CA Paris, 25e ch. A, 26 novembre 1999, n° 1997-12696
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Établissement Rudy Potisek (SARL)
Défendeur :
Yamaha Motor (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briottet
Conseillers :
Mmes Deurbergue, Bernard
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Teytaud
Avocats :
Me Carlier, Charlet.
Par jugement du 19 février 1997, le Tribunal de Grande Instance de Paris a :
- débouté la SARL Rudy Potisek de la demande qu'elle avait formée contre la SA Yamaha Motor tendant à voir cette dernière déclarée coupable de la rupture abusive du contrat de concession liant les parties, et condamné en conséquence à payer des dommages-intérêts, soit les sommes de 3.695.200 F pour perte de fonds de commerce, 214.692.40 F pour endettement, 300.000 F pour désorganisation de la société ;
- condamné la SARL Rudy Potisek à payer à la SA Yamaha Motor 10.000 F de frais irrépétibles.
La SARL Rudy Potisek interjette appel ; - Elle soutient que le droit de résiliation n'est pas un pouvoir discrétionnaire du concédant, que ce pouvoir peut dégénérer en abus de droit et qu'en toute hypothèse le contrôle de la bonne foi de son exercice s'impose ; - Elle en déduit, par application de la loi du 31 décembre 1989, que la résiliation doit être motivée et que le Juge doit rechercher si la résiliation est fondée sur une juste cause ; - Elle ajoute que les relations des parties remontent à 1974 alors que Rudy Potisek, dont la SARL tire son nom, était un jeune champion motocycliste, lequel par la suite mettra entièrement sa carrière au service du concédant ; - Elle insiste sur les résultats particulièrement performants atteints tout au long de ces 20 années et ne s'explique pas que sans le moindre avertissement elle ait reçu le 7 février 1994 une lettre de résiliation des plus sommaires lui conférant seulement un préavis de 6 mois, ce en présence d'un contrat renouvelé en janvier 1992, de nombreux investissements réalisés (acquisition d'un garage), une information par circulaire toute récente ; - Elle relève qu'il apparaîtra que le dirigeant de la SA Yamaha souhaitait mettre à sa place un de ses proches, à savoir son neveu. - En cet état et en vue de l'évaluation définitive du préjudice subi, l'appelante requiert l'institution d'une expertise avec allocation d'une indemnité provisionnelle de 500.000 F et 10.000 F de frais irrépétibles.
L'intimée dénie toute pertinence à l'argumentation adverse : en droit comme en fait, selon elle, il importe peu que les relations soient anciennes empreintes d'un fort "intuitu personae" et qu'aucune alerte n'ait été manifestée avant la rupture, notant encore que les investissements allégués n'étaient pas prouvés. - Elle estime discutable le préjudice prétendu important, puisqu'une baisse du chiffre d'affaires s'était avérée avec un recul de la SA Yamaha en France de 24 % ; - Concluant à un recours injuste, elle réclame 20.000 F de frais irrépétibles.
Ultérieurement, l'appelante actualisera ses références jurisprudentielles et évoquera les nombreux articles de presse louant ses performances dans l'illustration de la marque Yamaha sur la zone couvrant l'arrondissement de Dunkerque, autant que sa participation à la course du Paris-Dakar. - Elle précise que ses investissements sont réels et chiffrés (achat d'un immeuble à usage de garage 9, rue de Calais pour le prix de 650.000 F le 15 février 1985, qui impliquait des remises en état substantielles), outre des travaux d'embellissement en 1994 de 250.000 F. - Elle porte sa demande de frais irrépétibles à 40.000 F.
En réplique, l'intimée observe qu'il n'existe pas, dans les circonstances préalables ayant accompagné la rupture, le moindre élément révélant un abus de la part du concédant, et qu'il apparaît au contraire vérifié que le préavis a suffi pour que la SARL Rudy Potisek réoriente son activité puisqu'ainsi un contrat de concession exclusive avait été signé avec la firme Piaggo; - Elle proteste d'un risque couru par le concessionnaire et d'un abus de langage dans les expressions non équivalentes de "mandat d'intérêt commun" et " contrats conclus dans l'intérêt commun " des 2 parties.
SUR QUOI,
Considérant qu'il est établi que depuis 1974 des relations de concédant à concessionnaire existaient entre la société Sonauto devenue plus tard Yamaha Motor, et Rudy Potisek, exploitant individuel, qui devait, par la suite exercer son activité sous la forme d'une SARL ; qu'à l'occasion du changement structurel de la société Sonauto un contrat de concession exclusive régi par les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 dite Loi Doubin, était passé entre la SA Yamaha et la SARL, avec effet au 1er janvier 1992; que l'acte prévoyait une durée indéterminée susceptible de prendre fin à tout moment moyennant un préavis de 6 mois par LRAR;
Considérant que, si en l'espèce le principe de cette résiliation est exactement énoncé et a été respecté, il demeure que son application nécessitait de droit l'exception de tout abus, voire de toute mauvaise foi; le contrat étant d'intérêt commun, donc de coopération;
Qu'en effet, la grande ancienneté des relations, soit 20 ans au jour de l'envoi de la lettre de rupture (7 février 1994), la notoriété du dirigeant de la SARL, ses implications sportives de haut niveau au bénéfice du concédant, joints au caractère "intuitu personae" spécifiquement stipulé constituaient autant de circonstances qui imposaient quelques explications et précautions; que leur défaut total atteste de procédés déloyaux; - qu'aussi bien en présence d'une concession ancienne et d'une performance indiscutée, la décision de rompre qui mettait en jeu une réorganisation importante avait dû être prévue de longue date; - que celle-ci a été dissimulée au concessionnairequi recevait normalement la circulaire commerciale le 31 décembre 1993 pour l'année à venir, l'invitation à la réunion régionale de janvier 1994 avec les objectifs d'achat, étant observé toutefois que les investissements peu récents sauf ceux de 1991, ne sont pas déterminants puisqu'ils restent la propriété du concessionnaire, qui avait l'autorisation de travailler pour la firme Honda et qui a retrouvé une autre concession dans un délai assez court;
Qu'il suit qu'il y a bien eu rupture abusivemais que le préjudice réellement subi, qui est certain, reste à déterminer définitivement et de manière pondérée; qu'il y aura donc lieu à désignation d'expert avec allocation provisionnelle de 350.000 F;
Considérant que les frais irrépétibles déjà engagés, évalués à 10.000 F s'ajouteront à cette somme.
Par ces motifs : Contradictoirement, Infirme le jugement entrepris ; Dit que la SA Yamaha Motor France a résilié abusivement le contrat de concession passé avec la SARL Rudy Potisek et la déclare redevable de dommages-intérêts ; Désigne aux fins d'évaluation, l'expert Thierry Bergeras, demeurant 1 square d'Urfé - 75116 Paris - Tél. : 01 42 88 78 75 - 06 07 58 55 58, avec mission, connaissance prise du dossier, des avis techniques suscités et bilans : - de dresser un rapport écrit de ses investigations ; - quant à la perte et au manque à gagner à savoir les incidences sur la clientèle apportée et laissée, le fonds de commerce et les frais financiers (investissement - emprunts - personnel) ; Fixe la rémunération provisionnelle de l'expert à la somme de 30.000 F ; invite la SARL Rudy Potisek à consigner cette somme au Service du Régisseur d'avances et de recettes de la Cour d'appel de Paris, 34 quai des Orfèvres - 75055 Paris Louvre SP, avant le 15 janvier 2000 ; Impartit à l'expert un délai de 8 mois pour déposer son rapport, soit donc jusqu'au 15 octobre 2000, en double exemplaire, au service de la Mise en Etat de la Cour d'appel ; Condamne la SA Yamaha Motor France à payer à la SARL Rudy Potisek une indemnité provisionnelle de 350.000 F, outre 10.000 F de frais irrépétibles, arrêtés au présent stade de la procédure ; Réserve les dépens.