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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 22 janvier 1998, n° 96-07678

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

6 Paradis (SARL)

Défendeur :

Rolex France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

SCP Taze-Bernard- Belfayol-Broquet, SCP Varin-Petit

Avocats :

Mes Saulnier Arrighi, Paquet.

T. com. Paris, du 6 juin 1996

6 juin 1996

Considérant que la société 6 Paradis Joaillerie Bornand ci-après appelée 6 Paradis a fait appel d'un jugement contradictoire du 6 février 1996 du Tribunal de commerce de Paris qui a déclaré justifié le refus de vente que lui a opposé la société Française des montres Rolex devenue Rolex France et ci-après appelée Rolex et l'a condamnée à payer à la société Rolex 20.000 francs de dommages- intérêts et 20.000 francs d'indemnisation de ses frais irrépétibles ;

Qu'elle expose qu'elle est propriétaire d'un fonds de commerce de bijouterie joaillerie situé dans la rue prestigieuse de Paradis à Marseille à l'enseigne "Joaillerie Bornand" utilisée depuis 1779, qu'elle a sollicité en vain par lettres des 11 octobre 1993 et 24 janvier 1994 l'autorisation de distribuer les produits de la société Rolex qui n'a pas justifié de façon objective son refus, qu'elle a passé commande le 7 avril 1994 par voie de sommation mais que cette commande n'a pas été honorée.

Qu'elle soutient que sa commande n'entrait dans aucune des hypothèses autorisant un refus de vente par application de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'elle même répond par sa réputation dans un commerce "de haut de gamme", par l'emplacement "de premier ordre" et l'agencement rénové de son magasin et par son service après vente "des plus pointus", aux critères de distribution sélective imposés par la société Rolex et qu'elle entend intégrer le réseau de distribution de la société Rolex, disposée qu'elle est à tout élargissement de sa commande ;

Qu'elle reproche aux premiers juges d'avoir qualifié d'anormale sa commande sans en justifier, d'avoir déclaré légitime une limitation des points de vente faisant obstacle à la libre concurrence, d'avoir refusé d'admettre qu'elle répondait aux critères qualitatifs et quantitatifs de protection du réseau et qu'elle disposait d'un service après vente de grande qualité, et d'avoir suspecté à tort sa bonne foi ;

Qu'elle demande à la Cour d'infirmer le jugement et de condamner la société Rolex à lui livrer, sous astreinte journalière de 50.000 francs à compter de l'arrêt, 71 montres énumérées, à lui verser 2.000.000 francs de dommages-intérêts et à lui payer 50.000 francs pour ses frais irrépétibles ;

Considérant que la société française des montres Rolex devenue Rolex France répond qu'elle a créé un réseau de distribution sélective licite puisqu'il comporte de nombreux points de vente sélectionnés sans discrimination, en fonction de critères qualitatifs et sans limitation quantitative injustifiée, tenus par des commerçants libres de fixer le prix de vente, autorisés à vendre d'autres produits et disposant d'une technicité propre à rendre un meilleur service aux consommateurs ;

Qu'elle accuse la société 6 Paradis qui n'a été constituée qu'en 1993 pour acheter le fonds de commerce de la Joaillerie Bornand, de mauvaise foi en précisant que celle-ci veut abusivement lui imposer l'entrée dans son réseau de Patrick Sitbon, son directeur et animateur, alors que celui-ci avait géré à Marseille avec son père Yvon et son frère Philippe la société des Etablissements Sitbon qui avait été distributeur de la marque Rolex de 1980 à 1988, avait été impliquée dans l'utilisation en réseau de fausses cartes de crédit au point de valoir une inculpation du chef d'escroquerie à ses dirigeants, avait fait l'objet d'une procédure collective en 1988 et avait laissé impayés 857.339,28 francs de produits Rolex ;

Qu'elle soutient que la commande rejetée est anormale en ce qu'elle a été passée par la voie contraire aux usages d'une sommation, mais aussi qu'elle émane d'un commerçant qui ne fait pas partie du réseau protégé; qu'elle ajoute à titre subsidiaire qu'elle est en droit de protéger son réseau sur la base de critères qualitatifs et quantitatifs dans l'intérêt du consommateur ;

Qu'elle demande à la Cour de confirmer le rejet des prétentions de la société 6 Paradis, de porter à 100.000 francs le montant des dommages-intérêts pour procédure abusive et de lui accorder 50.000 francs pour ses frais irrépétibles ;

Considérant que la société 6 Paradis réplique que Patrick Sitbon, son directeur, a bénéficié d'un non-lieu après inculpation du chef d'escroquerie, alors que la société Rolex accepte de livrer la société Le Diamant Blanc dont l'animateur a lui aussi été inculpé ; qu'elle était en droit, après un premier refus de vente illicite du 8 février 1994, d'utiliser la voie de la sommation, et que sa commande était normale en ce qu'elle émanait d'un commerçant répondant aux critères qualitatifs et quantitatifs d'entrée dans le réseau ;

Considérant que la mise en état a été clôturée le 4 décembre 1997, jour des plaidoiries, après trois reports; que la société 6 Paradis en a profité pour communiquer le 4 décembre 1997 un arrêt Pellegrin/Française des Montres Rolex et deux autres pièces et signifier de nouvelles conclusions qu'il convient de rejeter ces pièces et ces écritures trop tardives ainsi que la société Rolex le demande, d'autant que l'arrêt communiqué concernant un autre litige commercial opposant la société Rolex à un autre commerçant n'a aucune autorité de chose jugée exploitable dans la présente procédure ;

Considérant qu'au cours des plaidoiries l'avocat de la société 6 Paradis a demandé à la Cour de faire acter sur la feuille d'audience que Maître Paquet, avocat de la société Rolex, avait mis en cause Patrick Sitbon en disant qu'il était parti aux Etats-Unis se refaire une virginité après avoir été animateur de la société des Etablissements Sitbon dont les dirigeants ont été inculpés d'escroquerie ;

Considérant que le Tribunal de commerce de Paris n'était saisi d'aucune demande d'admission forcée de la société 6 Paradis dans le réseau de distribution sélective de la société Rolex dont l'existence et la licéité ne sont nullement contestées, mais uniquement d'une demande de livraison d'une commande unique de 71 pièces et de demandes accessoires de dommages-intérêts pour résistance abusive, d'indemnité pour frais irrépétibles et de donné acte de réserves d'une procédure pénale pour dénonciation calomnieuse ;

Qu'exiger la livraison d'une commande fût-elle de 71 pièces et assortie d'une offre d'élargissement de cette commande, ne constitue pas une demande de condamnation de la société Rolex à agréer la société 6 Paradis en tant que distributeur; que cette exigence n'est d'ailleurs accompagnée d'aucun engagement de respecter les conditions régissant le réseau ;

Que la société 6 Paradis a certes écrit dans ses conclusions qu'elle "était tout à fait d'accord pour faire partie du réseau Rolex"; que l'imparfait utilisé n'actualise nullement l'intention alléguée ; que cette unique phrase des motifs ne peut valoir demande ;

Qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la réouverture de la mise en état pour permettre à la société 6 Paradis de présenter une demande d'agrément forcé qui serait nouvelle et dont la recevabilité ne manquerait évidemment pas d'être contestée ;

Considérant que la société Rolex était fondée à refuser de livrer la commande litigieuse du 7 avril 1994 parce qu'émanant d'un revendeur qui n'était pas membre de son réseau de distribution sélective et destinée, à l'évidence du fait de son importance, à la constitution d'un stock en vue d'une revente hors réseau, la livraison aurait pu compromettre la sauvegarde de ses intérêts assurée par les règles de fonctionnement du réseau et aurait enfreint l'obligation de protection de ses distributeurs agréés incombant à la société Rolex ;

Que la commande était au surplus anormale en ce qu'elle était formée par la voie vexatoire d'une sommation d'huissier quand bien même la société 6 Paradis aurait-elle demandé une intégration au réseau et présenté une première commande par des voies plus appropriées, en vain mais aussi avec une précipitation inhabituelle d'autant plus critiquable que ces demandes, présentées sous couvert d'une toute nouvelle société, émanaient en réalité des animateurs d'un ancien distributeur défaillant ;

Considérant que la société Rolex ne justifie pas d'autres préjudices engendrés par l'action abusive de la société 6 Paradis que quelques tracas et pertes de temps, l'atteinte à sa réputation qu'a provoquée le recours intempestif à un huissier pour une sommation déplacée et des frais irrépétibles ;

Qu'il convient de confirmer les condamnations accessoires de première instance et d'y ajouter 30 000 francs supplémentaires en appel au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions en précisant que la société française des montres Rolex est devenue la société Rolex France, Y ajoutant, Condamne la société 6 Paradis Joaillerie Bornand à verser 30 000 francs supplémentaires pour les frais irrépétibles d'appel, La condamne en tous les dépens d'appel, Admet la société civile professionnelle Varin Petit, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.