Livv
Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc., 26 novembre 1999, n° 1435

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Castells

Défendeur :

Behi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tribot-Laspiere

Conseillers :

MM. Saint Ramon, Vergne

Avocats :

Mes Crouzatier, Nuyens Curvale.

Cons. prud'h. Toulouse, du 28 sept. 1998

28 septembre 1998

FAITS ET PROCEDURE

Alain Castells a été engagé en janvier 1993 par le bureau d'Etudes Behi en qualité de VRP multicartes sur tout le territoire national et les départements d'outre mer avec possibilité de traiter les marchés importants avec les pays de la CEE. Son contrat de travail prévoyait une rémunération exclusivement à la commission sur toutes les affaires directes et indirectes suivant un barème annexé. En juillet 1996 l'entreprise a pris la forme d'une SA au sein de laquelle Alain Castells était associé et administrateur.

Par avenant signé le 30.4.1997 les parties ont convenu de transformer à compter du 1.5.1997 l'emploi à temps plein occupé par Alain Castells en qualité de directeur commercial en emploi à temps partiel à raison de 33 heures par semaine réparties du lundi au jeudi de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 18 heures et le vendredi de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 16 heures moyennant un salaire brut mensuel hors intéressement fixé forfaitairement à 27.870 F.

Par lettre du 27.11.1997 Alain Castells a écrit au PDG de la société monsieur Jean Baudron pour lui faire part de son étonnement d'avoir constaté à réception de son bulletin de paye d'octobre 1997 que son salaire mensuel avait été réduit à la somme de 5.269 F nette. Il a pris acte de la rupture de son contrat de travail dont il impute la responsabilité à l'employeur qui selon lui a modifié unilatéralement un élément essentiel de son contrat. Il déclarait se tenir à la disposition de la société pour exécuter son préavis à condition d'obtenir le règlement immédiat du solde de son salaire d'octobre 1997 et le paiement de son préavis sur la base de sa rémunération contractuelle s'élevant à 22.500 F net. Il réclamait en outre les commissions de l'année 1997 et la fixation de l'indemnité de clientèle.

Par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 3.12.1997 et reçue le 4.12.1997 le responsable administratif de la société Laurent Massot lui a rappelé que lors de la réunion du conseil d'administration du 17.10.1997, les trois dirigeants de la société dont il faisait partie avaient décidé d'un commun accord de réduire temporairement leur salaire au minimum légal permettant de leur assurer la couverture sociale.

Laurent Massot a néanmoins informé Alain Castells que le président avait décidé de prendre en compte sa réclamation et de lui verser le complément de son salaire d'octobre 1997.

Par acte d'huissier du 9.12.1997 Alain Castells a fait assigner la société Behi devant la formation des référés du conseil de prud'hommes à l'effet de faire constater la rupture de son contrat de travail par le fait de l'employeur, d'obtenir le paiement d'un rappel de salaire pour les mois d'octobre et de novembre 1997, le versement des indemnités de préavis et de licenciement et la remise par l'employeur des documents contractuels.

Par ordonnance du 23.1.1998 le conseil de prud'hommes statuant en référé a donné acte à la société Behi de la remise à l'audience de conciliation de deux chèques d'un montant respectif de 17.231 F et 22.500 F représentant le solde du salaire d'octobre et le salaire du mois de novembre 1997. Le Conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour statuer sur le surplus des demandes d'Alain Castells et a renvoyé la cause et les parties devant le bureau de jugement.

Par jugement du 28.9.1998, le Conseil de prud'hommes a considéré que le salarié n'avait pas expressément accepté la réduction importante de son salaire et a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du jugement en relevant que les parties avaient convenu d'en suspendre les effets jusqu'à cette date.

La société Behi a été condamnée à payer à Alain Castells la somme de 13.935 F à titre d'indemnité de licenciement. Avant dire droit sur le rappel de commissions réclamées par le demandeur le Conseil de prud'hommes a ordonné une expertise confiée à monsieur Sousmanne.

Alain Castells a été débouté de ses autres prétentions.

Il a relevé appel de ce jugement.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

L'appelant rappelle qu'il a été embauché par la société Behi en qualité de VRP multicartes, qu'il a toujours exercé les mêmes fonctions qui consistaient à vendre les produits et les logiciels mis en service par cette société, qu'il exerçait son activité de manière exclusive pour le compte de la société Behi et a toujours été rémunéré de la même manière c'est-à-dire par des avances mensuelles fixes à valoir sur les commissions. Il déclare que l'avenant du 30.4.1997 n'a aucunement modifié ses fonctions. Il prétend en conséquence que le Conseil de prud'hommes a considéré à tort que cet avenant lui avait fait perdre le statut de VRP alors même que l'employeur a renouvelé sa carte de représentant et n'a jamais demandé sa radiation.

Alain Castells soutient que l'employeur ne rapporte aucunement la preuve qu'il avait accepté une baisse de son salaire; il prétend au contraire que la société a opéré un coup de force en lui imposant une réduction de 3/4 du montant de sa rémunération et que la rupture du contrat de travail lui est en conséquence imputable peu important le fait qu'elle ait tenté par la suite de régulariser le paiement des salaires.

Alain Castells déclare rapporter la preuve qu'il a augmenté le chiffre d'affaires de l'entreprise dans de notables proportions et qu'il a apporté à la société une clientèle importante.

L'appelant conclut à la réformation du jugement entrepris. Il demande à la Cour de dire qu'il bénéficiait du statut de VRP et condamner la société Behi à lui payer les sommes suivantes :

- 596.104,00 F représentant 2 ans de commissions à titre d'indemnité de clientèle,

- 513.965,12 F à titre de rappel de commissions ou 200.000 F à titre d'indemnité provisionnelle dans l'attente des conclusions d'une mesure d'expertise que la Cour pourrait ordonner sur ce point,

- 166.598,68 F au titre des congés payés,

A titre subsidiaire pour le cas où la Cour estimerait qu'il a perdu le statut de VRP par l'avenant du 30.4.1997, il sollicite l'octroi de la somme de 46.450 F au titre de l'indemnité de licenciement,

- 10.000 F à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence dont l'employeur ne l'a pas délié,

- 40.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Behi déclare que Alain Castells était également actionnaire et dirigeant de la société dont il était administrateur depuis sa création,

Qu'en octobre 1997 la baisse importante du chiffre d'affaires a conduit les administrateurs à décider d'un commun accord, lors d'une réunion du 15.10.1997 une diminution momentanée du montant de leur rémunération.

La société reconnaît qu'elle n'est pas en mesure de justifier de l'accord auprès d'Alain Castells à cette mesure, qu'en conséquence devant le refus opposé par l'intéressé à la réduction de son salaire elle a accepté de lui rétablir immédiatement son salaire antérieur et lui a remis le 4.12.1997 les chèques correspondant qu'il a refusés.

La société conclut que le rupture du contrat de travail est imputable au salarié et qu'il ne peut en conséquence prétendre au bénéfice d'une indemnité de clientèle.

Que la clause de non-concurrence n'a pu recevoir application puisque Alain Castells a relevé appel du jugement constatant la résolution du contrat de travail.

La société prétend que le salarié qui avait renégocié son contrat par avenant signé par les deux parties le 29.4.1997 avait abandonné le statut de VRP et était devenu à compter de cette date directeur commercial rémunéré non plus à la commission mais par le versement d'un fixe mensuel.

La société conteste lui devoir des rappels de commissions mais ne s'oppose pas sur ce point à l'organisation d'une mesure d'expertise. Elle sollicite l'octroi de la somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la qualification :

Attendu qu'Alain Castells a été initialement engagé par le bureau d'étude Behi en janvier 1993 en qualité de VRP multicartes rémunéré exclusivement à la commission suivant un barème annexé à son contrat de travail.

Attendu que par avenant du 29.4.1997 les parties ont convenu de transformer l'emploi à temps plein occupé par Alain Castells en emploi à temps partiel, que l'avenant ne reprend pas les fonctions de représentation définies dans le contrat initial mais indique dans son article 3 : "le salarié a été engagé pour exercer les fonctions de directeur commercial".

Attendu que son mode de rémunération a été modifié, le salarié n'étant plus payé exclusivement à la commission comme auparavant mais sur la base d'un fixe forfaitaire de 27.870 F brut par mois.

Attendu que pour un horaire de travail réduit à 31.6 heures/semaine en moyenne sur l'année, Alain Castells obtenait par cet avenant une rémunération au moins égale à l'avance mensuelle sur commissions qui lui était versée antérieurement.

Attendu que ses frais professionnels remboursés sur la base d'un forfait mensuel devaient désormais lui être remboursés sur justificatifs.

Attendu que les modifications intervenues dans la qualification de l'emploi, la nature des fonctions et le mode de rémunération permettent de considérer qu'à compter du mois de mai 1997, Alain Castells qui était devenu en juillet 1996 actionnaire et administrateur de la société n'a plus exercé qu'accessoirement une activité de prospection au profit de son rôle de directeur commercial de la société.

Attendu que quelques mois plus tard la société a embauché une technico-commerciale pour assurer le démarchage et le développement de la clientèle et déchargé Alain Castells des fonctions qui étaient les siennes.

Attendu qu'à compter du 1.5.1997 date de prise d'effet de l'avenant contractuel, le salarié a donc perdu le statut de VRP.

Sur la rupture du contrat de travail:

Attendu qu'à compter du mois de juillet 1996 le fonds de commerce exploité par Jean Baudron pour le compte duquel Alain Castells exerçait depuis 1993 les fonctions de VRP multicartes a été repris par la SA Behi dans laquelle le salarié a été associé et administrateur dès sa création.

Attendu qu'il est constant qu'Alain Castells avait un rôle important dans cette petite société dont la destinée était entre les mains des trois administrateurs.

Attendu que ses fonctions de directeur commercial faisaient reposer sur ses seules épaules l'impulsion de la politique commerciale de l'entreprise et la responsabilité du développement de son chiffre d'affaires.

Attendu qu'Alain Castells qui cumulait les fonctions de mandataire social et de salarié n'était donc pas un salarié ordinaire puisqu'il exerçait une influence directe sur les décisions concernant la vie de l'entreprise à laquelle il participait également par son travail.

Attendu qu'il était le salarié le mieux rémunéré de la société ses émoluments qui s'élevaient en 1997 à 22.500 F net par mois dépassant ceux du PDG et directeur technique monsieur xxx qui étaient de 180.000 [sic] F par mois.

Attendu que sa position privilégiée au sein de l'entreprise est confirmée par une décision d'agrément du ministère des finances du 3.11.1997 faisant suite à une demande de donation de 2.375 actions à son profit par le PDG de l'entreprise.

Attendu que Alain Castells était donc nécessairement informé des résultats de l'entreprise et aucune décision importante la concernant ne pouvait être pris sans qu'il soit consulté.

Attendu qu'il est établi par la production des comptes de résultats de l'année 1997 qu'au cours de cet exercice le chiffre d'affaires a baissé et que les résultats, bénéficiaires de 101.889 F en 1996 se sont traduits par une perte de plus de 200.000 F en 1997.

Attendu que les comptes-rendus des réunions internes qui se sont déroulées à la fin octobre 1997 révèlent que des tensions sont apparues entre les dirigeants.

Attendu qu'il résulte des attestations émanant d'un autre administrateur monsieur Massot; de monsieur Gilles Delcros ingénieur ayant participé aux réunions et de madame Véronique Trichard qui a rédigé les comptes-rendus, que les trois administrateurs avaient si ce n'est décidé du moins envisagé eu égard aux difficultés économiques de l'entreprise de réduire temporairement leur rémunération au minimum légal permettant de leur assurer la couverture sociale.

Attendu que s'il n'a pu être établi de manière formelle qu'Alain Castells avait accepté cette mesure il est néanmoins certain que cette question avait été abordée et débattue en sa présence.

Attendu qu'il apparaît dès tors que l'intéressé a feint l'étonnement et la surprise dans une lettre du 27.11.1997 en déclarant avoir constaté à réception de son bulletin de paye que son salaire d'octobre 1997 avait été réduit.

Attendu que sans justifier d'aucune tentative d'explication Alain Castells s'est empressé de prendre acte de la rupture de son contrat de travail pour manquement de l'employeur à ses obligations.

Attendu que la rupture d'un contrat de travail est un acte grave qui suppose de la part de la partie à laquelle elle est imputée une volonté claire et réfléchie un manquement caractérisé à ses obligations contractuelles ou une cause réelle et sérieuse justifiant de mettre fin à la relation contractuelle.

Attendu que par courrier posté le 2.12.1997 la société Behi immédiatement rappelé à Alain Castells les conditions dans lesquelles avait été décidé la réduction de la rémunération des trois administrateurs salariés dont il faisait partie.

Attendu que la société a néanmoins fait savoir à l'intéressé qu'elle acceptait ses exigences et que le solde de son salaire lui serait payé.

Attendu qu'avec la même précipitation et sans égard pour ce courrier qui le rétablissait sans ses droits Alain Castells a fait assigner la société Behi en référé le 9.9.1997 pour faire constater la rupture de son contrat de travail et obtenir le paiement du complément de salaire lequel lui a été intégralement versé en cours d'instance avant toute intervention d'une décision de justice.

Attendu que les contrats doivent s'exécuter de bonne foi.

Attendu que le manquement ponctuel de l'employeur à son obligation de payer au salarié la rémunération convenue suivie du rétablissement rapide de ce dernier dans ses droits ne constitue pas eu égard aux circonstances de la cause un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail.

Attendu que dans ces conditions la demande du salarié tendant à faire supporter par l'employeur l'imputabilité d'une rupture dont ce dernier n'a pas pris l'initiative n'est donc pas fondée.

Attendu qu'en l'absence de licenciement Alain Castells ne peut prétendre au bénéfice des indemnités de rupture ni à l'octroi de dommages-intérêts pour licenciement prétendument abusif,

Que l'indemnité de clientèle ne lui est pas due puisqu'à compter du 30.4.1997 il a perdu ses fonctions de représentant pour devenir directeur commercial de la société.

Sur la clause de non-concurrence:

Attendu que cette clause prévue à l'article 5 de l'avenant signée par les parties le 30.4.1997 n'est applicable qu'en cas de démission ou de licenciement pour faute grave,

Attendu Alain Castells n'étant pas dans l'un de ces deux cas, les dispositions de cette clause ne lui sont pas applicables, qu'il ne peut donc prétendre au bénéfice d'une contrepartie financière.

Sur les rappels de commissions:

Attendu que la Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer sur cette demande,

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a ordonné sur ce point une mesure d'expertise.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:

Attendu qu'il y a lieu en équité de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles.

Par ces motifs : LA COUR, Réforme le jugement du Conseil de prud'hommes de Toulouse le 28.9.1998, Dit que les faits reprochés par Alain Castells à l'encontre de la société Behi sont insuffisants pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de la société. Constate que le salarié n'a pas été licencié, Le déboute en conséquence de ses demandes tendant au bénéfice de l'indemnité de licenciement et à des dommages-intérêts pour licenciement abusif; Dit Alain Castells a perdu à compter du 30.4.1997 le statut de VRP. Le déboute de sa demande d'indemnité de clientèle, Dit que les conditions d'application de la clause de non-concurrence ne sont pas réunies. Laisse à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles. Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a ordonné avant dire droit sur la demande de rappel de commissions une mesure d'expertise confiée à monsieur Roger Sousmanne. Renvoie la cause et les parties devant le Conseil de prud'hommes pour qu'il soit statué sur cette demande en lecture du rapport d'expertise lorsque celui-ci sera déposé. Condamne Alain Castells aux dépens.