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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 10 septembre 1998, n° 96-07656

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bruckert

Défendeur :

Valentin Leroy (SARL), D. Porthault (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Briottet

Conseillers :

M. Faucher, Mme Deurbergue

Avoués :

SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Bommart-Forster, SCP D'Auriac-Guizard

Avocats :

Mes Catoni, Michel, Conreau, Besson, Duhalde.

T. com. Paris, 15e ch., du 2 févr. 1996

2 février 1996

Par jugement du 2 février 1996, le Tribunal de Commerce de Paris a :

- débouté Michel Bruckert des demandes qu'il avait formulées contre la SARL Valentin Leroy et la SA Porthault en payement provisionnel de commissions chiffrées à 80.000 F, ès qualités de sous-agent commercial en matière de linge hôtelier, et désignation d'expert aux fins d'établissement d'un décompte définitif, ce, au motif essentiel qu'aucun contrat ne liait les parties,

- condamné Michel Bruckert à payer à la SARL Valentin Leroy 10.000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive avec exécution provisoire ;

- mis hors de cause la SA Porthault ;

- condamné encore Michel Bruckert à payer respectivement à cette dernière et à la SARL Valentin Leroy, 10.000 F de frais irrépétibles ;

Michel Bruckert a interjeté appel ; - Il soutient qu'un contrat verbal existait bien, lequel était parfaitement valable, régi par les dispositions du Décret du 23 décembre 1958 et par la Loi du 25 juin 1991 portant modification à compter du 1er janvier 1994 ; - Il réclame donc une commission au taux de 12 % sur les ventes lorsque les ordres sont pris et les livraisons réalisées sur son secteur, sauf celle-ci à être réduite à 6 % lorsque la commande est prise hors secteur mais livrée dans celui-ci ou inversement ; - Il requiert le règlement d'une somme de 103.067,91 F TTC afférente à une opération réalisée avec l'hôtel Plaza à Sainte-Maxime, d'autant qu'une affaire semblable avait été commissionnée, attestée par un courrier du 16 décembre 1994 ; - Il sollicite aussi qu'injonction, sous astreinte, soit donnée à la Société Valentin Leroy de communiquer les pièces et éléments comptables permettant de calculer les commissions dues ; - Enfin, il s'insurge contre la sanction de procédure abusive que rien ne venait étayer puisqu'il exerçait normalement une voie de droit et conclut à une allocation de ce chef à son seul profit, l'évaluant à la somme de 50.000 F. Il ajoute une demande d'anatocisme, et de frais irrépétibles d'un montant de 50.000 F ;

La SA Porthault objecte que la SARL Valentin Leroy est son agent exclusif et que c'est uniquement avec l'accord de celle-ci qu'elle a pu quelquefois régler directement des commissions à Michel Bruckert dont la détermination du montant revenait à ladite SARL. Elle précise que la difficulté quant au commissionnement de l'opération relative à l'hôtel de Sainte-Maxime provenait du fait que l'un et l'autre étaient en désaccord sur les critères de " localisation client "dans le secteur confié (Alpes Maritimes, Var, Monaco) et lieu de passation de la commande et de la facturation ; - La SA Porthault déclare ne pas avoir à trancher, soulignant qu'aucune commune intention de ceux-ci ne se dégageait de leurs écrits et correspondances ; - Elle observe aussi que le taux de commission servi à la SARL n'est pas fixe et varie de O à 20 et que celui de son agent est également variable ; - Elle estime surprenant le conflit judiciaire, ne devant aucune somme, puisque la répartition se faisait entre Michel Bruckert et la SARL qui travaillaient ensemble depuis plusieurs années et en bonne harmonie ; - Elle conclut à la confirmation de sa mise hors de cause et réclame 15.000 F de frais irrépétibles à l'appelant ;

La SARL Valentin Leroy relève qu'aucun élément nouveau n'est rapporté et qu'il est de droit positif constant qu'un écrit est nécessaire pour constituer une convention de sous-agent commercial, au surplus s'il est exclusif qu'il doit y avoir acceptation d'un contenu et l'indication des qualités respectives ; - Elle souligne qu'en l'espèce, s'il est vrai que des démarches ont été effectuées en ce sens, elles n'ont jamais été menées à terme, le désaccord étant persistant comme le montraient les projets successifs toujours remis en question depuis 1986 (actes des 2 novembre 1990, 29 janvier 1993 barrés et raturés) et elle proteste d'une mauvaise foi adverse manifeste ; - Elle affirme qu'il n'y a eu de commissions réglées qu'exceptionnellement et au coup par coup ; - S'interrogeant alors sur les activités de Michel Bruckert, constitutives de concurrence établie, les divers projets interdisant celle-ci de manière catégorique ; - Elle s'estime poursuivie abusivement et requiert 50.000 F de ce chef, outre 20.000 F de frais irrépétibles ;

Michel Bruckert répond que les mentions barrées et raturées n'étaient que subsidiaires et que de l'ensemble des documents résultait bien une volonté commune d'instituer un contrat de sous-agent laquelle se trouvait confortée par le règlement de commissions, avec concession indiscutable d'un secteur ; - Il précise que l'appartenance au secteur se définit par référence au lieu des activités commerciales effectives ; En cet état, il estime qu'il y a contrat et droit à commission. Il ajoute qu'il dispose d'une action directe contre la SA Porthault en tant que mandataire substitué ; - Enfin, il réfute toute concurrence de sa part, son activité relative au linge de maison étant étrangère à ses relations avec la SARL Valentin, et la SA Porthault lui ayant laissé un large champ de liberté ;

La SA Porthault réitère qu'elle a réglé toutes les commissions dues à la SARL Valentin et que, par ailleurs, elle n'a pas à intervenir dans le partage de rémunération éventuel entre cette dernière et Michel Bruckert ; -Elle s'insurge contre la réfutation de concurrence opposée, alors que Michel Bruckert s'y était bien livré en matière hôtelière (tissage de Rambervilliers, de François Hans à Gerardmer, de Georges Moutet, hôtel Palace de Roquebrune) et qu'il dénaturait le champ de liberté qui lui était laissé ;

La SARL Valentin continue à dénier être liée par un quelconque contrat de sous-agent et souligne que les propres pièces de Michel Bruckert attestaient un commissionnement de commandes prises en direct par lui-même ;

SUR QUOI,

Considérant qu'il est de principe, par application des dispositions législatives en vigueur relatives aux agents commerciaux que le contrat d'agent commercial est consensuel et peut ainsi être prouvé par tout écrit, dès lors qu'il est accepté par les cocontractants et qu'il indique la qualité de chacune des parties, que la prise en compte d'un secteur est un élément déterminant;

Considérant qu'un certain nombre de pièces produites aux débats par Michel Bruckert convergent en ce sens, émanant des litigeants ;

- première proposition de contrat de sous-agent adressée par la SARL Valentin Leroy en 1990, - deuxième proposition en 1993, - troisième proposition en janvier 1995, correspondance attestant une exécution, - télécopies des 22 février et 1er mars 1993, - lettres du 18 octobre 1992 et du 23 juin 1993, - "relevé" du taux de commission sur factures du 21 janvier 1992, - recherche par Michel Bruckert d'un ajustement de ses relations de sous-agent en conformité avec les textes expliquant les retours non signés des propositions, ce, par l'intermédiaire de la Fédération Nationale des Agents Commerciaux, correspondance de celle-ci des 15 décembre 1992 et 11 janvier 1993 et réponse de la SARL Valentin Leroy admettant implicitement la qualité de sous-agent par le refus qu'elle opposait d'un droit à commission pour exclusion du secteur ;

Qu'il suit qu'il y a bien contrat de sous-agent commercial et que Michel Bruckert a droit à une partie de la commission générée par l'opération faisant difficulté, à savoir les marchandises livrées à l'hôtel Golf Plaza à Sainte-Maxime; - que, de même, il a droit d'obtenir les documents comptables nécessaires, propres à déterminer le montant définitif des commissions à lui revenir, sous astreinte, en raison de l'importance des documents requis; - qu'il convient d'enjoindre à la SARL Valentin Leroy de fournir ces documents et de la déclarer d'ores et déjà redevable de la somme provisionnelle de 103.067,91 F majorée des intérêts légaux depuis le 30 juin 1994 (jour de l'assignation), ce avec capitalisation, en vertu de l'article 1154 du C.Civ., demandée par écritures du 11 juillet 1996;

Considérant qu'il est par ailleurs incontestable que la SA Porthault mandante, connaissait cette situation, ses dirigeants entretenant des rapports amicaux et professionnels avec Michel Bruckert depuis près d'une trentaine d'année, et ce dernier exploitant en franchise la production de cette société dans une boutique qui lui appartenait à Monaco; - que, spécialement, aux termes d'une lettre adressée à la Fédération Nationale des Agents Commerciaux le 30 novembre 1992, la SA Porthault tenait la SARL Valentin Leroy et Michel Bruckert comme liés par un contrat et exposait que "pour des raisons de commodité" elle versait "directement à Michel Bruckert ses commissions, mais sur indication par la Société Valentin des montants à reverser", qu'elle évoquait un problème "d'interprétation de contrat", et non d'existence;

Qu'en toute hypothèse il y a mandat substitué obligeant la SA Porthault par application de l'article 1994 du C.Civ. à s'acquitter envers lui de sa commission puisque celle-ci s'avère dans l'impossibilité d'établir sérieusement une faute de son fait, telle une concurrence déloyale ; - qu'elle devra donc, solidairement avec la SARL Valentin Leroy, le montant précité avec intérêts et capitalisation ;

Qu'il sera encore noté que Michel Bruckert ne sollicite plus l'organisation d'une expertise et qu'il résulte de l'examen de l'ensemble du dossier que l'imbrication complexe et souvent tacite des relations des parties n'autorise aucune imputation de responsabilité ;

Que les frais irrépétibles seront réservés ;

Par ces motifs : LA COUR, Contradictoirement, Infirme le jugement entrepris, à nouveau : Dit qu'un contrat de sous-agent lie Michel Bruckert à la SARL Valentin Leroy et qu'un droit à commission existe à son profit, Enjoint à la SARL Valentin Leroy de fournir à Michel Bruckert un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant définitif des commissions qui lui sont dues ; Alloue d'ores et déjà à Michel Bruckert une somme provisionnelle de 103.067,91 F majorée des intérêts légaux depuis le 30 juin 1994, ceux-ci capitalisés ; Condamne solidairement la SARL Valentin Leroy et la SA Porthault au payement de la somme précitée ; Sursoit à statuer quant au surplus ; Renvoie à l'audience de Mise en Etat du vendredi 27 novembre 1998 à 9 heures pour contrôle de la mesure ordonnée ; Réserve frais et dépens.