CA Paris, 5e ch. B, 30 mai 2002, n° 1999-23759
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ismay International (SARL)
Défendeur :
Charles Jourdan France (SA), Charles Jourdan Industrie (SA), Charles Jourdan Holding AG (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Président de chambre :
Mme Pezard
Conseiller :
M. Faucher
Avoués :
Mes Nut, Teytaud
Avocats :
Mes Cassagne, Laskar.
La Cour est saisie de l'appel interjeté par la SARL Ismay International du jugement contradictoirement rendu le 27 octobre 1999 par le Tribunal de commerce de Paris qui, dans le litige l'opposant aux Sociétés Charles Jourdan Industries, Charles Jourdan France et Charles Jourdan Holding AG, a dit ces deux dernières sociétés irrecevables en leurs demandes, a condamné l'appelante, outre aux dépens, à payer à la Sociétés Charles Jourdan Industrie la somme de 70.000 francs ou 10.671,43 euros à titre de dommages-intérêts et 10.000 francs ou 1.524,49 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a ordonné l'insertion de ce jugement dans trois journaux, au choix de la bénéficiaire et aux frais de la société Ismay International pour un coût unitaire de 15.000 francs HT par insertion.
Dans ses uniques conclusions du 3 avril 2000 l'appelante fait valoir que si elle ne nie pas avoir, en contravention avec la clause d'un contrat de distribution conclu avec la société Charles Jourdan Industrie, revendu un stock d'anciennes chaussures en Belgique au lieu de la Géorgie, son client géorgien lui ayant fait défaut, force est de constater :
- que Charles Jourdan ne peut prétendre subir un quelconque préjudice direct et personnel lié à une perte commerciale en raison de la revente de chaussures à Bruxelles et ne justifie pas d'une atteinte à la notoriété de la marque puisque le magasin où les chaussures ont été vendues se situe en face d'un revendeur agréé Charles Jourdan et vend des produits de marque,
- qu'une publication de la décision peut mettre un terme à l'activité de l'appelante qui a le milieu de la mode pour unique interlocuteur.
En conséquence la société Ismay prie la Cour d'infirmer le jugement déféré, de rejeter les demandes de Charles Jourdan et de la condamner à lui payer 5.000 francs au titre de ses frais irrépétibles.
Les Sociétés Charles Jourdan Industrie, Charles Jourdan France et Charles Jourdan Holding AG répliquent dans leurs uniques écritures du 25 septembre 2000 :
- que l'appelante a délibérément méconnu ses obligations contractuelles,
- qu'elle a porté atteinte à la politique commerciale du groupe Charles Jourdan qui maîtrise le nombre de chaussures de collection anciennes mises sur le marché,
- que la mise en vente, du fait des actes déloyaux et fautifs de la société Ismay International, de plus de 2.500 paires de chaussures anciennes sur le marché de la ville de Bruxelles, a forcément eu un impact, bien que difficilement quantifiable, sur les ventes de chaussures neuves griffées Charles Jourdan,
- qu'en revendant des chaussures destinées à la Géorgie à un autre magasin soldeur, l'appelante a porté atteinte à son réseau,
- que par la mise sur le marché de Bruxelles d'un nombre important de chaussures anciennes, elle a contribué à associer ses produits à des "produits de solderie" et a ainsi porté atteinte à l'image de marque du groupe Charles Jourdan,
- que la mesure de publication du jugement est justifiée par son caractère dissuasif.
En conséquence des Sociétés intimées concluent à la condamnation de la société Ismay International, outre aux dépens et au règlement d'une indemnité de 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à leur payer la somme de 438.205,20 francs à titre de dommages-intérêts et à la publication du "jugement" à intervenir dans trois journaux, au choix des intimées, pour un coût unitaire par insertion de 35.000 francs HT.
SUR CE :
Considérant que la société Ismay International a, au mois de décembre 1997, commandé à la société Charles Jourdan Industrie diverses paires de chaussures et de bottes ainsi que des sacs pour être vendus "en Géorgie, et une plus petite partie en Estonie";
Que la société Charles Jourdan Industrie l'a informée de ce que le distributeur de ses produits devait être agréé par ses soins, lui a demandé tous renseignements utiles sur celui-ci et lui a précisé qu'elle était solidairement responsable des agissements de ce distributeur qui devait en particulier vendre ses articles dans un lieu préalablement autorisé ;
Que la société Ismay International a adhéré aux conditions mises à sa charge par l'intimée et lui a fourni les coordonnées de son revendeur géorgien ;
Considérant qu'il est établi et au demeurant non contesté que, en violation de ses engagements, la société Ismay International a revendu les produits de la société Charles Jourdan Industrie non à son client géorgien mais à une société bruxelloise, la société Dod, non agréée par la société Charles Jourdan Industrie ;
Considérant que cette société, la seule des sociétés du groupe Charles Jourdan avec laquelle la société Ismay International a contracté, est en droit de prétendre, à l'exclusion des autres Sociétés Charles Jourdan sur lesquelles la Cour ne possède pas de renseignements précis, à la réparation du préjudice à elle causé par la faute de l'appelante ;
Considérant à cet égard que, par ses agissements, la société Ismay International a désorganisé le réseau mis en place par la société Charles Jourdan Industrie et a porté atteinte à son image de marque dans la mesure où, en revendant un nombre non négligeable de chaussures et de bottes de collections anciennes sur le marché bruxellois, elle a contribué à dévaloriser les produits commercialisés par la société Charles Jourdan Industrie ; que ce dommage, le seul à être justifié, sera réparé, au regard des quantités vendues à la société non agréée Dod (2510 paires de chaussures et 100 paires de bottes), par des dommages-intérêts à concurrence de 10.671,43 euros (70.000 francs) et la publication du jugement dans trois journaux au choix de la société Charles Jourdan Industrie et pour un coût, à la charge de l'appelante, ne pouvant dépasser 2.286,74 euros HT (15.000 francs) par insertion ;
Considérant qu'il est justifié de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Charles Jourdan International et de lui allouer à ce titre une indemnité complémentaire de 1.800 euros ;
Considérant que, partie perdante, la société Ismay International ne peut obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et, y ajoutant, condamne la société Ismay International à payer à la société Charles Jourdan Industrie une indemnité complémentaire de 1.800 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, déboute la société Ismay International de ses demandes et la condamne aux dépens de Première Instance et d'Appel ; admet Maître François Teytaud, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.