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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 16 mai 1997, n° 97-1637

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Union Nationale Des Mousquetaires (Association), Société civile des Mousquetaires (SCI), ITM Entreprises (SA), ITM Logistique internationale (SA), Norminter (SA), Base de Peynier (SA), OPE Intermarché (SA), ITM Marchandises International (SA)

Défendeur :

Brehm

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

Mme Maestracci, M. Cailliau

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Pamart

Avocats :

Mes Lambert, Clément

TGI Paris, 4e ch. sect. 2, du 18 oct. 19…

18 octobre 1996

LA COUR statue sur l'appel relevé par l'association l'Union Nationale des Mousquetaires, UNM, la Société Civile des Mousquetaires, SCM, la société ITM Entreprises, ITM, la société Interlogistiques France, ITL France, devenue ITM Logistique international, ITMLI, la société Norminter, la société Base de Peynier, la société OPE Intermarché, la société Intermarchandises France, devenue ITM Marchandises International, ITMMI, du jugement contradictoire, rendu le 18 octobre 1996, par le Tribunal de grande instance de Paris qui a dit que les sociétés du groupe ITM Entreprise ont commis des fautes contractuelles à l'égard de Marc Brehm et de Madame Loeffler Brehm, en les défavorisant pour privilégier un autre adhérent, et en les contraignant par abus de position économique dominante à céder sans contrepartie leurs actions de la société Sa Nagre à la société Inter MS d'une part, en les excluant, sans motif valable du Groupe UNIVI d'autre part, condamné in solidum les sociétés appelantes à régler à Marc Brehm et à Madame Loeffler Brehm, en réparation de leurs préjudices, toutes causes confondues, une indemnité de 8 MF, augmentée des intérêts au taux légal, outre celle de 50. 00 F par application de l'article 700 NCPC.

Référence faite aux énonciations du jugement ainsi qu'aux écritures des parties pour l'exposé des faits et de la procédure initiale, il convient de rapporter les éléments essentiels suivants.

Dans le courant du mois de mai 1986, Marc Brehm a été agréé par la commission d'agrément de L'Association Union Nationale des Mousquetaires. Cet agrément ouvre droit à la personne agréée de diriger une société anonyme dont elle disposera d'au moins 67 % du capital social, qui exploitera un point de vente à l'enseigne du groupement.

Le 1er juillet 1986, Marc Brehm, après avoir suivi la formation requise, a conclu un contrat d'adhésion avec la société ITM Entreprises, cette convention régissant les rapports du nouvel adhérent avec l'ensemble des personnes physiques ou morales faisant partie du "groupe Intermarché ", animé par cette société.

Dans le courant de l'année 1987, Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm ont d'abord exploité un point de vente sous l'enseigne Intermarché, exploitation qui n'est pas en cause dans le présent litige.

En avril 1988, les époux Brehm ont acquis les actions de la société Nagre, exploitant un point de vente Intermarché à Béziers, dénommé Béziers Liberté.

Le 2 mai 1988, un contrat de franchise a été conclu entre la société Nagre, dont le capital était détenu à 99 % par les époux Brehm et Marc Brehm, ce dernier intervenant à titre personnel en qualité d'adhérent d'une part, et la société ITMLI agissant tant pour elle-même que sur délégation de la société ITM Entreprises ainsi que pour les sociétés du groupe, et la société Base de Peynier d'autre part, portant sur l'exploitation de ce point de vente.

Le 31 juillet 1992, Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm d'une part, M. Lariche et la société Inter MS d'autre part, ont conclu une promesse de cession des actions de la société Nagre, promesse qui a été régularisée le 22 décembre 1992.

Par ailleurs, le 21 avril 1993, l'Association Union Nationale des Mousquetaires confirmait la décision du 13 janvier précédent portant exclusion des époux Brehm du Groupement des Mousquetaires, décision qui était confirmée le 22 mars 1994 en raison de la mauvaise qualité prétendue de leur gestion.

C'est dans ces circonstances que Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm ont assigné l'ensemble des sociétés constituant le Groupement des Mousquetaires pour voir dire que la promesse de cession du 31 juillet 1992 aurait été obtenue par dol et violence, annuler en conséquence la cession du 22 décembre 1992, condamner in solidum lesdites sociétés à réparer l'intégralité de leur préjudice évalué à 4 725 000 F en principal, d'annuler la mesure d'exclusion intervenue contrairement aux règles fixées, et de condamner les sociétés du groupe à payer à Marc Brehm la somme de 7 350 000 F et à Madame Loeffler-Brehm celle de 7 260 000 F, outre 50 000 F à titre de dommages-intérêts, prétentions auxquelles les sociétés défenderesses ont résisté en soulevant des moyens d'irrecevabilité et en contestant leur bien-fondé.

Par le jugement déféré, le tribunal, pour l'essentiel a rejeté le moyen d'irrecevabilité et a retenu que les sociétés ITM Entreprises avaient commis des fautes contractuelles à l'égard de Marc Brehm et de Madame Loeffler-Brehm d'une part en défavorisant ceux-ci afin de privilégier un autre adhérent et en les contraignant par abus de position dominante à céder sans bénéficier de l'attribution d'un projet d'exploitation d'un autre point de vente, à céder leurs actions, d'autre part en les excluant sans motif valable du Groupe UNM.

Appelantes, l'Association Union Nationale des Mousquetaires, la société SCM, la société ITM Entreprises, la Société ITMLI, la société Norminter, la société Base de Pleynier, la société OPE Intermarché et la société Intermarchandises France demandent à la cour :

de dire Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm irrecevables pour défaut d'intérêt légitime à agir à l'encontre de la société SCM, la société ITMLI, la société Base de Pleynier, la société OPE Intermarché et la société Intermarchandises France, et en conséquence de prononcer la mise hors de cause de ces sociétés,

de dire que Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm ne sont pas fondés à remettre en cause la cession des actions par eux détenues dans le capital de la société Nagre,

de dire que l'exclusion du groupement n'est pas intervenue de manière abusive,

subsidiairement, de dire que la cession susvisée ne leur a causé aucun préjudice, pas plus que la décision d'exclusion, et de les débouter en conséquence de leurs prétentions tendant à voir réparer un préjudice inexistant, de les condamner au paiement de la somme de 15 000 F par application de l'article 700 NCPC.

Les sociétés appelantes font valoir :

que les époux Brehm n'ayant signé à titre personnel que le contrat d'adhésion mais non le contrat de franchise, ils seraient irrecevables à se prévaloir de cette convention et ne justifieraient pas d'un intérêt à agir à l'encontre des sociétés parties au contrat de franchise,

qu'aucun manquement ne saurait lui être reproché à l'occasion de la cession des actions de la société Nagre, la preuve de manœuvres déloyales de la part des sociétés concernées n'étant pas rapportée, que la décision aurait procédé du choix délibéré des cédants, qu'en outre cette cession aurait été profitable à leurs intérêts eu égard à la valeur réelle de l'action,

que la décision d'exclusion serait justifiée par les mauvais résultats de la gestion de Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm mise en évidence par les réserves émises par le commissaire aux comptes,

que, en tout état de cause, la cession ne leur a pas causé de préjudice sauf à confondre les droits de la société Nagre et leurs droits personnels,

que Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm ne justifieraient pas avoir à titre personnel remboursé une somme quelconque à Intermarché et qu'ils ne sauraient invoquer une perte de salaire,

que le préjudice invoqué au titre de l'exclusion du groupement, l'éventuelle perte de chance n'étant pas susceptible d'être indemnisée, et l'indemnité sollicitée n'étant pas fondée.

Intimés, Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm prient la cour :

de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité de leurs prétentions,

de confirmer ce jugement en ce qu'il a été dit que la signature de l'acte du 31 juillet 1992 avait été obtenue par dol et violence,

de dire que les sociétés appelantes ainsi que l'Association Union Nationale des Mousquetaires et la société SCM ont appliqué de mauvaise foi les diverses conventions en violation des dispositions des articles 1134 du Code civil,

en conséquence de condamner celles-ci au paiement de la somme de 7 MF en réparation de leur préjudice, outre les intérêts à compter du prononcé du jugement,

de confirmer la décision déférée en ce qu'il a été dit que l'annulation du groupement était intervenue de manière abusive,

en conséquence d'annuler cette décision d'exclusion et de condamner in solidum les sociétés sus-visées au paiement de la somme de 14,5 MF augmentée des intérêts, outre celle de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Ils font valoir :

que chaque société du groupe devrait être maintenue dans la cause pour avoir participé au déroulement des faits,

que la motivation du tribunal devrait être retenue pour avoir apprécié exactement les éléments de la cause et en avoir tiré les conséquences juridiques,

que le groupe aurait orchestré les actes de concurrence déloyale commis à leur détriment par le cédant, que, notamment l'engagement d'un transfert du magasin, mal placé, n'aurait pas été respecté, que l'attribution d'un magasin à proximité de celui qu'il exploitait a été faite dans des conditions contraires à la règle du plus proche exploitant, que l'ouverture de ce nouveau magasin a été préjudiciable à leur propre exploitation, qu'il serait inexact de soutenir que le projet de Villeneuve-les-Béziers n'aurait pas bénéficié des autorisations administratives,

que la décision d'exclusion a été prise sans respecter les conditions de forme et sur le fondement de documents comptables établis unilatéralement,

que le préjudice financier souffert serait justifié par les documents produits.

Sur quoi, LA COUR :

Sur la recevabilité des prétentions de Marc Brehm et de Madame Loeffler-Brehm,

Considérant qu'il résulte des énonciations du contrat d'adhésion signé par Marc Brehm que l'adhérent conclut le présent contrat tant avec la société ITM Entreprises elle-même qu'avec le Groupe qu'elle dirige tout entier;

Que la qualité d'adhérente de Madame Loeffler-Brehm n'est pas discutée;

Qu'il s'ensuit que Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm ont un intérêt à agir à l'encontre de l'ensemble des sociétés du groupe Intermarché;

Que le moyen tiré de l'irrecevabilité de leurs prétentions sera rejeté;

Sur le fond,

Considérant que la cession d'actions du 22 décembre 1992 n'est pas en cause;

Qu'il ressort des dernières écritures de Marc Brehm et de Madame Loeffler-Brehm, que ceux-ci font grief aux sociétés du groupe d'avoir exécuté de mauvaise foi les conventions, en abusant notamment de leur situation de dépendance économique pour "avoir orchestré" les actes de concurrence déloyale commis à leur détriment;

Considérant qu'il importe de déterminer afin d'apprécier si les sociétés cocontractantes de Marc Brehm et de Madame Loeffler-Brehm ont exécuté de bonne foi leurs obligations, les conditions dans lesquelles a été attribuée, en décembre 1991, l'exploitation du magasin ouvert à très proche proximité du magasin Intermarché Liberté, notamment si les règles mises en place au sein du groupement ont été respectées;

Qu'il importe encore de rechercher si les projets d'implantation à Villeneuve-les-Béziers et à Béziers avenue Clémenceau n'ont pu aboutir et quels en sont les motifs;

Considérant par ailleurs que si les documents produits mettent en évidence contrairement à l'affirmation de Marc Brehm et de Madame Loeffler-Brehm que la procédure d'exclusion a été respectée dans la mesure où ceux-ci ont pu faire valoir leur défense devant la commission d'arbitrage, il importe de rechercher si la faute de gestion qui leur est reprochée présentait une importance telle qu'elle justifiait cette mesure;

Qu'une mesure d'instruction s'impose dans les termes du dispositif ci-après énoncé;

Par ces motifs : Réserve les dépens, Rejette l'exception d'irrecevabilité, Avant dire droit au fond, tous droits et moyens des parties demeurant réservés, Ordonne une expertise, Désigne pour y procéder Mme Bon, 140, Bd Haussmann 75008 Paris avec mission, connaissance prise de l'ensemble des documents contractuels et des pièces des parties, de fournir à la cour les éléments lui permettant d'apprécier les conditions dans lesquelles a été attribuée l'exploitation du magasin Le Tresol et, si à cet égard les pratiques mises en place au sein du groupe ont été suivies, de déterminer précisément les motifs pour lesquels les projets de Villeneuve-les-Béziers n'aurait pas abouti, de caractériser, au vu des documents comptables relatifs aux années 1990 et 1991, si les réserves émises présentaient une gravité justifiant que la gestion de Marc Brehm et de Madame Loeffler-Brehm soit mise en cause, et préciser les conditions dans lesquelles a été établi le rapport de l'expert Causse déposé le 12 mars 1993 et préciser également si l'attention des exploitants avait été auparavant attirée sur la qualité de leur gestion; Dit que Marc Brehm et Madame Loeffler-Brehm consigneront au greffe de la cour la somme de 20 000 F à valoir sur les honoraires de l'expert avant le 31 juillet 1997, Dit que l'expert déposera son rapport avant le 31 mars 1998, Dit qu'à défaut de consigner dans le délai imparti, l'expertise deviendra caduque et l'affaire sera rappelée pour qu'il soit statué en l'état; Désigne M. Caillau, conseiller, pour suivre les opérations d'expertise.