CJCE, 28 janvier 1986, n° 161-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pronuptia de Paris (GmbH)
Défendeur :
Schillgalis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Makenzie Stuart
Présidents de chambre :
MM. Everling, Balmann, Joliet
Juges :
MM. Koopmans, Due, Galmot
Avocat général :
M. Verloren van Themaat
Avocats :
Mes Bechtold, Kolonko
LA COUR,
1 Par ordonnance du 15 mai 1984, parvenue à la cour le 25 juin suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions relatives a l'interprétation de l'article 85 du traite CEE et du règlement n° 67-67 de la Commission, du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, à des catégories d'accords d'exclusivité (JO 1967, p. 849) afin qu'il soit examiné si ces dispositions sont applicables aux contrats de franchise.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre la société Pronuptia de Paris GmbH de Francfort-sur-le-Main (ci-après le franchiseur), filiale d'une société française du même nom, et Mme Schillgalis de Hambourg qui exploite un commerce sous le nom Pronuptia de Paris (ci-après le franchisé), litige qui porte sur l'obligation du franchisé de payer au franchiseur des arrièrés de redevances sur son chiffre d'affaires des années 1978 à 1980.
3 La société-mère française du franchiseur distribue sous la marque " Pronuptia de Paris " des robes de mariée et d'autres vêtements portés à l'occasion de mariages en république fédérale d'Allemagne, la distribution de ces produits est assurée soit dans des magasins exploités directement par sa filiale, soit dans des magasins appartenant à des détaillants indépendants qui sont liés à elle par des contrats de franchise conclus en son nom par sa filiale, agissant en même temps en son nom propre.
4 Par trois contrats qui ont été signés le 24 février 1980, le franchisé a obtenu une franchise pour trois zones distinctes, celles de Hambourg, d'Oldenbourg et de Hanovre. Ces trois contrats sont rédiges en termes pratiquement identiques. Ils comportent plus précisément les dispositions suivantes.
5 Le franchiseur :
- accorde au franchisé pour un certain territoire, qui est délimité dans une carte annexée au contrat, le droit exclusif à l'utilisation du signe Pronuptia de Paris en vue de la vente de ses produits et de ses services, ainsi que le droit d'effectuer de la publicité dans ce territoire.
- s'engage à n'ouvrir aucun autre magasin Pronuptia dans le territoire en question et à ne fournir aucun produit ou service à des tiers dans ce territoire.
- s'engage a assister le franchisé en ce qui concerne les aspects commerciaux et publicitaires de son commerce, l'aménagement et la décoration du magasin, la formation du personnel, les techniques de vente, la mode et les produits, l'achat, le marketing et, de manière générale, pour tout ce qui, d'après son expérience, pourrait contribuer à améliorer le chiffre d'affaires et la rentabilité du commerce du franchisé.
6 Le franchisé, qui reste seul propriétaire de son commerce et en assume les risques, est tenu :
- de ne vendre les marchandises en utilisant le nom commercial et la marque Pronuptia de Paris que dans le magasin spécifié dans le contrat, lequel doit avoir été aménagé et décoré principalement pour la vente d'articles de mariage, selon les indications du franchiseur, dans le but de mettre en valeur l'image de marque de la chaine de distribution Pronuptia et ne peut être transféré à un autre emplacement ou transformé qu'avec l'accord du franchiseur
- d'acheter auprès du franchiseur 80 % des robes et accessoires de mariée ainsi qu'une proportion à déterminer par le franchiseur lui-même de tenues de cocktail et de réception et à ne s'approvisionner pour le reste qu'auprès de fournisseurs agrées par le franchiseur
- de payer au franchiseur, en contrepartie des avantages consentis, un droit d'entrée unique pour le territoire contractuel de 15 000 DM et, pendant toute la durée du contrat, une redevance égale à 10 % de l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé par la vente de produits Pronuptia ou de toutes autres marchandises, les tenues de soirée achetées auprès d'autres fournisseurs que Pronuptia n'étant cependant pas soumises à cette redevance
- de considérer, sans préjudice de sa liberté de fixer lui-même ses prix de revente, les prix proposés par le franchiseur comme des recommandations pour la revente
- de ne mener de publicité dans le territoire concédé qu'avec l'accord du franchiseur, et, en toute hypothèse, d'aligner cette publicité sur celle effectuée au plan international et national par le franchiseur, de diffuser de la façon la plus consciencieuse possible les catalogues et autres supports publicitaires fournis par le franchiseur et, de manière générale, d'appliquer les méthodes commerciales qui lui sont communiquées par le franchiseur
- de s'assigner pour objectif principal la vente d'articles de mariage
- de s'abstenir de tout acte de concurrence avec un commerce Pronuptia, et en particulier de ne pas ouvrir un commerce ayant un objet identique ou similaire à celui exercé dans le cadre du contrat ni de participer, directement ou indirectement, à un tel commerce, dans le territoire de la République fédérale d'Allemagne, y compris Berlin-Ouest ou dans un territoire ou Pronuptia est représentée d'une manière quelconque, et ce tant pendant la durée du contrat que pendant une période d'un an après la fin de celui-ci
- de ne céder à des tiers ni les droits et obligations résultant du contrat ni son commerce sans accord préalable du franchiseur, étant entendu que celui-ci marquera son accord si la cession intervient pour des raisons de santé et si le nouveau contractant établit sa solvabilité et prouve qu'il n'est pas, sous quelque forme que ce soit, un concurrent du franchiseur .
7 Condamné en première instance au paiement de 158 502 DM au titre d'arrières de redevances sur son chiffre d'affaires des années 1978 à 1980, le franchisé a interjeté appel de ce jugement devant l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main, en faisant valoir, pour échapper au paiement de ces arrièrés, que les contrats en cause violaient l'article 85, paragraphe 1, du traité et ne bénéficiaient pas de l'exemption par catégorie accordée aux accords d'exclusivité par le règlement n° 67-67 précité de la Commission. Par arrêt du 2 décembre 1982, l'Oberlandesgericht a fait droit à l'argumentation du franchisé. Il a jugé que les engagements d'exclusivité réciproque constituaient des restrictions de la concurrence à l'intérieur du marché commun, le franchiseur ne pouvant approvisionner aucun autre commerce dans le territoire sous contrat et le franchisé ne pouvant acheter et revendre d'autres marchandises en provenance d'autres états membres que de manière limitée. Ne bénéficiant pas d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, ces contrats devaient, selon lui, être considérés comme nuls en vertu de l'article 85, paragraphe 2. Sous le rapport de l'exemption, l'Oberlandesgericht a estimé en particulier qu'il n'était pas nécessaire pour lui de décider si les contrats de franchise sont exclus par principe du champ d'application du règlement n° 67-67, précité, de la Commission. En effet, selon l'Oberlandesgericht, les contrats en cause comportent en toute hypothèse des engagements qui vont au-delà de ceux décrits dans l'article 1er de ce règlement et qui sont constitutifs de restrictions de la concurrence non couvertes par l'article 2.
8 Le franchiseur a introduit contre cet arrêt un pourvoi en révision devant le Bundesgerichtshof en concluant au maintien du jugement rendu en première instance. Le Bundesgerichtshof a estimé que la décision à prendre sur le pourvoi en révision dépendait de l'interprétation du droit communautaire. Il a, en conséquence, demandé à la cour de statuer a titre préjudiciel sur les questions suivantes :
" 1. L'article 85, paragraphe 1, du traite CEE est-il applicable aux contrats de franchise, tels que les contrats entre les parties au litige, ayant pour objet l'application d'un système de distribution particulier dans lequel le franchiseur cède au franchisé non seulement les marchandises, mais aussi le nom commercial, la marque, des marques non déposées sur des marchandises et d'autres prestations de services ?
" 2. En cas de réponse affirmative à la première question, le réglement n° 67-67-CEE de la Commission, du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'exclusivité, est-il applicable à de tels contrats ?
" 3. En cas de réponse affirmative à la deuxième question :
a) Le règlement d'exemption par catégories est-il également applicable dans le cas ou participent d'un coté au contrat plusieurs entreprises juridiquement autonomes, mais économiquement liées entre elles, qui forment au regard du contrat une entité économique ?
b) Le règlement d'exemption par catégories, et notamment son article 2, paragraphe 1, sous c), recouvre-t-il l'obligation incombant au franchisé de ne faire de la publicité qu'après approbation du franchiseur, en accord avec la publicité de celui-ci et en utilisant le matériel publicitaire mis à sa disposition par le franchiseur, et en général d'appliquer les méthodes commerciales du franchiseur ? Le fait que le matériel publicitaire du franchiseur mentionne des prix indicatifs est-il important dans ce contexte ?
c) Le règlement d'exemption par catégories, et notamment ses articles 1er, paragraphe 1, sous b), 2, paragraphe 1, sous a), et 2, paragraphe 2, sous b), recouvre-t-il l'obligation incombant au franchisé de distribuer les produits visés au contrat exclusivement ou au moins en majeure partie dans un local commercial précis, spécialement aménagé à cet effet ?
d) Le règlement d'exemption par catégorie, et notamment son article 1er, paragraphe 1, sous b), recouvre-t-il l'obligation incombant au franchisé, tenu principalement de s'approvisionner exclusivement auprès du franchiseur, de ne s'approvisionner, pour la part " libre " des produits visés au contrat, qu'auprès de fournisseurs agrées par le franchiseur ?
e) Le règlement d'exemption par catégorie admet-il l'obligation incombant au franchiseur de soutenir le franchisé en matière commerciale, publicitaire et professionnelle ? ".
Sur la première question
9 La société Pronuptia de Paris GmbH de Francfort-sur-le-Main, le franchiseur, a fait valoir qu'un système de contrats de franchise permet de combiner les avantages d'une forme de distribution qui se présente de façon homogène vis-à-vis de l'extérieur (telle que les filiales) avec la distribution par des revendeurs indépendants assumant eux-mêmes le risque de la vente. Constitué d'un réseau d'accords verticaux qui visent à garantir la présentation uniforme vis-à-vis de l'extérieur, ce système de contrats renforcerait la capacité concurrentielle du franchiseur au plan horizontal, c'est-à-dire à l'égard d'autres formes de distribution. Il rendrait possible, pour une entreprise qui ne disposerait pas autrement des moyens financiers nécessaires, la mise en place d'un réseau de distribution suprarégional, réseau auquel participeraient, en qualité de franchisées, de petites entreprises dont l'autonomie serait préservée. Au vu de ces avantages, l'article 85, paragraphe 1, ne s'appliquerait pas lorsque les contrats de franchise ne comportent pas de restrictions à la liberté des parties contractantes dépassant celles qui découlent de la nature d'un système de franchise. Des obligations exclusives de livraison et d'approvisionnement, dans la mesure où elles visent à assurer des assortiments uniformes, des obligations de publicité homogène et d'aménagement uniforme des locaux commerciaux et l'interdiction de vendre dans d'autres magasins les marchandises livrées dans le cadre du contrat seraient inhérentes à la nature même du contrat de franchise et échapperaient à l'application de l'article 85, paragraphe 1.
10 Mme Schillgalis, le franchisé, suggère de répondre par l'affirmative à la question posée. Les contrats litigieux se caractériseraient par la protection territoriale accordée au franchisé. Ils ne sauraient être assimilés à des contrats avec des représentants de commerce, étant donné qu'à la différence de ces derniers, les franchisés agissent en leur nom et pour leur propre compte et assument les risques de la vente. Le système du contrat de franchise en cause entraînerait des restrictions sensibles de la concurrence, eu égard au fait que Pronuptia est, comme elle le proclame elle-même, le leader mondial français des robes et accessoires de mariée .
11 Le gouvernement français expose, pour sa part, que l'article 85, paragraphe 1, est susceptible de s'appliquer aux contrats de franchise qui sont des accords portant sur la distribution d'un produit conclus avec des négociants indépendants, mais ne s'y applique pas nécessairement, eu égard aux aspects positifs de ces contrats.
12 La Commission souligne que le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, n'est pas limité à certains types de contrats, ce dont elle déduit que lorsque ses conditions sont réunies, l'article 85, paragraphe 1, s'applique également à des contrats qui, outre la livraison de marchandises, ont pour objet la cession d'un nom commercial et d'une marque, déposée ou non, de produits ainsi que la prestation de services.
13 Il y a lieu de noter d'abord que les contrats de franchise, dont la légalité n'a pas été jusqu'à présent soumise à l'examen de la cour, sont d'une grande diversité. Il ressort des débats devant la cour qu'il faut distinguer différentes espèces de contrats de franchise et, notamment : les contrats de franchise de service en vertu desquels le franchisé offre un service sous l'enseigne et le nom commercial, voire la marque, du franchiseur et en se conformant aux directives de ce dernier les contrats de franchise de production en vertu desquels le franchisé fabrique lui-même, selon les indications du franchiseur, des produits qu'il vend sous la marque de celui-ci et, enfin, les contrats de franchise de distribution en vertu desquels le franchisé se borne a vendre certains produits dans un magasin qui porte l'enseigne du franchiseur. La cour ne se prononcera que sur cette troisième espèce de contrats à laquelle se rapporte expressément la question de la juridiction nationale.
14 Il importe d'observer ensuite que la compatibilité des contrats de franchise de distribution avec l'article 85, paragraphe 1, ne peut être appréciée de façon abstraite, mais qu'elle est fonction des clauses contenues dans ces contrats pour rendre sa réponse pleinement utile à la juridiction nationale, la cour envisagera des contrats qui ont un contenu tel que celui qui a été décrit ci-avant.
15 Dans un système de franchise de distribution tel que celui-là, une entreprise qui s'est installée dans un marché comme distributeur et qui a ainsi pu mettre au point un ensemble de méthodes commerciales accorde, moyennant rémunération, à des commerçants indépendants, la possibilité de s'établir dans d'autres marchés en utilisant son enseigne et les méthodes commerciales qui ont fait son succès. Plutôt que d'un mode de distribution, il s'agit d'une manière d'exploiter financièrement, sans engager de capitaux propres, un ensemble de connaissances. Ce système ouvre par ailleurs à des commerçants dépourvus de l'expérience nécessaire l'accès à des méthodes qu'ils n'auraient pu acquérir qu'après de longs efforts de recherche et les fait profiter de la réputation du signe. Les contrats de franchise de distribution se différencient en cela des contrats de concession de vente ou de ceux liant des revendeurs agrées dans un système de distribution sélective qui ne comportent ni utilisation d'une même enseigne, ni application de méthodes commerciales uniformes, ni paiement de redevances en contrepartie des avantages consentis. Un tel système, qui permet au franchiseur de tirer parti de sa réussite, ne porte pas atteinte en soi à la concurrence. Pour qu'il puisse fonctionner, une double condition doit être remplie.
16 Premièrement, le franchiseur doit pouvoir communiquer aux franchisés son savoir-faire et leur apporter l'assistance voulue pour les mettre en mesure d'appliquer ses méthodes, sans risquer que ce savoir-faire et cette assistance profitent, ne serait-ce qu'indirectement, à des concurrents. Il en résulte que les clauses qui sont indispensables pour prévenir ce risque ne constituent pas des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1. Il en va ainsi de l'interdiction faite au franchisé d'ouvrir, pendant la durée du contrat ou pendant une période raisonnable après l'expiration de celui-ci, un magasin ayant un objet identique ou similaire, dans une zone ou il pourrait entrer en concurrence avec un des membres du réseau. Il en va de même de l'obligation imposée au franchisé de ne pas céder son magasin sans l'accord préalable du franchiseur : cette clause tend à éviter que le bénéfice du savoir-faire transmis et de l'assistance apportée n'aille indirectement a un concurrent.
17 Deuxièmement, le franchiseur doit pouvoir prendre les mesures propres a préserver l'identité et la réputation du réseau qui est symbolisé par l'enseigne. Il en résulte que les clauses qui organisent le contrôle indispensable à cette fin ne constituent pas non plus des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
18 Il en va ainsi d'abord de l'obligation pour le franchisé d'appliquer les méthodes commerciales mises au point par le franchiseur et d'utiliser le savoir-faire transmis.
19 Tel est le cas encore de l'obligation du franchisé de ne vendre les marchandises visées au contrat que dans un local aménagé et décoré selon les instructions du franchiseur, laquelle a pour objet de garantir une présentation uniforme répondant à certaines exigences. Les mêmes exigences s'appliquent à l'emplacement du magasin dont le choix est également de nature à influencer la réputation du réseau. Ainsi s'explique que le franchisé ne puisse pas transférer son magasin dans un autre emplacement sans l'assentiment du franchiseur.
20 L'interdiction pour le franchisé de céder les droits et obligations résultant du contrat sans l'accord du franchiseur sauvegarde le droit pour celui-ci de choisir librement les franchises dont les qualifications professionnelles sont une condition pour établir et préserver la réputation du réseau.
21 Grâce au contrôle exercé par le franchiseur sur l'assortiment offert par le franchisé, le public pourra trouver auprès de chaque franchisé des marchandises de même qualité. Il peut être impraticable dans certains cas, comme dans le domaine des articles de mode, de formuler des spécifications de qualité objectives. Veiller au respect de ces spécifications peut également, en raison du grand nombre de franchisés, entraîner un coût trop élevé. Une clause prescrivant au franchisé de ne vendre que des produits provenant du franchiseur ou de fournisseurs sélectionnés par lui doit, dans de telles conditions, être considérée comme nécessaire à la protection de la réputation du réseau. Elle ne peut toutefois aboutir à empêcher le franchisé de se procurer ces produits auprès d'autres franchisés.
22 Enfin, comme la publicité contribue à déterminer l'image qu'a le public du signe symbolisant le réseau, la clause qui subordonne toute publicité du franchisé à l'assentiment du franchiseur est également indispensable à la préservation de l'identité du réseau, pourvu qu'elle ne concerne que la nature de la publicité.
23 Il convient, en revanche, de souligner que loin d'être nécessaires à la protection du savoir-faire transmis ou à la préservation de l'identité et de la réputation du réseau, certaines clauses restreignent la concurrence entre les membres de celui-ci. Tel est le cas des clauses qui réalisent un partage des marchés entre franchiseur et franchisés ou entre franchisés ou qui empêchent ceux-ci de se livrer à une concurrence de prix entre eux.
24 Il importe, à cet égard, d'attirer l'attention de la juridiction nationale sur la clause qui oblige le franchisé à ne vendre les marchandises visées au contrat qu'à partir du local désigné dans celui-ci. Cette clause interdit au franchisé d'ouvrir un second magasin. Sa portée réelle apparaît si on la met en relation avec l'engagement que prend le franchiseur à l'égard du franchisé d'assurer à celui-ci, dans un certain territoire, l'exclusivité de l'utilisation du signe concédé. Pour respecter la promesse faite ainsi à un franchisé, le franchiseur doit non seulement s'obliger à ne pas s'établir lui-même dans ce territoire, mais encore exiger des autres franchisés l'engagement de ne pas ouvrir un autre magasin en dehors du leur. La juxtaposition de clauses de ce type aboutit à un certain partage de marchés entre le franchiseur et les franchisés ou entre les franchisés et restreint ainsi la concurrence à l'intérieur du réseau. Ainsi qu'il résulte de l'arrêt du 13 juillet 1966 (Consten et Grundig/Commission, 56 et 58-64, rec. p. 429), ce type de restriction constitue une limitation de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, dès lors qu'il concerne un signe déjà très répandu. Il est certes possible qu'un candidat franchisé ne prendrait pas le risque de s'intégrer à la chaîne en procédant à un investissement propre, en payant un droit d'entrée relativement élevé et en s'engageant à acquitter une redevance annuelle importante, s'il ne pouvait, grâce à une certaine protection contre la concurrence du franchiseur et d'autres franchisés, espérer que son commerce puisse être rentable. Cette considération ne peut toutefois jouer que dans le cadre de l'examen éventuel de l'accord au regard des conditions de l'article 85, paragraphe 3.
25 Si des clauses qui portent atteinte à la faculté du franchisé de déterminer ses prix en toute liberté sont restrictives de la concurrence, il n'en est pas de même du fait pour le franchiseur de communiquer aux franchisés des prix indicatifs, à la condition toutefois qu'il n'y ait pas, entre le franchiseur et les franchisés ou entre les franchisés, de pratique concertée en vue de l'application effective de ces prix. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier la réalisation de cette condition.
26 Il importe de préciser, enfin, que les contrats de franchise de distribution qui contiennent des clauses réalisant un partage des marchés entre franchiseur et franchisés ou entre franchisés sont en tout état de cause susceptibles d'affecter le commerce entre états membres, même s'ils sont conclus entre entreprises établies dans le même état membre, dans la mesure ou ils empêchent les franchisés de s'établir dans un autre état membre.
27 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que :
1) La compatibilité des contrats de franchise de distribution avec l'article 85, paragraphe 1, est fonction des clauses que contiennent ces contrats et du contexte économique dans lequel ils s'insèrent.
2) Les clauses qui sont indispensables pour empêcher que le savoir-faire transmis et l'assistance apportée par le franchiseur profitent à des concurrents ne constituent pas des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
3) Les clauses qui organisent le controle indispensable à la préservation de l'identité et de la réputation du réseau qui est symbolisé par l'enseigne ne constituent pas non plus des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
4) Les clauses qui réalisent un partage des marchés entre franchiseur et franchisés ou entre franchisés constituent des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
5) Le fait pour le franchiseur de communiquer au franchisé des prix indicatifs n'est pas constitutif d'une restriction de la concurrence, à la condition qu'il n'y ait pas, entre le franchiseur et les franchisés ou entre les franchisés, une pratique concertée en vue de l'application effective de ces prix.
6) Les contrats de franchise de distribution qui contiennent des clauses réalisant un partage des marchés entre franchiseur et franchisé ou entre franchisés sont susceptibles d'affecter le commerce entre états membres.
Sur la deuxième question
28 La deuxième question, qui n'a été posée que pour le cas ou une réponse affirmative serait apportée à la première, a trait au point de savoir si le règlement n° 67-67 de la Commission, du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'exclusivité joue dans le cas de contrats de franchise de distribution. Eu égard aux considérations qui précèdent relatives aux clauses qui réalisent un partage de marché entre franchiseur et franchisés et entre franchisés, elle conserve une partie de son intérêt et il convient dès lors de l'examiner.
29 La société Pronuptia de Paris, le franchiseur, suggère à la cour d'apporter une réponse positive à cette deuxième question. Le règlement n° 67-67 s'appliquerait aux engagements exclusifs d'approvisionnement et de livraison alors même que ces engagements seraient contenus dans des accords comportant, en outre, concession d'une licence de marque ou d'autres signes distinctifs de l'entreprise. Dans un contrat de franchise, les obligations exclusives de livraison et d'approvisionnement présenteraient aussi les avantages qui sont énoncés au sixième considérant du règlement n° 67-67. Des clauses autres que celles visées à l'article 2 du règlement n° 67-67 ne feraient pas obstacle au jeu de l'exemption, dès lors qu'elles ne restreindraient pas la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
30 Mme Schillgalis, franchisée, conclut à l'inapplicabilité du règlement n° 67-67 aux contrats de franchise. En premier lieu, ce règlement aurait été élaboré sur la base de l'expérience acquise à l'époque par la Commission, expérience qui ne concernerait que les accords de concession de vente. En deuxième lieu, le franchiseur aurait nettement plus de pouvoirs sur le franchisé que le concédant sur son concessionnaire. En troisième lieu, la restriction de concurrence inhérente aux contrats de franchise se produirait également sur le plan horizontal, le franchiseur exploitant généralement lui-même des filiales qui interviennent au même stade du processus économique que les franchisés.
31 Le gouvernement français se borne à dire que le règlement n° 67-67 ne semble pas applicable à ce type de contrat.
32 La Commission admet d'abord qu'elle ne dispose pas d'une expérience suffisante pour délimiter la notion de contrat de franchise. Elle ajoute que le règlement n° 67-67 n'a pas pour but d'exempter les restrictions de concurrence contenues dans des accords portant concession d'une enseigne, d'un nom commercial ou d'une marque, concession qui, avec la communication d'un savoir-faire et l'assistance commerciale, lui parait être l'élément essentiel des contrats de franchise. Toutefois, si des accords de licence de ce type comportaient des accords sur la livraison de marchandises en vue de la revente et si ces accords de livraison pouvaient être dissociés des accords de licence, le règlement n° 67-67 pourrait alors s'appliquer aux accords de livraison, pour autant que ses conditions fussent remplies. A cet égard, le concessionnaire exclusif ne devrait pas se voir imposer, en sa qualité de concessionnaire exclusif, des restrictions de concurrence autres que celles visées à l'article 1er, paragraphe 1, et à l'article 2, paragraphe 1. Dans les contrats qui font l'objet des questions du Bundesgerichtshof, la clause de localisation contenue dans le contrat de franchise établirait entre les éléments de distribution exclusive et les éléments de licence du contrat de franchise un lien tellement étroit que ces éléments constitueraient un tout indivisible, ce qui rendrait l'exemption par catégories inapplicable même à la partie du contrat relative à la concession de vente exclusive.
33 Il convient à cet égard de relever plusieurs éléments dans le texte du règlement n° 67-67. En premier lieu, la catégorie de contrats bénéficiant de l'exemption par catégories est définie par référence à des engagements réciproques (ou non) de livraison et d'achat, et non par rapport à des éléments tels que l'utilisation d'une même enseigne, l'application de méthodes commerciales uniformes et le paiement de redevances en contrepartie des avantages consentis qui sont caractéristiques des contrats de franchise de distribution. En deuxième lieu, les termes mêmes de l'article 2 ne visent expressément que les contrats de concession de vente exclusive qui ont, ainsi que cela a été relevé ci-dessus, une nature différente des contrats de franchise de distribution. En troisième lieu, ce même article énumère les restrictions et obligations qui peuvent être imposées au concessionnaire exclusif, sans faire état de celles qui peuvent être stipulées à charge de l'autre partie au contrat, alors que, dans le cas du contrat de franchise de distribution, les obligations assumées par le franchiseur, et spécialement celles de communiquer son savoir-faire et d'assister le franchisé, revêtent une importance toute particulière. En quatrième lieu, la liste des obligations à charge du concessionnaire dressée par l'article 2, paragraphe 2, ne permet d'inclure ni l'obligation de payer des redevances ni les clauses qui organisent le contrôle indispensable pour préserver l'identité et la réputation du réseau.
34 Il y a lieu de conclure pour ces raisons que le règlement n° 67-67 n'est pas applicable à des contrats de franchise de distribution tels que ceux qui ont été examinés dans le cadre de la présente procédure.
Sur la troisième question
35 Compte tenu des réponses apportées à la deuxième question de la juridiction nationale, la troisième question devient sans objet.
Sur les dépens
36 Les frais exposés par le gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, La cour, Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 15 mai 1984, dit pour droit :
1 a) La compatibilité des contrats de franchise de distribution avec l'article 85, paragraphe 1, est fonction des clauses que contiennent ces contrats et du contexte économique dans lequel ils s'insèrent.
b) Les clauses qui sont indispensables pour empêcher que le savoir-faire transmis et l'assistance apportée par le franchiseur profitent à des concurrents ne constituent pas des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
c) Les clauses qui organisent le contrôle indispensable à la préservation de l'identité et de la réputation du réseau qui est symbolisé par l'enseigne ne constituent pas non plus des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
d) Les clauses qui réalisent un partage des marchés entre franchiseur et franchisés ou entre franchisés constituent des restrictions de la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1.
e) Le fait pour le franchiseur de communiquer au franchisé des prix indicatifs n'est pas constitutif d'une restriction de la concurrence, à la condition qu'il n'y ait pas entre le franchiseur et les franchisés ou entre les franchisés une pratique concertée en vue de l'application effective de ces prix.
f) Les contrats de franchise de distribution qui contiennent des clauses réalisant un partage des marchés entre franchiseur et franchisé ou entre franchisés sont susceptibles d'affecter le commerce entre états membres.
2) Le règlement n° 67-67 n'est pas applicable à des contrats de franchise de distribution tels que ceux qui ont été éxaminés dans le cadre de la présente procédure.