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Décisions

CJCE, 13 février 1979, n° 85-76

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hoffmann-La Roche & co (AG)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kutscher

Présidents de chambre :

MM. Mertens de Wilmars, Mackenzie Stuart

Avocat général :

M. Reischl

Juges :

MM. Donner, Pescatore, Sorensen, O'Keeffe, Bosco, Touffait

CJCE n° 85-76

13 février 1979

LA COUR,

1. Attendu que le recours, introduit le 27 août 1976 par la société le droit suisse, Hoffmann - La Roche et co. AG (ci-après désignée sous l'abréviation Roche), dont le siège est à Bâle, tend, en ordre principal, à l'annulation de la décision (IV-29.020 - vitamines) de la Commission, du 9 juin 1976, concernant une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE, notifiée à la requérante le 14 juin 1976 et publiée au journal officiel des Communautés Européennes, n° L 223 du 16 août 1976, et, en ordre subsidiaire, à l'annulation de l'article 3 de cette décision infligeant à la requérante une amende de 300 000 unités de compte, soit 1098 000 marks allemands ;

2. Que par cette décision il est constaté que Roche disposerait, dans le Marché commun, d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité sur les marchés des vitamines A, B2 B3 (acide pantothénique ), B6, C, E, et H (biotine ), et qu'elle aurait commis une infraction audit article en exploitant abusivement cette position par la conclusion, à partir de 1964, mais en particulier entre 1970 et 1974, avec 22 acheteurs de ces vitamines, de contrats comportant, pour ces acheteurs, l'obligation ou, par l'application de primes de fidélité, une incitation à réserver à Roche l'exclusivité ou la préférence pour la couverture de la totalité ou de l'essentiel de leurs besoins en vitamines (article 1 de la décision) ; que cette même décision ordonne à Roche de mettre immédiatement fin à l'infraction (article 2) et la condamne au paiement de l'amende ci-dessus indiquée (article 3 ) ;

3. Qu'a l'appui de sa demande, la requérante fait valoir les moyens suivants :

- premier moyen : la décision attaquée violerait les principes fondamentaux relatifs à la détermination et à la prévisibilité des règles comportant des sanctions ;

- second moyen : la décision attaquée serait entachée de plusieurs vices de forme à raison des irrégularités de la procédure administrative au terme de laquelle elle a été édictée ;

- troisième moyen : la décision attaquée violerait l'article 86 du traité CEE en ce que la Commission aurait donné une interprétation et, en tout cas, fait une application inexacte des notions de position dominante et d'exploitation abusive d'une position dominante susceptible d'affecter le commerce entre les États membres, en constatant l'existence de pareille position dans le chef de Roche et en qualifiant les contrats litigieux comme constitutifs d'une telle exploitation abusive ;

- quatrième moyen : la décision attaquée aurait, en infligeant une amende à Roche, violé l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du conseil du 6 février 1962 (JO n° 13, p. 204) , les infractions alléguées, pour autant qu'elles puissent être constatées, n'ayant été commises ni de propos délibéré ni par négligence ; que dans son recours la requérante avait, en outre, invoqué la violation, par la décision attaquée, de l'article 18 du règlement n° 17 du conseil du 6 février 1962 et du règlement financier n° 68-313 du 30 juillet 1968 (JO n° l199, p. 1) en ce que l'amende avait été convertie en marks allemands, mais qu'elle a, au cours de la procédure, renoncé à ce moyen, de telle façon que seuls les quatre moyens ci-dessus mentionnés doivent être examinés ;

Premier moyen : De la violation du principe de la détermination et de la prévisibilité des règles comportant des sanctions

4. Attendu que, selon la requérante, les notions de position dominante et d'exploitation abusive de pareille position, énoncées à l'article 86 du traité CEE, devraient être comptées parmi les plus indéterminées et les moins claires, tant en droit communautaire que dans le droit national des États membres, et que, dès lors, par application d'un principe fondamental de droit qui devrait être déduit de l'adage "nullum crimen, nulla poena sine lege", la Commission ne pourrait infliger les sanctions prévues en cas de violation de cette disposition, qu'après que, soit par la pratique administrative, soit par la jurisprudence, ces notions aient été suffisamment concrétisées pour que les entreprises puissent savoir à quoi s'en tenir ;

5. Que la requérante ne conteste toutefois pas la compétence de la Commission pour interpréter et concrétiser ces notions dans les décisions qu'elle édicte à l'égard des entreprises, mais seulement celle d'infliger des sanctions tant qu'elles n'auraient pas été précisées, ce qui aurait été le cas en l'espèce ;

6. Qu'il en résulte que le moyen concerne uniquement l'amende infligée et qu'il y aura lieu de l'examiner ci-après en même temps que les autres griefs énoncés contre l'imposition de cette amende ;

Deuxième moyen : Des irrégularités de la procédure administrative

7. Attendu, à cet égard, que la requérante faisait, dans son recours, en premier lieu valoir que la procédure d'office, engagée contre elle en application des articles 3 et 15, du règlement du conseil n° 17, l'aurait été au vu de documents à l'usage interne de ses services et parvenus irrégulièrement en possession de la Commission ; que toutefois, devant la Cour, tant au cours de la procédure écrite qu'au cours de la procédure orale, elle a déclaré renoncer à ce moyen et a, elle-même, joint au dossier, avec d'autres, les documents dont elle avait précédemment estimé l'emploi, par la Commission, irrégulier ; qu'il y a, dans ces circonstances, lieu d'écarter ce moyen sans plus ample examen, la Cour estimant qu'il n'y a pas lieu de l'examiner d'office ;

8. Attendu que la requérante soutient, en second lieu, qu'il serait fait état dans la décision attaquée de documents et d'éléments d'appréciation qui n'auraient, en ce qui concerne les premiers, pas été décrits au cours de la procédure administrative et dont, en ce qui concerne les seconds, communication lui aurait été refusée par la Commission, motif pris de son obligation de respecter le secret des affaires ; que la requérante vise ainsi d'abord les documents invoqués au n° 12 de la décision attaquée, à savoir quatre circulaires internes de Roche datant, selon cette décision, de septembre 1970 (en réalité 8 septembre 1972), de décembre 1970, mai 1971 (en réalité mi-août 1971) et d'août 1971, ainsi qu'un compte rendu de l'European Bulk Managers Meeting des 12 et 13 octobre 1971 (en réalité 12 et 13 octobre 1972) ; qu'elle vise, d'autre part, les éléments d'appréciation recueillis par la Commission auprès d'autres producteurs de vitamines et à l'aide desquels elle a calculé les parts de marché qu'elle attribue à Roche ainsi que les renseignements demandés et obtenus auprès des clients de la requérante en vue d'établir si les contrats, dont la conclusion est considérée par la Commission comme constitutive d'une exploitation abusive d'une position dominante, avaient ou non un effet restrictif de la concurrence et des échanges entre États membres ;

9. Attendu que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé, même s'il s'agit d'une procédure de caractère administratif; que, faisant application de ce principe, l'article 19, paragraphe 1, du règlement du conseil n° 17, oblige la Commission à donner aux intéressés, avant de prendre une décision en matière d'amendes l'occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs qu'elle a retenus à leur égard; que, de même, l'article 4 de règlement n° 99-63 de la Commission du 25 juillet 1963 (JO p. 2268 ) , relatif aux auditions prévues à l'article 19 du règlement n° 17, prévoit que dans ses décisions la Commission ne retient contre les entreprises et associations d'entreprises destinataires que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue;

10. Que si, dans son arrêt du 15 juillet 1970 (affaire 45-69), Boehringer, recueil p. 769), la Cour a constaté qu'en ce qui concerne la communication des griefs - premier acte de la procédure administrative - il est satisfait à ces exigences dès lors que cette communication énonce, même sommairement, mais de manière claire, les faits essentiels sur lesquels la Commission se base, c'est à la condition que celle-ci fournisse "au cours de la procédure administrative les éléments nécessaires à la défense";

11. Qu'ainsi il suit, tant des dispositions ci-dessus citées que du principe général dont elles font application, que le respect des droits de la défense exige que l'entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances alléguées et sur les documents retenus par la Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une infraction à l'article 86 du traité;

12. Attendu qu'il n'est pas contesté par la Commission qu'elle a, estimant être liée par le respect du secret des affaires, refusé communication des données, recueillies chez des concurrents ou des clients de Roche, sur la base desquelles elle a, entre autres, évalué les parts de marché et fondé son appréciation du caractère anticoncurrentiel des contrats litigieux;

13. Attendu que, si l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, dispose que sans préjudice des dispositions des articles 19 et 21, la Commission et les autorités compétentes des États membres ainsi que leurs fonctionnaires et autres agents sont tenus de ne pas divulguer les informations qu'ils ont recueillies en application du présent règlement et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, cette règle doit, ainsi que le confirme le renvoi exprès à l'article 19, se concilier avec le respect des droits de la défense;

14. Que ledit article 20, en donnant aux entreprises auprès desquelles des informations sont recueillies l'assurance que leurs intérêts, liés au respect du secret des affaires, ne seront pas mis en danger, permet à la Commission de recueillir de la façon la plus large les données nécessaires à l'exercice de la mission que lui confient les articles 85 et 86 du traité, sans que les entreprises puissent lui opposer un refus, mais ne l'autorise pas, pour autant, à retenir à charge de l'entreprise concernée, par une procédure visée au règlement n° 17, des faits, circonstances ou documents qu'elle estime ne pouvoir divulguer si ce refus de divulgation affecte la possibilité de cette entreprise de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité ou la portée de ces circonstances, sur ces documents ou encore sur les conclusions que la Commission en tire;

15. Attendu toutefois que si, au cours de la procédure devant la Cour, il a été remédié effectivement à des irrégularités de cette nature ; celles-ci n'entraînent pas nécessairement l'annulation de la décision attaquée pour autant que les droits de la défense ne se trouvent pas affectés par cette régularisation tardive;

16. Attendu que les documents visés par la requérante sont, en premier lieu, ceux dont il est fait état au n° 12 de la décision attaquée, c'est-à-dire les mêmes que ceux dont elle avait critiqué la façon dont ils seraient venus en possession de la Commission, mais qu'elle a, par la suite, joints au dossier produit devant la Cour, de sorte qu'un débat contradictoire a pu être, et s'est effectivement, établi à leur sujet ; que, d'autre part, en ce qui concerne les éléments d'information sur lesquels la Commission a fondé son appréciation des parts de marché et son analyse des effets des contrats litigieux, les parties ont, au cours de la procédure écrite, à la demande de la Cour, procédé à un échange d'informations résultant en un document commun d'où il apparaît que la Commission a révélé, pour toutes les vitamines en cause, les bases de son calcul des parts de marché en valeur pour les années 1972, 1973 et 1974, de sorte que Roche a été en mesure, en se fondant sur les ventes attribuées à certains concurrents dans les documents produits par la Commission, d'estimer ses parts de marché par rapport aux quantités vendues ;

17. Qu'ainsi, les parties ont pu se mettre d'accord sur une estimation des parts de marché en quantité et en valeur - tout en restant divisées sur la question de savoir lequel des deux critères est déterminant - en ce qui concerne les vitamines A, B3, H, et également les vitamines C et E, sous réserve pour ces dernières, de l'examen du marché à prendre en considération à raison de l'interchangeabilité pour certains usages de ces deux vitamines avec d'autres produits, seules les parts de marché des vitamines B2 et B6 demeurant contestées ;

18. Qu'enfin, la Commission, également au cours de la procédure écrite, a produit, à la demande de la Cour, le procès-verbal de la réunion entre Roche et Unilever, mentionné au n 3 de la décision attaquée, ainsi que les rapports d'investigation de ses fonctionnaires auprès des clients de Roche qui ont conclu les contrats litigieux ou, pour celles de ces firmes qui désiraient garder l'anonymat, une note résumant lesdits rapports;

19. Que, dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des droits de la défense ne peut plus être retenu;

Troisième moyen : De la violation de l'article 86 du traité

20. Attendu que, selon la requérante, la Commission aurait violé l'article 86 du traité en ce que :

I. La décision attaquée admettrait à tort l'existence, dans le chef de la requérante, d'une position dominante, donnerait de cette notion une interprétation inexacte et en ferait une fausse application dans le cas d'espèces, notamment en ce qui concerne l'évaluation et la pertinence, tant des parts de marché que des autres éléments retenus à titre d'indices de l'existence de la position dominante alléguée.

II. La décision attaquée, admettrait, en tout cas à tort, qu'il y a eu, dans le chef de la requérante exploitation abusive de pareille position, la Commission ayant procédé à une analyse inexacte des contrats dont la conclusion serait, d'après elle, constitutive d'exploitation abusive ainsi que des effets restrictifs sur la concurrence desdits contrats.

III. La décision attaquée admettrait à tort que le comportement de la requérante était de nature à affecter de façon sensible le commerce intra-communautaire.

I - De l'existence d'une position dominante

Section 1 : De la détermination des marchés en cause

21. Attendu que, pour apprécier si Roche détient la position dominante alléguée, il y a lieu de délimiter les marchés en cause tant du point de vue géographique que du point de vue du produit ;

22. Attendu que le marché géographique pris en considération, ainsi qu'il apparaît des n° 3 et 6 de la décision attaquée, s'étend à l'ensemble du Marché commun, c'est-à-dire des six États membres jusqu'au 31 décembre 1972 et des neuf États membres par la suite ;

23. Que les produits visés par la décision attaquée sont des vitamines non conditionnées appartenant à treize groupes, dont huit sont produits et commercialisés par Roche (A, B1, B2, B3 (acide pantothénique), B6, C, E et H (biotine)) et cinq achetés aux producteurs et revendus par Roche (B12, D, PP, K, M); que la Commission a retenu l'existence d'une position dominante dans sept des huit groupes dont Roche est producteur, à savoir A, B2, B3, B6, C, E et H ; que les parties sont d'accord pour constater, d'une part, que chacun de ces groupes a des fonctions métabolisantes spécifiques et n'est, de ce fait, pas interchangeable avec les autres, et, d'autre part, que pour les trois utilisations communes à ces groupes, à savoir l'alimentation humaine, l'alimentation animale et l'usage pharmaceutique, les vitamines en question ne rencontrent pas la concurrence d'autres produits ;

24. Que, compte tenu de ces éléments, la Commission a considéré (décision attaquée n° 20) que chaque groupe de vitamines constitue un marché distinct et que Roche, après avoir d'abord suggéré que plusieurs groupes pourraient constituer ensemble un marché, a admis ce point de vue, sauf que, selon elle, les groupes de vitamines C et E feraient, chacun en ce qui le concerne, ensemble avec d'autres produits, partie d'un marché plus étendu ; qu'il y a donc lieu d'examiner si la Commission a correctement délimité les marchés auxquels appartiennent les vitamines des groupes C et E ;

25. Attendu qu'il est constant qu'à côté des utilisations dans l'industrie pharmaceutique et dans l'alimentation humaine ou animale, - désignées comme utilisation bio-nutritives - les vitamines C et E sont également commercialisées, entre autres, comme antioxydants, agents de fermentation et additifs - utilisations désignées par le vocable "technologiques"-, et que, dans la mesure où elles sont demandées en vue desdites utilisations technologiques, ces vitamines rencontrent la concurrence d'autres produits aptes aux mêmes usages ;

26. Que, selon Roche, il faudrait en conclure que les vitamines des groupes C et E font partie de marchés plus vastes qui engloberaient ces autres produits et que la Commission, en omettant d'y comprendre ces derniers, aurait donné une image exagérée de la part de Roche dans lesdits marchés ;

27. Que, selon la Commission, par contre, les produits, qui peuvent être substitués aux vitamines C et E pour des usages technologiques, ne peuvent être englobés dans les mêmes marchés que ces vitamines, le degré d'interchangeabilité desdits produits et des vitamines en question étant, à raison même de la double affectation possible de ces dernières, insuffisant ; qu'on ne pourrait non plus séparer les vitamines affectées, en fin de compte, à des fins bio-nutritives et celles affectées à des usages technologiques en deux marchés distincts, les fabricants et les acheteurs étant entièrement libres, à raison du double usage auquel se prête le produit, de leur donner la destination qu'ils estiment la plus avantageuse, surtout dans un marché en expansion ; que, toutefois, à supposer même qu'il faille éliminer des marchés concernés, les vitamines vendues par Roche à des fins technologiques, il faudrait en faire de même pour ses concurrents, de telle façon que les parts de marché demeureraient inchangées ;

28. Attendu que, lorsqu'un produit est susceptible d'être utilisé à des fins diverses et lorsque ces différents usages répondent à des besoins économiques, eux aussi différents, il y a lieu d'admettre que ce produit peut appartenir, selon le cas, à des marchés distincts, présentant éventuellement, tant du point de vue de la structure que des conditions de concurrence, des caractéristiques différentes ; que cette constatation ne justifie cependant pas la conclusion qu'un tel produit constitue un seul et même marché avec tous les autres qui, dans les différents usages auxquels il peut être affecté, peuvent lui être substitués et avec lesquels il entre, suivant le cas, en concurrence; que la notion de marché concerné (relevant market) implique, en effet, qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie d'un même marché; que pareille interchangeabilité n'existait pas, en tout cas à l'époque considérée, entre l'ensemble des vitamines de chacun des groupes C et E, et l'ensemble des produits qui, selon le cas, peuvent être substitués à l'un ou l'autre de ces groupes de vitamines dans des usages technologiques, eux aussi fort diversifiés ;

29. Attendu, par contre, que l'on peut hésiter quant à la question de savoir si, pour délimiter les marchés respectifs des vitamines du groupe C et des vitamines du groupe E, il y a lieu d'englober l'ensemble des vitamines de chacun de ces groupes dans un marché correspondant à ce groupe, quelle que soit leur utilisation ultérieure ou si, au contraire, il faut séparer chacun de ces groupes en deux marchés distincts, l'un comprenant les vitamines destinées à une utilisation bio-nutritive, l'autre celles utilisées à des fins technologiques ;

30. Qu'il n'était toutefois pas nécessaire, pour évaluer correctement les parts de marché respectives de Roche et de ses concurrents, de trancher cette question, cette distinction, s'il y avait lieu de la faire, devant alors être faite, ainsi que l'observe à juste titre la Commission, tant pour les concurrents de Roche que pour cette dernière et - à défaut de toute indication contraire de la part de la requérante - dans des proportions analogues, de sorte que les parts de marché, exprimées en pourcentages, demeureraient inchangées ; qu'enfin, Roche, en réponse à une question posée par la Cour, a indiqué que l'ensemble des vitamines de chaque groupe suivait, quelle que soit la destination ultérieure du produit, un même régime de prix, de sorte qu'on ne pourrait le scinder en marchés spécifiques ; qu'il résulte de ces considérations que la Commission a, dans la décision attaquée, correctement délimité les marchés en cause ;

Section 2 : De la structure des marchés en cause

31. Attendu que, si chaque groupe de vitamines constitue un marché distinct, ces différents marchés présentent néanmoins, tant en ce qui concerne les structures de production que celles de la commercialisation, des traits communs qu'il y a lieu de relever ;

32. Qu'en premier lieu, les parties sont d'accord pour constater qu'entre 1950 et 1974 les marchés de tous les groupes de vitamines ont - quoique dans des proportions différentes - été en forte expansion la production n'ayant cessé d'augmenter ;

33. Qu'en ce qui concerne, en particulier, la production, les parties sont également d'accord pour constater que si la synthèse de la vitamine, surtout après l'expiration des brevets détenus pour une part non négligeable par Roche, ne pose pas de problèmes techniques particulièrement ardus, la production suppose néanmoins des investissements importants et nécessite des équipements très spécialisés, dans une large mesure spécifiques à chaque groupe de vitamines, avec la conséquence que la capacité des usines était, au cours de la période ci-dessus indiquée, déterminée, compte tenu de l'expansion prévue des besoins sur une période de dix ans ; que cette structure des marchés a, malgré la forte expansion dont question ci-dessus, entraîné, pour la plupart des groupes de vitamines, une surcapacité mondiale de l'instrument de production ; que cette situation est illustrée de façon frappante par l'observation reprise au procès-verbal de la réunion entre Unilever et Roche, du 11 décembre 1972, que la capacité totale de Roche suffisait, à elle seule, à satisfaire la demande mondiale et que Roche, à cette époque, n'utilisait que 50 % de cette capacité ;

34. Que cette capacité de production était, pour la période prise en considération par la Commission, concentrée, en ce qui concerne les producteurs opérant sur le Marché commun, dans les mains d'un nombre restreint de firmes, neuf au total suivant le tableau repris sous le n° 4 de la décision attaquée, le nombre de producteurs étant encore plus restreint dans chaque groupe particulier, à savoir 4 pour les vitamines A, 3 pour les vitamines B2, 3 pour les vitamines B3, 4 pour les vitamines B6, 5 pour les vitamines C, 4 pour les vitamines E, et 2 pour les vitamines H ; que certains de ces producteurs étaient, en outre, acheteurs et revendeurs de vitamines qu'ils ne produisaient pas, tandis que des quantités non précisées de vitamines étaient mises sur le marché par d'importantes maisons de commerce qui s'approvisionnaient à d'autres sources que les neuf producteurs mentionnés dans la décision ;

35. Qu'en ce qui concerne la demande de vitamines non conditionnées, la situation dans le Marché commun est caractérisée par la présence d'un nombre relativement élevé d'acheteurs - environ 5 000 pour Roche -, mais qu'une part notable de cette demande, qui, en ce qui concerne Roche, peut être évaluée à environ 25 % de ses ventes dans le Marché commun, était, à l'époque considérée, concentrée dans les mains de 22 firmes importantes, dont 7 appartenaient au secteur pharmaceutique, 5 à celui de l'alimentation humaine et 10 à l'alimentation animale ; que tous ces clients, à quelque secteur d'activité qu'ils appartiennent, étaient acheteurs d'un grand nombre, sinon de toutes les vitamines concernées, seule la firme Unilever semblant, en tout cas en ce qui concerne ses relations avec Roche, faire exception à cet égard et n'être acheteur que pour le seul groupe des vitamines A ;

Section 3 : De la signification des indices de l'existence d'une position dominante, retenus par la Commission

36. Attendu que la Commission estime que Roche occupe une position dominante sur les sept marchés en cause (A, B2, B3, B6, C, E, H) et fonde ce point de vue, d'une part, sur les parts de marché détenues par la requérante par rapport à celles de ses concurrents, et, d'autre part, sur l'existence d'une série de facteurs qui, lorsque la part de marché ne serait pas, à elle seule, déterminante, assureraient néanmoins à Roche une prédominance marquée sur les marchés en cause ; qu'elle en tire la conclusion (décision, n° 21) "qu'en ce qui concerne les marchés en cause, Roche dispose d'un degré d'indépendance globale de comportement qui (la) met en mesure de faire obstacle à une concurrence effective à l'intérieur du Marché commun, lui conférant donc une position dominante sur ces marché " ;

37. Attendu que Roche conteste l'évaluation de ses parts de marché ainsi que la réalité ou la pertinence des autres indices retenus dans la décision attaquée ; qu'elle reproche également à la Commission d'avoir négligé d'examiner et de prendre en considération son comportement sur les marchés en cause et en particulier les baisses continuelles et importantes des prix des vitamines, baisses qui démontreraient l'existence d'une concurrence effective à la pression de laquelle Roche aurait dû céder ;

38. Attendu que l'article 86 est une expression de l'objectif général assigné par l'article 3 f) du traité à l'action de la communauté, à savoir l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le Marché commun; que l'article 86 interdit, dans la mesure ou le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une entreprise d'exploiter de façon abusive une position dominante dans une partie substantielle du Marché commun; que la position dominante ainsi visée concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs;

39. Que pareille position, à la différence d'une situation de monopole ou de quasi-monopole, n'exclut pas l'existence d'une certaine concurrence mais met la firme qui en bénéficie en mesure, sinon de décider, tout au moins d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice; qu'une position dominante doit également être distinguée des parallélismes de comportements propres aux situations d'oligopoles, en ce que, dans un oligopole, les comportements s'influencent réciproquement tandis qu'en cas de position dominante le comportement de l'entreprise qui bénéficie de cette position est, dans une large mesure, déterminé unilatéralement; que l'existence d'une position dominante peut résulter de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants, mais que parmi ces facteurs l'existence de parts de marché d'une grande ampleur est hautement significative;

40. Attendu que la détention d'une part de marché considérable, comme élément de preuve de l'existence d'une position dominante, n'est pas une donnée immuable, et que sa signification varie de marché à marché d'après la structure de ceux-ci, notamment en ce qui concerne la production, l'offre et la demande ; que, bien que chaque groupe de vitamines constitue un marché distinct, ces différents marchés présentent, cependant, ainsi qu'il est apparu de l'examen de leur structure, suffisamment de traits communs pour que les mêmes critères puissent leur être appliqués en ce qui concerne la signification des parts de marché pour l'évaluation de l'existence ou non d'une position dominante ;

41. Attendu, en outre, que si la signification des parts de marché peut différer d'un marché à l'autre, on peut, à juste titre, estimer que des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante; qu'en effet, la possession d'une part de marché extrêmement importante met l'entreprise qui la détient pendant une période d'une certaine durée, par le volume de production et d'offre qu'elle représente - sans que les détenteurs de parts sensiblement plus réduites soient en mesure de satisfaire rapidement la demande qui désirerait se détourner de l'entreprise détenant la part la plus considérable -, dans une situation de force qui fait d'elle un partenaire obligatoire et qui, déjà de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des périodes relativement longues, l'indépendance de comportement caractéristique de la position dominante;

42. Attendu que la décision attaquée a relevé, à côté des parts de marché, l'existence d'une série d'autres éléments, qui, combinés avec ses parts de marché, assureraient, dans certains cas, à Roche une position dominante ; que ces indices, que la Commission qualifie de critères supplémentaires, sont les suivants :

a) les parts de marché de Roche ne sont pas seulement importantes mais il y aurait, en outre, un écart considérable entre ses parts et celles des concurrents qui la suivent immédiatement (décision, n° 5 et 21) ;

b) Roche fabrique une gamme de vitamines beaucoup plus étendu que celle de ses concurrents (décision, n° 21) ;

c) Roche est le plus grand producteur mondial de vitamines dont le chiffre d'affaires dépasse celui de l'ensemble des autres producteurs et est à la tête d'un groupe multinational qui, par son chiffre d'affaires, est le premier groupe pharmaceutique mondial (décision, n° 5-6 et 21) ;

d) bien que les brevets pour la fabrication de vitamines qu'elle détenait soient expirés, Roche, à raison du rôle de pionnier qu'elle a joué dans ce domaine, possède sur ses concurrents des avantages technologiques qui se manifestent par la possession d'un service très perfectionné d'aide et d'information de la clientèle (décision, n° 7 et 8) ;

e) Roche dispose d'un réseau commercial très étendu et spécialisé (décision, n° 8) ;

f) l'absence de concurrence potentielle(décision, n° 21 ); qu'en outre, au cours de la procédure devant la Cour, la Commission a fait état, comme indice de la position dominante de Roche, de la capacité de cette dernière de maintenir, malgré une vive concurrence, des parts de marché largement intactes ;

43. Attendu qu'avant d'examiner si les indices retenus par la Commission peuvent effectivement être constatés dans le cas de Roche, il y a lieu de rechercher, la requérante contestant leur pertinence, si ces éléments sont, compte tenu des particularités des marchés en cause et des parts détenues, de nature à révéler l'existence d'une position dominante ;

44. Attendu qu'il y a lieu, à cet égard, de rejeter le critère tiré du maintien des parts de marché, ce maintien pouvant tout aussi bien être la conséquence d'une attitude concurrentielle efficace que d'une position assurant à l'entreprise en cause une possibilité de comportement indépendant de la concurrence, n'a pas indiqué les facteurs auxquels peut être attribuée la stabilité des parts de marché là où elle a été constatée; que, toutefois, en cas d'existence d'une position dominante, le maintien de parts de marché peut être révélateur du maintien de cette position et que, d'autre part, les méthodes auxquelles il est recouru en vue de maintenir la position dominante peuvent éventuellement être constitutives d'une exploitation abusive au sens de l'article 86 du traité ;

45. Attendu que de même doit être rejetée la valeur indicative de la circonstance que Roche produirait une gamme de vitamines plus étendue que ses concurrents ; que la Commission voit dans cette circonstance un indice de position dominante parce que "compte tenu que les besoins de nombreux utilisateurs portent sur plusieurs groupes de vitamines, Roche peut employer une stratégie de vente et notamment de prix beaucoup moins dépendante des conditions de concurrence sur chaque marché que celles des autres producteurs" ;

46. Attendu, cependant, que la Commission a elle-même établi que chaque groupe de vitamines constitue un marché spécifique et n'est pas ou peu interchangeable avec d'autres groupes ou d'autres produits (décision, n° 20), de sorte que les vitamines appartenant à des groupes différents constituent des produits aussi différents entre eux que des vitamines par rapport à d'autres produits du secteur pharmaceutique et de l'alimentation ; qu'il n'est, par ailleurs, pas contesté que des concurrents de Roche, notamment ceux appartenant à l'industrie chimique, mettent sur le marché, à côté des vitamines qu'ils fabriquent, d'autres produits qui, eux aussi, font l'objet d'une demande de la part des acheteurs de vitamines, de sorte que la circonstance que Roche est en mesure d'offrir plusieurs groupes de vitamines ne lui assure pas, de ce seul fait, un avantage par rapport à ses concurrents qui peuvent, à côté d'une gamme moins ou peu étendue de vitamines, offrir d'autres produits également demandés par les acheteurs de ces vitamines ;

47. Attendu que des considérations analogues amènent à écarter également l'indice tiré de ce que Roche est le plus grand producteur mondial de vitamines, que son chiffre d'affaires dépasse celui de l'ensemble des autres producteurs et qu'elle est à la tête du groupe pharmaceutique mondial le plus important; que, selon la Commission, cette triple circonstance constituerait un facteur d'une position dominante parce que : "il s'ensuit que la requérante occupe une position prépondérante non seulement dans le Marché commun mais encore dans le marché mondial ; elle bénéficie, dès lors, d'une très grande liberté d'action, sa position lui permettant de s'adapter aisément à l'évolution des différents marchés régionaux. Une entreprise opérant sur l'ensemble du marché mondial et possédant une part du marché telle qu'elle laisse tous ses concurrents loin derrière elle n'a pas à se préoccuper notablement des concurrents qu'elle peut avoir dans le Marché commun" ; que pareille argumentation, tirée des avantages que procure l'existence d'économies d'échelle et de la possibilité d'une stratégie différente d'après les différents marchés régionaux n'est pas démonstrative dès lors qu'il est admis que chaque groupe de vitamines constitue un groupe de produits distincts nécessitant des installations spécifiques et constituant un marché particulier, en ce sens que le volume de la production globale de produits distincts entre eux ne procure pas à Roche un avantage concurrentiel par rapport à ces concurrents notamment de l'industrie chimique qui, à côté des vitamines, produisent à l'échelle mondiale d'autres produits et possèdent en principe les mêmes possibilités de compensation des marchés que ceux que procure une production globale considérable de produits aussi distincts que ne le sont entre eux les différents groupes de vitamines ;

48. Attendu, par contre, que constituent des indices valables le rapport entre les parts de marché détenues par l'entreprise concernée et par ses concurrents, en particulier ceux qui la suivent immédiatement, l'avance technologique qu'une entreprise possède par rapport à ses concurrents, l'existence d'un réseau commercial extrêmement perfectionné et l'absence de concurrence potentielle, le premier facteur parce qu'il permet d'évaluer la capacité concurrentielle des concurrents de l'entreprise en cause, le second et le troisième parce qu'ils constituent, par eux-mêmes, des avantages techniques et commerciaux, le quatrième parce qu'il est le résultat de l'existence de barrières à l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché ; qu'en ce qui concerne l'existence ou l'inexistence d'une concurrence potentielle, il y a cependant lieu de constater que, s'il est exact qu'à raison de l'importance des investissements nécessaires - et cela pour tous les groupes de vitamines concernés - la capacité des usines est déterminée en tenant compte de l'expansion prévue pour une longue période, de sorte que l'accès au marché est malaisé pour de nouveaux producteurs, il faut également tenir compte de la circonstance que l'existence d'importantes capacités de production inemployées crée, entre les producteurs établis, une situation de concurrence potentielle ; que, toutefois, Roche se trouve à cet égard dans une situation privilégiée parce qu'ainsi qu'elle admet elle-même, sa capacité de production suffisait à elle seule, à l'époque visée par la décision attaquée, à satisfaire la demande mondiale sans cependant que cette surcapacité l'ait mis dans une situation économique ou financière difficile ;

49. Attendu que c'est à la lumière des considérations qui précèdent qu'il y a lieu d'apprécier les parts détenues par Roche dans chacun des marchés en cause, et à titre complémentaire, les indices qui, combinés avec les parts de marché, permettent de déceler l'existence éventuelle d'une position dominante; qu'enfin, il y aura également lieu de rechercher si les arguments que Roche fait valoir en ce qui concerne la signification de son comportement sur le marché, essentiellement en ce qui concerne les prix, sont de nature à modifier les constatations auxquelles pourrait amener l'examen des parts de marché et des autres indices retenus ;

Section 4 : De l'application des critères pertinents aux différents groupes de vitamines

a) En ce qui concerne le groupe des vitamines A

50. Attendu que les parties sont d'accord pour admettre que la part de marché de Roche sur le Marché commun peut être évaluée à 47 % tant en valeur qu'en quantité ; que, selon les données fournies par la Commission, et non contestées par Roche, les parts des autres producteurs, en 1974, peuvent être évaluées à 27 %, 18 %, 7 % et 1 % ;

51. Que le marché en cause présentant ainsi les caractéristiques d'un marché oligopolistique étroit, dans lequel le degré de concurrence est déjà par lui-même affaibli, la part de Roche, égale à celles additionnées de ses deux concurrents les plus proches, démontre qu'elle dispose d'une liberté d'action particulière pour déterminer son attitude en face de la concurrence ; que l'existence, à raison de la circonstance que Roche a été l'inventeur et le détenteur de nombreux brevets relatifs à la vitamine A, d'une avance technologique par rapport à ses concurrents, même après l'expiration de ces brevets, constitue un indice complémentaire de l'existence, dans son chef, d'une position dominante ; qu'il en est de même, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, en ce qui concerne l'absence de concurrence potentielle d'entreprises nouvelles, tandis que celle provenant de la surcapacité de production dans les entreprises existantes jouait plutôt en faveur de Roche, comme il apparaît d'un extrait du management information de mi-août 1971, selon lequel "although basf will continue to intensify its activities, we expect to achieve a further steady increase of our turnover. However, the present overcapacity of production is such, that a firming of prices cannot be expected for the next few years. Such a development would, of course, be accelerated if one of our smaller competitors ceased production" ;

52. Que c'est, dès lors, à juste titre que la Commission a reconnu l'existence d'une position dominante de la requérante sur le marché des vitamines A ; que la circonstance que Roche devait s'approvisionner pour des matières premières servant à la production des vitamines du groupe A chez une entreprise de l'industrie chimique qui fabriquait également des vitamines A et qui était, dès lors, son concurrent n'est pas de nature à modifier les conclusions de la Commission, Roche n'ayant jamais allégué qu'elle était exposée à de quelconques difficultés ni en ce qui concerne le rythme de son approvisionnement ni en ce qui concerne les prix ;

b) En ce qui concerne le groupe des vitamines B2

53. Attendu que, dans la décision attaquée, la Commission avait évalué la part de marché de Roche à 86 % ; que, dans le document établi en commun, au cours de la procédure écrite, elle a communiqué les bases sur lesquelles elle avait établi ses calculs des parts de marché de Roche, tant en valeur qu'en quantité, et qu'il apparaît, en outre, des tableaux qu'elle produit que toutes les importations de vitamines dans le Marché commun, recensées statistiquement, ont été prises en considération ; que, sur la base de ces données, elle arrive aux chiffres suivants :

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54. Que Roche se borne, en substance, a affirmé " qu'étant réduite, en ce qui concerne la concurrence, à de simples estimations, elle n'est pas en mesure de fournir une preuve contraire ", mais qu'elle estime que sa part de marché mondiale est sensiblement moindre et que celle sur le Marché commun ne dépasserait pas 50 % ; que, pour justifier cette dernière estimation par rapport à celle de la Commission, elle fait état de ce que " lorsqu'on ajoute à ces chiffres les capacités de fermentation, en particulier aux États-Unis d'Amérique, de 200 à 300 tonnes par année, qui ont été mises en veilleuse au début de l'année 1970, mais qui peuvent à tout moment être réactivées, la part ne s'élève plus qu'à environ 50 %', invoquant ainsi - sans autre précision - soit l'existence d'une concurrence potentielle, soit la diminution de sa propre capacité de production aux États-Unis ;

55. Que, si la première hypothèse se révélait exacte, elle serait de nature à faire supposer que, postérieurement à 1970, des concurrents de Roche ont été en partie éliminés du marché ; qu'a supposer même, ce qui n'a pas été précisé, qu'il soit fait allusion à la fermeture de capacités de production appartenant à Roche, cette circonstance ne saurait être invoquée pour contester les calculs de la Commission, tant qu'il n'est pas établi que des fermetures de capacité analogues n'ont pas eu lieu chez les concurrents et, en tout cas, qu'elles ont eu pour résultat nécessaire une diminution des parts de marché de Roche sur le Marché commun, plutôt qu'une rationalisation de la production ; qu'en outre, si l'existence de surcapacités de production peut, le cas échéant, constituer un facteur de concurrence potentielle de nature à influer sur l'existence d'une position dominante - encore qu'il a été constaté ci-dessus que tel n'est pas le cas pour Roche durant la période prise en considération -, elle ne saurait influencer l'évaluation de parts de marché effectivement réalisées ;

56. Que, dans ces conditions, les calculs corrigés de la Commission, qui présentent par ailleurs des garanties de sérieux suffisantes pour pouvoir être admis, ne sauraient être mis en doute sur la base des objections ci-dessus, et que les parts de marché qu'ils révèlent sont à ce point importantes qu'elles démontrent par elles-mêmes l'existence d'une position dominante;

c) En ce qui concerne le groupe de vitamines B3 (acide pantothénique)

57. Attendu que la Commission a reconnu qu'il y avait lieu de corriger les chiffres retenus dans la décision attaquée et que les deux parties sont d'accord pour évaluer les parts de marché comme suit :

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58. Que des parts de cette importance, que ce soit en quantité ou en valeur, complétées par l'indication, dans la position commune des parties, que les chiffres pour 1971 étaient encore inférieurs de 6 % à ceux de 1972, ne constituent pas un indice suffisant par lui-même de l'existence d'une position dominante pour la majeure partie de la période considérée par la Commission; qu'au contraire, il est apparu que la rectification à laquelle cette dernière a dû procéder venait de ce qu'elle avait omis de tenir compte des importations dues à un concurrent japonais qui détenait, lui, en 1973, une part de 30 % du marché; que la Commission n'a, d'autre part, pas indiqué, pour ce marché en particulier, quels seraient les indices complémentaires qui, ensemble avec la part de marché telle qu'elle a été corrigée, seraient de nature à faire néanmoins l'existence d'une position dominante; que ces constatations amènent à la conclusion que l'existence dans le chef de Roche d'une position dominante en ce qui concerne les vitamines B3, pour la période considérée, n'est pas suffisamment démontrée;

d) En ce qui concerne le groupe des vitamines B6

59. Attendu que la Commission avait évalué la part de marché de Roche à 95 %, tandis que Roche, qui n'a pas fourni d'indications en ce qui concerne le Marché commun, admet, en ce qui concerne le marché mondial, une part de marché de l'ordre de 60 a 70 % ; qu'après confrontation des données entre parties (prise de position commune, annexes 1/e et 2/g ), celles-ci n'ont pu se mettre d'accord sur une évaluation commune et que la Commission a corrigé la sienne en avançant les chiffres suivants :

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60. Qu'il y a lieu d'observer que, si à raison de la circonstance que les vitamines des groupes B6 et H font partie de la même rubrique douanière, les parts, tout au moins exprimées en valeur, comprennent les deux groupes B6 et H, Roche n'a cependant pas contesté que cette circonstance n'est pas de nature à modifier les ordres de grandeur qui en résultent ; que Roche soutient, sans s'expliquer plus amplement, que cette estimation doit être diminuée d'au moins 20 %, mais que, même si l'on accepte sans plus ce point de vue, les parts de Roche n'en demeurent pas moins d'une telle importance qu'elles démontrent l'existence d'une position dominante ; qu'il en est d'autant plus ainsi qu'à l'époque considérée, la part d'aucun des quatre concurrents qui suivent Roche n'atteignait 10 % et que certaines d'entre elles étaient très probablement inférieures à 5 % ;

e) En ce qui concerne le groupe des vitamines C

61. Attendu que, dans la décision attaquée, la Commission avait estimé la part de marché de Roche à 68 %, tandis que Roche a avancé, au cours de la procédure, le chiffre de 50 % ; qu'après confrontation de leurs points de vue, les parties ont été d'accord pour estimer comme suit les parts de marché, dans l'hypothèse où seul le marché des vitamines est pris en considération :

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62. Que, selon Roche, cette estimation devrait être corrigée en ce sens que le marché concerne devrait également comprendre les produits qui font concurrence aux vitamines C en ce qui concerne les usages technologiques et qu'elle soutient que, dans ce cas, sa part de marché ne dépasserait pas 47 % ;

63. Que les considérations développées ci-avant relativement à la délimitation du marché concerné pour les vitamines qui sont destinées à la fois à des usages bio-nutritifs et technologiques ayant conduit au rejet de la thèse développée par Roche, les parts de marché sur lesquelles les parties s'étaient mises d'accord, en ce qui concerne le marché des vitamines C en tant que tel, doivent être admises et démontrent l'existence d'une position dominante ; qu'en ce qui concerne ce marché également - dans lequel d'ailleurs a existé, en 1971, une situation de pénurie - la distance entre les parts de Roche (64,8 %) et celles de ses concurrents immédiats (14,8 % et 6,3 %) était telle qu'elle confirme la conclusion à laquelle est arrivée la Commission ;

f) En ce qui concerne le groupe des vitamines E

64. Attendu que, dans la décision attaquée, la Commission avait évalué la part de marché de Roche, en ce qui concerne les vitamines E, à 70 %, tandis que Roche a, au cours de la procédure, avancé le chiffre 40 % ; qu'après confrontation de leurs points de vue, les parties ont été d'accord dans leur prise de position commune pour estimer comme suit les parts de marché, dans l'hypothèse où seul le marché des vitamines E doit être pris en considération :

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que, selon l'estimation de Roche, sa part serait, pour les années 1970 et 1971, encore inférieure de 7 % à celle de 1972 ;

65. Que, selon Roche, et pour les mêmes motifs que ceux qu'elle a fait valoir à propos des vitamines C, le marché concerné devrait également englober les produits qui font concurrence aux vitamines E en ce qui concerne les usages technologiques et qu'elle soutient que, dans ce cas, sa part de marché ne dépasserait pour 1974 pas 40 % ;

66. Que le point de vue de Roche en ce qui concerne la délimitation du marché concerné ayant été rejeté pour les motifs ci-dessus indiqués, il y a lieu de retenir les parts de marché sur lesquelles les parties se sont mises d'accord ; que l'importance de ces parts, déjà significative par elle-même, est renforcée par la circonstance que celles détenues par les concurrents de Roche doivent être estimées, après la correction dont question ci-dessus, pour l'année 1974, en valeur, à 16 %, 6 % et 1 % pour les autres producteurs, et 19 % pour un ou plusieurs importateurs, généralement des maisons de commerce, opérant à partir de pays tiers ;que la situation ainsi constatée répond, de façon plus caractéristique encore que pour les vitamines A, au modèle d'un marché oligopolistique étroit, dans lequel la part de Roche est largement supérieure à celles cumulées des deux concurrents les plus proches ; que c'est, dès lors, à juste titre que la Commission a constaté l'existence d'une position dominante sur ce marché ;

g) En ce qui concerne le groupe des vitamines H

67. Attendu que la requérante a admis avoir détenu 100 % de ce marché et que, durant la période considérée, sa part se montait encore à 93 %, de sorte qu'elle se trouve, en fait, en position de monopole ;

h) Conclusion d'ensemble

68. Attendu qu'il résulte des considérations qui précèdent qu'étaient réunis les facteurs d'une position dominante en ce qui concerne les groupes de vitamines A, B2, B6, C, E et H, tandis que l'existence de pareille position n'a pas été démontrée en ce qui concerne les vitamines B3 ;

Section 5 : Du comportement de la requérante sur le marché

69. Attendu qu'il y a cependant lieu d'examiner si les conclusions précédentes ne se trouvent pas démenties par le comportement de la requérante sur les marchés en cause, comportement qui, selon elle, démontrerait non seulement l'existence d'une vive concurrence, mais encore la pression que cette concurrence a exercée sur elle ; qu'à cet égard , elle invoque en particulier la circonstance que les prix des différents groupes de vitamines auraient constamment baissés ainsi que les diminutions de ses parts de marché dans certains États membres ; qu'elle se réfère également aux indications contenues dans différents documents internes, en particulier les "management information" et "marketing news", diffusés régulièrement par elle et qui contiennent une analyse de l'état du marché de chaque groupe de vitamines ainsi qu'a la documentation relative au "European Bulk Managers Meeting" organisé par Roche à Bâle en octobre 1972 ;

70. Attendu qu'il a déjà été constaté par la Cour, notamment dans son arrêt du 14 février 1978 (United Brands, affaire 27-76, recueil 1978, p. 207 ), que l'existence d'une concurrence, même vive, sur un marché donné n'exclut pas celle d'une position dominante sur ce même marché, ladite position étant essentiellement caractérisée par la capacité de se comporter sans avoir à tenir compte, dans sa stratégie de marché, de cette concurrence et sans, pour autant, subir des effets préjudiciables de cette attitude ;

71. Attendu cependant que la contrainte pour une entreprise de baisser ses prix, sous la pression de baisses dont ses concurrents prennent l'initiative, est en général incompatible avec l'indépendance de comportement caractéristique d'une position dominante; que la requérante a produit, en annexe à son recours, une série de graphiques comportant deux indicateurs différents, l'un servant à mesurer les baisses de prix et l'autre les augmentations de production des différents groupes de vitamines de Roche sur le marché mondial au cours d'une période qui s'étend, selon le cas, des années 1940 a 1954, jusqu'à fin 1974 ;

72. Qu'il y a toutefois lieu d'observer que ces graphiques concernent le marché mondial et que Roche, qui a elle-même insisté à plusieurs reprises sur les différences entre les mouvements des prix d'un état membre à l'autre, ne saurait dès lors soutenir que les variations sur le marché mondial sont nécessairement représentatives pour l'évolution des prix dans la communauté ; que même si l'on admet que l'évolution des prix, reportée à l'échelle mondiale, peut être considérée comme reflétant la tendance générale des prix sur le Marché commun, l'examen des graphiques fait cependant apparaître que, dans une très large mesure, les prix des différents groupes de vitamines ont baissé dans des proportions considérables tant que la production ne progressait que lentement, mais que ces baisses se sont fortement atténuées et ont même fait graduellement place à une grande stabilité à partir du moment où, pour chaque groupe de vitamines, la production connaissait une progression importante, à savoir : à partir de 1964 pour les vitamines A ; 1956 pour B2 ; 1966 pour B6 ; 1958 pour C ; 1960 pour B3 ; 1965 pour E, tandis que pour les vitamines H (biotine), la courbe des prix, stable jusqu'en 1970, diminue légèrement à partir de ce moment en même temps que la production se développe ; que ces données indiquent une corrélation entre les prix, d'une part, et le volume de la production et les coûts, d'autre part, plutôt qu'entre les prix et une pression de la concurrence ;

73. Attendu qu'en réponse aux questions posées par la Cour, Roche a produit une série de tableaux (prise de position commune, annexe 4 a-i) indiquant les variations des prix de la vitamine estimée par Roche la plus représentative dans chaque groupe, entre 1970 et 1976, pour chaque état membre ainsi que les prix moyens obtenus à partir des prix nationaux, pour l'ensemble de la communauté ;

74. Que ces tableaux font effectivement apparaître des variations de prix non négligeables, tant à la hausse qu'à la baisse ; que ces variations toutefois sont sensiblement différentes pour un même produit à une même époque dans les différents États membres, ce que révèle un cloisonnement des marchés et serait de nature à faire supposer une stratégie de prix correspondante ; qu'il est remarquable que pour la vitamine H (biotine), pour laquelle Roche admet que sa part de marché était de 100 % en 1970 et 93 % en 1974, on constate, ainsi qu'il résulte de l'annexe 4 de la prise de position commune des parties, également des diminutions sensibles de prix, lesquels, exprimés en francs suisses et en chiffres moyens, passent pour l'ensemble du Marché commun, de 40,54 francs suisses en 1970 à 30,72 francs suisses en 1973, et 29,85 francs suisses en 1974, baisses qui, pour une entreprise possédant entre 100 et 93 % du marché, ne sauraient être attribuées à la pression de la concurrence, mais résultent plutôt d'une politique de prix délibérément et librement choisie et qui, en tout cas, ne contredisent pas l'existence d'une position dominante ;

75. Que cette constatation est largement confirmée par les différents documents internes dont question ci-dessus ; qu'en ce qui concerne notamment les vitamines H (biotine), le "Management Information" du 8 septembre 1972 révèle que si un premier concurrent - l'entreprise Sumitomo - avait commencé la production de biotine, fin 1971, il avait préféré vendre une partie de sa production à Roche et écouler le reste aux États-Unis et que, prévoyant l'apparition, au cours de l'année 1973, d'un autre producteur, Roche décidait de prendre les devants et d'abandonner son "inflexible price policy at once" ; que c'est précisément en 1973 que l'on constaté une baisse significative du prix de la vitamine H ;

76. Attendu que ces éléments démontrent que loin de subir une pression concurrentielle, Roche est, de par sa position, en mesure d'adopter une politique de prix destinée à prévenir celle-ci ; qu'en outre, parmi les autres précautions à prendre, ce même management information recommande l'adoption de contrats de fidélité ;

77. Qu'en ce qui concerne les vitamines C, ou la part de marché de Roche entre 1972 et 1974 peut être estimée à environ 65 %, le marketing news du 6 décembre 1971 expose que, étant donné la pénurie de ce produit, il est recommandé aux représentants et filiales de Roche, compte tenu de la stratégie de marché à long terme, "to give preference to the food industry, both in respect of supplies and price advantages", par rapport à l'industrie pharmaceutique qui sera amenée à s'approvisionner partiellement chez les brokers ;

78. Que, si les chiffres et documents produits font voir que des variations de prix, parfois non négligeables, peuvent être constatées sur les marchés des différentes vitamines, ces variations apparaissent dans certains cas sans relation avec l'existence d'une concurrence, tandis que, dans d'autres cas, c'est le plus souvent Roche qui joue, à tout le moins, le rôle de price leader ; que l'ensemble des documents produits révèle, en outre, l'existence d'une organisation commerciale et de marketing de premier ordre, en mesure non seulement de prospecter systématiquement les marchés, mais encore de détecter toute velléité de concurrents éventuels d'entrer dans le marché de l'un ou l'autre produit, et capable non seulement de réagir instantanément, mais également de prévenir ces tentatives par des initiatives appropriées ; qu'il résulte de l'ensemble de ces considérations que les variations de prix alléguées et effectivement constatées ne démontrent pas l'existence d'une pression concurrentielle de nature à compromettre le degré notable d'indépendance dont jouissait Roche dans sa stratégie de marché et ne sont pas de nature à infirmer les constatations de l'existence d'une position dominante tirées, pour chaque groupe de vitamines, de la combinaison des parts de marché et des autres indices retenus ;

79. Que c'est donc à juste titre que l'existence d'une pareille position a été reconnue dans la décision attaquée, en ce qui concerne les marchés des vitamines A, B2, B6, C, E et H ; que c'est, par contre, à tort qu'elle a été reconnue en ce qui concerne le marché des vitamines B3 ;

II - De l'existence d'une exploitation abusive d'une position dominante

Section 1 : Considérations préliminaires

80. Attendu que, selon la décision attaquée, la requérante aurait exploité abusivement sa position dominante par la conclusion, avec 22 acheteurs importants de vitamines, de contrats de vente - environ 30 (certains ne faisant d'ailleurs que reprendre, avec ou sans modification, un contrat antérieur) - par lesquels ces acheteurs s'engageaient à s'approvisionner exclusivement auprès de Roche pour la totalité ou pour une partie essentielle de leurs besoins en vitamines ou en certaines vitamines expressément désignées, ou qui les incitaient à le faire, par la promesse de ristournes que la Commission qualifié de rabais de fidélité ; que, selon la Commission (décision attaquée, n° 22 à 24), les contrats d'exclusivité ou les rabais de fidélité incriminés constitueraient une exploitation abusive au sens de l'article 86 du traité, d'une part, parce qu'ils fausseraient la concurrence entre producteurs, en enlevant aux clients de l'entreprise en position dominante toute possibilité de choix en ce qui concerne leurs sources d'approvisionnement et, d'autre part, parce qu'ils auraient pour effet d'appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales pour des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, en ce sens qu'il serait fait par Roche à deux acheteurs deux prix différents pour une quantité identique d'un même produit, suivant que ces acheteurs acceptent ou non de renoncer à s'approvisionner chez des concurrents de Roche ;

81. Attendu que les contrats en cause concernent des ventes de vitamines de l'un ou de plusieurs des groupes pour lesquels l'existence d'une position dominante a été reconnue, à des acheteurs ayant, dans le Marché commun, des entreprises auxquelles ces vitamines sont, en tout ou en partie, destinées ; que ces contrats peuvent être catalogues comme suit et seront désignés par la suite par le nom de l'acheteur :

1. Afico/Nestlé : un contrat d'une durée d'un an à partir du 1 janvier 1968, renouvelable par tacite reconduction ;

2. America Cyanamid : un contrat d'une durée d'un an à partir du 1 janvier 1971, renouvelable par tacite reconduction ;

3. Animedica : deux contrats, l'un multinational, du 12 janvier 1973, l'autre concernant les livraisons en République Fédérale d'Allemagne, du 9 mai 1972, l'un et l'autre pour une durée d'un an, renouvelables par tacite reconduction ;

4. Beecham : trois arrangements successifs des 1 avril 1972, 1 avril 1973 et 31 décembre 1973 concernant respectivement les périodes 1.4.1972 - 31.3.1973, 1.4.1973 - 31.12.1973 et l'année 1974 ;

5. Capsugel/Parke Davis : un contrat du 22 mars 1967, prenant cours le 15 mars 1967 ;

6. Dawe's : un contrat prenant cours le 1 août 1971 sans spécification de sa durée ;

7. Guyomarc'h : un contrat prenant cours le 1 mai 1972 pour une durée annuelle, renouvelable par tacite reconduction ;

8. Isaac Spencer : deux contrats, le premier couvrant la période du 1 juillet au 31 décembre 1973, le second couvrant l'année 1974 ;

9. Merck : trois contrats, le premier du 3 mars 1972, concernant les vitamines A, conclu pour cinq ans et renouvelable ensuite par tacite reconduction, chaque fois pour deux ans ; le second, du 3 mars 1972, concernant les vitamines E et contenant une stipulation quasi identique au précédent contrat en ce qui concerne sa durée ; le troisième, du 5 juillet 1971, concernant la vitamine B6 pour une période allant jusqu'au 31 décembre 1976, renouvelable ensuite par tacite reconduction pour des périodes successives de deux ans ;

10. Nitrovit/Imperial Foods : deux contrats, l'un du 22 décembre 1972, l'autre du 11 janvier 1974, valables chaque fois pour un an ;

11. Organon : un contrat du 15 avril 1970, amende le 10 octobre 1974 et couvrant des périodes annuelles, renouvelable par tacite reconduction ;

12. Pauls and whites : trois contrats des 2 mars 1972, 16 juillet 1973 et 22 janvier 1974, couvrant respectivement les périodes 1.4.1972 - 31.3.1973, 1.4.1973 31.12.1973, et l'année 1974 ;

13. Protector : un contrat prenant effet au 1 juillet 1968, pour l'année 1968, prolonge en fait d'année en année, en tout cas jusque fin 1972 ;

14. Provimi : un contrat du 30 septembre 1972, sans stipulation de durée, amende le 27 novembre 1974 ;

15. Radar : un contrat du 23 février 1971, couvrant l'année 1971 et se référant à un engagement analogue convenu antérieurement pour l'année 1970 ;

16. Ralston Purina : un contrat du 19 janvier 1970, visant l'année 1970, prolonge à tout le moins jusque fin 1974 ;

17. Ramikal : un contrat du 22 août 1972, prenant effet au 1 janvier 1972, pour une durée indéterminée et remplaçant un contrat datant de 1964 ;

18. Sandoz : un contrat prenant cours en 1965, pour une année civile, avec tacite reconduction d'année en année ;

19. Trouw : un contrat du 1 juillet 1971, prenant effet le 1 janvier de cette même année, amende le 27 novembre 1972 ;

20. Unilever : trois contrats du 9 janvier 1974, les deux premiers concernant des livraisons au Royaume-Uni, le premier de vitamines A, type B), et le second des autres vitamines A, tandis que le troisième concerne des livraisons de vitamines A sur le continent, dans les trois cas pour les années 1974 et 1975 ;

21. Upjohn : un contrat prenant cours le 1er novembre 1967, ne contenant pas de spécification en ce qui concerne la durée ;

22. Wyeth : un contrat ayant pris cours le 1er janvier 1964, sans spécification quant à sa durée ;

Section 2 : Analyse des contrats litigieux

82. Attendu que ces contrats, bien que rédigés à des époques différentes et en des termes qui ne sont pas toujours identiques, peuvent, en ce qui concerne la portée de l'engagement d'approvisionnement accepté par l'acheteur, être classés en trois catégories ;

83. Qu'un certain nombre d'entre eux comportaient, de la part de l'acheteur, un engagement ferme de s'approvisionner exclusivement chez Roche :

a) soit pour la totalité ou la quasi-totalité de ses besoins en vitamines non conditionnées fabriquées par Roche : Afico/Nestlé, Dawe's, Organon, Provimi (sauf 10 % à titre d'élément de comparaison ), Ralston Purina, Upjohn (toutes les vitamines, sauf quatre spécialités de la vitamine A, destinées à l'alimentation animale pour lesquelles Roche accorde à Upjohn une licence de sa marque Injacom) ;

b) soit pour la totalité de ses besoins pour certaines vitamines expressément désignées : Merck (vitamines A, B6, au-delà des 200 tonnes annuellement fabriquées par Merck lui-même, et vitamines E) ;

c) soit pour un pourcentage indique dans le contrat de ses besoins totaux (America Cyanamid, Animedica Allemagne et Animedica International : 80 %) ou de ses besoins pour certaines vitamines designées (Guyomarc'h : 75 % des besoins de vitamines A, B, C, E);

d) soit enfin pour la majeure partie (major part, uberwiegender teil) de ses besoins en vitamines ou en certaines vitamines (Beecham, Isaac Spencer, Nitrovit, Pauls And Whites, Ramikal, Trouw);

84. Qu'un certain nombre de contrats comportaient de la part de l'acheteur l'engagement de "give preference to Roche" (wyeth), ou exprimaient l'intention de s'approvisionner exclusivement auprès de Roche (capsugel/parke davis) ou de recommander à ses filiales d'en faire autant (sandoz), soit pour l'ensemble des besoins en vitamines, soit pour certaines vitamines désignées (Capsugel/Parke Davis : A, B1, B2, B6, C, E, H), soit encore pour un pourcentage déterminé de l'ensemble des besoins (Protector : 80 %) ;

85. Qu'enfin, les contrats conclus respectivement avec Merck et Unilever, présentaient des particularités qui rendent souhaitable un examen séparé des engagements qu'ils comportaient ;

86. Attendu que la plupart des contrats étaient conclus pour une durée indéterminée, soit d'après leurs termes mêmes, soit par la mise en œuvre d'une clause de reconduction tacite et qu'ils étaient manifestement conçus pour établir des relations s'étendant sur plusieurs années ; que la grande majorité des contrats ont été conclus à partir de l'année 1970 et étaient en vigueur au cours de tout ou partie de la période 1970 à 1974 ;

87. Attendu que tous les contrats énumérés ci-dessus, à l'exception de ceux conclus avec Unilever, prévoyaient l'octroi, sous des qualifications diverses, de ristournes ou rabais calculés sur l'ensemble des achats de vitamines, quel que soit le groupe auquel celles-ci appartiennent, au cours d'une période donnée, le plus souvent annuelle ou semestrielle ; que les contrats Beecham, Isaac Spencer, Nitrovit, Pauls And Whites, Sandoz et Wyeth, présentaient la particularité que le pourcentage des ristournes prévues n'était pas unique, mais augmentait - en général de 1 % à 3 % - suivant les quantités qui auraient été annuellement achetées ; que les contrats, à l'exception de Animedica International, Guyomarc'h, Merck B6, Protector et Upjohn, contenaient une clause dite clause anglaise, en vertu de laquelle les clients pouvaient opposer - sous des modalités diverses qui seront examinées ci-après - à Roche des offres plus favorables émanant de la concurrence avec la conséquence que si Roche n'alignait pas ses prix, le client intéressé était libéré, en ce qui concerne cet achat, de son obligation d'approvisionnement exclusif, ou, lorsque pareille obligation ferme n'était pas stipulée, pouvait acheter chez ledit concurrent, sans pour autant perdre, ni dans l'un ni dans l'autre cas, en ce qui concerne les achats qu'il aurait déjà effectués ou effectuerait à l'avenir, le bénéfice du rabais dont question ci-dessus ;

88. Que c'est à la lumière de ces particularités qu'il y a lieu d'examiner si les contrats litigieux étaient constitutifs d'une exploitation abusive de position dominante dans le chef de Roche ;

Section 3 : De la qualification, au regard de l'article 86 du traité, des engagements d'approvisionnement exclusif et des systèmes de rabais

89. Attendu que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier - fût-ce à leur demande - des acheteurs par une obligation ou promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité, soit que l'obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi de rabais ; qu'il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, appliqué, soit en vertu d'accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c'est-à-dire de remises liées à la condition que le client - quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats - s'approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante ;

90. Qu'en effet, les engagements d'approvisionnement exclusif de cette nature, avec ou sans la contrepartie de rabais ou l'octroi de rabais de fidélité en vue d'inciter l'acheteur à s'approvisionner exclusivement auprès de l'entreprise en position dominante, sont incompatibles avec l'objectif d'une concurrence non faussée dans le Marché commun parce qu'ils ne reposent pas - sauf circonstances exceptionnelles rendant éventuellement admissible un accord entre entreprises dans le cadre de l'article 85, et en particulier du paragraphe 3 de cette disposition - sur une prestation économique justifiant cette charge ou cet avantage, mais tendent à enlever à l'acheteur ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement et à barrer l'accès du marché aux autres producteurs; qu'à la différence des rabais de quantité, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès du producteur intéressé, la remise de fidélité tend à empêcher, par la voie de l'octroi d'un avantage financier, l'approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents; que les rabais de fidélité ont, en outre, pour effet d'appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en ce que deux acheteurs d'une même quantité d'un même produit paient un prix différent suivant qu'ils s'approvisionnent exclusivement chez l'entreprise en position dominante ou qu'ils diversifient leurs sources d'approvisionnement ; qu'enfin, ces pratiques, dans le chef d'une entreprise en position dominante et particulièrement dans un marché en expansion, tendent à renforcer cette position par une concurrence non fondée sur des prestations et, dès lors, faussée ;

91. Attendu qu'on ne saurait, pour écarter la qualification d'exploitation abusive de position dominante, accepter l'interprétation proposée par la requérante selon laquelle l'exploitation abusive impliquerait que l'utilisation de la puissance économique conférée par une position dominante soit le moyen grâce auquel l'abus a été réalisé ; que la notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché ou, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence;

Section 4 : De la nature des rabais litigieux

92. Attendu que la requérante soutient toutefois que les rabais convenus ne seraient pas des rabais de fidélité mais de quantité ou qu'ils correspondraient à une prestation économique du client justifiant une contrepartie de ce genre ;

93. Attendu qu'il y a lieu, dans l'examen de ce moyen, de faire une distinction entre les contrats prévoyant des rabais d'un taux uniforme et ceux dans lesquels il est prévu des rabais à taux croissant ;

a) En ce qui concerne les contrats prévoyant des rabais à taux uniforme

94. Attendu, en premier lieu, que la thèse de la requérante ne saurait être admise pour les contrats prévoyant un rabais à taux uniforme ;

95. Qu'en effet - et sous le bénéfice de l'observation qu'en cas d'exclusivité formellement acceptée, l'octroi ou non d'un rabais est, en fin de compte, irrelevant - aucun desdits contrats ne contient des engagements portant sur des quantités déterminées, ne fût-ce que supputées, ou des engagements liés au volume des achats, mais que tous visent les "besoins" ou une quotité desdits besoins ; que d'ailleurs, dans la plupart d'entre eux, les parties ont elles-mêmes qualifié la clause comme rabais de fidélité (American Cyanamid, Organon, Provimi, Ralston Purina, Trouw) ou employé des termes qui soulignent fortement le lien entre l'exclusivité et le rabais consenti ;

96. Que, dans le contrat Dawe's, il est stipulé que c'est en "contrepartie" (in return) de l'exclusivité acceptée que le rabais est accordé; que, dans le contrat Ramikal, il est question d'un "rabais confidentiel" (Vertraulicher Jahresbonus ), qui " constitue une authentique prime pour vos achats de Roche " (eine echte vergutung auf ihre bezuge von Roche), indépendant des rabais de quantité qui demeurent acquis ; que, sans doute, dans quatre contrats, à savoir les contrats Afico/Nestle, Capsugel/Parke Davis, Provimi (à partir de 1974) et Upjohn, le rabais consenti sur l'ensemble des achats est, selon les termes desdits contrats, consenti à raison de la circonstance que ces clients garantissent à Roche le paiement des factures consécutives à des ordres qui seraient directement passés par les filiales desdits clients ; qu'il est toutefois difficile d'admettre que des rabais, calculés à tous égards sur les mêmes bases que ceux qui, dans d'autres contrats, sont reconnus être des rabais de fidelité puissent être la contrepartie d'un engagement de sociétés de dimensions mondiales comme Nestle, Parke Davis et Upjohn, visant à rassurer Roche sur la solvabilité de leurs filiales ; qu'on ne saurait non plus retenir l'argument de Roche qu'il s'agirait, tout au moins pour certaines vitamines telles que la biotine (vitamine H), de rabais de lancement, les contrats ne faisant ni ne permettant de faire aucune distinction, d'après leur fonction, entre les différents rabais établis de façon globale et uniforme, par client, pour ses besoins totaux ou pour une quotité importante de ses besoins ;

b) En ce qui concerne les contrats prévoyant des rabais à taux croissant

97. Attendu qu'un certain nombre des contrats litigieux, à savoir Beecham (1972, 1973, 1974), Isaac Spencer (1973, 1974), Nitrovit (1973, 1974), Pauls and Whites (1972, 1973, 1974) , comportent, d'une part, un engagement visant "la majeure partie" des besoins de l'acheteur et, d'autre part, une clause de rabais prévoyant une ristourne dont le pourcentage augmenté - en général de 1 à 2 %, puis à 3 % -, suivant qu'aura été couvert, au cours d'une période annuelle, un pourcentage plus ou moins grand des besoins estimés de l'acheteur, les contrats contenant dans tous les cas une estimation en valeur (pounds) des besoins totaux et, en plus, dans deux cas (Pauls and Whites 1972, Beecham 1972) une estimation en quantité pour chacune des sortes de vitamines visées au contrat ; qu'à titre d'exemple, on peut citer le contrat Beecham (1.4.1972 - 31.3.1973) dans lequel les besoins annuels étant évalués à 300 000 pounds au maximum, le rabais prévu est de 1 % si le chiffre d'affaires atteint 60 %, soit 180 000 pounds, 1,5 % s'il atteint 70 %, soit 210 000 pounds, et 2 % s'il atteint 80 %, soit 240 000 pounds ; que les formules sont du même ordre dans les autres contrats, l'estimation des besoins différant de cas à cas et d'année en année, en vue, manifestement, d'être adaptée à la capacité d'absorption du client ;

98. Attendu que si les contrats en cause contiennent des éléments qui, à première vue, paraissent de nature quantitative en ce qui concerne leur lien avec l'octroi d'un rabais total, leur examen révèle cependant qu'il s'agit, en réalité, d'une forme particulièrement élaborée de rabais de fidélité ;

99. Qu'il est, en premier lieu, remarquable que cette forme particulière de rabais se trouve insérée précisément dans des contrats dans lesquels l'engagement d'approvisionnement a été rédigé de la façon la moins contraignante, à savoir "une majeure partie des besoins" laissant à l'acheteur concerné une marge appréciable de liberté ; que le caractère vague de l'engagement ainsi formulé est, dans une large mesure, corrigé par une estimation des besoins annuels et l'octroi d'un rabais augmentant en fonction du pourcentage des besoins qui seraient couverts, ce taux croissant constituant, de toute évidence, une incitation puissante à couvrir le pourcentage maximum desdits besoins chez Roche ;

100. Que cette méthode de calculer les rabais diffère de l'octroi de rabais de quantité, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès du producteur intéressé en ce que les rabais litigieux ne sont pas fonction de quantités fixées objectivement et valables pour l'ensemble des acheteurs éventuels, mais d'estimations établies, cas par cas, pour chaque client en fonction de la capacité d'absorption présumée de celui-ci, l'objectif visé n'étant pas le maximum de quantité mais le maximum des besoins ;

101. Que c'est donc également à juste titre que la Commission a considéré que lesdits contrats comportaient des rabais de fidélité constitutifs d'une exploitation abusive d'une position dominante ;

Section 5 : De la clause anglaise

102. Attendu que tous les contrats en cause, sauf cinq (Animedica International, Guyomarc'h, Merck B6, Protector Et Upjohn) contiennent une clause, dite clause anglaise, aux termes de laquelle le client, s'il obtient de la concurrence des offres de prix plus favorables que ceux résultant de l'application des contrats litigieux, peut demander à Roche d'aligner ses prix sur ladite offre ; si Roche ne donne pas suite à cette demande, le client est autorisé, par dérogation de son engagement d'approvisionnement exclusif, à se fournir chez ledit concurrent, sans pour autant perdre le bénéfice des rabais de fidélité prévus aux contrats pour les autres achats déjà effectués ou encore à effectuer auprès de Roche ;

103. Attendu que, selon la requérante, cette clause détruirait l'effet restrictif de la concurrence tant des accords d'exclusivité que des rabais de fidélité ; qu'en particulier pour les contrats qui ne contiennent pas d'obligation expresse d'approvisionnement exclusif, la clause anglaise éliminerait "l'effet d'attraction" des rabais en cause, puisque le client ne serait pas placé devant l'alternative d'accepter des offres de Roche moins avantageuses pour lui ou de perdre, pour l'ensemble des achats déjà effectués auprès de Roche, le bénéfice des rabais de fidélité prévus ;

104. Attendu qu'il est incontestable que cette clause permet de remédier à certaines des conséquences inéquitables que des obligations d'approvisionnement exclusif ou la prévision de rabais de fidélité globaux, acceptées pour des délais relativement longs, pourraient avoir pour les acheteurs ; qu'il y a toutefois lieu d'observer que la possibilité pour l'acheteur de faire jouer la concurrence à son profit est plus limitée qu'il n'y parait au premier abord ;

105. Qu'en effet, la clause, outre qu'elle est absente dans les contrats Guyomarc'H, Merck B6, Animedica International, Protector et Upjohn, est assortie de modalités qui en restreignent la portée et laissent, en fait, à Roche un large pouvoir d'appréciation en ce qui concerne la possibilité pour le client d'y faire appel ; que, dans un certain nombre de contrats, il n'est pas seulement précisé que l'offre doit émaner de concurrents sérieux, mais également de concurrents importants du même niveau que Roche ou encore que les offres doivent être comparables non seulement en ce qui concerne la qualité du produit, mais également en ce qui concerne la continuité de l'offre, ce qui, en éliminant un approvisionnement plus favorable mais occasionnel, renforce l'exclusivité; que, d'autres fois, il est dit que l'offre doit émaner de producteurs, à l'exclusion de Brokers ou agents commerciaux, ce qui a pour effet d'éliminer des concurrents non européens qui agissent sur le marché par l'intermédiaire de maisons de commerce, ainsi qu'il a été établi à l'occasion de l'examen des parts de marché auquel les parties ont contradictoirement procédé à la demande de la Cour ; que,dans une série de contrats, la clause anglaise est directement liée à l'assurance de Roche de garantir les meilleurs prix "sur le marché local" et qu'elle ne joue que dans cette limite, ce qui non seulement en restreint la portée, mais opère un cloisonnement des marchés, incompatible avec le Marché commun;

106. Attendu, en outre, que la clause anglaise n'élimine pas la discrimination qui résulte des rabais de fidélité entre des acheteurs se trouvant dans des conditions identiques, selon qu'ils se réservent ou non leur liberté d'approvisionnement ;

107. Attendu qu'il y a surtout lieu d'observer que, même dans les circonstances les plus favorables, la clause anglaise n'a pas pour effet de remédier notablement à la distorsion de concurrence que provoquent les clauses d'approvisionnement exclusif et les rabais de fidélité dans un marché ou opère une entreprise en position dominante, marché qui, de ce fait, présente déjà une structure concurrentielle affaiblie; qu'en effet, en obligeant ses clients à lui révéler les offres plus favorables qui sont faites par la concurrence et à les révéler avec les précisions ci-dessus décrites - de telle façon qu'il sera aisé à Roche d'individualiser ce concurrent -, la clause anglaise, par sa nature même, met à la disposition de la requérante des éléments d'information sur la situation du marché ainsi que sur les possibilités et initiatives de ses concurrents, qui sont particulièrement précieux pour la conduite de sa stratégie de marché ; que le fait, pour une entreprise en position dominante, d'exiger ou d'obtenir contractuellement de ses clients qu'ils s'obligent à lui signaler les offres de la concurrence, alors que lesdits clients peuvent avoir un intérêt commercial évident à ne pas les révéler, est de nature à aggraver le caractère abusif de l'exploitation de la position dominante ; qu'enfin, en vertu du mécanisme de la clause anglaise, c'est à Roche elle-même qu'il appartient de décider si, en alignant ses prix ou non, elle admet de faire jouer la concurrence ;

108. Qu'elle peut ainsi diversifier, grâce aux éléments d'information que lui fournissent ses propres clients, sa stratégie de marché à leur égard et à l'égard de ses concurrents ; que de tous ces éléments il résulte que c'est par une interprétation et une application exactes de l'article 86 du traité que la Commission a estimé que les clauses anglaises inscrites dans les contrats litigieux n'étaient pas de nature à les soustraire à la qualification d'exploitation abusive de position dominante ;

Section 6 : De l'application des critères retenus aux contrats litigieux (autres que Unilever et Merck)

109. Attendu que les contrats qui contiennent une obligation expresse d'exclusivité pour la totalité (Afico, Dawe's, Organon, Provimi, Ralston Purina, Upjohn) ou pour un pourcentage extrêmement important (Animedica Allemagne, Animedica International, American Cyanamid, Guyomarc'h) de tous les besoins des acheteurs en vitamines ou de leurs besoins en certains groupes nommément désignés, réunissent les éléments du comportement anticoncurrentiel ci-dessus décrit et constitutif d'une exploitation abusive de position dominante ; qu'il en va de même pour les contrats par lesquels l'acheteur s'engage à réserver à Roche l'approvisionnement de la "majeure partie" (Major Part, Uberwiegender Teil) de ses besoins (Beecham, Pauls And Whites, Nitrovit, Isaac Spencer, Ramikal et Trouw ), d'autant plus que le caractère moins contraignant de la formule employée est corrigé, ainsi qu'il a été établi ci-dessus, par l'octroi de rabais qui sont spécialement conçus pour exercer cet effet correcteur ;

110. Attendu que les mêmes constatations s'imposent en ce qui concerne les contrats qui, s'il peut être douteux qu'ils contiennent un engagement d'approvisionnement ferme, comportent, par l'octroi des rabais analysés ci-dessus, une incitation puissante à réserver à Roche l'exclusivité de l'approvisionnement, pour la totalité ou partie des besoins en vitamines ou en certains groupes de vitamines ; que c'est à juste titre que la Commission a relevé (décision attaquée n° 11 et 24), que cette incitation est encore renforcée par la circonstance que le rabais est prévu pour l'ensemble des achats des différents groupes de vitamines, de telle sorte que l'acheteur, s'il désirait s'adresser - en dehors de l'application de la clause anglaise dont la portée a été examinée ci-avant - à un producteur concurrent pour une vitamine, sera néanmoins empêché de le faire parce qu'il perdrait ainsi le bénéfice du rabais pour toutes les autres vitamines qu'il continue d'acheter chez Roche ;

111. Que, compte tenu de la circonstance, admise tant par la requérante que par la Commission, que les différents groupes de vitamines constituent des produits non interchangeables et des marchés distincts, cette globalisation du système de rabais constitue, en outre, une pratique abusive au sens du dernier alinéa de l'article 86, en ce qu'elle vise à "subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires, qui, par leur nature, ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats" ; qu'il y a, enfin, lieu d'observer que, même si, comme le soutient Roche, l'inobservation par l'acheteur de son engagement d'approvisionnement exclusif n'exposait pas cet acheteur à des actions en rupture de contrat, mais avait seulement pour effet de lui faire perdre le bénéfice des rabais promis, ces contrats comporteraient toujours une incitation suffisante à réserver l'exclusivité à Roche, pour tomber, de ce chef, sous la qualification d'exploitation abusive de position dominante ;

Section 7 : De l'application des critères retenus aux contrats Merck et Unilever

a) Les contrats Merck

112. Attendu que Roche a conclu avec Merck trois contrats, datés le premier du 5 juillet 1971, visant l'approvisionnement de Merck en vitamines B6, le second du 3 mars 1972, visant son approvisionnement en vitamines A, et le troisième de la même date, visant son approvisionnement en vitamines E ;

113. Que dans le préambule du premier contrat, qui concerne un produit ou la part de marché de la requérante se situe aux environs de 80 %, il est déclaré que "Roche va prochainement doubler la capacité de ses installations de production qui est actuellement d'environ 500 tonnes par année" et a donc intérêt à couvrir une partie des besoins de Merck et que "Merck est disposée à couvrir auprès de Roche aux conditions fixées ci-après ses besoins, pour autant qu'ils dépassent sa capacité actuelle d'environ 200 tonnes par année" ; que, selon les articles 6 et 7 de cette convention, le prix de livraison à payer par Merck est le prix moyen de vente du même produit aux tiers affecté d'un rabais de 20 %, étant cependant entendu que Roche "appliquera dans tous les cas à Merck les prix et/ou conditions les plus favorables" ; que, selon l'article 12, il est interdit à Merck de revendre lesdites vitamines à des concurrents de Roche sans l'autorisation de celle-ci ; que, selon l'article 11, Roche s'engage à se fournir exclusivement chez Merck, et Merck s'engage à approvisionner Roche pour la totalité des besoins de cette dernière en "ister phosphorique de pyridoscal 5" aux mêmes conditions que celles prévues pour l'approvisionnement de Merck en vitamines B6 ; que, selon l'article 13 du contrat, celui-ci est conclu pour une période de cinq ans et renouvelable ensuite par tacite reconduction de deux en deux ans ; que le contrat ne contient pas de clause dite anglaise ;

114. Attendu que les deux autres contrats, portant la date du 3 mars 1972 et relatifs à l'approvisionnement de Merck en vitamines A et E, présentent, de façon générale, les mêmes caractéristiques que celui analysé ci-dessus ; qu'ils diffèrent entre eux en ce que dans celui relatif aux vitamimes E on retrouve dans le préambule la déclaration que "Roche doit prochainement agrandir sensiblement ses installations de production de vitamine E et souhaiterait donc assurer l'approvisionnement régulier de Merck", tandis que celui relatif aux vitamines A ne contient aucune déclaration de ce genre ; que les deux contrats du 3 mars 1972 - à la différence de celui du 5 juillet 1971 - ne prévoient pas d'approvisionnement exclusif réciproque, mais comprennent une clause selon laquelle Merck est libérée de son obligation d'achat exclusif si elle reçoit une offre plus favorable et que Roche n'aligne pas ses prix ; que ces deux contrats prévoient enfin l'interdiction pour Merck de revendre lesdites vitamines qui en sont l'objet à des concurrents de Roche sans l'autorisation de celle-ci ;

115. Attendu qu'il ressort des particularités décrites ci-dessus que les obligations d'approvisionnement exclusif assumées par Merck ont eu pour objectif, en ce qui concerne les vitamines B6 et E, d'assurer par avance à Roche un débouché ferme pour une production dont l'augmentation était projetée et de soustraire, à tout le moins, une partie non négligeable de cette production additionnelle, aux aléas de la concurrence ; qu'une obligation d'approvisionnement exclusif de cette nature et de cette durée au profit d'une entreprise en position dominante constitue, dans le chef de cette entreprise, une exploitation abusive au sens de l'article 86 du traité ; que, si le même objectif n'est pas exprimé en ce qui concerne la vitamine A et s'il n'est pas exclu que ce contrat corresponde au désir de Merck - ainsi que plusieurs spécifications techniques rigoureuses insérées dans le texte le laissent supposer - de s'assurer un approvisionnement régulier et constant d'un produit dont elle ne fabriquait elle-même que de faibles quantités, cette circonstance n'exclut pas l'interdiction, pour une entreprise en position dominante, de lier ses acheteurs par des obligations d'approvisionnement exclusif, surtout pour des périodes aussi longues que celles prévues audit contrat ; que l'obligation d'approvisionnement exclusif, jointe à l'octroi de rabais particulièrement considérables, selon les cas 12,5 % à 20 % (vitamine A), de 15 a 20 % (vitamine E) et 20 % (vitamine B6), et à l'interdiction de revente à des producteurs de vitamines, démontre la volonté de limiter la concurrence ;

116. Attendu qu'il y a lieu d'observer que, dans des cas comme ceux de l'espèce, et en particulier en ce qui concerne le contrat du 5 juillet 1971, comportant des engagements d'approvisionnement exclusif réciproques, on pourrait se poser la question de savoir si le comportement en cause ne relève pas de l'article 85 du traité et le cas échéant, du paragraphe 3, de cette disposition ; que la circonstance que des accords de ce genre pourraient relever de l'article 85, et notamment de son paragraphe 3, n'a cependant pas pour effet d'éliminer l'application de l'article 86, cette dernière disposition visant en effet, de façon expresse, des situations qui trouvent manifestement leur origine dans des liens contractuels, de sorte qu'il est, dans ces cas, loisible à la Commission, compte tenu notamment de la nature des engagements réciproquement assumés et de la position concurrentielle des divers contractants sur le marché ou les marchés auxquels ils appartiennent, de poursuivre la procédure sur la base de l'article 85 ou sur celle de l'article 86 ;

b) Les contrats Unilever

117. Attendu que Roche a conclu avec Unilever, le 9 janvier 1974, trois contrats ;

118. Que le premier, passé par Food Industries Ltd., agissant comme agent d'Unilever, avec la filiale de Roche au Royaume-Uni, comporte en premier lieu une estimation des besoins de l'acheteur en vitamines synthétiques A, de type B, besoins évalués à 130-134 mille milliards (m.m.) d'unités internationales pour l'année 1974 ; qu'il est prévu, en outre, que le contrat sera continué en 1975, et que l'acheteur fera en conséquence connaître l'estimation de ses besoins au plus tard en décembre 1971 ; que le second, passé entre les mêmes parties, porte sur les livraisons des vitamines A, autres que celles du type B, et comporte pour le surplus, des stipulations identiques au premier ; que le troisième contrat est conclu directement entre Roche-Bâle et Unilever Inkoop Mij à Rotterdam et prévoit que Roche "agreed to supply the requirements of your group (continent only) for the following products : vitamin a for margarine about 30 m.m. In 1974, between 27 and 33 m.m. In 1975 ; beta-carotene (all forms) about 6 000 kg in 1974, between 5 400 kg and 6 600 kg in 1975" ;

119. Que les trois contrats stipulent les prix convenus, assortis d'ailleurs, en ce qui concerne les contrats avec Food Industries Ltd., d'une clause de change ; que ces trois contrats ne comportent pas de rabais mais que, dans les deux contrats avec Food Industries, Roche donne l'assurance qu'elle appliquera à Unilever tout prix plus favorable qu'elle accorderait à des tiers, tandis que, dans le contrat continental, il est prévu que si Unilever reçoit des offres plus avantageuses de la concurrence, Roche s'alignera ou autorisera l'acheteur à acheter la quantité concernée chez la concurrence ;

120. Attendu que les termes des contrats ne laissent aucun doute sur la circonstance qu'ils visent l'approvisionnement de la totalité des besoins d'Unilever en ce qui concerne la vitamine en cause pour une période couvrant les années 1974 et 1975 ; que, s'agissant de contrats contenant un engagement ferme d'approvisionnement exclusif, la question de savoir s'ils sont ou non complétés par l'octroi de rabais n'est pas décisive pour leur qualification au regard de l'article 86 du traité ; que la circonstance que le cocontractant de Roche est lui-même une entreprise puissante et que le contrat n'est manifestement pas le résultat d'une pression exercée par Roche sur son partenaire n'exclut pas l'existence d'une exploitation abusive de position dominante, pareille exploitation consistant en l'espèce dans l'atteinte supplémentaire portée par l'exclusivité d'approvisionnement à la structure concurrentielle d'un marché dans lequel, à la suite de la présence d'une entreprise en position dominante, le degré de concurrence est déjà affaibli ; que des accords de ce genre ne pourraient éventuellement être admissibles que dans le cadre et sous les conditions prévues à l'article 85, paragraphe 3, du traité, mais qu'aucune des parties contractantes n'a estimé devoir recourir à cette possibilité ;

121. Attendu que l'examen des contrats litigieux, tant ceux conclus avec Merck que ceux conclus avec Unilever, ne fait pas apparaître des particularités qui permettraient de les soustraire à la notion d'exploitation abusive qui revient en principe à tout engagement d'approvisionnement exclusif au profit d'une entreprise en position dominante ;

III - De l'affectation de la concurrence et du commerce entre États membres

122. Attendu que la requérante conteste que la différence entre les prix que par le truchement des rabais de fidélité elle consent à ses différents clients, suivant qu'ils acceptent ou non de s'approvisionner exclusivement chez elle, serait de nature à leur infliger un désavantage dans la concurrence au sens de l'article 86, lettre c, du traité, cette différence ne pouvant avoir un effet sensible sur la concurrence que les acheteurs de Roche se font entre eux ; qu'en outre, dans sa réplique, elle semble soutenir que le comportement qui lui est reproché ne serait pas de nature à entraver le commerce entre États membres ;

123. Attendu, en ce qui concerne le premier point, qu'aussi bien les termes des contrats litigieux que les considérations développées dans les Management Informations et dans le procès-verbal de la rencontre de Unilever-Roche à Londres du 11 décembre 1972 font clairement voir l'importance que Roche, elle-même, attribue aux rabais qu'elle consent ; que, dans ces conditions il ne saurait être admis que ces rabais ne présentent pour la clientèle aucune importance ; que, d'ailleurs, dans le champ d'application de l'article 86, s'agissant de comportements d'une entreprise en position dominante sur le marché où de ce fait la structure concurrentielle est déjà affaiblie, toute restriction supplémentaire de cette structure concurrentielle est susceptible de constituer une exploitation abusive de position dominante ;

124. Attendu, en ce qui concerne l'affectation du commerce entre États membres, qu'il est en premier lieu constant que le marché de chacune des vitamines retenues comprend l'ensemble du territoire de la communauté s'étendant d'abord à six, puis à neuf États membres ;

125. Que les interdictions des articles 85 et 86 sont à interpréter et à appliquer à la lumière de l'article 3, lettre f, du traité, prévoyant que l'action de la communauté comporte l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le Marché commun et de l'article 2 du traité, qui donne pour mission à la communauté de "promouvoir le développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble du Marché commun" ; qu'en interdisant l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marché, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, l'article 86 vise dès lors non seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice direct aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice indirect en portant atteinte à une structure de concurrence effective, telle qu'envisagée à l'article 3, lettre f, du traité ;

126. Que, d'ailleurs, un certain nombre des clauses anglaises, par leur rédaction même, impliquaient le maintien de cloisonnements de marchés, permettant notamment de pratiquer des prix différents d'un État membre à l'autre, constatation confirmée par la circonstance déjà relevée ci-dessus que les variations de prix, pour une même vitamine à une même époque, différaient de façon sensible d'un État membre à l'autre ;

127. Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les comportements litigieux étaient susceptibles tant d'affecter la concurrence que d'affecter le commerce entre États membres ;

Quatrième moyen : De l'amende

a) En ce qui concerne l'indétermination des règles comportant des sanctions

128. Attendu que la requérante fait valoir qu'en raison de la généralité et de l'indétermination des notions de "position dominante"et "d'exploitation abusive" de pareille position, énoncées à l'article 86 du traité, la Commission n'aurait pu lui infliger des amendes pour contravention à cette disposition qu'après que ces notions eussent été concrétisées soit par la pratique administrative, soit par la jurisprudence, de façon à ce que les justiciables sachent à quoi s'en tenir ;

129. Attendu qu'en vertu de l'article 87 du traité, le conseil était tenu de prendre les dispositions nécessaires en vue notamment "d'assurer le respect des interdictions visées à l'article 85, paragraphe 1, et à l'article 86, par l'institution d'amendes et d'astreintes"; qu'en exécution de cette disposition, il a adopté le règlement n° 17 du 6 février 1962, dont l'article 15, paragraphe 2, dispose que la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes dont le maximum est déterminé par ce texte, lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions des articles 85, paragraphe 1, ou 86 du traité ; que, d'autre part, selon l'article 2 du même règlement : "la Commission peut constater, sur demande des entreprises et associations d'entreprises intéressées, qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir à l'égard d'un accord, d'une décision ou d'une pratique en vertu des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, ou de l'article 86 du traité";

130. Qu'ainsi, depuis 1962, les entreprises savaient, d'une part, qu'elles s'exposeraient à des amendes en cas de violation des interdictions de l'article 86 et, d'autre part, qu'elles étaient en mesure, grâce à une procédure spécialement organisée, d'être éclairées sur le champ d'application desdites interdictions en ce qui les concerne ; que la nature de ces interdictions et les conditions qui doivent être réunies pour qu'elles s'appliquent ne présentaient d'ailleurs pas, malgré les termes nécessairement généraux de l'article 86, le caractère d'indétermination et d'imprévisibilité allégué ;

131. Attendu que l'article 86 du traité, tel qu'il avait précédemment été appliqué, comportait dans la période 1970 à 1974, qui a été retenue par la Commission pour la détermination de l'amende, un degré de prévision largement suffisant pour que Roche puisse en tenir utilement compte dans son comportement à la fois en ce qui concerne l'existence dans son chef d'une position dominante qu'en ce qui concerne les pratiques qui lui sont reprochées ;

132. Que l'article 86, lorsqu'il vise l'existence d'une position dominante et interdit son exploitation abusive, s'encadre dans un ensemble systématique de dispositions - tels les articles 3, lettre f, 37, paragraphe 1, 40, paragraphe 3, alinéa 2, 85 et 90, du traité - qui tous tendent à l'établissement d'une concurrence effective et non faussée dans un marché présentant les caractéristiques d'un marché unique ; que, d'ailleurs, l'article 86, lorsqu'il utilise les expressions de "position dominante" et "exploitation abusive", renvoie à des notions qui ne sont pas nouvelles, mais qui ont déjà, pour l'essentiel, été concrétisées par la pratique des autorités chargées dans la plupart des États membres de contrôler et de réprimer les comportements anticoncurrentiels ;

133. Qu'en ce qui concerne en particulier la notion de position dominante, il ne saurait faire de doute, pour un opérateur économique avisé, que la possession de parts de marché importantes, si elle n'est pas nécessairement et dans tous les cas le seul indice déterminant de l'existence d'une position dominante, a cependant à cet égard une importance considérable qui doit nécessairement être prise en considération par lui en ce qui concerne son comportement éventuel sur le marché ; que pareille appréciation de la portée de l'article 86 ne présentait pour Roche, en tout cas pour la plupart des marchés en cause, aucun élément d'imprévisibilité ni même d'incertitude raisonnable ;

134. Qu'en ce qui concerne la compatibilité des rabais de fidélité avec l'interdiction de l'article 86, outre l'expérience que toute entreprise de l'importance de la requérante et opérant sur l'ensemble du Marché commun devait avoir de la pratique des autorités chargées dans les États membres d'appliquer le droit de la concurrence, la formulation précise de l'article 86, lettre b, visant la limitation des débouchés, celle de l'article 86, lettre d, interdisant de subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats, et en particulier celle de l'article 86, lettre c, visant l'application à l'égard de partenaires commerciaux de conditions inégales à des prestations équivalentes, indiquent que l'application de cette disposition à un système d'approvisionnement exclusif et de rabais, tel que celui élaboré par la requérante, n'était pas imprévisible ; que l'imprévisibilité alléguée peut d'autant moins être admise qu'à tout le moins la possibilité, sinon la probabilité de cette application devait être prise en considération par un opérateur économique vigilant et que l'article 2 du règlement n° 17 permettait de faire concrétiser à titre préventif l'application de l'article 86 aux cas douteux, sans cependant que la requérante ait cru devoir faire usage de cette possibilité d'obtenir la sécurité juridique dont elle se plaint d'être dépourvue ;

135. Attendu que la requérante invoque enfin la décision de la Commission du 5 décembre 1969 (JO n° l 323, p. 21) relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV-24.470-1, Pirelli/Dunlop ) ; que, selon elle, il ressortirait de cette décision que des accords d'approvisionnement exclusif réciproques seraient admissibles du moment qu'ils seraient assortis d'une clause anglaise ;

136. Attendu que la décision invoquée concernait un accord conclu entre deux entreprises n'occupant pas une position dominante sur le marché, relatif à la fabrication, pour compte réciproque, de pneumatiques et qui devait faciliter à chacune des deux parties la pénétration sur le marché de l'autre ; qu'au surplus la clause d'alignement dans l'accord Dunlop/Pirelli n'était pas assortie des nombreuses restrictions et modalités qu'on retrouve dans les contrats litigieux et qui restreignent singulièrement la portée de cette clause ; qu'une entreprise en position dominante ne pouvait raisonnablement croire qu'une attestation négative délivrée dans ces conditions servirait de précédent pour justifier son propre comportement dans le cadre de l'article 86 ;

137. Qu'il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré du caractère indéterminé des notions de l'article 86 doit être rejeté ;

b) En ce qui concerne l'application de l'article 15 du règlement n° 17

138. Attendu que la requérante fait encore valoir qu'il apparaîtrait de l'ensemble des éléments du dossier et de son comportement qu'elle ne pourrait être considérée comme ayant agi de propos délibéré ou par négligence lorsque, d'une part, elle estimait ne pas disposer d'une position dominante sur les marchés en cause et estimait, d'autre part, que les contrats litigieux étaient compatibles avec l'article 86 du traité ;

139. Attendu que les suggestions et instructions contenues dans les Management Information et les autres documents internes, en ce qui concerne l'importance et les effets attendus de la conclusion d'accords d'exclusivité et d'un système de rabais de fidélité pour le maintien des parts de marché de Roche, démontrent que la requérante poursuivait de propos délibéré une politique commerciale visant à barrer l'accès des marchés à de nouveaux concurrents ; que la multiplication, à partir de 1970, des contrats d'approvisionnement exclusif en incitant à l'exclusivité, confirme l'existence de ce propos délibéré ; que, d'autre part, l'importance des parts de marché qu'elle détenait, en tout cas pour la plupart des groupes de vitamines, implique que la conviction de la requérante qu'elle n'occupait pas une position dominante ne pouvait être que le fruit soit d'un examen insuffisant de la structure des marchés sur lesquels elle opérait, soit d'un refus de prendre ces structures en considération ; que les conditions d'application de l'article 15 du règlement n° 17 se trouvaient dès lors réunies ;

c) En ce qui concerne le montant de l'amende

140. Attendu toutefois que l'instruction de l'affaire a fait apparaître des erreurs d'appréciation de la Commission quant à la position dominante de la requérante sur le marché des vitamines du groupe B3 ; que, par ailleurs, en ce qui concerne les parts de marché démonstratives d'une position dominante, des éléments précis n'ont été fournis par la Commission que pour les années 1972, 1973, 1974 et, dans une certaine mesure, pour l'année 1971, de sorte que la durée de l'infraction à prendre en considération pour la fixation du montant de l'amende doit être ramenée à une période qui n'est que légèrement supérieure à trois années et donc inférieure aux cinq années que la Commission a prises en considération ; qu'enfin, il est constant que, dès le stade de la procédure administrative, Roche s'est déclarée d'accord pour modifier les contrats litigieux et a effectivement procédé à cette modification de concert avec les services de la Commission ;

141. Que, compte tenu de ces éléments, il y a lieu de réduire le montant de l'amende et qu'il apparaît justifié de fixer celui-ci à 200 000 unités de compte, soit 732 000 marks allemands, le recours étant rejeté pour le surplus ;

Sur les dépens

142. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens ; qu'en vertu du paragraphe 3 du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels ; que chaque partie a succombé sur certains chefs et qu'il y a dès lors lieu de compenser les dépens ;

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) le montant de l'amende infligée à la firme Hoffmann-la Roche AG, fixé par l'article 3, alinéa 1, de la décision (IV-29.020) de la Commission du 9 juin 1976 à 300 000 unités de compte, soit 1 098 000 marks allemands, est ramené à 200 000 unités de compte, soit 732 000 marks allemands.

2) le recours est rejeté pour le surplus.

3) les dépens sont compensés.