Livv
Décisions

CCE, 7 octobre 1981, n° 81-969

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Michelin

CCE n° 81-969

7 octobre 1981

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 86, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 3 et 15, vu la demande présentée à la Commission le 29 juillet 1977, conformément à l'article 3 du règlement n° 17, par la société Bandengroothandel Frieschebrug BV établie à Alkmaar, Pays-Bas, visant à constater une infraction à l'article 86 du traité, vu la décision, prise par la Commission le 19 février 1980, d'engager la procédure dans cette affaire, après avoir entendu les entreprises intéressées conformément à l'article 19 du règlement n° 17 et aux dispositions du règlement n° 99-63 de la Commission du 25 juillet 1963 (2), vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli, conformément à l'article 10 du règlement n° 17, les 19 et 20 mai 1981, considérant les points de fait et de droit suivants :

I LES FAITS

1. La procédure porte sur certains aspects de la politique commerciale de la société NV Nederlandsche Banden-Industrie Michelin (ci-après dénommée " NBIM ") sur le marché néerlandais des pneumatiques neufs de remplacement pour camions et autobus, jusqu'en 1980 inclusivement.

A. Principales caractéristiques du marché des pneumatiques

2. L'industrie du pneu comprend la production d'enveloppes intérieures et extérieures ainsi que la rénovation de la bande de roulement de pneumatiques usagés. Il ne sera question, dans ce qui suit, que des enveloppes extérieures. Il convient de distinguer plusieurs catégories de pneumatiques, selon les véhicules auxquels ils sont destinés :

- pneumatiques légers pour voitures de tourisme,

- pneumatiques pour camionnettes de livraison et camions légers,

- pneumatiques lourds pour camions et autobus,

- pneumatiques pour tracteurs agricoles, engins de construction routière et de terrassement, aéronefs, etc.

La différence entre ces catégories de pneumatiques s'exprime aussi dans le prix à l'unité qui, pour les dimensions les plus courantes, est plus de cinq fois supérieur pour les camions et autobus que pour les voitures de tourisme.

Chaque catégorie de pneumatiques comprend un grand nombre de types, qui diffèrent en qualité, en profil et en dimensions. Le choix d'un type de pneumatique est évidemment déterminé pour l'essentiel par la catégorie de véhicules et l'usage auxquels il est destiné.

3. Le marché des pneumatiques comporte deux secteurs qu'il convient de distinguer clairement : le marché du pneu de premier équipement et celui du pneu de remplacement. La vente des pneus de premier équipement s'effectue, sans intermédiaire, directement par le producteur de pneumatiques au constructeur d'automobiles. En revanche, sur le marché du pneu de remplacement, la vente au consommateur final se fait principalement par l'intermédiaire d'un grand nombre d'entreprises commerciales spécialisées. Sur le marché néerlandais du pneu de remplacement, 65 à 70 % des pneumatiques destinés aux voitures de tourisme et camionnettes de livraison et 85 à 87 % des pneumatiques destinés aux camions et autobus sont écoulés par leur entremise. Ces revendeurs sont en général fournis directement par les fabricants ou par les importateurs officiels.

4. Les besoins en pneus pour camions et autobus ne sont pas couverts uniquement par l'offre de pneumatiques neufs. En effet, lorsque les carcasses des pneumatiques usagés sont encore en bon état, il est possible de les pourvoir d'une nouvelle bande de roulement qui peut pratiquement doubler la durée de vie de ces pneumatiques. Dans certains cas, cette opération de rénovation peut être répétée. Elle est effectuée non seulement par les fabricants de pneus eux-mêmes (ainsi, en France, Michelin est la principale entreprise de rechapage de pneumatiques lourds), mais aussi par un grand nombre d'entreprises spécialisées. Ces dernières achètent des carcasses en bon état pour les rénover et les revendre pour leur propre compte ou effectuent le rechapage pour le compte d'un transporteur qui leur fournit des carcasses à rechaper provenant de son propre parc de véhicules. Le transporteur souhaite les récupérer munies d'une nouvelle bande de roulement.

5. Au total, les pneumatiques actuellement utilisés par les entreprises de transport établies aux Pays-Bas se composent d'un nombre environ égal de pneus neufs et de pneus rénovés. La Commission a constaté que ceci ne signifie pas que ces deux catégories de pneumatiques soient considérées comme parfaitement substituables. Aux yeux de beaucoup d'usagers, l'utilisation d'un pneu dont la bande de roulement a été renouvelée comporte, sur le plan de la sécurité, certains risques auxquels ils ne veulent pas s'exposer. C'est la raison pour laquelle les transporteurs se fixent souvent des limites, notamment en ce qui concerne l'utilisation de tels pneumatiques sur l'essieu avant ou l'essieu moteur, de même que pour les transports à grande distance ou pour l'acheminement de marchandises très périssables.

L'attitude des transporteurs vis-à-vis des pneus rechapés se reflète d'ailleurs dans le prix de ces pneumatiques, qui (en dépit d'un kilométrage utile comparable en cas de bonne utilisation) est inférieur de 40 % au moins à celui d'un pneu neuf. En admettant que cette différence de prix importante amène une majorité de transporteurs à recourir davantage aux pneus rénovés, une telle pratique a des limites, puisque le nombre de pneumatiques susceptibles de rechapage est évidemment fonction du nombre de pneus usagés dont l'état permet encore un tel traitement. C'est pourquoi la possibilité de proposer systématiquement, à la place de pneus neufs, des pneus rechapés (par exemple, des Remix de Michelin) à un prix intéressant, a des limites évidentes.

6. Au cours de ses investigations, la Commission a pu constater que les entreprises calculent le coût d'un pneu lourd sur la base du prix d'achat, du kilométrage parcouru et de la valeur résiduelle de la carcasse lors d'une revente éventuelle. Ceci signifie en fait que, pour calculer le prix de revient d'un pneumatique de camion ou d'autobus, on tient normalement compte de plusieurs phases dans la " vie " de ce pneu : une première phase en tant que pneu " neuf " puis une ou parfois deux phases en tant que pneu " rénové ". En effet, comme le prix d'un pneu rénové est très inférieur à celui d'un pneu neuf, le rechapage fait baisser le prix de revient total du pneumatique par kilomètre calculé sur sa durée de vie normale. Sur le plan pratique, il en résulte notamment que le transporteur veut avoir la certitude de recevoir en retour, après rechapage, les carcasses des pneumatiques qu'il a achetés à l'état neuf et qu'il estime avoir utilisés dans des conditions optimales au cours de la première phase. Il considère donc que les carcasses en bon état restent sa propriété et ne les confie à une entreprise de rechapage qu'en spécifiant le numérode matrice pressé sur le flanc du pneu. Il peut ainsi vérifier qu'il reçoit en retour ses propres pneumatiques après rénovation, et non d'autres pneus pouvant présenter des vices insoupçonnés. Dans de tels cas, l'entreprise de rechapage semble donc jouer le rôle d'un prestataire qualifié de services qui n'a aucun lien avec le secteur de la vente de pneumatiques. L'entremise du revendeur est possible, mais elle n'est pas essentielle : s'il intervient, c'est uniquement entre le transporteur et l'entreprise de rechapage. Aux Pays-Bas, plus de la moitié des rechapages de pneumatiques usagés se fait sur commande directe du transporteur. C'est ainsi que les transporteurs-témoins présents à l'audition, auxquels la question fut posée, déclarèrent qu'ils faisaient rechaper leurs pneus sur commande et n'achetaient pas de pneus rechapés sur le marché libre.

7. Pour l'exercice de leurs activités, les revendeurs de pneumatiques dépendent donc d'un approvisionnement régulier en pneus neufs. Celui-ci ne peut être remplacé ou ne peut l'être que de façon très insuffisante par la fourniture de pneus rechapés. Pour le revendeur, il est essentiel de pouvoir offrir à sa clientèle une gamme suffisamment vaste de pneumatiques neufs, quelles que soient la quantité et la variété de pneus rechapés éventuellement disponibles.

8. Sur le plan géographique, le marché de remplacement peut être décrit comme le lieu de rencontre entre l'offre et la demande de pneus de remplacement destinés à être revendus au consommateur final. A cet égard, il convient de noter que dans la Communauté économique européenne les fabricants exercent principalement leurs activités sur les divers marchés nationaux par l'intermédiaire de filiales qu'ils ont créées en vue de l'approvisionnement du marché concerné. Sans pour autant être négligeable, le commerce de pneumatiques entre Etats membres de la Communauté ainsi qu'avec certains pays tiers consiste essentiellement en fournitures entre les diverses unités de production et de vente des fabricants eux-mêmes. Plusieurs facteurs, parmi lesquels il faut mentionner les différences de prix entre les marchés des Etats membres de la Communauté, ont occasionné, pour certains types de pneus (notamment pour les pneus Michelin) des exportations " parallèles " à destination et des importations " parallèles " en provenance d'autres marchés nationaux. Ces flux ne portent cependant que sur des quantités relativement limitées et revêtent en outre un caractère trop occasionnel pour pouvoir être considérés comme significatifs dans la situation actuelle du marché. En dépit de l'existence de certains courants commerciaux " parallèles ", les revendeurs néerlandais continuent donc à dépendre, pour leur approvisionnement régulier en pneus Michelin, de la filiale créée par le fabricant dans ce pays, à savoir la société NBIM. Celle-ci ne tient d'ailleurs compte, dans les rabais qu'elle accorde sur les ventes de pneus Michelin, que des quantités acquises par le détaillant par son intermédiaire. Pour cette entreprise, c'est donc le marché néerlandais qui apparaît, sur le plan géographique, comme le marché concerné.

9. En ce qui concerne la structure générale de l'industrie des pneumatiques, on peut notamment observer que sa concentration horizontale est très forte dans le monde entier. Le marché européen est dominé par quatre producteurs : le groupe Michelin-Kléber-Colombes, le groupe Continental-Uniroyal, le groupe Dunlop-Pirelli - récemment dissout - et la société américaine Goodyear. L'une des concentrations les plus remarquables au cours des dernières années a été la reprise des intérêts européens de la société américaine Uniroyal par l'entreprise allemande Continental Gummi en 1979. La même année, Michelin a repris les actions Kléber-Colombes qu'il avait apportées en 1973 dans Semkler, entreprise commune formée par le fabricant autrichien de pneumatiques Semperit et Kléber-Colombes. Ceci a pour conséquence que cette entreprise commune a été dissoute et que Semperit est redevenu un producteur indépendant. Quant à Kléber-Colombes, après l'échec d'une autre tentative de regroupement avec Continental-Uniroyal en 1980, ses activités devaient être réorganisées au sein du groupe Michelin.

Trois fabricants seulement ont des unités de production aux Pays-Bas : Michelin, Vredestein et Goodyear, ce dernier sur une échelle très réduite. Michelin est la seule de ces entreprises qui y fabrique des pneus pour camions.

10. La concentration horizontale s'accompagne d'une intégration verticale en ce sens que les fabricants de pneumatiques contrôlent de plus en plus les circuits de distribution. Aux Pays-Bas, Vredestein, Goodyear et Firestone ainsi que l'entreprise de rechapage UBO, depuis le début des années 1970, se sont assurés la propriété ou le contrôle d'un certain nombre de points de vente (30, 14, 2 et 11 respectivement). A son tour, NBIM a, depuis juillet 1977, adopté cette politique, associant à ses activités la société NV Actor, après la reprise de celle-ci par Hardinge Investment Ltd, qui appartient au groupe Michelin. Actor possède actuellement, sous le nom de " TS Sterband " vingt-huit points de vente de pneus neufs et rénovés et effectuait elle-même le rechapage jusqu'au début de 1980, par l'intermédiaire de sa filiale Tyresoles.

11. En ce qui concerne l'évolution du marché des pneumatiques, il convient encore de constater que, sur le marché de remplacement, après une croissance rapide jusqu'en 1973, on a observé un recul. Les difficultés qui en sont résultées n'ont évidemment pas manqué d'avoir des conséquences pour le commerce spécialisé et se sont traduites par un fléchissement du chiffre d'affaires et des marges bénéficiaires, ainsi que par une concurrence accrue.

B. La position de NBIM

12. La société NV Nederlandsche Banden Industrie Michelin (NBIM) à Amsterdam (Pays-Bas) est une filiale (à 99 %) de la Compagnie financière Michelin, créée en 1960 à Bâle (Suisse), qui est elle-même une filiale (à 99 %) de Compagnie générale des établissements Michelin à Clermont-Ferrand (France).

Avec un chiffre d'affaires total de 24 milliards de francs français en 1979, le groupe Michelin est l'un des principaux fabricants de pneumatiques. Sur le marché mondial, il nest dépassé que par la société Goodyear; dans la Communauté économique européenne, il occupe la première place.

13. Michelin a lancé le pneu à carcasse radiale en 1948 et reste, jusqu'à ce jour, le premier fabricant du monde pour ce produit. Les pneumatiques fabriqués par Michelin se caractérisent par l'utilisation à grande échelle de fil d'acier. Dans ce domaine aussi, Michelin a fait œuvre de pionnier et est le principal producteur au monde. Michelin est également le plus grand producteur français de roues pour voitures de tourisme et camions.

Bien que les brevets d'origine pour le pneu à carcasse radiale aient expiré depuis quelques années et que des licences aient été concédées à partir de 1956 à d'autres producteurs, Michelin dispose toujours d'un savoir-faire particulier.

Le groupe Michelin a une avance indiscutable en ce qui concerne les vastes investissements spécialisés qu'il a été en mesure de réaliser dans ce domaine grâce à l'importance de ses moyens financiers. Il n'a pas cessé de mener une politique active de recherche et d'innovation. C'est ainsi que la marque Michelin recouvre actuellement une gamme très étendue de pneumatiques de sorte qu'un produit très différencié est offert et que des catégories des clients toujours nouvelles sont touchées. Cette gamme est plus importante que celle qui est proposée, aux Pays-Bas, par les autres fabricants.

Plusieurs concurrents ont réussi à combler une partie de leur retard et offrent actuellement un produit comparable en qualité et en prix au pneu Michelin. Il apparaît néanmoins qu'une certaine préférence subsiste, chez les utilisateurs, pour les produits de cette marque. Cette attitude s'explique par plusieurs raisons, telles que l'avance considérable qui avait été prise par Michelin et, pour les camions, par le fait que quelques années d'usage sont nécessaires pour que l'utilisateur puisse se faire une opinion précise sur la fiabilité et le prix de revient d'un pneumatique. Ceci confère évidemment à une marque bien établie une position solide pendant longtemps.

14. La société NBIM est chargée de la production et de l'écoulement des pneumatiques Michelin aux Pays-Bas. Elle dispose d'une usine à Bois-le-Duc qui fabrique entre 450 000 et 500 000 pneus neufs pour camionnettes de livraison et camions par an, y compris la production destinée à d'autres pays. Elle emploie environ 1 600 travailleurs et a réalisé en 1980 un chiffre d'affaires global de quelque 455 millions de florins néerlandais.

15. Sur le marché néerlandais des pneumatiques neufs de remplacement pour camions et autobus, NBIM occupe de loin la première place. Ainsi qu'il résulte du tableau I, au cours de la période 1975-1980, 57 à 65 % environ des pneumatiques neufs pour camions et autobus vendus aux Pays-Bas sur le marché du remplacement portent la marque Michelin.

EMPLACEMENT TABLEAU

Dans ce tableau, composé à partir de chiffres provenant de fabricants et d'importateurs, il n'est pas tenu compte des chiffres, difficiles à établir, correspondant aux pneus importés par voie " parallèle ". Il s'agit, selon une estimation qualifiée, de plusieurs milliers d'unités, principalement de marque Michelin, ce qui augmente encore la part de marché de cette marque.

Les parts de marché des cinq principales marques concurrentes sont beaucoup plus modestes et s'échelonnent entre 4 et 8 % seulement. Trois de ces plus grands concurrents, qui s'attribuent ensemble 17 à 18 %, fabriquent leurs propres pneus lourds dans d'autres pays membres. Les autres entreprises établies dans ces pays n'ont que quelques pourcent de part de marché, de sorte qu'au total 25 à 28 % des pneus lourds, qui sont en concurrence avec le pneu Michelin sur le marché néerlandais du pneu de remplacement, proviennent d'autres pays membres de la Communauté.

16. En ce qui concerne les pneus rechapés, la part de NBIM est passée de 6 % en 1975 à 18 % en 1979 comme il ressort du tableau II.

EMPLACEMENT TABLEAU

(*) Source: VACO. Par ailleurs, à la fin de 1977, NBIM a pris le contrôle de l'importante entreprise de rechapage Tyresoles (contrôle qu'elle a de nouveau abandonné en avril 1980). Ceci a permis à Michelin d'acquérir une part supplémentaire de quelque 20 % du marché des pneumatiques rechapés montés aux Pays-Bas, de sorte que, à cette époque, Michelin contrôlait directement ou indirectement près d'un tiers du marché néerlandais des pneumatiques lourds rechapés.

17. Sur le marché néerlandais des pneumatiques neufs de remplacement pour voitures de tourisme, Michelin se trouve également en tête, avec une part de marché d'un tiers environ. La part de ses sept principaux concurrents varie entre 5 et 13 %.

18. Tout comme les autres fabricants, NBIM écoule ses pneumatiques sur le marché néerlandais à des prix publiés dans des tarifs qui sont connus de tous. Une comparaison des prix pratiqués en 1977-1978 par divers fabricants fait apparaître que les prix bruts des pneumatiques Michelin étaient comparables à ceux des pneumatiques des principaux concurrents. D'après des renseignements provenant des milieux spécialisés, la situation est cependant différente en ce qui concerne les prix de vente nets aux revendeurs. La remise totale moyenne consentie par NBIM aux revendeurs est en effet considérablement inférieure à celle accordée par ses concurrents. Il en résulte que, pour le revendeur, les pneus Michelin sont d'environ 10 à 15 % plus chers à l'achat que les pneumatiques des autres marques. Ceci ne permet cependant pas de faire des comparaisons concluantes quant au prix de vente des divers pneumatiques au consommateur final ni quant au prix de revient relatif au kilomètre.

19. NBIM dispose d'un important service commercial et technique. Ses délégués (au nombre de 50 environ) visitent régulièrement l'ensemble des revendeurs des pneumatiques, ainsi que les utilisateurs de pneus pour camions (les principaux utilisateurs sont visités environ une fois par mois). Pour pouvoir organiser ces visites, NBIM cherche à connaître exactement la destination finale des pneumatiques lourds dont les revendeurs lui passent commande. Les délégués de NBIM visitent régulièrement les utilisateurs de leur propre initiative, sans en informer les revendeurs et sans attendre une demande en ce sens de la part des revendeurs ou des utilisateurs. Le but principal de leur démarche est de promouvoir l'écoulement et donc la vente de pneus Michelin. Du reste, ils ont pour consigne, à cet égard, de coopérer avec le commerce. Lors de leurs visites, les représentants fournissent des indications techniques, par exemple sur le type de pneumatiques à utiliser, sur la méthode exacte de montage et sur la pression. Ils exercent sur place un contrôle technique sur les pneus et sur l'état des véhicules; ils acceptent aussi des commandes - en indiquant évidemment le prix net - qu'ils passent ensuite à un revendeur. Ils ont également pour mission, lorsqu'ils contrôlent le parc des véhicules, d'établir un inventaire aussi détaillé que possible des marques concurrentes qu'ils rencontrent. Ces visites ont évidemment pour but de donner à NBIM une connaissance du marché, parallèlement à celle que possède le commerce spécialisé, qui soit directement utile au fabricant.

Par ailleurs, NBIM dispose aussi d'un service technique spécialisé qui compte une dizaine de personnes et auquel tout utilisateur de pneus Michelin peut faire appel pour la solution de certains problèmes techniques complexes.

C. Le comportement litigieux

20. Dans ses rapports avec les revendeurs de pneumatiques, NBIM a mené au cours des années sur lesquelles porte la présente décision une politique de prix et de ristournes caractérisée notamment par les éléments suivants:

- publication d'un prix de base dans des tarifs,

- octroi d'une ristourne immédiate et générale sur facture,

- octroi d'autres ristournes qui sont en partie fixées individuellement pour chaque détaillant,

- fixation d'un chiffre d'achat souhaité (" objectif ") qui sert de base à la fixation de ces ristournes,

- absence de confirmation écrite des " objectifs " et des ristournes.

a) Le système de ristournes

21. Ce système comprend tout d'abord un élément fixe, à savoir la ristourne sur facture, qui est déduite directement du montant de la facture et dont le revendeur a donc immédiatement la jouissance. Il comporte en outre un élément variable consistant dans diverses ristournes.

22. Jusqu'en 1977 inclusivement, la ristourne sur facture pour les pneus de camion et d'autobus était de 15 % ; elle a été portée à 22,5 % en 1978 et à 30 % en 1979. Elle était annoncée par écrit sous forme de circulaire, aux revendeurs au début de chaque année civile et était donc connue de tout le monde.

Dans cette même circulaire, il est dit que des conditions supplémentaires seront discutées lors d'une visite d'un délégué de NBIM. Il s'agit de diverses formes de ristournes qui s'ajoutent à la ristourne sur facture et qui sont communiquées verbalement aux revendeurs. En ce qui concerne les pneumatiques pour camions, il s'agit essentiellement d'une ristourne annuelle qui, jusqu'en 1977, variait entre 10 et 22 %. Pour plus des trois quarts des pneus lourds vendus par NBIM, la ristourne se situait dans les zones de pourcentage supérieures, à l'intérieur d'une fourchette de 3 %. Parallèlement à la très forte majoration de la ristourne sur facture, la ristourne annuelle a été ramenée à un taux compris entre 1 et 5 % en 1978 et entre 0 et 2 % en 1979. A titre d'acompte sur la ristourne annuelle, les détaillants recevaient jusqu'en 1977 une avance mensuelle sur ristourne qui variait entre 5 et 18 % selon les revendeurs. Cette avance était généralement de 4 à 6 % moins élevée que la ristourne annuelle. Elle était très importante pour les revendeurs en raison du niveau peu élevé de la remise sur facture jusqu'en 1979. En 1978, l'avance sur ristourne a été remplacée par une ristourne mensuelle automatique de 3 à 10 %. Celle-ci a cependant été supprimée en 1979, au moment où NBIM a introduit une ristourne quadrimestrielle de 0 à 3 % s'ajoutant à la ristourne annuelle. En plus, pendant toutes les années considérées, un escompte de 2 % était accordé pour paiement " comptant ", c'est-à-dire dans les délais convenus.

Toutes les ristournes ainsi que l'escompte pour paiement comptant étaient calculés, jusqu'en 1979, sur le montant facturé, c'est-à-dire sur la base du tarif après déduction de la remise sur facture. A partir de 1979, les ristournes sont calculées exclusivement sur la base du prix tarif, sauf l'escompte pour paiement comptant qui est toujours calculé sur le prix facturé.

Au total, le montant des remises qu'un revendeur pouvait obtenir auprès de NBIM a légèrement augmenté depuis 1975. Le tableau ci-dessous donne un aperçu de l'évolution des ristournes.

EMPLACEMENT TABLEAU

Il convient de souligner que, pendant la même période, le rabais sur facture accordé automatiquement par les autres fabricants de pneus s'élevait de 40 à 60 %, auquel s'ajoutait parfois à la fin de l'année une prime annuelle de quelques pourcentages. Normalement, ce rabais annuel était connu d'avance et n'était pas utilisé comme un objectif de vente individualisé. Ainsi, il n'avait pas du tout le caractère d'un rabais de " fidélité ". Cette politique de rabais, poursuivie par tous les autres fabricants, était très différente du système utilisé par NBIM décrit plus bas.

23. Le niveau des ristournes était fixé individuellement pour chaque revendeur en fonction des efforts qu'il consacrait à la distribution des pneus Michelin et qui se traduisaient par une augmentation (ou, en conjoncture difficile, par un maintien) de ses achats auprès de la société NBIM. Celle-ci applique un certain nombre de critères à savoir, d'une part, les ventes potentielles estimées du revendeur et, d'autre part, sa propre part dans ces ventes. Cette façon d'agir apparaît le plus clairement dans les fiches de clients 1975-1976, dans lesquelles la part des pneus Michelin dans le total des pneus vendus par le revendeur est calculée, ce que NBIM appelait à l'époque " température Michelin ". Par la suite, le calcul du pourcentage " Michelin " dans le total des achats de pneus neufs reste prescrit, le terme " température " étant cependant évité.

24. Le paiement de la ristourne annuelle et de la ristourne quadrimestrielle introduite en 1979 est lié à la réalisation d'un " objectif ", négocié au début de chaque année, d'achats de pneus Michelin. Ceci ressort clairement des aperçus des ristournes accordées aux revendeurs et des fiches de clients qui ont été transmises à la Commission, ainsi que de la correspondance avec un certain nombre de revendeurs spécialisés. Par ailleurs, la Commission a constaté que, plusieurs fois, l'avance sur ristourne et la ristourne mensuelle fixe étaient versées en fonction du chiffre de ventes annuel attendu, spécifié dans l'" objectif " pour certains types de pneumatiques pour camions. Au cas où le volume des ventes n'évoluerait pas dans le sens favorable prévu, NBIM se réservait le droit de modifier les conditions d'octroi des ristournes et-ou de réclamer la restitution d'avances déjà perçues. Seule NBIM savait dans quelles proportions. Par ailleurs, la ristourne pouvait être majorée lorsque le revendeur dépassait son " objectif ". En général, les rencontres entre le délégué de NBIM et le revendeur jouent ici un rôle important. Ainsi, pendant les derniers mois de l'année, le délégué est chargé d'attirer l'attention du revendeur sur les avantages que lui procurerait une dernière commande avant la fin de l'année et sur ce qu'il perdrait en ne la passant pas. Parfois, son attention est également attirée sur la possibilité qui lui est offerte de toucher le montant de la ristourne annuelle, par exemple, pour les six premiers mois de l'année, s'il réalise à la fin du mois de juin, la moitié de l'" objectif " annuel. Les commandes supplémentaires souvent nécessaires dans ce cas peuvent alors être financées par le montant de la note de crédit à recevoir.

Jusqu'en 1978, c'était généralement une série progressive de trois " objectifs " qui était fixée, à laquelle correspondait une série progressive elle aussi, de ristournes. Ces séries étaient en général fixées de telle sorte que l'" objectif " le plus élevé indiqué pour une année déterminée dépassait le volume des achats réalisés au cours de l'année précédente, alors que, dans la plupart des cas, la ristourne correspondante n'augmentait pas. Le détaillant était ainsi incité à consacrer chaque année un plus grand effort à la vente des pneus Michelin, afin d'obtenir au moins la même ristourne annuelle. A partir de 1978, ce système a été quelque peu modifié, en ce sens qu'il n'a été fixé qu'un seul " objectif ". Il a en outre été affiné en 1979 par l'introduction d'un objectif quadrimestriel, avec une ristourne correspondante. Cet " objectif " quadrimestriel équivalait approximativement à un tiers de l'" objectif " annuel. Pour 1978 et 1979 également, cet " objectif " annuel était systématiquement supérieur aux achats réalisés pendant l'année précédente.

25. Une comparaison des fiches de clients fait apparaître que des revendeurs achetant des quantités très différentes obtenaient souvent les mêmes ristournes, et vice versa. On s'aperçoit en outre que NBIM elle-même ne se conforme pas strictement aux conditions d'octroi des ristournes. Elle se réserve le droit d'accorder une ristourne correspondant à des quantités supérieures à celles qui ont été effectivement achetées. Par ailleurs, la Commission a eu connaissance de certains cas où la ristourne a été unilatéralement réduite lorsque l'" objectif " n'avait pas été atteint. L'application des schémas de ristourne était donc souple, mais dépendait entièrement de l'appréciation de NBIM.

Un tableau, établi par NBIM à la demande de la Commission, indiquant le nombre de pneumatiques vendus en 1976 - l'année précédant le dépôt de la plainte - par pourcentage de ristourne, fait apparaître clairement le caractère individualisé de la fixation des ristournes.

26. Un système de ristournes comparable à celui qui existe pour les pneus lourds est également appliqué pour les autres catégories de pneumatiques vendues par NBIM aux revendeurs.

27. En plus des ristournes normales accordées dans le cadre du système décrit ci-dessus, NBIM accorde de temps en temps des ristournes extraordinaires, généralement à l'occasion d'une campagne de promotion. C'est ainsi que, lorsqu'en 1977 elle n'était pas en mesure de satisfaire la demande de pneus lourds sur le marché européen en raison d'une forte demande extra-européenne, NBIM a profité de cette situation pour accorder, cette année-là, aux revendeurs une ristourne annuelle extraordinaire et unique de 0,5 % pour leurs achats de pneus lourds et légers, à condition d'atteindre un " objectif " spécial en ce qui concerne les pneus légers. Cette ristourne avait donc en fait pour but de stimuler la vente de pneumatiques légers. Lorsque cet " objectif " n'était pas atteint, la ristourne supplémentaire n'était généralement pas versée.

b) L'absence de confirmation écrite

28. Le revendeur individuel n'a pas connaissance des critères applicables pour le calcul des ristournes. Les barêmes des ristournes annuelles, qui n'existent plus depuis 1978, étaient exclusivement destinés à un usage interne et servaient uniquement à renseigner les délégués.

A cette ignorance du système de ristournes s'ajoute que, jusqu'en 1980, les revendeurs ne recevaient que très sporadiquement de NBIM confirmation écrite de l'accord verbal conclu entre le délégué de Michelin et eux-mêmes au sujet des ristournes. Comme la Commission a pu le constater, cette absence de confirmation écrite a souvent donné lieu à des difficultés d'interprétation quant au pourcentage auquel le revendeur avait droit à la fin de l'année.

C'était d'autant plus gênant que les éléments utilisés pour le calcul des ristournes étaient tels qu'il était très difficile pour les revendeurs - et pratiquement impossible pour les moins importants d'entre eux de déterminer avec précision ce qu'ils gagnaient au cours d'une année donnée sur la vente de pneus Michelin. Souvent même, les petits revendeurs ne découvraient le montant de leur rémunération finale qu'après avoir ouvert l'enveloppe, qui leur était remise à la fin de l'année par un délégué de NBIM. La Commission a été amenée à constater que beaucoup de revendeurs hésitaient à se plaindre de cette absence de confirmation écrite, sachant que NBIM, grâce aux inspections régulières auprès des consommateurs finals pouvait aisément accorder sa préférence à un revendeur concurrent plus coopératif, ou, depuis l'absorbtion d'Actor, à l'un des vingt-huit établissements de TS-Sterband.

II

APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 86

29. Aux termes de l'article 86, est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.

30. NBIM est une entreprise au sens de cet article.

A. Le marché concerné

31. Délimité en fonction du produit, le marché concerné par la présente décision est celui des pneumatiques neufs de remplacement pour camions, autobus et véhicules analogues. Ces pneus lourds diffèrent considérablement des autres catégories de pneus par leurs caractéristiques techniques, l'usage auquel ils sont destinés et leurs prix. Il est donc de pratique constante tant chez les fabricants que chez les revendeurs de pneus de faire une nette distinction, dans les prix bruts et les conditions de remise, en particulier, entre les pneus pour voitures de tourisme et les pneus pour camions. C'est au niveau des revendeurs que le marché concerné est examiné ci-après.

32. Le marché concerné ne s'étend pas aux pneumatiques rénovés. Comme on l'a indiqué ci-dessus (points 5 et 6), ceux-ci ne sauraient se substituer aux pneus neufs, ni qualitativement ni quantitativement. Le marché libre des pneumatiques rechapés est limité du fait que la plupart des pneus rénovés en circulation aux Pays-Bas ont été rechapés sur commande directe et pour le propre usage des entreprises de transport. Le pneu rénové une ou plusieurs fois ne prolonge généralement l'existence du pneu neuf qu'à l'intérieur de l'entreprise de son propriétaire d'origine. Le prix des pneus rénovés vendus sur le marché libre montre d'ailleurs que, dans l'esprit des acheteurs, il s'agit d'un produit nettement distinct appartenant à un sous-marché aussi nettement distinct. Pour l'exercice de leur activité, les revendeurs de pneumatiques pour camions et autobus doivent disposer d'une offre diversifiée de pneumatiques neufs. Les pneus rechapés viennent uniquement s'ajouter à la gamme de pneus neufs proposés par les revendeurs et ne peuvent en aucun cas les remplacer.

33. NBIM affirme que, compte tenu de la diversité et de la spécificité des besoins auxquels répondent les différents genres et types de pneumatiques, il convient de distinguer plusieurs sous-marchés à l'intérieur de la catégorie des pneus pour camions et autobus. Cette thèse ne peut être soutenue, étant donné que la présente affaire ne concerne pas la relation entre NBIM et le consommateur final. Le type spécifique et les dimensions des pneumatiques ne jouent aucun rôle pour l'analyse des possibilités de substitution au niveau des revendeurs, ni dans les rapports entre NBIM et ces derniers. Les conditions de prix, de ristourne et autres conditions de vente appliquées par tous les producteurs de pneumatiques aux revendeurs confirment qu'un tel fractionnement du marché ne présente en l'occurrence aucun intérêt. NBIM est manifestement du même avis lorsqu'elle définit les " objectifs " en quantité de " pneumatiques pour camions et autobus " sans entrer plus dans les détails.

34. Le marché géographique concerné est le marché néerlandais, qui représente une partie substantielle du Marché commun. NBIM, pour ce qui est des faits incriminés, n'exerce ses activités que sur ce territoire, et les faits susmentionnés s'y sont produits. Les revendeurs néerlandais ne disposent pas de possibilités d'approvisionnement en pneus Michelin suffisamment sûres et permanentes en dehors des Pays-Bas. En effet, dans les autres pays membres de la Communauté, ils ne peuvent obtenir des pneus Michelin qu'auprès de revendeurs et non pas auprès d'entreprises appartenant au groupe Michelin.

B. La position dominante

35. NBIM est en mesure de se comporter vis-à-vis de ses concurrents et des acheteurs sur le marché concerné d'une manière si indépendante qu'elle peut, grâce à un ensemble de moyens qui lui sont accessibles en exclusivité, empêcher une concurrence effective dans une partie substantielle du Marché commun et ainsi affecter le commerce entre Etats membres.

Cette position dominante apparaît déjà dans l'importante part de marché de NBIM par rapport à celle de ses principaux concurrents. Les chiffres indiqués ci-dessus (point 15) montrent que, dans la période 1975-1980, Michelin détenait 57 à 65 % du marché des pneumatiques de remplacement pour camions et autobus. Pendant la même période, les parts de marché des cinq principaux concurrents n'étaient que d'environ 4 à 8 %. Cela montre que Michelin occupe une position dominante sur le marché des pneus lourds. Il s'ensuit qu'un revendeur qui n'offre pas de pneus Michelin perd de son prestige commercial et que sa survie peut être menacée. Le fabricant qui vend un produit qui détient une telle position sur le marché peut imposer aux revendeurs des conditions qui ne correspondent pas nécessairement à celles qui prévaudraient sur un marché où la concurrence est effective. Comme c'est généralement le cas dans des situations analogues à celle qui est examinée ici, la constatation de l'existence de la position dominante s'appuie également sur la preuve de son exploitation abusive.

36. Dans l'appréciation de la position dominante de NBIM, il convient également de tenir compte du fait qu'elle dispose d'un nombre de délégués beaucoup plus important, chargés de tâches surtout commerciales et accessoirement techniques, que ses concurrents. Ceci lui permet de défendre de manière optimale sa position sur le marché en sachant que ses concurrents ne sont pas en mesure de mener une action aussi intensive auprès des consommateurs finals.

La position dominante de NBIM apparaît enfin dans la gamme très étendue des types de pneumatiques qu'elle met sur le marché, par rapport à celle des autres fabricants. Pour de nombreux types et dimensions moins courants, le revendeur ne peut proposer que des pneus de marque Michelin, ce qui renforce aussi la position de NBIM vis-à-vis des revendeurs pour les types et dimensions les plus demandés.

C. L'abus de position dominante

37. Le comportement commercial de NBIM constitue un abus de position dominante. Il restreint en effet la liberté de choix des revendeurs et entraîne une inégalité de traitement entre ceux-ci. Il a également pour effet de limiter l'accès au marché des autres producteurs.

Ce comportement présente les caractéristiques suivantes

a) l'application d'un système de ristourne fondé sur des ristournes fixées de façon individualisée et sélective pour chaque revendeur et liées à la réalisation des " objectifs " de vente individuels définis au début de chaque année par NBIM en accord avec le revendeur,

b) la communication et la confirmation, non par écrit mais verbalement jusqu'en 1980, des " objectifs " et des ristournes valables pour chaque revendeur,

c) en 1977, la subordination des ristournes pour pneus lourds à l'achat de pneus légers.

a) Le système de ristournes

38. Le système de ristournes vise manifestement à lier étroitement les revendeurs à NBIM et donc à entraver l'accès d'autres producteurs au marché. Les différentes ristournes sont fonction de " l'objectif " de vente qui est fixé au début de chaque campagne de vente annuelle pour chaque revendeur, c'est-à-dire sur une base individuelle et sélective. En général, ces " objectifs " sont fixés à un niveau tel qu'ils dépassent les achats effectués l'année précédente, même lorsque la conjoncture est peu favorable. Une forte pression est ainsi exercée sur les revendeurs pour qu'ils dépassent chaque année leur chiffre de l'année précédente pour la vente des pneus Michelin. Cette pression augmente dans le courant et surtout à la fin de l'année du fait que les revendeurs cherchent à réaliser leur " objectif " de vente et à obtenir la plus grande ristourne possible.

Cette pression est encore accentuée par les visites régulières des délégués de NBIM, qui sont chargés d'exercer sur place un contrôle systématique et direct sur la réalisation des " objectifs " et sur la position qui en découle pour NBIM par rapport à ses concurrents (" température Michelin "). L'argument de NBIM selon lequel l'absence de statitiques officielles aux Pays-Bas sur les ventes des diverses marques de pneumatiques la contraint à procéder à des estimations auprès de ses clients ne peut être soutenu. Les informations réunies par la Commission indiquent que ces prétendues " estimations " reposent sur une véritable enquête, c'est-à-dire sur un interrogatoire direct et individuel des revendeurs par les délégués de NBIM. L'abandon depuis 1977 de la formule " température Michelin " utilisée précédemment ne change rien à cette situation. En effet, la pratique, et même l'obligation imposée aux délégués, d'exprimer en pourcentages la part des pneus Michelin dans les achats totaux du revendeur est toujours en vigueur et poursuit le même but.

39. Les liens au plan de l'organisation entre NBIM et les revendeurs indépendants qui en résultent sont encore renforcés par la structure du système de ristournes. Le tableau au point 22 et les commentaires qui l'accompagnent montrent que, jusqu'en 1979, les revendeurs se fournissant auprès de NBIM, à la différence de ceux se fournissant auprès de fournisseurs d'autres pneumatiques, ne pouvaient toucher directement, sous la forme de ristourne sur facture, qu'une fraction limitée de la ristourne totale qui leur était promise. L'avance sur ristourne, la partie restante de la ristourne annuelle, la ristourne mensuelle automatique et la ristourne quadrimestrielle auraient certainement suivi en cas d'évolution normale des relations commerciales, mais en attendant elles étaient régulièrement utilisées par NBIM comme moyen de pression (voir point 24). Certes, le tableau montre qu'en 1978 et 1979 le système a été progressivement simplifié, ce qui devait entraîner un rétrécissement de la liberté d'action de NBIM. Toutefois, ceci ne vaut que pour l'avance mensuelle qui perdait évidemment sa raison d'être du fait de l'augmentation de la remise directe sur facture.

Pour ce qui est des autres ristournes, il faut noter que les modifications intervenues en 1978 et 1979 sont surtout formelles. Comme on l'a signalé déjà (point 22), l'écart à l'intérieur duquel NBIM appliquait son système de remises avant 1978 était beaucoup plus réduit que ne le suggèrent les pourcentages mentionnés. D'autre part, le système de ristournes a été renforcé en 1979 par l'instauration d'une prime quadrimestrielle liée à la réalisation d'un " objectif " de vente.

40. Ce système, appliqué par une entreprise occupant une position dominante, qui a pour effet de lier étroitement les revendeurs à elle au plan de l'organisation et au plan commercial, constitue un abus au sens de l'article 86, puisqu'il est incompatible avec l'objectif, énoncé à l'article 3 sous f) du traité, d'une concurrence non faussée dans le Marché commun.

41. Par ailleurs, la politique de ristournes sélectives pratiquée par NBIM entraîne des discriminations au sens de l'article 86 sous c). La Commission a constaté que des ristournes divergentes sont accordées à des revendeurs se trouvant dans une situation comparable. Les ristournes consenties aux revendeurs ne correspondent en aucune façon à des services objectivement fournis et vérifiables au sens économique. Les critères utilisés sont manifestement subjectifs et fondés essentiellement sur la fidélité témoignée envers NBIM. Par sa politique de ristournes fixées de manière individuelle, NBIM applique à l'égard de ses partenaires commerciaux des conditions inégales pour des prestations équivalentes, en leur procurant de ce fait un avantage ou un désavantage injustifié dans la concurrence. En tout cas, NBIM dispose par cette politique d'une possibilité de discrimination.

42. Dans sa réponse à la communication des griefs de la Commission, NBIM conteste que le système de ristournes constitue un abus au sens de l'article 86, en faisant remarquer tout d'abord que les ristournes et les " objectifs " sont des variantes des rabais de quantité.

En effet, les ristournes accordées par NBIM sont subordonnées à la réalisation d'un objectif de vente qui est clairement défini en quantités et/ou en florins néerlandais. En ce sens, le système de ristournes comprend des éléments qui paraissent d'ordre quantitatif. La Commission a toutefois constaté que pour des quantités achetées comparables, les ristournes accordées aux revendeurs ne sont presque jamais identiques ou comparables. Les ristournes ne constituent des rabais de quantité que dans le cadre strictement individuel de chaque client pris séparément. Leur niveau n'est donc pas déterminé sur la base de critères objectifs, valables pour tous les acheteurs. Elles reflètent l'appréciation individuelle portée par NBIM sur les résultats obtenus par le revendeur en question ainsi que sur les perspectives d'avenir qui semblent s'offrir. La manière de fixer et de calculer ces ristournes est telle que NBIM dispose par avance d'une emprise sur les efforts déployés par le revendeur en faveur de la vente des pneus Michelin en question, évidemment au détriment des efforts consacrés par celui-ci à d'autres marques. La possibilité d'opérer une discrimination entre les revendeurs que NBIM se procure dissuade ceux-ci de s'approvisionner auprès d'autres producteurs au préjudice de leurs ventes auprès de NBIM. Les ristournes ne peuvent, dès lors, être assimilées aux rabais de quantité usuels dans le commerce qui constituent une récompense accordée a posteriori selon des critères objectifs fixés à l'avance et connus de tous.

43. NBIM observe également que, dans la période 1975-1978, la différence entre la remise accordée à un petit revendeur et celle accordée à un revendeur important ne dépassait pas 2,55 %. Cette différence est qualifiée de marginale et son effet sur la concurrence de négligeable. Sans vouloir se livrer ici à une analyse approfondie de ce pourcentage, la Commission tient à dire qu'elle ne partage pas cette façon d'apprécier la situation. Tout d'abord, les revendeurs de pneus savent bien que chaque pourcentage en plus ou en moins peut avoir une influence décisive sur leur rentabilité, en particulier lorsqu'il s'agit de pneus tels que les pneus Michelin, pour lesquels la concurrence entre les revendeurs est si intense. Ensuite elle ne voit pas pour quelle raison NBIM entourerait sa politique de ristournes d'un tel mystère si cette marge de manœuvre était sans importance pour sa politique de vente, sauf s'il faut admettre que le manque de transparence a pour but de faire croire abusivement aux revendeurs que la marge est bien plus grande. En outre, la Commission a pu constater que, avant d'entamer leurs tournées, les délégués de NBIM ont à plusieurs reprises reçu pour instruction d'indiquer clairement aux revendeurs les avantages dont ils se priveraient en ne passant pas une dernière commande avant la fin de l'année, du semestre ou du trimestre. Cette instruction n'aurait eu aucun sens s'il ne s'était agi que d'un montant insignifiant pour les revendeurs, même si parfois il atteint à peine 1 %. Enfin, NBIM a justifié la ristourne annuelle supplémentaire de 0,5 % évoquée au point 27 ci-dessus en disant qu'elle voulait ainsi donner l'occasion aux revendeurs de compenser la diminution de revenu qu'ils avaient subie à cause d'une pénurie temporaire de pneus pour camions. NBIM reconnaît ainsi elle-même que des fractions de pourcentage - et a fortiori 2,55 % - ont une importance considérable dans le commerce. Cette constatation se rapporte d'ailleurs non seulement à la " sanction en cas de non- réalisation de l'objectif fixé " mais encore à la discrimination que l'octroi de ristournes inégales pour des prestations comparables établissait entre les revendeurs.

44. L'argument de NBIM selon lequel le système de ristournes se justifie par le fait qu'il permet une meilleure programmation des activités du fournisseur ne peut pas davantage être accepté. L'intérêt que présente une telle programmation, même pour une entreprise en position dominante, ne peut l'emporter sur l'incertitude naturelle du marché. Or, telle est la conséquence du système appliqué par NBIM qui empêche dans une large mesure les revendeurs de pneus de profiter en cours d'année d'offres faites par des concurrents. A cet égard, les ristournes doivent être considérées comme une variante des rabais de fidélité. Bien que l'octroi de ces ristournes ne soit pas subordonné à une obligation exclusive d'achat pour la totalité ou une partie très importante des besoins des acheteurs, il assure néanmoins à NBIM un pourcentage maximal, variable individuellement, mais exactement contrôlé par elle, des achats qu'ils effectuent.

45. NBIM indique également que, dans le calcul des ristournes, elle tient compte de l'intensité des efforts que les revendeurs consacrent à la distribution des produits concernés. Elle ne commettrait pas de discrimination au sens de l'article 86 sous c) du traité CEE puisqu'elle tient compte uniquement de la situation individuelle de chaque revendeur. Comme il a été dit plus haut, les règles de concurrence du traité CEE n'interdisent évidemment pas qu'une entreprise tienne compte, pour l'octroi de rabais, ristournes, etc., des services que le revendeur lui rend dans la vente de ses produits. On peut songer notamment aux services que le revendeur peut fournir à l'utilisateur final et que le fabricant devrait autrement assurer lui-même. Pour qu'il ne puisse être question d'une mesure arbitraire et qu'un contrôle soit possible, il faut cependant que les conditions à remplir pour bénéficier de la ristourne soient objectivement définies et communiquées aux acheteurs. Le système NBIM doit être examiné au regard de tels critères, si l'on veut vérifier qu'il n'est pas discriminatoire. Comme l'élément déterminant dans le système de ristournes pratiqué par NBIM n'est pas en premier lieu le service que le revendeur rend objectivement à l'entreprise par la vente de pneus Michelin, mais l'appréciation subjective portée par NBIM sur les efforts déployés par le commerçant, un tel examen est en l'occurrence tout à fait exclu. Cette façon de faire a inévitablement pour conséquence que des commerçants qui se trouvent dans des situations objectivement identiques soient traités de façon inégale. Vu la procédure essentiellement verbale de la fixation des ristournes, leur caractère complexe, le manque de transparence pour les revendeurs des méthodes de NBIM et, dès lors, l'absence de toute possibilité normale de contrôle, il était en fait illusoire de pouvoir éviter des situations discriminatoires.

b) L'absence de communication écrite des " objectifs " et des ristournes

46. Les effets anticoncurrentiels et discriminatoires du système de ristournes sont encore renforcés par l'absence de communication et de confirmation, habituellement faites par écrit, des " objectifs " et des ristournes valables pour chaque revendeur.

47. Jusqu'en 1980, les " objectifs " et les rabais ou " ristournes " correspondants n'étaient communiqués qu'oralement au début de l'année par un délégué de NBIM à chaque revendeur personnellement. Ces données importantes n'étaient que tout à fait exceptionnellement ou en tout cas jamais systématiquement confirmées par écrit par NBIM. Aussi cette façon d'agir avait-elle pour conséquence que des difficultés se produisaient régulièrement, augmentant ainsi la forte dépendance des revendeurs face à l'interprétation unilatérale de NBIM. Il est clair que, vu sa position sur le marché et la faiblesse économique relative des revendeurs individuels, l'incertitude résultant de l'absence de confirmation écrite était exclusivement dans l'intérêt de NBIM.

La Commission n'a évidemment pas d'objection de principe à l'égard d'une communication seulement verbale de conditions de vente. Toutefois, si cette méthode est pratiquée par une entreprise qui domine le marché et si, en plus, les conditions qu'elle applique sont particulièrement complexes et, comme la preuve en a été faite ici, se prêtent facilement à des malentendus, il en résulte un comportement abusif. Du fait de la complexité du système de ristournes, l'absence de confirmation écrite des ristournes et des " objectifs " avait pour effet de rendre encore plus difficile pour le revendeur la comparaison exacte du prix net offert par le principal producteur avec le prix des autres fabricants. En tant qu'élément de la politique commerciale d'une entreprise en position dominante, cette absence de confirmation écrite accroît la marge de manœuvre vis-à-vis de ses acheteurs immédiats et dissuade les revendeurs de s'approvisionner auprès des concurrents. Les effets anticoncurrentiels du système de ristournes s'en trouvent renforcés.

c) L'effet cumulatif de a) et b)

48. La politique de NBIM vise manifestement à créer des liens aussi étroits que possible avec les revendeurs de pneumatiques. Le système des ristournes constitue la base de cette politique. Par ailleurs les revendeurs savent que les contacts fréquents entre les délégués de NBIM et les utilisateurs de pneus donnent à NBIM la possibilité d'influencer ceux-ci dans le choix d'un revendeur. C'est pourquoi les revendeurs seront en général d'autant plus enclins à tenir compte des desiderata de NBIM.

Ce système de rabais est d'une telle nature qu'il ne peut être pratiqué par une entreprise en position dominante et les revendeurs n'accepteraient jamais que ce système leur soit imposé par d'autres fabricants. C'est pourquoi les concurrents de Michelin n'utilisent pas un système semblable et ne sont d'ailleurs pas en mesure de se livrer à de telles pratiques.

49. La création d'un lien de dépendance entre des acheteurs et un fournisseur en position dominante à laquelle aboutit la politique commerciale de NBIM constitue un abus au sens de l'article 86. Les comportements de NBIM " sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence ".

Le comportement litigieux a pour effet de fausser la concurrence entre les producteurs de pneumatiques. Il vise à dissuader les revendeurs de s'approvisionner auprès de fabricants concurrents. L'accès au marché néerlandais est donc rendu plus difficile pour les concurrents de NBIM dans une mesure qui serait impossible dans des conditions normales de marché.

d) Ristourne supplémentaire pour pneus légers et lourds en 1977

50. NBIM a instauré pour l'année 1977 une ristourne supplémentaire de 0,5 % pour les pneux légers et lourds et l'a subordonnée à la réalisation d'un " objectif " déterminé pour les achats de pneus légers. Cette pratique constitue également un abus au sens de l'article 86, étant donné que les ristournes accordées pour l'achat de pneus lourds étaient ainsi subordonnées à la réalisation d'un résultat déterminé en ce qui concerne les pneus légers. Comme les pneus légers et lourds relèvent de marchés totalement différents, il n'est en principe pas acceptable que l'octroi d'une ristourne supplémentaire pour l'achat de pneus lourds soit subordonné à l'achat d'une quantité donnée de pneus légers, souvent supérieure au chiffre réalisé l'année précédente et parfois même à l'" objectif " annuel maximal. En imposant cette condition, NBIM a profité de sa position dominante sur un marché donné dans le seul but de renforcer davantage encore sa position déjà solide sur un autre marché. Cette pratique avait en effet pour objet et pour effet d'inciter les revendeurs à atteindre l'" objectif " d'achat pour les pneus légers, sous peine de subir également un désavantage financier pour la vente de pneus lourds. L'argument de NBIM selon lequel une compensation devrait être accordée aux revendeurs pour le préjudice qu'ils avaient subi du fait d'une pénurie temporaire de pneus pour camions ne peut être accepté. En effet, cette compensation aurait aussi pu être obtenue par d'autres moyens.

D. Atteinte au commerce entre Etats membres

51. Le système de ristournes appliqué par NBIM est susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres du fait que, par la création de liens solides entre le fournisseur en position dominante et les revendeurs, il limite la liberté d'achat de ces derniers. Tout le système de NBIM vise à accroître le rendement des revendeurs au seul profit de NBIM et donc à priver les autres fabricants de commandes. Ces fabricants sont, pour une large part (voir point 15), établis à l'intérieur du Marché commun et y possèdent des unités de production importantes où sont fabriqués les pneus lourds destinés au marché néerlandais. Leurs possibilités de pénétration sur le marché néerlandais sont amoindries du fait que, à cause des liens créés par le système NBIM entre les producteurs et les revendeurs, la part du marché de NBIM est en quelque sorte prédéterminée, de sorte que la pénétration d'autres producteurs sur le marché néerlandais des pneus lourds ne peut dépasser un pourcentage réduit. Le comportement litigieux de NBIM visant au maintien de sa part du marché est susceptible ainsi de restreindre le commerce entre les Etats membres d'une manière qui peut être préjudiciable à la réalisation de l'objectif d'un marché unique entre les Etats membres, notamment en modifiant la structure de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.

Les effets défavorables de ce système de rabais abusif sur le commerce entre Etats membres est appréciable. Il apparaît clairement que même des rabais infimes ont été considérés comme importants par les revendeurs.

L'application du système de rabais pratiqué par Michelin et son lien avec la volonté d'atteindre un certain niveau de ventes ne sont pas certains. Il en résultait que les revendeurs se sont trouvés devant un choix inégal entre faire des efforts de vente pour les autres fabricants ou pour Michelin. Il n'était que naturel pour les revendeurs d'essayer d'augmenter leurs ventes de produits Michelin, forcément aux dépens des autres fabricants, étant donné que les primes qui étaient incertaines et individualisées pouvaient finalement être plus intéressantes que le rabais (connu d'avance) qui pouvait être obtenu auprès des autres fabricants. Ainsi, l'action de l'entreprise dominante a rendu sensiblement plus difficile la tâche des autres fabricants qui essayaient de vendre aux Pays-Bas à partir d'autres pays de la Communauté.

52. En subordonnant l'octroi d'une ristourne annuelle supplémentaire pour les pneus lourds et légers à la réalisation d'un " objectif " de vente déterminé pour les pneus légers, NBIM a profité de sa position sur le marché des pneus neufs pour camions et autobus pour améliorer sa position sur le marché des pneus pour voitures. Cette pratique a pu désavantager ses concurrents dans leurs possibilités de vente de pneus légers. La plupart des fabricants de pneus pour voitures de tourisme vendus sur le marché néerlandais sont, en effet, également établis dans le Marché commun et les pneus légers destinés au marché néerlandais - abstraction faite d'une quantité relativement réduite fabriquée dans des pays tiers et aux Pays-Bas mêmes - sont produits par des producteurs établis dans d'autres pays membres de la Communauté. Le comportement litigieux a entravé, pendant un certain temps, les ventes de pneus légers aux Pays-Bas, ce qui a pu affecter le commerce entre les Etats membres.

E. Conclusion

53. Sur la base de ce qui précède, la Commission est d'avis que NBIM, pendant la période comprise entre 1975 et 1980, sur le marché des pneus neufs de remplacement pour camions, autobus, etc., a enfreint l'article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne :

a) en liant à elle les revendeurs de pneus aux Pays-Bas au moyen de l'octroi sur une base individuelle de remises sélectives qui dépendent d'" objectifs " de vente et de pourcentages de remise non clairement confirmés par écrit et en appliquant à leur égard des conditions inégales pour des prestations équivalentes,

et

b) en accordant en 1977 une ristourne extraordinaire sur les achats de pneus pour camions, autobus, etc., et de pneus pour voitures de tourisme, qui dépendait de la réalisation d'un " objectif " en matière d'achat de pneus pour voitures de tourisme.

54. Par lettre du 23 mars 1981, NBIM a fait savoir à la Commission qu'elle a modifié son système de ristournes à partir du 1er janvier 1981 en ce sens que les pourcentages de ristourne sont liés désormais à des chiffres de vente donnés, sans qu'il soit fait référence à des objectifs " individuels ". NBIM maintient que son système de ristournes original n'était pas contraire à l'article 86 du traité.

La Commission se réserve le droit de vérifier si ce nouveau système est compatible avec le traité. Ce faisant, la Commission partira du principe que tout système de ristournes appliqué par NBIM pour favoriser la vente de ses pneus neufs pour camions, autobus, etc., doit être conçu de manière telle que, abstraction faite d'actions à court terme, aucune ristourne ne soit accordée qui ne soit en rapport direct avec une diminution effective des coûts du fabricant. Les rémunérations des revendeurs de pneus Michelin doivent correspondre aux fonctions qu'ils exercent et aux services qu'ils fournissent effectivement et qui allègent les charges du fabricant. En outre, le système de ristournes et le montant des ristournes convenues doivent être confirmés clairement à chaque revendeur au moment de la proposition et de la conclusion du contrat de vente.

III

APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 15 PARAGRAPHE 2 DU RÈGLEMENT N° 17

55. Lorsque, de propos délibéré ou par négligence, des entreprises commettent une infraction aux dispositions de l'article 86 du traité, la Commission peut, en application de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17, infliger aux entreprises concernées des amendes de mille unités de compte au moins et d'un million d'unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération la gravité et la durée de l'infraction.

Il y a lieu d'infliger une amende à NBIM.

56. La Commission est en effet arrivée à la conclusion que NBIM a enfreint, pour le moins par négligence, l'article 86 du traité CEE. Elle a mené une politique commerciale ayant pour objet et pour effet, par des mesures illicites, de lier à elle le plus étroitement possible chacun de ses revendeurs. En outre, cette politique conduisait à une discrimination entre les revendeurs.

NBIM ne peut pas ignorer qu'en tant qu'entreprise dominante elle est en mesure d'entraver l'accès au marché néerlandais de pneus lourds neufs d'autres marques et que son système de ristournes, notamment, rend cet accès effectivement plus difficile.

NBIM, en tant qu'entreprise détenant une position dominante sur le marché néerlandais des pneus neufs de remplacement pour camion et autobus, est censée savoir que, par les pratiques décrites, elle enfreint l'article 86 du traité CEE. Depuis 1973, il ressort clairement des décisions de la Commission et de la jurisprudence de la Cour de justice qu'un système de ristournes par lequel une entreprise dominante tente, en accordant des avantages financiers, d'empêcher un approvisionnement auprès de fournisseurs concurrents, est incompatible avec l'article 86. NBIM doit savoir que le système qu'elle applique et qui peut être considéré comme une variante d'un système de ristournes de fidélité a, en principe, les mêmes effets restrictifs sur la concurrence qu'une ristourne de fidélité qui est liée à l'obligation pour l'acheteur de s'approvisionner exclusivement, ou pour une part importante de ses besoins, auprès de l'entreprise en position dominante. NBIM doit également avoir eu connaissance des effets discriminatoires de sa politique de ristournes. Par ailleurs, il y a lieu de considérer que NBIM fait partie d'un groupe qui occupe sur le marché européen une position telle qu'on peut attendre d'elle qu'elle suive attentivement l'évolution du droit européen et ajuste sa politique en conséquence.

57. La Commission estime en outre que NBIM a, de propos délibéré ou en tout cas par négligence, enfreint l'article 86 du traité, en subordonnant, en 1977, l'octroi d'une ristourne annuelle supplémentaire pour les achats de pneus lourds et légers à la réalisation d'un " objectif " pour les achats de pneus légers. Cette mesure avait manifestement pour but d'inciter les revendeurs à atteindre l'" objectif " fixé pour les pneus pour voitures de tourisme et d'augmenter, ou au moins de maintenir, la part des pneus Michelin sur ce marché. NBIM savait en tout cas, ou aurait dû savoir, qu'elle réunissait ainsi deux marchés totalement distincts et qu'elle utilisait sa position de force sur le marché des pneus lourds comme instrument pour renforcer sa position sur le marché des pneus légers, ce qui est incompatible avec l'article 86.

58. En ce qui concerne la durée des infractions, il y a lieu de noter que, pour l'infraction mentionnée au point 53 sous a), la Commission a pris en considération uniquement la période de 1975 à 1980 inclusivement. Bien qu'il soit possible que la politique commerciale menée par NBIM avant 1975 eût déjà pour but de lier les revendeurs à elle, ce n'est qu'à partir de cette année que la Commission dispose de preuves irréfutables concernant la nature exacte de cette politique. Certes, le système de ristournes a été modifié en 1978 et 1979, mais les principes - système de ristournes sélectives fixées par année, liées à la réalisation de certains " objectifs " de vente - sont restés les mêmes.

59. L'infraction mentionnée au point 53 sous b) concerne les achats effectués auprès de NBIM pendant l'année 1977. La durée de cette infraction doit donc être fixée à un an.

60. Dans l'appréciation de la gravité des infractions, il convient de tenir compte tout d'abord du fait que le système de ristournes en cause vise à lier les revendeurs de pneumatiques aux Pays-Bas à NBIM. Les revendeurs indépendants sont refoulés dans une situation où il ne saurait être question de décisions d'achat réellement libres.

Il y a lieu de considérer en outre que la sélectivité du système de ristournes a pour effet d'établir une discrimination entre les revendeurs. Certains détaillants sont privilégiés par rapport à d'autres, bien qu'ils se trouvent dans une situation objectivement identique. La concurrence entre eux est de fait artificiellement influencée dans un sens qui renforce encore la position dominante de NBIM par des moyens qui ne reposent pas sur des prestations de sa part. Cette politique commerciale de NBIM a faussé pendant longtemps et de manière notable la concurrence sur le marché néerlandais tant entre les fabricants qu'entre les revendeurs de pneumatiques. L'infraction doit donc être considérée comme grave.

61. En revanche, il convient d'inscrire à l'avantage de NBIM les modifications apportées en 1978 et 1979 au système de ristournes qui, malgré le maintien des bases du système, sont un peu plus favorables aux revendeurs.

Il faut observer en outre que NBIM a assoupli également sa politique de non-confirmation des ristournes et des " objectifs " au cours des dernières années. Les revendeurs qui le demandent obtiennent depuis 1980 de NBIM confirmation écrite des ristournes et des " objectifs " d'achat " stipulés " au début de l'année.

62. La Commission considère également comme une infraction grave le fait de subordonner l'octroi de la ristourne annuelle supplémentaire pour l'achat de pneus lourds et légers à la réalisation d'un " objectif " annuel pour les pneus légers. Se trouvant dans l'impossibilité de satisfaire la demande de pneus pour lesquels elle occupe une position dominante, NBIM a tenté ainsi de stimuler les ventes de pneus d'une autre catégorie, pour lesquels sa position n'est pas aussi solide. Bien que le pourcentage de 0,5 % paraisse peu important, il représente néanmoins, pour les revendeurs, un montant non négligeable, de sorte que cette ristourne annuelle supplémentaire était certainement attrayante pour eux. Autrement, la mesure n'aurait d'ailleurs pas été prise par NBIM.

63. Sur la base des considérations ci-dessus, la Commission estime qu'il convient d'infliger une amende d'un montant de 680 000 Ecus pour les deux infractions constatées.

Pour la détermination du montant de cette amende, elle a décidé de tenir compte du chiffre d'affaires total de NBIM ainsi que de la gravité de l'infraction incriminée et de l'intensité avec laquelle le système de remises a été appliqué à l'égard des revendeurs,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

NV Nederlandsche Banden-Industrie Michelin a, pendant la période comprise entre 1975 et 1980, sur le marché des pneus neufs de remplacement pour camions, autobus, etc., enfreint les dispositions de l'article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne :

a) en liant à elle les revendeurs de pneus aux Pays-Bas au moyen de l'octroi sur une base individuelle de ristournes sélectives dépendant d'" objectifs " de vente et de pourcentages de ristourne non clairement confirmés par écrit et en appliquant à leur égard des conditions inégales pour des prestations équivalentes,

et

b) en accordant en 1977 une ristourne extraordinaire sur les achats de pneus pour camions, autobus, etc., et de pneus pour voitures de tourisme dépendant de la réalisation d'un " objectif " en matière d'achat de pneus pour voitures de tourisme.

Article 2

Une amende de 680 000 Écus ou 1 833 184,80 florins néerlandais est infligée à NV Nederlandsche Banden-Industrie Michelin.

Ce montant sera versé en florins néerlandais, dans les trois mois suivant la date de notification de la présente décision, au compte de la Commission des Communautés européennes : n° 41.60.95.518, auprès de l'Amro-Bank, Rembrandtplein 17, NL - 1000 Amsterdam.

Article 3

La présente décision forme titre exécutoire conformément aux dispositions de l'article 192 du traité instituant la Communauté économique européenne.

Article 4

NV Nederlandsche Banden-Industrie Michelin, De Boelelaan 30, Postbus 7163, NL-1007 JD Amsterdam

est destinataire de la présente décision.

(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204-62.

(2) JO n° 127 du 20. 8. 1963, p. 2268-63.

(3) Arrêt de la Cour de justice du 13 février 1979, affaire 85-76 (Hoffmann-La Roche contre Commission), Recueil 1979, p. 541.