CJCE, 15 mai 1975, n° 71-74
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nederlandse Vereniging voor fruit en groentenimporthandel, Nederlandse Bond van grossiers in zuidvruchten en ander geimporteerd fruit "Frubo"
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Vereniging de Fruitunie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lecourt
Présidents de chambre :
MM. Mertens de Wilmars, Mackenzie Stuart
Avocat général :
M. Warner
Juges :
MM. Donner, Monaco, Pescatore, Kutscher, Sorensen, O'Keeffe (rapporteur)
Avocats :
Mes Ellis, ter Kuile, de Jonge.
LA COUR,
1 Attendu que, par recours déposé au greffe de la Cour le 23 septembre 1974, la Nederlandse Vereniging voor fruit en groentenimporthandel et le Nederlandse Bond van grossiers in zuidvruchten en ander geimporteerd fruit " Frubo " ont demandé l'annulation de la décision de la Commission, du 25 juillet 1974, leur faisant grief d'avoir commis une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du Traité CEE ;
2 Attendu que les requérantes ont, en 1952, conclu un accord concernant l'organisation d'un système de ventes aux enchères pour les agrumes frais produits en dehors de la Communauté et les pommes et poires d'origine non européenne importés aux Pays-Bas, accord auquel ont été apportées depuis lors plusieurs modifications d'importance mineure, et qui a fait l'objet, le 8 février 1968, d'une plainte d'un grossiste néerlandais, présentée conformément à l'article 3, paragraphe 2 b), du règlement n° 17 relatif à l'application des articles 85 et 86 du Traité CEE ;
3 Que l'article 9 dudit accord, seul en cause en l'espèce, oblige les grossistes à négocier les produits litigieux par l'intermédiaire d'une criée d'importation, à moins qu'ils n'aient été achetés à un grossiste-importateur établi dans un autre État membre de la CEE, où ils ont été effectivement amenés, déchargés et dédouanés, l'exigence du déchargement ayant été supprimée dans la dernière proposition d'amendement des requérantes adressée à la Commission le 24 juin 1974 ;
4 Que, malgré l'exception prévue et l'amendement proposé, la décision attaquée considère la clause litigieuse comme constitutive d'une violation de l'article 85 ;
Quant au premier moyen de forme
5 Attendu que les requérantes font valoir que la défenderesse n'a pas statué sur l'applicabilité du règlement n° 26 du conseil, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles, dans le respect de la procédure prévue par ce règlement ;
6 Que la défenderesse soutient que si, à l'occasion d'une décision d'application de l'article 85 à des produits agricoles, elle suit la procédure du règlement n° 17 et détermine que l'accord à propos duquel l'exemption est demandée ne relève pas du règlement n° 26, les droits des requérantes n'en sont pas affectés ;
7 Attendu qu'en application de l'article 42 du Traité CEE, l'article 1 du règlement n° 26 dispose que la production et le commerce des produits agricoles sont soumis aux prescriptions de l'article 85 ;
8 Que, cependant l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 26 dispose que " l'article 85, paragraphe 1, du traité est inapplicable aux accords, décisions et pratiques visés à l'article précédent qui font partie intégrale d'une organisation nationale de marché ou qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité " ;
9 Qu'aux termes du paragraphe 2 du même article 2, " après avoir consulté les États membres et entendu les entreprises ou associations d'entreprises intéressées, ainsi que toute autre personne physique ou morale dont l'audition lui parait nécessaire, la Commission, sous réserve du contrôle de la Cour de justice, a compétence exclusive pour constater, par une décision qui est publiée, pour quels accords, décisions et pratiques les conditions prévues au paragraphe 1 sont remplies " ;
10 Que, selon le paragraphe 3 du même article, " la Commission procède à cette constatation soit d'office, soit sur demande d'une autorité compétente d'un État membre ou d'une entreprise ou association d'entreprise intéressé " ;
11 Attendu que ce serait obliger la Commission à pratiquer un formalisme excessif et à retarder inutilement l'instruction des affaires concernées que d'exiger qu'elle consulte les États membres même dans le cas où elle n'éprouve pas de doute quant à la non-applicabilité des exceptions prévues au règlement n° 26 ;
Quant au deuxième moyen de forme
12 Attendu que les requérantes reprochent à la Commission, d'une part, de n'avoir adressé sa première communication des griefs du 12 novembre 1969 qu'à leurs membres et non à elles-mêmes et, d'autre part, d'avoir, après la seconde communication des griefs du 19 novembre 1973, poursuivi la procédure sur la base du nouveau libellé de l'article 9 de l'accord tel que rédigé après la modification du 21 février 1974;
13 Attendu que les requérantes ne sauraient prétendre qu'elles n'ont pas été informées par les entreprises qu'elles regroupent, puisque ce que la communication des griefs mettait en cause était bien l'accord conclu entre les deux associations;
14 Que, par ailleurs, la modification du 21 février 1974, par sa nature, n'exigeait pas une nouvelle communication des griefs ;
Quant au troisième moyen de forme
15 Attendu que les requérantes font valoir que, depuis 1961, la Commission se serait servie des criées néerlandaises pour opérer des sondages en vue de la fixation des prix de référence pour les fruits et légumes ;
16 Que, dès lors, elle ne saurait émettre des objections à l'accord sans déroger aux principes de bonne administration et commettre un détournement de pouvoir ;
17 Attendu que la Commission pouvait utiliser les renseignements de prix fournis par les criées de Rotterdam comme éléments statistiques lui permettant de gérer la politique agricole commune, sans pour autant légitimer les conditions mises par l'accord à l'activité des grossistes participant aux ventes aux enchères ;
Quant au quatrième moyen de forme
18 Attendu que les requérantes reprochent à la défenderesse de ne pas avoir tenu compte des assurances données par le directeur de la direction " ententes et position dominantes " dans sa lettre du 21 décembre 1971, sur la compatibilité d'une version modifiée de l'accord avec les exigences de l'article 85, paragraphe 3 ;
19 Attendu que, par cette lettre, le directeur général de la concurrence, prenant acte de certaine modification à l'accord que les requérantes étaient disposées à accepter, déclare qu'à son avis l'accord ainsi modifié, malgré la restriction de concurrence subsistant, pourrait bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3 ;
20 Qu'exprimée en ces termes, l'opinion formulée ne pouvait créer l'impression d'un engagement de la part de la Commission, le signataire n'étant d'ailleurs pas autorisé à prendre un tel engagement ;
21 Attendu que dès lors les moyens de forme doivent être rejetés ;
Quant au premier moyen de fond
22 Attendu que selon les requérantes la décision attaquée, en refusant d'appliquer à l'accord litigieux l'article 2 du règlement n° 26, motif pris de ce que cet accord ne serait pas nécessaire à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39, aurait violé tant ledit article 2 que les articles 39, 40 et 85 du traité ;
23 Que la stabilisation des marchés dont il est question à l'article 39 ne viserait pas seulement l'adaptation de l'offre à la demande en vue d'assurer l'écoulement de la production communautaire, mais que le commerce des produits importés de pays tiers relèverait également des alinéas c), d) et e) dudit article ;
24 Qu'en effet l'accord aurait pour conséquence favorable de concentrer l'offre et la demande de fruits importés des pays tiers dans les criées d'importation de Rotterdam, et d'assurer ainsi la stabilité du marché, la sécurité des approvisionnements et la recherche de prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs ;
25 Attendu, cependant, que l'exemption prévue à l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 26 ne s'applique qu'aux accords " nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité " ;
26 Que les requérantes n'ont pas démontré en quoi leur accord, portant sur des produits venant de pays tiers, pourrait être nécessaire pour " accroître la productivité de l'agriculture " ni pour " assurer . . . un niveau de vie équitable à la population agricole ", qui sont les deux premiers objectifs de la politique agricole commune ;
27 Que, dès lors, la Commission pouvait à juste titre estimer que l'article 2 du règlement n° 26 était inapplicable ;
Quant au deuxième moyen de fond
28 Attendu que les requérantes contestent que l'accord passé entre elles soit, comme le qualifierait la décision attaquée, un accord entre entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1 ;
29 Que, selon elles, un accord entre associations ne peut être rangé sous cette disposition que s'il a réellement créé des obligations directement contraignantes entre les entreprises affiliées, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce puisque seules les associations elles-mêmes peuvent contraindre leurs affiliés à exécuter les obligations que l'accord leur impose ;
30 Attendu que l'article 85, paragraphe 1, s'applique aux associations dans la mesure où leur activité propre ou celle des entreprises qui y adhèrent tend à produire les effets qu'il vise;
31 Qu'admettre une autre interprétation aurait pour effet de priver l'article 85, paragraphe 1, de portée réelle;
32 Qu'en tant qu'association d'entreprises, les requérantes sont donc soumises aux dispositions de l'article 85;
Quant aux troisième et quatrième moyens de fond
33 Attendu que les requérantes reprochent à la décision attaquée d'affirmer que l'article 9 de l'accord a pour objet et pour effet de restreindre la concurrence à l'intérieur du Marché Commun et d'affecter le commerce entre États membres ;
34 Que, selon elles, les grossistes membres de l'association peuvent importer eux-mêmes aux Pays-Bas en dehors des criées des agrumes commercialisés par des tiers dans d'autres États membres et qui, s'ils proviennent de pays tiers, y ont été dédouanés ;
35 Que les importateurs établis dans d'autres États membres ont accès aux criées de Rotterdam ;
36 Attendu que la défenderesse, de même que la partie intervenante, l'association " Fruitunie ", regroupant des grossistes ayant présenté une plainte conformément à l'article 3, paragraphe 2 b), du règlement n° 17, ont donné de nombreux exemples prouvant que les grossistes néerlandais sont empêchés d'accéder eux-mêmes au rôle d'importateur, et que les importateurs établis dans les autres pays de la Communauté ne peuvent, sans passer par les criées, acheminer les fruits et les légumes vers un grossiste néerlandais soumis aux dispositions de l'accord, ce qui serait particulièrement dommageable dans le cas de ceux qui sont installés aux frontières des Pays-Bas ;
37 Attendu que l'accord interdit à tout grossiste néerlandais participant aux criées d'importation d'acheter des agrumes s'ils n'ont pas déjà été importés par des tiers dans un autre pays membre de la Communauté où ils ont été dédouanés ;
38 Que cette clause, en restreignant la liberté des adhérents d'importer directement dans les Pays-Bas, est susceptible de détourner les courants commerciaux de leur orientation naturelle et d'affecter ainsi le commerce entre pays membres ;
39 Que, dès lors, tous les moyens de fond doivent être rejetés ;
Quant au premier moyen de fond invoqué à titre subsidiaire
40 Attendu que, selon les requérantes, la décision aurait enfreint l'article 85, paragraphe 3, en affirmant que l'obligation de vendre aux enchères ne serait pas indispensable pour obtenir les avantages découlant de l'accord, à savoir une diminution des frais de transport et de commercialisation et des prix à l'importation plus avantageux ;
41 Qu'en effet ces avantages ne sauraient être obtenus que par le moyen de l'obligation litigieuse ;
42 Attendu que si les requérantes ont avancé des arguments susceptibles de démontrer que les avantages en cause sont renforcés par l'obligation de l'article 9 de l'accord, elles n'ont pas pour autant démontré que celle-ci est indispensable pour assurer le fonctionnement du système établi par l'accord et partant les avantages qui peuvent en découler ;
43 Que, dès lors, compte tenu de la marge d'appréciation dont dispose la Commission dans cette matière, il n'a pas été établi que la motivation de la décision attaquée serait inexacte ;
Quant au deuxième moyen de fond invoqué à titre subsidiaire
44 Attendu que, selon les requérantes, la décision aurait violé l'article 85, paragraphe 3, en jugeant à tort que l'accord litigieux donne la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ;
45 Que, selon elles, l'obligation de vente publique figurant dans l'accord n'entravant pas la concurrence directe sur le marché néerlandais, une telle entrave n'existerait pas pour une partie substantielle de l'offre des produits en cause ;
46 Attendu que le présent grief reprenant en substance les troisième et quatrième griefs de fond qui ont été rejetés, il n'y a pas lieu de les examiner à nouveau ;
47 Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;
48 Que les requérantes ayant succombé en tous leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1) le recours est rejeté.
2) les requérantes supporteront l'ensemble des dépens.