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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 11 février 1999, n° 3344-96

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Casco Nobel France (SA)

Défendeur :

Collignon, Boiro Nobel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

SCP Bommart- Minault, SCP Merle & Carena-Doron

Avocats :

Mes Couturier, Bouyer-Fromentin.

TGI Metz, du 28 déc. 1993

28 décembre 1993

Faits et procédure

Monsieur Camille Collignon a signé avec la société Casco Nobel le 26 juin 1989 un contrat d'agent commercial aux termes duquel il devait commercialiser un procédé de bardage " Rocarmur 4000 " en région Lorraine pour le compte de son mandant.

A compter du 1er janvier 1991, la société Boiro Nobel a succédé à la société Casco Nobel suite à une cession de fonds de commerce.

Le contrat de Monsieur Camille Collignon a été résilié par lettre recommandée avec accusé de réception le 25 avril 1991 par la société Casco Nobel avec un préavis d'un mois, cette rupture de son contrat d'agent commercial étant contestée par Monsieur Camille Collignon.

C'est dans ces circonstances qu'il a, par actes introductifs d'instance en date des 8 juillet et 20 juillet 1992, assigné la société Casco Nobel France et la société Boiro Nobel à comparaître devant le tribunal de grande instance de Metz aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer les sommes de 250.000 F en indemnisation du dommage consécutif à la rupture d'un contrat d'agent commercial, de 79.768 F au titre d'une créance de commissions et d'enjoindre aux sociétés Casco Nobel et Boiro Nobel de produire le marché et les factures se rapportant à divers chantiers au titre desquels il formait réclamation d'une indemnité provisionnelle de 69.422,49 F. Ils sollicitent enfin condamnation des sociétés Casco Nobel et Boiro Nobel à lui payer la somme de 23.720 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Les sociétés défenderesses ont conclu à l'incompétence territoriale du tribunal de grande instance de Metz au profit du tribunal de commerce de Nanterre en se prévalant d'un clause de prorogation de compétence insérée dans la convention des parties, la société Boiro Nobel a conclu en outre à l'irrecevabilité de la demande dirigée contre elle. Chacune a sollicité la condamnation de Monsieur Collignon à lui payer la somme de 5.000 F de dommages et intérêts outre celle de 5.000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement prononcé par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz en date du 28 décembre 1993, cette juridiction s'est déclarée incompétente et a désigné le tribunal de commerce de Nanterre en qualité de juridiction compétente.

Par le jugement déféré, en date du 5 décembre 1995, le tribunal de commerce de Nanterre a dit que la demande d'indemnité de rupture de contrat d'agent commercial formée par Monsieur Collignon était bien fondée, a condamné solidairement la SA Boiro et la SA Casco Nobel France à lui payer la somme de 79.758 F HT au titre de ses commissions dues sur le chantier Bazeille, a enjoint auxdites sociétés de produire le marché et les factures concernant le chantier du lycée de Bazeille, les factures de la société Andreoli, a réservé à Monsieur Collignon ses droits à chiffrer le montant de ses commissions, a condamné solidairement la société Boiro Nobel et la société Casco à payer à Monsieur Collignon diverses sommes relativement au chantier " Les Provinces " de Laxou et a dit la SA Boiro Nobel mal fondée en sa demande de mise hors de cause et l'en a déboutée.

Au soutien de l'appel qu'elle a interjeté contre cette décision, la SA Casco Nobel France souligne d'abord, en ce qui concerne l'indemnité de rupture, que la loi du 25 juin 1991 qui a modifié le statut des agents commerciaux prévu par le décret du 23 décembre 1958, ne s'applique qu'aux contrats conclus après son entrée en vigueur et, à compter du 1er janvier 1994, à l'ensemble des contrats en cours à cette date.

Or le contrat qui liait la Société Casco Nobel France à Monsieur Collignon a été signé le 26 juin 1989, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 1991.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que ce contrat restait soumis au décret du 23 décembre 1958.

En ce qui concerne le non-renouvellement du contrat à durée déterminée, la SA Casco Nobel France rappelle que le contrat la liant à Monsieur Collignon avait été conclu le 26 juin 1989 pour une durée déterminée d'un an renouvelable d'année en année par tacite reconduction, et qu'il prévoyait qu'à chaque échéance, les parties pouvaient mettre fin au contrat en respectant un préavis d'un mois et ce, sans justification ni indemnité de part et d'autre.

Par ailleurs le décret du 23 décembre 1958 prévoit que le mandant peut refuser le renouvellement du contrat d'agent commercial sans avoir à verser à l'agent une indemnité de rupture.

Or si le contrat a été rompu le 25 mai 1991, soit un mois avant sa date anniversaire, Monsieur Collignon a continué de travailler et d'être rémunéré jusqu'à la date anniversaire du contrat.

Dès lors Monsieur Collignon ne peut prétendre au paiement de quelque indemnité de rupture que ce soit.

Subsidiairement, l'appelante estime que la résiliation du contrat d'agent commercial la liant à Monsieur Collignon était justifiée par la nécessité de réorganiser l'entreprise. En effet, les pertes enregistrées par la Société Casco Nobel dans son département " Produits de Façade ", durant les trois dernières années ont rendu impossible la poursuite de cette activité.

Le contrat de Monsieur Collignon ne lui confiait qu'un seul produit à la vente, qui était un produit de façade.

Or, en vertu du décret du 23 décembre 1958, la cessation de la fabrication ou de la diffusion d'un produit dont la vente était assurée par l'agent commercial constitue une cause légitime de rupture de la part du mandant.

Il convient donc de débouter Monsieur Collignon de sa demande d'indemnité de rupture.

A titre plus subsidiaire, sur le montant de l'indemnité de rupture, la SA Casco Nobel France fait remarquer que si la cour devait considérer la demande d'indemnité de rupture présentée par Monsieur Collignon comme étant justifiée dans son principe, cette indemnité ne saurait être estimée à la somme de 250.000 F.

Cette indemnité, qui s'analyse en une compensation du préjudice subi par la perte du revenu qu'elle lui apportait, doit être déterminée au regard de plusieurs critères, qui sont l'ancienneté de l'agent commercial, l'apport réel de clientèle par celui-ci, ainsi que le chiffre d'affaire dégagé par son activité.

Or l'appelante rappelle en l'espèce la faible durée des relations contractuelles, réalisé par Monsieur Collignon.

Enfin, l'appelante estime que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à payer à Monsieur Collignon différentes commissions sur les ventes qu'il aurait effectuées avant la rupture de son contrat,

En ce qui concerne le chantier de Bazeille, Monsieur Collignon ne peut avoir droit au commissionnement sur cette affaire, car ce chantier se trouvait sur le secteur d'un autre agent commercial. En ce qui concerne les factures de la société Andreoli, elles n'ont pas été réglées à la SA Casco Nobel France, donc aucune commission n'est due à cet égard à Monsieur Collignon puisque l'article 3 de son contrat précise que les commissions ne sont dues à l'agent commercial qu'au fur et à mesure de l'encaissement des factures les concernant.

Enfin, relativement au chantier des Provinces à Laxou, l'appelante déclare que la somme de 78.334,61 F versée à Monsieur Collignon, comprenait la somme de 69.422,49 F au paiement de laquelle les premiers juges l'ont condamnée.

De même la somme de 31.134,18 F réglée par la SA Casco Nobel France à Monsieur Collignon doit s'imputer sur la somme de 135.399,37 F au paiement de laquelle les premiers juges ont condamné l'appelante.

La société Boiro Nobel SA, sur appel incident, précise que la cession du département produits de façade emportait exclusivement la cession des contrats de travail conformément aux dispositions du code du travail, mais qu'il n'était pas prévu que la société Casco cédât à la société Boiro les contrats qui la liaient à ses agents commerciaux, qui ne sauraient être assimilés à des salariés.

La société Boiro conteste par ailleurs qu'au lendemain de la rupture du contrat de Monsieur Collignon par la société Casco, elle se soit engagée à poursuivre son contrat.

En particulier, Monsieur Collignon ne saurait exploiter le fait qu'il a continué d'échanger certaines correspondances avec son ancien responsable, Monsieur Pinquier, après la cessation d'activité, pour prétendre qu'il aurait alors travaillé avec la Société Boiro Nobel, alors qu'à dater de la cession, Monsieur Pinquier était la seule personne à même de faire le point avec lui sur les commissions qui lui étaient éventuellement dues.

La société Boiro Nobel n'ayant jamais été contractuellement liée à Monsieur Collignon, elle estime ne pas devoir être condamnée solidairement avec la société Casco Nobel à payer à Monsieur Collignon un certain nombre de sommes et que le jugement soit donc infirmé sur ce point.

Monsieur Collignon demande confirmation du jugement en toutes ses dispositions et d'abord en ce qu'il a estimé que le contrat était soumis aux dispositions du décret du 23 décembre 1958, lequel prévoit notamment qu'en cas de rupture, l'agent commercial a droit à un préavis et à des indemnités.

Ensuite, l'intimé affirme que le contrat a été cédé à la société Boiro Nobel, qui a continué à travailler avec Monsieur Collignon, et par ailleurs que le contrat a été abusivement rompu par la Société Casco Nobel, sans droit pour rompre un contrat qu'elle avait cédé à la Société Boiro Nobel.

L'intimé conteste la nécessité d'une réorganisation de l'entreprise, car le produit qu'il vendait a continué d'être utilisé après la résiliation de son contrat.

En outre, le produit n'était pas déficitaire. Monsieur Collignon fait en outre valoir que les sociétés n'ont pas communiqué le marché et les factures concernant le chantier du lycée de Bazeille, les factures de la société Andreoli, ce qui démontre leur mauvaise foi et doit justifier que les intérêts de droit qui s'attachent aux condamnations prononcées en première instance à l'encontre de ces sociétés soient assortis de l'anatocisme.

L'intimé demande en outre que les sociétés Casco Nobel et Boiro Nobel soient condamnées à lui verser une indemnité de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur ce LA COUR,

Attendu qu'il n'est pas contesté que le contrat conclu entre Monsieur Collignon et la SA Casco Nobel était régi par le décret du 23 décembre 1958 qu'effectivement, ce contrat a été signé le 26 juin 1989 - avant l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 1991 - et a été résilié le 25 avril 1991 - et n'était dès lors plus en cours au 1er janvier 1994 - ;

Attendu qu'en résiliant, avec le préavis contractuellement prévu d'un mois, le contrat qui la liait à Monsieur Collignon à l'occasion de la cession de l'activité concernée par celui-ci, n'a pas commis de faute qui justifierait une indemnité ;

Attendu qu'il en est d'autant plus ainsi que, parallèlement et comme l'allègue Monsieur Collignon, le contrat d'agent commercial consenti entre la SA Casco Nobel et Monsieur Collignon était repris par la SA Boiro Nobel ; qu'en effet, contrairement aux allégations de cette dernière société, il résulte des pièces versées aux débats - notamment lettre de la SA Boiro Nobel (alors Boiraud Nobel) en date du 9 janvier 1991 - que ce contrat a été repris par cette société, à l'occasion de la cession du fonds de commerce de la SA Casco Nobel à la SA Boiro Nobel - même si, comme elle le relève, une telle reprise ne résultait nullement des dispositions légales -; qu'en effet ce courrier fait explicitement référence aux " termes de notre contrat " auquel cette société déclare vouloir se tenir strictement; que ce contrat, au vu du contenu de ladite lettre - et notamment des allusions relatives au secteur de Monsieur Collignon -, ne peut être que le contrat qui avait été signé avec la SA Casco Nobel ; qu'il n'est au demeurant pas allégué qu'il y en ait jamais eu un autre; que, contrairement aux allégations de la SA Boiro Nobel, il ne saurait être considéré que le rédacteur de ce courrier - même s'il était un ancien salarié de la SA Casco Nobel - se serait exprimé au nom de cette société, avec laquelle il n'avait plus de liens de droit et au nom de laquelle il était radicalement sans qualité pour parler;

Attendu que Monsieur Collignon, qui a continué à travailler effectivement au profit de la SA Boiro Nobel a, de son côté accepté une telle reprise ;

Attendu que Monsieur Collignon qui fait valoir à bon droit que la SA Boiro Nobel a repris avec lui les relations contractuelles antérieurement suivies avec la SA Casco Nobel semble considérer que la rupture de son contrat par la SA Casco Nobel aurait pu avoir un quelconque effet sur le contrat nové avec la SA Boiro Nobel ;

Attendu cependant que la rupture du contrat d'agent commercial consenti à Monsieur Collignon par la SA Casco Nobel est demeurée sans effet sur le contrat repris par la SA Boiro Nobel, société différente ;

Attendu que Monsieur Collignon et la SA Boiro Nobel n'ont pas conclu sur les conséquences de cette situation ; qu'il y a lieu de les inviter à le faire ;

Sur les sommes réclamées au titre de commissions

Attendu, en ce qui concerne le chantier " Bazeille ", qu'il n'est pas contesté que ce chantier se trouve en dehors du secteur de Monsieur Collignon ; que s'il allègue un accord verbal de la part de la SA Casco Nobel, aucun élément ne vient le confirmer ; qu'il y a lieu de le débouter de sa demande ;

Attendu, en ce qui concerne les commissions relatives aux commandes de la société Andreoli, que, si la SA Casco Nobel a bien communiqué (pièce n° 24) une pièce intitulée " déclaration de créance relative à la société Andreoli ", la pièce qui porte ce numéro de communication n'est pas une déclaration de créance, mais une demande de renseignements faite à Maître Weber que rien ne permet ni d'identifier, ni de rattacher aux commandes objets du litige ;

Attendu en ce qui concerne les commissions relatives au chantier des " provinces " à Laxou que si, si la SA Casco Nobel a bien communiqué (pièces n° 19 à 23) des pièces intitulées " pièces relatives aux commissions versées pour le chantier des Provinces à Laxou ", la pièce n° 19 est une demande de renseignements faite à Maître Weber que rien ne permet de rattacher aux commandes objets du litige, que la pièce n° 20 est un courrier accompagnant un chèque versé à Monsieur Collignon et afférent à ce chantier, que la pièce n° 21 est un relevé de compte justifiant du débit dudit chèque, que la pièce n° 22 est la copie de ce chèque et que la pièce n° 24 est la copie d'un autre chèque adressé, lui aussi à Monsieur Collignon, et que rien ne permet de rattacher au présent litige ;

Attendu que s'il résulte de ces documents que Monsieur Collignon a effectivement travaillé et obtenu des contrats en ce qui concerne ces deux chantiers, elles ne permettent en rien de déterminer le montant des commissions pouvant lui être dues ;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu de réouvrir les débats et d'enjoindre à la SA Casco Nobel de verser aux débats le marché et les factures concernant la société Andreoli et les éléments relatifs à leur éventuel paiement ou défaut de paiement ainsi que les mêmes éléments en ce qui concerne le chantier des " provinces " à Laxou, sous astreinte de 5.000 F par mois ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Déboute Monsieur Collignon de sa demande de dommages intérêts pour rupture du contrat d'agent commercial en ce qu'elle est dirigée contre la société Casco Nobel ; constate que Monsieur Collignon et la SA Boiro Nobel ont été, à la suite de la cession du fonds de commerce la SA Casco Nobel à la SA Boiro Nobel, liées par un contrat d'agent commercial reprenant les clauses du précédent ; Invite Monsieur Collignon et la société Boiro Nobel à conclure sur l'état de leurs relations contractuelles ; Déboute Monsieur Collignon de se demandes de commissions en ce qu'elles concernent le chantier du lycée de Bazeille ; Enjoint, sous astreinte de 5.000 F par mois, à la SA Casco Nobel, de verser aux débats le marché et les factures concernant la société Andreoli et le chantier des " provinces " à Laxou ainsi que tous éléments relatifs au paiement ou non paiement éventuels des factures ; Renvoie la cause à l'audience de mise en état du 20 mai 1999 à 9 heures 30 ; Réserve les dépens.