CA Lyon, 3e ch., 3 décembre 1999, n° 97-05113
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Martin
Défendeur :
Interbrew France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Karsenty
Conseillers :
Mmes Robert, Martin
Avoués :
Mes de Foucroy, Morel
Avocats :
Me Bakaya, SCP Jacubowicz.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte sous seing privé des 15 et 19 mai 1995, Mlle Martin a acquis un fonds de commerce de café-bar-restaurant licence IV situé 6 rue des Macchabées à Lyon.
Aux termes de cet acte, la société Interbrew France s'est portée caution d'un prêt de 61 000 F consenti à Mlle Martin par la BNP.
En contrepartie de cet engagement de caution, Mlle Martin a accepté un contrat de fourniture exclusive de bières au bénéfice de la société Interbrew France, cet engagement devant porter sur un minimum de 80 hectolitres par an.
Il était en outre prévu que : "Le client et ses successeurs, à quelque titre que ce soit, à qui il devra transmettre ses obligations, poursuivront cet engagement pendant une durée de cinq années à dater des présentes".
Suivant acte sous seing privé du 16 juillet 1996, Mlle Martin a cédé son fonds de commerce sans que le cessionnaire reprenne l'engagement d'approvisionnement exclusif contracté au bénéfice de la société Interbrew France.
Par acte du 25 avril 1997, la société Interbrew France a assigné Mlle Martin afin de la voir condamner au paiement de la somme de 57 888 F TTC, montant de l'indemnité forfaitaire contractuelle due en cas de non respect de l'engagement d'approvisionnement exclusif, et de la somme de 2 010,30 F par elle remboursée à la BNP en sa qualité de caution.
Par jugement du 23 mai 1997 rendu en l'absence de Mlle Martin, le tribunal de commerce de Lyon a fait droit aux demandes de la société Interbrew France.
Mlle Martin a relevé appel du jugement qu'elle entend voir réformer en faisant valoir :
- que l'assignation qui lui a été délivrée ainsi que le procès-verbal de signification du jugement sont nuls,
- que les juridictions de Lyon sont incompétentes pour connaître du litige,
- que la clause d'arbitrage préalable a été violée par les premiers juges,
- qu'elle se trouve exonérée de son obligation du fait exclusif du préposé et du mandataire de l'intimée, l'attitude du représentant de la société Interbrew lors des négociations tendant à la cession de son fonds de commerce et à la reprise par le cessionnaire de la convention d'achat exclusif étant constitutive d'une faute imputable au commettant et justificative de son exonération,
- que les premiers juges ont fait une application intempestive des règles tirées de la cause juridique de son engagement,
- que les premiers juges ont fait une application excessive de la clause pénale laquelle, compte tenu de sa bonne foi, doit être réduite à la somme maximale de 3 000 F,
- que la prétendue créance de la société Interbrew à hauteur de 2 010,30 F n'est pas matériellement justifiée.
Elle présente une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 15 000 F à titre de dommages intérêts et de la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
La société Interbrew France, intimée, a déposé des conclusions par lesquelles en réponse à l'argumentation de l'appelante et au soutien de ses propres prétentions, elle fait valoir que l'exception d'incompétence doit être écartée et la juridiction lyonnaise déclarée compétente, que l'exception tirée de l'existence d'une clause compromissoire est irrecevable, la clause compromissoire invoquée lui étant en tout état de cause inopposable, que l'assignation introductive d'instance a été délivrée régulièrement et que l'huissier chargé de cette signification a parfaitement rempli sa mission et accompli les recherches imposées par le NCPC.
Sur le fond, elle indique que Mlle Martin s'est portée fort du respect par son successeur de l'engagement d'approvisionnement qu'elle avait pris pour une durée de cinq années et qu'elle ne pouvait ignorer cette clause, que son préjudice réel calculé en fonction des dispositions conventionnelles se monte à 66 249,60 F, somme largement supérieure au montant de l'indemnité de rupture déclarée fixée à 48 000 F HT, soit 57 888 F TTC, que la somme qui est réclamée et qui a été retenue par le premier juge n'est ni excessive ni injustifiée, qu'elle ne peut être tenue responsable des fautes commises par son mandataire rédacteur de l'acte de cession du fonds de commerce à l'occasion de l'accomplissement de sa mission.
Elle sollicite la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 10 000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et la même somme en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.
MOTIFS ET DÉCISION :
Sur la nullité de l'assignation introductive d'instance :
Attendu qu'il résulte de l'acte du 25 avril 1997 qu'après avoir effectué de nombreuses diligences (mairie de Saint Jean des Vignes, voisins, services de gendarmerie, requérante) pour rechercher la destinataire de l'acte, l'huissier a constaté que ne demeurant plus à la dernière adresse connue Mlle Martin n'avait ni domicile ni résidence ni lieu de travail connus et a envoyé à Saint Jean des Vignes, Les Porrières, deux copies de l'acte, l'une en recommandé avec accusé de réception, l'autre en lettre simple;
Attendu que pour soutenir que les diligences accomplies par l'huissier de justice ont été insuffisantes au regard des dispositions de l'article 659 du NCPC, Mlle Martin allègue que la feuille annexée à l'assignation du 25 avril 1997 contient la même formulation que la feuille de signification du jugement du 9 juillet 1997, que la lettre adressée par Me Quiblier au conseil de la société Interbrew le 26 septembre 1997 confirme l'absence de diligences préalablement accomplies auprès de la mairie de Saint Jean des Vignes, qu'une photocopie illisible du récépissé d'un envoi recommandé avec AR censé être adressé à Mlle Martin à son ancienne adresse et retourné avec la mention "non réclamé", comporte l'indication d'une nouvelle adresse à Sanary sur Mer, que son changement d'adresse était effectif depuis le 28 décembre 1996;
Mais attendu que le fait que la feuille de signification annexée à l'assignation soit établie selon une formulation identique à celle de l'acte de signification du jugement ne saurait apporter la preuve de ce que "l'huissier a utilisé une formule préétablie et dactylographiée qu'il a simplement annexée à l'acte sans aucun souci de rechercher son destinataire";
Qu'il n'est d'ailleurs nullement étonnant que les mentions portées soient identiques puisque la situation était la même au mois d'avril et au mois de juillet 1997;
Que si l'huissier de justice, postérieurement à la délivrance de l'assignation mais également à la déclaration d'appel de Mlle Martin qui portait toujours l'adresse de Saint Jean des Vignes, a pris la précaution d'écrire à nouveau à la mairie de Saint Jean des Vignes pour se faire confirmer la situation de Mlle Martin, il n'en résulte pas pour autant que les diligences mentionnées sur la feuille de signification n'ont pas été effectuées;
Que le fait que la lettre recommandée adressée par l'huissier de justice conformément aux dispositions de l'article 659 du NCPC et retournée avec la mention "non réclamée" comporte l'indication d'une adresse à Sanary sur Mer 20 avenue des Poilus, étant observé que Mlle Martin qui avait effectué un changement d'adresse s'est abstenue de retirer ladite lettre, ne saurait caractériser une négligence de l'huissier de justice au moment de la délivrance de l'acte;
Attendu que Mlle Martin fait encore valoir que la preuve de la lettre simple qui a dû lui être adressée n'est pas versée aux débats;
Mais attendu que par une mention qui fait foi jusqu'à inscription de faux, l'huissier de justice a indiqué avoir envoyé à la dernière adresse connue du destinataire une lettre recommandée contenant copie de l'acte, l'accomplissement de cette formalité lui ayant été confirmée par lettre simple datée du même jour;
Que le non retour de cette lettre simple, dont le régime de distribution est bien différent de celui d'une lettre recommandée, est inopérant à prouver que cette lettre n'aurait pas été envoyée;
Attendu que, dans ces conditions, la prétention de Mlle Martin à voir prononcer la nullité de l'assignation doit être rejetée comme mal fondée;
Sur la nullité du procès-verbal de signification du jugement :
Attendu que le jugement a été signifié dans les mêmes conditions que l'acte introductif d'instance et que pour les raisons exposées ci-dessus, l'acte de signification doit être considéré comme régulier;
Que, d'ailleurs, Mlle Martin ne prouve pas l'intérêt qu'elle aurait à faire prononcer la nullité de cet acte dès lors qu'elle a, dès le 23 juillet 1997, interjeté appel du jugement qui lui a été signifié le 9 juillet 1997;
Que cette demande sera également rejetée;
Sur l'exception d'incompétence territoriale :
Attendu que Mlle Martin invoque la compétence des tribunaux de Lille en se fondant sur la clause suivante figurant en page 14 de l'acte de vente du fonds de commerce des 15/19 mai 1995 et à la fin d'un paragraphe intitulé "Convention commerciale et promesse de subvention de la brasserie": "La présente convention exprime l'accord intervenu entre le client et la brasserie sur les conditions de leur collaboration. Si un litige devait cependant s'élever entre eux il serait de la compétence des tribunaux de Lille";
Mais attendu que la clause attributive de juridiction aux tribunaux de Lille ne profitait à l'évidence qu'à la société Interbrew France dont le siège social relève du ressort de ces juridictions alors que Mlle Martin était domiciliée et exerçait son activité en région lyonnaise;
Que la clause attributive de compétence ayant été stipulée dans l'intérêt de la société Interbrew France, celle-ci avait la possibilité d'assigner Mlle Martin soit devant le tribunal de commerce de Lille soit devant celui de Lyon;
Que l'exception d'incompétence territoriale sera, en conséquence, rejetée;
Sur l'application de la clause d'arbitrage :
Attendu que Mlle Martin fait valoir que dans la convention d'exclusivité conclue le 15 mai 1995, Les Caves du Centre agissant en qualité de mandataire de l'intimée et Mlle Martin ont convenu du recours préalable à l'arbitrage pour toutes les contestations relatives à la formation, à l'exécution et à l'interprétation du contrat d'achat exclusif;
Mais attendu qu'en application de l'article 74 du NCPC, cette exception d'incompétence fondée sur une clause compromissoire aurait dû, pour être recevable, être soulevée avant toute défense au fond;
Que tel n'est pas le cas puisque Mlle Martin a conclu deux fois au fond les 5 juin et 20 octobre 1998 avant de soulever cette exception dans ses conclusions du 22 février 1999;
Sur le fond :
- Demande en paiement d'indemnité forfaitaire :
Attendu que la demande de la société Interbrew France est fondée sur la clause suivante de l'acte d'acquisition du fonds de commerce par Mlle Martin : "Le client et ses successeurs, à quelque titre que ce soit, à qui il devra transmettre ses obligations, poursuivront cet engagement pendant une durée de cinq ans à dater des présentes";
Attendu que par cette clause Mlle Martin s'est portée fort de la poursuite, par ses successeurs dans le fonds de commerce, de l'engagement d'approvisionnement par elle contracté envers la société Interbrew, ce qui l'obligeait à ne pas céder le fonds sans qu'une clause de reprise soit mise à la charge de l'acquéreur;
Attendu que les documents versés aux débats (notamment l'attestation de M. Trichard, gérant de la société TT Transactions et l'attestation de Mlle Martin elle-même) montrent que l'appelante connaissait parfaitement la clause qui lui est aujourd'hui opposée;
Qu'il lui appartenait donc de la respecter sans que, pour s'exonérer de l'obligation de porte fort qu'elle a personnellement contracté envers la société Interbrew, elle puisse se prévaloir de l'attitude du représentant de cette société lors des négociations tendant à la cession du fonds ou d'une éventuelle faute de Me Constant par l'intermédiaire de qui a été réalisée la cession;
Attendu que l'engagement de Mlle Martin trouve sa cause dans l'engagement de caution contracté par la société Interbrew en sa faveur, la société Interbrew étant garante à l'égard de la BNP pendant toute la durée du crédit, et que l'appelante ne peut prétendre à l'absence de cause du fait de la vente postérieure du fonds et du paiement consécutif de la dette de la BNP;
Que Mlle Martin ne peut soutenir que l'obligation de céder son engagement de fourniture à l'acquéreur étant une obligation de faire et de moyen seule la preuve d'une faute qu'elle aurait commise serait de nature à fonder sa condamnation, alors qu'elle s'est portée fort de transmettre ses obligations à son successeur et qu'il lui incombait d'exécuter cette obligation consistant non seulement à présenter un successeur à la société Interbrew mais encore à faire insérer dans l'acte de cession une clause de reprise du contrat de fourniture par ce successeur, ce qu'elle a omis de faire;
Attendu que la société Interbrew France est, en conséquence, bien fondée à réclamer à Mlle Martin la pénalité convenue en cas de non respect de la clause, soit une indemnité forfaitaire HT de 150 F par hectolitre de bière restant à livrer conformément au contrat;
Attendu que calculée selon les stipulations conventionnelles, l'indemnité due par Mlle Martin se chiffre à 48 000 F HT (150 x 80 x 4);
Que Mlle Martin est mal fondée à prétendre que l'évaluation de sa créance par la société Interbrew à 48 000 F HT, soit 57 888 F TTC, serait excessive et non justifiée au motif que la clause contractuelle invoquée fixait à 30 500 F la garantie au profit de la caution, alors que cette somme de 30 500 F correspond au montant pour lequel un nantissement conventionnel a été inscrit en garantie de l'obligation contractée, sans que la société Interbrew n'ait renoncé à l'application de la clause elle-même qui mentionne de façon très claire le mode de calcul de l'indemnité forfaitaire, Mlle Martin n'apportant aucun élément à l'appui de son allégation selon laquelle la garantie fixée à 30 500 F reflèterait les prévisions maximum de l'indemnité forfaitaire;
Que l'appelante, à qui incombe la charge de la preuve sur ce point, n'établit pas que le montant de l'indemnité retenue par les premiers juges aurait un caractère manifestement excessif, alors qu'il ressort des documents produits par l'intimée que le préjudice résultant pour la société Interbrew de ne pas avoir livré Mlle Martin pendant les quatre années restant à courir, préjudice calculé à partir de la marge nette par hectolitre, s'établit à une somme supérieure à 66 000 F;
Attendu que Mlle Martin ne peut demander à ce qu'il soit tenu compte de la clause de subvention prévue à l'article 14 du contrat, laquelle, à l'évidence, n'est applicable que pendant la durée d'exécution du contrat;
Attendu que le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a condamné Mlle Martin au paiement de la somme de 57 888 F majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation;
- Demande en paiement de la somme de 2 010,30 F :
Attendu que par lettre recommandée du 27 août 1996, la BNP, créancière de Mlle Martin au titre du prêt de 61 000 F qu'elle lui avait consenti, a formé opposition pour obtenir paiement du solde de sa créance s'élevant, après paiement de l'échéance au 15 août 1996, à la somme de 51 656,29 F et ce non compris les intérêts restant dus à la date du parfait règlement;
Que le 6 novembre 1996, Me Constant a adressé à la BNP un chèque de 51 656,29 F;
Qu'en réalité, l'échéance du 15 août 1996 n'a pas été payée (cf. lettre de la société Interbrew France à Me Constant en date du 13 septembre 1996) et que c'est dans ces conditions que l'intimée, caution de Mlle Martin, a été amenée à régler à la banque une somme de 2 010,30 F;
Que Mlle Martin est mal fondée à contester que la société Interbrew se trouve valablement subrogée dans les droits de la BNP du fait du paiement intervenu, l'opposition formée à hauteur de 51 656,29 F n'ayant aucun effet extinctif pour le surplus de la créance, lequel avait d'ailleurs été rappelé pour mémoire dans l'opposition;
Que le jugement doit donc être également confirmé de ce chef;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à l'intimée la charge des frais irrépétibles supplémentaires qu'elle a exposés du fait de l'appel interjeté;
Que la somme qui lui a été allouée par les premiers juges en application de l'article 700 du NCPC sera portée à 8 000 F;
Qu'en revanche, ne démontrant pas l'existence du préjudice résultant pour elle de l'abus qu'elle impute à son adversaire, elle sera déboutée de sa demande de dommages intérêts;
Par ces motifs, LA COUR, Déboute Mlle Martin de l'ensemble des moyens et demandes par elle développés au soutien de son appel. Confirme le jugement entrepris en portant à 8 000 F la somme allouée à la société Interbrew France sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne Mlle Martin aux entiers dépens de première instance et d'appel avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de Me Morel avoué.