DĂ©cisions

CJCE, 13 fĂ©vrier 1979, n° 85-76

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

ArrĂȘt

PARTIES

Demandeur :

Hoffmann-La Roche & co (AG)

DĂ©fendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

PrĂ©sident :

M. Kutscher

PrĂ©sidents de chambre :

MM. Mertens de Wilmars, Mackenzie Stuart

Avocat gĂ©nĂ©ral :

M. Reischl

Juges :

MM. Donner, Pescatore, Sorensen, O'Keeffe, Bosco, Touffait

LA COUR,

1. Attendu que le recours, introduit le 27 août 1976 par la société le droit suisse, Hoffmann - La Roche et co. AG (ci-aprÚs désignée sous l'abréviation Roche), dont le siÚge est à Bùle, tend, en ordre principal, à l'annulation de la décision (IV-29.020 - vitamines) de la Commission, du 9 juin 1976, concernant une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE, notifiée à la requérante le 14 juin 1976 et publiée au journal officiel des Communautés Européennes, n° L 223 du 16 août 1976, et, en ordre subsidiaire, à l'annulation de l'article 3 de cette décision infligeant à la requérante une amende de 300 000 unités de compte, soit 1098 000 marks allemands ;

2. Que par cette dĂ©cision il est constatĂ© que Roche disposerait, dans le MarchĂ© commun, d'une position dominante au sens de l'article 86 du traitĂ© sur les marchĂ©s des vitamines A, B2 B3 (acide pantothĂ©nique ), B6, C, E, et H (biotine ), et qu'elle aurait commis une infraction audit article en exploitant abusivement cette position par la conclusion, Ă  partir de 1964, mais en particulier entre 1970 et 1974, avec 22 acheteurs de ces vitamines, de contrats comportant, pour ces acheteurs, l'obligation ou, par l'application de primes de fidĂ©litĂ©, une incitation Ă  rĂ©server Ă  Roche l'exclusivitĂ© ou la prĂ©fĂ©rence pour la couverture de la totalitĂ© ou de l'essentiel de leurs besoins en vitamines (article 1 de la dĂ©cision) ; que cette mĂȘme dĂ©cision ordonne Ă  Roche de mettre immĂ©diatement fin Ă  l'infraction (article 2) et la condamne au paiement de l'amende ci-dessus indiquĂ©e (article 3 ) ;

3. Qu'a l'appui de sa demande, la requérante fait valoir les moyens suivants :

- premier moyen : la décision attaquée violerait les principes fondamentaux relatifs à la détermination et à la prévisibilité des rÚgles comportant des sanctions ;

- second moyen : la décision attaquée serait entachée de plusieurs vices de forme à raison des irrégularités de la procédure administrative au terme de laquelle elle a été édictée ;

- troisiĂšme moyen : la dĂ©cision attaquĂ©e violerait l'article 86 du traitĂ© CEE en ce que la Commission aurait donnĂ© une interprĂ©tation et, en tout cas, fait une application inexacte des notions de position dominante et d'exploitation abusive d'une position dominante susceptible d'affecter le commerce entre les États membres, en constatant l'existence de pareille position dans le chef de Roche et en qualifiant les contrats litigieux comme constitutifs d'une telle exploitation abusive ;

- quatriĂšme moyen : la dĂ©cision attaquĂ©e aurait, en infligeant une amende Ă  Roche, violĂ© l'article 15, paragraphe 2, du rĂšglement n° 17 du conseil du 6 fĂ©vrier 1962 (JO n° 13, p. 204) , les infractions allĂ©guĂ©es, pour autant qu'elles puissent ĂȘtre constatĂ©es, n'ayant Ă©tĂ© commises ni de propos dĂ©libĂ©rĂ© ni par nĂ©gligence ; que dans son recours la requĂ©rante avait, en outre, invoquĂ© la violation, par la dĂ©cision attaquĂ©e, de l'article 18 du rĂšglement n° 17 du conseil du 6 fĂ©vrier 1962 et du rĂšglement financier n° 68-313 du 30 juillet 1968 (JO n° l199, p. 1) en ce que l'amende avait Ă©tĂ© convertie en marks allemands, mais qu'elle a, au cours de la procĂ©dure, renoncĂ© Ă  ce moyen, de telle façon que seuls les quatre moyens ci-dessus mentionnĂ©s doivent ĂȘtre examinĂ©s ;

Premier moyen : De la violation du principe de la détermination et de la prévisibilité des rÚgles comportant des sanctions

4. Attendu que, selon la requĂ©rante, les notions de position dominante et d'exploitation abusive de pareille position, Ă©noncĂ©es Ă  l'article 86 du traitĂ© CEE, devraient ĂȘtre comptĂ©es parmi les plus indĂ©terminĂ©es et les moins claires, tant en droit communautaire que dans le droit national des États membres, et que, dĂšs lors, par application d'un principe fondamental de droit qui devrait ĂȘtre dĂ©duit de l'adage "nullum crimen, nulla poena sine lege", la Commission ne pourrait infliger les sanctions prĂ©vues en cas de violation de cette disposition, qu'aprĂšs que, soit par la pratique administrative, soit par la jurisprudence, ces notions aient Ă©tĂ© suffisamment concrĂ©tisĂ©es pour que les entreprises puissent savoir Ă  quoi s'en tenir ;

5. Que la requérante ne conteste toutefois pas la compétence de la Commission pour interpréter et concrétiser ces notions dans les décisions qu'elle édicte à l'égard des entreprises, mais seulement celle d'infliger des sanctions tant qu'elles n'auraient pas été précisées, ce qui aurait été le cas en l'espÚce ;

6. Qu'il en rĂ©sulte que le moyen concerne uniquement l'amende infligĂ©e et qu'il y aura lieu de l'examiner ci-aprĂšs en mĂȘme temps que les autres griefs Ă©noncĂ©s contre l'imposition de cette amende ;

DeuxiÚme moyen : Des irrégularités de la procédure administrative

7. Attendu, Ă  cet Ă©gard, que la requĂ©rante faisait, dans son recours, en premier lieu valoir que la procĂ©dure d'office, engagĂ©e contre elle en application des articles 3 et 15, du rĂšglement du conseil n° 17, l'aurait Ă©tĂ© au vu de documents Ă  l'usage interne de ses services et parvenus irrĂ©guliĂšrement en possession de la Commission ; que toutefois, devant la Cour, tant au cours de la procĂ©dure Ă©crite qu'au cours de la procĂ©dure orale, elle a dĂ©clarĂ© renoncer Ă  ce moyen et a, elle-mĂȘme, joint au dossier, avec d'autres, les documents dont elle avait prĂ©cĂ©demment estimĂ© l'emploi, par la Commission, irrĂ©gulier ; qu'il y a, dans ces circonstances, lieu d'Ă©carter ce moyen sans plus ample examen, la Cour estimant qu'il n'y a pas lieu de l'examiner d'office ;

8. Attendu que la requĂ©rante soutient, en second lieu, qu'il serait fait Ă©tat dans la dĂ©cision attaquĂ©e de documents et d'Ă©lĂ©ments d'apprĂ©ciation qui n'auraient, en ce qui concerne les premiers, pas Ă©tĂ© dĂ©crits au cours de la procĂ©dure administrative et dont, en ce qui concerne les seconds, communication lui aurait Ă©tĂ© refusĂ©e par la Commission, motif pris de son obligation de respecter le secret des affaires ; que la requĂ©rante vise ainsi d'abord les documents invoquĂ©s au n° 12 de la dĂ©cision attaquĂ©e, Ă  savoir quatre circulaires internes de Roche datant, selon cette dĂ©cision, de septembre 1970 (en rĂ©alitĂ© 8 septembre 1972), de dĂ©cembre 1970, mai 1971 (en rĂ©alitĂ© mi-aoĂ»t 1971) et d'aoĂ»t 1971, ainsi qu'un compte rendu de l'European Bulk Managers Meeting des 12 et 13 octobre 1971 (en rĂ©alitĂ© 12 et 13 octobre 1972) ; qu'elle vise, d'autre part, les Ă©lĂ©ments d'apprĂ©ciation recueillis par la Commission auprĂšs d'autres producteurs de vitamines et Ă  l'aide desquels elle a calculĂ© les parts de marchĂ© qu'elle attribue Ă  Roche ainsi que les renseignements demandĂ©s et obtenus auprĂšs des clients de la requĂ©rante en vue d'Ă©tablir si les contrats, dont la conclusion est considĂ©rĂ©e par la Commission comme constitutive d'une exploitation abusive d'une position dominante, avaient ou non un effet restrictif de la concurrence et des Ă©changes entre États membres ;

9. Attendu que le respect des droits de la dĂ©fense dans toute procĂ©dure susceptible d'aboutir Ă  des sanctions, notamment Ă  des amendes ou astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit ĂȘtre observĂ©, mĂȘme s'il s'agit d'une procĂ©dure de caractĂšre administratif; que, faisant application de ce principe, l'article 19, paragraphe 1, du rĂšglement du conseil n° 17, oblige la Commission Ă  donner aux intĂ©ressĂ©s, avant de prendre une dĂ©cision en matiĂšre d'amendes l'occasion de faire connaĂźtre leur point de vue au sujet des griefs qu'elle a retenus Ă  leur Ă©gard; que, de mĂȘme, l'article 4 de rĂšglement n° 99-63 de la Commission du 25 juillet 1963 (JO p. 2268 ) , relatif aux auditions prĂ©vues Ă  l'article 19 du rĂšglement n° 17, prĂ©voit que dans ses dĂ©cisions la Commission ne retient contre les entreprises et associations d'entreprises destinataires que les griefs au sujet desquels ces derniĂšres ont eu l'occasion de faire connaĂźtre leur point de vue;

10. Que si, dans son arrĂȘt du 15 juillet 1970 (affaire 45-69), Boehringer, recueil p. 769), la Cour a constatĂ© qu'en ce qui concerne la communication des griefs - premier acte de la procĂ©dure administrative - il est satisfait Ă  ces exigences dĂšs lors que cette communication Ă©nonce, mĂȘme sommairement, mais de maniĂšre claire, les faits essentiels sur lesquels la Commission se base, c'est Ă  la condition que celle-ci fournisse "au cours de la procĂ©dure administrative les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă  la dĂ©fense";

11. Qu'ainsi il suit, tant des dispositions ci-dessus citées que du principe général dont elles font application, que le respect des droits de la défense exige que l'entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaßtre utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances alléguées et sur les documents retenus par la Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une infraction à l'article 86 du traité;

12. Attendu qu'il n'est pas contestĂ© par la Commission qu'elle a, estimant ĂȘtre liĂ©e par le respect du secret des affaires, refusĂ© communication des donnĂ©es, recueillies chez des concurrents ou des clients de Roche, sur la base desquelles elle a, entre autres, Ă©valuĂ© les parts de marchĂ© et fondĂ© son apprĂ©ciation du caractĂšre anticoncurrentiel des contrats litigieux;

13. Attendu que, si l'article 20, paragraphe 2, du rĂšglement n° 17, dispose que sans prĂ©judice des dispositions des articles 19 et 21, la Commission et les autoritĂ©s compĂ©tentes des États membres ainsi que leurs fonctionnaires et autres agents sont tenus de ne pas divulguer les informations qu'ils ont recueillies en application du prĂ©sent rĂšglement et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, cette rĂšgle doit, ainsi que le confirme le renvoi exprĂšs Ă  l'article 19, se concilier avec le respect des droits de la dĂ©fense;

14. Que ledit article 20, en donnant aux entreprises auprĂšs desquelles des informations sont recueillies l'assurance que leurs intĂ©rĂȘts, liĂ©s au respect du secret des affaires, ne seront pas mis en danger, permet Ă  la Commission de recueillir de la façon la plus large les donnĂ©es nĂ©cessaires Ă  l'exercice de la mission que lui confient les articles 85 et 86 du traitĂ©, sans que les entreprises puissent lui opposer un refus, mais ne l'autorise pas, pour autant, Ă  retenir Ă  charge de l'entreprise concernĂ©e, par une procĂ©dure visĂ©e au rĂšglement n° 17, des faits, circonstances ou documents qu'elle estime ne pouvoir divulguer si ce refus de divulgation affecte la possibilitĂ© de cette entreprise de faire connaĂźtre utilement son point de vue sur la rĂ©alitĂ© ou la portĂ©e de ces circonstances, sur ces documents ou encore sur les conclusions que la Commission en tire;

15. Attendu toutefois que si, au cours de la procédure devant la Cour, il a été remédié effectivement à des irrégularités de cette nature ; celles-ci n'entraßnent pas nécessairement l'annulation de la décision attaquée pour autant que les droits de la défense ne se trouvent pas affectés par cette régularisation tardive;

16. Attendu que les documents visĂ©s par la requĂ©rante sont, en premier lieu, ceux dont il est fait Ă©tat au n° 12 de la dĂ©cision attaquĂ©e, c'est-Ă -dire les mĂȘmes que ceux dont elle avait critiquĂ© la façon dont ils seraient venus en possession de la Commission, mais qu'elle a, par la suite, joints au dossier produit devant la Cour, de sorte qu'un dĂ©bat contradictoire a pu ĂȘtre, et s'est effectivement, Ă©tabli Ă  leur sujet ; que, d'autre part, en ce qui concerne les Ă©lĂ©ments d'information sur lesquels la Commission a fondĂ© son apprĂ©ciation des parts de marchĂ© et son analyse des effets des contrats litigieux, les parties ont, au cours de la procĂ©dure Ă©crite, Ă  la demande de la Cour, procĂ©dĂ© Ă  un Ă©change d'informations rĂ©sultant en un document commun d'oĂč il apparaĂźt que la Commission a rĂ©vĂ©lĂ©, pour toutes les vitamines en cause, les bases de son calcul des parts de marchĂ© en valeur pour les annĂ©es 1972, 1973 et 1974, de sorte que Roche a Ă©tĂ© en mesure, en se fondant sur les ventes attribuĂ©es Ă  certains concurrents dans les documents produits par la Commission, d'estimer ses parts de marchĂ© par rapport aux quantitĂ©s vendues ;

17. Qu'ainsi, les parties ont pu se mettre d'accord sur une estimation des parts de marché en quantité et en valeur - tout en restant divisées sur la question de savoir lequel des deux critÚres est déterminant - en ce qui concerne les vitamines A, B3, H, et également les vitamines C et E, sous réserve pour ces derniÚres, de l'examen du marché à prendre en considération à raison de l'interchangeabilité pour certains usages de ces deux vitamines avec d'autres produits, seules les parts de marché des vitamines B2 et B6 demeurant contestées ;

18. Qu'enfin, la Commission, également au cours de la procédure écrite, a produit, à la demande de la Cour, le procÚs-verbal de la réunion entre Roche et Unilever, mentionné au n 3 de la décision attaquée, ainsi que les rapports d'investigation de ses fonctionnaires auprÚs des clients de Roche qui ont conclu les contrats litigieux ou, pour celles de ces firmes qui désiraient garder l'anonymat, une note résumant lesdits rapports;

19. Que, dans ces conditions, le moyen tirĂ© de la violation des droits de la dĂ©fense ne peut plus ĂȘtre retenu;

TroisiÚme moyen : De la violation de l'article 86 du traité

20. Attendu que, selon la requérante, la Commission aurait violé l'article 86 du traité en ce que :

I. La décision attaquée admettrait à tort l'existence, dans le chef de la requérante, d'une position dominante, donnerait de cette notion une interprétation inexacte et en ferait une fausse application dans le cas d'espÚces, notamment en ce qui concerne l'évaluation et la pertinence, tant des parts de marché que des autres éléments retenus à titre d'indices de l'existence de la position dominante alléguée.

II. La décision attaquée, admettrait, en tout cas à tort, qu'il y a eu, dans le chef de la requérante exploitation abusive de pareille position, la Commission ayant procédé à une analyse inexacte des contrats dont la conclusion serait, d'aprÚs elle, constitutive d'exploitation abusive ainsi que des effets restrictifs sur la concurrence desdits contrats.

III. La décision attaquée admettrait à tort que le comportement de la requérante était de nature à affecter de façon sensible le commerce intra-communautaire.

I - De l'existence d'une position dominante

Section 1 : De la détermination des marchés en cause

21. Attendu que, pour apprécier si Roche détient la position dominante alléguée, il y a lieu de délimiter les marchés en cause tant du point de vue géographique que du point de vue du produit ;

22. Attendu que le marchĂ© gĂ©ographique pris en considĂ©ration, ainsi qu'il apparaĂźt des n° 3 et 6 de la dĂ©cision attaquĂ©e, s'Ă©tend Ă  l'ensemble du MarchĂ© commun, c'est-Ă -dire des six États membres jusqu'au 31 dĂ©cembre 1972 et des neuf États membres par la suite ;

23. Que les produits visés par la décision attaquée sont des vitamines non conditionnées appartenant à treize groupes, dont huit sont produits et commercialisés par Roche (A, B1, B2, B3 (acide pantothénique), B6, C, E et H (biotine)) et cinq achetés aux producteurs et revendus par Roche (B12, D, PP, K, M); que la Commission a retenu l'existence d'une position dominante dans sept des huit groupes dont Roche est producteur, à savoir A, B2, B3, B6, C, E et H ; que les parties sont d'accord pour constater, d'une part, que chacun de ces groupes a des fonctions métabolisantes spécifiques et n'est, de ce fait, pas interchangeable avec les autres, et, d'autre part, que pour les trois utilisations communes à ces groupes, à savoir l'alimentation humaine, l'alimentation animale et l'usage pharmaceutique, les vitamines en question ne rencontrent pas la concurrence d'autres produits ;

24. Que, compte tenu de ces éléments, la Commission a considéré (décision attaquée n° 20) que chaque groupe de vitamines constitue un marché distinct et que Roche, aprÚs avoir d'abord suggéré que plusieurs groupes pourraient constituer ensemble un marché, a admis ce point de vue, sauf que, selon elle, les groupes de vitamines C et E feraient, chacun en ce qui le concerne, ensemble avec d'autres produits, partie d'un marché plus étendu ; qu'il y a donc lieu d'examiner si la Commission a correctement délimité les marchés auxquels appartiennent les vitamines des groupes C et E ;

25. Attendu qu'il est constant qu'Ă  cĂŽtĂ© des utilisations dans l'industrie pharmaceutique et dans l'alimentation humaine ou animale, - dĂ©signĂ©es comme utilisation bio-nutritives - les vitamines C et E sont Ă©galement commercialisĂ©es, entre autres, comme antioxydants, agents de fermentation et additifs - utilisations dĂ©signĂ©es par le vocable "technologiques"-, et que, dans la mesure oĂč elles sont demandĂ©es en vue desdites utilisations technologiques, ces vitamines rencontrent la concurrence d'autres produits aptes aux mĂȘmes usages ;

26. Que, selon Roche, il faudrait en conclure que les vitamines des groupes C et E font partie de marchés plus vastes qui engloberaient ces autres produits et que la Commission, en omettant d'y comprendre ces derniers, aurait donné une image exagérée de la part de Roche dans lesdits marchés ;

27. Que, selon la Commission, par contre, les produits, qui peuvent ĂȘtre substituĂ©s aux vitamines C et E pour des usages technologiques, ne peuvent ĂȘtre englobĂ©s dans les mĂȘmes marchĂ©s que ces vitamines, le degrĂ© d'interchangeabilitĂ© desdits produits et des vitamines en question Ă©tant, Ă  raison mĂȘme de la double affectation possible de ces derniĂšres, insuffisant ; qu'on ne pourrait non plus sĂ©parer les vitamines affectĂ©es, en fin de compte, Ă  des fins bio-nutritives et celles affectĂ©es Ă  des usages technologiques en deux marchĂ©s distincts, les fabricants et les acheteurs Ă©tant entiĂšrement libres, Ă  raison du double usage auquel se prĂȘte le produit, de leur donner la destination qu'ils estiment la plus avantageuse, surtout dans un marchĂ© en expansion ; que, toutefois, Ă  supposer mĂȘme qu'il faille Ă©liminer des marchĂ©s concernĂ©s, les vitamines vendues par Roche Ă  des fins technologiques, il faudrait en faire de mĂȘme pour ses concurrents, de telle façon que les parts de marchĂ© demeureraient inchangĂ©es ;

28. Attendu que, lorsqu'un produit est susceptible d'ĂȘtre utilisĂ© Ă  des fins diverses et lorsque ces diffĂ©rents usages rĂ©pondent Ă  des besoins Ă©conomiques, eux aussi diffĂ©rents, il y a lieu d'admettre que ce produit peut appartenir, selon le cas, Ă  des marchĂ©s distincts, prĂ©sentant Ă©ventuellement, tant du point de vue de la structure que des conditions de concurrence, des caractĂ©ristiques diffĂ©rentes ; que cette constatation ne justifie cependant pas la conclusion qu'un tel produit constitue un seul et mĂȘme marchĂ© avec tous les autres qui, dans les diffĂ©rents usages auxquels il peut ĂȘtre affectĂ©, peuvent lui ĂȘtre substituĂ©s et avec lesquels il entre, suivant le cas, en concurrence; que la notion de marchĂ© concernĂ© (relevant market) implique, en effet, qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degrĂ© suffisant d'interchangeabilitĂ© en vue du mĂȘme usage entre tous les produits faisant partie d'un mĂȘme marchĂ©; que pareille interchangeabilitĂ© n'existait pas, en tout cas Ă  l'Ă©poque considĂ©rĂ©e, entre l'ensemble des vitamines de chacun des groupes C et E, et l'ensemble des produits qui, selon le cas, peuvent ĂȘtre substituĂ©s Ă  l'un ou l'autre de ces groupes de vitamines dans des usages technologiques, eux aussi fort diversifiĂ©s ;

29. Attendu, par contre, que l'on peut hésiter quant à la question de savoir si, pour délimiter les marchés respectifs des vitamines du groupe C et des vitamines du groupe E, il y a lieu d'englober l'ensemble des vitamines de chacun de ces groupes dans un marché correspondant à ce groupe, quelle que soit leur utilisation ultérieure ou si, au contraire, il faut séparer chacun de ces groupes en deux marchés distincts, l'un comprenant les vitamines destinées à une utilisation bio-nutritive, l'autre celles utilisées à des fins technologiques ;

30. Qu'il n'Ă©tait toutefois pas nĂ©cessaire, pour Ă©valuer correctement les parts de marchĂ© respectives de Roche et de ses concurrents, de trancher cette question, cette distinction, s'il y avait lieu de la faire, devant alors ĂȘtre faite, ainsi que l'observe Ă  juste titre la Commission, tant pour les concurrents de Roche que pour cette derniĂšre et - Ă  dĂ©faut de toute indication contraire de la part de la requĂ©rante - dans des proportions analogues, de sorte que les parts de marchĂ©, exprimĂ©es en pourcentages, demeureraient inchangĂ©es ; qu'enfin, Roche, en rĂ©ponse Ă  une question posĂ©e par la Cour, a indiquĂ© que l'ensemble des vitamines de chaque groupe suivait, quelle que soit la destination ultĂ©rieure du produit, un mĂȘme rĂ©gime de prix, de sorte qu'on ne pourrait le scinder en marchĂ©s spĂ©cifiques ; qu'il rĂ©sulte de ces considĂ©rations que la Commission a, dans la dĂ©cision attaquĂ©e, correctement dĂ©limitĂ© les marchĂ©s en cause ;

Section 2 : De la structure des marchés en cause

31. Attendu que, si chaque groupe de vitamines constitue un marché distinct, ces différents marchés présentent néanmoins, tant en ce qui concerne les structures de production que celles de la commercialisation, des traits communs qu'il y a lieu de relever ;

32. Qu'en premier lieu, les parties sont d'accord pour constater qu'entre 1950 et 1974 les marchés de tous les groupes de vitamines ont - quoique dans des proportions différentes - été en forte expansion la production n'ayant cessé d'augmenter ;

33. Qu'en ce qui concerne, en particulier, la production, les parties sont également d'accord pour constater que si la synthÚse de la vitamine, surtout aprÚs l'expiration des brevets détenus pour une part non négligeable par Roche, ne pose pas de problÚmes techniques particuliÚrement ardus, la production suppose néanmoins des investissements importants et nécessite des équipements trÚs spécialisés, dans une large mesure spécifiques à chaque groupe de vitamines, avec la conséquence que la capacité des usines était, au cours de la période ci-dessus indiquée, déterminée, compte tenu de l'expansion prévue des besoins sur une période de dix ans ; que cette structure des marchés a, malgré la forte expansion dont question ci-dessus, entraßné, pour la plupart des groupes de vitamines, une surcapacité mondiale de l'instrument de production ; que cette situation est illustrée de façon frappante par l'observation reprise au procÚs-verbal de la réunion entre Unilever et Roche, du 11 décembre 1972, que la capacité totale de Roche suffisait, à elle seule, à satisfaire la demande mondiale et que Roche, à cette époque, n'utilisait que 50 % de cette capacité ;

34. Que cette capacité de production était, pour la période prise en considération par la Commission, concentrée, en ce qui concerne les producteurs opérant sur le Marché commun, dans les mains d'un nombre restreint de firmes, neuf au total suivant le tableau repris sous le n° 4 de la décision attaquée, le nombre de producteurs étant encore plus restreint dans chaque groupe particulier, à savoir 4 pour les vitamines A, 3 pour les vitamines B2, 3 pour les vitamines B3, 4 pour les vitamines B6, 5 pour les vitamines C, 4 pour les vitamines E, et 2 pour les vitamines H ; que certains de ces producteurs étaient, en outre, acheteurs et revendeurs de vitamines qu'ils ne produisaient pas, tandis que des quantités non précisées de vitamines étaient mises sur le marché par d'importantes maisons de commerce qui s'approvisionnaient à d'autres sources que les neuf producteurs mentionnés dans la décision ;

35. Qu'en ce qui concerne la demande de vitamines non conditionnĂ©es, la situation dans le MarchĂ© commun est caractĂ©risĂ©e par la prĂ©sence d'un nombre relativement Ă©levĂ© d'acheteurs - environ 5 000 pour Roche -, mais qu'une part notable de cette demande, qui, en ce qui concerne Roche, peut ĂȘtre Ă©valuĂ©e Ă  environ 25 % de ses ventes dans le MarchĂ© commun, Ă©tait, Ă  l'Ă©poque considĂ©rĂ©e, concentrĂ©e dans les mains de 22 firmes importantes, dont 7 appartenaient au secteur pharmaceutique, 5 Ă  celui de l'alimentation humaine et 10 Ă  l'alimentation animale ; que tous ces clients, Ă  quelque secteur d'activitĂ© qu'ils appartiennent, Ă©taient acheteurs d'un grand nombre, sinon de toutes les vitamines concernĂ©es, seule la firme Unilever semblant, en tout cas en ce qui concerne ses relations avec Roche, faire exception Ă  cet Ă©gard et n'ĂȘtre acheteur que pour le seul groupe des vitamines A ;

Section 3 : De la signification des indices de l'existence d'une position dominante, retenus par la Commission

36. Attendu que la Commission estime que Roche occupe une position dominante sur les sept marchés en cause (A, B2, B3, B6, C, E, H) et fonde ce point de vue, d'une part, sur les parts de marché détenues par la requérante par rapport à celles de ses concurrents, et, d'autre part, sur l'existence d'une série de facteurs qui, lorsque la part de marché ne serait pas, à elle seule, déterminante, assureraient néanmoins à Roche une prédominance marquée sur les marchés en cause ; qu'elle en tire la conclusion (décision, n° 21) "qu'en ce qui concerne les marchés en cause, Roche dispose d'un degré d'indépendance globale de comportement qui (la) met en mesure de faire obstacle à une concurrence effective à l'intérieur du Marché commun, lui conférant donc une position dominante sur ces marché " ;

37. Attendu que Roche conteste l'évaluation de ses parts de marché ainsi que la réalité ou la pertinence des autres indices retenus dans la décision attaquée ; qu'elle reproche également à la Commission d'avoir négligé d'examiner et de prendre en considération son comportement sur les marchés en cause et en particulier les baisses continuelles et importantes des prix des vitamines, baisses qui démontreraient l'existence d'une concurrence effective à la pression de laquelle Roche aurait dû céder ;

38. Attendu que l'article 86 est une expression de l'objectif gĂ©nĂ©ral assignĂ© par l'article 3 f) du traitĂ© Ă  l'action de la communautĂ©, Ă  savoir l'Ă©tablissement d'un rĂ©gime assurant que la concurrence n'est pas faussĂ©e dans le MarchĂ© commun; que l'article 86 interdit, dans la mesure ou le commerce entre États membres est susceptible d'en ĂȘtre affectĂ©, le fait pour une entreprise d'exploiter de façon abusive une position dominante dans une partie substantielle du MarchĂ© commun; que la position dominante ainsi visĂ©e concerne une situation de puissance Ă©conomique dĂ©tenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marchĂ© en cause en lui fournissant la possibilitĂ© de comportements indĂ©pendants dans une mesure apprĂ©ciable vis-Ă -vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs;

39. Que pareille position, Ă  la diffĂ©rence d'une situation de monopole ou de quasi-monopole, n'exclut pas l'existence d'une certaine concurrence mais met la firme qui en bĂ©nĂ©ficie en mesure, sinon de dĂ©cider, tout au moins d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se dĂ©veloppera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte prĂ©judice; qu'une position dominante doit Ă©galement ĂȘtre distinguĂ©e des parallĂ©lismes de comportements propres aux situations d'oligopoles, en ce que, dans un oligopole, les comportements s'influencent rĂ©ciproquement tandis qu'en cas de position dominante le comportement de l'entreprise qui bĂ©nĂ©ficie de cette position est, dans une large mesure, dĂ©terminĂ© unilatĂ©ralement; que l'existence d'une position dominante peut rĂ©sulter de plusieurs facteurs qui, pris isolĂ©ment, ne seraient pas nĂ©cessairement dĂ©terminants, mais que parmi ces facteurs l'existence de parts de marchĂ© d'une grande ampleur est hautement significative;

40. Attendu que la dĂ©tention d'une part de marchĂ© considĂ©rable, comme Ă©lĂ©ment de preuve de l'existence d'une position dominante, n'est pas une donnĂ©e immuable, et que sa signification varie de marchĂ© Ă  marchĂ© d'aprĂšs la structure de ceux-ci, notamment en ce qui concerne la production, l'offre et la demande ; que, bien que chaque groupe de vitamines constitue un marchĂ© distinct, ces diffĂ©rents marchĂ©s prĂ©sentent, cependant, ainsi qu'il est apparu de l'examen de leur structure, suffisamment de traits communs pour que les mĂȘmes critĂšres puissent leur ĂȘtre appliquĂ©s en ce qui concerne la signification des parts de marchĂ© pour l'Ă©valuation de l'existence ou non d'une position dominante ;

41. Attendu, en outre, que si la signification des parts de marchĂ© peut diffĂ©rer d'un marchĂ© Ă  l'autre, on peut, Ă  juste titre, estimer que des parts extrĂȘmement importantes constituent par elles-mĂȘmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante; qu'en effet, la possession d'une part de marchĂ© extrĂȘmement importante met l'entreprise qui la dĂ©tient pendant une pĂ©riode d'une certaine durĂ©e, par le volume de production et d'offre qu'elle reprĂ©sente - sans que les dĂ©tenteurs de parts sensiblement plus rĂ©duites soient en mesure de satisfaire rapidement la demande qui dĂ©sirerait se dĂ©tourner de l'entreprise dĂ©tenant la part la plus considĂ©rable -, dans une situation de force qui fait d'elle un partenaire obligatoire et qui, dĂ©jĂ  de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des pĂ©riodes relativement longues, l'indĂ©pendance de comportement caractĂ©ristique de la position dominante;

42. Attendu que la décision attaquée a relevé, à cÎté des parts de marché, l'existence d'une série d'autres éléments, qui, combinés avec ses parts de marché, assureraient, dans certains cas, à Roche une position dominante ; que ces indices, que la Commission qualifie de critÚres supplémentaires, sont les suivants :

a) les parts de marché de Roche ne sont pas seulement importantes mais il y aurait, en outre, un écart considérable entre ses parts et celles des concurrents qui la suivent immédiatement (décision, n° 5 et 21) ;

b) Roche fabrique une gamme de vitamines beaucoup plus étendu que celle de ses concurrents (décision, n° 21) ;

c) Roche est le plus grand producteur mondial de vitamines dont le chiffre d'affaires dĂ©passe celui de l'ensemble des autres producteurs et est Ă  la tĂȘte d'un groupe multinational qui, par son chiffre d'affaires, est le premier groupe pharmaceutique mondial (dĂ©cision, n° 5-6 et 21) ;

d) bien que les brevets pour la fabrication de vitamines qu'elle détenait soient expirés, Roche, à raison du rÎle de pionnier qu'elle a joué dans ce domaine, possÚde sur ses concurrents des avantages technologiques qui se manifestent par la possession d'un service trÚs perfectionné d'aide et d'information de la clientÚle (décision, n° 7 et 8) ;

e) Roche dispose d'un réseau commercial trÚs étendu et spécialisé (décision, n° 8) ;

f) l'absence de concurrence potentielle(décision, n° 21 ); qu'en outre, au cours de la procédure devant la Cour, la Commission a fait état, comme indice de la position dominante de Roche, de la capacité de cette derniÚre de maintenir, malgré une vive concurrence, des parts de marché largement intactes ;

43. Attendu qu'avant d'examiner si les indices retenus par la Commission peuvent effectivement ĂȘtre constatĂ©s dans le cas de Roche, il y a lieu de rechercher, la requĂ©rante contestant leur pertinence, si ces Ă©lĂ©ments sont, compte tenu des particularitĂ©s des marchĂ©s en cause et des parts dĂ©tenues, de nature Ă  rĂ©vĂ©ler l'existence d'une position dominante ;

44. Attendu qu'il y a lieu, Ă  cet Ă©gard, de rejeter le critĂšre tirĂ© du maintien des parts de marchĂ©, ce maintien pouvant tout aussi bien ĂȘtre la consĂ©quence d'une attitude concurrentielle efficace que d'une position assurant Ă  l'entreprise en cause une possibilitĂ© de comportement indĂ©pendant de la concurrence, n'a pas indiquĂ© les facteurs auxquels peut ĂȘtre attribuĂ©e la stabilitĂ© des parts de marchĂ© lĂ  oĂč elle a Ă©tĂ© constatĂ©e; que, toutefois, en cas d'existence d'une position dominante, le maintien de parts de marchĂ© peut ĂȘtre rĂ©vĂ©lateur du maintien de cette position et que, d'autre part, les mĂ©thodes auxquelles il est recouru en vue de maintenir la position dominante peuvent Ă©ventuellement ĂȘtre constitutives d'une exploitation abusive au sens de l'article 86 du traitĂ© ;

45. Attendu que de mĂȘme doit ĂȘtre rejetĂ©e la valeur indicative de la circonstance que Roche produirait une gamme de vitamines plus Ă©tendue que ses concurrents ; que la Commission voit dans cette circonstance un indice de position dominante parce que "compte tenu que les besoins de nombreux utilisateurs portent sur plusieurs groupes de vitamines, Roche peut employer une stratĂ©gie de vente et notamment de prix beaucoup moins dĂ©pendante des conditions de concurrence sur chaque marchĂ© que celles des autres producteurs" ;

46. Attendu, cependant, que la Commission a elle-mĂȘme Ă©tabli que chaque groupe de vitamines constitue un marchĂ© spĂ©cifique et n'est pas ou peu interchangeable avec d'autres groupes ou d'autres produits (dĂ©cision, n° 20), de sorte que les vitamines appartenant Ă  des groupes diffĂ©rents constituent des produits aussi diffĂ©rents entre eux que des vitamines par rapport Ă  d'autres produits du secteur pharmaceutique et de l'alimentation ; qu'il n'est, par ailleurs, pas contestĂ© que des concurrents de Roche, notamment ceux appartenant Ă  l'industrie chimique, mettent sur le marchĂ©, Ă  cĂŽtĂ© des vitamines qu'ils fabriquent, d'autres produits qui, eux aussi, font l'objet d'une demande de la part des acheteurs de vitamines, de sorte que la circonstance que Roche est en mesure d'offrir plusieurs groupes de vitamines ne lui assure pas, de ce seul fait, un avantage par rapport Ă  ses concurrents qui peuvent, Ă  cĂŽtĂ© d'une gamme moins ou peu Ă©tendue de vitamines, offrir d'autres produits Ă©galement demandĂ©s par les acheteurs de ces vitamines ;

47. Attendu que des considĂ©rations analogues amĂšnent Ă  Ă©carter Ă©galement l'indice tirĂ© de ce que Roche est le plus grand producteur mondial de vitamines, que son chiffre d'affaires dĂ©passe celui de l'ensemble des autres producteurs et qu'elle est Ă  la tĂȘte du groupe pharmaceutique mondial le plus important; que, selon la Commission, cette triple circonstance constituerait un facteur d'une position dominante parce que : "il s'ensuit que la requĂ©rante occupe une position prĂ©pondĂ©rante non seulement dans le MarchĂ© commun mais encore dans le marchĂ© mondial ; elle bĂ©nĂ©ficie, dĂšs lors, d'une trĂšs grande libertĂ© d'action, sa position lui permettant de s'adapter aisĂ©ment Ă  l'Ă©volution des diffĂ©rents marchĂ©s rĂ©gionaux. Une entreprise opĂ©rant sur l'ensemble du marchĂ© mondial et possĂ©dant une part du marchĂ© telle qu'elle laisse tous ses concurrents loin derriĂšre elle n'a pas Ă  se prĂ©occuper notablement des concurrents qu'elle peut avoir dans le MarchĂ© commun" ; que pareille argumentation, tirĂ©e des avantages que procure l'existence d'Ă©conomies d'Ă©chelle et de la possibilitĂ© d'une stratĂ©gie diffĂ©rente d'aprĂšs les diffĂ©rents marchĂ©s rĂ©gionaux n'est pas dĂ©monstrative dĂšs lors qu'il est admis que chaque groupe de vitamines constitue un groupe de produits distincts nĂ©cessitant des installations spĂ©cifiques et constituant un marchĂ© particulier, en ce sens que le volume de la production globale de produits distincts entre eux ne procure pas Ă  Roche un avantage concurrentiel par rapport Ă  ces concurrents notamment de l'industrie chimique qui, Ă  cĂŽtĂ© des vitamines, produisent Ă  l'Ă©chelle mondiale d'autres produits et possĂšdent en principe les mĂȘmes possibilitĂ©s de compensation des marchĂ©s que ceux que procure une production globale considĂ©rable de produits aussi distincts que ne le sont entre eux les diffĂ©rents groupes de vitamines ;

48. Attendu, par contre, que constituent des indices valables le rapport entre les parts de marchĂ© dĂ©tenues par l'entreprise concernĂ©e et par ses concurrents, en particulier ceux qui la suivent immĂ©diatement, l'avance technologique qu'une entreprise possĂšde par rapport Ă  ses concurrents, l'existence d'un rĂ©seau commercial extrĂȘmement perfectionnĂ© et l'absence de concurrence potentielle, le premier facteur parce qu'il permet d'Ă©valuer la capacitĂ© concurrentielle des concurrents de l'entreprise en cause, le second et le troisiĂšme parce qu'ils constituent, par eux-mĂȘmes, des avantages techniques et commerciaux, le quatriĂšme parce qu'il est le rĂ©sultat de l'existence de barriĂšres Ă  l'entrĂ©e de nouveaux concurrents sur le marchĂ© ; qu'en ce qui concerne l'existence ou l'inexistence d'une concurrence potentielle, il y a cependant lieu de constater que, s'il est exact qu'Ă  raison de l'importance des investissements nĂ©cessaires - et cela pour tous les groupes de vitamines concernĂ©s - la capacitĂ© des usines est dĂ©terminĂ©e en tenant compte de l'expansion prĂ©vue pour une longue pĂ©riode, de sorte que l'accĂšs au marchĂ© est malaisĂ© pour de nouveaux producteurs, il faut Ă©galement tenir compte de la circonstance que l'existence d'importantes capacitĂ©s de production inemployĂ©es crĂ©e, entre les producteurs Ă©tablis, une situation de concurrence potentielle ; que, toutefois, Roche se trouve Ă  cet Ă©gard dans une situation privilĂ©giĂ©e parce qu'ainsi qu'elle admet elle-mĂȘme, sa capacitĂ© de production suffisait Ă  elle seule, Ă  l'Ă©poque visĂ©e par la dĂ©cision attaquĂ©e, Ă  satisfaire la demande mondiale sans cependant que cette surcapacitĂ© l'ait mis dans une situation Ă©conomique ou financiĂšre difficile ;

49. Attendu que c'est à la lumiÚre des considérations qui précÚdent qu'il y a lieu d'apprécier les parts détenues par Roche dans chacun des marchés en cause, et à titre complémentaire, les indices qui, combinés avec les parts de marché, permettent de déceler l'existence éventuelle d'une position dominante; qu'enfin, il y aura également lieu de rechercher si les arguments que Roche fait valoir en ce qui concerne la signification de son comportement sur le marché, essentiellement en ce qui concerne les prix, sont de nature à modifier les constatations auxquelles pourrait amener l'examen des parts de marché et des autres indices retenus ;

Section 4 : De l'application des critÚres pertinents aux différents groupes de vitamines

a) En ce qui concerne le groupe des vitamines A

50. Attendu que les parties sont d'accord pour admettre que la part de marchĂ© de Roche sur le MarchĂ© commun peut ĂȘtre Ă©valuĂ©e Ă  47 % tant en valeur qu'en quantitĂ© ; que, selon les donnĂ©es fournies par la Commission, et non contestĂ©es par Roche, les parts des autres producteurs, en 1974, peuvent ĂȘtre Ă©valuĂ©es Ă  27 %, 18 %, 7 % et 1 % ;

51. Que le marchĂ© en cause prĂ©sentant ainsi les caractĂ©ristiques d'un marchĂ© oligopolistique Ă©troit, dans lequel le degrĂ© de concurrence est dĂ©jĂ  par lui-mĂȘme affaibli, la part de Roche, Ă©gale Ă  celles additionnĂ©es de ses deux concurrents les plus proches, dĂ©montre qu'elle dispose d'une libertĂ© d'action particuliĂšre pour dĂ©terminer son attitude en face de la concurrence ; que l'existence, Ă  raison de la circonstance que Roche a Ă©tĂ© l'inventeur et le dĂ©tenteur de nombreux brevets relatifs Ă  la vitamine A, d'une avance technologique par rapport Ă  ses concurrents, mĂȘme aprĂšs l'expiration de ces brevets, constitue un indice complĂ©mentaire de l'existence, dans son chef, d'une position dominante ; qu'il en est de mĂȘme, ainsi qu'il a Ă©tĂ© indiquĂ© ci-dessus, en ce qui concerne l'absence de concurrence potentielle d'entreprises nouvelles, tandis que celle provenant de la surcapacitĂ© de production dans les entreprises existantes jouait plutĂŽt en faveur de Roche, comme il apparaĂźt d'un extrait du management information de mi-aoĂ»t 1971, selon lequel "although basf will continue to intensify its activities, we expect to achieve a further steady increase of our turnover. However, the present overcapacity of production is such, that a firming of prices cannot be expected for the next few years. Such a development would, of course, be accelerated if one of our smaller competitors ceased production" ;

52. Que c'est, dÚs lors, à juste titre que la Commission a reconnu l'existence d'une position dominante de la requérante sur le marché des vitamines A ; que la circonstance que Roche devait s'approvisionner pour des matiÚres premiÚres servant à la production des vitamines du groupe A chez une entreprise de l'industrie chimique qui fabriquait également des vitamines A et qui était, dÚs lors, son concurrent n'est pas de nature à modifier les conclusions de la Commission, Roche n'ayant jamais allégué qu'elle était exposée à de quelconques difficultés ni en ce qui concerne le rythme de son approvisionnement ni en ce qui concerne les prix ;

b) En ce qui concerne le groupe des vitamines B2

53. Attendu que, dans la décision attaquée, la Commission avait évalué la part de marché de Roche à 86 % ; que, dans le document établi en commun, au cours de la procédure écrite, elle a communiqué les bases sur lesquelles elle avait établi ses calculs des parts de marché de Roche, tant en valeur qu'en quantité, et qu'il apparaßt, en outre, des tableaux qu'elle produit que toutes les importations de vitamines dans le Marché commun, recensées statistiquement, ont été prises en considération ; que, sur la base de ces données, elle arrive aux chiffres suivants :

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54. Que Roche se borne, en substance, a affirmĂ© " qu'Ă©tant rĂ©duite, en ce qui concerne la concurrence, Ă  de simples estimations, elle n'est pas en mesure de fournir une preuve contraire ", mais qu'elle estime que sa part de marchĂ© mondiale est sensiblement moindre et que celle sur le MarchĂ© commun ne dĂ©passerait pas 50 % ; que, pour justifier cette derniĂšre estimation par rapport Ă  celle de la Commission, elle fait Ă©tat de ce que " lorsqu'on ajoute Ă  ces chiffres les capacitĂ©s de fermentation, en particulier aux États-Unis d'AmĂ©rique, de 200 Ă  300 tonnes par annĂ©e, qui ont Ă©tĂ© mises en veilleuse au dĂ©but de l'annĂ©e 1970, mais qui peuvent Ă  tout moment ĂȘtre rĂ©activĂ©es, la part ne s'Ă©lĂšve plus qu'Ă  environ 50 %', invoquant ainsi - sans autre prĂ©cision - soit l'existence d'une concurrence potentielle, soit la diminution de sa propre capacitĂ© de production aux États-Unis ;

55. Que, si la premiĂšre hypothĂšse se rĂ©vĂ©lait exacte, elle serait de nature Ă  faire supposer que, postĂ©rieurement Ă  1970, des concurrents de Roche ont Ă©tĂ© en partie Ă©liminĂ©s du marchĂ© ; qu'a supposer mĂȘme, ce qui n'a pas Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©, qu'il soit fait allusion Ă  la fermeture de capacitĂ©s de production appartenant Ă  Roche, cette circonstance ne saurait ĂȘtre invoquĂ©e pour contester les calculs de la Commission, tant qu'il n'est pas Ă©tabli que des fermetures de capacitĂ© analogues n'ont pas eu lieu chez les concurrents et, en tout cas, qu'elles ont eu pour rĂ©sultat nĂ©cessaire une diminution des parts de marchĂ© de Roche sur le MarchĂ© commun, plutĂŽt qu'une rationalisation de la production ; qu'en outre, si l'existence de surcapacitĂ©s de production peut, le cas Ă©chĂ©ant, constituer un facteur de concurrence potentielle de nature Ă  influer sur l'existence d'une position dominante - encore qu'il a Ă©tĂ© constatĂ© ci-dessus que tel n'est pas le cas pour Roche durant la pĂ©riode prise en considĂ©ration -, elle ne saurait influencer l'Ă©valuation de parts de marchĂ© effectivement rĂ©alisĂ©es ;

56. Que, dans ces conditions, les calculs corrigĂ©s de la Commission, qui prĂ©sentent par ailleurs des garanties de sĂ©rieux suffisantes pour pouvoir ĂȘtre admis, ne sauraient ĂȘtre mis en doute sur la base des objections ci-dessus, et que les parts de marchĂ© qu'ils rĂ©vĂšlent sont Ă  ce point importantes qu'elles dĂ©montrent par elles-mĂȘmes l'existence d'une position dominante;

c) En ce qui concerne le groupe de vitamines B3 (acide pantothénique)

57. Attendu que la Commission a reconnu qu'il y avait lieu de corriger les chiffres retenus dans la décision attaquée et que les deux parties sont d'accord pour évaluer les parts de marché comme suit :

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58. Que des parts de cette importance, que ce soit en quantitĂ© ou en valeur, complĂ©tĂ©es par l'indication, dans la position commune des parties, que les chiffres pour 1971 Ă©taient encore infĂ©rieurs de 6 % Ă  ceux de 1972, ne constituent pas un indice suffisant par lui-mĂȘme de l'existence d'une position dominante pour la majeure partie de la pĂ©riode considĂ©rĂ©e par la Commission; qu'au contraire, il est apparu que la rectification Ă  laquelle cette derniĂšre a dĂ» procĂ©der venait de ce qu'elle avait omis de tenir compte des importations dues Ă  un concurrent japonais qui dĂ©tenait, lui, en 1973, une part de 30 % du marchĂ©; que la Commission n'a, d'autre part, pas indiquĂ©, pour ce marchĂ© en particulier, quels seraient les indices complĂ©mentaires qui, ensemble avec la part de marchĂ© telle qu'elle a Ă©tĂ© corrigĂ©e, seraient de nature Ă  faire nĂ©anmoins l'existence d'une position dominante; que ces constatations amĂšnent Ă  la conclusion que l'existence dans le chef de Roche d'une position dominante en ce qui concerne les vitamines B3, pour la pĂ©riode considĂ©rĂ©e, n'est pas suffisamment dĂ©montrĂ©e;

d) En ce qui concerne le groupe des vitamines B6

59. Attendu que la Commission avait évalué la part de marché de Roche à 95 %, tandis que Roche, qui n'a pas fourni d'indications en ce qui concerne le Marché commun, admet, en ce qui concerne le marché mondial, une part de marché de l'ordre de 60 a 70 % ; qu'aprÚs confrontation des données entre parties (prise de position commune, annexes 1/e et 2/g ), celles-ci n'ont pu se mettre d'accord sur une évaluation commune et que la Commission a corrigé la sienne en avançant les chiffres suivants :

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60. Qu'il y a lieu d'observer que, si Ă  raison de la circonstance que les vitamines des groupes B6 et H font partie de la mĂȘme rubrique douaniĂšre, les parts, tout au moins exprimĂ©es en valeur, comprennent les deux groupes B6 et H, Roche n'a cependant pas contestĂ© que cette circonstance n'est pas de nature Ă  modifier les ordres de grandeur qui en rĂ©sultent ; que Roche soutient, sans s'expliquer plus amplement, que cette estimation doit ĂȘtre diminuĂ©e d'au moins 20 %, mais que, mĂȘme si l'on accepte sans plus ce point de vue, les parts de Roche n'en demeurent pas moins d'une telle importance qu'elles dĂ©montrent l'existence d'une position dominante ; qu'il en est d'autant plus ainsi qu'Ă  l'Ă©poque considĂ©rĂ©e, la part d'aucun des quatre concurrents qui suivent Roche n'atteignait 10 % et que certaines d'entre elles Ă©taient trĂšs probablement infĂ©rieures Ă  5 % ;

e) En ce qui concerne le groupe des vitamines C

61. Attendu que, dans la dĂ©cision attaquĂ©e, la Commission avait estimĂ© la part de marchĂ© de Roche Ă  68 %, tandis que Roche a avancĂ©, au cours de la procĂ©dure, le chiffre de 50 % ; qu'aprĂšs confrontation de leurs points de vue, les parties ont Ă©tĂ© d'accord pour estimer comme suit les parts de marchĂ©, dans l'hypothĂšse oĂč seul le marchĂ© des vitamines est pris en considĂ©ration :

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62. Que, selon Roche, cette estimation devrait ĂȘtre corrigĂ©e en ce sens que le marchĂ© concerne devrait Ă©galement comprendre les produits qui font concurrence aux vitamines C en ce qui concerne les usages technologiques et qu'elle soutient que, dans ce cas, sa part de marchĂ© ne dĂ©passerait pas 47 % ;

63. Que les considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es ci-avant relativement Ă  la dĂ©limitation du marchĂ© concernĂ© pour les vitamines qui sont destinĂ©es Ă  la fois Ă  des usages bio-nutritifs et technologiques ayant conduit au rejet de la thĂšse dĂ©veloppĂ©e par Roche, les parts de marchĂ© sur lesquelles les parties s'Ă©taient mises d'accord, en ce qui concerne le marchĂ© des vitamines C en tant que tel, doivent ĂȘtre admises et dĂ©montrent l'existence d'une position dominante ; qu'en ce qui concerne ce marchĂ© Ă©galement - dans lequel d'ailleurs a existĂ©, en 1971, une situation de pĂ©nurie - la distance entre les parts de Roche (64,8 %) et celles de ses concurrents immĂ©diats (14,8 % et 6,3 %) Ă©tait telle qu'elle confirme la conclusion Ă  laquelle est arrivĂ©e la Commission ;

f) En ce qui concerne le groupe des vitamines E

64. Attendu que, dans la dĂ©cision attaquĂ©e, la Commission avait Ă©valuĂ© la part de marchĂ© de Roche, en ce qui concerne les vitamines E, Ă  70 %, tandis que Roche a, au cours de la procĂ©dure, avancĂ© le chiffre 40 % ; qu'aprĂšs confrontation de leurs points de vue, les parties ont Ă©tĂ© d'accord dans leur prise de position commune pour estimer comme suit les parts de marchĂ©, dans l'hypothĂšse oĂč seul le marchĂ© des vitamines E doit ĂȘtre pris en considĂ©ration :

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que, selon l'estimation de Roche, sa part serait, pour les années 1970 et 1971, encore inférieure de 7 % à celle de 1972 ;

65. Que, selon Roche, et pour les mĂȘmes motifs que ceux qu'elle a fait valoir Ă  propos des vitamines C, le marchĂ© concernĂ© devrait Ă©galement englober les produits qui font concurrence aux vitamines E en ce qui concerne les usages technologiques et qu'elle soutient que, dans ce cas, sa part de marchĂ© ne dĂ©passerait pour 1974 pas 40 % ;

66. Que le point de vue de Roche en ce qui concerne la dĂ©limitation du marchĂ© concernĂ© ayant Ă©tĂ© rejetĂ© pour les motifs ci-dessus indiquĂ©s, il y a lieu de retenir les parts de marchĂ© sur lesquelles les parties se sont mises d'accord ; que l'importance de ces parts, dĂ©jĂ  significative par elle-mĂȘme, est renforcĂ©e par la circonstance que celles dĂ©tenues par les concurrents de Roche doivent ĂȘtre estimĂ©es, aprĂšs la correction dont question ci-dessus, pour l'annĂ©e 1974, en valeur, Ă  16 %, 6 % et 1 % pour les autres producteurs, et 19 % pour un ou plusieurs importateurs, gĂ©nĂ©ralement des maisons de commerce, opĂ©rant Ă  partir de pays tiers ;que la situation ainsi constatĂ©e rĂ©pond, de façon plus caractĂ©ristique encore que pour les vitamines A, au modĂšle d'un marchĂ© oligopolistique Ă©troit, dans lequel la part de Roche est largement supĂ©rieure Ă  celles cumulĂ©es des deux concurrents les plus proches ; que c'est, dĂšs lors, Ă  juste titre que la Commission a constatĂ© l'existence d'une position dominante sur ce marchĂ© ;

g) En ce qui concerne le groupe des vitamines H

67. Attendu que la requérante a admis avoir détenu 100 % de ce marché et que, durant la période considérée, sa part se montait encore à 93 %, de sorte qu'elle se trouve, en fait, en position de monopole ;

h) Conclusion d'ensemble

68. Attendu qu'il résulte des considérations qui précÚdent qu'étaient réunis les facteurs d'une position dominante en ce qui concerne les groupes de vitamines A, B2, B6, C, E et H, tandis que l'existence de pareille position n'a pas été démontrée en ce qui concerne les vitamines B3 ;

Section 5 : Du comportement de la requérante sur le marché

69. Attendu qu'il y a cependant lieu d'examiner si les conclusions prĂ©cĂ©dentes ne se trouvent pas dĂ©menties par le comportement de la requĂ©rante sur les marchĂ©s en cause, comportement qui, selon elle, dĂ©montrerait non seulement l'existence d'une vive concurrence, mais encore la pression que cette concurrence a exercĂ©e sur elle ; qu'Ă  cet Ă©gard , elle invoque en particulier la circonstance que les prix des diffĂ©rents groupes de vitamines auraient constamment baissĂ©s ainsi que les diminutions de ses parts de marchĂ© dans certains États membres ; qu'elle se rĂ©fĂšre Ă©galement aux indications contenues dans diffĂ©rents documents internes, en particulier les "management information" et "marketing news", diffusĂ©s rĂ©guliĂšrement par elle et qui contiennent une analyse de l'Ă©tat du marchĂ© de chaque groupe de vitamines ainsi qu'a la documentation relative au "European Bulk Managers Meeting" organisĂ© par Roche Ă  BĂąle en octobre 1972 ;

70. Attendu qu'il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© constatĂ© par la Cour, notamment dans son arrĂȘt du 14 fĂ©vrier 1978 (United Brands, affaire 27-76, recueil 1978, p. 207 ), que l'existence d'une concurrence, mĂȘme vive, sur un marchĂ© donnĂ© n'exclut pas celle d'une position dominante sur ce mĂȘme marchĂ©, ladite position Ă©tant essentiellement caractĂ©risĂ©e par la capacitĂ© de se comporter sans avoir Ă  tenir compte, dans sa stratĂ©gie de marchĂ©, de cette concurrence et sans, pour autant, subir des effets prĂ©judiciables de cette attitude ;

71. Attendu cependant que la contrainte pour une entreprise de baisser ses prix, sous la pression de baisses dont ses concurrents prennent l'initiative, est en général incompatible avec l'indépendance de comportement caractéristique d'une position dominante; que la requérante a produit, en annexe à son recours, une série de graphiques comportant deux indicateurs différents, l'un servant à mesurer les baisses de prix et l'autre les augmentations de production des différents groupes de vitamines de Roche sur le marché mondial au cours d'une période qui s'étend, selon le cas, des années 1940 a 1954, jusqu'à fin 1974 ;

72. Qu'il y a toutefois lieu d'observer que ces graphiques concernent le marchĂ© mondial et que Roche, qui a elle-mĂȘme insistĂ© Ă  plusieurs reprises sur les diffĂ©rences entre les mouvements des prix d'un Ă©tat membre Ă  l'autre, ne saurait dĂšs lors soutenir que les variations sur le marchĂ© mondial sont nĂ©cessairement reprĂ©sentatives pour l'Ă©volution des prix dans la communautĂ© ; que mĂȘme si l'on admet que l'Ă©volution des prix, reportĂ©e Ă  l'Ă©chelle mondiale, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme reflĂ©tant la tendance gĂ©nĂ©rale des prix sur le MarchĂ© commun, l'examen des graphiques fait cependant apparaĂźtre que, dans une trĂšs large mesure, les prix des diffĂ©rents groupes de vitamines ont baissĂ© dans des proportions considĂ©rables tant que la production ne progressait que lentement, mais que ces baisses se sont fortement attĂ©nuĂ©es et ont mĂȘme fait graduellement place Ă  une grande stabilitĂ© Ă  partir du moment oĂč, pour chaque groupe de vitamines, la production connaissait une progression importante, Ă  savoir : Ă  partir de 1964 pour les vitamines A ; 1956 pour B2 ; 1966 pour B6 ; 1958 pour C ; 1960 pour B3 ; 1965 pour E, tandis que pour les vitamines H (biotine), la courbe des prix, stable jusqu'en 1970, diminue lĂ©gĂšrement Ă  partir de ce moment en mĂȘme temps que la production se dĂ©veloppe ; que ces donnĂ©es indiquent une corrĂ©lation entre les prix, d'une part, et le volume de la production et les coĂ»ts, d'autre part, plutĂŽt qu'entre les prix et une pression de la concurrence ;

73. Attendu qu'en réponse aux questions posées par la Cour, Roche a produit une série de tableaux (prise de position commune, annexe 4 a-i) indiquant les variations des prix de la vitamine estimée par Roche la plus représentative dans chaque groupe, entre 1970 et 1976, pour chaque état membre ainsi que les prix moyens obtenus à partir des prix nationaux, pour l'ensemble de la communauté ;

74. Que ces tableaux font effectivement apparaĂźtre des variations de prix non nĂ©gligeables, tant Ă  la hausse qu'Ă  la baisse ; que ces variations toutefois sont sensiblement diffĂ©rentes pour un mĂȘme produit Ă  une mĂȘme Ă©poque dans les diffĂ©rents États membres, ce que rĂ©vĂšle un cloisonnement des marchĂ©s et serait de nature Ă  faire supposer une stratĂ©gie de prix correspondante ; qu'il est remarquable que pour la vitamine H (biotine), pour laquelle Roche admet que sa part de marchĂ© Ă©tait de 100 % en 1970 et 93 % en 1974, on constate, ainsi qu'il rĂ©sulte de l'annexe 4 de la prise de position commune des parties, Ă©galement des diminutions sensibles de prix, lesquels, exprimĂ©s en francs suisses et en chiffres moyens, passent pour l'ensemble du MarchĂ© commun, de 40,54 francs suisses en 1970 Ă  30,72 francs suisses en 1973, et 29,85 francs suisses en 1974, baisses qui, pour une entreprise possĂ©dant entre 100 et 93 % du marchĂ©, ne sauraient ĂȘtre attribuĂ©es Ă  la pression de la concurrence, mais rĂ©sultent plutĂŽt d'une politique de prix dĂ©libĂ©rĂ©ment et librement choisie et qui, en tout cas, ne contredisent pas l'existence d'une position dominante ;

75. Que cette constatation est largement confirmĂ©e par les diffĂ©rents documents internes dont question ci-dessus ; qu'en ce qui concerne notamment les vitamines H (biotine), le "Management Information" du 8 septembre 1972 rĂ©vĂšle que si un premier concurrent - l'entreprise Sumitomo - avait commencĂ© la production de biotine, fin 1971, il avait prĂ©fĂ©rĂ© vendre une partie de sa production Ă  Roche et Ă©couler le reste aux États-Unis et que, prĂ©voyant l'apparition, au cours de l'annĂ©e 1973, d'un autre producteur, Roche dĂ©cidait de prendre les devants et d'abandonner son "inflexible price policy at once" ; que c'est prĂ©cisĂ©ment en 1973 que l'on constatĂ© une baisse significative du prix de la vitamine H ;

76. Attendu que ces Ă©lĂ©ments dĂ©montrent que loin de subir une pression concurrentielle, Roche est, de par sa position, en mesure d'adopter une politique de prix destinĂ©e Ă  prĂ©venir celle-ci ; qu'en outre, parmi les autres prĂ©cautions Ă  prendre, ce mĂȘme management information recommande l'adoption de contrats de fidĂ©litĂ© ;

77. Qu'en ce qui concerne les vitamines C, ou la part de marchĂ© de Roche entre 1972 et 1974 peut ĂȘtre estimĂ©e Ă  environ 65 %, le marketing news du 6 dĂ©cembre 1971 expose que, Ă©tant donnĂ© la pĂ©nurie de ce produit, il est recommandĂ© aux reprĂ©sentants et filiales de Roche, compte tenu de la stratĂ©gie de marchĂ© Ă  long terme, "to give preference to the food industry, both in respect of supplies and price advantages", par rapport Ă  l'industrie pharmaceutique qui sera amenĂ©e Ă  s'approvisionner partiellement chez les brokers ;

78. Que, si les chiffres et documents produits font voir que des variations de prix, parfois non nĂ©gligeables, peuvent ĂȘtre constatĂ©es sur les marchĂ©s des diffĂ©rentes vitamines, ces variations apparaissent dans certains cas sans relation avec l'existence d'une concurrence, tandis que, dans d'autres cas, c'est le plus souvent Roche qui joue, Ă  tout le moins, le rĂŽle de price leader ; que l'ensemble des documents produits rĂ©vĂšle, en outre, l'existence d'une organisation commerciale et de marketing de premier ordre, en mesure non seulement de prospecter systĂ©matiquement les marchĂ©s, mais encore de dĂ©tecter toute vellĂ©itĂ© de concurrents Ă©ventuels d'entrer dans le marchĂ© de l'un ou l'autre produit, et capable non seulement de rĂ©agir instantanĂ©ment, mais Ă©galement de prĂ©venir ces tentatives par des initiatives appropriĂ©es ; qu'il rĂ©sulte de l'ensemble de ces considĂ©rations que les variations de prix allĂ©guĂ©es et effectivement constatĂ©es ne dĂ©montrent pas l'existence d'une pression concurrentielle de nature Ă  compromettre le degrĂ© notable d'indĂ©pendance dont jouissait Roche dans sa stratĂ©gie de marchĂ© et ne sont pas de nature Ă  infirmer les constatations de l'existence d'une position dominante tirĂ©es, pour chaque groupe de vitamines, de la combinaison des parts de marchĂ© et des autres indices retenus ;

79. Que c'est donc à juste titre que l'existence d'une pareille position a été reconnue dans la décision attaquée, en ce qui concerne les marchés des vitamines A, B2, B6, C, E et H ; que c'est, par contre, à tort qu'elle a été reconnue en ce qui concerne le marché des vitamines B3 ;

II - De l'existence d'une exploitation abusive d'une position dominante

Section 1 : Considérations préliminaires

80. Attendu que, selon la dĂ©cision attaquĂ©e, la requĂ©rante aurait exploitĂ© abusivement sa position dominante par la conclusion, avec 22 acheteurs importants de vitamines, de contrats de vente - environ 30 (certains ne faisant d'ailleurs que reprendre, avec ou sans modification, un contrat antĂ©rieur) - par lesquels ces acheteurs s'engageaient Ă  s'approvisionner exclusivement auprĂšs de Roche pour la totalitĂ© ou pour une partie essentielle de leurs besoins en vitamines ou en certaines vitamines expressĂ©ment dĂ©signĂ©es, ou qui les incitaient Ă  le faire, par la promesse de ristournes que la Commission qualifiĂ© de rabais de fidĂ©litĂ© ; que, selon la Commission (dĂ©cision attaquĂ©e, n° 22 Ă  24), les contrats d'exclusivitĂ© ou les rabais de fidĂ©litĂ© incriminĂ©s constitueraient une exploitation abusive au sens de l'article 86 du traitĂ©, d'une part, parce qu'ils fausseraient la concurrence entre producteurs, en enlevant aux clients de l'entreprise en position dominante toute possibilitĂ© de choix en ce qui concerne leurs sources d'approvisionnement et, d'autre part, parce qu'ils auraient pour effet d'appliquer Ă  l'Ă©gard de partenaires commerciaux des conditions inĂ©gales pour des prestations Ă©quivalentes en leur infligeant de ce fait un dĂ©savantage dans la concurrence, en ce sens qu'il serait fait par Roche Ă  deux acheteurs deux prix diffĂ©rents pour une quantitĂ© identique d'un mĂȘme produit, suivant que ces acheteurs acceptent ou non de renoncer Ă  s'approvisionner chez des concurrents de Roche ;

81. Attendu que les contrats en cause concernent des ventes de vitamines de l'un ou de plusieurs des groupes pour lesquels l'existence d'une position dominante a Ă©tĂ© reconnue, Ă  des acheteurs ayant, dans le MarchĂ© commun, des entreprises auxquelles ces vitamines sont, en tout ou en partie, destinĂ©es ; que ces contrats peuvent ĂȘtre catalogues comme suit et seront dĂ©signĂ©s par la suite par le nom de l'acheteur :

1. Afico/Nestlé : un contrat d'une durée d'un an à partir du 1 janvier 1968, renouvelable par tacite reconduction ;

2. America Cyanamid : un contrat d'une durée d'un an à partir du 1 janvier 1971, renouvelable par tacite reconduction ;

3. Animedica : deux contrats, l'un multinational, du 12 janvier 1973, l'autre concernant les livraisons en République Fédérale d'Allemagne, du 9 mai 1972, l'un et l'autre pour une durée d'un an, renouvelables par tacite reconduction ;

4. Beecham : trois arrangements successifs des 1 avril 1972, 1 avril 1973 et 31 décembre 1973 concernant respectivement les périodes 1.4.1972 - 31.3.1973, 1.4.1973 - 31.12.1973 et l'année 1974 ;

5. Capsugel/Parke Davis : un contrat du 22 mars 1967, prenant cours le 15 mars 1967 ;

6. Dawe's : un contrat prenant cours le 1 août 1971 sans spécification de sa durée ;

7. Guyomarc'h : un contrat prenant cours le 1 mai 1972 pour une durée annuelle, renouvelable par tacite reconduction ;

8. Isaac Spencer : deux contrats, le premier couvrant la période du 1 juillet au 31 décembre 1973, le second couvrant l'année 1974 ;

9. Merck : trois contrats, le premier du 3 mars 1972, concernant les vitamines A, conclu pour cinq ans et renouvelable ensuite par tacite reconduction, chaque fois pour deux ans ; le second, du 3 mars 1972, concernant les vitamines E et contenant une stipulation quasi identique au précédent contrat en ce qui concerne sa durée ; le troisiÚme, du 5 juillet 1971, concernant la vitamine B6 pour une période allant jusqu'au 31 décembre 1976, renouvelable ensuite par tacite reconduction pour des périodes successives de deux ans ;

10. Nitrovit/Imperial Foods : deux contrats, l'un du 22 décembre 1972, l'autre du 11 janvier 1974, valables chaque fois pour un an ;

11. Organon : un contrat du 15 avril 1970, amende le 10 octobre 1974 et couvrant des périodes annuelles, renouvelable par tacite reconduction ;

12. Pauls and whites : trois contrats des 2 mars 1972, 16 juillet 1973 et 22 janvier 1974, couvrant respectivement les périodes 1.4.1972 - 31.3.1973, 1.4.1973 31.12.1973, et l'année 1974 ;

13. Protector : un contrat prenant effet au 1 juillet 1968, pour l'année 1968, prolonge en fait d'année en année, en tout cas jusque fin 1972 ;

14. Provimi : un contrat du 30 septembre 1972, sans stipulation de durée, amende le 27 novembre 1974 ;

15. Radar : un contrat du 23 février 1971, couvrant l'année 1971 et se référant à un engagement analogue convenu antérieurement pour l'année 1970 ;

16. Ralston Purina : un contrat du 19 janvier 1970, visant l'année 1970, prolonge à tout le moins jusque fin 1974 ;

17. Ramikal : un contrat du 22 août 1972, prenant effet au 1 janvier 1972, pour une durée indéterminée et remplaçant un contrat datant de 1964 ;

18. Sandoz : un contrat prenant cours en 1965, pour une année civile, avec tacite reconduction d'année en année ;

19. Trouw : un contrat du 1 juillet 1971, prenant effet le 1 janvier de cette mĂȘme annĂ©e, amende le 27 novembre 1972 ;

20. Unilever : trois contrats du 9 janvier 1974, les deux premiers concernant des livraisons au Royaume-Uni, le premier de vitamines A, type B), et le second des autres vitamines A, tandis que le troisiÚme concerne des livraisons de vitamines A sur le continent, dans les trois cas pour les années 1974 et 1975 ;

21. Upjohn : un contrat prenant cours le 1er novembre 1967, ne contenant pas de spécification en ce qui concerne la durée ;

22. Wyeth : un contrat ayant pris cours le 1er janvier 1964, sans spécification quant à sa durée ;

Section 2 : Analyse des contrats litigieux

82. Attendu que ces contrats, bien que rĂ©digĂ©s Ă  des Ă©poques diffĂ©rentes et en des termes qui ne sont pas toujours identiques, peuvent, en ce qui concerne la portĂ©e de l'engagement d'approvisionnement acceptĂ© par l'acheteur, ĂȘtre classĂ©s en trois catĂ©gories ;

83. Qu'un certain nombre d'entre eux comportaient, de la part de l'acheteur, un engagement ferme de s'approvisionner exclusivement chez Roche :

a) soit pour la totalité ou la quasi-totalité de ses besoins en vitamines non conditionnées fabriquées par Roche : Afico/Nestlé, Dawe's, Organon, Provimi (sauf 10 % à titre d'élément de comparaison ), Ralston Purina, Upjohn (toutes les vitamines, sauf quatre spécialités de la vitamine A, destinées à l'alimentation animale pour lesquelles Roche accorde à Upjohn une licence de sa marque Injacom) ;

b) soit pour la totalitĂ© de ses besoins pour certaines vitamines expressĂ©ment dĂ©signĂ©es : Merck (vitamines A, B6, au-delĂ  des 200 tonnes annuellement fabriquĂ©es par Merck lui-mĂȘme, et vitamines E) ;

c) soit pour un pourcentage indique dans le contrat de ses besoins totaux (America Cyanamid, Animedica Allemagne et Animedica International : 80 %) ou de ses besoins pour certaines vitamines designées (Guyomarc'h : 75 % des besoins de vitamines A, B, C, E);

d) soit enfin pour la majeure partie (major part, uberwiegender teil) de ses besoins en vitamines ou en certaines vitamines (Beecham, Isaac Spencer, Nitrovit, Pauls And Whites, Ramikal, Trouw);

84. Qu'un certain nombre de contrats comportaient de la part de l'acheteur l'engagement de "give preference to Roche" (wyeth), ou exprimaient l'intention de s'approvisionner exclusivement auprÚs de Roche (capsugel/parke davis) ou de recommander à ses filiales d'en faire autant (sandoz), soit pour l'ensemble des besoins en vitamines, soit pour certaines vitamines désignées (Capsugel/Parke Davis : A, B1, B2, B6, C, E, H), soit encore pour un pourcentage déterminé de l'ensemble des besoins (Protector : 80 %) ;

85. Qu'enfin, les contrats conclus respectivement avec Merck et Unilever, présentaient des particularités qui rendent souhaitable un examen séparé des engagements qu'ils comportaient ;

86. Attendu que la plupart des contrats Ă©taient conclus pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e, soit d'aprĂšs leurs termes mĂȘmes, soit par la mise en Ɠuvre d'une clause de reconduction tacite et qu'ils Ă©taient manifestement conçus pour Ă©tablir des relations s'Ă©tendant sur plusieurs annĂ©es ; que la grande majoritĂ© des contrats ont Ă©tĂ© conclus Ă  partir de l'annĂ©e 1970 et Ă©taient en vigueur au cours de tout ou partie de la pĂ©riode 1970 Ă  1974 ;

87. Attendu que tous les contrats énumérés ci-dessus, à l'exception de ceux conclus avec Unilever, prévoyaient l'octroi, sous des qualifications diverses, de ristournes ou rabais calculés sur l'ensemble des achats de vitamines, quel que soit le groupe auquel celles-ci appartiennent, au cours d'une période donnée, le plus souvent annuelle ou semestrielle ; que les contrats Beecham, Isaac Spencer, Nitrovit, Pauls And Whites, Sandoz et Wyeth, présentaient la particularité que le pourcentage des ristournes prévues n'était pas unique, mais augmentait - en général de 1 % à 3 % - suivant les quantités qui auraient été annuellement achetées ; que les contrats, à l'exception de Animedica International, Guyomarc'h, Merck B6, Protector et Upjohn, contenaient une clause dite clause anglaise, en vertu de laquelle les clients pouvaient opposer - sous des modalités diverses qui seront examinées ci-aprÚs - à Roche des offres plus favorables émanant de la concurrence avec la conséquence que si Roche n'alignait pas ses prix, le client intéressé était libéré, en ce qui concerne cet achat, de son obligation d'approvisionnement exclusif, ou, lorsque pareille obligation ferme n'était pas stipulée, pouvait acheter chez ledit concurrent, sans pour autant perdre, ni dans l'un ni dans l'autre cas, en ce qui concerne les achats qu'il aurait déjà effectués ou effectuerait à l'avenir, le bénéfice du rabais dont question ci-dessus ;

88. Que c'est à la lumiÚre de ces particularités qu'il y a lieu d'examiner si les contrats litigieux étaient constitutifs d'une exploitation abusive de position dominante dans le chef de Roche ;

Section 3 : De la qualification, au regard de l'article 86 du traité, des engagements d'approvisionnement exclusif et des systÚmes de rabais

89. Attendu que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marchĂ©, le fait de lier - fĂ»t-ce Ă  leur demande - des acheteurs par une obligation ou promesse de s'approvisionner pour la totalitĂ© ou pour une part considĂ©rable de leurs besoins exclusivement auprĂšs de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traitĂ©, soit que l'obligation en question soit stipulĂ©e sans plus, soit qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi de rabais ; qu'il en est de mĂȘme lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, appliquĂ©, soit en vertu d'accords passĂ©s avec ces acheteurs, soit unilatĂ©ralement, un systĂšme de rabais de fidĂ©litĂ©, c'est-Ă -dire de remises liĂ©es Ă  la condition que le client - quel que soit par ailleurs le montant, considĂ©rable ou minime, de ses achats - s'approvisionne exclusivement pour la totalitĂ© ou pour une partie importante de ses besoins auprĂšs de l'entreprise en position dominante ;

90. Qu'en effet, les engagements d'approvisionnement exclusif de cette nature, avec ou sans la contrepartie de rabais ou l'octroi de rabais de fidĂ©litĂ© en vue d'inciter l'acheteur Ă  s'approvisionner exclusivement auprĂšs de l'entreprise en position dominante, sont incompatibles avec l'objectif d'une concurrence non faussĂ©e dans le MarchĂ© commun parce qu'ils ne reposent pas - sauf circonstances exceptionnelles rendant Ă©ventuellement admissible un accord entre entreprises dans le cadre de l'article 85, et en particulier du paragraphe 3 de cette disposition - sur une prestation Ă©conomique justifiant cette charge ou cet avantage, mais tendent Ă  enlever Ă  l'acheteur ou Ă  restreindre dans son chef, la possibilitĂ© de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement et Ă  barrer l'accĂšs du marchĂ© aux autres producteurs; qu'Ă  la diffĂ©rence des rabais de quantitĂ©, liĂ©s exclusivement au volume des achats effectuĂ©s auprĂšs du producteur intĂ©ressĂ©, la remise de fidĂ©litĂ© tend Ă  empĂȘcher, par la voie de l'octroi d'un avantage financier, l'approvisionnement des clients auprĂšs des producteurs concurrents; que les rabais de fidĂ©litĂ© ont, en outre, pour effet d'appliquer Ă  des partenaires commerciaux des conditions inĂ©gales Ă  des prestations Ă©quivalentes, en ce que deux acheteurs d'une mĂȘme quantitĂ© d'un mĂȘme produit paient un prix diffĂ©rent suivant qu'ils s'approvisionnent exclusivement chez l'entreprise en position dominante ou qu'ils diversifient leurs sources d'approvisionnement ; qu'enfin, ces pratiques, dans le chef d'une entreprise en position dominante et particuliĂšrement dans un marchĂ© en expansion, tendent Ă  renforcer cette position par une concurrence non fondĂ©e sur des prestations et, dĂšs lors, faussĂ©e ;

91. Attendu qu'on ne saurait, pour écarter la qualification d'exploitation abusive de position dominante, accepter l'interprétation proposée par la requérante selon laquelle l'exploitation abusive impliquerait que l'utilisation de la puissance économique conférée par une position dominante soit le moyen grùce auquel l'abus a été réalisé ; que la notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché ou, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence;

Section 4 : De la nature des rabais litigieux

92. Attendu que la requérante soutient toutefois que les rabais convenus ne seraient pas des rabais de fidélité mais de quantité ou qu'ils correspondraient à une prestation économique du client justifiant une contrepartie de ce genre ;

93. Attendu qu'il y a lieu, dans l'examen de ce moyen, de faire une distinction entre les contrats prévoyant des rabais d'un taux uniforme et ceux dans lesquels il est prévu des rabais à taux croissant ;

a) En ce qui concerne les contrats prévoyant des rabais à taux uniforme

94. Attendu, en premier lieu, que la thĂšse de la requĂ©rante ne saurait ĂȘtre admise pour les contrats prĂ©voyant un rabais Ă  taux uniforme ;

95. Qu'en effet - et sous le bĂ©nĂ©fice de l'observation qu'en cas d'exclusivitĂ© formellement acceptĂ©e, l'octroi ou non d'un rabais est, en fin de compte, irrelevant - aucun desdits contrats ne contient des engagements portant sur des quantitĂ©s dĂ©terminĂ©es, ne fĂ»t-ce que supputĂ©es, ou des engagements liĂ©s au volume des achats, mais que tous visent les "besoins" ou une quotitĂ© desdits besoins ; que d'ailleurs, dans la plupart d'entre eux, les parties ont elles-mĂȘmes qualifiĂ© la clause comme rabais de fidĂ©litĂ© (American Cyanamid, Organon, Provimi, Ralston Purina, Trouw) ou employĂ© des termes qui soulignent fortement le lien entre l'exclusivitĂ© et le rabais consenti ;

96. Que, dans le contrat Dawe's, il est stipulĂ© que c'est en "contrepartie" (in return) de l'exclusivitĂ© acceptĂ©e que le rabais est accordĂ©; que, dans le contrat Ramikal, il est question d'un "rabais confidentiel" (Vertraulicher Jahresbonus ), qui " constitue une authentique prime pour vos achats de Roche " (eine echte vergutung auf ihre bezuge von Roche), indĂ©pendant des rabais de quantitĂ© qui demeurent acquis ; que, sans doute, dans quatre contrats, Ă  savoir les contrats Afico/Nestle, Capsugel/Parke Davis, Provimi (Ă  partir de 1974) et Upjohn, le rabais consenti sur l'ensemble des achats est, selon les termes desdits contrats, consenti Ă  raison de la circonstance que ces clients garantissent Ă  Roche le paiement des factures consĂ©cutives Ă  des ordres qui seraient directement passĂ©s par les filiales desdits clients ; qu'il est toutefois difficile d'admettre que des rabais, calculĂ©s Ă  tous Ă©gards sur les mĂȘmes bases que ceux qui, dans d'autres contrats, sont reconnus ĂȘtre des rabais de fidelitĂ© puissent ĂȘtre la contrepartie d'un engagement de sociĂ©tĂ©s de dimensions mondiales comme Nestle, Parke Davis et Upjohn, visant Ă  rassurer Roche sur la solvabilitĂ© de leurs filiales ; qu'on ne saurait non plus retenir l'argument de Roche qu'il s'agirait, tout au moins pour certaines vitamines telles que la biotine (vitamine H), de rabais de lancement, les contrats ne faisant ni ne permettant de faire aucune distinction, d'aprĂšs leur fonction, entre les diffĂ©rents rabais Ă©tablis de façon globale et uniforme, par client, pour ses besoins totaux ou pour une quotitĂ© importante de ses besoins ;

b) En ce qui concerne les contrats prévoyant des rabais à taux croissant

97. Attendu qu'un certain nombre des contrats litigieux, Ă  savoir Beecham (1972, 1973, 1974), Isaac Spencer (1973, 1974), Nitrovit (1973, 1974), Pauls and Whites (1972, 1973, 1974) , comportent, d'une part, un engagement visant "la majeure partie" des besoins de l'acheteur et, d'autre part, une clause de rabais prĂ©voyant une ristourne dont le pourcentage augmentĂ© - en gĂ©nĂ©ral de 1 Ă  2 %, puis Ă  3 % -, suivant qu'aura Ă©tĂ© couvert, au cours d'une pĂ©riode annuelle, un pourcentage plus ou moins grand des besoins estimĂ©s de l'acheteur, les contrats contenant dans tous les cas une estimation en valeur (pounds) des besoins totaux et, en plus, dans deux cas (Pauls and Whites 1972, Beecham 1972) une estimation en quantitĂ© pour chacune des sortes de vitamines visĂ©es au contrat ; qu'Ă  titre d'exemple, on peut citer le contrat Beecham (1.4.1972 - 31.3.1973) dans lequel les besoins annuels Ă©tant Ă©valuĂ©s Ă  300 000 pounds au maximum, le rabais prĂ©vu est de 1 % si le chiffre d'affaires atteint 60 %, soit 180 000 pounds, 1,5 % s'il atteint 70 %, soit 210 000 pounds, et 2 % s'il atteint 80 %, soit 240 000 pounds ; que les formules sont du mĂȘme ordre dans les autres contrats, l'estimation des besoins diffĂ©rant de cas Ă  cas et d'annĂ©e en annĂ©e, en vue, manifestement, d'ĂȘtre adaptĂ©e Ă  la capacitĂ© d'absorption du client ;

98. Attendu que si les contrats en cause contiennent des éléments qui, à premiÚre vue, paraissent de nature quantitative en ce qui concerne leur lien avec l'octroi d'un rabais total, leur examen révÚle cependant qu'il s'agit, en réalité, d'une forme particuliÚrement élaborée de rabais de fidélité ;

99. Qu'il est, en premier lieu, remarquable que cette forme particuliÚre de rabais se trouve insérée précisément dans des contrats dans lesquels l'engagement d'approvisionnement a été rédigé de la façon la moins contraignante, à savoir "une majeure partie des besoins" laissant à l'acheteur concerné une marge appréciable de liberté ; que le caractÚre vague de l'engagement ainsi formulé est, dans une large mesure, corrigé par une estimation des besoins annuels et l'octroi d'un rabais augmentant en fonction du pourcentage des besoins qui seraient couverts, ce taux croissant constituant, de toute évidence, une incitation puissante à couvrir le pourcentage maximum desdits besoins chez Roche ;

100. Que cette méthode de calculer les rabais diffÚre de l'octroi de rabais de quantité, liés exclusivement au volume des achats effectués auprÚs du producteur intéressé en ce que les rabais litigieux ne sont pas fonction de quantités fixées objectivement et valables pour l'ensemble des acheteurs éventuels, mais d'estimations établies, cas par cas, pour chaque client en fonction de la capacité d'absorption présumée de celui-ci, l'objectif visé n'étant pas le maximum de quantité mais le maximum des besoins ;

101. Que c'est donc également à juste titre que la Commission a considéré que lesdits contrats comportaient des rabais de fidélité constitutifs d'une exploitation abusive d'une position dominante ;

Section 5 : De la clause anglaise

102. Attendu que tous les contrats en cause, sauf cinq (Animedica International, Guyomarc'h, Merck B6, Protector Et Upjohn) contiennent une clause, dite clause anglaise, aux termes de laquelle le client, s'il obtient de la concurrence des offres de prix plus favorables que ceux résultant de l'application des contrats litigieux, peut demander à Roche d'aligner ses prix sur ladite offre ; si Roche ne donne pas suite à cette demande, le client est autorisé, par dérogation de son engagement d'approvisionnement exclusif, à se fournir chez ledit concurrent, sans pour autant perdre le bénéfice des rabais de fidélité prévus aux contrats pour les autres achats déjà effectués ou encore à effectuer auprÚs de Roche ;

103. Attendu que, selon la requérante, cette clause détruirait l'effet restrictif de la concurrence tant des accords d'exclusivité que des rabais de fidélité ; qu'en particulier pour les contrats qui ne contiennent pas d'obligation expresse d'approvisionnement exclusif, la clause anglaise éliminerait "l'effet d'attraction" des rabais en cause, puisque le client ne serait pas placé devant l'alternative d'accepter des offres de Roche moins avantageuses pour lui ou de perdre, pour l'ensemble des achats déjà effectués auprÚs de Roche, le bénéfice des rabais de fidélité prévus ;

104. Attendu qu'il est incontestable que cette clause permet de remédier à certaines des conséquences inéquitables que des obligations d'approvisionnement exclusif ou la prévision de rabais de fidélité globaux, acceptées pour des délais relativement longs, pourraient avoir pour les acheteurs ; qu'il y a toutefois lieu d'observer que la possibilité pour l'acheteur de faire jouer la concurrence à son profit est plus limitée qu'il n'y parait au premier abord ;

105. Qu'en effet, la clause, outre qu'elle est absente dans les contrats Guyomarc'H, Merck B6, Animedica International, Protector et Upjohn, est assortie de modalitĂ©s qui en restreignent la portĂ©e et laissent, en fait, Ă  Roche un large pouvoir d'apprĂ©ciation en ce qui concerne la possibilitĂ© pour le client d'y faire appel ; que, dans un certain nombre de contrats, il n'est pas seulement prĂ©cisĂ© que l'offre doit Ă©maner de concurrents sĂ©rieux, mais Ă©galement de concurrents importants du mĂȘme niveau que Roche ou encore que les offres doivent ĂȘtre comparables non seulement en ce qui concerne la qualitĂ© du produit, mais Ă©galement en ce qui concerne la continuitĂ© de l'offre, ce qui, en Ă©liminant un approvisionnement plus favorable mais occasionnel, renforce l'exclusivitĂ©; que, d'autres fois, il est dit que l'offre doit Ă©maner de producteurs, Ă  l'exclusion de Brokers ou agents commerciaux, ce qui a pour effet d'Ă©liminer des concurrents non europĂ©ens qui agissent sur le marchĂ© par l'intermĂ©diaire de maisons de commerce, ainsi qu'il a Ă©tĂ© Ă©tabli Ă  l'occasion de l'examen des parts de marchĂ© auquel les parties ont contradictoirement procĂ©dĂ© Ă  la demande de la Cour ; que,dans une sĂ©rie de contrats, la clause anglaise est directement liĂ©e Ă  l'assurance de Roche de garantir les meilleurs prix "sur le marchĂ© local" et qu'elle ne joue que dans cette limite, ce qui non seulement en restreint la portĂ©e, mais opĂšre un cloisonnement des marchĂ©s, incompatible avec le MarchĂ© commun;

106. Attendu, en outre, que la clause anglaise n'élimine pas la discrimination qui résulte des rabais de fidélité entre des acheteurs se trouvant dans des conditions identiques, selon qu'ils se réservent ou non leur liberté d'approvisionnement ;

107. Attendu qu'il y a surtout lieu d'observer que, mĂȘme dans les circonstances les plus favorables, la clause anglaise n'a pas pour effet de remĂ©dier notablement Ă  la distorsion de concurrence que provoquent les clauses d'approvisionnement exclusif et les rabais de fidĂ©litĂ© dans un marchĂ© ou opĂšre une entreprise en position dominante, marchĂ© qui, de ce fait, prĂ©sente dĂ©jĂ  une structure concurrentielle affaiblie; qu'en effet, en obligeant ses clients Ă  lui rĂ©vĂ©ler les offres plus favorables qui sont faites par la concurrence et Ă  les rĂ©vĂ©ler avec les prĂ©cisions ci-dessus dĂ©crites - de telle façon qu'il sera aisĂ© Ă  Roche d'individualiser ce concurrent -, la clause anglaise, par sa nature mĂȘme, met Ă  la disposition de la requĂ©rante des Ă©lĂ©ments d'information sur la situation du marchĂ© ainsi que sur les possibilitĂ©s et initiatives de ses concurrents, qui sont particuliĂšrement prĂ©cieux pour la conduite de sa stratĂ©gie de marchĂ© ; que le fait, pour une entreprise en position dominante, d'exiger ou d'obtenir contractuellement de ses clients qu'ils s'obligent Ă  lui signaler les offres de la concurrence, alors que lesdits clients peuvent avoir un intĂ©rĂȘt commercial Ă©vident Ă  ne pas les rĂ©vĂ©ler, est de nature Ă  aggraver le caractĂšre abusif de l'exploitation de la position dominante ; qu'enfin, en vertu du mĂ©canisme de la clause anglaise, c'est Ă  Roche elle-mĂȘme qu'il appartient de dĂ©cider si, en alignant ses prix ou non, elle admet de faire jouer la concurrence ;

108. Qu'elle peut ainsi diversifier, grùce aux éléments d'information que lui fournissent ses propres clients, sa stratégie de marché à leur égard et à l'égard de ses concurrents ; que de tous ces éléments il résulte que c'est par une interprétation et une application exactes de l'article 86 du traité que la Commission a estimé que les clauses anglaises inscrites dans les contrats litigieux n'étaient pas de nature à les soustraire à la qualification d'exploitation abusive de position dominante ;

Section 6 : De l'application des critĂšres retenus aux contrats litigieux (autres que Unilever et Merck)

109. Attendu que les contrats qui contiennent une obligation expresse d'exclusivitĂ© pour la totalitĂ© (Afico, Dawe's, Organon, Provimi, Ralston Purina, Upjohn) ou pour un pourcentage extrĂȘmement important (Animedica Allemagne, Animedica International, American Cyanamid, Guyomarc'h) de tous les besoins des acheteurs en vitamines ou de leurs besoins en certains groupes nommĂ©ment dĂ©signĂ©s, rĂ©unissent les Ă©lĂ©ments du comportement anticoncurrentiel ci-dessus dĂ©crit et constitutif d'une exploitation abusive de position dominante ; qu'il en va de mĂȘme pour les contrats par lesquels l'acheteur s'engage Ă  rĂ©server Ă  Roche l'approvisionnement de la "majeure partie" (Major Part, Uberwiegender Teil) de ses besoins (Beecham, Pauls And Whites, Nitrovit, Isaac Spencer, Ramikal et Trouw ), d'autant plus que le caractĂšre moins contraignant de la formule employĂ©e est corrigĂ©, ainsi qu'il a Ă©tĂ© Ă©tabli ci-dessus, par l'octroi de rabais qui sont spĂ©cialement conçus pour exercer cet effet correcteur ;

110. Attendu que les mĂȘmes constatations s'imposent en ce qui concerne les contrats qui, s'il peut ĂȘtre douteux qu'ils contiennent un engagement d'approvisionnement ferme, comportent, par l'octroi des rabais analysĂ©s ci-dessus, une incitation puissante Ă  rĂ©server Ă  Roche l'exclusivitĂ© de l'approvisionnement, pour la totalitĂ© ou partie des besoins en vitamines ou en certains groupes de vitamines ; que c'est Ă  juste titre que la Commission a relevĂ© (dĂ©cision attaquĂ©e n° 11 et 24), que cette incitation est encore renforcĂ©e par la circonstance que le rabais est prĂ©vu pour l'ensemble des achats des diffĂ©rents groupes de vitamines, de telle sorte que l'acheteur, s'il dĂ©sirait s'adresser - en dehors de l'application de la clause anglaise dont la portĂ©e a Ă©tĂ© examinĂ©e ci-avant - Ă  un producteur concurrent pour une vitamine, sera nĂ©anmoins empĂȘchĂ© de le faire parce qu'il perdrait ainsi le bĂ©nĂ©fice du rabais pour toutes les autres vitamines qu'il continue d'acheter chez Roche ;

111. Que, compte tenu de la circonstance, admise tant par la requĂ©rante que par la Commission, que les diffĂ©rents groupes de vitamines constituent des produits non interchangeables et des marchĂ©s distincts, cette globalisation du systĂšme de rabais constitue, en outre, une pratique abusive au sens du dernier alinĂ©a de l'article 86, en ce qu'elle vise Ă  "subordonner la conclusion de contrats Ă  l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplĂ©mentaires, qui, par leur nature, ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats" ; qu'il y a, enfin, lieu d'observer que, mĂȘme si, comme le soutient Roche, l'inobservation par l'acheteur de son engagement d'approvisionnement exclusif n'exposait pas cet acheteur Ă  des actions en rupture de contrat, mais avait seulement pour effet de lui faire perdre le bĂ©nĂ©fice des rabais promis, ces contrats comporteraient toujours une incitation suffisante Ă  rĂ©server l'exclusivitĂ© Ă  Roche, pour tomber, de ce chef, sous la qualification d'exploitation abusive de position dominante ;

Section 7 : De l'application des critĂšres retenus aux contrats Merck et Unilever

a) Les contrats Merck

112. Attendu que Roche a conclu avec Merck trois contrats, datĂ©s le premier du 5 juillet 1971, visant l'approvisionnement de Merck en vitamines B6, le second du 3 mars 1972, visant son approvisionnement en vitamines A, et le troisiĂšme de la mĂȘme date, visant son approvisionnement en vitamines E ;

113. Que dans le prĂ©ambule du premier contrat, qui concerne un produit ou la part de marchĂ© de la requĂ©rante se situe aux environs de 80 %, il est dĂ©clarĂ© que "Roche va prochainement doubler la capacitĂ© de ses installations de production qui est actuellement d'environ 500 tonnes par annĂ©e" et a donc intĂ©rĂȘt Ă  couvrir une partie des besoins de Merck et que "Merck est disposĂ©e Ă  couvrir auprĂšs de Roche aux conditions fixĂ©es ci-aprĂšs ses besoins, pour autant qu'ils dĂ©passent sa capacitĂ© actuelle d'environ 200 tonnes par annĂ©e" ; que, selon les articles 6 et 7 de cette convention, le prix de livraison Ă  payer par Merck est le prix moyen de vente du mĂȘme produit aux tiers affectĂ© d'un rabais de 20 %, Ă©tant cependant entendu que Roche "appliquera dans tous les cas Ă  Merck les prix et/ou conditions les plus favorables" ; que, selon l'article 12, il est interdit Ă  Merck de revendre lesdites vitamines Ă  des concurrents de Roche sans l'autorisation de celle-ci ; que, selon l'article 11, Roche s'engage Ă  se fournir exclusivement chez Merck, et Merck s'engage Ă  approvisionner Roche pour la totalitĂ© des besoins de cette derniĂšre en "ister phosphorique de pyridoscal 5" aux mĂȘmes conditions que celles prĂ©vues pour l'approvisionnement de Merck en vitamines B6 ; que, selon l'article 13 du contrat, celui-ci est conclu pour une pĂ©riode de cinq ans et renouvelable ensuite par tacite reconduction de deux en deux ans ; que le contrat ne contient pas de clause dite anglaise ;

114. Attendu que les deux autres contrats, portant la date du 3 mars 1972 et relatifs Ă  l'approvisionnement de Merck en vitamines A et E, prĂ©sentent, de façon gĂ©nĂ©rale, les mĂȘmes caractĂ©ristiques que celui analysĂ© ci-dessus ; qu'ils diffĂšrent entre eux en ce que dans celui relatif aux vitamimes E on retrouve dans le prĂ©ambule la dĂ©claration que "Roche doit prochainement agrandir sensiblement ses installations de production de vitamine E et souhaiterait donc assurer l'approvisionnement rĂ©gulier de Merck", tandis que celui relatif aux vitamines A ne contient aucune dĂ©claration de ce genre ; que les deux contrats du 3 mars 1972 - Ă  la diffĂ©rence de celui du 5 juillet 1971 - ne prĂ©voient pas d'approvisionnement exclusif rĂ©ciproque, mais comprennent une clause selon laquelle Merck est libĂ©rĂ©e de son obligation d'achat exclusif si elle reçoit une offre plus favorable et que Roche n'aligne pas ses prix ; que ces deux contrats prĂ©voient enfin l'interdiction pour Merck de revendre lesdites vitamines qui en sont l'objet Ă  des concurrents de Roche sans l'autorisation de celle-ci ;

115. Attendu qu'il ressort des particularitĂ©s dĂ©crites ci-dessus que les obligations d'approvisionnement exclusif assumĂ©es par Merck ont eu pour objectif, en ce qui concerne les vitamines B6 et E, d'assurer par avance Ă  Roche un dĂ©bouchĂ© ferme pour une production dont l'augmentation Ă©tait projetĂ©e et de soustraire, Ă  tout le moins, une partie non nĂ©gligeable de cette production additionnelle, aux alĂ©as de la concurrence ; qu'une obligation d'approvisionnement exclusif de cette nature et de cette durĂ©e au profit d'une entreprise en position dominante constitue, dans le chef de cette entreprise, une exploitation abusive au sens de l'article 86 du traitĂ© ; que, si le mĂȘme objectif n'est pas exprimĂ© en ce qui concerne la vitamine A et s'il n'est pas exclu que ce contrat corresponde au dĂ©sir de Merck - ainsi que plusieurs spĂ©cifications techniques rigoureuses insĂ©rĂ©es dans le texte le laissent supposer - de s'assurer un approvisionnement rĂ©gulier et constant d'un produit dont elle ne fabriquait elle-mĂȘme que de faibles quantitĂ©s, cette circonstance n'exclut pas l'interdiction, pour une entreprise en position dominante, de lier ses acheteurs par des obligations d'approvisionnement exclusif, surtout pour des pĂ©riodes aussi longues que celles prĂ©vues audit contrat ; que l'obligation d'approvisionnement exclusif, jointe Ă  l'octroi de rabais particuliĂšrement considĂ©rables, selon les cas 12,5 % Ă  20 % (vitamine A), de 15 a 20 % (vitamine E) et 20 % (vitamine B6), et Ă  l'interdiction de revente Ă  des producteurs de vitamines, dĂ©montre la volontĂ© de limiter la concurrence ;

116. Attendu qu'il y a lieu d'observer que, dans des cas comme ceux de l'espÚce, et en particulier en ce qui concerne le contrat du 5 juillet 1971, comportant des engagements d'approvisionnement exclusif réciproques, on pourrait se poser la question de savoir si le comportement en cause ne relÚve pas de l'article 85 du traité et le cas échéant, du paragraphe 3, de cette disposition ; que la circonstance que des accords de ce genre pourraient relever de l'article 85, et notamment de son paragraphe 3, n'a cependant pas pour effet d'éliminer l'application de l'article 86, cette derniÚre disposition visant en effet, de façon expresse, des situations qui trouvent manifestement leur origine dans des liens contractuels, de sorte qu'il est, dans ces cas, loisible à la Commission, compte tenu notamment de la nature des engagements réciproquement assumés et de la position concurrentielle des divers contractants sur le marché ou les marchés auxquels ils appartiennent, de poursuivre la procédure sur la base de l'article 85 ou sur celle de l'article 86 ;

b) Les contrats Unilever

117. Attendu que Roche a conclu avec Unilever, le 9 janvier 1974, trois contrats ;

118. Que le premier, passĂ© par Food Industries Ltd., agissant comme agent d'Unilever, avec la filiale de Roche au Royaume-Uni, comporte en premier lieu une estimation des besoins de l'acheteur en vitamines synthĂ©tiques A, de type B, besoins Ă©valuĂ©s Ă  130-134 mille milliards (m.m.) d'unitĂ©s internationales pour l'annĂ©e 1974 ; qu'il est prĂ©vu, en outre, que le contrat sera continuĂ© en 1975, et que l'acheteur fera en consĂ©quence connaĂźtre l'estimation de ses besoins au plus tard en dĂ©cembre 1971 ; que le second, passĂ© entre les mĂȘmes parties, porte sur les livraisons des vitamines A, autres que celles du type B, et comporte pour le surplus, des stipulations identiques au premier ; que le troisiĂšme contrat est conclu directement entre Roche-BĂąle et Unilever Inkoop Mij Ă  Rotterdam et prĂ©voit que Roche "agreed to supply the requirements of your group (continent only) for the following products : vitamin a for margarine about 30 m.m. In 1974, between 27 and 33 m.m. In 1975 ; beta-carotene (all forms) about 6 000 kg in 1974, between 5 400 kg and 6 600 kg in 1975" ;

119. Que les trois contrats stipulent les prix convenus, assortis d'ailleurs, en ce qui concerne les contrats avec Food Industries Ltd., d'une clause de change ; que ces trois contrats ne comportent pas de rabais mais que, dans les deux contrats avec Food Industries, Roche donne l'assurance qu'elle appliquera à Unilever tout prix plus favorable qu'elle accorderait à des tiers, tandis que, dans le contrat continental, il est prévu que si Unilever reçoit des offres plus avantageuses de la concurrence, Roche s'alignera ou autorisera l'acheteur à acheter la quantité concernée chez la concurrence ;

120. Attendu que les termes des contrats ne laissent aucun doute sur la circonstance qu'ils visent l'approvisionnement de la totalitĂ© des besoins d'Unilever en ce qui concerne la vitamine en cause pour une pĂ©riode couvrant les annĂ©es 1974 et 1975 ; que, s'agissant de contrats contenant un engagement ferme d'approvisionnement exclusif, la question de savoir s'ils sont ou non complĂ©tĂ©s par l'octroi de rabais n'est pas dĂ©cisive pour leur qualification au regard de l'article 86 du traitĂ© ; que la circonstance que le cocontractant de Roche est lui-mĂȘme une entreprise puissante et que le contrat n'est manifestement pas le rĂ©sultat d'une pression exercĂ©e par Roche sur son partenaire n'exclut pas l'existence d'une exploitation abusive de position dominante, pareille exploitation consistant en l'espĂšce dans l'atteinte supplĂ©mentaire portĂ©e par l'exclusivitĂ© d'approvisionnement Ă  la structure concurrentielle d'un marchĂ© dans lequel, Ă  la suite de la prĂ©sence d'une entreprise en position dominante, le degrĂ© de concurrence est dĂ©jĂ  affaibli ; que des accords de ce genre ne pourraient Ă©ventuellement ĂȘtre admissibles que dans le cadre et sous les conditions prĂ©vues Ă  l'article 85, paragraphe 3, du traitĂ©, mais qu'aucune des parties contractantes n'a estimĂ© devoir recourir Ă  cette possibilitĂ© ;

121. Attendu que l'examen des contrats litigieux, tant ceux conclus avec Merck que ceux conclus avec Unilever, ne fait pas apparaßtre des particularités qui permettraient de les soustraire à la notion d'exploitation abusive qui revient en principe à tout engagement d'approvisionnement exclusif au profit d'une entreprise en position dominante ;

III - De l'affectation de la concurrence et du commerce entre États membres

122. Attendu que la requĂ©rante conteste que la diffĂ©rence entre les prix que par le truchement des rabais de fidĂ©litĂ© elle consent Ă  ses diffĂ©rents clients, suivant qu'ils acceptent ou non de s'approvisionner exclusivement chez elle, serait de nature Ă  leur infliger un dĂ©savantage dans la concurrence au sens de l'article 86, lettre c, du traitĂ©, cette diffĂ©rence ne pouvant avoir un effet sensible sur la concurrence que les acheteurs de Roche se font entre eux ; qu'en outre, dans sa rĂ©plique, elle semble soutenir que le comportement qui lui est reprochĂ© ne serait pas de nature Ă  entraver le commerce entre États membres ;

123. Attendu, en ce qui concerne le premier point, qu'aussi bien les termes des contrats litigieux que les considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es dans les Management Informations et dans le procĂšs-verbal de la rencontre de Unilever-Roche Ă  Londres du 11 dĂ©cembre 1972 font clairement voir l'importance que Roche, elle-mĂȘme, attribue aux rabais qu'elle consent ; que, dans ces conditions il ne saurait ĂȘtre admis que ces rabais ne prĂ©sentent pour la clientĂšle aucune importance ; que, d'ailleurs, dans le champ d'application de l'article 86, s'agissant de comportements d'une entreprise en position dominante sur le marchĂ© oĂč de ce fait la structure concurrentielle est dĂ©jĂ  affaiblie, toute restriction supplĂ©mentaire de cette structure concurrentielle est susceptible de constituer une exploitation abusive de position dominante ;

124. Attendu, en ce qui concerne l'affectation du commerce entre États membres, qu'il est en premier lieu constant que le marchĂ© de chacune des vitamines retenues comprend l'ensemble du territoire de la communautĂ© s'Ă©tendant d'abord Ă  six, puis Ă  neuf États membres ;

125. Que les interdictions des articles 85 et 86 sont Ă  interprĂ©ter et Ă  appliquer Ă  la lumiĂšre de l'article 3, lettre f, du traitĂ©, prĂ©voyant que l'action de la communautĂ© comporte l'Ă©tablissement d'un rĂ©gime assurant que la concurrence n'est pas faussĂ©e dans le MarchĂ© commun et de l'article 2 du traitĂ©, qui donne pour mission Ă  la communautĂ© de "promouvoir le dĂ©veloppement harmonieux des activitĂ©s Ă©conomiques dans l'ensemble du MarchĂ© commun" ; qu'en interdisant l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marchĂ©, dans la mesure oĂč le commerce entre États membres est susceptible d'en ĂȘtre affectĂ©, l'article 86 vise dĂšs lors non seulement les pratiques susceptibles de causer un prĂ©judice direct aux consommateurs, mais Ă©galement celles qui leur causent prĂ©judice indirect en portant atteinte Ă  une structure de concurrence effective, telle qu'envisagĂ©e Ă  l'article 3, lettre f, du traitĂ© ;

126. Que, d'ailleurs, un certain nombre des clauses anglaises, par leur rĂ©daction mĂȘme, impliquaient le maintien de cloisonnements de marchĂ©s, permettant notamment de pratiquer des prix diffĂ©rents d'un État membre Ă  l'autre, constatation confirmĂ©e par la circonstance dĂ©jĂ  relevĂ©e ci-dessus que les variations de prix, pour une mĂȘme vitamine Ă  une mĂȘme Ă©poque, diffĂ©raient de façon sensible d'un État membre Ă  l'autre ;

127. Attendu qu'il rĂ©sulte de ce qui prĂ©cĂšde que les comportements litigieux Ă©taient susceptibles tant d'affecter la concurrence que d'affecter le commerce entre États membres ;

QuatriĂšme moyen : De l'amende

a) En ce qui concerne l'indétermination des rÚgles comportant des sanctions

128. Attendu que la requérante fait valoir qu'en raison de la généralité et de l'indétermination des notions de "position dominante"et "d'exploitation abusive" de pareille position, énoncées à l'article 86 du traité, la Commission n'aurait pu lui infliger des amendes pour contravention à cette disposition qu'aprÚs que ces notions eussent été concrétisées soit par la pratique administrative, soit par la jurisprudence, de façon à ce que les justiciables sachent à quoi s'en tenir ;

129. Attendu qu'en vertu de l'article 87 du traitĂ©, le conseil Ă©tait tenu de prendre les dispositions nĂ©cessaires en vue notamment "d'assurer le respect des interdictions visĂ©es Ă  l'article 85, paragraphe 1, et Ă  l'article 86, par l'institution d'amendes et d'astreintes"; qu'en exĂ©cution de cette disposition, il a adoptĂ© le rĂšglement n° 17 du 6 fĂ©vrier 1962, dont l'article 15, paragraphe 2, dispose que la Commission peut, par voie de dĂ©cision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes dont le maximum est dĂ©terminĂ© par ce texte, lorsque, de propos dĂ©libĂ©rĂ© ou par nĂ©gligence, elles commettent une infraction aux dispositions des articles 85, paragraphe 1, ou 86 du traitĂ© ; que, d'autre part, selon l'article 2 du mĂȘme rĂšglement : "la Commission peut constater, sur demande des entreprises et associations d'entreprises intĂ©ressĂ©es, qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des Ă©lĂ©ments dont elle a connaissance, d'intervenir Ă  l'Ă©gard d'un accord, d'une dĂ©cision ou d'une pratique en vertu des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, ou de l'article 86 du traitĂ©";

130. Qu'ainsi, depuis 1962, les entreprises savaient, d'une part, qu'elles s'exposeraient Ă  des amendes en cas de violation des interdictions de l'article 86 et, d'autre part, qu'elles Ă©taient en mesure, grĂące Ă  une procĂ©dure spĂ©cialement organisĂ©e, d'ĂȘtre Ă©clairĂ©es sur le champ d'application desdites interdictions en ce qui les concerne ; que la nature de ces interdictions et les conditions qui doivent ĂȘtre rĂ©unies pour qu'elles s'appliquent ne prĂ©sentaient d'ailleurs pas, malgrĂ© les termes nĂ©cessairement gĂ©nĂ©raux de l'article 86, le caractĂšre d'indĂ©termination et d'imprĂ©visibilitĂ© allĂ©guĂ© ;

131. Attendu que l'article 86 du traité, tel qu'il avait précédemment été appliqué, comportait dans la période 1970 à 1974, qui a été retenue par la Commission pour la détermination de l'amende, un degré de prévision largement suffisant pour que Roche puisse en tenir utilement compte dans son comportement à la fois en ce qui concerne l'existence dans son chef d'une position dominante qu'en ce qui concerne les pratiques qui lui sont reprochées ;

132. Que l'article 86, lorsqu'il vise l'existence d'une position dominante et interdit son exploitation abusive, s'encadre dans un ensemble systĂ©matique de dispositions - tels les articles 3, lettre f, 37, paragraphe 1, 40, paragraphe 3, alinĂ©a 2, 85 et 90, du traitĂ© - qui tous tendent Ă  l'Ă©tablissement d'une concurrence effective et non faussĂ©e dans un marchĂ© prĂ©sentant les caractĂ©ristiques d'un marchĂ© unique ; que, d'ailleurs, l'article 86, lorsqu'il utilise les expressions de "position dominante" et "exploitation abusive", renvoie Ă  des notions qui ne sont pas nouvelles, mais qui ont dĂ©jĂ , pour l'essentiel, Ă©tĂ© concrĂ©tisĂ©es par la pratique des autoritĂ©s chargĂ©es dans la plupart des États membres de contrĂŽler et de rĂ©primer les comportements anticoncurrentiels ;

133. Qu'en ce qui concerne en particulier la notion de position dominante, il ne saurait faire de doute, pour un opĂ©rateur Ă©conomique avisĂ©, que la possession de parts de marchĂ© importantes, si elle n'est pas nĂ©cessairement et dans tous les cas le seul indice dĂ©terminant de l'existence d'une position dominante, a cependant Ă  cet Ă©gard une importance considĂ©rable qui doit nĂ©cessairement ĂȘtre prise en considĂ©ration par lui en ce qui concerne son comportement Ă©ventuel sur le marchĂ© ; que pareille apprĂ©ciation de la portĂ©e de l'article 86 ne prĂ©sentait pour Roche, en tout cas pour la plupart des marchĂ©s en cause, aucun Ă©lĂ©ment d'imprĂ©visibilitĂ© ni mĂȘme d'incertitude raisonnable ;

134. Qu'en ce qui concerne la compatibilitĂ© des rabais de fidĂ©litĂ© avec l'interdiction de l'article 86, outre l'expĂ©rience que toute entreprise de l'importance de la requĂ©rante et opĂ©rant sur l'ensemble du MarchĂ© commun devait avoir de la pratique des autoritĂ©s chargĂ©es dans les États membres d'appliquer le droit de la concurrence, la formulation prĂ©cise de l'article 86, lettre b, visant la limitation des dĂ©bouchĂ©s, celle de l'article 86, lettre d, interdisant de subordonner la conclusion de contrats Ă  l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplĂ©mentaires qui n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats, et en particulier celle de l'article 86, lettre c, visant l'application Ă  l'Ă©gard de partenaires commerciaux de conditions inĂ©gales Ă  des prestations Ă©quivalentes, indiquent que l'application de cette disposition Ă  un systĂšme d'approvisionnement exclusif et de rabais, tel que celui Ă©laborĂ© par la requĂ©rante, n'Ă©tait pas imprĂ©visible ; que l'imprĂ©visibilitĂ© allĂ©guĂ©e peut d'autant moins ĂȘtre admise qu'Ă  tout le moins la possibilitĂ©, sinon la probabilitĂ© de cette application devait ĂȘtre prise en considĂ©ration par un opĂ©rateur Ă©conomique vigilant et que l'article 2 du rĂšglement n° 17 permettait de faire concrĂ©tiser Ă  titre prĂ©ventif l'application de l'article 86 aux cas douteux, sans cependant que la requĂ©rante ait cru devoir faire usage de cette possibilitĂ© d'obtenir la sĂ©curitĂ© juridique dont elle se plaint d'ĂȘtre dĂ©pourvue ;

135. Attendu que la requérante invoque enfin la décision de la Commission du 5 décembre 1969 (JO n° l 323, p. 21) relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV-24.470-1, Pirelli/Dunlop ) ; que, selon elle, il ressortirait de cette décision que des accords d'approvisionnement exclusif réciproques seraient admissibles du moment qu'ils seraient assortis d'une clause anglaise ;

136. Attendu que la décision invoquée concernait un accord conclu entre deux entreprises n'occupant pas une position dominante sur le marché, relatif à la fabrication, pour compte réciproque, de pneumatiques et qui devait faciliter à chacune des deux parties la pénétration sur le marché de l'autre ; qu'au surplus la clause d'alignement dans l'accord Dunlop/Pirelli n'était pas assortie des nombreuses restrictions et modalités qu'on retrouve dans les contrats litigieux et qui restreignent singuliÚrement la portée de cette clause ; qu'une entreprise en position dominante ne pouvait raisonnablement croire qu'une attestation négative délivrée dans ces conditions servirait de précédent pour justifier son propre comportement dans le cadre de l'article 86 ;

137. Qu'il suit des considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent que le moyen tirĂ© du caractĂšre indĂ©terminĂ© des notions de l'article 86 doit ĂȘtre rejetĂ© ;

b) En ce qui concerne l'application de l'article 15 du rÚglement n° 17

138. Attendu que la requĂ©rante fait encore valoir qu'il apparaĂźtrait de l'ensemble des Ă©lĂ©ments du dossier et de son comportement qu'elle ne pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme ayant agi de propos dĂ©libĂ©rĂ© ou par nĂ©gligence lorsque, d'une part, elle estimait ne pas disposer d'une position dominante sur les marchĂ©s en cause et estimait, d'autre part, que les contrats litigieux Ă©taient compatibles avec l'article 86 du traitĂ© ;

139. Attendu que les suggestions et instructions contenues dans les Management Information et les autres documents internes, en ce qui concerne l'importance et les effets attendus de la conclusion d'accords d'exclusivitĂ© et d'un systĂšme de rabais de fidĂ©litĂ© pour le maintien des parts de marchĂ© de Roche, dĂ©montrent que la requĂ©rante poursuivait de propos dĂ©libĂ©rĂ© une politique commerciale visant Ă  barrer l'accĂšs des marchĂ©s Ă  de nouveaux concurrents ; que la multiplication, Ă  partir de 1970, des contrats d'approvisionnement exclusif en incitant Ă  l'exclusivitĂ©, confirme l'existence de ce propos dĂ©libĂ©rĂ© ; que, d'autre part, l'importance des parts de marchĂ© qu'elle dĂ©tenait, en tout cas pour la plupart des groupes de vitamines, implique que la conviction de la requĂ©rante qu'elle n'occupait pas une position dominante ne pouvait ĂȘtre que le fruit soit d'un examen insuffisant de la structure des marchĂ©s sur lesquels elle opĂ©rait, soit d'un refus de prendre ces structures en considĂ©ration ; que les conditions d'application de l'article 15 du rĂšglement n° 17 se trouvaient dĂšs lors rĂ©unies ;

c) En ce qui concerne le montant de l'amende

140. Attendu toutefois que l'instruction de l'affaire a fait apparaĂźtre des erreurs d'apprĂ©ciation de la Commission quant Ă  la position dominante de la requĂ©rante sur le marchĂ© des vitamines du groupe B3 ; que, par ailleurs, en ce qui concerne les parts de marchĂ© dĂ©monstratives d'une position dominante, des Ă©lĂ©ments prĂ©cis n'ont Ă©tĂ© fournis par la Commission que pour les annĂ©es 1972, 1973, 1974 et, dans une certaine mesure, pour l'annĂ©e 1971, de sorte que la durĂ©e de l'infraction Ă  prendre en considĂ©ration pour la fixation du montant de l'amende doit ĂȘtre ramenĂ©e Ă  une pĂ©riode qui n'est que lĂ©gĂšrement supĂ©rieure Ă  trois annĂ©es et donc infĂ©rieure aux cinq annĂ©es que la Commission a prises en considĂ©ration ; qu'enfin, il est constant que, dĂšs le stade de la procĂ©dure administrative, Roche s'est dĂ©clarĂ©e d'accord pour modifier les contrats litigieux et a effectivement procĂ©dĂ© Ă  cette modification de concert avec les services de la Commission ;

141. Que, compte tenu de ces éléments, il y a lieu de réduire le montant de l'amende et qu'il apparaßt justifié de fixer celui-ci à 200 000 unités de compte, soit 732 000 marks allemands, le recours étant rejeté pour le surplus ;

Sur les dépens

142. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du rĂšglement de procĂ©dure, toute partie qui succombe est condamnĂ©e aux dĂ©pens s'il est conclu en ce sens ; qu'en vertu du paragraphe 3 du mĂȘme article, la Cour peut compenser les dĂ©pens en totalitĂ© ou en partie si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels ; que chaque partie a succombĂ© sur certains chefs et qu'il y a dĂšs lors lieu de compenser les dĂ©pens ;

LA COUR,

DĂ©clare et arrĂȘte :

1) le montant de l'amende infligée à la firme Hoffmann-la Roche AG, fixé par l'article 3, alinéa 1, de la décision (IV-29.020) de la Commission du 9 juin 1976 à 300 000 unités de compte, soit 1 098 000 marks allemands, est ramené à 200 000 unités de compte, soit 732 000 marks allemands.

2) le recours est rejeté pour le surplus.

3) les dépens sont compensés.