CJCE, 21 février 1984, n° 86-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Victor Hasselblad (AB)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mertens de Wilmars
Présidents de chambre :
MM. Bahlmann, Galmot
Juges :
MM. Pescatore, O'Keeffe, Bosco, Everling
Avocat général :
Sir Slynn
Avocats :
Mes Deringer, Tessin, Herrmann, Sedemund, Stockler, Barnes.
LA COUR,
(1) Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 mars 1982, Hasselblad (GB) a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation partielle de la décision de la Commission, du 2 décembre 1981, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (IV - 25.757) notifiée à la requérante le 4 janvier 1982.
(2) Victor Hasselblad AB ci-après (Victor Hasselblad), dont le siège social est à Göteborg, en Suède, fabrique du matériel photographique de haute qualité. Elle a conclu des contrats de distribution exclusive avec des revendeurs dans de nombreux pays. Le 28 juin 1965, elle a notifié son contrat type de distribution exclusive à la Commission. Par lettre du 23 décembre 1976, la Commission a contesté deux clauses du contrat qu'elle a considérées incompatibles avec le principe de la libre circulation des marchandises et les règles de concurrence du traité. Par lettre du 10 février 1977, Victor Hasselblad a consenti à se conformer aux recommandations de la Commission. En conséquence, une nouvelle version du contrat de distribution a été envoyée le 6 mars 1978 à la Commission qui, par lettre du 20 février 1979, a fait savoir à Victor Hasselblad que le contrat entrait dans le champ d'application du règlement n° 67-67 de la Commission, du 22 mars 1967 (JO n° 57, p. 849).
(3) Hasselblad (GB) Ltd est une société de droit britannique. Elle a signé un contrat de distribution exclusive avec Victor Hasselblad le 1er janvier 1958. Le 2 décembre 1975, un nouveau contrat, qui n'était pas identique au contrat type notifié à la Commission, a été signé entre les mêmes parties. Ce contrat a été modifié le 20 novembre 1977. Le contrat, tel que modifié, a été notifié à la Commission le 25 janvier 1980.
(4) La requérante a conclu ses propres contrats de distribution au Royaume-Uni pour les appareils photographiques et le matériel Hasselblad. Alors qu'ils étaient environ 26 en 1975, le nombre des revendeurs de la marque au Royaume-Uni était en 1982 de plus de 100. Le "Dealer Agreement" employé par la requérante depuis le 1er janvier 1976 a été modifié le 1er janvier 1979 puis notifié à la Commission en décembre 1979.
(5) Camera Care Ltd est une société ayant son siège social en Irlande du Nord. Ses locaux commerciaux sont à Londres. Camera Care a signé un Dealer Agreement avec la requérante le 7 janvier 1976. Ce contrat a été résilié par la requérante en mai 1978.
(6) Camera Care a déposé plainte auprès de la Commission au sujet des pratiques de Victor Hasselblad et de ses distributeurs exclusifs en affirmant que ces derniers ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité. La Commission a instruit cette plainte et entamé la procédure d'application du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (JO n° 13, p. 204).
(7) Le 2 décembre 1981, la Commission a adressé une décision à Victor Hasselblad et à six de ses distributeurs exclusifs, à savoir la requérante, Ilford (Ireland) Ltd, James Polack APS, Télos SA, Prolux SPRL, Nordic Im-und Export Handelsgesellschaft m.b.H. constatant que la pratique concertée entre ces parties visant à empêcher, à restreindre ou à décourager l'exportation des produits Hasselblad entre les Etats membres de la Communauté européenne constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.
(8) L'article 2 de la décision constate que les contrats de distribution exclusive conclus entre Victor Hasselblad et lesdits distributeurs constituent des infractions à l'article 85, paragraphe 1, dans la mesure où ils concèdent une exclusivité pour la distribution des produits Hasselblad. L'exemption au titre des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, a été refusée.
(9) L'article 3 de la décision précise que le système de distribution sélective pratiqué par la requérante depuis 1974, constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, en raison des clauses 6, 23 et 28 du Dealer Agreement, de la sélection quantitative des revendeurs et de l'influence qu'il permet sur les prix de revente. La demande d'exemption du système de distribution sélective, au titre de l'article 85, paragraphe 3 du traité, a été refusée.
(10) L'article 4 dispose que les entreprises destinataires de la décision sont tenues de mettre fin immédiatement aux violations constatées aux article 1, 2 et 3 et de s'abstenir pour l'avenir de prendre des mesures quelconques ayant le même objet ou effet.
(11) L'article 6 dispose que la requérante est tenue de faire savoir dans les trois mois suivant la réception de la décision et dans une forme préalablement approuvée par la Commission à ses revendeurs, que les livraisons croisées à d'autres revendeurs, de même que les exportations vers d'autres Etats membres ne sont pas interdites et ne doivent pas être empêchées ou découragées par le maintien d'un certain niveau de prix ou de toute autre manière ; aux consommateurs, que le service après-vente qu'il garantit en tant que fabricant s'étend à tous les produits Hasselblad sans distinction.
(12) L'article 7 de la décision dispose que Victor Hasselblad et la requérante sont tenues de ne pas empêcher ou gêner l'accès de Camera Care aux produits Hasselblad.
(13) Une amende de 165.000 Ecus, soit £93,642.12, a été infligée à la requérante (article 8 de la décision).
(14) Le recours vise à l'annulation de l'article 1 de la décision, de l'article 2 en tant qu'il concerne l'accord de distribution entre Victor Hasselblad et la requérante, de l'aticle 3 et de l'article 8 en tant qu'il concerne la requérante.
(15) A l'appui de son recours la requérante avance plusieurs arguments :
1) La décision de la Commission violerait l'article 190 du traité; elle serait insuffisamment motivée en tant que les différents arguments et faits avancés par la requérante n'auraient pas été examinés et que la Commission n'aurait pas indiqué pourquoi elle n'avait pas accepté les arguments et les éléments de preuve avancés par la requérante.
2) La Commission aurait méconnu le marché en cause et, si elle avait pris en considération le marché approprié, elle aurait dû constater que la part du marché qu'occupait la requérante était infime de sorte que, même si le comportement reproché à la requérante était établi, il ne pourrait affecter le commerce entre Etats membres au sens de l'article 85 du traité.
3) La requérante n'aurait jamais participé à une pratique concertée visant à empêcher, à restreindre ou à décourager l'exportation des produits Hasselblad entre les Etats membres de la Communauté.
4) Le contrat de distribution exclusive conclu entre Victor Hasselblad et la requérante ne constituerait pas une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.
5) La système de distribution sélective pratiqué par la requérante ne constituerait pas une infraction à l'article 85, paragraphe 1.
6) En tout cas la Commission ne saurait infliger une amende pour un comportement conforme au contrat de distribution sélective notifié à la Commission avant que cette dernière n'ait formellement refusé une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Enfin, l'amende serait injustifiée quant à son montant.
1. La motivation de la décision
(16) La requérante estime que la décision n'est pas suffisamment motivée parce que la Commission n'aurait pas exposé les motifs qui l'ont amenée à rejeter les thèses avancées par la requérante, et plus particulièrement, parce que la décision passe sous silence une abondance de témoignages présentés par la requérante au cours de la procédure administrative. La décision ne serait donc pas conforme à l'article 190 du traité et devrait être annulée.
(17) A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations qui l'ont amenée à prendre celle-ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui avaient été traités au cours de la procédure administrative.
(18) Dans sa motivation de la décision litigieuse, la Commission a exposé les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle s'est basée. Le moyen tiré d'une motivation insuffisante ne saurait donc être retenu.
2. Le marché en cause
(19) La requérante avance que l'article 85, paragraphe 1, du traité, ne serait pas applicable en l'espèce parce que la part du marché qu'elle occupe serait infime, et par conséquent le comportement qui lui est reproché par la Commission ne pourrait affecter de manière sensible le commerce entre Etats membres. La Commission aurait fondé sa décision sur la constatation que le secteur du marché où Victor Hasselblad exerce son activité est celui des appareils réflex à miroir de format moyen. Cette définition n'engloberait que certains appareils de format moyen, et exclurait tous les appareils 35 mm, quelle que soit leur plus ou moins grande complexité. Certains appareils 35 mm seraient en concurrence effective avec les appareils Hasselblad. Si la Commission avait tenu compte des appareils effectivement concurrents de Hasselblad, elle ne pourrait que constater que la part du marché qu'occupe la requérante était à ce point insignifiante que le commerce entre Etats membres ne pouvait pas être affecté et que dès lors l'article 85, paragraphe 1, n'était pas d'application.
(20) Cette thèse ne saurait être retenue. Il ressort du dossier que Victor Hasselblad a affirmé elle-même en 1978 être le leader mondial dans le secteur des appareils réflex à miroir de format moyen. Dans une lettre adressée à la Commission en décembre 1978, elle avait quantifié sa part de ce secteur à 20-25% en république fédérale d'Allemagne, 25% au Royaume-Uni, 25% en Belgique, 30% en France, 50% en Italie, 50% au Danemark, 50% au Pays-Bas et 50% en Irlande. Il est vrai qu'elle avait ajouté que les appareils Hasselblad étaient en concurrence avec certains appareils 35mm qu'elle a désignés nommément, mais cette circonstance n'est pas de nature à invalider sa propre définition du secteur de ses activités, à savoir les appareils réflex de format moyen.
(21) Il convient de rappeler, comme la Commission l'a fait avec raison, que les appareils Hasselblad sont caracterisés par: 1) le format (film et dimensions de l'image); 2) la qualité de reproduction; 3) la maniabilité (en raison de ses dimensions, de l'encombrement et de sa conception de base, l'image étant vue par le dessus au moyen d'un verre dépoli placé au sommet du boîtier, un appareil Hasselblad ne convient pas lorsqu'on veut prendre des photos dans certaines conditions, par exemple lorsque le sujet est mobile); 4) la gamme d'accessoires. En outre, le prix élevé d'un appareil Hasselblad réduit la clientèle potentielle aux photographes professionnels, utilisateurs commerciaux ou spécialistes, passionnés de photo ou acheteurs de prestige. Il y a lieu d'estimer que seuls les appareils donnant une image et ayant des caractéristiques à peu près semblables ou comparables sont raisonnablement interchangeables et donc entrent en concurrence effective avec un appareil Hasselblad. Les appareils Hasselblad sont presque indispensables pour un grand nombre d'utilisateurs dans les différents Etats membres de la Communauté.
(22) En outre, selon la requérante elle-même, les appareils Hasselblad ont une réputation qui dépasse celle de tout autre appareil photographique disponible dans le monde entier et ils sont vivement recherchés par les photographes professionnels et les amateurs hautement qualifiés. Même si le nombre d'appareils fabriqués par an, environ 20.000 unités, n'est pas tellement grand, leur prix de vente est tel que le chiffre d'affaires de Victor Hasselblad est considérable, et même celui réalisé par la requérante dépasse ...UKL par an. Dans ces conditions, on ne saurait estimer que la restriction des échanges de ces appareils entre Etats membres serait sans effet sensible sur le commerce intracommunautaire.
(23) Le moyen tiré de ce que la part du marché était tellement infime que l'article 85, paragraphe 1, du traité ne serait pas d'application n'est donc pas établi et doit être écarté.
3. La pratique concertée
(24) Pour fonder la constatation d'une pratique concertée en violation de l'article 85 du traité, en ce qui concerne la requérante, la Commission expose dans sa décision qu'entre juin et octobre 1978, une entreprise établie en Irlande du Nord "The Amateur's Nook" aurait reçu livraison d'un lot d'appareils Hasselblad en provenance d'Ilford, le distributeur agréé pour l'Irlande. Une partie de ce lot aurait été revendue à Camera Care. Par voie d'achats tests effectués par la requérante, il aurait été établi que la marchandise en cause avait été fournie en premier lieu à Ilford. En conséquence, Victor Hasselblad se serait plainte auprès d'Ilford. Ilford aurait accepté par lettre du 21 novembre 1978 de ne plus exporter et de renvoyer les acheteurs étrangers se rendant à son siège. Ilford se serait conformée à l'interdiction d'exporter entre novembre 1978 et août 1980. En décembre 1978, la requérante aurait demandé à Ilford le remboursement de frais exposés par elle en raison d'achats tests effectués auprès de Camera Care. Après qu'Ilford eut assuré la requérante qu'elle ferait de son mieux pour éviter des exportations "grises" (parallèles), cette dernière aurait abandonné la demande de remboursement.
(25) Selon la décision, en mai 1978, le propriétaire de Camera Care aurait commandé un lot considérable d'appareils Hasselblad auprès de Télos, distributeur agréé pour la France. Par voie d'achats tests effectués par la requérante, il aurait été établi que cette marchandise provenait de chez Télos. Sur plainte de la requérante, Télos aurait refusé d'autres ventes à Camera Care.
(26) De la même façon, la requérante serait intervenue auprès de Prolux, distributeur agréé pour la Belgique afin d'empêcher des exportations d'appareils Hasselblad de Belgique vers le Royaume-Uni et destinées à Camera Care.
(27) La requérante ne conteste pas que, après la résiliation du contrat de revendeur de Camera Care en 1978, elle a essayé d'empêcher l'approvisionnement de cette dernière en appareils Hasselblad, en s'adressant à Victor Hasselblad, Ilford (Ireland) Ltd, Télos et Prolux. Elle avance que lorsque Camera Care a cessé d'être un revendeur agréé, elle pouvait estimer que les distributeurs et revendeurs agréés ne devaient plus l'approvisionner. Après consultation de son conseil, elle aurait toutefois cessé à partir de septembre 1979 d'essayer d'interdire l'approvisionnement de Camera Care.
(28) La Commission expose, à juste titre, sans être sérieusement contestée, que la requérante avait acheté des appareils, auprès de Camera Care, en décembre 1979, par l'intermédiaire d'un de ses employés, en vue d'établir leur provenance, de sorte qu'il est loisible à la Commission d'estimer que la participation de la requérante à la pratique concertée a duré jusqu'à la fin de 1979.
(29) La participation de la requérante à une pratique concertée visant à restreindre les importations parallèles au Royaume-Uni pendant la période mai 1978 - décembre 1979 est donc établie.
4. Le contrat de distribution exclusive entre Victor Hasselblad et la requérante
(30) Le premier contrat de distribution entre Victor Hasselblad et la requérante date de 1958. Ce contrat comportait une clause interdisant des ventes par la requérante en dehors du Royaume-Uni. Il a été remplacé en décembre 1975 par un nouveau contrat de distribution exclusive, qui ne comportait aucune interdiction d'exportation. A ce titre le contrat pouvait selon ses termes bénéficier de l'exemption par catégorie en vertu du règlement n° 67-67 de la Commission. La Commission expose dans sa décision, toutefois, que le contrat ne bénéficierait pas de cette exemption parce que les contractants auraient pris des mesures en vue d'entraver l'approvisionnement de revendeurs en produits visés au contrat ailleurs dans le marché commun, ce qui rendrait inapplicable, en vertu de l'article 3 du même règlement, l'exemption de l'article 1.
(31) A cet égard, la Commission fait valoir, notamment, le comportement de Victor Hasselblad et de la requérante concernant l'approvisionnement de Camera Care qui a été examiné ci-dessus.
(32) Elle fait valoir, en outre, que la requérante aurait institué une garantie, dite "Silver Service Guarantee", applicable uniquement aux appareils Hasselblad importés au Royaume-uni par l'intermédiaire de la requérante. Tout appareil Hasselblad est garanti par le fabricant pour une période d'un an. Le distributeur exclusif est tenu d'effectuer les réparations nécessaires. La garantie "Silver Service" étend cette période d'un an à 24 mois pour les appareils importés par l'intermédiaire de la requérante. Dans sa publicité la requérante aurait, selon la Commission, offert aux utilisateurs couverts par la garantie "Silver Service" un service de réparation dans les 24 heures, et accorderait une priorité à ces réparations.
(33) Selon la décision de la Commission (point 57), lorsque la requérante effectue des réparations plus rapides lorsque les appareils photographiques sont importés "régulièrement" et qu'elle pénalise ainsi les produits Hasselblad importés parallèlement, on est en présence d'une mesure qui restreint la concurrence.
(34) A cet égard, il y a lieu de rappeler qu'en réponse à une question posée par la Cour, la Commission n'a pu établir que la requérante soumettait les appareils importés parallèlement à des délais de réparation plus longs que ceux pratiqués dans les autres Etats membres pour les mêmes appareils, mais seulement qu'elle réservait à sa propre clientèle des avantages particuliers (réparation dans les 24 heures et une garantie de deux ans). Dans ces conditions, un tel comportement ne peut être regardé comme restreignant l'approvisionnement en appareils importés parallèlement dès lors que ceux-ci bénéficient pleinement de la garantie normale du fabricant que le distributeur est tenu de fournir.
(35) Il y a donc lieu de constater que, si le reproche de la Commission concernant la garantie "Silver Service" n'est pas fondé, la pratique concertée visant à restreindre les importations parallèles destinées à Camera Care étant établie, elle suffit pour rendre inapplicable l'exemption par catégorie du règlement n° 67-67.
(36) La requérante avance encore que la Commission ne lui aurait pas accordé la possibilité de faire connaître son point de vue concernant le contrat exclusif avec Victor Hasselblad. L'article 2 de la décision devrait, dès lors, être annulé. Cet argument ne peut être retenu. Il ressort de la communication des griefs que la Commission a fait savoir à la requérante que le comportement qui lui était attribué par la Commission aurait pour effet de priver le contrat du bénéfice de l'exemption prévue par le règlement n° 67-67.
(37) Dans ces circonstances, la demande en annulation de l'article 2 de la décision en ce qui concerne la requérante doit être rejetée.
5. Le système de distribution appliqué au Royaume-Uni
(38) La décision de la Commission constate dans son article 3 que le système de distribution sélective pratiqué par la requérante, depuis 1974, constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, en raison des clauses 6, 23 et 28 du Dealer Agreement, de la sélection quantitative de revendeurs et de l'influence qu'il permet sur les prix de revente.
(39) La décision expose que la requérante a décidé en 1974 de mettre en place un système de distribution pour les produits Hasselblad. Seuls les détaillants ayant signé le contrat type (Dealer Agreement) seraient agréés comme revendeurs Hasselblad (authorised Hasselblad dealers) et approvisionnés par le distributeur exclusif. Avec effet au 1er janvier 1979 la requérante aurait modifié le Dealer Agreement existant sur certains points. Ce Dealer Agreement modifié aurait été notifié à la Commission le 25 janvier 1980.
(40) Il y a lieu de faire remarquer à cet égard que la clause 6, à laquelle la Commission se réfère, n'existait pas dans les accords conclus avant le 1er janvier 1979. Par conséquent, le reproche concernant cette clause ne peut être retenu pour la période comprise entre 1974 et le 1er janvier 1979. Les clauses 23 et 28 mentionnées dans la décision correspondent aux clauses 22 et 27 contenues dans les accords conclus avant cette dernière date. Si à leur égard une erreur de plume s'est glissée dans la décision, cette erreur n'a pu affecter matériellement la compréhension par la requérante des reproches qui lui sont adressés. Pour la période comprise entre 1974 et le 1er janvier 1979, la décision de la Commission doit être entendue comme se référant aux clauses 22 et 27 des accords antérieurs. L'examen du système de distribution doit dès lors être fait à la lumière de ces observations.
(41) La Commission critique notamment les dispositions suivantes du Dealer Agreement, tel que modifié en 1979, estimant qu'elles violent l'article 85, paragraphe 1, du traité :
a) sa clause 6 a) qui dispose qu'il est en toutes circonstances interdit à un détaillant de livrer des produits Hasselblad à d'autres détaillants en appareils photographiques, que ceux-ci soient établis au Royaume-uni ou à l'étranger ("or elsewhere"), sans l'accord préalable de la requérante;
b) sa clause 23 c) qui oblige, notamment, le détaillant à retirer et à ne pas renouveler toute annonce ou publicité contre laquelle la requérante a fait des objections par écrit;
c) sa clause 28, selon laquelle la requérante est en droit de résilier l'accord sans préavis, si le revendeur n'en respecte pas une des clauses ou s'il transfère son magasin sans l'autorisation écrite préalable de la requérante, le revendeur étant tenu d'informer immédiatement la requérante d'un tel transfert.
(42) Pour justifier sa position, la Commission fait valoir que sa pratique et la jurisprudence de la Cour auraient reconnu la nature anticoncurrentielle des clauses telles que la clause 6 ; l'interdiction de livraisons croisées restreindrait la concurrence étant donné qu'elle réduit serieusement la liberté économique des revendeurs agréés et qu'elle conduit à une dépendance complète de ceux-ci.
(43) Le pouvoir, prévu à la clause 23 du Dealer Agreement, d'exiger du détaillant qu'il fasse cesser la publication d'annonces dans la presse et d'autres mesures de publicité et qu'il s'abstienne de les renouveler, équivaudrait à un droit de censure a posteriori en faveur de la requérante, ce qui permettrait à la requérante d'interdire des mesures publicitaires de détaillants particulièrement actifs sur le plan de la concurrence et des prix, plus particulièrement ceux qui importaient mais non par l'intermédiaire des distributeurs exclusifs de Victor Hasselblad.
(44) En ce qui concerne l'admission de revendeurs au réseau de distribution, la décision expose qu'une des caractéristiques de la politique de commercialisation de la requérante est de ne pas donner accès aux produits Hasselblad à tous les détaillants qualifiés. Elle estime que le but poursuivi par la clause 28 est de permettre à la requérante de fermer son réseau de distribution à des revendeurs qui remplissent toutes les conditions prévues dans le cadre du système de distribution, empêchant ainsi toute concurrence potentielle sur le territoire concédé aux détaillants agréés; le choix des revendeurs ne s'opèrerait donc pas, ou pas uniquement, sur la base des critères objectifs de caractère qualitatif, mais sur la base de l'appréciation quantitative portée par la requérante. A cet égard, la décision expose (point 35) que la requérante aurait déclaré à la Commission en février 1980 qu'elle ne pouvait agréer un revendeur qui réalisait des importations parallèles de produits Hasselblad parce que, dans un tel cas, elle n'aurait aucun contrôle sur les produits commandés.
(45) La requérante avance que l'interdiction de vente contenue dans la clause 6 du contrat n'avait pas pour but de restreindre les exportations. Les mots "or elsewhere" dans cette clause auraient été insérés par l'avocat de la requérante, et la requérante ne les aurait jamais interprétés dans le sens indiqué par la Commission. En effet, elle n'aurait jamais pris de mesures tendant à freiner les exportations par ses revendeurs.
(46) Il y a lieu de faire remarquer que le contrat interdit la vente des appareils Hasselblad à d'autres revendeurs, même agréés, que ceux-ci soient établis au Royaume-Uni ou ailleurs ("or elsewhere"). Comme la Commission le remarque à juste titre, une interdiction de vente entre revendeurs agréés constitue une limitation à leur liberté économique, et par conséquent une restriction de la concurrence. En outre, la circonstance que la requérante n'aurait jamais freiné les exportations par ses revendeurs ne suffit pas pour écarter une interdiction claire d'exporter.
(47) En ce qui concerne la clause 23, la requérante fait valoir que la Commission aurait ignoré les moyens de preuve résultant du Dealer Agreement lui-même ainsi que d'autres publications Hasselblad qui montreraient l'importance attachée à un programme publicitaire commun de haut niveau. Ce serait ainsi que la clause 22(b) prévoirait que "le revendeur doit à tout moment, promouvoir activement la vente de produits Hasselblad.... et attirer par tous les moyens l'attention sur la réputation et la renommée du fabricant, de la société et du revendeur". L'article 23 n'aurait pas d'autre objectif que de maintenir un haut niveau de qualité concernant la publicité des produits Hasselblad.
(48) A cet argument la Commission répond que l'explication donnée par la requérante serait contraire à son véritable comportement. Une lettre du 25 janvier 1978, adressée par la requérante à son avocat (lettre que la requérante elle-même a présentée à la Commission), aurait précisé qu'une annonce publicitaire de Camera Care créait des problèmes en raison des prix de vente annoncés (strictly on prices). L'annonce en cause comportait les expressions "We will match any price", "Match any price" et "Unbeatable prices".
(49)S'il est vrai qu'en l'occurrence la requérante a préféré résilier l'accord conclu avec Camera Care, il est évident qu'elle s'occupait des termes d'annonces publicitaires concernant les prix de vente, et que la clause litigieuse a été rédigée de manière à permettre à la requérante d'interdire de telles annonces. La décision de la Commission était donc fondée en ce qui concerne la clause 23.
(50) En outre, il n'est pas contesté par la requérante que le nombre de revendeurs agréés est limité. Dans la lettre qui accompagnait la notification du Dealer Agreement, il est dit que la requérante était prête à agréer tout revendeur qualifié, à condition, cependant, que si, dans une région limitée, il y avait était déjà un grand nombre de revendeurs, elle se réservait le droit de ne pas agréer un nouveau revendeur pour éviter que les conditions qualitatives ne puissent plus être maintenues par les revendeurs. La requérante expose comme motif de cette limitation que le revendeur est tenu d'avoir un certain stock d'appareils et que si un grand nombre de revendeurs était agréé, les possibilités de vente de certains deviendraient telles que le bénéfice qu'ils pourraient en tirer ne justifierait pas le maintien du stock demandé. Elle ne conteste pas l'affirmation contenue dans la décision qu'elle ne pouvait agréer un revendeur qui réalisait des importations parallèles.
(51) La Commission était fondée à en déduire que la requérante opérait un choix non seulement qualitatif mais également quantitatif, d'autant plus qu'il est constant que parmi 2000 détaillants d'appareils photographiques au Royaume-Uni seulement environ 100 sont agréés. La clause 28 du Dealer Agreement permettait en effet à la requérante de limiter la possibilité pour un revendeur, même agréé, de s'établir dans un lieu où elle estimait que sa présence serait susceptible d'influencer la concurrence entre revendeurs.
(52) La Commission était donc fondée à constater que les clauses 22 et 27 du Dealer Agreement en vigueur avant le 1er janvier 1979, et les clauses 6, 23, et 28 du Dealer Agreement tel que modifié à partir du 1er janvier 1979, et les critères de sélection de revendeurs constituent des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité.
(53) Pour autant que la décision constate que la clause 6 du Dealer Agreement constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité pendant la période comprise entre 1974 et 1er janvier 1979, elle doit être annulée.
Concernant l'amende
(54) La requérante soutient que, même s'il était établi qu'elle avait pris part à la pratique concertée qui lui est reprochée concernant la restriction du commerce entre Etats membres, la Commission ne pourrait lui infliger une amende de ce chef. Le contrat de 1958 entre Victor Hasselblad et ses autres distributeurs exclusifs dans les autres Etats membres aurait été notifié à la Commission en 1965, et la Commission ne pourrait, en vertu de l'article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17 infliger une amende pour des agissements postérieurs à cette notification et antérieurs à la décision par laquelle la Commission accorde ou refuse l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, pour autant qu'ils restent dans les limites de l'activité décrite dans la notification.
(55) Cet argument ne peut être retenu. A l'époque où se situent les pratiques concertées litigieuses, la requérante n'était plus partie à l'accord notifié, mais était liée par un accord datant de 1975 ne comportant pas de clause limitant l'exportation ou l'importation. Elle ne saurait donc se prévaloir de la notification d'un accord auquel elle n'était plus partie pour échapper à l'amende.
(56) La requérante soutient en dernier lieu que le montant de l'amende serait disproportionné aux infractions constatées, et notamment à l'amende infligée à Victor Hasselblad compte tenu de leurs chiffres d'affaires respectifs.
(57) A cet égard, il y a lieu de faire remarquer que le montant de l'amende est fixé en fonction de diverses circonstances, entre autres la gravité de l'infraction et la durée de celle-ci. Le chiffre d'affaires de l'entreprise n'est qu'un des éléments qui peuvent être pris en considération. La pratique concertée constatée par la Commission visait à écarter toute importation au Royaume-Uni des appareils Hasselblad destinés à Camera Care et à ce titre constituait une violation flagrante des règles de concurrence du traité. Toutefois, il apparaît que la Commission a fixé l'amende en fonction de diverses considérations, parmi lesquelles le fait que la pratique de la requérante concernant la garantie "Silver Service" violait des règles de concurrence, et qu'elle avait retardé la réparation d'appareils importés parallèlement, ce que la Commission n'a pas établi dans la procédure devant la Cour. En outre, l'article 3 de la décision doit être annulé par la Cour sur un point et en ce qui concerne une certaine période. Par conséquent, les infractions constatées ne sont retenues qu'en partie. A cette circonstance s'ajoute le fait que la requérante n'est pas une entreprise de grande taille. Dans ces circonstances, la Cour décide de ramener l'amende de 165.000 Ecus à 80.000 Ecus.
Sur les dépens
(58) Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, première alinéa, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.
(59) Chacune des parties ayant succombé sur certains chefs, il y a lieu de compenser les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR déclare et arrête :
1. La décision de la Commission est annulée pour autant qu'elle constate que la clause 6 du Dealer Agreement constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité pendant la période comprise entre 1974 et le 1er janvier 1979.
2. L'amende infligée à la requérante est ramenée à 80.000 Ecus, soit 45 218,18 livres sterling.
3. Pour le reste, le recours est rejeté.
4. Chaque partie, y inclus la partie intervenante, supportera ses propres dépens.