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CCE, 14 décembre 1972, n° 72-457

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

ZOJA/CSC - ICI

CCE n° 72-457

14 décembre 1972

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 86, vu le règlement nº 17 du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 3 et 15, vu la demande présentée à la Commission le 8 avril 1971 par la société Laboratorio Chimico Farmaceutico Giorgio Zoja SpA (ZOJA) ayant pour objet l'engagement d'une procédure visant à constater des infractions aux articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, commises par plusieurs sociétés, parmi lesquelles la Commercial Solvents Corporation, à New York (CSC) et l'Istituto Chemioterapico Italiano, à Milan (ICI), après avoir entendu les sociétés CSC et ICI, conformément à l'article 19 du règlement nº 17 et aux dispositions du règlement nº 99-63-CEE (2), vu l'avis du Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli, conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 24 novembre 1972,

I

Considérant les faits suivants :

A. Matières premières (Nitropropane, Aminobutanol Nobutanol)

Le 1-nitropropane (nitropropane) est un composé résultant de la nitration de la paraffine et constitue le produit de base pour la production, à l'échelle industrielle, du 2-amino-1-butanol (aminobutanol),

L'aminobutanol, outre ses applications limitées en tant qu'émulsionnant, constitue le produit de base pour la production à l'échelle industrielle du dextroéthambutol (éthambutol), composé utilisé dans le traitement de la tuberculose pulmonaire,

Le groupe à la tête duquel se trouve la société CSC de New York, détient actuellement le monopole mondial de la production, à l'échelle industrielle, et de la vente des produits dérivant de la nitration de la paraffine, parmi lesquels le nitropropane et l'aminobutanol.

Bien que les brevets de base relatifs aux méthodes de production du nitropropane soient tombés dans le domaine public, la nécessité de développer des recherches extrêmement longues et coûteuses dans le domaine du savoir-faire, le coût élevé et la technologie complexe des installations, la difficulté de trouver de nouveaux débouchés pour les trois autres produits dérivant de la nitration de la paraffine (2-nitropropane, nitrométhane, nitroéthane), constituent des obstacles majeurs à la pénétration d'autres entreprises sur le marché du nitropropane et sont la raison de l'existence du monopole en question.

La Commission n'a pu obtenir les renseignements qu'elle avait demandés à CSC, et notamment les données relatives à sa production de nitropropane et d'aminobutanol. Toutefois, compte tenu de la capacité de production de ses installations, telle qu'elle ressort des publications en la matière, on peut calculer que la production annuelle de nitropropane se chiffre au moins à 2 500 tonnes.

L'aminobutanol peut être obtenu sans grande difficulté à partir du nitropropane. Toutefois les utilisateurs ont jusqu'alors préféré s'approvisionner en aminobutanol produit par CSC.

Le groupe CSC exporte le nitropropane dans le Marché commun et, jusqu'en 1970, il y a livré l'aminobutanol par l'intermédiaire de distributeurs indépendants ou d'entreprises filiales. En particulier, il a approvisionné le marché italien en produits de ce genre jusqu'au début de 1970 par l'intermédiaire de sa filiale ICI.

B. Produit dérivé (Ethambutol)

L'éthambutol est un produit qui, depuis 1967, est largement utilisé dans le traitement de la tuberculose pulmonaire. Il est utilisé en association avec les autres produits antituberculeux.

Dans le Marché commun opèrent actuellement cinq producteurs d'éthambutol dont trois importants. Le prix du produit non conditionné a été jusqu'il y a peu d'environ 7,5 à 8 UC par gramme. Les producteurs importants utilisent une partie de leur production pour la fabrication de leurs propres spécialités pharmaceutiques ; ils vendent le reste à des laboratoires pharmaceutiques.

Ces producteurs sont : le groupe American Cynamid Company (ACC) New Jersey (USA) par l'intermédiaire de sa filiale Cyanamid Italia, Catane, la société Zoja, et, depuis 1970, le groupe CSC par l'intermédiaire d'ICI.

- le ACC est le producteur le plus important. Sa filiale, Cyanamid Italia, produit l'éthambutol qui est distribué en Europe et en particulier dans les États membres presque exclusivement par la filiale Cyanamid Specialties Corp. de Zürich ;

- ICI vend, en pratique seulement en Italie, en partie ses spécialités, en partie l'éthambutol non conditionné, à des laboratoires pharmaceutiques italiens, et, pour l'exportation, à des distributeurs indépendants ;

- ZOJA commercialise sa production dans le Marché commun et dans les pays tiers. Les ventes d'éthambutol représentent une part extrêmement élevée de son chiffre d'affaires ;

ZOJA exporte en France par l'intermédiaire de distributeurs indépendants et, en 1971, elle a également commencé d'exporter vers l'Allemagne.

L'éthambutol, sous forme de spécialités pharmaceutiques, a été introduit en 1967 sur le marché mondial et dans le Marché commun, presque simultanément par le groupe ACC (myambutol) et ZOJA (Etibi) ;

En 1971 et 1970 les ventes d'éthambutol (tant non conditionné que sous forme de spécialités) de ces trois producteurs dans les États membres ont été les suivantes:

EMPLACEMENT TABLEAU

En 1971 et 1970 les livraisons globales aux pharmacies des spécialités à base d'éthambutol dans les États membres ont atteint les quantités suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les prix des spécialités pratiqués pour les hôpitaux varient d'un producteur à l'autre et sont, en général, très inférieurs à ceux des spécialités en pharmacie. Les ventes aux hôpitaux ne font pas l'objet de statistiques précises, mais portent sur un volume bien plus important que les ventes en pharmacie ;

C. CSC et sa filiale ICI

ICI est une société par actions italienne qui exerce son activité dans le secteur chimique et pharmaceutique. En 1970 son chiffre d'affaires s'est élevé à 5 534 millions de lires ;

En 1962, CSC, qui est une société opérant pour l'essentiel dans le même secteur, a acquis 51 % du capital social d'ICI ;

Le conseil d'administration d'ICI est actuellement composé de 10 membres dont 5 sont au service de CSC où ils occupent de hautes fonctions de direction. Le "président et directeur" de CSC est également président de ce conseil d'administration.

Le comité exécutif d'ICI se compose de 6 membres, dont 3 représentants de CSC.

Dans son rapport d'activité pour 1972, CSC indique d'ailleurs qu'ICI est une des filiales ("our subsidiary") et dans son rapport d'activité pour 1970 il est mentionné que les laboratoires d'ICI constituent la base de la recherche de CSC en Europe.

ICI abstraction faite de son activité de fabricant de produits chimiques et pharmaceutiques, agit ou a agi comme distributeur de divers produits de CSC à l'exclusion de toute autre entreprise. Parmi ces produits ont figuré, jusqu'en 1970, le nitropropane et l'aminobutanol.

D. Rapports commerciaux entre CSC et ICI d'une part et ZOJA de l'autre

Depuis 1966 le principal client d'ICI pour l'aminobutanol a été la société ZOJA qui, tant sur la base de contrats annuels de livraison que sur commandes séparées, a acheté les quantités suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

Au cours du mois de mai 1969, ICI communiqua à ZOJA que CSC avait décidé une augmentation générale du prix de l'aminobutanol qui faisait passer le prix fixé dans son contrat en cours avec ZOJA de 2 435 à 2 850 lires le kg. ZOJA accepta cette augmentation, bien que la possibilité n'en ait pas été prévue dans le contrat lui-même.

En 1968 et 1969, ICI négocia avec ZOJA une fusion entre les deux sociétés. Les négociations se sont conclues par un résultat négatif à la fin de 1969.

En novembre 1969, ZOJA pouvait encore orienter ses choix entre les diverses sources d'approvisionnement, en fonction de critères de convenance économique, car la matière première était disponible chez des distributeurs indépendants à des prix inférieurs à ceux qui étaient pratiqués par ICI.

ZOJA décida alors de discuter avec ICI du renvoi des livraisons ou de la réduction définitive des quantités prévues par le contrat conclu le 11 mars 1969, pour se tourner vers des sources d'approvisionnement plus avantageuses. ZOJA et ICI aboutirent facilement en 1970 à un accord sur la renonciation définitive de ZOJA à la troisième livraison de 20 000 kg prévue audit contrat de livraison.

En effet, à la fin de 1969 et au cours de la première moitié de 1970, ZOJA put encore acquérir auprès de différents distributeurs italiens et étrangers des quantités relativement importantes d'aminobutanol à des prix inférieurs à ceux pratiqués par ICI.

A partir du deuxième semestre de 1970, l'aminobutanol et le nitropropane commencèrent soudain à se raréfier sur le marché pour disparaître complètement en peu de temps. ZOJA s'adressa à de nombreux commerçants du Marché commun et de pays tiers, recevant toujours une réponse négative. Certaines des entreprises auxquelles ZOJA s'était adressée expliquèrent qu'elles ne possédaient plus de matière première car CSC avait interrompu ses livraisons, d'autres que l'exportation de ces produits ainsi que leur vente pour usage pharmaceutique leur étaient interdites.

En juillet et octobre 1970, ICI acheta à un producteur d'éthambutol, la société Bulciago de Côme, au total 35 000 kg environ de nitropropane qu'elle a revendu comme émulsionnant à divers petits fabricants de peinture, en exigeant de ceux-ci l'engagement de ne pas le revendre pour usage pharmaceutique. Certaines de ces livraisons ont été effectuées au début de 1971 et la dernière le 20 avril 1971.

Par lettre du 18 novembre 1970, ZOJA fit à ICI une demande de fourniture d'aminobutanol portant, pour 1971, sur une quantité de 120 000 kg. ICI se réserva de soumettre cette demande à CSC et, le 12 janvier 1971, répondit à ZOJA que CSC l'avait informé de "ne plus disposer de 2 aminobutanol pour la vente".

Les tentatives ultérieures de ZOJA, dans le courant de 1971, auprès d'entreprises situées dans le Marché commun ou dans des pays tiers, en vue d'obtenir la matière première aboutirent au même résultat négatif que l'année précédente. Les recherches menées auprès d'entreprises, d'ambassades italiennes et de l'Institut pour le commerce extérieur (ICE) dans des États membres et dans des pays tiers ramenaient inévitablement à une unique source d'approvisionnement, à savoir CSC.

Le 8 avril 1971, ZOJA a soumis à la Commission une demande d'engagement d'une procédure visant à constater les infractions suivantes aux articles 85 et 86 du traité de la CEE par CSC, ICI, ACC, Cyanamid Italia et d'autres distributeurs de CSC dans le Marché commun : accord entre les groupes ACC et CSC pour la répartition du marché mondial de l'éthambutol, boycottage de la plaignante et interdictions d'exporter imposées pour l'aminobutanol et le nitropropane.

A la suite d'une dernière demande d'aminobutanol ou de nitropropane de la part de ZOJA, le 11 octobre 1971, ICI a répondu, le 26 octobre 1971, n'avoir "aucune disponibilité de ces produits" et que "depuis un certain temps notre fournisseur, Commercial Solvents Corporation, nous a fait savoir qu'il ne disposait plus, pour nous, de ces produits".

Jusqu'à ce jour, ZOJA a pu poursuivre sa production, bien qu'à un rythme réduit.

Toutefois, quand ses réserves seront épuisées, elle sera obligée de cesser la production d'éthambutol, si elle ne parvient pas à s'assurer, entre-temps, un approvisionnement régulier.

II

A. Applicabilité de l'article 86 conjointement aux sociétés CSC et ICI considérées comme un groupe

Considérant que CSC détient le pouvoir de contrôle d'ICI, puisqu'elle détient 51 % de son capital social, ce qui lui permet d'exercer en permanence une action déterminante sur la formation de la volonté sociale et donc sur la gestion d'ICI, étant donné que l'assemblée générale, par le vote favorable d'un nombre d'actionnaires représentant plus de la moitié du capital social, a notamment le pouvoir de nommer les administrateurs, de délibérer sur leurs responsabilités, d'approuver le bilan ;

Considérant d'ailleurs, que l'article 2359 du Code civil italien donne, en matière d'achat d'actions par des sociétés contrôlées, une définition du contrôle qui repose sur le même principe ;

Considérant que la composition du conseil d'administration et du comité exécutif d'ICI indique bien que CSC exerce effectivement son contrôle sur ICI ; qu'en effet, cinq des dix membres du conseil d'administration d'ICI sont des représentants de CSC où ils détiennent d'importants postes de direction ; qu'en particulier, le président de CSC est également président de ce conseil d'administration ; que, par ailleurs, parmi les six membres du comité exécutif, trois sont des représentants de CSC, ce qui laisse entrevoir l'intention de CSC de suivre de près, au jour le jour, les affaires mêmes courantes d'ICI ;

Considérant, d'autre part, qu'il est également significatif que CSC indique dans ses rapports annuels qu'ICI est une de ses filiales, qui constitue la base de ses recherches en Europe, ce qui ne saurait se dire d'entreprises dans lesquelles on aurait simplement investi des capitaux à titre de placement financier ;

Considérant en outre que l'interdiction, faite en 1970, par CSC à ses distributeurs de nitropropane et d'aminobutanol dans certains pays de revendre ces produits pour la fabrication d'éthambutol, ou de les exporter, indique dans le cas d'espèce l'intention d'éviter que ZOJA puisse s'approvisionner en matière première, et montre à quel point CSC surveille de près l'activité de ZOJA depuis l'échec des pourparlers en vue d'une fusion, ce qui contribue à rendre invraisemblable que CSC s'abstienne et se soit abstenue d'exercer en fait son pouvoir de contrôle à l'égard d'ICI, pour ce qui est du comportement de cette société sur le marché des produits en cause ; qu'il est notamment invraisemblable qu'une opération aussi délicate que la tentative d'absorption ci-dessus rappelée se soit déroulée sans le contrôle de CSC, laquelle était gênée par le comportement de ZOJA sur le marché mondial plus encore qu'ICI, et notamment sans la participation des représentants de CSC au conseil d'administration et au comité exécutif ; on peut donc conclure que CSC détient le pouvoir de contrôle d'ICI et l'exerce effectivement, à tout le moins en ce qui concerne les rapports avec ZOJA, de sorte qu'à cet égard il n'y a pas lieu de distinguer entre la volonté et les actes de CSC et ceux d'ICI ; que dès lors, il convient de traiter les sociétés CSC et ICI comme ne formant, dans leurs relations avec ZOJA, et aux fins de l'application de l'article 86, qu'une seule et même entreprise ou entité économique, ci-après dénommée : "groupe CSC - ICI".

B. Position dominante du groupe CSC - ICI

Considérant que le groupe CSC - ICI détient une position dominante dans le Marché commun pour la matière première nécessaire à la production de l'éthambutol ;

Considérant en effet que ce groupe jouit d'un monopole mondial pour la production et la vente de nitropropane et d'aminobutanol;

Considérant qu'à l'heure actuelle il n'est pas possible de recourir, dans des conditions de compétitivité économique, à des méthodes de fabrication sur une échelle industrielle de l'éthambutanol basées sur l'emploi de matières premières différentes de celles susmentionnées ;

Considérant par conséquent que le nitropropane et l'aminobutanol constituent la matière première indispensable pour la production de l'éthambutol ;

Considérant enfin que le groupe CSC-ICI, dans la mesure où il jouit d'un monopole mondial pour la production et la vente de cette matière première, détient une position dominante pour cette matière première aussi dans le Marché commun.

C. Exploitation abusive de la position dominante

Considérant que le groupe CSC - ICI exploite de façon abusive sa position dominante ;

Considérant, en effet, que le groupe a cessé de fournir la matière première à l'un des principaux utilisateurs ;

Considérant que ce comportement est de nature à provoquer l'élimination d'un des principaux producteurs d'éthambutol du Marché commun et porte ainsi une atteinte grave au maintien de conditions de concurrence effectives au sein du Marché commun lui-même ;

Considérant qu'il constitue dès lors un abus de position dominante au sens de l'article 86;

Considérant, par ailleurs, que le comportement en cause limite les débouchés de la matière première ainsi que la production de l'éthambutol et constitue donc l'une des pratiques abusives expressément interdites par ledit article ;

Considérant qu'on peut, pour la détermination des effets du comportement visé, considérer le marché de l'éthambutol comme un marché en soi pour les raisons suivantes :

- d'études et de publications autorisées dans le domaine de la tuberculose pulmonaire, y compris celles qui ont été élaborées par ICI, il ressort que l'éthambutol entre dans les compositions thérapeutiques modernes les plus fréquemment utilisées dans le traitement de cette maladie;

- du fait même que l'éthambutol est utilisé en association avec les autres produits antituberculeux, il résulte qu'il est plutôt complémentaire que concurrent de ces produits;

- dans un secteur comme celui des produits antituberculeux, qui n'est pas en expansion et en dépit de l'apparition d'un nouvel antibiotique utilisable également dans la thérapeutique antituberculeuse, le maintien à un haut niveau des ventes d'éthambutol confirme davantage encore le caractère négligeable des possibilités de remplacement de ce produit dans les compositions thérapeutiques modernes;

- en conclusion,s'il n'est pas possible d'exclure une éventualité quelconque de remplacement de l'éthambutol par d'autres produits antituberculeux, celle-ci serait en tous cas extrêmement limitée à l'heure actuelle et, par conséquent, tout à fait insuffisante, eu égard aux arguments exposés ci-dessus, pour exclure l'existence d'un marché de l'éthambutol;

Considérant que l'affirmation du groupe CSC-ICI d'après laquelle ses possibilités de fournir la matière première sont limitées, ne peut être prise en considération, car elle n'est étayée ni par des données relatives à la production ni par des motifs à cette limitation;qu'au contraire la capacité de production des installations de CSC permet d'affirmer qu'elle peut satisfaire à la demande de ZOJA, étant donné que cette dernière représente un pourcentage assez faible (approximativement 5-6 %) de la production globale de nitropropane de CSC ;

Considérant que l'offre d'éthambutol non conditionné, faite le 15 mai 1972 par ICI à ZOJA, n'est pas susceptible de mettre fin à l'infraction constatée ; qu'en effet, l'éventuel approvisionnement de ZOJA en éthambutol par ICI ou des tiers ne pourrait d'abord réintroduire ZOJA sur le marché en tant que producteur d'éthambutol ; qu'en outre, en ce qui concerne le marché de la spécialité, cette solution, du fait de la dépendance de ZOJA, pour l'approvisionnement en éthambutol - et donc pour la politique de vente de la spécialité - de ses concurrents, empêcherait ZOJA de rester concurrentielle sur le marché de cette spécialité.

D. Préjudice causé au commerce intracommunautaire

Considérant que cette exploitation abusive porte atteinte au commerce de l'éthambutol entre les États membres ;

Considérant qu'en effet il existe au sein du Marché commun des débouchés importants pour l'éthambutol, en particulier l'Italie, la France et l'Allemagne, comme il est confirmé par les chiffres indiqués ci-avant;

Considérant que ZOJA exporte sur le marché français etque, depuis 1971, elle a commencé d'approvisionner le marché allemand sur lequel opérait jusqu'alors un seul producteur, le groupe ACC;

Considérant donc qu'il existe des courants d'échange actuels et, surtout, potentiels entre États membres;

Considérant que l'élimination de ZOJA porterait ainsi préjudice aux courants d'échanges actuels ou potentiels;

Considérant que l'existence de brevets d'autres entreprises, en particulier du groupe ACC, dans la majeure partie des États membres n'est pas de nature à exclure tout commerce entre États membres pour les motifs suivants :

- afin de constater l'existence d'un commerce actuel et potentiel entre États membres, la Commission doit tenir compte en premier lieu des conditions existant sur le marché ;

- les brevets d'ACC font l'objet d'une procédure judiciaire dans laquelle ils sont opposés aux brevets de ZOJA concernant la même matière, à savoir l'éthambutol et les méthodes de fabrication de ce produit. Aucun jugement n'étant intervenu, la Commission ne dispose pas d'éléments permettant de constater que les brevets d'ACC seraient valides à l'encontre de ceux de ZOJA :

- dans un procès intenté en France par ACC contre le laboratoire Sobio, utilisateur de l'éthambutol produit par ZOJA, et au cours duquel une demande de reconventionnelle avait été présentée, les brevets d'ACC ont été invalidés par jugement en première instance du Tribunal de grande instance de Paris, le 22 juin 1971, confirmé le 20 mai 1972 par la Cour d'appel de Paris ; en vertu de cet arrêt, ZOJA peut légitimement exporter en France ;

Considérant que, dans ces circonstances, la cessation de l'approvisionnement de ZOJA en nitropropane et en aminobutanol par le groupe CSC-ICI affecte le commerce entre États membres, en exerçant une influence directe sur le courant d'échanges entre ces États d'une manière susceptible de nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique.

III

A. Applicabilité de l'article 15 paragraphe 2

Considérant qu'aux termes de l'article 15 paragraphe 2, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes variant d'un minimum de mille à un maximum d'un million d'unités de compte, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 ou de l'article 86 du traité ;

Considérant que le groupe CSC-ICI, et notamment les sociétés auxquelles est destinée la présente décision, commettent au moins par négligence une infraction de l'article 86 ;

Considérant en effet qu'elles savaient ou, en tout cas, n'auraient pas dû ignorer que le comportement en question constitue une infraction aux règles de concurrence établies par le traité et entre de ce fait dans le champ d'application de l'article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17 ; que sont ainsi réunies les conditions d'application de l'article en question ;

Considérant que l'intention de ces sociétés d'éliminer la concurrence au moyen de ce comportement, considérée comme abusif, résulte des éléments suivants :

- la cessation des fournitures à ZOJA est intervenue au moment même où le groupe CSC-ICI, après une tentative de fusion non réussie avec cette entreprise, décidait d'agir directement sur le marché de l'éthambutol ;

- le groupe a interdit à certains distributeurs indépendants de matière première, l'exportation de celle-ci ainsi que sa vente pour usage pharmaceutique ;

- alors même que la matière première s'était déjà raréfiée et qu'ICI avait cessé son activité de distributeur de cette matière pour agir exclusivement comme producteur d'éthambutol, cette société a acheté une quantité importante de nitropropane devenue soudainement disponible sur le marché italien et l'a revendue par petites quantités à de nombreux fabricants de peinture (la dernière livraison a été effectuée le 20 avril 1971) auxquels il a interdit la revente pour usage pharmaceutique ; ICI a ainsi empêché l'approvisionnement de ZOJA ;

- cette intention se trouve du reste confirmé dans une déclaration faite, lors de l'audition du 15 mai 1972, par un représentant légal d'ICI. Ce dernier, en réponse à une demande d'explication concernant l'interdiction imposée par ICI à la revente du nitropropane pour usage pharmaceutique a déclaré que cette interdiction a été imposée afin d'éviter que le produit en question soit introduit dans des marchés importants pour l'éthambutol, c'est-à-dire dans les pays en voie de développement ;

- à ce propos, l'argument selon lequel ZOJA ne pourrait prétendre obtenir du nitropropane, étant donné qu'avant le 11 octobre 1971, elle n'avait jamais demandé cette matière première mais seulement de l'aminobutanol, ne semble pas fondé ; en effet, le groupe CSC-ICI savait, ou de toute façon n'aurait pas dû ignorer que ZOJA, comme du reste les autres utilisateurs, aurait été en mesure de subvenir, en cas de nécessité, à ses propres besoins d'aminobutanol en recourant à la transformation du nitropropane ; en tout cas, le groupe s'est toujours refusé à fournir à ZOJA le nitropropane, même après avoir été informé, le 9 juillet 1971, par la Commission de la plainte déposée par cette société, plainte qui concernait également le refus de fournir du nitropropane ;

Considérant que, par conséquent, la Commission peut infliger une amende aux entreprises en cause et tient pour opportun de le faire, en considération de l'importance et des circonstances de l'infraction constatée.

B. Gravité et durée de l'infraction

Considérant que, pour déterminer le montant de l'amende, la Commission, conformément à l'article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17, doit tenir compte de la gravité de l'infraction ainsi que de la durée de celle-ci,

Considérant que l'infraction dont s'est rendu coupable le groupe CSC-ICI est particulièrement grave pour les motifs suivants :

- la disparition du marché de l'éthambutol de l'un des principaux producteurs restreindrait considérablement la concurrence effective dans le Marché commun étant donné que :

- le fait que la cessation des fournitures par le fait de CSC a été soudaine et étendue au marché de nombreux pays tiers est de nature à amener l'élimination totale de ZOJA en tant qu'entreprise, vu que son activité est basée pour une partie extrêmement importante sur la production d'éthambutol, et à rendre ainsi plus difficile le rétablissement sur le marché de conditions de concurrence équivalentes à celles qui y existent actuellement ;

- le caractère soudain et imprévisible de la cessation des fournitures ne peut pas être contesté par l'argument que ZOJA a renoncé, d'accord avec ICI à la livraison d'une certaine quantité de matière première prévue dans le contrat alors en cours ; en effet, jusqu'à la première moitié de 1970, ZOJA pouvait facilement obtenir la matière première auprès de divers commerçants même à des prix inférieurs à ceux qui étaient pratiqués par ICI. Dès lors, rien ne pouvait laisser supposer qu'au cours de la seconde moitié de cette même année il ne lui aurait plus été possible d'obtenir une livraison quelconque, ni dans le Marché commun ni dans les pays tiers ;

Considérant qu'en ce qui concerne la durée de l'infraction, il importe de prendre en considération la période durant laquelle se sont manifestés les effets nocifs du comportement abusif ; que ces effets se sont manifestés pour la première fois à la suite de la demande de livraison annuelle de ZOJA à ICI du 18 novembre 1970 ; qu'un comportement, comme celui dont il est question, qui a pour effet de priver une entreprise de tout approvisionnement en matière première pour plus de deux années, constitue une infraction d'une durée particulièrement longue ;

Considérant que, sur la base d'une évaluation de l'ensemble des éléments susmentionnés, la Commission estime devoir infliger une amende de 200 000 unités de compte solidairement aux deux sociétés auxquelles est destinée la présente décision ;

Considérant, en ce qui concerne la manière dont il devra être mis fin à l'infration constatée, la nécessité de prévoir la livraison immédiate à ZOJA d'une certaine quantité de matière première susceptible, compte tenu de la dernière demande de ZOJA, de satisfaire les besoins les plus urgents de cette entreprise ; que, d'autre part, il est opportun, pour assurer le maintien de conditions de concurrence effectives, que ZOJA puisse bénéficier d'un approvisionnement à plus long terme ;

Considérant que la présente décision ne préjuge pas l'ouverture d'une procédure visant à constater les infractions à l'article 85 dénoncées par ZOJA,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

La cessation à partir de novembre 1970, des fournitures à la société ZOJA de matière première pour la production d'éthambutol constitue, à la charge des sociétés Commercial Solvents Corporation et Istituto Chemioterapico Italiano, une infraction à l'article 86 du traité instituant la CEE.

Article 2

Les sociétés Commercial Solvents Corporation et Istituto Chemioterapico Italiano sont tenues de mettre fin à l'infraction constatée à l'article 1er.

A cette fin :

- elles sont tenues de fournir immédiatement

60 000 kg de nitropropane ou

30 000 kg d'aminobutanol à un prix ne dépassant pas le prix maximum qu'elles pratiquent pour ces deux produits ;

- elles soumettront à l'approbation de la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des propositions relatives à l'approvisionnement ultérieur de ZOJA.

Article 3

1. La Commission inflige solidairement aux sociétés Commercial Solvents Corporation et Istituto Chemioterapico Italiano, au titre de l'infraction relevée à l'article 1er ci-dessus, une amende de 200 000 unités de compte, soit 125 000 000 de lires.

2. Cette amende doit être versée à la Commission dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente décision.

Article 4

1. L'obligation de fournir édictée à l'article 2 ci-dessus est assortie à la charge solidairement des sociétés Commercial Solvents Corporation et Istituto Chemioterapico Italiano d'une astreinte de 1 000 unités de compte, soit 625 000 lires, par jour de retard à dater du 31e jour qui suivra celui de la notification de la présente décision.

2. L'obligation de soumettre des propositions à la Commission, édictée à l'article 2 ci-dessus, est assortie à la charge solidairement des sociétés Commercial Solvents Corporation et Istituto Chemioterapico Italiano d'une astreinte de 1000 unités de compte, soit 625 000 lires, par jour de retard.

Article 5

La présente décision forme titre exécutoire pour les sociétés Commercial Solvents Corporation et Istituto Chemioterapico Italiano, conformément aux dispositions de l'article 192 du traité instituant la CEE.

Article 6

La présente décision est destinée à :

- Commercial Solvents Corporation, New York (États-Unis d'Amérique)

- Istituto Chemioterapico Italiano, Milan (Italie).

(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

(2) JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.