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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 10 septembre 1998, n° 96-1751

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Magne (SA)

Défendeur :

Azurel Equipements (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beraudo

Conseillers :

M. Baumet, Mme Landraud

Avoués :

SCP Grimaud, SCP Perret, Pougnand

Avocats :

Mes Gonindard, Joly

T. com. Valence, du 21 févr. 1996

21 février 1996

Attendu que le jugement déféré a prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial liant la société Magne à la société Azurel, agent, aux torts de la société Magne et l'a condamnée à payer une indemnité de 1 226 164 F ;

Attendu que la société Azurel a cessé d'exécuter son activité à compter du 5 avril 1994, après que la société Magne avait négocié une remise de 40 % avec son principal client, de sorte que les commissions qui lui étaient servies étaient toujours de 3,70 % du montant des ventes au lieu de varier entre 12,60 % et 3,70 % ;

Attendu que, devant la cour, la société Magne conclut ainsi qu'il suit :

Réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Valence statuant en matière commerciale en date du 21 février 1996.

Faisant application de l'article 13b de la loi du 25 janvier 1991,

Dire que la société Azurel Equipements n'est pas fondée à revendiquer une indemnité compensatrice en suite de la rupture du contrat d'agent commercial qu'elle a notifiée à la société Magne.

Constater en outre que cette dernière a commis des fautes d'une telle gravité, que lui est interdit toute revendication d'indemnité.

Débouter en conséquence la société Azurel de ses demandes d'indemnisation comme ni justifiées, ni fondées.

Très subsidiairement, si par impossible, la cour devait estimer la société Azurel recevable en sa demande,

Constater que cette dernière ne justifie pas de la réalité et du montant de la perte qu'elle prétend avoir subie.

Rejeter en conséquence, pour ce seul motif, sa demande d'indemnisation ou arbitrer cette dernière à un montant de principe.

Condamner la société Azurel en tous les dépens de première instance et d'appel, et autoriser la SCP Grimaud les recouvrer directement contre elle.

Qu'elle fait valoir, en substance, qu'elle a respecté le contrat signé le 15 juillet 1988 qui la laissait libre de fixer les tarifs et qu'elle n'a fait qu'appliquer la grille de commissionnement établissant un lien dégressif entre les remises et le pourcentage des commissions ;

Qu'elle ajoute que la société Azurel a commis des indélicatesses financières de nature à justifier une rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave ;

Attendu que la société Azurel conclut à la confirmation et demande 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle fait valoir, en substance, que la politique de remise de la société Magne décidée en avril 1994 lui a fait perdre 47 851 F au dernier semestre 1994 et lui aurait fait perdre 95 702 F en 1995 ; Qu'elle précise que sa santé financière ne lui aurait pas permis de supporter une telle baisse de son commissionnement ;

Que, sur les fautes graves qui lui sont imputées, elle indique que la société Magne a toujours admis que, dans les opérations incluant partiellement ses propres produits, elle recouvre le prix global et verse ensuite à la société Magne la part devant lui revenir ;

Sur ce,

Attendu, sur la règle de droit applicable, que l'article 13, alinéa b de la loi du 25 juin 1991 dispose que l'agent commercial n'a pas droit à la réparation du préjudice causé par la rupture de son contrat lorsque la cessation résulte de l'initiative de l'agent à moins que la cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant, par suite desquelles la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

Que, contrairement à ce que conclut la société Magne, l'agent peut prendre l'initiative de la rupture en l'absence de faute du mandant ;

Qu'il suffit que, conformément aux règles applicables au mandat d'intérêt commun, les circonstances imputables au mandant confèrent une cause légitime à la cessation du contrat par l'agent ;

Que la cause de la rupture est légitime lorsque, du fait des circonstances imputables au mandant, il ne peut pas être raisonnablement exigé de l'agent commercial qu'il poursuive son activité ;

Attendu, sur " les circonstances imputables " à la société Magne, qu'il résulte de la grille de commissions en vigueur entre les parties à compter du 1er janvier 1994 deux effets au regard du présent litige :

- que le pourcentage des commissions est fixé uniformément à 16,89 % du prix de vente hors taxe, en l'absence de remise ;

- que le pourcentage de commissions est dégressif en fonction des remises de 1 % à 40 % (commissions de 16,85 % à 3,70 %) ;

Qu'il est de fait qu'au lieu de pratiquer dans ses relations avec l'UGAP un prix inférieur de 40 % à son prix habituel de sorte que l'agent aurait eu une commission de 16,85 % des ventes, la société Magne a adopté une pratique de remises générales et constantes de 40 % de sorte que l'agent a reçu une commission de 3,70 % du prix des ventes;

Que la généralité et la constance de cette pratique de remises permanentes conduit à juger que le prix payé par l'UGAP devait être qualifié de prix fixe dans les relations entre les parties ;

Qu'en tout cas, en agissant ainsi qu'elle fait, à partir d'avril 1994, malgré les protestations réitérées de l'agent commercial, rémunéré au pourcentage le plus bas de 3,70 %, la société Magne n'a pas appliqué de bonne foi la grille de commissions annexée au contrat;

Que la société Azurel est donc fondée à faire valoir que la cessation de son activité est due à des circonstances nouvelles imputables au mandant ;

Attendu, sur le point se savoir si la poursuite de l'activité peut raisonnablement être exigée de l'agent, que la cour observe qu'aucune pièce du dossier n'établit que la société Magne a pris le soin d'exposer à l'agent commercial sa décision stratégique de pratiquer envers l'UGAP une politique de prix bas pour conserver la clientèle des collectivités locales et des administrations ; Qu'elle n'a pas non plus pris le soin d'adapter la grille de commissions de manière à en atténuer les effets sur la société Azurel ; Que cette dernière a dû subir le taux de commissionnement au pourcentage le plus bas dans des conditions inattendues ; Que ses demandes de révision du mode de commissionnement pour tenir compte de la nouvelle pratique de la société Magne envers l'UGAP sont restées lettres mortes ;

Qu'une illustration des tentatives d'accommodement faites par la société Azurel est fournie par la lettre du 19 octobre 1994 ci-après reproduite :

<emplacement tableau>

Que, sur les pertes subies par la société Azurel, l'argumentation directe et indirecte de la société Magne ne parvient pas à effacer la conséquence que la pratique nouvelle envers l'UGAP a entraîné une baisse des commissions de 50 744 F TTC pour le second semestre 1994 ;

Qu'il résulte des propres conclusions de la société Magne que l'UGAP représentait " pour la société Azurel en 1993, 60,23 % de son chiffre d'affaires et 44,45 % en 1994 " ;

Qu'une baisse du pourçentage de commission de l'ordre de 9 % pour un client aussi important, avec pour résultat une diminution de plus de 20 % des commissions totales perçues, permet à la cour de juger que la poursuite de l'activité de l'agent ne pouvait plus être raisonnablement exigée;

Attendu, sur les fautes graves alléguées par la société Magne, qu'il est de fait qu'aucun grief de cet ordre n'a été formulé à l'encontre de la société Azurel avant le procès ;

Que ne sont donc susceptibles de recevoir la qualification de faute grave que des faits parvenus à la connaissance de la société Magne après la rupture des relations en janvier 1995 ;

Qu'en effet, le silence de la société Magne en face des comportements antérieurement connus d'elle démontre sa tolérance ;

Que ne peuvent donc pas être qualifiés de fautes graves les griefs relatifs à l'hôpital San Salvador en raison de la lettre de la société Magne du 17 novembre 1994 qui ne les qualifie pas ainsi ;

Que, pour l'EURL L'Estival et le service de santé des armées, la société Azurel produit des documents de 1992 et 1993 établissant qu'en cas de vente de marchandises Magne et Azurel, cette dernière facturait le tout et reversait à la société Magne la part devant lui revenir ; Que la société Magne qui a encaissé ces chèques sans protester ne peut pas considérer, sans avoir demandé à la société Azurel de changer ses pratiques, comme fautive une pratique conforme aux habitudes antérieures des parties ;

Que pour la remise de 50 % consentie par la société Azurel à la société Touring Hotel, la société Magne ne contredit pas de façon probante les explications cohérentes de la société Azurel que cette remise, supérieure à 40 %, concernait une vente de meubles fabriqués pour un autre client (l'Hôtel Palm Beach) qui n'avait pas trouvé de financement adéquat ;

Et que la qualification de " problème commercial grave " donnée par la société Magne dans une lettre du 23 février 1995 a été formulée après l'assignation délivrée à la requête de la société Azurel le 2 février 1995 ;

Que la demande de résiliation judiciaire du contrat d'agence commerciale pour cause de faute grave de la société Azurel doit donc être rejetée;

Attendu, sur l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat à la société Azurel, qu'il est de fait que le contrat a été exécuté de 1988 à 1994 et que la société Azurel a créé et entretenu une clientèle ;

Qu'il est également de fait que la société Magne s'est appropriée cette clientèle qu'elle exploite directement avec le concours d'un VRP salarié ;

Que le préjudice de la société Azurel consiste donc dans la valeur de ladite clientèle, perdue pour elle, gagnée par la société Magne ;

Que les usages du commerce chiffrent à deux années de commissions la valeur de la clientèle d'un agent commercial ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement qui, faisant la moyenne des commissions de 1991 à 1994, a chiffré à 1 226 164 F le préjudice subi par la société Azurel ;

Attendu, sur la demande de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, qu'il y a lieu d'y faire droit ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, juge que la cessation de son activité d'agent commercial par la société Azurel a pour cause légitime les modifications apportées par la société Magne à sa rémunération, circonstances imputables au mandant par suite desquelles la poursuite de l'activité ne peut plus être raisonnablement exigée ; Confirme le jugement en ce qu'il a alloué à la société Azurel 1 226 164 F (un million deux cent vingt six mille cent soixante quatre francs), outre intérêts au taux légal à compter du 29 août 1995, ainsi que 5 000 F (cinq mille francs), au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Y ajoutant ; Condamne la société Magne à payer à la société Azurel 20 000 F (vingt mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens dont distraction au profit de la SCP d'avoués Perret et Pougnand.