CCE, 5 septembre 1979, n° 79-934
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
BP Kemi - DDSF
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment son article 3, vu la demande présentée à la Commission conformément à l'article 3 paragraphe 2 sous b) du règlement nº 17, le 18 mars 1975, par la société A/S Atka, Copenhague, Danemark, vu la décision de la Commission du 24 avril 1978 d'engager une procédure à l'encontre des sociétés BP Kemi A/S et A/S De Danske Spritfabrikker, après avoir entendu les entreprises intéressées conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement nº 17 et aux dispositions du règlement de la Commission nº 99-63 (2), vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli, conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 13 février 1979, Considérant que les faits sont les suivants :
I. LES FAITS
1. Objet de la procédure
1 La présente procédure concerne la coopération instaurée entre BP Kemi A/S (ci-après dénommée BP Kemi), filiale à 100 % du groupe dirigé par British Petroleum Co. Ltd (ci-après dénommée BP), et A/S De Danske Spritfabrikker (ci-après dénommée DDSF) dans le domaine de la distribution d'éthanol de synthèse au Danemark au cours de la période du 1er juillet 1973 au 31 décembre 1976.
2. Le produit
2. L'éthanol est un liquide incolore, clair, à l'odeur fraîche et caractéristique. Il se mélange à l'eau et à de nombreux solvants, huiles, corps et produits chimiques. L'éthanol peut être produit soit à partir d'une matière de base extraite d'huile minérale ou de gaz, soit à partir de matières premières contenant du sucre (par exemple le vin, les fruits, les pommes de terre, les céréales ou les mélasses). Le premier type d'éthanol, qui n'est produit que depuis 1945, est appelé éthanol de synthèse tandis que l'autre est appelé éthanol d'origine agricole. Les deux types d'éthanol ne diffèrent pas l'un de l'autre par leurs caractéristiques physiques ou chimiques ; en fait, ce n'est que tout récemment qu'une méthode permettant de les distinguer a été mise au point bien que les spécialistes aient toujours pu les distinguer à l'odeur.
3. L'éthanol sert notamment à fabriquer des alcools de bouche, du vinaigre, des produits pharmaceutiques, des cosmétiques, des solvants, des produits à usage domestique (alcool de ménage) et à la synthèse chimique. Comme l'éthanol d'origine agricole et l'éthanol de synthèse peuvent techniquement avoir les mêmes utilisations et comme les coûts de production de ce dernier sont les moins élevés - bien qu'ils aient considérablement augmenté en raison de la hausse des prix du pétrole depuis 1973 - la production d'éthanol d'origine agricole est protégée dans les différents États membres par des dispositions qui limitent l'utilisation d'éthanol de synthèse. Les moyens permettant d'assurer cette protection et l'étendue de celle-ci varient d'un État membre à l'autre. C'est ainsi qu'au Royaume-Uni et au Danemark l'éthanol de synthèse peut avoir toutes les utilisations sauf celle de servir à la production d'alcools de bouche et de vinaigre tandis qu'en république fédérale d'Allemagne il ne peut être utilisé que pour la synthèse chimique et la fabrication de solvants, et qu'en France il ne peut, en général, être utilisé que pour la synthèse chimique.
3. La production
4. En 1976, la production totale d'éthanol d'origine agricole dans la Communauté économique européenne s'est élevée à 7 millions d'hectolitres dont la plus grande partie a été produite en France (2,4 millions d'hectolitres), en Italie (2 millions d'hectolitres), et en république fédérale d'Allemagne (0,9 million d'hectolitres). Au Royaume-Uni, la production a été de 0,5 million d'hectolitres et au Danemark de 0,2 million d'hectolitres, produits en totalité par DDSF.
5. L'annexe 1 détaille la production d'éthanol de synthèse. Le plus gros producteur de la CEE est la société britannique, BP Chemicals Limited (ci-après dénommée BPCL) ; comme BP Kemi, BPCL est une filiale à 100 % du groupe BP. Les seuls autres producteurs d'éthanol de synthèse dans la CEE sont les sociétés Sodes, France, Veba-Chemie AG, république fédérale d'Allemagne, Erdölchemie GmbH, république fédérale d'Allemagne (une filiale commune de Bayer et de BP Allemagne) et British Celanese, Royaume-Uni. Toutefois British Celanese ne commercialise pas l'éthanol de synthèse, sa production servant uniquement à couvrir ses propres besoins.
6. En 1976, la production totale des sociétés précitées a atteint 4,6 millions d'hectolitres d'éthanol de synthèse. Le tableau suivant indique la production de chacune de ces sociétés ainsi que leur capacité de production.
Jusqu'en juillet 1973, DDSF produisait également de l'éthanol de synthèse ; sa production annuelle atteignait environ 150 000 hectolitres.
4. Les entreprises
7. BPCL produit environ 45 % de l'éthanol de synthèse produit dans la Communauté économique européenne en vue d'y être commercialisé. Par l'intermédiaire des sociétés du groupe BP, cet éthanol est vendu dans un certain nombre de pays de la Communauté économique européenne et notamment au Royaume-Uni, en Irlande, en Belgique et au Danemark. En 1977, les ventes d'éthanol de synthèse réalisées par BPCL dans la CEE se sont élevées à 32,73 millions de livres (soit 335 millions de couronnes danoises environ) dont 2,65 millions de livres (soit 27 millions de couronnes danoises environ) au Danemark. Pour la même année, ses ventes totales d'éthanol d'origine agricole ont atteint 5,43 millions de livres (soit 55 millions de couronnes danoises environ), la totalité de ces ventes ayant été réalisées au Royaume-Uni et en Irlande.
8. BP Kemi est une entreprise commerciale qui n'opère qu'au Danemark et vend des produits pétrochimiques tels que des détergents, des matières premières servant à la fabrication des matières plastiques et différentes qualités d'éthanol. Le chiffre d'affaires global de cette société en 1975 était d'environ 119 millions de couronnes danoises (hors taxes) dont environ ... (3) millions de couronnes pour les ventes d'éthanol.
À la fin de 1977, BP Kemi a décidé de construire au Danemark des installations de conditionnement et de dénaturation complète. Ces installations ont été mises en service le 1er avril 1978. Jusqu'à cette date, BP Kemi ne livrait en général à ses clients l'éthanol que par camions-citernes.
9. DDSF est essentiellement une entreprise de production dont le principal produit est l'éthanol d'origine agricole. Depuis la mise en service de sa nouvelle usine en 1975, elle en produit 150 à 160 000 hectolitres par an. La majeure partie de cette production est utilisée par l'entreprise elle-même pour sa production de schnaps et autres alcools de bouche, mais une partie est vendue à des producteurs de vinaigre, de vins de fruits, etc. et une autre partie a été antérieurement exportée et cédée à BPCL aux termes d'un accord conclu entre DDSF et BPCL le 4 novembre 1975 (quelques ... hectolitres en 1975/1976 et ... hectolitres en 1976/1977).
10. DDSF n'a pas produit d'éthanol de synthèse depuis juillet 1973 et celui qu'elle achète depuis lors ne fait l'objet que de simples opérations de transformation (dénaturation, addition de certaines substances, etc.) avant d'être revendu. Une certaine partie de cet éthanol est même revendue sans autre transformation. En 1974, DDSF a acheté environ ... hectolitres d'éthanol et en 1977 environ ... hectolitres, livrés en totalité par BP Kemi.
11. En 1975, DDSF a réalisé un chiffre d'affaires total d'environ 275 millions de couronnes danoises (hors taxes) dont environ 35 millions de couronnes proviennent des ventes d'éthanol ; ses exportations vers d'autres pays de la Communauté économique européenne ont atteint au total 3 millions de couronnes danoises environ (hors taxes). Depuis lors, elles sont passées à ... millions de couronnes en raison notamment d'exportations d'éthanol d'origine agricole destinées à BPCL.
12. La plaignante, Atka A/S, Copenhague, détient la totalité des actions de la société Atka Kemie A/S, Roskilde, Danemark. Atka Kemie A/S vendait des alcools de ménage en bouteilles en concurrence avec DDSF et, jusqu'au 1er mars 1974, détenait au Danemark une part de marché de 25 % lorsqu'elle mit fin à ses activités pour des raisons financières. Depuis 1971, cette société achetait de l'éthanol de synthèse auprès de BP Kemi.
5. Réglementation du commerce de l'éthanol de synthèse
13. Au Royaume-Uni, la production et l'exportation d'éthanol de synthèse ne sont soumises à aucune restriction depuis que le pays est devenu membre de la Communauté économique européenne le 1er janvier 1973.
14. Jusqu'à la fin de 1972, DDSF jouissait au Danemark de droits exclusifs de production pour l'alcool, y compris l'éthanol de synthèse, en vertu d'une concession accordée par le ministère danois du commerce et de l'industrie ; les importations étaient soumises à un régime de licences. Toutefois, lors de l'adhésion du Danemark à la Communauté économique européenne le 1er janvier 1973, il a été mis fin à la concession et le système de licences a été modifié, si bien que, dans la pratique, toutes les demandes d'importation furent agréées.
15. Entre le 1er janvier 1973 et le 30 juin 1977, le Danemark a perçu des droits de douane sur les importations d'éthanol provenant des États membres originaires, y compris la France et la république fédérale d'Allemagne, tandis que depuis le 1er janvier 1973 il n'a, à aucun moment, perçu des droits de douane sur l'éthanol importé du Royaume-Uni, puisque tant le Danemark que le Royaume-Uni étaient membres de l'Association européenne de libre-échange.
16. Les droits à l'importation au Danemark d'éthanol provenant des États membres originaires ont été réduits de 30 couronnes danoises par hectolitre à rien. Étant subordonnés au prix de vente qui a subi une hausse substantielle en raison de la crise du pétrole, les droits à l'importation étaient, en valeur relative dudit prix de vente, de 21,2 à 25,2 % le 1er avril 1973, de 11,8 % à 15,4 % le 1er janvier 1974, de 7,8 % à 9,3 % le 1er avril 1974 et tombaient à 5 % et moins le 1er janvier 1975 (pour une analyse détaillée, voir annexe 2).
17. Parmi les États membres originaires, les exportations et les importations ont été placées sous le contrôle d'organismes officiels tant en France qu'en république fédérale d'Allemagne jusqu'en 1977, ce qui signifie notamment que les autorisations d'exporter à partir de ces pays n'ont été accordées que dans la mesure où l'approvisionnement du marché intérieur était assuré. Néanmoins, comme le montre l'annexe 1, dès 1973 ; les exportations totales en provenance de France et de la république fédérale d'Allemagne et destinées aux États membres de la Communauté étaient respectivement de 334 000 hectolitres et 125 000 hectolitres et, en 1976, les données correspondantes ont été respectivement de 120 000 hectolitres et 40 000 hectolitres. Ces chiffres incluent des exportations substantielles vers le Danemark ; c'est ainsi qu'en 1973, 15 000 hectolitres et 2 000 hectolitres ont été respectivement exportés de France et de la république fédérale d'Allemagne vers le Danemark (4) ; en 1976, les exportations en provenance de France et de la république fédérale d'Allemagne ont été respectivement de 14 000 hectolitres et 8 000 hectolitres (voir annexe 3).
6. Prix
18. L'annexe 4 présente les prix en vigueur dans les différents États membres. Le prix de l'éthanol varie considérablement selon le montant de l'achat (tant lors d'une livraison individuelle que tout au long de l'année) ainsi qu'en considération de la pureté et de l'usage auquel il est destiné. Ces variations n'ont pas permis de présenter des moyennes de prix représentatives. Cependant, une moyenne des prix maximaux et minimaux pour l'éthanol destiné à des usages spécifiques a permis une comparaison suffisamment précise.
19. Il ressort de ce qui précède que les prix au Danemark y ont été sans exception plus élevés qu'en France et au Royaume-Uni, et même plus élevés que dans les pays n'ayant pas de production propre tels que les pays du Benelux. Les prix en république fédérale d'Allemagne y sont plus élevés que ceux pratiqués en France et au Royaume-Uni et de très peu inférieurs à ceux pratiqués au Danemark. Il faut se souvenir que ce sont là des prix intérieurs fixés ou contrôlés par les autorités publiques. Les prix à l'exportation sont libres et peuvent être moins élevés ainsi que le démontre l'offre faite à DDSF en avril 1976 et portant sur de l'éthanol produit par Veba- Chemie ; cette offre était d'environ 20 % en dessous du prix intérieur allemand, ce qui a amené BP Kemi à abaisser ses propres prix de 10 % afin de garder DDSF comme client. En 1973 et par la suite, les fournisseurs français ont tenté de s'assurer une meilleure assise dans le marché danois en présentant des offres à DDSF.
20. Certaines quantités sont offertes de temps à autre sur le marché à des prix particulièrement bas (spot market). Ainsi que les parties l'ont exposé, ces quantités ne sont pas suffisantes pour couvrir entièrement et régulièrement des besoins tels que ceux de DDSF, mais elles influencent dans une mesure appréciable les structures d'approvisionnement. À cet égard, il faut remarquer qu'aux États-unis, qui sont les plus grands producteurs mondiaux d'éthanol synthétique, les capacités de production n'y sont employées qu'à 70 % et, du fait que les coûts de transport n'y sont nullement prohibitifs, les sociétés des États-Unis sont en mesure d'approvisionner des clients en Europe et ont effectivement procédé à des approvisionnements au Danemark.
7. Historique des accords
21. En raison de la réglementation instaurée au Danemark, DDSF était en 1972 dans ce pays le seul producteur d'éthanol de synthèse (et d'éthanol d'origine agricole) et, de loin, le plus gros distributeur. Elle était en outre la seule société à disposer des installations nécessaires pour approvisionner les clients en éthanol de synthèse en bouteilles, en boîtes et en bidons. Cependant, ses installations de production étaient relativement vétustes et petites et il lui fallait payer un prix plus élevé que ses concurrents étrangers pour se procurer les matières premières nécessaires. Elle s'est donc rendu compte qu'elle ne pourrait très longtemps encore continuer à produire de l'éthanol de synthèse de manière rentable et, après avoir demandé à plusieurs sociétés de lui remettre des offres, elle est entrée en négociations avec BPCL en 1972.
22. En 1968, BPCL avait commencé à augmenter ses capacités de production d'éthanol de synthèse au Royaume-Uni et, à partir de 1971, BP Kemi avait commencé à approvisionner quatre ou cinq gros clients danois qui étaient en mesure d'obtenir des licences d'importation auprès des autorités danoises.
23. Au cours des négociations avec BPCL, DDSF a essayé d'obtenir l'exclusivité de la distribution d'éthanol BP au Danemark en faisant valoir qu'elle était la première entreprise sur le marché danois des alcools. Le groupe BP n'a toutefois pas accédé à cette demande car, comme l'indiquait BP Kemi "notre principal intérêt était de continuer à vendre de l'éthanol de synthèse provenant du groupe BP aux gros clients auxquels nous pouvions livrer en vrac, en laissant à DDSF le soin d'approvisionner les petits clients, de vendre les qualités spéciales et les produits conditionnés pour le traitement desquels elle était mieux équipée. En fait, nos capacités limitées pour l'éthanol ne nous permettent pas d'augmenter sensiblement l'éventail de nos activités".
24. Lorsqu'il apparut à DDSF qu'elle ne pourrait obtenir l'exclusivité de distribution, elle souhaita alors "être efficacement protégée contre la menace potentielle qui résidait dans le fait que notre fournisseur était en même temps notre concurrent".
25. À la fin de 1972, DDSF et BPCL parvinrent à s'entendre et DDSF informa ses clients par une circulaire du 22 décembre 1972 qu'elle avait décidé d'arrêter le 1er juillet 1973 sa production d'éthanol de synthèse et qu'à compter du 1er janvier 1973, elle appliquerait déjà les prix plus bas qui seraient pratiqués pour les alcools importés. Ce n'est pourtant qu'après d'autres négociations entre DDSF et BP Kemi, qui reprit les négociations pour le compte du groupe BP, qu'un accord d'achat et qu'un accord de coopération furent conclus.
8. Les accords
26. L'accord d'achat fut signé par BP Kemi et par DDSF respectivement le 26 mars 1973 et le 12 avril 1973 et entra en vigueur le 1er juillet 1973.
Cet accord prévoyait notamment les dispositions suivantes:
a) DDSF devait acheter à BP Kemi la totalité de l'éthanol de synthèse non dénaturé dont elle aurait besoin;
b) BP Kemi n'était pas tenue de livrer à DDSF plus de 25 000 tonnes d'éthanol au cours d'une année civile quelconque (les besoins de DDSF ne dépassaient pas ... tonnes);
c) DDSF était libre d'acheter auprès de tiers les quantités d'éthanol excédant ces 25 000 tonnes, à condition d'avoir au préalable donné à BP Kemi la possibilité de lui livrer ces quantités excédentaires aux mêmes conditions que celles qui étaient prévues pour les 25 000 tonnes;
d) chacune des parties pouvait mettre fin à l'accord moyennant un préavis écrit de douze mois au moins, ce préavis ne pouvant expirer avant le 30 juin 1979;
e) les prix fixés dans le contrat pouvaient être augmentés par BP Kemi pour n'importe quelle raison, moyennant un préavis d'au moins six mois expirant un 1er janvier. Si DDSF devait estimer que cette augmentation était injustifiée une procédure de conciliation était prévue et si, au 31 octobre, aucun accord n'était intervenu, chaque partie pouvait alors dénoncer l'accord moyennant un préavis de six mois. En dehors de cette procédure, le prix pouvait être augmenté à la suite notamment de modifications du taux de change.
27. L'accord de coopération ne fut ni signé par les parties, ni daté mais selon BP Kemi, il était destiné à compléter l'accord d'achat et c'est "pour plus de commodité" qu'on lui donna la forme d'un accord séparé. Les parties commencèrent à se conformer aux conditions de l'accord de coopération à partir du 1er juillet 1973 lorsque l'accord d'achat entra en vigueur, l'accord de coopération devant rester applicable aussi longtemps que l'accord d'achat le resterait, c'est-à-dire au moins jusqu'à la fin du premier semestre de 1979.
28. L'accord de coopération prévoyait notamment les dispositions suivantes: a) les ventes annuelles de BP Kemi pouvaient atteindre au maximum 25 % des ventes annuelles combinées d'alcool de DDSF et de BP Kemi au Danemark. Ces pourcentages ne seraient pas modifiés pendant toute la durée de validité du contrat principal;
b) BP Kemi verserait une compensation à la DDSF si ses ventes devaient excéder cette limite de 25 %. Par litre, le montant de la compensation due était égal à la différence entre, d'une part, le prix figurant au barème, diminué du rabais de quantité et de la prime annuelle et, d'autre part, le prix facturé majoré des coûts de distribution de BP Kemi;
c) BP Kemi devait adresser à DDSF un relevé mensuel des ventes d'éthanol en indiquant les quantités vendues à chaque client. DDSF, pour sa part, devait informer chaque mois BP Kemi du chiffre total de ses ventes ainsi que des ventes individuelles aux clients achetant plus de 100 000 litres;
d) BP Kemi devait appliquer le barème de DDSF pour l'éthanol et pratiquer en principe les mêmes conditions de paiement que cette dernière. Des dispositions détaillées permettaient de calculer les prix nets facturés aux clients achetant plus de 100 000 litres par an, et les parties devaient se consulter mutuellement au cas où il s'avérerait nécessaire de s'écarter des ces dispositions. Pour les clients bénéficiant de prix spéciaux, c'est-à-dire les clients ayant une consommation annuelle d'éthanol supérieure à 500 000 litres, il était prévu des conditions de crédit spéciales, arrêtées préalablement et négociées cas par cas entre DDSF et BP Kemi;
e) BP Kemi devait plus généralement se réserver les clients ayant une consommation annuelle d'au moins 100 000 litres et elle n'envisagerait pas de vendre des "alcool A" ou de l'éthanol en bouteille;
f) dans la mesure où DDSF pouvait apporter la preuve qu'elle pouvait s'approvisionner ailleurs à meilleur compte, BP Kemi était tenue soit de s'aligner sur ce prix soit de se retirer du contrat, sous réserve que l'offre satisfasse à un certain nombre de conditions précises concernant entre autres la quantité et la qualité (clause dite "clause anglaise") ; la quantité en cause devait satisfaire les besoins de DDSF pendant au moins un an.
29. Les parties ont informé la Commission qu'il avait été mis fin le 31 décembre 1974 à l'accord de coopération. Cette décision fut arrêtée à la suite de consultations verbales qui n'ont fait l'objet d'aucune transcription dans un procès-verbal, protocole ou tout document similaire. DDSF a indiqué que cette décision avait été motivée par les difficultés pratiques que posait l'application des clauses de l'accord, notamment dans le domaine des prix ; BP Kemi a quant à elle indiqué qu'elle estimait que les accords de contingentement, de compensation et de prix entravaient ses propres efforts de vente.
30. Lorsqu'il fut mis fin à l'accord de coopération, BP Kemi s'engagea à verser à DDSF une somme de 2,2 millions de couronnes danoises. Cette somme représentait la compensation que, selon les calculs des parties, BP Kemi aurait dû payer à DDSF jusqu'à l'expiration de l'accord de coopération le 30 juin 1979. Ce montant fut calculé sur la base de l'évolution présumée des parts de marché détenues par les parties et en tenant compte de l'avantage que représentait pour DDSF le fait de recevoir cette compensation en 1975.
31. DDSF a indiqué que BP Kemi s'était engagée à assumer cette obligation parce que la résiliation de l'accord de coopération sans compensation aurait signifié un renversement total des prémisses à partir desquelles DDSF avait conclu l'accord d'achat.
Toutefois, le paiement n'eut pas lieu car, lorsque la Commission demanda pour la première fois des informations aux parties en janvier 1976, celles-ci décidèrent de surseoir au paiement en attendant l'issue de la procédure.
32. Le 2 septembre 1975, BP Kemi et DDSF signèrent un avenant à l'accord d'achat ; selon BP Kemi, cet avenant fut appliqué rétroactivement à compter du 1er janvier de la même année.
DDSF a informé la Commission que cet avenant avait été conclu de sa propre initiative, car elle souhaitait que l'obligation d'achat soit régie par une "clause anglaise".
33. Le texte de l'avenant prévoyait que celui-ci faisait partie intégrante du contrat d'achat et qu'il devait être considéré comme le complétant. Il contenait une "clause anglaise" que DDSF pouvait invoquer plus largement que l'ancienne clause du contrat de coopération. Cette clause pouvait être invoquée si l'offre émanait d'un "fournisseur d'alcool d'Europe occidentale sérieux" et si elle concernait "au moins 2 millions de litres, sous forme d'expéditions d'au moins 500 000 litres chacune, à livrer au plus tard dans les six mois". Si la clause était invoquée, BP Kemi pouvait réduire le prix ou la quantité que DDSF était tenue d'acheter, mais, dans ce dernier cas, BP Kemi pouvait également mettre fin à l'accord.
Par lettre datée du 11 juillet 1978, DDSF mettait fin à l'accord d'achat à compter du 15 juillet 1979. Les parties n'ont toutefois pas exclu le maintien de liens contractuels.
9. Comportement des parties
a) Position sur le marché
34. Le tableau suivant indique les ventes totales d'éthanol au Danemark et les parts de marché détenues respectivement par DDSF et BP Kemi sur ce marché au cours des années 1973 à 1977.
La majeure partie des quantités vendues par les "autres" provient de France et de république fédérale d'Allemagne.
b) Livraisons à DDSF
35. Depuis que l'accord d'achat est entré en vigueur en 1973, DDSF a reçu un certain nombre d'offres d'autres fournisseurs ; les offres ont été faites spontanément soit par ces fournisseurs soit à l'initiative de DDSF. Une seule fois ces offres se concrétisèrent par un contrat, à savoir en 1973, lorsque DDSF, après approbation de BP Kemi, acheta auprès d'une société norvégienne une petite quantité d'éthanol. Une autre fois, en 1976, alors que le prix de BP Kemi était de 2,09 couronnes danoises par litre pur, DDSF reçut une offre concernant de l'éthanol produit par Veba-Chemie au prix de 1,92 - 1,95 couronne danoise par litre pur ; toutefois, au vu de cette offre, BP Kemi abaissa son prix à 1,88 couronne danoise, si bien qu'aucun contrat ne fut conclu avec Veba-Chemie.
36. Dans tous les autres cas, les prix offerts ont été plus élevés que ceux que pratiquait BP Kemi au même moment. C'est ainsi qu'aucune nouvelle négociation n'eut lieu entre DDSF et la société commerciale française Sofecia, qui vend de l'éthanol produit notamment par Sodes, après que Sofecia, le 24 avril 1973, eut offert à DDSF de l'éthanol à un prix qui, de l'avis de cette dernière, était considérablement plus élevé que le prix convenu entre DDSF et BP Kemi. Un document interne de DDSF, daté du 24 janvier 1973, précisait pourtant que le représentant de Sofecia, en liaison avec une offre du 23 janvier 1973 concernant des livraisons d'alcool destinées à couvrir les besoins dans ce pays, avait indiqué que "ces prix n'étaient que des propositions et qu'il était prêt à les négocier".
37. Selon un autre document interne de DDSF daté du 18 octobre 1973, une réunion eut lieu entre DDSF et Sodes le 17 octobre 1973. Il y fut décidé de garder le contact bien que Sodes "ait compris qu'en raison de l'obligation d'achat il ne lui serait pas possible, dans l'immédiat, de livrer des alcools à DDSF".
Lors de la même réunion, Sodes indiqua qu'elle "maintiendrait à leur niveau actuel ses livraisons au Danemark".
c) Échange d'informations
38. En juillet 1973, BP Kemi et DDSF commencèrent à échanger chaque mois des informations détaillées sur les quantités vendues aux clients individuels conformément aux clauses de l'accord de coopération. BP Kemi a reconnu que, bien que l'accord de coopération ait pris fin le 31 décembre 1974, cet échange d'informations s'est poursuivi jusqu'à la fin de 1976. Une liste communiquée à la Commission par BP Kemi et montrant les quantités vendues par BP Kemi et par DDSF en 1975 et 1976 aux "clients alcool" individuels prouve également que ce système d'informations continuait à fonctionner.
Il convient de noter que, dans des lettres datées de décembre 1976, la Commission avait informé les parties que les clauses de l'accord de coopération paraissaient enfreindre les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE.
d) Clients de BP Kemi
39. BP Kemi a reconnu que, pendant toute la durée de validité de l'accord de coopération, elle n'a livré à aucun client ayant une consommation annuelle inférieure à 100 000 litres. Ce n'est que lorsque cet accord prit fin qu'elle commença à vendre à des clients achetant moins de 100 000 litres. Elle avait 4 clients dans ce cas en 1975, 6 en 1976 et 7 en 1977.
e) Prix
40. Les parties ne contestent pas que, pendant toute la durée de validité de l'accord de coopération, BP Kemi appliquait les mêmes tarifs que DDSF lorsqu'il s'agissait de clients comparables, et qu'elle continua de le faire après qu'il eut été mis fin à cet accord. En fait, BP Kemi a indiqué que "ce n'est qu'en septembre 1976 qu'elle avait commencé à concurrencer DDSF au niveau des prix et qu'elle n'avait cessé de le faire depuis lors". Toutefois, les parties n'ont donné qu'un seul exemple, relatif à 1976, quant au fait que BP Kemi pratiquait des conditions de prix plus avantageuses que DDSF et elles n'ont pas contesté les exemples produits par la Commission dans sa communication des griefs et indiquant que les prix pratiqués par les parties étaient identiques au cours des derniers mois de 1976. Des exemples de différences de prix pratiqués n'apparurent plus fréquemment qu'au cours de 1977.
f) Compensation
41. Comme BP Kemi n'a réalisé en 1973 que 23 % du montant total de ses ventes majoré de celles de DDSF et qu'elle n'a donc pas dépassé la limite de 25 % prévue dans l'accord de coopération, elle n'a payé aucune compensation à DDSF en 1973. En 1974, lorsque sa part dans l'ensemble des ventes est passée à 31 %, elle paya à DDSF une compensation de 217 628,20 couronnes danoises. Comme il a été indiqué ci-dessus, le paiement de 2,2 millions de couronnes danoises que BP Kemi s'est engagée à verser à DDSF en liaison avec la résiliation de l'accord de coopération reste en suspens dans l'attente de l'issue de l'affaire.
10. La plainte
42. Dans sa plainte du 18 mars 1975, Atka A/S a indiqué que Atka Kemi A/S avait cessé sa production parce que DDSF et BP Kemi pratiquaient les mêmes prix élevés pour l'alcool vendu en vrac. Étant donné que Atka Kemi A/S achetait de l'éthanol chez BP Kemi et qu'elle était un client potentiel de DDSF qui l'avait antérieurement approvisionnée, Atka A/S avait un intérêt légitime à ce que l'affaire soit traitée par la Commission conformément à l'article 3 paragraphe 2 sous b) du règlement nº 17.
II. APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 85 PARAGRAPHE 1
43. Conformément à l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à:
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction;
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements;
c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
A. ACCORDS ET PRATIQUES CONCERTÉES ENTRE ENTREPRISES
44. 1. DDSF et BP Kemi sont des entreprises au sens de l'article 85 paragraphe 1.
45. 2. L'accord d'achat entré en vigueur le 1er juillet 1973, l'accord de coopération qui a pris effet à la même date et l'avenant du 2 septembre 1975 sont des accords au sens de l'article 85 paragraphe 1. Bien que l'accord de coopération n'ait jamais été signé, il a néanmoins été appliqué par les deux parties comme l'indique en particulier le paiement de 217 628,20 couronnes danoises effectué par BP Kemi au profit de DDSF à titre de compensation pour 1974.
46. L'accord de coopération et l'accord d'achat constituent un tout. Non seulement l'accord de coopération se réfère à l'accord d'achat comme contrat principal mais les clauses de l'accord de coopération doivent être considérées comme la contrepartie nécessaire de l'obligation assumée par DDSF dans le contrat d'achat de n'acheter qu'auprès de BP Kemi pendant six ans. Cette obligation d'achat doit être considérée comme une condition préalable pour au moins certaines des obligations assumées par BP Kemi dans l'accord de coopération. Cette relation étroite entre les deux accords est également démontrée par le fait que l'avenant complétait l'accord d'achat, alors que son contenu, y compris la "clause anglaise", se substituait à des clauses qui figuraient antérieurement dans l'accord de coopération.
47. Le lien étroit entre les accords, qui n'est pas contesté par les parties, est la résultante d'une interaction de leurs intérêts.
48. Lorsque DDSF, en raison de la vétusté de ses installations de production et de la perte de la situation protégée dont elle jouissait sur le marché danois, décida d'entrer en négociations avec le groupe BP, elle était depuis de nombreuses années pratiquement la seule entreprise à vendre de l'éthanol au Danemark. Lorsqu'il devint évident que BP Kemi ne lui accorderait pas l'exclusivité de distribution de l'éthanol au Danemark, elle avait intérêt à ce que BP Kemi lui garantisse la livraison des quantités dont elle avait besoin. BP Kemi, de son côté, était, à cette époque, incapable d'approvisionner à elle seule la totalité du marché danois puisqu'elle ne disposait pas des contacts nécessaires avec les utilisateurs d'éthanol ni, au Danemark, des installations de dénaturation et de conditionnement nécessaires pour livrer les qualités spéciales et approvisionner les petits clients. Il était donc conforme aux intérêts de BP Kemi et de BPCL de livrer à DDSF les quantités d'éthanol correspondant à la totalité de ses besoins car si DDSF s'engageait à n'acheter qu'auprès de BP Kemi, BP Kemi et donc BPCL serait assurée de pouvoir approvisionner plus de 90 % du marché de l'éthanol au Danemark, ce qui représente environ 10 % de la production annuelle d'éthanol de BPCL.
49. Toutefois, l'obligation pour DDSF de n'acheter qu'auprès de BP Kemi aurait procuré à celle-ci un avantage concurrentiel décisif pour l'approvisionnement des gros clients à court terme et pour l'ensemble du marché à long terme, puisque, en pratiquant envers DDSF le même prix qu'envers d'autres acheteurs au Danemark, BP Kemi pouvait créer des difficultés pour DDSF au cas où cette dernière aurait souhaité concurrencer BP Kemi dans ses approvisionnements. DDSF n'aurait donc été disposée à assumer une obligation d'achat qui aurait continué à la lier après que les droits de douane seraient devenus insignifiants que si, en contrepartie, elle était assurée de bénéficier d'une certaine protection de ses intérêts. Les clauses convenues à cet égard entre DDSF et BP Kemi figurent dans l'accord de coopération.
50. 3. Certaines des clauses essentielles de l'accord de coopération ont continué à être appliquées deux ans après la fin de l'année 1974 (c'est-à-dire jusque fin 1976) date à laquelle BP Kemi et DDSF furent pour la première fois informées de l'avis de la Commission sur l'accord de coopération.
51. À cet égard, le fait que les parties aient continué d'échanger des informations dans la même mesure qu'auparavant n'a pas été contesté.
52. Les parties ont également continué à pratiquer les mêmes prix pour des clients comparables. BP Kemi a indiqué qu'elle avait commencé à exercer une concurrence au niveau des prix à partir de septembre 1976 mais n'a pas présenté de faits concrets permettant d'infirmer les exemples donnés par la Commission pour montrer que les pratiques de prix similaires s'étaient poursuivies jusqu'à la fin de 1976. Ce n'est qu'en 1977 et plus particulièrement au cours du second semestre que l'on remarque une plus grande fréquence des cas où BP Kemi et DDSF ont pratiqué des prix différents.
53. Les deux parties ont prétendu que les prix similaires qu'elles pratiquaient n'étaient pas le résultat d'un accord ou d'une pratique concertée mais celui du libre jeu des forces en présence sur le marché : BP Kemi devait suivre l'entreprise dominante sur le marché et aligner ses prix sur les tarifs publiés par DDSF. À l'encontre de cet argument, il convient de souligner qu'en tant que fournisseur de DDSF, BP Kemi disposait à tout moment d'un avantage concurrentiel intrinsèque et qu'elle était en mesure de l'exploiter comme cela est apparu en 1977 bien qu'à cette époque DDSF fût encore l'entreprise dominante sur le marché. Les conditions du marché n'ont à aucun moment obligé BP Kemi à aligner ses prix sur ceux de sa cliente et après que l'arrangement en matière de compensation eut pris fin il est évident qu'elle avait intérêt à développer ses ventes aux dépens de DDSF. En outre, il semble qu'il y ait contradiction entre l'opinion des parties selon laquelle il était "normal" que BP Kemi suive les prix de DDSF et la déclaration de DDSF selon laquelle la clause de prix contenue dans l'accord de coopération "visait à donner à DDSF la protection nécessaire contre d'éventuelles sous-cotations de la part de son unique fournisseur". En fait, cette déclaration montre que DDSF considérait qu'il était "normal", que BP Kemi se serve de sa supériorité dans le domaine des approvisionnements pour offrir des prix plus avantageux que ceux de DDSF à une époque où la position de DDSF sur le marché était plus forte qu'elle ne devait l'être par la suite.
54. Il ne semble pas possible que les parties aient pu continuer à appliquer les mêmes barèmes aux clients individuels sans coordination entre elles. L'application de prix identiques peut, en soi, ne pas être la preuve de l'existence d'une pratique concertée, mais constitue une forte présomption d'une telle pratique s'il y a peu de chance qu'elle se produise sur un marché normal. Cette présomption se trouve encore renforcée lorsque l'on sait que les entreprises en cause se trouvaient antérieurement liées par une clause expresse en matière de prix et qu'elles ont régulièrement échangé des informations détaillées sur les quantités vendues aux clients individuels. De même, il ne semble pas possible que l'échange d'informations importantes de cette nature ait pu se faire sans coordination du comportement des parties, en particulier lorsque ce comportement était antérieurement régi par une clause expresse. En 1974, alors que ces clauses expresses de l'accord de coopération étaient encore en vigueur, la part de BP Kemi dans le montant total des ventes atteignait 31 % et elle ne s'est guère modifiée en 1975 et 1976 ; en 1975, elle était de 37 % et, en 1976, elle est retombée à 33 %. C'est seulement en 1977, lorsque cessèrent l'échange d'informations et l'application de prix similaires, qu'elle est passée à 45 %.
55. Dans ces conditions, l'échange continu d'informations et l'application continue de prix similaires ne peuvent s'expliquer que comme le résultat d'une pratique concertée au sens de l'article 85 paragraphe 1. Cette pratique concertée remplace les clauses expresses correspondantes de l'accord de coopération - qui furent appliquées par les parties au cours de la période du 1er juillet 1973 au 31 décembre 1974 et fut mise en œuvre par les parties du 1er janvier 1975 jusqu'à fin 1976.
56. Une autre clause de l'accord de coopération, la clause anglaise, est apparue si importante qu'elle a été incluse, sous une forme modifiée, dans l'avenant à l'accord d'achat et qu'aux dires de BP Kemi elle fut même appliquée à compter de la date à laquelle l'accord de coopération prendrait officiellement fin. Le but de cette clause était de lever tout doute quant à la possibilité d'acheter auprès d'autres producteurs et de laisser à BP Kemi le soin de décider, cas par cas, s'il était admis que DDSF s'approvisionne auprès d'autres fournisseurs. En mars 1975, lorsqu'il avait déjà été mis fin officiellement à l'accord de coopération mais que l'avenant n'avait pas été approuvé, DDSF est entrée en contact avec le producteur français Sodes, cette démarche n'a toutefois pas abouti à la conclusion d'un contrat.
B. RESTRICTION DE LA CONCURRENCE DANS LE MARCHÉ COMMUN
1. Restriction de la concurrence avec les tiers
57. Contrairement à l'opinion des parties, le problème qui se pose ici n'est pas de savoir qui a souhaité que l'on convienne que DDSF soit tenue de s'approvisionner entièrement en éthanol de synthèse auprès de BP Kemi, ni si le motif essentiel était la volonté de DDSF d'assurer ses approvisionnements ou celle de BP Kemi d'assurer ses ventes, ni encore si l'obligation d'achat était conforme aux intérêts des deux parties. La question décisive est de savoir si l'obligation avait pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence.
58. Comme l'a souligné la Cour de justice, "la concurrence peut être faussée au sens de l'article 85 paragraphe 1, non seulement par des accords qui la limitent entre les parties, mais également par des accords qui empêchent ou restreignent la concurrence qui pourrait s'exercer entre l'une d'elles et des tiers. À cet effet il est indifférent que les parties à l'accord se trouvent ou non sur un pied d'égalité en ce qui concerne leur position et leur fonction économique. Il doit en être d'autant plus ainsi que, par un tel accord, les parties pourraient chercher, en empêchant ou en limitant la concurrence des tiers sur les produits, à instituer ou à garantir à leur profit un avantage injustifié au détriment du consommateur ou de l'usager, contraire aux objectifs généraux de l'article 85" (5).
59. Lorsqu'un acheteur s'engage pour une période déterminée à acheter auprès d'un fabricant toutes les quantités d'un produit donné qui lui sont nécessaires, il empêche d'autres fabricants du même produit de lui livrer ce produit au cours de la période en question. Cet engagement a donc pour effet, en ce qui concerne l'approvisionnement de cet acheteur, d'exclure pendant la période en question toute concurrence entre le fabricant qui obtient un tel contrat et d'autres fabricants du même produit. Selon notamment la durée de la période et le contexte économique, y compris les parts de marché et la situation de l'acheteur et du vendeur, cette obligation d'achat peut constituer une restriction de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1.
60. Il est vrai que, lorsqu'un contrat concernant l'achat d'une certaine quantité d'un produit déterminé est conclu, les autres fabricants du produit en cause se voient privés (pour cette quantité mais non au-delà de celle-ci) de la possibilité d'approvisionner cet acheteur, mais il est vrai aussi que ces producteurs ont la faculté de concourir en vue d'obtenir un tel contrat avant que celui-ci ne soit conclu. C'est là le jeu normal de la concurrence qui permet à toute partie intéressée de soumettre une offre et à l'acheteur de choisir librement l'offre qui lui paraît la plus intéressante compte tenu de tous les facteurs. Toutefois, la conclusion d'un accord d'achat exclusif d'assez longue durée a pour effet de figer les rapports entre fournisseur et acheteur et d'éliminer le jeu de l'offre et de la demande au détriment, notamment, des concurrents nouveaux qui se voient ainsi empêchés d'approvisionner le client, et de concurrents de plus longue date qui auraient pu, entre-temps, devenir plus concurrentiels que le fournisseur choisi. Si les conditions du marché s'en trouvent affectées de manière appréciable, il est possible que la concurrence soit restreinte au sens de l'article 85 paragraphe 1.
61. Dans le cas présent, l'obligation d'achat signifie que tous les fournisseurs étrangers, à l'exception de BPCL, se voient empêchés pendant six ans de vendre à DDSF qui représente pour eux non seulement le plus gros débouché au Danemark mais également à d'autres égards la seule possibilité pratique de vente au Danemark. Le fait que BP Kemi ne soit pas tenue de livrer à DDSF plus de 25 000 tonnes d'éthanol par an n'atténue en rien le caractère restrictif de cette obligation dans le chef de DDSF. DDSF est obligée d'acheter exclusivement auprès de BP Kemi les 25 000 premières tonnes d'éthanol dont elle a besoin avec pour résultat l'exclusion des autres producteurs en ce qui concerne ces quantités. Par conséquent, jusqu'à ce que la consommation réelle de DDSF ne dépasse pas ... - ... hl, ce qui correspond à quelque ... tonnes (le poids spécifique de l'alcool pur étant de 0,8 environ) la limite des 25 000 tonnes ne revêt aucune importance pratique. D'ailleurs, si cette limite était atteinte, cela ne signifierait pas que DDSF soit libre d'acheter auprès d'autres fournisseurs les quantités éventuelles d'éthanol dont elle aurait besoin au-delà des 25 000 tonnes précitées, puisque, dans ce cas, DDSF serait dans l'obligation de faire bénéficier BP Kemi en priorité de la possibilité de lui livrer ces quantités supplémentaires.
62. Les parties ont soutenu que la clause anglaise dans ses différentes versions implique une protection de DDSF, puisqu'elle lui permet d'acheter meilleur marché lorsque les conditions de la clause sont remplies, et puisque la clause implique que ces achats puissent éventuellement se faire auprès d'autres fournisseurs. Toutefois, les conditions mises pour que cette clause puisse jouer sont si rigoureuses qu'elle présente un intérêt pratique limité. En outre, la nature même de cette clause confirme le lien restrictif qui existe entre les parties et implique une protection des intérêts de BP Kemi.
63. La clause anglaise de l'accord de coopération ne pouvait, selon les propres termes de l'accord, être invoquée que si les quantités offertes par le concurrent correspondaient au montant total des besoins annuels de DDSF. Il n'était donc pas possible d'acheter de plus petites quantités auprès d'autres fournisseurs. Néanmoins, même si DDSF avait trouvé un autre fournisseur pouvant lui livrer les quantités correspondant à la totalité de ses besoins annuels, DDSF aurait pu s'abstenir d'invoquer la clause puisque, selon la clause, ceci aurait signifié que BP Kemi aurait pu se retirer du contrat.
La clause anglaise contenue dans l'avenant n'assouplit l'obligation d'achat que de manière négligeable. Elle prévoit toujours des quantités minimales d'achat qui ne peuvent être inférieures à 2 millions de litres par expéditions d'au moins 500 000 litres sur une période maximale de six mois. En outre, l'offre doit émaner d'un "fournisseur d'alcool d'Europe occidentale sérieux", ce qui exclut entre autres l'offre émanant d'entreprises d'Europe occidentale pour de petites quantités et les offres occasionnelles sur le marché du disponible auxquelles ont fréquemment recours les utilisateurs pour compléter leurs approvisionnements. Bien que DDSF n'eût pu se permettre d'être tout à fait dépendante de ces sources, la possibilité d'y faire appel à titre de complément aurait été financièrement intéressante pour elle. En outre, même si DDSF avait pu recevoir une offre remplissant lesdites conditions, elle aurait pu ne pas invoquer la clause de crainte que BP Kemi ne fasse usage du droit que lui donne cette clause de mettre fin à l'accord.
64. Dans la mesure où auraient été remplies les conditions d'application de la clause anglaise de l'avenant par exemple, et où, en conséquence, DDSF aurait pu décider d'appliquer la clause, on voit que BP Kemi pouvait être informée dans le détail d'une offre présentée par l'un de ses concurrents, et que ces informations concernant le comportement d'un concurrent sur le marché et de ses possibilités d'approvisionnement présentaient pour elle un intérêt certain. En conséquence, la clause anglaise a restreint la concurrence entre BP Kemi et ses concurrents car elle a permis à celle-ci d'obtenir des renseignements sur les prix qu'elle n'aurait pu obtenir autrement. L'application de la clause anglaise permettait également à BP Kemi de décider dans chaque cas, compte tenu de tous les facteurs, si un concurrent offrant de l'éthanol à un prix moins élevé et ne satisfaisant pas aux autres conditions stipulées dans la clause pouvait être autorisé à approvisionner DDSF. DDSF ne pouvait acheter auprès de ce concurrent que si BP Kemi avait décidé de ne pas s'aligner sur le prix offert par celui-ci ; il n'est donc pas nécessaire que BP Kemi propose une offre plus favorable que celle de ce concurrent. Ceci n'est pas contredit par le fait que BP Kemi, dans le cas de l'offre relative à de l'éthanol produit par VEBA-Chemie, ait proposé un prix plus avantageux.
65. En dépit du prétendu avantage de la clause anglaise pour DDSF, on peut se demander si elle pouvait contribuer à faire baisser les prix au niveau qu'ils atteindraient dans une situation de concurrence. Si cette concurrence pouvait s'exercer, on pourrait s'attendre qu'un distributeur qui apprend qu'un concurrent est descendu au-dessous de son prix cherche à obtenir cette commande en baissant son prix davantage, mais il n'est pas certain qu'un concurrent ayant connaissance de la clause anglaise le fasse, si cela était possible, puisqu'il pourrait estimer cette réduction inutile.
66. L'obligation d'achat complétée par la clause anglaise limite - et a limité - de manière appréciable les possibilités pour d'autres fournisseurs que BP Kemi de vendre sur le marché danois. La surcapacité générale prouve que d'autres fournisseurs pouvaient disposer de ces quantités. Quant aux coûts de transport, ils ne jouent qu'un rôle secondaire comme le prouve le fait qu'il y a eu certaines importations en provenance des États-Unis d'Amérique. En ce qui concerne les prix, ceux qui étaient pratiqués sur le marché danois ont toujours été intéressants, même pour les producteurs de pays avec des prix intérieurs relativement élevés, comme la république fédérale d'Allemagne, par exemple. De l'éthanol de synthèse produit par Veba-Chemie a été effectivement offert à DDSF à un prix inférieur à celui de BP Kemi. Il est vrai, bien entendu, que des droits étaient perçus sur les importations au Danemark jusqu'au 30 juin 1977, mais, même en 1973, lorsqu'ils atteignaient 25,2 % du prix de vente, ils n'ont pas empêché des acheteurs étrangers de soumettre des offres ou des propositions de négociation à DDSF afin d'établir des relations commerciales avec elle et d'accéder à un nouveau marché qui, sous peu, ne leur serait plus fermé par des droits de douane. Si DDSF n'avait pas été liée par l'obligation d'achat complétée par la clause anglaise, elle aurait pu également rechercher sur le marché du disponible ou ailleurs des offres qui n'auraient pas satisfait aux conditions de la clause anglaise mais qui auraient été économiquement avantageuses pour elle. DDSF s'est donc vue privée de la possibilité de faire appel à d'autres fournisseurs, soit occasionnellement, soit en permanence dans le but d'amplifier ces transactions et donc de réduire sa dépendance vis-à-vis de BP Kemi.
67. Les effets restrictifs de l'obligation d'achat complétée par la clause anglaise sont particulièrement évidents sur le marché en question. DDSF, l'entreprise liée à BP Kemi par ces clauses, est le plus gros acheteur sur le marché danois et a représenté une part de marché de 71 % en 1973 et de 56 % en 1976. Étant donné que BP Kemi détenait elle-même sur ce marché pendant ces années une part respective de 21 % et de 28 %, il ne restait à d'éventuels autres fournisseurs qu'une part mineure du marché. En outre l'offre est de nature oligopolistique dans toute la Communauté. En dehors de BPCL, les seuls producteurs pouvant être pris en considération sont Sodes en France, Veba-Chemie et Erdölchemie en république fédérale d'Allemagne. En outre, Erdölchemie n'est pas un concurrent réellement indépendant puisque c'est une entreprise commune dans laquelle Bayer et BP (par l'intermédiaire d'une filiale allemande) détiennent chacune une participation de 50 % et où BP exerce une forte influence puisque Bayer n'a pas d'autres intérêts dans le domaine de l'éthanol. En dehors de ces producteurs, il n'existe qu'un petit nombre de fournisseurs pouvant être considérés comme concurrents de BP Kemi sur le marché danois : ils vendent de l'éthanol produit dans la Communauté ou dans des pays non membres, mais en quantités limitées.
68. Lorsque, sur un tel marché, où la concurrence apparaît structurellement faible, l'un des principaux fournisseurs conclut avec l'un des principaux acheteurs des contrats à long terme qui incitent l'acheteur à s'approvisionner en totalité ou pour l'essentiel auprès de ce même fournisseur, les concurrents et les acheteurs de ce fournisseur se voient considérablement désavantagés, ce qui constitue donc une restriction de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1. Un accord d'une durée de six ans va certainement au-delà de ce qu'autorisent les règles de concurrence de la Communauté économique européenne eu égard à la nature des liens juridiques et économiques entre les parties.Il faut assurément reconnaître que DDSF a intérêt à s'assurer des approvisionnements sûrs et réguliers et que BPCL a intérêt à trouver des débouchés durables et réguliers à sa production. Mais il serait possible de protéger ces intérêts par la conclusion d'accords d'achat stipulant des quantités fixes mais dans lesquels il ne serait pas fait mention des besoins non quantifiés ou approximativement quantifiés de l'acheteur et sans les restrictions découlant de la clause anglaise. Ces accords pourraient être régulièrement renégociés en fonction de l'évolution des intérêts des parties et de leur fonction sur le plan de la concurrence.
69. DDSF a fait valoir que, comme elle peut mettre fin à l'obligation d'achat chaque fois qu'elle-même et BP Kemi ne peuvent s'entendre sur les augmentations de prix décidées par BP Kemi, il y a lieu de considérer que l'on se trouve en présence, non pas d'un accord irrévocable de six ans, mais d'une succession d'accords conclus à chaque augmentation de prix et uniquement après des négociations ayant permis à chacune des parties de défendre ses intérêts.
Toutefois, l'obligation d'achat a été souscrite pour six ans. Elle est contraignante pour les parties pendant tout ce laps de temps et elle ne prend pas automatiquement fin lorsqu'il y a augmentation du prix.
70. DDSF s'est en outre référée aux statistiques officielles du commerce extérieur danois et a indiqué que, puisque, depuis 1973, les prix à l'importation (hors taxes) ont été moins élevés pour l'éthanol importé du Royaume-Uni que pour l'éthanol provenant de tout autre pays de la Communauté économique européenne, DDSF n'aurait acheté en tout état de cause que de l'éthanol produit par BPCL.
À propos de cet argument, il convient de faire remarquer que lorsque DDSF achète à BP Kemi elle ne paie pas le prix à l'importation mais un prix plus élevé qui comprend le profit de BP Kemi ; une comparaison des prix à l'importation ne semble donc pas pertinente. En outre, les offres qui ne sont pas acceptées, telle que l'offre avantageuse faite pour de l'éthanol produit par Veba-Chemie, qui ne s'est pas concrétisée par une vente du fait que BP Kemi a diminué son prix par la suite, n'apparaissent naturellement pas dans les statistiques. Il faut également noter que les prix à l'importation d'autres pays concernent des quantités relativement faibles et ne reflètent donc pas les prix plus favorables que DDSF aurait probablement obtenus si elle avait été libre de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs que BP Kemi.
71. BP Kemi a fait valoir que l'obligation d'achat n'a pas restreint la concurrence en raison des mesures gouvernementales prises en France et en république fédérale d'Allemagne qui n'ont permis d'exportations au départ de ces pays que dans la mesure où la demande nationale pouvait être satisfaite.
Or, les capacités de production en France et en république fédérale d'Allemagne dépassent sensiblement la production actuelle de ces pays et des exportations considérables ont eu lieu au départ de la république fédérale d'Allemagne et tout particulièrement au départ de la France. Vers le Danemark, par exemple, en 1976 (année où les mesures gouvernementales en France et en république fédérale d'Allemagne étaient encore en vigueur et où les droits de douane au Danemark étaient devenus négligeables), les exportations françaises ont atteint 14 000 hectolitres environ et les exportations allemandes 8 000 hectolitres environ. En outre, en janvier 1973, Sofecia a offert à DDSF de l'éthanol "destiné à couvrir la consommation au Danemark" et, en octobre 1973, DDSF et Sodes décidèrent de rester en contact bien que Sodes "eût compris (à cause de l'obligation d'achat) qu'elle ne pouvait dans l'immédiat envisager de livrer des alcools à DDSF". Il semble également que Sodes ne prévît pas de difficultés à continuer à approvisionner d'autres clients au Danemark.
Dans ces conditions, il y a lieu de penser que les mesures gouvernementales prises en France et en république fédérale d'Allemagne n'auraient pas empêché DDSF, si elle avait eu la liberté de le faire, de se procurer auprès de producteurs de ces deux pays une partie au moins de l'éthanol dont elle avait besoin.
2. Restriction de la concurrence entre BP Kemi et DDSF
a) Remarques générales
72. BP Kemi et DDSF ont prétendu que la concurrence entre elles n'est pas une forme de concurrence protégée par l'article 85 paragraphe 1. Leur argumentation peut être résumée comme suit:
73. Même si, sur le plan formel, c'est BP Kemi - et non BPCL - qui est partie aux accords, cette situation n'est que la conséquence d'une répartition interne des tâches au sein de groupe BP. Il faut donc, en fait, considérer que les accords ont été conclus entre un fabricant, BPCL, qui n'était pas à même d'approvisionner la totalité du marché danois, et un distributeur ; DDSF, qui dépendait entièrement de BPCL pour son approvisionnement. Les parties dépendaient donc l'une de l'autre et la situation était, au fond, la même que celle qui existe dans le cas d'un accord de distribution exclusive où un fabricant s'est réservé le droit de vendre le produit visé par le contrat à certains clients établis sur le territoire du distributeur exclusif. La concurrence entre un fabricant et un distributeur exclusif n'est pas le type de concurrence que l'article 85 a pour but de protéger. En fait, tout accord de distribution exclusive a pour caractéristique essentielle de limiter la liberté du fabricant de vendre sur le territoire qu'il concède à son distributeur et, dans ces conditions, il serait absurde d'obliger ce fabricant à faire concurrence à son distributeur puisque, à long terme, cette obligation aurait nécessairement pour effet d'éliminer le distributeur, sans pour autant favoriser la concurrence en général.
74. La Commission partage l'avis des parties selon lequel BPCL devrait également être englobée dans l'appréciation des accords conclus avec DDSF, étant donné que tant BP Kemi que BPCL font partie du groupe BP. Par contre, on ne saurait prétendre qu'il n'existe entre BP Kemi et DDSF aucune concurrence à laquelle s'applique l'article 85 paragraphe 1.
75. La concurrence entre les parties dans le cas présent est protégée par l'article 85 paragraphe 1. La Cour de justice a dit pour droit que l'article 85 paragraphe 1 n'établit aucune distinction entre opérateurs concurrents au même stade, ou entre opérateurs non concurrents situés à des stades différents et que l'on ne saurait distinguer là où le traité ne distingue pas (6). Or, l'article 85 paragraphe 1 n'établit pas non plus de distinction entre lesdites catégories d'accords et les arrangements entre opérateurs situés à des stades différents et se concurrençant mutuellement. En conséquence un accord entre de tels opérateurs concurrents, situés à des stades différents, peut avoir pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1.
76. L'existence d'une concurrence entre les parties apparaît notamment si l'on considère ce qui s'est produit en 1977, lorsque BP Kemi a commencé à concurrencer DDSF sur les prix et que la part de marché de cette dernière s'en est trouvée réduite.
En outre, les parties ont souligné par ailleurs que les prix ne constituent qu'une des dimensions de la concurrence et que l'éventail des offres et le service fourni au client jouent également un rôle dans la concurrence qui s'exerce pour trouver des clients. Enfin, en ce qui concerne la clause de prix dans l'accord de coopération, DDSF a déclaré elle-même qu'elle "visait à assurer à DDSF la protection nécessaire contre des offres à meilleur prix émanant de son propre fournisseur".
77. Un producteur n'est évidemment pas obligé d'opérer sur le territoire de son distributeur exclusif, mais s'il le fait, tant directement que par l'intermédiaire d'une filiale ou d'une société affiliée, il devient opérateur économique dans ce territoire au même titre que le distributeur. Économiquement, il exerce donc sur ce marché des fonctions similaires à celles du distributeur et toute restriction à sa liberté sur ce marché est une restriction de la concurrence au même titre qu'une restriction prévue par un accord entre deux distributeurs sur le marché.
Exclure le lien qui existe entre un fabricant et son distributeur, sur un territoire donné, de l'application des règles de la concurrence signifierait qu'ils pourraient librement convenir de vendre à des prix identiques ou de se partager la clientèle. Le producteur et le concessionnaire peuvent avoir des idées tout à fait différentes au sujet de leur politique commerciale ce qui se traduira par des différences au niveau des prix, des conditions de vente ou du service, et ce à l'avantage du consommateur.
b) Échange d'informations
78. BP Kemi a régulièrement informé DDSF de ses ventes d'éthanol en lui indiquant les quantités vendues à chaque client et DDSF a régulièrement informé BP Kemi de ses ventes totales ainsi que de ses ventes à tout client achetant annuellement 100 000 litres d'éthanol et plus. Un tel échange d'informations a pour conséquence que chacune des deux parties est au courant de certains aspects importants de la conduite de l'autre et qu'il s'établit entre elles un système de solidarité et d'influence réciproques qui les amène nécessairement à coordonner leur comportement sur le marché, notamment en ce qui concerne les prix [voir sous c) ci-après]. Aux risques normaux de la concurrence se substitue ainsi une coopération pratique qui entraîne des conditions différentes de celles que l'on obtient sur un marché normal. Un tel comportement est contraire à l'article 85 paragraphe 1.
79. Les parties ont fait état de la décision de la Commission du 15 décembre 1975 dans l'affaire SABA (7) selon laquelle un accord prévoyant un échange d'informations entre un fabricant et un concessionnaire ne constitue pas une restriction de la concurrence au sens de l'article 85 paragraphe 1. Dans ladite décision, la Commission a indiqué que l'obligation imposée aux concessionnaires exclusifs de SABA de communiquer à SABA, à la demande de celle-ci, leur marge bénéficiaire brute et les rabais accordés à leurs clients et de fournir aux mandataires de SABA tout renseignement désiré, ne constitue pas une restriction de la concurrence, aussi longtemps que SABA s'abstient de leur recommander de ne pas vendre de produits visés par le contrat en dehors du territoire concédé ou d'appliquer des prix déterminés, et aussi longtemps qu'elle n'envisage pas d'appliquer un système d'avantages ou d'inconvénients pour atteindre de tels buts. Comme SABA ne vendait pas elle-même sur les territoires concédés auxdits concessionnaires exclusifs, le système d'information n'aurait eu un effet restrictif que s'il était utilisé pour influencer le comportement commercial de ces concessionnaires. Dans le cas présent, par contre, l'échange d'informations a un effet restrictif sur le comportement commercial de chacun de ceux qui reçoivent les renseignements.
c) Partage des clients et du marché
80. L'arrangement prévu en matière d'information était complété par une clause prévoyant que BP Kemi s'intéresserait essentiellement aux clients achetant au moins 100 000 litres d'éthanol par an. Les parties ont déclaré que cette clause était la simple expression du fait qu'à cette époque BP Kemi n'avait pas les installations nécessaires pour approvisionner de petits clients. Mais si tel avait été le cas, il n'y aurait eu aucune raison de prévoir une telle obligation restrictive. Et, en 1975, lorsqu'il avait été mis fin à l'accord de coopération et que les installations de BP Kemi étaient toujours les mêmes, BP Kemi a commencé à approvisionner des clients ayant une consommation annuelle inférieure à 100 000 litres. Il existait donc entre BP Kemi et DDSF un accord de principe sur les clients que chacune d'elles devait approvisionner, ce qui faisait dès lors obstacle à toute concurrence efficace entre elles, au détriment des consommateurs.
d) Protection des prix
81. L'obligation assumée par BP Kemi dans l'accord de coopération de suivre le barème de DDSF et, par la suite, l'application concertée de prix identiques ont empêché BP Kemi de fixer librement ses prix de vente et ont eu pour objet et pour effet de restreindre la concurrence sur les prix entre les parties. De même, en obligeant BP Kemi à s'aligner en principe sur les conditions de paiement de DDSF, l'accord de coopération a restreint le jeu de la concurrence entre les parties dans ce domaine.
e) Arrangement en matière de contingentement et de compensation
82. <L'application de la clause de prix a été complétée par l'arrangement en matière de contingentement et de compensation. Selon cet arrangement, BP Kemi devait verser à DDSF une compensation correspondant au bénéfice que BP Kemi aurait réalisé en appliquant le barème de DDSF, dans la mesure où ses ventes dépassaient 25 % des ventes combinées de ces sociétés. Puisque cette limite de 25 % était en fait atteinte, BP Kemi n'avait aucun avantage à accroître sa part de marché au-delà de la limite de 25 % aux dépens de celle de DDSF. Elle n'avait en particulier aucun intérêt à le faire au moyen d'une réduction de prix, puisque celle-ci aurait entraîné une perte pour elle. Par conséquent, cet arrangement a encouragé BP Kemi à appliquer le barème de DDSF et, ce faisant, à renforcer la clause expresse relative aux prix, en rendant notamment inutile le contrôle de son application. L'arrangement en matière de contingentement et de compensation signifiait également que BP Kemi devait verser à DDSF 75 % des bénéfices qu'elle réaliserait en vendant à des clients qui n'étaient pas antérieurement approvisionnés par DDSF. Comme cet arrangement était basé sur les barèmes de DDSF, BP Kemi n'était pas fortement incitée à s'écarter de ce barème lorsqu'elle vendait à ces clients. En fait, cet arrangement a eu pour effet de moins inciter BP Kemi à rechercher de nouveaux clients comme elle l'aurait fait normalement. L'accord de contingentement et de compensation était donc de nature à affecter les conditions de concurrence entre BP Kemi et ses concurrents, en plus de celles entre BP Kemi et DDSF.
C. EFFETS SUR LE COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES
83. Pendant toute la période considérée, c'est-à-dire du 1er juillet 1973 jusqu'à la fin de 1976, la coopération de nature restrictive entre BP Kemi et DDSF a été de nature à affecter le commerce entre États membres.
84. La totalité de l'éthanol vendu au Danemark est importée, essentiellement à partir d'autres États membres. L'accord d'achat impose à DDSF, qui a été pendant de nombreuses années le seul fournisseur d'éthanol sur le marché danois et qui est encore le plus gros vendeur d'éthanol dans ce pays, de n'acheter que de l'éthanol produit par BPCL qui est le principal producteur d'éthanol de la Communauté économique européenne et qui exporte également dans divers autres États membres. En raison du lien étroit qui existe entre l'obligation d'achat et les autres restrictions appliquées par les autres parties, cette obligation d'achat s'inscrit dans le contexte de l'accord de coopération et de la pratique concertée qui a remplacé cet accord et ne peut être considérée sous le seul angle de l'accord d'achat.
85. L'obligation d'achat a rendu plus difficile l'importation au Danemark d'éthanol provenant d'autres États membres que le Royaume-Uni. Elle a empêché tous les fournisseurs (fabricants et négociants d'autres pays) à l'exception de BP Kemi - et donc également de BPCL - de vendre par l'intermédiaire de DDSF. Il en a été de même des offres d'éthanol sur le marché du disponible qui, même s'il ne porte que sur des quantités irrégulières et limitées, influence de manière appréciable la structure de la concurrence et le niveau des prix. Ainsi, seuls des fabricants d'Europe occidentale "sérieux" étaient à même de remettre des offres à DDSF et, même dans ce cas, comme le montre l'exemple de 1976, BP Kemi a pu intervenir pour écarter un tel fournisseur du marché.
86. Si l'obligation d'achat n'avait pas existé, des exportations vers le Danemark en provenance d'États membres autres que le Royaume-Uni auraient été possibles. Les capacités des producteurs allemands et français ne sont pas entièrement utilisées et ils exportent dans divers pays. Les coûts de transport ne jouent qu'un rôle secondaire. Le 1er juillet 1973, les droits de douane étaient encore relativement élevés, mais n'empêchaient pas des producteurs d'autres États membres de remettre des offres qui à long terme auraient été intéressantes pour les deux parties, après l'abaissement progressif prévu des droits de douane. En fait, le Danemark a importé de l'éthanol provenant d'autres pays que le Royaume-Uni, même si ces importations étaient en partie destinées à la réexportation. Au 1er avril 1974, les droits de douane ne représentaient plus que 7,8 % à 9,3 %, ces pourcentages devant encore baisser en 1975 et en 1976. Le niveau général des prix au Danemark était suffisamment élevé pour que, malgré ces droits de douane, des fournisseurs dans les États membres autres que le Royaume-Uni puissent trouver intéressant d'exporter vers le Danemark.
87. Puisqu'au cours de la période couverte par la présente décision DDSF et BP Kemi ont vendu plus de 80 % (et pendant la plus grande partie de cette période plus de 90 %) de l'éthanol vendu sur le marché danois, les clients danois ne se sont donc vu offrir, dans l'ensemble, au cours de cette période, que de l'éthanol produit par l'entreprise britannique BPCL. En outre, en raison de la coordination instaurée entre DDSF et BP Kemi - agissant pour le compte de BPCL - en ce qui concerne l'échange d'informations, les prix, les conditions de paiement, le partage des clients, les contingentements et la compensation, ces clients danois n'ont pratiquement pas eu la possibilité d'opérer un choix parmi des offres indépendantes concernant de l'éthanol provenant de BPCL. En raison de cette coordination, DDSF et BP Kemi jouissaient à elles deux d'une position si forte sur le marché danois que les difficultés rencontrées par d'autres fournisseurs que BPCL pour pénétrer sur le marché danois, en raison de l'obligation d'achat, s'en sont trouvées accrues. L'arrangement en matière de contingentement et de compensation signifiait donc que, au cas où BP Kemi était dans l'impossibilité d'approvisionner un client déterminé, elle avait avantage à ce que ce client achète à DDSF, car cela lui permettait d'augmenter ses ventes sans dépasser la limite de 25 %. Dans l'ensemble, le fait que BP Kemi et DDSF aient pu maintenir pendant trois ans et demi la situation globale qu'elles avaient acquise sur le marché grâce aux pratiques restrictives montre que leur coopération était de nature à provoquer un développement des échanges commerciaux entre le Danemark et les autres pays du marché commun différent de ce qui se serait produit autrement.
88. L'effet positif de l'ouverture du marché danois qui était l'objet de l'adhésion à la Communauté s'est donc trouvé dans une large mesure neutralisé, pour ce qui est de l'éthanol, par la coopération entre les parties.
D. EFFETS APPRÉCIABLES
89. Les effets restrictifs de l'obligation exclusive d'achat qui a empêché certains fabricants d'approvisionner DDSF ou leur a rendu cet approvisionnement plus difficile (concurrence "entre marques différentes") ont été renforcés par les restrictions de concurrence entre les parties elles-mêmes qui ont été décrites ci-dessus (concurrence "entre produits d'une même marque"), si bien que la situation des utilisateurs s'en est encore trouvée aggravée. Étant donné l'importance des parties sur le marché danois qui est lui-même une partie importante du marché commun, il ne fait aucun doute que cette limitation des diverses formes de concurrence a eu des conséquences appréciables.
90. Par conséquent, la coopération entre BP Kemi et DDSF a constitué une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1.
III. INAPPLICABILITÉ DU RÈGLEMENT Nº 67-67 CEE DE LA COMMISSION
91. Les parties ont fait valoir que le règlement nº 67-67-CEE est applicable à l'accord d'achat conclu entre elles si bien que l'accord est exempté des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE. Cet argument ne peut être retenu.
92. L'exemption par catégorie définie à l'article 1er paragraphe 1 du règlement nº 67-67-CEE est applicable aux accords auxquels ne participent que deux entreprises et: a) dans lesquels l'une s'engage, vis-à-vis de l'autre, à ne livrer certains produits qu'à celle-ci dans le but de la revente à l'intérieur d'une partie définie du territoire du marché commun,
ou
b) dans lesquels l'une s'engage, vis-à-vis de l'autre, à n'acheter certains produits qu'à celle-ci dans le but de la revente,
ou
c) dans lesquels ont été conclus, entre les deux entreprises, dans le but de la revente, des engagements exclusifs de livraison et d'achat visés aux alinéas a) et b) ci-dessus.
93. Il est évident que l'accord d'achat n'est pas un accord de distribution exclusive auquel s'appliqueraient les alinéas a) et c) de cette disposition. Les efforts de DDSF pour s'assurer des droits de distribution exclusive sur l'éthanol de BP au Danemark ont échoué parce que le groupe BP voulait vendre ses propres produits sur le marché danois (voir ci-avant points 23 et 24). BP Kemi réalise cette intention depuis 1973 en livrant d'importantes quantités d'éthanol directement à certains gros clients au Danemark, certaines de ces quantités ayant été achetées pour être revendues.
94. Contrairement à l'opinion des parties, l'accord d'achat n'entre pas non plus dans la catégorie des accords exemptés par l'article 1er paragraphe 1 sous b) du règlement.
95. En interprétant et en appliquant cette disposition, on ne peut s'arrêter à la lettre du texte. Il faut également considérer l'esprit, le but et la fonction de ce texte dans le cadre des objectifs généraux du règlement. Comme l'indiquent nettement ses considérants, le règlement nº 67-67-CEE a pour but de faciliter la distribution de biens dans le marché commun. Les accords exclusifs d'offre et d'achat conclus dans le but de la revente des biens sont malgré leur effet restrictif exemptés, en vertu de l'article 85 paragraphe 3, de l'interdiction générale visant les pratiques restrictives, parce qu'en général, ils facilitent les ventes du produit dans leur ensemble, permettent une commercialisation plus intensive et assurent la continuité de l'approvisionnement des clients tout en rationalisant la distribution. Toutefois, une telle amélioration de la distribution ne s'opère que si les parties procèdent à une très nette séparation verticale de leurs activités. La justification économique d'accords d'exclusivité ne vaut que lorsque le fournisseur n'organise pas ses propres activités de vente sur le territoire alloué au concessionnaire et n'y entre donc pas en concurrence avec celui-ci. Ce principe constitue le critère distinctif des accords de distribution exclusifs définis à l'article 1er paragraphe 1 sous a) et c) du règlement. Il s'applique également à ceux qui sont définis sous b).
96. L'accord d'achat conclu par les parties ne satisfait pas à ces conditions. Au Danemark, principal territoire de vente de DDSF, BP Kemi et DDSF se livrent une concurrence pour les produits couverts par l'accord. Les offres de ces deux sociétés sont essentiellement destinées à la même catégorie de clients. C'est ce qui explique également que des clauses protectrices en faveur de DDSF aient été incluses dans l'accord de coopération et qu'elles aient prévu que BP Kemi appliquerait le barème de DDSF et qu'elle accorderait à DDSF une compensation si ses ventes annuelles devaient dépasser le quart des ventes combinées des deux entreprises. L'accord d'achat est donc en partie un accord "horizontal" conclu entre deux entreprises se trouvant au même stade commercial et cet accord limite la liberté commerciale de la partie qui s'engage à acheter exclusivement auprès de l'autre, ainsi que l'accès d'autres fournisseurs au marché danois, sans susciter en contrepartie une amélioration de la distribution des produits, qui tendrait à compenser ces inconvénients. Il est évident qu'un accord de cette nature est contraire à l'esprit de l'article 1er paragraphe 1 sous b) du règlement nº 67-67-CEE.
97. Même si l'accord d'achat était couvert par l'article 1er paragraphe 1 sous b), l'exemption par catégorie définie dans le règlement nº 67-67-CEE ne s'appliquerait pas à celui-ci. Ce règlement n'autorise pas les parties à un accord d'achat exclusif à souscrire des obligations restrictives autres que l'obligation exclusive d'achat elle- même. Dans le cas présent, l'obligation exclusive d'achat est indissociablement liée à certaines restrictions supplémentaires. Il s'agit plus précisément des arrangements entre BP Kemi et DDSF sur les quotas de vente et la compensation, les prix et les conditions de paiement, le partage de la clientèle et l'échange d'informations, ainsi que la clause anglaise. Le fait que ces arrangements aient été consignés dans un document séparé ne modifie en rien la situation. Comme il a été indiqué, l'accord d'achat et l'accord de coopération forment un tout. Ils doivent donc être considérés ensemble lorsqu'il s'agit d'apprécier si le règlement nº 67-67-CEE est applicable ou non.
IV. INAPPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 85 PARAGRAPHE 3
98. L'article 85 paragraphe 3 précise que les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:
- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,
- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées,
qui contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans: a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
99. Aux termes de l'article 4 paragraphe 1 du règlement nº 17, les accords et pratiques concertées doivent être notifiés à la Commission pour pouvoir bénéficier d'une exemption individuelle au titre de l'article 85 paragraphe 3. Aucune notification de cette nature n'a été effectuée.
100. Aux termes de l'article 4 paragraphe 2 point 1 du même règlement, l'obligation de notifier n'est pas applicable aux accords et pratiques concertées auxquels ne participent que des entreprises d'un État membre et lorsque ces accords ou pratiques ne concernent ni l'importation ni l'exportation entre États membres.
101. L'objet des accords est l'éthanol importé au Danemark à partir du Royaume-Uni. Ces accords empêchent le principal distributeur au Danemark de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs dans le marché commun ; le Danemark ne dispose pas d'autres sources d'approvisionnement. Pour ces raisons, les arrangements "concernent" des importations et des exportations au sens de l'article 4 paragraphe 2 point 1 du règlement nº 17. Bien que les parties qui ont signé l'accord d'achat et qui agissent conformément à l'accord et à la pratique concertée en cause soient toutes deux situées au Danemark, les arrangements ne concernent pas uniquement des entreprises situées dans un seul État membre, puisque l'une des parties vend uniquement des produits importés en provenance d'une entreprise située dans un autre État membre et que cette autre entreprise et la partie en cause sont toutes deux sous le contrôle de la même tierce société. Les arrangements devraient donc, en effet comme l'admettent les parties (voir point 73), être considérés comme ayant été conclus entre BPCL et DDSF.
Le fait que les accords aient été, sur le plan formel, conclus entre BP Kemi et DDSF ne fait aucune différence. Si tel n'était pas le cas, les entreprises pourraient obtenir le bénéfice de l'article 4 paragraphe 2 en se bornant à déléguer pour la forme, à des filiales locales, le pouvoir de conclure des accords. En tout état de cause, les parties ont admis que l'article 4 paragraphe 2 point 1 n'est pas applicable.
102. Pour des raisons formelles, il n'est donc pas nécessaire de se demander si une exemption aurait pu être accordée au titre de l'article 85 paragraphe 3.
V. APPLICABILITÉ DE L'ARTICLE 3 DU RÈGLEMENT Nº 17
103. L'objet de la présente procédure est la coopération pratiquée entre BP Kemi et DDSF, qui a fait l'objet d'une enquête jusqu'à la fin de 1976. Il n'a pas été jugé nécessaire de poursuivre l'enquête afin de mettre en lumière le comportement commercial des parties après 1977 puisque DDSF a indiqué qu'il était mis fin avec effet à compter du 15 juillet 1979 aux relations contractuelles avec BP Kemi et qu'aucune amende n'est infligée en l'absence de preuve de propos délibéré ou de négligence en l'espèce.
Étant donné que les parties ont contesté que leur coopération ait enfreint l'article 85 paragraphe 1 et qu'elles ont envisagé l'éventualité de nouvelles négociations, il est nécessaire d'établir par voie de décision dans quelle mesure la coopération qui a existé entre elles du 1er juillet 1973 à la fin de 1976 a constitué une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1. Cette décision permettra également d'informer les parties qu'elles sont susceptibles de faire l'objet d'une nouvelle procédure au titre de l'article 85 si l'actuel lien contractuel est prorogé ou remplacé d'une manière telle que DDSF se trouve en droit ou en fait liée à un seul producteur pour la totalité ou la majeure partie de ses approvisionnements en éthanol de synthèse, excluant ou gênant aussi d'autres fournisseurs européens ou non européens, qu'il s'agisse de grosses ou de petites quantités,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
BP Kemi A/S et A/S De Danske Spritfabrikker ont enfreint les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne du fait de: a) l'obligation imposée à A/S De Danske Spritfabrikker de s'approvisionner exclusivement auprès de BP Kemi A/S pour la totalité de ses besoins en éthanol de synthèse, conformément aux clauses de l'accord d'achat du 12 avril 1973 complétées par la "clause anglaise" dans ses différentes versions, entre le 1er juillet 1973 et le 31 décembre 1976;
b) l'échange d'informations concernant les quantités vendues aux clients individuels, conformément aux clauses de l'accord de coopération, entre le 1er juillet 1973 et le 31 décembre 1974 et, à la suite d'une pratique concertée, entre le 1er janvier 1975 et le 31 décembre 1976;
c) le partage de la clientèle, conformément aux clauses de l'accord de coopération, entre le 1er juillet 1973 et le 31 décembre 1974;
d) l'application de prix similaires, conformément aux clauses de l'accord de coopération, entre le 1er juillet 1973 et le 31 décembre 1974 et, à la suite d'une pratique concertée, entre le 1er janvier 1975 et le 31 décembre 1976;
e) l'application de conditions de paiement similaires, conformément aux clauses de l'accord de coopération, entre le 1er juillet 1973 et le 31 décembre 1974;
et
f) l'application de l'arrangement en matière de contingentement et de compensation, conformément aux clauses de l'accord de coopération, entre le 1er juillet 1973 et le 31 décembre 1974.
Article 2
BP Kemi A/S, Øresundsvej 152, 2300 Copenhague S, Danemark et A/S De Danske Spritfabrikker, Raffinaderivej, 10 Postboks 1256, 2300 Copenhague S, Danemark sont destinataires de la présente décision.
ANNEXE 2 Droits perçus à l'importation d'éthanol synthétique au Danemark en provenance des États membres originaires
ANNEXE 3 Importations danoises d'éthanol de synthèse
(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2) JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.
(3) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines données ont été omises, conformément aux dispositions de l'article 21 du règlement nº 17 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires.
(4) Bien que ce point n'ait pu être statistiquement vérifié, il est possible que ces exportations étaient destinées, non pas à la consommation au Danemark, mais à la réexportation ; en pareil cas, les droits acquittés étaient remboursés.
(5) Arrêt de la Cour de justice dans les affaires jointes 56 et 58-64 (Consten et Grundig contre Commission) Recueil 1966, pp. 299, 339.
(6) Arrêt de la Cour de justice dans l'affaire 32-65 (République italienne contre Conseil et Commission) Recueil pp. 1966, 389, 407.
(7) JO nº L. 28 du 3.2.1976. p. 19.