerne la nature des produits en cause, Metro allègue que, alors que dans le cas de certains produits sophistiqués tels que les systèmes hi-fi, certains consommateurs pourraient avoir besoin de renseignements, l'achat de téléviseurs ne nécessiterait guère l'avis de spécialistes étant donné le haut niveau de qualité, de fiabilité et de standardisation de ces appareils. Or, ceux-ci représenteraient plus de deux tiers de la production totale de l'électronique de divertissement dans la Communauté.
(54) Il convient d'observer, ainsi que la Cour l'a constaté dans l'arrêt Metro I, que l'existence de canaux de distribution différenciés adaptés aux caractéristiques propres des différents producteurs et aux besoins des différentes catégories de consommateurs est notamment justifiée dans le secteur des biens de consommation durables, de haute qualité et technicité, dans lequel un nombre relativement restreint de producteurs, grands et moyens, offre une gamme variée d'appareils aisément interchangeables. De tels produits peuvent en fait nécessiter un service de vente et d'après-vente spécialement adapté à leurs caractéristiques et lié à leur distribution.
(55) En ce qui concerne les téléviseurs couleur, la Commission, SABA et le gouvernement allemand ont exposé d'une manière convaincante que la complexité de la technologie en cause est actuellement telle qu'elle est de nature à justifier un réseau de distribution disposant de grossistes et de détaillants spécialisés. A juste titre, ces parties ont évoqué les diverses possibilités d'utilisation des téléviseurs grâce aux innovations techniques en ce qui concerne la combinaison des téléviseurs avec d'autres appareils, complémentaires ou accessoires.
(56) En conséquence, le grief de Metro portant sur l'inutilité des restrictions prévues par le système SABA compte tenu de la nature des produits en cause doit être écarté.
(57) Metro allègue ensuite que, contrairement aux exigences de l'article 85, paragraphe 3, les utilisateurs ne pourraient retirer aucun avantage ou profit du fonctionnement du système SABA. Au contraire, celui-ci aurait pour effet de limiter le choix du consommateur. Ce serait une caractéristique du marché de l'électronique de divertissement que la demande du consommateur est attirée par les distributeurs " cash and carry " (payez et enlevez) tels que Metro et tend à se détourner des stockistes classiques vendant à des prix uniformément élevés et n'ayant en dépôt qu'une gamme réduite de produits.
(58) Metro explique que la tendance des consommateurs de s'approvisionner auprès des distributeurs " cash and carry " ne peut cependant continuer à se manifester sur le marché en cause par l'effet combiné des systèmes de distribution sélective exploités par les principaux fabricants de produits électroniques, effet rendu sensible par la concentration sur le marché de ces produits qui se serait renforcée de manière importante depuis 1975.
(59) Il convient de traiter ce grief, qui se fonde essentiellement sur le phénomène de concentration sur le marché concerné, à l'occasion de l'examen du cinquième moyen, relatif à l'abus d'une position dominante.
(60) Metro soutient également que la décision litigieuse contribue à éliminer entièrement la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Les grossistes en libre service seraient incapables de s'approvisionner en produits des principales marques des produits de l'électronique de divertissement de première qualité, en particulier de matériel vidéo et de téléviseurs, en raison du refus des principaux producteurs de les approvisionner sous prétexte qu'ils ne répondraient pas aux exigences du système de distribution exploité par le fabricant en question.
(61) Metro admet qu'en théorie, elle pourrait s'adapter aux exigences des systèmes de distribution sélective exploités. Toutefois, cette adaptation entraînerait pour elle la nécessité d'abandonner sa stratégie commerciale et de devenir une chaîne de magasins de nature entièrement différente.
(62) La Commission rappelle qu'elle n'a aucune compétence pour intervenir à l'encontre de systèmes de distribution simples qui seraient conformes aux critères dégagés par la jurisprudence. Compte tenu de la grande variété de concepts de distribution sur le marché en cause, le maintien ou même la prolifération de systèmes de distribution similaires à celui de SABA ne pourrait avoir pour résultat que les grossistes en libre service seraient éliminés de la concurrence sur ce marché.
(63) Sur le plan des faits, la Commission signale en outre que Metro n'est exclue que de la distribution des produits de trois systèmes simples et de quatre systèmes comportant d'autres obligations. D'autre part, il existerait d'importants fabricants qui distribuent leurs produits sans procéder à aucune sélection.
(64) Il faut d'abord constater que la circonstance que Metro ne peut pas directement s'approvisionner en produits SABA ne constitue pas une élimination de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 3, lorsque Metro ou d'autres grossistes en libre service sont en mesure de commercialiser des produits de l'électronique de divertissement tels, notamment, les téléviseurs couleur provenant d'autres producteurs.
(65) Comme la Cour l'a rappelé dans l'arrêt Metro I, les compétences octroyées à la Commission par l'article 85, paragraphe 3, démontrent que les nécessités du maintien d'une concurrence efficace peuvent être conciliées avec la sauvegarde d'objectifs de nature différente et que, dans ce but, certaines restrictions de concurrence sont admissibles lorsqu'elles sont indispensables à la réalisation de ces objectifs et n'aboutissent pas à éliminer la concurrence pour une partie substantielle du marché commun. Une telle élimination ne saurait se produire si le canal de distribution en cause subsiste à côté de formes de distribution axées sur une politique concurrentielle de nature différente.
(66) Metro n'a cependant pas prouvé qu'il n'existe plus sur le marché en cause d'autres formes de distribution de nature différente, telles que les grossistes en libre service. Dans ces conditions, le grief tiré de l'élimination de la concurrence ne peut être accueilli.
(67) Dès lors, le moyen tiré du détournement de pouvoir lors de l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, doit être rejeté pour autant qu'il est fondé sur la nature des produits en cause et sur l'élimination de la concurrence.
4. La mise en œuvre des accords SABA dans la pratique (troisième moyen)
(68) Metro soutient que SABA aurait abusé de l'exemption qui lui avait été accordée en 1975. En effet, les modalités de la mise en œuvre pratique du système SABA s'écarteraient considérablement des conditions prévues par les accords SABA, le système étant devenu ainsi purement fictif et les critères qu'il comporte ayant été appliqués de manière discriminatoire. D'ailleurs, la Commission n'aurait fourni aucune indication quant aux plaintes qu'elle aurait reçues sur le fonctionnement du système SABA ni quant à l'enquête qu'elle aurait menée sur la façon dont le système SABA avait été appliqué.
(69) Le gouvernement britannique, qui partage l'avis de Metro sur ce point, estime que, pour éviter la possibilité d'abus de la procédure d'affiliation au système SABA, le droit d'agréer des revendeurs devrait être confié non seulement aux grossistes mais également aux détaillants SABA.
(70) SABA conteste les affirmations de Metro sur ce point, tout en admettant que l'obligation découlant des accords SABA d'avoir en stock la totalité de la gamme serait conditionnée par les possibilités de stocker et d'exposer les produits SABA dont dispose le détaillant spécialisé.
(71) La Commission conteste que les critères d'agrément SABA auraient été appliqués d'une manière abusive. Elle indique qu'elle a mené certaines enquêtes tant sur la pratique suivie par SABA que sur les pratiques de certains grossistes et détaillants de SABA. Si les enquêtes avaient révélé certains cas isolés où la pratique ne correspondait pas à une application correcte du système notifié, rien n'aurait permis de penser que ce système ait été systématiquement appliqué de façon discriminatoire.
(72) Il y a lieu de rappeler d'abord que, comme la Cour l'a constaté dans son arrêt du 25 octobre 1983 (AEG, 107-82, Rec. p. 3151), la pratique d'un fabricant consistant à refuser d'agréer des distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs du système de distribution sélective doit être considérée comme illicite. Une telle pratique fournit donc la preuve de l'existence d'une mise en œuvre illégale de ce système, lorsque le nombre de refus illicites suffit pour exclure qu'il s'agisse de cas isolés ne relevant pas d'un comportement systématique.
(73) En l'espèce, les renseignements fournis par la Commission sur le résultat des enquêtes qu'elle a menées n'ont pas été contredits de façon suffisamment précise pour établir que le refus d'agréer des distributeurs contrairement aux critères du système SABA se serait produit dans d'autres cas que des cas isolés. L'existence de tels refus ne suffit pas, dès lors, pour obliger la Commission à révoquer une exemption déjà accordée ou à renoncer au renouvellement d'une telle exemption.
(74) Il y a donc lieu de constater que les allégations de Metro sur ce point ne sont pas fondées et que, partant, ce moyen doit être rejeté.
5. L'utilisation de données limitées, incomplètes et périmées (quatrième moyen)
(75) A l'appui de ce moyen, Metro fait valoir que la Commission n'a pas tenu compte des incidences économiques réelles de l'exploitation du système SABA dans l'ensemble du marché commun. En particulier, elle aurait omis de procéder à une enquête sérieuse des faits. Le rapport Mackintosh qu'elle a invoqué au cours de la procédure devant la Cour ne saurait constituer une base appropriée pour la décision litigieuse, celle-ci étant intervenue avant la présentation de ce rapport.
(76) Le gouvernement britannique estime lui aussi que la Commission n'a pas suffisamment examiné la situation sur le marché en question. De ce fait, elle n'aurait pu tenir compte des modifications de la structure globale de la distribution des produits en cause, modifications qui ressortiraient entre autres d'un rapport concernant l'existence et l'application de systèmes de distribution sélective au Royaume-Uni que le gouvernement britannique a présenté à la Cour.
(77) A cet égard, il convient d'observer que la décision attaquée s'est fondée sur des données précises en ce qui concerne tant la position de SABA sur le marché concerné que la structure de la distribution en général. Au surplus, la Commission a expliqué de façon convaincante qu'elle disposait à l'époque d'une base factuelle suffisante pour apprécier le contexte économique du système SABA, notamment en raison d'une enquête menée par ses services sur les pratiques restrictives sur le marché concerné.
(78) A la lumière de ces circonstances, la Commission était en droit de se réclamer, au cours de la procédure, des constatations du rapport Mackintosh, présenté en février 1984, concernant la situation de la concurrence dans l'industrie de l'électronique de divertissement de la CEE. Il y a lieu de préciser, à cet égard, que le moyen de Metro n'allègue pas que la décision litigieuse ne serait pas suffisamment motivée mais qu'elle repose sur une base factuelle insuffisante. L'examen par la Cour des faits présentés par les parties et par les rapports qu'ils ont produits, n'a cependant pas conduit à la conclusion que tel serait le cas. Le moyen doit donc être rejeté.
6. L'abus d'une position dominante par un groupe d'entreprises (cinquième moyen)
(79) A l'appui de ce moyen, Metro allègue que les entreprises du groupe Thomson-Brandt, dont SABA fait partie, constituent une entité économique unique qui détient une position dominante sur le marché de l'électronique de divertissement en général et sur celui des téléviseurs en couleur et des magnétoscopes en particulier, et ceci dans une partie substantielle du marché commun. En mettant en place son système de distribution et en refusant d'approvisionner Metro, SABA aurait exploité cette position d'une manière abusive.
(80) Dans le cadre de ce moyen, il faut également examiner le grief de Metro selon lequel la concentration sur le marché concerné se serait renforcée considérablement depuis 1975. En effet, ce renforcement serait occasionné notamment par l'évolution du groupe Thomson-Brandt sur le marché allemand. Les entreprises allemandes de ce groupe, à savoir SABA, Telefunken, Nordmende et Dual, ne pourraient plus être considérées comme étant dans une situation de concurrence mutuelle, étant donné leur coopération au niveau de la production et la centralisation de leur gestion et administration. Du fait de ses acquisitions, Thomson-Brandt occuperait aujourd'hui la première place sur le marché allemand des téléviseurs couleur (environ 27 % en 1983), ainsi que sur les marchés français et italien dans ce secteur (34 % et 27 %, respectivement). Le mouvement de concentration dans ce secteur aurait ainsi abouti à la prépondérance de deux grands groupes, Thomson-Brandt et Philips-Grundig.
(81) Le gouvernement britannique appuie le dernier raisonnement. Il affirme que les incidences du fonctionnement du système SABA sur la structure de la concurrence ne sont pas les mêmes qu'en 1975, étant donné l'évolution du groupe Thomson-Brandt.
(82) La Commission soutient que les différentes entreprises du groupe Thomson-Brandt disposent de réseaux séparés pour la distribution de leurs produits et qu'elles sont indépendantes du point de vue de leur stratégie commerciale. Par conséquent, seule la position de SABA sur le marché devrait être prise en compte pour vérifier s'il y a, ou non, une position dominante. Or, SABA ne détiendrait, en ce qui concerne les téléviseurs couleur, que 3 % du marché communautaire et 7,5 % du marché allemand. Dès lors, elle ne disposerait pas d'une position dominante.
(83) Tout en admettant que la concentration horizontale sur le marché en question s'est renforcée récemment, la Commission conteste que celle-ci ait affecté la structure concurrentielle. En effet, les différentes entreprises du groupe Thomson-Brandt auraient maintenu des rapports concurrentiels entre elles, tout au moins en ce qui concerne la distribution de leurs produits. Sur aucun des marchés des produits de l'électronique de divertissement, la position de SABA ou du groupe Thomson-Brandt ne serait telle qu'elle les mettrait en mesure d'éliminer la concurrence.
(84) Face aux renseignements précis fournis par la Commission, il y a lieu d'observer d'abord que Metro n'a pas apporté des éléments qui auraient permis à la Cour de constater que les entreprises du groupe Thomson-Brandt sont non seulement liées sur le plan du capital mais qu'elles poursuivent également une stratégie de marché coordonnée selon les directives de leur société-mère ou selon un schéma convenu entre elles. Sans une telle preuve, la Cour doit partir de l'hypothèse que SABA jouit, dans le domaine de la distribution de ses produits, d'une autonomie vis-à-vis de la société-mère et des autres entreprises du groupe.
(85) En ce qui concerne la position de SABA sur le marché allemand, il y a lieu d'observer, sur la base des éléments fournis par les parties au cours de la procédure, qu'au moins 18 producteurs sont présents sur le marché des téléviseurs couleur, principal produit concerné en l'espèce, la part de SABA se situant au-dessous de 10 %. Dès lors, même lorsqu'on retient l'hypothèse où la part de marché de SABA est la plus importante, à savoir celle où le marché concerné est le marché allemand de téléviseurs couleur, cette part de marché est trop modeste pour pouvoir être considérée comme un indice d'une position dominante sur le marché.
(86) La Cour a déjà constaté dans l'arrêt Metro I que, si la part de marché détenue par une entreprise ne constitue pas nécessairement le seul critère de l'existence d'une position dominante, on peut cependant conclure à bon droit que des parts de marché aussi réduites que celles détenues par SABA excluent, dans un marché de produits hautement techniques mais aisément interchangeables aux yeux de la grande masse des acheteurs, l'existence d'une position dominante, sauf circonstances particulières dont la présence n'a cependant pas été établie en l'espèce.
(87) Reste à examiner si, comme l'affirment Metro et le gouvernement britannique, l'évolution du groupe Thomson-Brandt aurait provoqué un tel degré de concentration sur le marché de l'électronique de divertissement que les conditions pour l'octroi d'une exemption, au titre de l'article 85, paragraphe 3, à l'une des entreprises de ce groupe, en l'occurrence SABA, ne se trouvent pas réunies.
(88) Sur ce point, il faut constater d'abord que l'accroissement du degré de concentration sur le marché est un facteur à prendre en considération lors de l'examen d'une demande de renouvellement d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité, si cet accroissement affecte la structure concurrentielle sur le marché en cause. Un tel effet n'existe pas toujours lorsque, comme en l'espèce, le mouvement de concentration se situe au niveau de la production et que les accords à examiner par la Commission concernent la distribution des produits. Cette influence peut néanmoins se produire, notamment si le mouvement de concentration contribue à éliminer la concurrence sur les prix ou à écarter d'autres canaux de distribution.
(89) Il appartenait à Metro d'apporter les éléments de fait susceptibles d'établir l'existence d'une telle situation. Force est cependant de constater que, face aux renseignements fournis par la Commission et par SABA dont il ressort que les systèmes de distribution des différentes entreprises du groupe Thomson-Brandt opèrent séparément et que ces systèmes se distinguent considérablement dans leurs caractéristiques, Metro n'a pas su établir qu'il existe un parallélisme dans la mise en œuvre de ces systèmes qui se répercuterait sur la structure concurrentielle du marché.
(90) En outre, la Commission pouvait prendre en considération que les entreprises du groupe Thomson-Brandt doivent, sur le marché de l'électronique de divertissement, non seulement faire face à la concurrence du groupe Philips-Grundig mais également à celle d'autres fabricants tels que ITT, Blaupunkt, Loewe, Opta, Sony et autres.
(91) Metro n'a donc pas réussi à montrer que l'accroissement de la concentration depuis 1975 qu'elle invoque ait affecté la concurrence au niveau de la distribution des produits de l'électronique de divertissement.
(92) Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son ensemble.
SUR LES DEPENS
(93) Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Metro ayant succombé dans ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux de SABA et de la république fédérale d'Allemagne intervenus au soutien de la Commission ; le Royaume-Uni, intervenu au soutien de Metro, doit supporter les dépens occasionnés par son intervention.
Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) déclare et arrête:
1. Le recours est rejeté.
2. Le Royaume-Uni supportera les dépens occasionnés par son intervention.
3. Metro supportera le surplus des dépens.