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Décisions

CA Nîmes, 1re ch., 2 décembre 1997, n° 95-1566

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alric Automobiles (SA)

Défendeur :

Pujol Sorgauto (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Deltel (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Bouloumie, Rolland, de Monredon, Eynard

Avoués :

Me d'Everlange, SCP Tardieu

Avocats :

SCP Larguier-Aimonetti-Blanc-Bringer, Me Bismes.

T. com. Millau, du 5 juin 1990

5 juin 1990

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Au 1er Janvier 1983 la SA Gérard Alric et Fils (actuellement SA Alric Automobiles) était concessionnaire de la marque Peugeot pour la ville de Millau et un certain nombre de cantons du Sud Aveyron, et bénéficiait de ce fait de l'exclusivité de la vente des véhicules de cette marque sur ce territoire.

A la même date la SA Henri Pujol était concessionnaire de la marque Talbot et bénéficiait d'une même exclusivité d'implantation.

Les véhicules des deux marques Peugeot et Talbot étant distribués par le même groupe, PSA, deux contrats d'agence sont intervenus le 3 Janvier 1983 entre les sociétés Gérard Alric et Fils et Henri Pujol :

- l'un par lequel la société Gérard Alric et Fils devenait agent Talbot jusqu'au 31 Décembre 1983,

- l'autre par lequel la société Henri Pujol devenait agent Peugeot jusqu'au 31 Décembre 1983.

Dans chacun des deux contrats la société agent s'engageait à transmettre à la société concessionnaire l'intégralité des commandes de véhicules neufs de la marque passée à la société agent, avec un minimum de vingt véhicules en faveur du concessionnaire Talbot, et de cinquante véhicules au profit du concessionnaire Peugeot.

Au cours de l'année 1983 la SA Henri Pujol n'a fait parvenir à la SA Gérard Alric et Fils que six commandes de véhicules Peugeot, dont cinq véhicules de démonstration.

La SA Gérard Alric et Fils, reprochant à la SA Henri Pujol d'avoir transmis les commandes des véhicules de marque Peugeot à la SARL Pujol Sorgauto, concessionnaire pour la distribution des véhicules de cette marque dans la circonscription de Saint Affrique, limitrophe de celle de Millau, a assigné la SA Henri Pujol et la SARL Pujol Sorgauto devant le Tribunal de Commerce de Millau qui, le 5 Juin 1990, a rendu le jugement suivant :

"Homologue dans son intégralité le rapport de l'expert Monsieur Trabe quant à l'évaluation du préjudice.

Dit que la SA Pujol avec la complicité de la SARL Pujol a violé les obligations contractuelles contenues dans les conventions réciproques du 3 Janvier 1983.

Condamne solidairement - et conjointement les sociétés Pujol à indemniser la société Alric du préjudice par elle souffert sur l'exercice 1983, et à lui verser la somme de 150.000 F avec intérêts de droit à compter du présent jugement.

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.

Condamne solidairement et conjointement les sociétés Pujol à payer la somme de 30.000 F au titre des dommages et intérêts complémentaires.

Les condamne solidairement et conjointement au paiement de la somme de 50.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Condamne les sociétés Pujol aux entiers dépens."

La société Alric Automobiles (nouvelle dénomination de la SA Gérard Alric et Fils) a relevé appel de ce jugement.

La SA des Etablissements Pujol (nouvelle dénomination de la SA Henri Pujol) et la SARL Pujol Sorgauto ont formé un appel incident.

Par arrêt du 10 Décembre 1992 la Cour d'Appel de Montpellier a :

- débouté la SA Alric Automobiles de son appel principal,

- déclaré la SA Pujol et la SARL Pujol Sorgauto recevables et partiellement fondées en leur appel incident,

- confirmé le jugement rendu le 5 Juin 1990 par le Tribunal de Commerce de Millau en ses seules dispositions de reconnaissance de la responsabilité contractuelle de la SA Pujol,

- débouté la SA Alric Automobiles de toutes ses demandes à l'égard de la SARL Pujol Sorgauto,

- condamné la SA Alric Automobiles à payer à la SARL Pujol Sorgauto la somme de 3.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- condamné la SA Pujol à payer à la SA Alric Automobiles la somme de 113.710,87 F avec intérêts au taux légal à compter du 6 Septembre 1984, en réparation de son préjudice, et celle de 6.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- débouté la SA Alric Automobiles de ses autres demandes,

- fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par la SA Alric Automobiles et par la SA Pujol.

Sur le pourvoi formé par la SA Alric Automobiles, la Chambre Commerciale, Financière et Économique de la Cour de Cassation a, le 22 Novembre 1994, cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'Appel de Montpellier, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Alric Automobiles contre la société Pujol Sorgauto.

Par conclusions auxquelles il est expressément fait référence pour le détail de leur argumentation, les parties formulent les demandes suivantes :

-La SA Alric Automobiles

"Ayant tels égards que de droit pour le rapport d'expertise de Monsieur Trabe.

Considérant les chiffres résultant du journal des commandes des sociétés Pujol pour les années 1982, 1983 et 1984.

Considérant que l'année de référence doit être l'année 1984 où les situations des deux concessions étaient normales et non l'année 1982 où la fraude des sociétés Pujol était déjà organisée.

Condamner la société Pujol Sorgauto à indemniser la société Alric du préjudice par elle souffert sur l'exercice 1983, soit :

- au titre des pertes de commissions, et déduction faite des sommes mises à la charge de la SA Pujol la somme de 278.363,18 F,

- outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 6 Septembre 1984,

- au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive la somme de 50.000 F,

- en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile la somme de 70.000 F,

Condamner la SARL Pujol Sorgauto aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront ceux de l'arrêt cassé."

- La SARL Pujol Sorgauto

"Tenant l'arrêt rendu le 22 Novembre 1994 par la Cour de Cassation pour manque de base légale,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Faisant droit à l'appel incident formulé par la SARL Pujol Sorgauto, réformer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Millau le 5 Juin 1990.

Débouter la SAR Alric de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'égard de la SARL Pujol Sorgauto.

Condamner la SA Alric à payer à la SARL Pujol Sorgauto une somme de 20.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Condamner la SA Alric aux entiers dépens."

MOTIFS ET DECISION

Sur la faute commise par la SARL Pujol Sorgauto

Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats, et de l'expertise de Monsieur Trabe :

- que le contrat d'agence signé par la SA Henri Pujol le 3 Janvier 1983 lui faisait obligation, pour l'année 1983, de faire transiter par la société Alric les commandes de véhicules Peugeot prises sur le secteur de la concession de cette société, avec un minimum de 50 véhicules,

- que la SA Henri Pujol n'a pas rempli ses obligations contractuelles en ne faisant transiter par la société Alric que six commandes (dont cinq pour des voitures de démonstration),

- que l'examen de sommations interpellatives démontre que la moitié des prises de commande effectuées par la SA Henri Pujol (dans le cadre de son activité d'agent Peugeot), a été détournée sur la concession de Saint Affrique, représentée par la SARL Pujol Sorgauto,

- que par rapport aux normes de vente de l'exercice précédent, la SA Alric a accusé en 1983 un déficit de vente de 50 véhicules, et que parallèlement la SARL Pujol Sorgauto a bénéficié d'un excédent d'égal montant,

Attendu que les SA Henri Pujol et SARL Pujol Sorgauto avaient le même dirigeant social, Monsieur Henri Pujol,

Que la SARL Pujol Sorgauto en bénéficiant des commandes qui lui étaient transmises par la SA Henri Pujol, a, en fait, tiré profit d'une implantation commerciale indirecte en dehors de sa zone de première responsabilité, ce qui était prohibé par son contrat de concession;

Que dès lors, la SA Alric Automobiles est en droit d'obtenir réparation du préjudice qui lui a été occasionné par la faute de la SA Pujol Sorgauto;

Sur le préjudice subi par la SA Alric Automobiles

Attendu qu'il ressort du rapport d'expertise de Monsieur Trabe que les fautes commises par la SA Henri Pujol et la SARL Pujol Sorgauto ont fait perdre à la SA Alric Automobiles une cinquantaine de commandes, soit 150.000 F TTC de commissions,

Que le préjudice effectif, qui ne peut comprendre la TVA, se monte donc à 113.710,87 F,

Que la SA Alric Automobiles ne rapporte pas la preuve d'un préjudice supérieur,

Attendu que la SARL Pujol Sorgauto sera en conséquence condamnée, in solidum avec la SA des Établissements Pujol, à payer à la SA Alric Automobiles la somme de 113.710,87 F, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 6 Septembre 1984,

Sur les autres demandes

Attendu que le caractère abusif de la résistance de la SARL Pujol Sorgauto, qui a été mise hors de cause par l'arrêt partiellement cassé, n'est pas démontré, et que la SAL Alric Automobiles sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,

Attendu que la SARL Pujol Sorgauto, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel (y compris ceux de l'arrêt partiellement cassé),

Qu'il convient d'allouer à la SA Alric Automobiles la somme de 30.000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel,

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Chambres réunies sur renvoi de cassation, en matière civile et en dernier ressort, Vu l'arrêt de la Chambre Commerciale, Financière et Économique de la Cour de Cassation en date du 22 Novembre 1994, Vidant le renvoi, dans les limites de sa saisine, Réforme le jugement déféré, Condamne la SARL Pujol Sorgauto, in solidum avec la SA des Établissements Pujol, à payer à la SA Alric Automobiles la somme de 113.710,87 F en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du 6 Septembre 1984, Condamne la SARL Pujol Sorgauto à verser à la SA Alric Automobiles la somme de 30.000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel, Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires, Condamne la SARL Pujol Sorgauto aux dépens de première instance et d'appel (y compris ceux de l'arrêt partiellement cassé), ces derniers étant distraits au profit de Maître d'Everlange, avoué.