CJCE, 1 octobre 1975, n° 25-75
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Van Vliet Kwasten en Ladderfabriek (NV)
Défendeur :
Fratelli Dalle Crode (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lecourt
Présidents de chambre :
MM. Mertens de Wilmar, Mackenzie, Stuart
Avocat général :
M. Reischl
Juges :
MM. Donner, Monaco (rapporteur), Pescatore, Kutscher, Sorensen, O'Keeffe
Avocats :
Mes Phijffer, Teixeira de Mattos.
LA COUR,
1. Attendu que, par jugement du 18 février 1975, parvenu au greffe de la Cour le 7 mars 1975, le Gerechtshof (cour d'appel) d'Arnhem a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions concernant l'interprétation de l'article 85 du traité CEE ainsi que de l'article 3 du règlement n° 67-67 de la Commission du 22 mars 1967 (JO 1967, n° 57) ;
2. Que ces questions concernent la compatibilité avec les dispositions du droit communautaire en matière de concurrence, de contrats de vente exclusive conclus entre un fabricant et un concessionnaire, établis dans les Etats membres différents, en vertu desquels le fabricant s'engage à interdire aux intermédiaires et utilisateurs établis dans son Etat de vendre les produits visés au contrat à destination du territoire concédé ;
3. Que, par la première question, il est demandé si de tels contrats tombent sous les prévisions de l'article 3 du règlement n° 67-67 et sont, dès lors, exclus du bénéfice de la déclaration d'inapplicabilité du paragraphe 1 de l'article 85 du traité, dont bénéficient, en vertu de l'article 1 du règlement n° 67-67, certaines catégories de contrats ;
4. Que, par la deuxième question, il est demandé si la réponse à la première question peut varier selon que les intermédiaires et utilisateurs, établis dans le territoire concédé, ont ou non la possibilité réelle d'acquérir les produits dont il s'agit ailleurs dans le Marché commun, en dehors de l'Etat membre du fabricant, et selon qu'ils se prévalent ou non d'une telle possibilité ;
5. Attendu qu'en raison des liens existant entre ces deux questions, il convient de les examiner conjointement ;
6. Attendu que le règlement n° 67-67 de la Commission du 22 mars 1967, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords d'exclusivité, définit, à son article 1, les accords auxquels les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité sont déclarées inapplicables ;
7. Qu'ainsi qu'il résulte des sixième et septième considérants du règlement, l'inapplicabilité de l'article 85, paragraphe 1, du traité aux accords d'exclusivité de la catégorie ainsi définie trouve sa justification dans les avantages que de tels accords offrent, dans l'état actuel du commerce, pour l'amélioration et la continuité de l'approvisionnement ainsi que pour le maintien du régime de la concurrence, au profit notamment des petites et moyennes entreprises ;
8. Que, toutefois, les neuvième et dixième considérants de ce même règlement constatent qu'" il y a lieu de subordonner l'exemption à certaines conditions ", en vue d'assurer aux utilisateurs les avantages résultant de la distribution exclusive et de garantir la concurrence au stade de la distribution ;
9. Qu'à cet effet, l'article 3 du règlement prévoit que les dispositions de l'article 1, paragraphe 1, ne sont pas applicables lorsque
"...
b) Les contractants restreignent la possibilité pour les intermédiaires ou utilisateurs de se procurer les produits visés au contrat auprès d'autres revendeurs à l'intérieur du Marché commun, en particulier lorsque les contractants
1)...
2) ...prennent des mesures en vue d'entraver l'approvisionnement de revendeurs ou d'utilisateurs en produits vises au contrat ailleurs dans le marché commun ou la vente desdits produits par ces revendeurs ou utilisateurs dans le territoire concédé " ;
10. Qu'il ressort de cette disposition que le règlement n° 67-67, s'il admet que l'article 85, paragraphe 1, du traité, est inapplicable à certaines catégories d'accords d'exclusivité relatifs aux échanges entre Etats membres, exige cependant que de tels accords n'aient pas pour effet de restreindre les possibilités d'approvisionnement en produits concernés à l'intérieur de la Communauté et n'aboutissent pas à des répartitions de marchés, contraires aux principes fondamentaux du Marché commun ;
11. Qu'aux termes de la disposition précitée, les conditions justifiant la non-application de l'article 85, paragraphe 1, ne sont réunies que si l'accord d'exclusivité ne fait pas obstacle à la possibilité d'importations parallèles ;
12. Attendu qu'il ressort de la décision de renvoi que le contrat de vente exclusive litigieux impose au fabricant l'obligation d'interdire aux revendeurs et utilisateurs établis dans son Etat d'exporter ou de faire exporter les produits en cause vers le territoire concédé ;
13. Que ce contrat, stipulant ainsi que l'une des parties doit prendre des mesures en vue d'entraver la vente des produits considérés, dans le territoire concédé, par les revendeurs et utilisateurs établis dans l'Etat membre du fabricant, relève d'une des hypothèses prévues à l'article 3 b), alinéa 2, du règlement n° 67-67 ;
14. Qu'une telle stipulation, entraînant pour le tiers une atteinte à sa liberté d'action, va au-delà des restrictions qui peuvent être imposées dans le cadre d'un accord d'exclusivité susceptible d'échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité ;
15. Qu'en outre, en excluant la possibilité d'importations parallèles, cet engagement a pour effet de restreindre les possibilités d'approvisionnement des intermédiaires et utilisateurs établis dans le territoire concédé ;
16. Que, même à supposer que les intermédiaires et utilisateurs établis dans le territoire concédé aient des possibilités réelles - qu'ils en profitent ou non - de se procurer les produits en cause dans le Marché commun, en dehors de l'Etat du fabricant, l'absence, en raison de ladite restriction, d'importations parallèles pour une quantité considérable de ces produits, fait tomber l'accord d'exclusivité sous les dispositions de l'article 3 du règlement précité ;
17. Attendu, en conséquence, qu'un contrat de vente exclusive conclu entre un fabricant, établi dans un Etat membre, et un concessionnaire, établi ailleurs dans le Marché commun, relève de l'article 3 du règlement n° 67-67-CEE de la Commission, dès lors qu'il prévoit l'obligation pour le fabricant d'interdire aux intermédiaires et utilisateurs établis dans son Etat d'exporter ou de faire exporter les produits concernés vers le territoire concédé et qu'il a pour effet de rendre impossible, pour les intermédiaires et utilisateurs établis dans ce territoire, d'acquérir une quantité considérable desdits produits, directement à partir de l'Etat du fabricant ;
18. Qu'un tel contrat tombe sous les dispositions de l'article 3 du règlement n° 67-67, même si les intermédiaires et utilisateurs établis dans le territoire concédé ont des possibilités réelles - qu'ils en profitent ou non - d'acquérir les produits visés au contrat dans le Marché commun, en dehors de l'Etat du fabricant ;
19. Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement et que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le gerechtshof d'Arnhem par jugement du 18 février 1975, dit pour droit :
1) Un contrat de vente exclusive conclu entre un fabricant, établi dans un Etat membre, et un concessionnaire, établi ailleurs dans le Marché commun, relève de l'article 3 du règlement n° 67-67-CEE de la Commission, dès lorsqu'il prévoit l'obligation pour le fabricant d'interdire aux intermédiaires et utilisateurs établis dans son Etat d'exporter ou de faire exporter les produits concernés vers le territoire concédé et qu'il a pour effet de rendre impossible, pour les intermédiaires et utilisateurs établis dans ce territoire, d'acquérir une quantité considérable desdits produits, directement à partir de l'Etat du fabricant ;
2) Un tel contrat tombe sous les dispositions de l'article 3 du règlement n° 67-67 même si les intermédiaires et utilisateurs établis dans le territoire concédé ont des possibilités réelles - qu'ils en profitent ou non - d'acquérir les produits visés au contrat dans le Marché commun, en dehors de l'Etat du fabricant.