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Décisions

CJCE, 13 juillet 1966, n° 56-64

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Consten (SARL), Grundig-Verkaufs-GmbH (SARL), Gouvernement de la République italienne, Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne

Défendeur :

Commission de la Communauté économique européenne, Willy Leissner (SA), Unef (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Lassier, Hellmann, Pfeiffer, Lapp, Collin, Franck.

CJCE n° 56-64

13 juillet 1966

LA COUR,

Sur le grief relatif à la qualification de l'acte attaqué

Attendu que la requérante Consten excipe du moyen de violation des formes substantielles, le texte publié au Journal officiel qualifiant l'acte attaqué de directive, alors qu'un tel acte ne peut s'adresser à des particuliers ;

Attendu que, s'agissant d'un acte destiné à des entreprises nommément désignées, seul le texte notifié aux destinataires fait foi ;

Que ce texte porte la formule " la Commission a arrêté la présente décision " ;

Que, dès lors, ce moyen n'est pas fondé ;

Sur les griefs concernant la violation des droits de la défense

Attendu que la requérante Consten reproche à la Commission d'avoir violé les droits de la défense, en ne lui communiquant pas tous les éléments du dossier ;

Que la requérante Grundig soulève le même grief notamment à l'égard de deux notes, émanant d'organismes français et allemands et dont la Commission a tenu compte aux fins de sa décision ;

Attendu que la procédure devant la Commission, concernant l'application de l'article 85 du Traité, est une procédure administrative impliquant que les intéressés soient mis préalablement en mesure de présenter leurs observations sur les griefs que la Commission estime devoir retenir contre eux.

Qu'à cet effet, ils doivent être informés des éléments de fait sur lesquels ces griefs sont fondés ;

Qu'il n'est pas nécessaire cependant que la totalité du dossier soit communiquée ;

Qu'en l'espèce, il apparaît que l'exposé de la Commission du 20 décembre 1963 reprend tous les faits nécessaires pour établir les griefs retenus ;

Que les requérantes ont reçu régulièrement communication de cet exposé et ont pu présenter leurs observations écrites et orales ;

Que la décision attaquée ne retient pas de griefs autres que ceux qui avaient fait l'objet de cette procédure ;

Attendu que la requérante Consten soutient que la décision serait également entachée de violation des droits de la défense, du fait qu'elle ne ferait pas état des principaux moyens allégués par elle devant la Commission, notamment des demandes tendant à obtenir un complément d'instruction ;

Attendu que, dans une telle procédure non juridictionnelle, l'administration n'est pas tenue de motiver le rejet des moyens des parties ;

Que, dès lors, il n'apparaît pas qu'au cours de la procédure devant la Commission, le droit de défense des parties ait été violé ;

Que ce moyen n'est pas fondé ;

Sur le grief concernant la constatation de l'infraction dans le dispositif de la décision

Attendu que le gouvernement allemand soutient le moyen de violation des formes substantielles au motif que la constatation de l'infraction aurait dû être effectuée exclusivement dans les motifs et non dans le dispositif de la décision ;

Attendu que cette constatation constitue la base de l'obligation des parties de mettre fin à l'infraction ;

Que ses effets sur la situation juridique des entreprises concernées ne dépendent pas de sa place dans la décision;

Qu'ainsi, ce grief manque d'intérêt et doit dès lors être rejeté ;

Sur les moyens concernant l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, aux contrats d'exclusivité

Attendu que les requérantes soutiennent que l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, ne s'applique qu'aux ententes dites horizontales ;

Que le gouvernement italien soutient, en outre, que les contrats d'exclusivité ne constitueraient pas des " accords entre entreprises " au sens de cette disposition, les parties n'étant pas sur un pied d'égalité ;

Qu'à l'égard de ces contrats, la liberté de la concurrence ne pourrait être sauvegardée qu'en vertu de l'article 86 du Traité ;

Attendu que ni le libellé de l'article 85, ni celui de l'article 86, ne permet de baser une telle spécialisation de l'un et l'autre de ces articles en fonction de la place des contractants dans les stades économiques ;

Que l'article 85, se référant de façon générale à tous les accords qui faussent la concurrence à l'intérieur du Marché Commun, n'établit aucune distinction entre ces accords, selon qu'ils sont passés entre opérateurs concurrents au même stade ou entre opérateurs non concurrents situés à des stades différents ;

Qu'on ne saurait en principe distinguer là où le Traité ne distingue pas ;

Attendu qu'on ne saurait, en outre, écarter l'éventuelle application de l'article 85 à un accord de concession exclusive, au motif que concédant et concessionnaire ne seraient pas concurrents entre eux et ne se trouveraient pas sur un pied d'égalité ;

Que la concurrence peut être faussée au sens de l'article 85, paragraphe 1, non seulement par des accords qui la limitent entre les parties, mais également par des accords qui empêchent ou restreignent la concurrence qui pourrait s'exercer entre l'une d'elles et les tiers ;

Qu'à cet effet, il est indifférent que les parties à l'accord se trouvent ou non sur un pied d'égalité en ce qui concerne leur position et leur fonction économiques ;

Qu'il doit en être d'autant plus ainsi que, par un tel accord, les parties pourraient chercher, en empêchant ou en limitant la concurrence des tiers sur les produits, à instituer ou garantir à leur profit un avantage injustifié au détriment du consommateur ou de l'usager, contraire aux objectifs généraux de l'article 85 ;

Qu'il est donc possible que, sans entraîner un abus de position dominante, un accord entre opérateurs économiques situés à des stades différents soit susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres et simultanément ait pour but ou pour effet d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence, tombant ainsi sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1;

Attendu, en outre, qu'on comparerait en vain, d'une part, la situation, justiciable de l'article 85, du producteur lié par un accord d'exclusivité au distributeur de ses produits et, d'autre part, celle du producteur intégrant à son entreprise la distribution de ses propres produits par un moyen quelconque, de représentation commerciale par exemple, et échappant à l'article 85;

Que ces situations sont juridiquement distinctes;

Que, d'autre part, elles offrent un intérêt différent, l'efficacité pouvant n'être pas identique entre deux circuits économiques dont l'un est intégré et l'autre pas ;

Que si le libellé de l'article 85 rend l'interdiction applicable, sous réserve d'en remplir les autres conditions, à un accord passé entre plusieurs entreprises et exclut, de ce chef, la situation d'une entreprise unique intégrant son propre réseau de distribution, il n'en résulte pas pour autant que doive être légalisée, par simple analogie économique, d'ailleurs incomplète, et en contradiction avec ledit texte, la situation contractuelle dérivant d'un accord entre une entreprise de production et une entreprise de distribution;

Que d'ailleurs si, dans le premier cas, le Traité a voulu, par l'article 85, respecter l'organisation interne de l'entreprise et ne la mettre en cause éventuellement, par le moyen de l'article 86, qu'au cas où elle atteindrait le degré de gravité d'un abus de position dominante, il ne pouvait avoir la même réserve lorsque les entraves à la concurrence résultent de l'accord intervenu entre deux entreprises différentes et qu'il suffit généralement alors d'interdire;

Attendu enfin qu'un accord entre producteur et distributeur qui tendrait à reconstituer les cloisonnements nationaux dans le commerce entre Etats membres pourrait être de nature à contrarier les objectifs les plus fondamentaux de la Communauté;

Que le Traité, dont le préambule et le texte visent à supprimer les barrières entre Etats et qui, en maintes dispositions, fait montre de sévérité à l'égard de leur réapparition, ne pouvait permettre aux entreprises de recréer de telles barrières ;

Que l'article 85, paragraphe 1, répond à un tel objectif, même s'il s'agit d'accords entre entreprises situées à des stades différents du processus économique ;

Que les moyens susvisés ne sont donc pas fondés ;

Sur le grief tiré du règlement n° 19-65 du Conseil

Attendu que la requérante Grundig soulève la question de savoir si l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, aurait été applicable à l'accord en cause avant l'adoption du règlement n° 19-65 du conseil concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, à certaines catégories d'accords ;

Attendu que ce moyen a été invoqué par la requérante pour la première fois dans la réplique ;

Que la circonstance que ce règlement a été adopté postérieurement à l'introduction du recours ne saurait justifier ce retard ;

Qu'en effet, ce moyen revient en substance à prétendre qu'avant l'adoption de ce règlement la Commission n'aurait pas du faire application de l'article 85, paragraphe 1, faute de pouvoir déjà procéder à des exemptions par catégories d'accords ;

Que cette circonstance préexistant au règlement n° 19-65, celui-ci ne saurait constituer un fait nouveau, au sens de l'article 42 du règlement de procédure, susceptible de justifier la production tardive de ce moyen ;

Qu'il est, dès lors, irrecevable ;

Sur les griefs relatifs à la notion d'" accords susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres "

Attendu que les requérantes et le gouvernement allemand soutiennent que la Commission, se fondant sur une interprétation erronée de la notion d'accord susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, n'a pas démontré que, sans l'accord critique, ce commerce aurait été plus intense ;

Attendu que la défenderesse répond que cette condition de l'article 85, paragraphe 1, serait remplie du moment que, du fait de l'accord, le commerce entre Etats membres se développe sous d'autres conditions qu'il ne l'aurait fait sans la restriction découlant de l'accord, et que l'influence de celui-ci sur les conditions du marché revêt quelque importance ;

Que tel serait le cas en l'espèce, notamment en considération des entraves qui découlent de l'accord en cause dans le Marché Commun en matière d'importation et d'exportation des produits Grundig à destination et en provenance de la France ;

Attendu que la condition susvisée tend à déterminer, en matière de réglementation des ententes, l'empire du droit communautaire par rapport à celui des Etats ;

Que c'est, en effet, dans la mesure où l'accord peut affecter le commerce entre Etats membres que l'altération de la concurrence provoquée par cet accord relève des prohibitions de droit communautaire de l'article 85, alors qu'au cas contraire, elle y échappe ;

Qu'a cet égard, il importe notamment de savoir si l'accord est susceptible de mettre en cause, soit de manière directe ou indirecte, soit actuellement ou potentiellement, la liberté du commerce entre Etats membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre Etats;

Qu'ainsi, la circonstance qu'un accord favorise une augmentation, même considérable, du volume du commerce entre Etats ne suffit pas à exclure que cet accord puisse " affecter " ce commerce dans le sens précisé ci-dessus;

Qu'en l'espèce, le contrat entre Grundig et Consten, d'une part, en empêchant d'autres entreprises que Consten d'importer en France les produits Grundig, et d'autre part, en interdisant à Consten de réexporter ces produits dans d'autres pays du Marché Commun, affecte incontestablement le commerce entre Etats membres ;

Que ces limitations de la liberté du commerce, ainsi que celles pouvant découler pour les tiers du dépôt en France par Consten de la marque Gint, que Grundig appose sur tous ses produits, suffisent à remplir la condition dont il s'agit ;

Que, partant, les griefs soulevés à cet égard doivent être rejetés ;

Sur les griefs concernant le critère de la restriction à la concurrence

Attendu que les requérantes et le gouvernement allemand soutiennent que la Commission ayant restreint son examen aux seuls produits Grundig, la décision serait basée sur une notion erronée de la concurrence et du système d'interdiction établi par l'article 85, paragraphe 1 ;

Que cette notion viserait notamment la concurrence entre produits similaires de différentes marques ;

Que la Commission, avant de déclarer applicable l'article 85, paragraphe 1, aurait dû, en s'inspirant d'une application raisonnable ("Rule of Reason"), considérer les effets économiques du contrat litigieux sur la concurrence entre les différentes marques ;

Que les accords verticaux de représentation exclusive devraient jouir d'une présomption favorable sur le plan de la concurrence et qu'en l'espèce aucun élément ne permettrait d'infirmer cette présomption ;

Qu'au contraire, le contrat en question aurait accru la concurrence entre les produits similaires des différentes marques ;

Attendu que le principe de la liberté de la concurrence concerne les différents stades et aspects de celle-ci ;

Que si la concurrence entre producteurs est généralement plus apparente que celle entre distributeurs de la même marque, il n'en résultera pas pour autant qu'un accord tendant à restreindre cette dernière devrait échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du seul fait qu'il pourrait renforcer la première ;

Attendu par ailleurs qu'aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue dès qu'il apparaît qu'il a pour objet de restreindre, empêcher ou fausser le jeu de la concurrence ;

Que, partant, l'absence, dans la décision attaquée, de toute analyse des effets de l'accord sur le plan de la concurrence entre les produits similaires des différentes marques, ne saurait constituer, par elle-même, un vice de la décision ;

Attendu qu'il reste donc à examiner si c'est à bon droit que la décision attaquée a appliqué l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, à l'accord litigieux, en raison de la restriction de la concurrence ainsi créée sur le plan de la distribution des seuls produits Grundig ;

Que l'infraction constatée par la décision attaquée résulte de la protection territoriale absolue établie par ledit contrat en faveur de Consten sur la base du droit français ;

Que les requérantes ont ainsi voulu éliminer toute possibilité de concurrence au niveau du commerce de gros des produits Grundig sur le territoire visé au contrat par deux moyens principaux ;

Que, d'une part, Grundig s'est engagée à ne pas livrer à des tiers, même indirectement, des produits destinés à la zone visée par le contrat ;

Que la portée restrictive de cet engagement apparaît clairement si on la considère à la lumière de l'interdiction d'exporter qui a été établie à l'égard non seulement de Consten, mais également de tous les autres concessionnaires exclusifs de Grundig, ainsi que des grossistes allemands ;

Que, d'autre part, le dépôt en France par Consten de la marque Gint, que Grundig appose sur tous ses produits, tend à ajouter à la protection inhérente à l'accord litigieux contre le risque d'importations parallèles en France des produits Grundig, celle résultant du droit de la propriété industrielle ;

Qu'ainsi, aucun tiers ne pourrait importer des produits Grundig, en provenance des autres pays membres de la communauté, pour les revendre en France, sans courir des risques sérieux ;

Attendu que c'est à bon droit que la défenderesse a tenu compte de l'ensemble du système ainsi établi par Grundig ;

Qu'en effet, pour caractériser la situation contractuelle, il convient de placer le contrat dans le contexte économique et juridique au vu duquel les parties l'ont conclu, sans que cela puisse être considéré comme une immixtion dans des actes ou situations juridiques ne faisant pas l'objet de la procédure devant la Commission ;

Que la situation constatée ci-dessus aboutit à un isolement du marché français et permet de pratiquer pour les produits en question des prix soustraits à une concurrence efficace ;

Qu'au surplus, pour autant que les efforts des producteurs pour individualiser leurs marques aux yeux des utilisateurs réussissent, l'efficacité de la concurrence entre producteurs tend à diminuer ;

Qu'en raison de l'incidence considérable, sur le prix de revient total, des frais de distribution, il apparaît important que la concurrence entre commerçants soit également stimulée ;

Que les efforts du commerçant sont stimulés par la concurrence entre distributeurs des produits d'une même marque ;

Que l'accord visant ainsi à isoler le marché français des produits Grundig et à maintenir artificiellement, pour les produits d'une marque très répandue, des marchés nationaux distincts au sein de la communauté est donc de nature à fausser la concurrence dans le Marché Commun ;

Que, dès lors, c'est à bon droit que la décision attaquée a considéré que l'accord constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, toute considération ultérieure tant des données économiques (différences de prix entre la France et l'Allemagne, caractère représentatif du type d'appareil envisagé, niveau des frais supportés par Consten) que de l'exactitude des critères dont s'est inspirée la Commission dans ses comparaisons entre la situation des marchés français et allemand, ainsi que d'éventuels effets favorables de l'accord à d'autres égards, ne pouvant de toute façon entraîner, en présence des restrictions susvisées, une solution différente dans le cadre de l'article 85, paragraphe 1 ;

Sur les griefs relatifs à l'étendue de l'interdiction

Attendu que la requérante Grundig et le gouvernement allemand reprochent à la Commission de ne pas avoir exclu de l'interdiction, dans le dispositif de la décision attaquée, les clauses du contrat à l'égard desquelles aucun effet susceptible de restreindre la concurrence n'a été constaté et d'avoir ainsi omis de définir l'infraction ;

Attendu qu'il résulte des motifs de la décision attaquée, ainsi que de son article 3, que l'infraction constatée à l'article 1 du dispositif ne réside pas dans l'engagement de Grundig de ne livrer directement en France qu'à Consten ;

Que cette infraction découle des clauses qui, s'ajoutant à l'octroi de cette exclusivité, tendent à entraver, sur la base du droit interne, les importations parallèles de produits Grundig en France, en établissant une protection territoriale absolue en faveur du concessionnaire exclusif ;

Attendu que la nullité de plein droit édictée par l'article 85, paragraphe 2, s'applique aux seuls éléments de l'accord frappés par l'interdiction, ou à l'accord dans son ensemble si ces éléments n'apparaissent pas séparables de l'accord lui-même ;

Qu'il appartenait donc à la Commission, ou bien de se limiter, dans le dispositif de la décision attaquée, à constater l'infraction dans les seuls éléments de l'accord frappés par l'interdiction, ou bien de préciser dans les motifs les raisons pour lesquelles ces éléments ne lui apparaissaient pas séparables de l'ensemble de l'accord ;

Qu'il résulte cependant de l'article 1 de la décision que l'infraction a été constatée à l'encontre de l'accord dans son ensemble, bien que la Commission n'ait pas motivé à suffisance de droit la nécessité de frapper de nullité l'ensemble de l'accord, dont il n'est pas établi que toutes les clauses constituaient une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1 ;

Que, bien au contraire, la situation, reconnue incompatible avec l'article 85, paragraphe 1, ne résulte pas de l'action conjuguée de toutes les clauses de l'accord et de l'effet global de celui-ci, mais de certaines clauses déterminées du contrat du 1er avril 1957, concernant la protection territoriale absolue, et de l'accord additionnel sur la marque Gint ;

Que l'article 1 de la décision attaquée doit donc être annulé pour autant qu'il étend sans motifs valables, la nullité de l'article 85, paragraphe 2, à toutes les clauses de l'accord ;

Quant aux moyens concernant la constatation de l'infraction relative à l'accord sur la marque Gint

Attendu que les requérantes reprochent à la Commission d'avoir violé les articles 36, 222 et 234 du Traité CEE et d'avoir en outre dépassé les limites de sa compétence en déclarant que l'accord sur le dépôt en France de la marque Gint sert à assurer la protection territoriale absolue en faveur de Consten et en excluant de ce fait, à l'article 3 du dispositif de la décision attaquée, la possibilité pour Consten de faire valoir les droits découlant de la législation nationale sur les marques pour s'opposer aux importations parallèles ;

Attendu que les requérantes soutiennent plus particulièrement que l'effet critiqué sur le plan de la concurrence est dû non pas à l'accord, mais à l'enregistrement de la marque, conformément à la législation française, qui donne naissance à un droit originaire du titulaire sur la marque dont découlerait la protection territoriale absolue d'après le droit national ;

Attendu que le fait, par Consten, de disposer seul en France, en vertu du contrat, de la marque Gint utilisable de la même manière dans d'autres pays est destiné à permettre le contrôle et l'entrave des importations parallèles ;

Que, partant, l'accord par lequel Grundig, titulaire de cette marque en vertu d'un enregistrement international, a autorisé Consten à déposer celle-ci en France à son nom, tend à restreindre la concurrence ;

Que si Consten, par le dépôt de la marque Gint, est titulaire à titre originaire, selon le droit français, des droits relatifs à cette marque, c'est cependant en vertu d'un accord avec Grundig qu'il a procédé à ce dépôt ;

Que, partant, cet accord peut être frappé par l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1 ;

Que cette interdiction serait sans effet si Consten pouvait continuer à se servir de la marque dans le même but que celui visé par l'accord reconnu illicite ;

Que les articles 36, 222 et 234 du Traité, invoqués par les requérantes, ne s'opposent pas à toute incidence du droit communautaire sur l'exercice des droits nationaux de propriété industrielle ;

Que l'article 36, limitant la portée des normes sur la libéralisation des échanges contenues au titre I, chapitre 2, du Traité, ne saurait limiter le champ d'application de l'article 85 ;

Que l'article 222 se borne à préciser que le " Traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les Etats membres " ;

Que l'injonction, contenue à l'article 3 du dispositif de la décision attaquée, de ne pas utiliser les droits nationaux relatifs à la marque aux fins d'entraver les importations parallèles, sans toucher l'attribution de ces droits, en limite l'exercice dans la mesure nécessaire à la réalisation de l'interdiction découlant de l'article 85, paragraphe 1 ;

Que le pouvoir de la Commission d'édicter une telle injonction, prévu à l'article 3 du règlement du conseil n° 17-62, est compatible avec le caractère du système communautaire de la concurrence, constitué par des règles d'efficacité immédiate et qui s'imposent directement aux individus ;

Qu'un tel système, en raison du caractère susvisé et de sa fonction, n'admet pas l'emploi abusif des droits découlant de l'un ou de l'autre droit national des marques, pour mettre en échec l'efficacité du droit communautaire des ententes ;

Que l'article 234, ayant pour but de sauvegarder les droits des Etats tiers, n'est pas d'application en l'espèce ;

Que, dès lors, les moyens susvisés ne sont pas fondés ;

Sur les griefs concernant le défaut d'audition des tiers intéressés

Attendu que les requérantes et le gouvernement allemand affirment que l'article 3 du dispositif de la décision attaquée viserait en fait l'ensemble de la distribution des produits Grundig dans le Marché Commun ;

Que, ce faisant, la Commission aurait dépassé sa compétence et aurait méconnu le droit de tous les intéressés à être entendus ;

Attendu que l'interdiction, découlant pour Grundig de l'article 3 susdit, d'empêcher ses distributeurs et concessionnaires exclusifs d'exporter vers la France, constitue le corollaire de l'interdiction de la protection territoriale absolue établie en faveur de Consten ;

Que cette interdiction ne sort donc pas du cadre de la procédure qui a abouti à l'application de l'article 85, paragraphe 1, à l'accord entre Grundig et Consten ;

Que, par ailleurs, la décision attaquée n'affecte pas directement la validité juridique des accords conclus entre Grundig et les grossistes et concessionnaires autres que Consten ;

Qu'elle se borne à limiter la liberté d'action de Grundig quant aux importations parallèles de ses produits en France ;

Que, s'il est souhaitable que la Commission étende ses enquêtes, dans toute la mesure du possible, aux sujets susceptibles d'être touchés par ses décisions, le seul intérêt d'empêcher la déclaration d'illégalité d'un accord auquel ils n'étaient pas parties afin de conserver les avantages qu'ils tiraient " de facto " de la situation qui en résulterait, ne saurait constituer une base suffisante pour fonder, dans le chef des autres concessionnaires de Grundig, un droit à être appelés d'office par la Commission à participer à la procédure relative aux rapports entre Consten et Grundig ;

Que, dès lors, ce moyen n'est pas fondé ;

Sur les griefs concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3

Quant aux conditions d'application

Attendu que les requérantes, soutenues sur plusieurs points par le gouvernement allemand allèguent, entre autres, que toutes les conditions d'application de l'exemption, dont la décision attaquée a nié l'existence, se trouvaient remplies en l'espèce ;

Attendu que la défenderesse part de l'idée qu'il incomberait aux entreprises intéressées de prouver que les conditions requises pour l'exemption sont satisfaites ;

Attendu que les entreprises ont droit à un examen adéquat par la Commission de leurs demandes tendant à obtenir l'application de l'article 85, paragraphe 3 ;

Qu'à cette fin, la Commission ne peut se borner à exiger des entreprises la preuve des conditions requises pour l'exemption, mais doit, en bonne administration, concourir par ses propres moyens à l'établissement des faits et circonstances pertinents ;

Que, par ailleurs, l'exercice des pouvoirs de la Commission comporte nécessairement des appréciations complexes en matière économique ;

Que le contrôle juridictionnel de ces appréciations doit respecter ce caractère en se limitant à l'examen de la matérialité des faits et des qualifications juridiques que la Commission en déduit ;

Que ce contrôle s'exercera en premier lieu sur la motivation des décisions, qui, à l'égard desdites appréciations, doit préciser les faits et considérations sur lesquels elles sont basées ;

Attendu que la décision attaquée déclare que la raison principale du refus d'exemption réside dans le fait que n'est pas remplie la condition de l'article 85, paragraphe 3, alinéa a ;

Attendu que le gouvernement allemand fait grief à ladite décision de ne pas répondre à la question de savoir si les éléments dont la Commission a reconnu les effets favorables, notamment les dispositions prévisionnelles et les services de garantie et d'après-vente, pourraient être maintenus intacts en l'absence d'une protection territoriale absolue ;

Attendu que la décision attaquée n'admet qu'à titre d'hypothèse que le contrat exclusif en cause contribue à l'amélioration de la production et de la distribution ;

Qu'ensuite, la décision attaquée examine la question de savoir " si une amélioration de la distribution des produits par l'accord de distribution exclusive ne peut plus être atteinte si des importations parallèles sont admises " ;

Qu'après l'examen des arguments concernant les dispositions prévisionnelles, l'observation du marché, les services de garantie et d'après-vente, la décision a conclu qu'" aucune autre raison qui milite en faveur de la nécessité de la protection territoriale absolue n'a été proposée ou n'est entrevue " ;

Attendu que l'existence d'une amélioration de la production ou de la distribution des produits en cause, requise pour l'octroi de l'exemption, doit être appréciée compte tenu de l'esprit de l'article 85 ;

Que, d'abord, cette amélioration ne saurait être identifiée à tous les avantages que les partenaires retirent de l'accord quant à leur activité de production ou de distribution, avantages généralement incontestables qui feront apparaître l'accord dans tous ses éléments comme indispensable à l'amélioration ainsi comprise ;

Qu'une telle méthode subjective, qui fait dépendre le contenu de la notion d'amélioration des particularités des rapports contractuels en cause, ne correspondrait pas aux fins de l'article 85 ;

Qu'en outre, le fait même que le Traité prévoit que la limitation de la concurrence doit être " indispensable " à l'amélioration dont il s'agit indique clairement l'importance que celle-ci doit revêtir ;

Que cette amélioration doit notamment présenter des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients en résultant sur le plan de la concurrence ;

Attendu que l'argument du gouvernement allemand, basé sur l'idée que tous les éléments favorisant l'amélioration telle qu'elle avait été envisagée par les parties à l'accord devraient être maintenus intacts, suppose déjà résolue dans un sens affirmatif la question de savoir si tous ces éléments sont non seulement favorables, mais également indispensables à l'amélioration de la production ou de la distribution des produits en cause ;

Que, de ce fait, il tend non seulement à atténuer le caractère indispensable, mais confond, en outre, le souci des intérêts spécifiques des partenaires avec les améliorations objectives visées par le Traité ;

Attendu que dans son évaluation de l'importance relative des différents éléments soumis à son examen, la Commission devait, par contre, tant en apprécier l'efficacité au regard d'une amélioration objectivement constatable de la production et de la distribution des produits, qu'évaluer si le bénéfice en résultant suffirait à faire considérer comme indispensables les limitations de la concurrence corrélatives ;

Qu'est incompatible avec ce qui précède la thèse reposant sur la nécessité de maintenir intact tout arrangement des partenaires pour autant qu'il est susceptible de contribuer à l'amélioration envisagée ;

Que, dès lors, le grief du gouvernement fédéral, basé sur des prémisses inexactes, n'est pas de nature à invalider l'appréciation de la Commission ;

Attendu que les requérantes soutiennent que l'admission des importations parallèles aurait pour effet que le représentant exclusif ne serait plus en mesure d'arrêter ses dispositions prévisionnelles ;

Attendu qu'un certain degré d'incertitude est inhérent à toute prévision des possibilités futures de vente ;

Qu'une telle prévision doit se baser en effet sur une série d'éléments variables et aléatoires ;

Que l'admission des importations parallèles peut, certes, comporter des aléas accrus pour le concessionnaire passant à l'avance commande ferme des quantités qu'il estime pouvoir vendre ;

Que cependant un tel aléa est inhérent à toute activité commerciale, et ne saurait donc justifier une protection spéciale sur ce point ;

Attendu que les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné, sur la base d'éléments concrets, s'il est possible d'assurer les services de garantie et d'après-vente sans protection territoriale absolue ;

Qu'elles soulignent notamment l'importance que revêt, pour la réputation de la marque Grundig, la prestation convenable de ces services pour tous les appareils Grundig mis en circulation dans le marché ;

Que la libération des importations parallèles obligerait Consten à refuser ces prestations pour les appareils importés par ses concurrents n'assurant pas eux-mêmes ces services de manière satisfaisante ;

Que ce refus serait également contraire aux intérêts des utilisateurs ;

Attendu qu'en ce qui concerne le service de garantie gratuite, la décision affirme qu'un acheteur ne peut normalement faire valoir son droit à une telle garantie qu'auprès de son fournisseur et dans les conditions convenues avec lui ;

Que les parties requérantes ne contestent pas sérieusement cette affirmation ;

Que les craintes concernant le préjudice qui pourrait résulter d'un service insuffisant pour la réputation des produits Grundig n'apparaissent pas, en l'état, comme justifiées ;

Qu'en effet, la société Unef, concurrente principale de Consten, tout en ayant commencé à vendre des produits Grundig en France plus récemment que Consten et tout en ayant dû escompter des risques non négligeables, fournit néanmoins une garantie gratuite et des services après-vente payants à des conditions qui dans leur ensemble ne paraissent pas avoir nui à la réputation de la marque Grundig ;

Que, d'ailleurs, rien n'empêche les requérantes d'informer les utilisateurs, par une publicité adéquate, de la nature des prestations et des autres avantages offerts éventuellement par le réseau officiel de distribution des produits Grundig ;

Qu'il n'est donc pas exact que la publicité effectuée par Consten devrait bénéficier au même degré aux importateurs parallèles ;

Que, dès lors, les griefs soulevés par les requérantes ne sont pas fondés ;

Attendu que les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné si la protection territoriale absolue était encore indispensable pour permettre d'amortir les frais importants supportés par Consten pour l'introduction des produits Grundig sur le marché français ;

Attendu que la défenderesse objecte qu'avant l'adoption de la décision attaquée, elle n'avait à aucun moment eu connaissance de frais d'introduction sur le marché qui n'auraient pas été amortis ;

Attendu que cette affirmation de la défenderesse n'a pas été contestée ;

Que la Commission ne peut être tenue de procéder d'office à une enquête sur ce point ;

Qu'en outre, la thèse des requérantes reviendrait en substance à affirmer que le concessionnaire, sans la protection territoriale absolue, n'aurait pas accepté les conditions convenues ;

Que cependant cette circonstance n'a aucun rapport avec les améliorations de la distribution envisagées par l'article 85, paragraphe 3 ;

Que, dès lors, ce grief ne saurait être retenu ;

Attendu que la requérante Grundig soutient, en outre, que, sans protection territoriale absolue, le distributeur exclusif ne serait pas disposé à assumer les frais nécessaires à l'observation du marché, le résultat de ses efforts pouvant dès lors profiter aux importateurs parallèles ;

Attendu que la défenderesse objecte que ladite observation du marché, visant notamment à permettre d'apporter aux produits destinés à l'exportation vers la France les améliorations techniques souhaitées par l'utilisateur français, ne saurait profiter qu'à Consten ;

Attendu qu'en effet Consten, en sa qualité de concessionnaire exclusif, laquelle n'est pas mise en cause par la décision attaquée, serait le seul à recevoir les appareils dotés des caractéristiques adaptées spécialement au marché français ;

Que, dès lors, ce grief n'est pas fondé ;

Attendu que les griefs allégués contre la partie de la décision relative à l'existence en l'espèce de la condition visée par l'article 85, paragraphe 3, alinéa a, considérés isolement et dans leur ensemble, n'apparaissent pas fondés ;

Qu'en raison du caractère cumulatif des conditions nécessaires à l'octroi de l'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3, il est dès lors superflu d'examiner les moyens relatifs aux autres conditions d'exemption ;

Quant au défaut d'exemption conditionnelle

Attendu que la requérante Grundig, considérant que le refus de l'exemption est basé sur l'existence de la protection territoriale absolue en faveur de Consten, soutient que, conformément à l'article 7, alinéa 1, du règlement du conseil n° 17-62, la Commission aurait au moins dû admettre le contrat de représentation exclusive sous la condition que les importations parallèles ne soient pas entravées ;

Qu'en l'absence d'une telle exemption conditionnelle le dispositif de la décision dépasserait ses propres motifs ainsi que son objectif consistant dans l'interdiction de la protection territoriale absolue ;

Attendu que l'annulation partielle de la décision attaquée rend désormais sans objet la discussion du présent grief ;

Vu les actes de procédure ; le juge rapporteur entendu en son rapport ; les parties entendues en leurs plaidoiries ; l'avocat général entendu en ses conclusions ; Vu le Traité de la communauté économique européenne et notamment ses articles 3, 36, 85, 86, 222 et 234 ; Vu les règlements n° 17-62 et 19-65 du conseil ; Vu le protocole sur le statut de la Cour de Justice de la Communauté économique européenne ; Vu le règlement de procédure de la cour, Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 3, de son règlement de procédure, la cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs ; Que tel est le cas d'espèce ; Qu'il y a donc lieu de compenser les frais exposés, d'une part, par les parties requérantes et les gouvernements de la République italienne et de la république fédérale d'Allemagne, parties intervenantes, d'autre part, par la partie défenderesse et les firmes Leissner et Unef, parties intervenantes ;

LA COUR

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

1. La décision de la Commission de la communauté économique européenne, du 23 septembre 1964, relative à une procédure au titre de l'article 85 du Traité (IV-A/00004-03344, " Grundig-Consten "), publiée au Journal officiel des communautés européennes du 20 octobre 1964 (p . 2545/64), est annulée pour autant qu'en son article 1 elle déclare constituer une infraction aux dispositions de l'article 85 l'ensemble du contrat du 1er avril 1967, y compris des éléments de ce contrat non constitutifs de ladite infraction ;

2. Pour le surplus, les recours 56-64 et 58-64 sont rejetés comme non fondés ;

3. Les parties requérantes, la partie défenderesse et les parties intervenantes sont condamnées à supporter chacune les frais par elles exposés.