CJCE, 13 novembre 1975, n° 26-75
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
General Motors Continental (NV)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lecourt
Avocat général :
M. Mayras
Juges :
MM. Donner, Mertens de Wilmars, Pescatore, Sorensen, Mackenzie Stuart, O'Keeffe
Avocat :
Me Waelbroeck.
LA COUR,
1. Attendu que, par requête enregistrée au greffe de la Cour le 7 mars 1975, la société General Motors continental NV a demandé l'annulation de la décision du 19 décembre 1974 (JO 1975, n° L. 29, p. 14), par laquelle la Commission a constaté à sa charge une infraction à l'article 86 du traité CEE et lui a infligé, de ce chef, une amende de 100 000 unités de compte, soit 5 000 000 francs belges, en raison du fait que la requérante aurait demandé, entre le 15 mars et le 31 juillet 1973 à l'occasion de l'importation de cinq véhicules automobiles construits dans un autre Etat membre, un prix abusivement élevé pour contrôler leur conformité aux spécifications du procés-verbal d'agréation du type correspondant établi par les autorités belges, contrôle qu'elle doit effectuer en tant que mandataire unique, en Belgique, du constructeur (fonction désignée ci-après par l'expression "contrôle de conformité");
2. Que la requérante a invoqué contre cette décision des moyens portant sur la violation des règles de l'article 86, des formes substantielles et de l'article 15, paragraphes 2 et 5, du règlement du Conseil n° 17, du 6 février 1962 (JO 1962, p. 204);
3. Qu'il convient d'examiner en premier lieu les moyens de fond tirés de l'article 86, qui soulèvent la question de savoir si la requérante occupe, au regard du contrôle de conformité, une position dominante au sens de l'article 86 et, dans l'affirmative, si sa façon d'agir a constitué une exploitation abusive de cette position;
Quant à la position dominante
4. Attendu que la requérante fait valoir en premier lieu que, contrairement à ce qui est affirmé dans la décision litigieuse, l'activité concernant les demandes d'agréation des types de véhicules et la délivrance de certificats de conformité ne serait pas de nature à constituer une position dominante au sens de l'article 86;
5. Qu'en effet, cette activité, loin de représenter un marché en soi, ne serait qu'un accessoire du marché des voitures automobiles, dont le caractère ouvert et hautement compétitif ne saurait être nié;
6. Que, dès lors, les dispositions de l'article 86 ne seraient pas applicables aux redevances dont la perception a été réprimée par la décision de la Commission, l'incidence de celles-ci ne pouvant être appréciée que par rapport au marché de l'automobile dans son ensemble, sur lequel la requérante n'occuperait pas une position dominante;
7. Attendu que le contrôle de conformité qui a donné lieu aux perceptions litigieuses est, par nature, une fonction de droit public déléguée par l'Etat belge dans des conditions telles que, pour chaque marque automobile, l'accomplissement de cette fonction est réservé exclusivement au constructeur ou à son mandataire unique, désigné par l'autorité publique;
8. Que l'Etat, tout en confiant cette mission de contrôle à des entreprises privées, n'a cependant pris aucune disposition à l'effet de déterminer ou limiter la redevance perçue en contrepartie de la prestation accomplie;
9. Que cette exclusivité légale, combinée avec la liberté, pour le constructeur ou le mandataire unique, de déterminer le prix de sa prestation entraîne ainsi la constitution d'une position dominante au sens de l'article 86, le contrôle de conformité ne pouvant être exécuté, sur le territoire belge, pour une marque donnée, que par le constructeur ou mandataire officiellement désigné, aux conditions fixées unilatéralement par lui;
10. Qu'il apparaît dès lors que le moyen tiré par la requérante de l'absence, dans son chef, de toute position dominante doit être écarté;
Quant à l'exploitation abusive
11. Attendu qu'on ne saurait exclure la possibilité, de la part du détenteur de la position d'exclusivité ci-dessus décrite, d'une exploitation abusive du marché, par la détermination du prix - en ce qui concerne une prestation qu'il est seul en mesure de fournir - au détriment de tout acquéreur d'un véhicule automobile importé d'un autre Etat membre et soumis aux prescriptions sur le contrôle de conformité;
12. Qu'un tel abus pourrait consister, notamment, dans la perception d'un prix exagéré par rapport à la valeur économique de la prestation fournie, ayant pour effet de freiner les importations parallèles, du fait qu'elle neutraliserait le niveau éventuellement plus favorable des prix pratiqués dans d'autres zones de vente dans la Communauté, ou qu'elle conduirait à des transactions non équitables au sens de l'article 86, alinéa 2, lettre a);
13. Attendu que la requérante fait cependant valoir à cet égard que le comportement qui lui est reproché n'aurait pas constitué une "exploitation abusive" au sens de l'article 86;
14. Qu'elle expose à cet effet un ensemble d'arguments tirés des circonstances concrètes dans lesquelles la redevance litigieuse a été perçue et, ultérieurement, restituée en majeure partie dans les cinq cas relevés par la Commission;
15. Attendu que la question de savoir s'il y a eu exploitation abusive de la position dominante occupée par la requérante doit être appréciée au regard de l'ensemble des faits concrets qui ont donné lieu à la décision de la Commission;
16. Qu'il n'est pas contesté que, dans les cinq cas relevés par celle-ci et qui se situent dans une période allant du 15 mars au 31 juillet 1973, la requérante a perçu une redevance dont le montant était largement exagéré par rapport à la valeur économique de la prestation fournie au titre du contrôle de conformité;
17. Attendu que la requérante fait cependant valoir à ce sujet que les contrôles auxquels elle a procédé au cours de cette époque constituaient pour elle une activité inhabituelle, en ce sens qu'elle n'a dû assumer cette responsabilité qu'à partir du 15 mars 1973, date à laquelle les stations de contrôle de l'Etat ont été déchargées des mêmes contrôles;
18. Que ceux-ci n'ayant constitué, pour elle, qu'une activité occasionnelle - d'importance infime par rapport aux contrôles qu'elle effectue couramment sur les véhicules mis directement par elle-même sur le marché et donc construits en conformité des normes imposées par la législation belge - les services responsables auraient appliqué la redevance qui était jusque-là habituelle pour le contrôle effectué sur les véhicules par elle importés;
19. Que la requérante attire encore l'attention sur la circonstance qu'à la suite des réclamations élevées par les intéressés, elle a très rapidement abaissé la redevance exigée pour le contrôle de véhicules importés de construction européenne à un niveau plus conforme au coût réel de l'opération et restitué le trop-perçu aux intéressés, à une époque antérieure aux investigations de la Commission;
20. Attendu qu'on ne saurait voir dans ce comportement de la requérante, dont la réalité n'est pas contestée par la Commission, une "exploitation abusive" au sens de l'article 86;
21. Que la requérante a en effet expliqué à suffisance de droit dans quelles conditions, pour faire face à une nouvelle responsabilité transférée des stations de contrôle de l'Etat aux constructeurs ou mandataires des différentes marques automobiles en Belgique, elle a été amenée, pendant une période initiale, à appliquer aux voitures européennes un tarif qui était habituel pour l'importation de véhicules de provenance américaine;
22. Que l'absence d'exploitation abusive est encore démontrée par le fait que la requérante a ensuite, très rapidement, rapproché ses tarifs du coût économique effectif et qu'elle en a tiré également les conséquences, en remboursant les personnes qui avaient introduit des réclamations auprès d'elle, et ceci avant toute intervention de la Commission;
23. Que, si la décision litigieuse peut s'expliquer par le désir de la Commission de réagir énergiquement contre toute velléité d'exploitation abusive d'une position dominante clairement établie, son intervention ne se justifiait cependant pas dans les circonstances concrètes de temps et de fait au regard desquelles elle a eu lieu;
24. Que, dans ces conditions, la décision litigieuse doit être annulée, mais qu'il y a lieu de compenser les dépens de l'instance;
Sur les dépens
25. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie pour des motifs exceptionnels.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1) La décision de la Commission, du 19 décembre 1974, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV-28.851-General Motors Continental) est annulée;
2) Chaque partie supportera ses propres dépens.