CCE, 21 décembre 1977, n° 78-172
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Epices
LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 1er et 3, vu la décision de la Commission du 24 juin 1977 d'engager une procédure d'office en application de l'article 3 paragraphe 1 du règlement nº 17, après avoir entendu les entreprises intéressées, en application de l'article 19 paragraphe 1 du règlement nº 17 et des dispositions du règlement nº 99-63 (2), vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli, conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 23 novembre 1977,
I. LES FAITS
Considérant que les faits sont les suivants:
Description des produits
1. Les produits concernés sont les épices conditionnées, destinées à la consommation domestique, c'est-à-dire tous les ingrédients pouvant être ajoutés aux aliments en vue d'en enrichir la saveur ou l'arôme et figurant au catalogue "épices" des diverses entreprises productrices.
Les épices proprement dites sont peu nombreuses (poivre, muscade, clou de girofle, vanille, cannelle, curry et safran). Toutes les entreprises présentes sur le marché proposent une gamme d'au moins quarante à cinquante variétés d'épices au sens large, comportant des mélanges divers.
Le marché belge des épices destinées à la consommation domestique
A. Les producteurs
2. Le marché belge des épices est en forte expansion. Les ventes de l'ensemble des producteurs ont représenté, en 1976, un chiffre d'affaires d'environ 325 millions de francs belges, contre 247 millions à peu près en 1975, ce qui représente un accroissement de 32 %.
Le nombre de producteurs présents sur le marché est limité ; quatre d'entre eux, à savoir Brooke Bond Liebig (ci-après dénommé "Liebig"), India, Ducros et Topo, détiennent ensemble environ 85 % du marché, les 15 % restants étant répartis entre plusieurs producteurs d'importance mineure.
En 1975, l'entreprise McCormick (Etats-Unis), important producteur d'épices dont la marque est réputée, a tenté de s'introduire sur le marché belge. Son concessionnaire exclusif pour la Belgique était la société Resta, à Ternat, qui importait les épices McCormick de France et du Royaume-Uni. En mars 1977, McCormick a décidé de se retirer de ce marché, parce qu'elle n'avait pu en acquérir qu'une part négligeable.
3. Le groupe Liebig opère sur le marché belge depuis 1969 par l'intermédiaire de sa filiale, Brooke Bond Liebig Benelux NV. Cette dernière, qui a pris en 1975 le contrôle de la société Erica en acquérant 75 % des actions de cette dernière, conditionne et commercialise plus de cinquante sortes d'épices sous les marques "Liebig" et "Erica".
Les épices représentent plus de 20 % du chiffre d'affaires de Liebig sur le marché belge. Cette entreprise fabrique, en outre, l'extrait Oxo sous forme liquide et solide, des extraits de viande, des bouillons en cubes, du corned beef et des produits destinés aux traiteurs et à l'industrie alimentaire.
En 1976, le chiffre d'affaire réalisé par Liebig et Erica sur le marché belge s'élevait, pour les épices, à 122,1 millions de francs belges, ce qui représentait 39 % du marché belge et une augmentation de 20 % par rapport à son chiffre d'affaires de l'année précédente, cette part de marché étant presque le double de celle du deuxième producteur.
4. Quant aux autres producteurs, la société française Ducros est présente depuis 1971 sur le marché belge où elle vend des épices sous sa propre marque.
Les sociétés belges India et Topo vendent leurs produits soit sous leur propre marque, soit sous celle des grands distributeurs cités plus loin (voir point 6).
B. La distribution
5. Dans le domaine de la distribution des aliments secs (3), dont relèvent les épices, l'on trouvait en 1975 en Belgique environ 24 000 magasins d'alimentation réalisant un chiffre d'affaires total d'environ 178 milliards de francs belges ; 3 839 de ces magasins étaient des magasins d'alimentation en libre service, qui ne représentaient que 16 % du nombre total de magasins d'alimentation, mais réalisaient un chiffre d'affaires d'environ 130,6 milliards de francs belges, c'est-à-dire environ 73 % du total des ventes d'aliments secs. Parmi eux, les magasins d'alimentation les plus importants, à savoir 712 supermarchés et 72 hypermarchés (4), qui représentaient 3 % du nombre total de ces magasins, réalisaient un chiffre d'affaires de 92,5 milliards de francs belges, soit 52 % du total des ventes (5).
6. Les trois plus grands magasins d'alimentation en libre service sont GB-Inno-BM (ci-après dénommé "GB"), Delhaize frères & Cie "Le Lion" (ci-après dénommé "Delhaize frères") et Sarma-Penney Ltd (ci-après dénommé "Sarma"). Leur part de marché dans la distribution des épices est au moins aussi importante que dans celle des aliments secs dans son ensemble. En 1975, le montant total, hors taxes, de leurs achats d'épices à Liebig et aux autres producteurs s'élevait à environ 73 millions de francs belges, soit à peu près 30 % des ventes totales d'épices réalisées en Belgique par tous les producteurs. Ces épices étaient vendues dans environ 300 points de vente représentant un peu plus de 1 % de tous les magasins d'alimentation. En 1976, le montant total des achats de toutes les épices par ces trois grands distributeurs a été de 93 millions de francs belges, soit 28 % des ventes totales d'épices réalisées en Belgique par tous les producteurs.
7. En 1975 et 1976, les quantités approximatives d'épices achetées tant auprès de Liebig qu'auprès des autres producteurs par ces trois distributeurs ont été les suivants:
EMPLACEMENT TABLEAU
8. Le chiffre d'affaires réalisé en 1976 par Liebig pour les produits de marque "Liebig" se répartissait comme suit:
EMPLACEMENT TABLEAU
Les ventes sous contrat d'épices Liebig aux trois grands distributeurs précités et aux autres distributeurs, s'élèvent respectivement à 53,3 et 3 millions de francs belges et représentent environ 17 % et 1 % de l'ensemble des ventes d'épices sur le marché belge.
Les ventes sous contrat d'épices Erica, qui ne sont pas fournies aux trois grands distributeurs précités, ont atteint en 1976 environ 3 millions de francs belges, ce qui équivaut à 2,4 % de l'ensemble des ventes d'épices effectuées par Liebig sur le marché belge et représente environ 1 % de ce marché.
9. L'achat par le consommateur des nombreuses variétés d'épices existantes se fait, dans une large mesure, par impulsion ou en réponse à une sollicitation promotionnelle. En effet, ces produits ne figurent pas sur sa liste d'emplettes et il les achète, le plus souvent, lorsque son attention est attirée par la marchandise exposée. C'est pourquoi la plupart des épices sont vendues dans les grandes surfaces d'alimentation à libre service (notamment hypermarchés et supermarchés), qui seules peuvent installer des présentoirs de grandes dimensions situés aux endroits les plus propices à l'achat par impulsion (par exemple, les rayons situées à hauteur des yeux, à proximité des produits de première nécessité, tels que l'huile, le sel, le vinaigre et le sucre).
10. Enfin, les prix pratiqués par Liebig tant à la vente aux distributeurs qu'au niveau de la consommation sont généralement, par unité de poids, beaucoup plus élevés que ceux des autres producteurs. La différence entre les prix appliqués aux revendeurs par Liebig et par les autres producteurs varie de 150 à 200 %. En raison de la marge de distribution des épices Liebig, la différence entre les prix de détail des épices Liebig et ceux des autres producteurs est également très importante.
Les contrats de distribution de Liebig
11. Liebig a conclu des contrats de distribution avec les principaux distributeurs belges, c'est-à-dire GB, Delhaize frères et Sarma ainsi qu'avec quelque 80 autres distributeurs (indépendants ou membres de chaînes de distribution). Les dispositions principales des contrats conclus avec les principaux distributeurs belges et faisant l'objet de la présente procédure peuvent être résumées comme suit:
12. Le distributeur s'engage à ne vendre, dans tous ses magasins présents et futurs, que les épices Liebig, outre celles vendues sous sa propre marque. Pour GB et Sarma, la vente sous leur propre marque est limitée aux variétés les plus courantes, dont le nombre prévu par les contrats va de 12 à 18. Delhaize frères peut aussi vendre d'autres marques d'épices qui ne figurent pas dans la gamme Liebig ou dont le conditionnement est totalement différent, de même que des épices faisant l'objet d'une publicité dans le journal publicitaire "Shopping", à condition qu'elles soient exposées séparément.
Le distributeur s'engage en outre:
a) à vendre aux prix préimprimés lors de la production, à condition que ces prix soient également respectés par tous les autres revendeurs;
b) à exposer les épices Liebig dans un certain nombre de présentoirs éclairés de dimensions particulières.
Les présentoirs sont équipés de cinq rayons ; les trois niveaux supérieurs sont réservés aux épices Liebig, les rayons inférieurs aux épices de la marque du distributeur.
Les épices doivent être placées au-dessus d'articles de grande rotation, tels que sucre, sel et huile.
Delhaize frères et Sarma sont tenus de ne pas afficher les prix des épices Liebig dans les glissières, "en vertu du fait qu'il a été prouvé que la ménagère n'a aucune connaissance du prix des épices" (contrat Sarma).
13. De son côté, Liebig s'engage à accorder certaines ristournes et à garantir un bénéfice, selon les modalités suivantes:
a) octroi d'une ristourne de fin d'année de 10 % sur le total des achats d'épices (pour Sarma, octroi d'une prime unique portant sur les achats correspondant à un chiffre d'affaires "consommateurs", hors TVA, de 8 millions de francs belges);
b) pour Delhaize frères et GB, octroi d'une prime de progressivité par rapport à l'année précédente, d'après le barème suivant:
Accroissement 10 % ->Prime 3 %
Accroissement 20 % ->Prime 4 %
Accroissement 30 % ->Prime 5 %
c) garantie d'un bénéfice s'élevant, dans le cas de GB, à 12 millions de francs belges pour la première année, 13 millions pour la deuxième année et 14 millions pour la troisième. Dans le cas de Delhaize frères, le bénéfice garanti est de 7 millions ; dans celui de Sarma, il équivaut à celui qui résulterait d'un chiffre d'affaires "consommateur", hors TVA, de 8 millions de francs belges.
Pour Delhaize frères et GB, par conséquent, si la différence entre le prix d'achat net à Liebig et le prix au consommateur hors TVA, augmentée des ristournes et primes, ne correspondait pas au montant convenu, Liebig fournirait l'appoint. En réalité, cette garantie n'a pas joué du fait que, dès la première année, le chiffre d'affaires a dépassé celui prévu pour l'octroi de la garantie.
Enfin, Liebig s'engage à installer les présentoirs, à fournir une assistance complète, notamment sous la forme d'un approvisionnement "en direct" dispensant le distributeur de constituer des stocks, à mettre en place le matériel promotionnel et à assurer le respect du prix de vente normal, notamment par le prémarquage des prix lors de la production (cf. point 12 sous (a) supra).
14. Le contrat avec GB a été conclu en 1973 pour une durée de trois ans ; ceux conclus avec Delhaize frères et Sarma l'ont été pour une durée d'un an. Dans le cas de Sarma, le contrat est renouvelable annuellement sauf préavis de six semaines ; jusqu'à présent, aucun préavis de résiliation n'a été donné et, par conséquent, ce contrat est toujours en vigueur. Pour les deux autres contrats, bien qu'ils n'aient pas fait l'objet d'un renouvellement écrit, il résulte de l'enquête de la Commission que leurs dispositions continuent d'être appliquées.
II. APPLICATION DE L'ARTICLE 85 PARAGRAPHE 1
15. Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;
16. Considérant que les contrats conclus par Liebig avec GB, Delhaize frères et Sarma sont de nature à restreindre le jeu de la concurrence;
17. Considérant, en effet, que l'obligation prévue dans les contrats passés avec GB, Delhaize frères et Sarma de ne vendre que les produits Liebig, outre les épices vendues sous leur propre marque, est de nature à empêcher l'achat et la vente d'épices d'autres marques par les distributeurs considérés ; que cette obligation est renforcée par des contreparties financières importantes, puisque les ristournes mentionnées au point 13 et les prix imposés à la revente permettent de réaliser un bénéfice brut minimal qui s'élève à 35 % du prix de revente et peut atteindre 60 % du prix d'achat ; que,en outre, un certain bénéfice est expressément garanti par les contrats ; que cette rémunération élevée constitue, pour une large part, une contrepartie en faveur de ces entreprises de leur renonciation à vendre des épices qui entreraient en concurrence avec celles de Liebig ; qu'elle est donc aussi restrictive de la concurrence;
18. Considérant que ces contrats sont de nature à empêcher l'exercice, par le distributeur, de sa liberté de choix quant à l'achat et à la revente d'épices, en le liant à un fournisseur unique, sauf en ce qui concerne les épices vendues sous sa propre marque ; qu'ils sont aussi de nature à restreindre le jeu de la concurrence entre producteurs d'épices en interdisant aux producteurs d'autres marques de vendre eux aussi leurs épices par l'intermédiaire de ces distributeurs;
19. Considérant que les contrats avec les trois principaux distributeurs comportent des clauses qui les autorisent expressément à vendre des épices sous leurs propres marques ; qu'il y a lieu, néanmoins, de tenir compte d'autres clauses de ces contrats, et notamment des suivantes:
a) les variétés d'épices pouvant être vendues sous les marques de GB et Delhaize frères sont limitées, par les contrats, à un nombre allant de 12 à 18 contre 55 pour la marque Liebig;
b) les épices portant les marques des distributeurs doivent être exposées au-dessous des épices Liebig dans les présentoirs spéciaux ; étant donné les méthodes de vente particulières appliquées pour les épices de marque dans les magasins à libre service, cette obligation favorise la vente des produits Liebig qui sont présentés sur les trois rayons supérieurs;
c) deux distributeurs (Delhaize frères et Sarma) ne sont pas autorisés à afficher dans les glissières les prix des épices Liebig, qui sont plus élevés que ceux des épices vendues sous leur propre marque, ce qui rend plus difficile une comparaison des prix pour la ménagère et peut même donner l'impression que les prix indiqués pour les épices vendues sous la marque du distributeur s'appliquent également aux épices Liebig;
20. Considérant, en outre, que les exceptions à l'obligation de ne vendre que les épices Liebig en plus de celles sous sa propre marque, que prévoit le contrat passé avec Delhaize frères, laissent subsister la restriction de concurrence constatée ; que, en effet, pour ce qui est de la vente d'épices d'autres marques, dont les variétés ne figureraient pas dans la gamme Liebig, il ne pourrait s'agir en pratique que de variétés peu courantes, étant donné que la gamme Liebig est suffisamment vaste pour couvrir les besoins normaux des grandes surfaces ; que le producteur de ces variétés ne serait donc pas en mesure de concurrencer, avec ces seules variétés, un producteur proposant toute la gamme utile ; que, quant à la possibilité de vendre d'autres articles séparément dans le cadre d'une campagne publicitaire spéciale, sa portée est négligeable sur le plan de la concurrence;
21. Considérant que la restriction de la concurrence entre les diverses marques d'épices est sensible ; que les principales marques d'épices destinées à la consommation domestique sont commercialisées dans le cadre d'une gamme qui comprend de très nombreuses variétés et que ce n'est que dans les grandes surfaces à libre service qu'une telle gamme peut être lancée, puis écoulée, d'une façon satisfaisante ; que la vente des épices dans les grandes surfaces à libre service offre, à cet égard, les conditions optimales, étant donné que c'est le seul endroit où un grand nombre de consommateurs peuvent voir, apprendre à connaître et acheter les variétés nouvelles et surtout les mélanges nouveaux; que, de plus, la présentation d'une gamme de cette nature exige un espace et un équipement appropriés, des services (notamment une rotation) et un effort publicitaire qu'un détaillant indépendant est rarement en mesure de fournir ; que, étant donné, du reste, que les besoins de la clientèle de ce dernier se limitent à des petites quantités et aux variétés les plus courantes et que sa technique de vente est très différente de celle des magasins à libre service, il n'est généralement pas intéressé à disposer de la totalité de la gamme ; que c'est ce que confirment les chiffres indiqués au point 6, qui font apparaître l'importance des ventes d'épices dans les magasins à grandes surfaces et à libre service par rapport au total des ventes d'épices ; que c'est ce que montre aussi l'exemple de Liebig lui-même, dont le chiffre d'affaires réalisé pour les seules épices vendues aux distributeurs concernés représente 59 % de son chiffre d'affaires global en épices pour la Belgique;
Considérant que les contrats en cause sont de nature à empêcher la vente, dans des conditions satisfaisantes, des épices des marques autres que Liebig dans des magasins à grande surface et à libre service qui sont de loin les principaux de Belgique ; que l'importance de ces magasins est démontrée par le fait que, tout en ne représentant qu'1 % du total des magasins belges d'alimentation, ils assurent 30 % de la distribution des épices sur le marché belge, pourcentage considérable compte tenu de ce qui précède ; que ces distributeurs qui sont soustraits à la concurrence, tout en étant peu nombreux, assurent chacun une part importante de la distribution ; que les concurrents de Liebig seraient en mesure d'agir d'une manière plus intensive et plus efficace et de mieux développer leurs ventes s'ils avaient accès à un nombre limité de grands distributeurs au lieu de devoir s'adresser à un grand nombre de détaillants moins importants;
Considérant, dès lors, que si un producteur est empêché de présenter des épices de sa marque dans les magasins des distributeurs concernés, ses possibilités de développer ses ventes, et surtout de lancer sa marque sur le marché belge, en sont sensiblement restreintes;
Considérant qu'à tous les obstacles susmentionnés s'ajoute l'importance du producteur bénéficiant de la restriction de concurrence; que, étant donné la part du marché du produit concerné détenue par Liebig et la renommée de sa marque, établie de longue date tant pour les épices que pour d'autres produits alimentaires d'usage courant, cette entreprise occupe une position très importante par rapport aux autres producteurs, ce qui rend d'autant plus sensible la restriction faisant obstacle à la pénétration de concurrents potentiels sur le marché belge et entravant l'expansion des producteurs déjà établis sur ce marché;
Considérant que si, pour les raisons qui viennent d'être exposées, la concurrence des marques d'épices, autres que Liebig, déjà établies sur le marché belge, est entravée par les contrats en cause, la concurrence potentielle des producteurs désirant pénétrer sur ce marché l'est davantage encore;
22. Considérant que les effets de la restriction de concurrence entre les épices de marques différentes sont d'autant plus importants que l'imposition de prix de revente pour les épices Liebig empêche toute compétition entre les épices Liebig;
23. Considérant que la restriction de la concurrence précitée affecte sensiblement le commerce entre Etats membres ; que, en effet, elle influe sur les courants d'échanges, parce qu'elle empêche les producteurs d'épices des autres Etats membres déjà établis sur le marché belge de développer leurs ventes sur ce marché comme ils pourraient le faire en l'absence de cette restriction concernant les magasins les plus importants du pays;
Considérant que les effets de cette restriction sont plus sensibles encore dans le cas d'un producteur d'un autre Etat membre souhaitant s'introduire sur le marché belge ; qu'ils sont donc susceptibles d'empêcher la création d'un courant d'échanges intracommunautaires que d'autres producteurs, comme par exemple McCormick, seraient en mesure d'alimenter;
III. APPLICATION DE L'ARTICLE 85 PARAGRAPHE 3
24. Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 3, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:
- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,
- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et
- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées
qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs;
b) donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
25. considérant que les contrats en cause n'entrent pas dans le champ d'application du règlement 67-67 de la Commission, du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 à certaines catégories d'accords d'exclusivité (6) ; que, en effet, le système de fixation des prix prévu par tous les contrats visés constitue une restriction de concurrence non admise par ledit règlement nº 67-67 dont l'application est dès lors exclue;
Considérant que, d'ailleurs, ces contrats ne contiennent pas d'engagement des distributeurs concernés de n'acheter qu'à Liebig les produits en cause en vue de les revendre ; qu'ils contiennent seulement l'engagement de leur part de ne pas vendre des épices de marques concurrentes de Liebig, sans que cela les empêche de vendre sous leurs propres marques des épices achetées à d'autres producteurs ; que, de plus, ces contrats ont pour effet d'exclure les autres marques, sans apporter aux entreprises concernées et aux utilisateurs les avantages qu'il y a lieu normalement d'attendre d'un contrat d'exclusivité.
26. Considérant que, en outre, ces contrats, qui ont été conclus par la filiale d'une société établie et opérant au Royaume-Uni et qui, d'ailleurs, n'ont pas été notifiés à la Commission, ne peuvent pas bénéficier d'une décision d'inapplicabilité de l'article 85 paragraphe 1 en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 3;
Considérant, en effet, que ces contrats ne remplissent pas les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 3 ; que, en premier lieu, ces contrats ne contribuent pas à améliorer la distribution des produits, car ils sont, au contraire, de nature à produire à cet égard des effets défavorables, dans la mesure où ils empêchent la distribution de plusieurs marques là où celle-ci pourrait s'effectuer dans les meilleures conditions, c'est-à-dire dans quelques grands magasins en libre service;
Considérant que, à supposer qu'une amélioration de la distribution puisse être admise en l'espèce, la Commission n'estime pas qu'une partie équitable du profit qui en résulterait serait alors réservée aux utilisateurs car, comme il a été précédemment indiqué, la plupart des utilisateurs d'épices sont non seulement privés de la possibilité de choisir entre un certain nombre de marques différentes et d'opter ainsi pour les marques les moins chères, mais ils ne peuvent pas non plus bénéficier, en raison du système des prix imposés à la revente, des avantages d'une concurrence entre épices d'une même marque au stade de la distribution;
Considérant, d'ailleurs, que l'obligation faite par ces contrats aux trois distributeurs en cause de respecter les prix imposés à la revente ne leur permet pas, de toute façon, de répercuter sur les consommateurs une partie quelconque des avantages financiers substantiels que lesdits contrats procurent à ces distributeurs;
IV. APPLICATION DE L'ARTICLE 3 PARAGRAPHE 1 DU RÈGLEMENT Nº 17
27. Considérant que, aux termes de l'article 3 paragraphe 1 du règlement nº 17, si la Commission constate, sur demande ou d'office, une infraction aux dispositions de l'article 85 du traité, elle peut obliger, par voie de décision, les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée;
Considérant que la Commission constate, en application des dispositions de cet article, que l'obligation des distributeurs figurant au point 12 ci-dessus constitue une infraction aux dispositions de l'article 85 du traité CEE;
Considérant que la Commission estime que le groupe Liebig et les entreprises GB, Delhaize frères et Sarma doivent, par conséquent, mettre fin sans délai à cette infraction,
A ARRÊTE LA PRESENTE DECISION:
Article premier
La clause des contrats de distribution pour la Belgique, conclus par le groupe Brooke Bond Liebig Ltd, par l'intermédiaire de sa filiale Brooke Bond Liebig Benelux NV, avec les entreprises GB-Inno-BM SA, établissements Delhaize frères et Cie Le Lion SA et Sarma-Penney Ltd, interdisant à ces dernières de vendre dans leurs magasins des épices autres que celles produites par Liebig et celles offertes sous leur propre marque, constitue une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne.
Article 2
Les sociétés visées à l'article 3 ci-dessous sont tenues de mettre fin sans délai à l'infraction visée à l'article 1er.
Article 3
La présente décision est destinée à
- Brooke Bond Liebig Limited à Londres,
- Brooke Bond Liebig Benelux NV à Anvers,
- GB-Inno-BM SA à Bruxelles,
- Delhaize frères et Cie "Le Lion" SA à Bruxelles,
- Sarma-Penney Ltd à Bruxelles.
(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.
(2) JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.
(3) Ne sont pas considérés comme aliments secs ceux, par exemple, de boucherie, de crémerie, de boulangerie, de pâtisserie.
(4) Hypermarché : point de vente fonctionnant en libre service d'une surface minimale de 2 500 m2; Supermarché : point de vente fonctionnant en libre service d'une surface minimale de 400 m2.
(5) Statistiques extraites de l'enquête annuelle du comité belge de la distribution sur les magasins d'alimentation générale en libre service, publiée dans la revue Distribution d'aujourd'hui, novembre 1976.
(6) JO nº 57 du 25.3.1967, p. 849/67.