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Décisions

CJCE, 17 octobre 1972, n° 8-72

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vereeniging van Cementhandelaren

Défendeur :

Commission des communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lecourt

Présidents de chambre :

MM. Monaco, Pescatore (rapporteur)

Avocat général :

M. Mayras

Juges :

MM. Donner, Kutscher

Avocats :

Mes Ellis, Ter Kuile.

CJCE n° 8-72

17 octobre 1972

LA COUR,

1. Attendu que, par requête enregistrée au greffe de la Cour le 21 février 1972, la Vereeniging van Cementhandelaren (association néerlandaise de négociants en ciment) a demandé l'annulation de la décision du 16 décembre 1971 (JO 1972, L. 13, p. 34) par laquelle la Commission a constaté l'incompatibilité avec l'article 85, paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, d'un ensemble de décisions de l'association requérante, rejeté la demande d'exemption introduite par la même association, au titre de l'article 85, paragraphe 3 et enjoint à la requérante de mettre fin immédiatement à l'infraction constatée ;

2. Que la requérante a invoqué des moyens relatifs à l'objet de la décision, la violation de formes substantielles, la violation des dispositions du traité et le défaut de motivation ;

Sur l'objet de la décision litigieuse

3. Attendu que la requérante fait valoir que, dès avant la décision du 16 décembre 1971, elle aurait, le 7 décembre 1971, intégralement supprimé le système de " prix imposés " pour les livraisons de ciment en quantités inférieures à 100 tonnes ;

4. Qu'en raison du lien existant entre ce système et la fixation de " prix indicatifs " pour les livraisons de ciment de 100 tonnes et plus, la décision aurait perdu son objet ;

5. Attendu que la décision litigieuse a été prise à l'encontre des réglementations internes de l'association requérante telles qu'elles avaient été communiquées par cette dernière en vue de l'application de l'article 85, paragraphe 3, et fait l'objet de la communication des griefs et de la procédure administrative ;

6. Qu'au moment où elle a procédé à la suppression des prix imposés pour les livraisons inférieures à 100 tonnes, la requérante savait que, la procédure étant terminée, une décision de la Commission était imminente ;

7. Qu'il lui aurait appartenu d'avertir sans retard la Commission du changement introduit dans sa réglementation interne pour que celle-ci puisse, éventuellement, en tirer les conséquences appropriées ;

8. Que, dans ces conditions, la requérante ne saurait invoquer ce changement intervenu sur sa propre initiative pour mettre en cause la décision de la Commission ;

9. Que le grief doit donc être rejeté ;

Sur la violation de formes substantielles

10. Attendu que la requérante soutient que la communication des griefs, visée à l'article 2 du règlement n° 99-63 de la Commission, serait irrégulière parce que signée non par un membre de la Commission, mais par le directeur général de la concurrence, par délégation ;

11. Attendu qu'il est constant que le directeur général de la concurrence s'est borné à signer la communication des griefs que le membre de la Commission compétent pour les problèmes de concurrence, dans l'exercice des pouvoirs que la Commission lui avait delégués, avait préalablement approuvée;

12. Que ce fonctionnaire a donc agi dans le cadre, non pas d'une délégation de pouvoirs, mais d'une simple délégation de signature qu'il avait reçue du membre de la Commission;

13. Qu'une telle délégation constitue une mesure relative à l'organisation interne des services de la Commission, conforme à l'article 27 du règlement intérieur provisoire arrêté en vertu de l'article 7 du traité du 8 avril 1965 instituant un Conseil unique et une Commission unique;

14. Que le moyen tiré, à l'encontre de la décision litigieuse, d'une prétendue irrégularité formelle de la communication des griefs ne saurait donc être retenu;

Sur le fond

a) Atteinte au jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun

15. Attendu que la requérante soutient qu'après l'élimination du système de " prix imposés " - qui n'aurait été appliqué qu'à une fraction peu importante des transactions - ils ne subsisterait qu'un système de " prix indicatifs " ;

16. Que ces prix indicatifs, d'ailleurs mal respectés en fait, loin de constituer une contrainte pour les adhérents, ne représenteraient en réalité qu'une base de calcul qui laisserait largement intacte la liberté, pour chacun des adhérents, de calculer ses prix suivant les données de chaque marché individuel ;

17. Que, de toute manière, les écarts des prix de production étant peu considérables dans la branche en question, la concurrence jouerait principalement sur les autres éléments des transactions, tels que la qualité des produits et les services à la clientèle ;

18. Attendu que l'article 85, paragraphe 1 du traité désigne expressément comme incompatibles avec le marché commun les ententes qui consistent à " fixer de façon directe ou indirecte les prix ... de vente ou d'autres conditions de transaction " ;

19. Que, si un régime de prix de vente imposés est manifestement contraire à cette disposition, le régime des " prix indicatifs " l'est tout autant ;

20. Qu'on ne saurait en effet supposer que les clauses de l'entente relative à la détermination des prix indicatifs seraient dénuées de toute portée utile ;

21. Qu'en effet, la fixation d'un prix même simplement indicatif affecte le jeu de la concurrence par le fait qu'il permet à tous les participants de prévoir avec un degré raisonnable de certitude quelle sera la politique de prix poursuivie par leurs concurrents ;

22. Que cette prévision est d'autant plus certaine qu'aux dispositions relatives aux " prix indicatifs " est jointe l'obligation de réaliser dans tous les cas un bénéfice démontrable et que ces dispositions doivent, pour le surplus, être considérées dans le cadre de l'ensemble des réglementations internes de l'association requérante caractérisées par une discipline rigoureuse, assortie de contrôles et de sanctions ;

23. Attendu qu'en dehors de la fixation des prix proprement dits, l'entente visée par la décision litigieuse comporte encore un ensemble de clauses restrictives, concernant d'autres conditions de transactions ;

24. Que tel est le cas, notamment, des clauses ayant pour objet d'empêcher la vente de ciment à des commerçants autres que les membres de l'association ou des revendeurs agréés par celle-ci, de prévenir la constitution de stocks de ciment entre les mains de tiers qui ne seraient pas soumis à la discipline de l'association, de limiter strictement les avantages commerciaux pouvant être concédés aux acheteurs et d'empêcher toutes prestations de services à la clientèle qui sortiraient du cadre de ce qui est considéré comme " normal " ;

25. Qu'ainsi, l'examen de l'ensemble des réglementations visées par la décision litigieuse fait apparaître celles-ci comme un système cohérent et rigoureusement organisé, ayant pour objet de restreindre la concurrence entre les adhérents de l'association ;

b) Influence sur le commerce entre États membres

26. Attendu que, selon l'association requérante, l'appréciation de l'entente visée par la décision litigieuse échapperait néanmoins à la compétence de la Communauté en raison du fait qu'il s'agirait d'une entente purement nationale, limitée au territoire néerlandais, qui ne viserait d'aucune manière les importations ou exportations et qui serait, dès lors, sans influence sur les courants d'échanges entre États membres ;

27. Qu'a cet égard, elle fait ressortir plus particulièrement le fait que la production globale de ciment aux Pays-Bas serait loin de couvrir les besoins de l'économie néerlandaise, laissant subsister un large besoin d'importation, qu'il existerait pour le surplus, en dehors de ses adhérents, un nombre important de vendeurs de ciment non affiliés et qu'ainsi le commerce intracommunautaire ne risquerait pas d'être affecté ;

28. Attendu que, selon l'article 85, paragraphe 1, toute entente ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, est incompatible avec le traité dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le commerce entre États membres ;

29. Qu'une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité et assurant une protection à la production nationale;

30. Que, spécialement, les dispositions de l'entente liant entre eux les membres de l'association requérante autant que l'exclusion, par celle-ci, de toutes ventes à des revendeurs non agrées par elle rendent plus difficile l'action ou la pénétration, sur le marché néerlandais, de producteurs ou de vendeurs des autres États membres;

31. Qu'il apparaît dès lors que l'objection tirée du fait que le commerce entre États membres ne serait pas susceptible d'être affecte par les décisions de l'association requérante doit être écartée;

32. Qu'il résulte de ce qui précède que les griefs fondés sur une prétendue violation des règles du traité doivent être rejetés ;

Sur le défaut de motivation

33. Attendu que la requérante soulève encore le grief d'une insuffisance de motivation de la décision litigieuse ;

34. Que cette critique vise essentiellement la circonstance que, si le dispositif de la décision concerne un ensemble de réglementations comprenant les dispositions générales et dispositions en matière de prix (Algemene Bepalingen en Prijsvoorschriften der VCH), les listes de prix I-VI (Prijsbladen I-VI), les conditions générales d'achat et de vente (Algemene Koop - en Verkoopvoorwaarden 1955 FGB-RBB) et les conditions complémentaires d'achat et de vente (Aanvullende Koop - en Verkoopvoorwaarden van de VCH), la motivation, qui se réfère explicitement aux premiers de ces documents, ne permettrait pas de reconnaître les raisons pour lesquelles la Commission a également condamné les " conditions générales " et les " conditions complémentaires d'achat et de vente " ;

35. Attendu que, s'il est vrai que les " conditions générales " et les " conditions complémentaires d'achat et de vente " comportent un certain nombre de clauses commerciales usuelles, étrangères en soi à la matière de l'entente, il n'en reste pas moins que plusieurs dispositions sont susceptibles de jouer un rôle auxiliaire dans le fonctionnement de celle-ci ;

36. Que, pour le surplus, les " dispositions générales et dispositions en matière de prix " dans lesquelles se trouvent concentrées les principales dispositions reconnues contraires aux règles de concurrence du traité, contiennent un renvoi exprès auxdites " conditions générales " et " conditions complémentaires d'achat et de vente " ;

37. Qu'il apparaît dès lors normal que, dans le dispositif de sa décision, la Commission ait visé l'ensemble des actes qui, selon la volonté de la requérante elle-même, doivent former un tout cohérent ;

38. Que, dans sa motivation, la Commission a désigné de manière explicite celles des dispositions, dans l'ensemble des actes cités, qui se trouvent en opposition avec les exigences de l'article 85, paragraphe 1 ;

39. Qu'il appartiendra à la requérante, au moment de procéder à la révision de sa réglementation interne en vue de la rendre conforme aux règles de concurrence de la Communauté, de déterminer les clauses devant être éliminées comme contraires au traité et celles qui pourront subsister ;

40. Que, dès lors, le grief tiré du défaut de motifs doit être rejeté ;

Quant aux dépens

41. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2 du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

42. Que la partie requérante a succombé en ses moyens ;

43. Qu'elle doit donc être condamnée aux dépens de l'instance ;

Par ces motifs,

LA COUR

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

1) le recours est rejeté ;

2) la requérante est condamnée aux dépens de l'instance.