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Décisions

CJCE, 25 novembre 1971, n° 22-71

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Béguelin Import Co Bruxelles, Béguelin Import Co. France (SA)

Défendeur :

SAGL Import Export, Marbach (Consorts), Gebrueder Marbach (GmbH)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lecourt

Présidents de chambre :

MM. Mertens de Wilmars, Kutscher (rapporteur)

Avocat général :

M. Dutheillet de Lamothe

Juges :

MM. Donner, Trabucchi, Monaco, Pescatore

Avocats :

Mes Weill, Arendt, Chahouar.

CJCE n° 22-71

25 novembre 1971

LA COUR :

1. Attendu que, par jugement du 8 février 1971, parvenu au greffe de la Cour le 29 avril 1971, le Tribunal de commerce de Nice a soumis à la Cour deux questions tendant à l'interprétation de l'article 85 du traité CEE ainsi que du règlement n° 67-67 de la Commission (JO du 25 mars 1967, p. 849) ;

Sur la première question

2. Attendu que la première question vise des accords non notifiés à la Commission, par lesquels un producteur établi dans un pays tiers concède à une entreprise ressortissant à un État membre le droit exclusif de distribuer ses produits sur le territoire de cet État;

3. Que la Cour est notamment invitée à dire si la validité, et l'opposabilité aux tiers, de tels accords se trouvent affectées du fait que le titulaire de la concession, tout en ayant la personnalité morale, ne constitue que la filiale, dépourvue d'autonomie économique, d'une entreprise établie dans un autre État membre et qui a elle-même reçu du même producteur un droit exclusif analogue pour le territoire de ce second État ;

4. Qu'en outre, la question tend à connaître les autres conditions dont la règle communautaire fait dépendre la validité desdits accords et leur opposabilité aux tiers ;

Sur l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, du traité

5. A - Attendu que la première question vise d'abord à savoir si l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, s'étend au fait, pour une société mère établie dans un État membre et titulaire d'un droit de concession de vente exclusive s'étendant à deux États membres, de céder ou de permettre à sa filiale d'acquérir dans le second État membre la concession exclusive pour autant qu'elle concerne le territoire dudit État ;

6. Qu'elle vise ensuite à savoir quelles seraient, dans l'affirmative, les conséquences de pareille violation sur la validité du contrat de concession obtenu par ladite filiale ;

7. Attendu que l'article 85, paragraphe 1, interdit les ententes lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet d'entraver la concurrence ;

8. Que, s'agissant d'un contrat de concession de vente exclusive, cette condition fait défaut lorsque pareille concession est en fait partiellement transférée d'une société mère à une filiale qui, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, ne jouit d'aucune autonomie économique ;

9. Que, dès lors, ces rapports ne peuvent être pris en considération pour apprécier la validité d'un accord de concession exclusive passé entre la filiale et un tiers ;

10. B - Attendu que, pour être incompatible avec le Marché commun et interdit aux termes de l'article 85, un accord doit être "susceptible d'affecter le commerce entre États membres" et avoir "pour objet ou pour effet" de porter atteinte au "jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun" ;

11. Que le fait, par l'une des entreprises participant à l'accord, d'être située dans un pays tiers ne fait pas obstacle à l'application de cette disposition, dès lors que l'accord produit ses effets sur le territoire du Marché commun;

12. Qu'un accord d'exclusivité passé entre un producteur ressortissant à un pays tiers et un distributeur établi dans le Marché commun réunit les deux critères sus-indiqués lorsqu'il fait obstacle, en droit ou en fait, à ce que le distributeur réexporte les produits en cause dans d'autres États membres, ou à ce que ces produits soient importés d'autres États membres dans la zone protégée, et y soient distribués, par des personnes autres que le concessionnaire ou ses clients ;

13. Attendu qu'en vue de juger si tel est le cas, il convient de prendre en considération, non seulement les droits et obligations découlant des clauses de l'accord, mais encore le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe, et notamment l'existence éventuelle d'accords similaires passés par le même producteur avec des concessionnaires établis dans d'autres États membres ;

14. Attendu, plus particulièrement, qu'un accord d'exclusivité est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et peut avoir pour effet d'entraver la concurrence dès lors que le concessionnaire peut empêcher les importations parallèles en provenance d'autres États membres dans le territoire concédé grâce à la combinaison de l'accord avec les effets d'une législation nationale en matière de concurrence déloyale ;

15. Que le concessionnaire ne peut donc se prévaloir d'une telle législation que si le prétendu caractère déloyal du comportement de ses concurrents résulte d'éléments autres que le fait, par ceux-ci, d'avoir procédé à des importations parallèles ;

16. C - Attendu, enfin, que, pour relever de l'interdiction énoncée à l'article 85, l'accord doit affecter de façon sensible le commerce entre États membres et le jeu de la concurrence ;

17. Que, pour juger si tel est le cas, ces éléments doivent être placés dans le cadre réel où ils se produiraient à défaut de l'accord litigieux ;

18. Que, dès lors, pour apprécier si un contrat assorti d'une clause concédant un droit exclusif de vente est justiciable de cet article, il y a lieu de prendre en considération notamment la nature et la quantité limitée ou non des produits faisant l'objet de l'accord, la position et l'importance du concédant et celles du concessionnaire sur le marché des produits concernés, le caractère isolé de l'accord litigieux ou, au contraire, la place de celui-ci dans un ensemble d'accords, la rigueur des clauses destinées à protéger l'exclusivité ou, au contraire, les possibilités laissées à d'autres courants commerciaux sur les mêmes produits par le moyen de réexportations ou d'importations parallèles;

2. Sur l'applicabilité du règlement n° 67-67

19. Attendu qu'aux termes de l'article 1, paragraphe 1, de ce règlement, "l'article 85, paragraphe 1, dudit traité est déclaré inapplicable jusqu'au 31 décembre 1972 aux accords auxquels ne participent que deux entreprises " et qui stipulent, " dans le but de la revente ", soit un engagement exclusif de livraison, soit un engagement exclusif d'achat, soit les deux ;

20. Qu'en vertu de l'article 2, paragraphe 1, du même règlement, il ne peut être imposé au concessionnaire aucune restriction de concurrence que celles previsées dans ledit paragraphe 1 et qui ne comprennent pas l'interdiction de réexporter les produits en cause dans d'autres États membres ;

21. Que le paragraphe 2 du même article énumère, toujours sans faire état de l'interdiction de réexporter, certaines obligations du concessionnaire qui " ne font pas obstacle à l'applicabilité de l'article 1, paragraphe 1, " du règlement ;

22. Que l'exemption collective octroyée par le règlement n° 67-67 ne s'applique donc pas dès lors qu'un accord interdit au concessionnaire de réexporter les produits en cause dans d'autres États membres ;

23. Attendu qu'au surplus, dans les cas où l'accord ne comporte pas une interdiction de réexporter, il convient d'observer qu'aux termes de l'article 3 de ce règlement, un tel accord ne bénéficie pas davantage de ladite exemption si les contractants " restreignent la possibilité pour les intermédiaires ou utilisateurs de se procurer les produits visés au contrat auprès d'autres revendeurs à l'intérieur du Marché commun ", en particulier lorsqu'ils " exercent d'autres droits ou prennent des mesures en vue d'entraver l'approvisionnement de revendeurs ou d'utilisateurs en produits visés au contrat ailleurs dans le Marché commun, ou la vente desdits produits par ces revendeurs ou utilisateurs dans le territoire concédé " ;

24. Que, dès lors, un tel exercice s'oppose également à ce que l'accord passé entre le concessionnaire et le concédant puisse bénéficier de l'exemption prévue à l'article 1, paragraphe 1 , du règlement n° 67-67 ;

3. Sur l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 2, du traité

25. Attendu qu'aux termes de l'article 85, paragraphe 2, du traité, " les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit " ;

26. Que, dès lors, un accord relevant du paragraphe 1 de cet article et n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration d'inapplicabilité individuelle ou collective au titre du paragraphe 3 est frappé de nullité, dans la mesure où son objet ou ses effets sont incompatibles avec l'interdiction énoncée dans ce paragraphe ;

27. Que, si un tel accord, non notifié à la Commission, mais dispensé de notification en vertu de l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 17 de Conseil (JO du 21 février 1962, p. 204 et s.), sort son plein effet aussi longtemps que sa nullité n'a pas été constatée, cette dispense ne s'applique qu'à certains accords auxquels " ne participent que des entreprises ressortissant à un seul État membre ", ou aux accords ayant seulement l'objet ou les effets définis par l'article 4, paragraphe 2, susvisé ;

28. Que les accords en cause ne satisfont ni à l'une, ni à l'autre de ces conditions du fait que l'une des parties contractantes ressortit à un État tiers et que l'objet ou les effets de ces accords diffèrent de ceux visés par la disposition susmentionnée ;

29. Attendu que la nullité visée à l'article 85, paragraphe 2, ayant un caractère absolu, un accord nul en vertu de cette disposition n'a pas d'effet dans les rapports entre les contractants et n'est pas opposable aux tiers;

Sur la deuxième question

30. Attendu que, par la deuxième question, la Cour est invitée à dire si un " processus d'importation " tel qu'il est décrit par la juridiction nationale est incompatible avec l'article 85 du traité, ou bien s'il bénéficie de l'exemption édictée par le règlement n° 67-67 ;

31. Attendu qu'aux termes de l'article 85, paragraphe 1, du traité, l'interdiction énoncée par cette disposition ne concerne des " accords entre entreprises ", des " décisions d'associations d'entreprises " et des " pratiques concertés " que dans la mesure où ces accords, décisions ou pratiques affectent le commerce entre États membres et ont un objet ou un effet anticoncurrentiel ;

32. Qu'une opération d'importation ou d'exportation n'a pas par elle-même pour objet ou pour effet de porter atteinte au jeu de la concurrence au sens de l'article 85 ;

33. Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

34. Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Tribunal de commerce de Nice, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de commerce de Nice par jugement du 8 février 1971 , dit pour droit :

Sur la première question

1) Les rapports entre deux sociétés dont l'une ne jouit d'aucune autonomie économique vis-à-vis de l'autre ne peuvent être pris en considération pour apprécier la validité d'un accord de concession exclusive passé entre la filiale et un tiers ;

2) Un accord d'exclusivité passé entre un producteur ressortissant à un pays tiers et un distributeur établi dans le Marché commun relève de l'interdiction énoncée à l'article 85 du traité, lorsqu'il fait obstacle, en droit ou en fait, à ce que le distributeur réexporte les produits en cause dans d'autres États membres, ou à ce que ces produits soient importés d'autres États membres dans la zone protégée, et y soient distribués par des personnes autres que le concessionnaire ou ses clients ;

Cette dernière condition est notamment remplie dès lors que le concessionnaire peut empêcher les importations parallèles en provenance d'autres États membres dans le territoire concédé grâce à la combinaison de l'accord avec les effets d'une législation nationale en matière de concurrence déloyale ;

3) L'exemption collective octroyée par le règlement n° 67-67 à certaines catégories d'accords ne s'applique pas dès lors qu'un accord interdit au concessionnaire de réexporter les produits en cause dans d'autres États membres ;

4) La nullité prévue à l'article 85, paragraphe 2, du traité ayant un caractère absolu, l'accord affecté n'a pas d'effet dans les rapports entre les contractants et n'est pas opposable aux tiers ;

Sur la deuxième question

5) Une opération d'importation ou d'exportation comme telle ne saurait relever de l'interdiction énoncée à l'article 85, paragraphe 1, du traité.