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Décisions

CA Amiens, 5e ch. soc. cabinet b, 16 septembre 1999, n° 9701843

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Beaugrand

Défendeur :

Monory et Fils (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darchy

Conseillers :

Mmes Robitaille, Barge Roch

Avocats :

Mes Trouchet, Lebegue.

Cons. prud'h. Amiens, du 9 avr. 1997

9 avril 1997

Vu le jugement en date du 9 juin 1997 du Conseil de Prud'hommes d'Amiens qui a dit que Jean-Pierre Beaugrand ne pouvait prétendre au statut de VRP, qu'il était responsable de la rupture du contrat de travail et l'a condamné au paiement de la somme de 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Vu l'appel interjeté le 28 avril 1997 par Jean-Pierre Beaugrand du jugement qui lui a été notifié le 23 avril 1997 ;

Vu les conclusions de Jean-Pierre Beaugrand déposées les 16 novembre 1998 et 23 novembre 1998 en vue de l'audience du 20 mai 1999 ;

Vu les conclusions de la SA Monory et Fils déposées le 17 mai 1999 en vue de l'audience du 20 mai 1999 ;

Sur ce,

Attendu que Jean-Pierre Beaugrand a été embauché le 1er octobre 1978 par Jean Monory, en qualité d'employé commercial ; que par courrier daté du 21 juillet 1995 Jean-Pierre Beaugrand a notifié à la SA Monory et Fils qu'il prenait acte de la rupture de son contrat de travail du fait de l'employeur en raison notamment de retenues illégales sur son salaire, suppression de commissions et versement en retard du salaire ; que par courrier du 16 août 1995 il indique renoncer à l'indemnité de clientèle et entend bénéficier de l'indemnité spéciale de rupture et ce conformément aux dispositions de l'article 14 des ANI concernant les VRP ; que la SA Monory et Fils contestant l'application du statut de VRP à l'intéressé a mis en demeure celui-ci de reprendre son poste puis a mis en œuvre une procédure de licenciement pour faute grave.

SUR LE STATUT DE VRP

Attendu que le contrat de travail liant Jean-Pierre Beaugrand à l'entreprise Monory, devenue la SA Monory et Fils, fait état d'une embauche en qualité d'employé commercial ; que cependant la qualification donnée par les parties au lien les unissant ne peut exclure l'application du statut de VRP, lequel est d'ordre public, dès lors que, dans les faits, le salarié remplit les conditions dudit statut.

Attendu que les articles L. 751-1 et suivants, du code du travail impliquent, pour l'application du statut de VRP, que le salarié :

- travaille pour un ou plusieurs employeurs ;

- exerce de façon exclusive et constante la profession de représentant ;

- ne fait aucune opération commerciale pour son compte personnel ;

- est lié à l'employeur par des engagements déterminant la nature des prestations de services ou des marchandises offertes à la vente ou à l'achat, le secteur géographique, catégorie de clients, taux de rémunération ;

Attendu que Jean-Pierre Beaugrand exerçait la fonction de représentant pour le compte de son employeur; qu'il prenait et transmettait les commandes; qu'il n'effectuait aucune opération commerciale pour son propre compte.

Attendu que le contrat de travail signé le 1er octobre 1978 disposait que le secteur qui lui était confié était un secteur où existait une clientèle créée par les établissements Monory ;

Que de 1978 à 1982 le secteur de Maignelay-Lassigny-Ressons lui était confié ; qu'en 1983 à ce secteur lui étaient jointes deux autres zones et qu'à partir de 1988 le secteur de Roye lui était en outre attribué ; que le secteur attribué à Jean-Pierre Beaugrand constitue une zone stable de prospection; qu'à deux reprises seulement en 17 ans d'activité la zone d'activité du salarié s'est trouvée légèrement modifiée dans le sens d'une extension de son intervention ;

Attendu que le contrat de travail prévoit le taux de rémunération;

Attendu que les conditions d'application du statut de VRP se trouvent effectivement remplies; qu'il importe peu en l'espèce que Jean-Pierre Beaugrand soit soumis à un contrôle de son activitéou encore que des affaires relevant du secteur de l'intéressé aient été conclues directement par le directeur commercial ou encore que la clientèle n'ait pas été développée ; que le jugement sera dès lors infirmé de ce chef.

Attendu que Jean-Pierre Beaugrand ne justifie pas du préjudice subi du fait de la non-application du statut de VRP ; qu'il sera débouté de sa demande de dommages intérêts à ce titre.

SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

Attendu que par courrier daté du 21 juillet 1995 Jean-Pierre Beaugrand a notifié à son employeur qu'il prenait acte de la rupture de son contrat de travail du fait de la SA Monory et Fils en raison des manquements de celle-ci ; que ce courrier ne peut s'analyser en une démission faute de volonté claire et non équivoque de rupture de la part du salarié ;

Attendu que le contrat de travail liant les parties s'est trouvé rompu le 21 juillet 1995 ; que la rupture peut s'analyser en un licenciement dans l'hypothèse d'une faute grave de l'employeur justifiant l'initiative de la rupture prise par le salarié.

Attendu que le contrat de travail prévoit un paiement du salaire le 5 du mois suivant ; que les relevés de compte versés aux débats font apparaître des versements de la société effectuées entre le 4 et le 11 du mois suivant pour la plupart ; que si quelques jours de retard peuvent parfois être constatés, ces retards sont relativement minimes, peuvent être justifiés par le calcul des commissions et ne présentent pas un caractère de gravité tel qu'ils constituent une faute grave de la société.

Attendu qu'en mars 1995 et juin 1995 la société Monory et Fils a déduit une somme de 1.022,50 F au titre d'une régularisation de commissions ; qu'il résulte des conclusions de première instance de la société et des décomptes versés aux débats qu'une pénalité de 0,050 % calculée sur le minimum du CA à réaliser, soit 1.022,50 F, était prévue dans le cadre d'un challenge dans l'hypothèse d'une non-réalisation des objectifs; que l'application d'une telle sanction pécuniaire au mépris des dispositions de l'article L. 122-42 du code du travail constitue une faute grave de l'employeur de nature à requalifier la rupture du contrat de travail en licenciement imputable à l'employeur sans cause réelle et sérieuse; que le jugement sera infirmé de ce chef.

Attendu que Jean-pierre Beaugrand avait une ancienneté dans l'entreprise de plus de 6 mois ; que la société avait plus de 11 salariés ; que le salaire brut moyen de Jean-Pierre Beaugrand s'est élevé à 10.607,16 F pour les 6 premiers mois de 95 ; que la perte de son emploi dans un contexte économique difficile justifie l'octroi de la somme de 64.000 F à titre de dommages intérêts conformément aux dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du Travail.

Attendu que la SA Monory et Fils sera en outre condamnée à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à Jean-Pierre Beaugrand et ce dans la limite de 6 mois.

Attendu que conformément aux dispositions de l'article 12 de la convention collective des VRP Jean-Pierre Beaugrand, qui a une ancienneté de plus de 2 ans, doit bénéficier d'un préavis de 3 mois ; qu'il lui est dû de ce chef la somme de 31.821,48 F outre la somme de 3.182,14 F à titre de congés payés sur le préavis.

SUR LES INDEMNITES DECOULANT DU STATUT DE VRP

Attendu que Jean-Pierre Beaugrand sollicite une indemnité spéciale de rupture et une indemnité conventionnelle de rupture.

Attendu que conformément aux dispositions de l'article 14 de l'accord interprofessionnel des VRP une indemnité spéciale de rupture est due en cas de résiliation du contrat de travail à durée indéterminée par le fait de l'employeur lorsque le représentant a renoncé au plus tard dans les trente jours de l'expiration du contrat de travail à l'indemnité de clientèle à laquelle il pouvait avoir droit ; que la rupture du contrat de travail est intervenue par courrier du 21 juillet 1995; que par lettre datée du 16 août 1995 Jean-Pierre Beaugrand a renoncé à l'indemnité de clientèle; qu'il doit dès lors bénéficier de l'indemnité spéciale de rupture; que compte tenu de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise Jean-Pierre Beaugrand doit bénéficier d'une indemnité calculée sur 8,88 mois ; que cette indemnité est calculée sur la moyenne des rémunérations des douze derniers mois à l'exclusion de la partie fixe convenue du salaire ; qu'il est dès lors dû à Jean-Pierre Beaugrand à ce titre la somme de 49.863, 10 F ;

Attendu que l'article 13 de l'accord interprofessionnel prévoit une indemnité conventionnelle de rupture au profit du représentant de commerce disposant d'une ancienneté de plus de 2 ans dans l'entreprise et âgé de moins de 65 ans; que compte tenu de l'ancienneté de Jean-Pierre Beaugrand, cette indemnité est de 4,75 mois; que le fixe du salaire s'élevait à 4.756,46 F ; qu'il lui est dû la somme de 22.593,18 F au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture.

Attendu que Jean-Pierre Beaugrand sollicite la somme de 239.391,99 F au titre de la clause de non-concurrence.

Attendu que le salarié était astreint au respect de la clause de non-concurrence figurant à son contrat de travail d'une durée de 2 ans limitée aux départements de l'Oise et de la Somme et portant sur la vente et réparations de tracteurs agricoles et ventes de pièces détachées ; qu'il a été embauché par la SA Maître dont l'activité s'exerce dans le domaine du matériel de signalisation et accessoires pour automobiles agricoles, nautiques et caravanes destiné aux grossistes et fabricants ; qu'il apparaît donc sans qu'il y ait lieu d'ordonner la production par Jean-Pierre Beaugrand de son nouveau contrat de travail, que l'activité de la SA Maître, totalement distincte de la vente et réparations de matériels agricoles, n'entre pas dans le cadre de la clause de non-concurrence imposée au salarié ;

Attendu que l'article 17 alinéa 3 du Code Civil des VRP prévoit une indemnité de 2/3 de mois en cas de durée supérieure à un an calculée sur la rémunération moyenne mensuelle des 12 mois que Jean-Pierre Beaugrand n'a pas été libéré de la clause de non concurrence ; qu'il lui est dû de ce chef la somme de 163.592,47 F ;

SUR LES RAPPELS DE SALAIRE

Attendu qu'il est justifié par la production des bulletins de paye de mai et juin 1995 de l'existence de retenues de salaire liées à un " challenge " ; que la SA Monory et Fils doit être condamnée à payer à Jean-Pierre Beaugrand la somme de 2.045 F correspondant aux prélèvement opérés ;

Attendu que Jean-Pierre Beaugrand sollicite le paiement de commissions sur la vente de matériel d'irrigation ainsi qu'un rappel de commissions sur diverses commandes.

Attendu que les commissions concernant le matériel d'irrigation concernaient des ventes réalisées directement par le directeur commercial lequel acceptait pendant un temps de rétrocéder un pourcentage de sa commission ; qu'il n'est pas établi que Jean-Pierre Beaugrand participait à la vente de ce matériel ; qu'il ne peut dès lors prétendre à un rappel de commissions de ce chef ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la production des accusés de réception des courriers adressés par le salarié à sa société sur ce point.

Attendu que Jean-Pierre Beaugrand verse aux débats des commandes ; que plusieurs de celles-ci ont été commissionnées en juillet ou régularisées en août 95.

Attendu que certaines commandes ne relevaient pas de l'activité de Jean-Pierre Beaugrand, notamment l'assurance et les pièces détachées (bons 21038 et 21029) ; que cependant plusieurs commandes lors de leur règlement n'ont pas fait l'objet de commissions ; que la SA Monory et Fils ne justifient pas des annulations de commandes concernant les bons 21659, 21660, 21664 et 21665 ; que le salarié de son côté, ne justifie pas avoir participé à la vente " Clos des Logettes ", que dès lors les sommes dues au titre du rappel de commissions s'élèvent à 13.209,98 F.

Attendu que le rappel de salaire global s'élève à 15.254,98 F auquel s'ajoute la somme de 1.525,50 F au titre des congés payés.

SUR LES AUTRES DEMANDES

Attendu qu'il convient d'ordonner la remise d'un certificat de travail conforme ainsi qu'une attestation ASSEDIC ; qu'il n'y a cependant pas lieu d'ordonner la production d'une lettre de licenciement la rupture du contrat de travail étant intervenue le 21 juillet 1995 et étant établie par la présente décision.

Attendu qu'il convient de condamner en tant que de besoin la SA Monory et Fils à régulariser la situation de son salarié auprès des caisses de retraite et de prévoyance compte tenu de la reconnaissance au profit de celui-ci du statut de VRP.

Attendu que la SA Monory et Fils qui succombe en l'essentiel de ses prétentions supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera condamnée au paiement de la somme de 4.000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure.

Attendu que la SA Monory et Fils sera déboutée de sa demande sur le même fondement.

Par ces motifs : Statuant publiquement contradictoirement, Reçoit Jean-Pierre Beaugrand en son appel régulier en la forme ; Infirme le jugement ; Statuant à Nouveau, Dit que Jean-Pierre Beaugrand bénéficie du statut de VRP ; Dit que la rupture du contrat de travail constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Déboute Jean-Pierre Beaugrand de sa demande de dommages-intérêts pour non-application du statut de VRP ; Condamne la SA Monory et Fils à payer à Jean-Pierre Beaugrand : 64.000,00 F à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; 31.821,48 F au titre du préavis ; 3.182,15 F au titre de congés payés sur le préavis ; 49.863,10 F à titre d'indemnité spéciale de rupture ; 22.593,18 F à titre d'indemnité conventionnelle de rupture ; 163.592,47 F au titre de la clause de non-concurrence ; 15.254,98 F au titre du rappel de salaire ; 1.525,50 F au titre des congés payés sur le rappel de salaire ; Ordonne la remise par la SA Monory et Fils d'un certificat de travail conforme ainsi qu'une attestation ASSEDIC ; Dit n'y avoir lieu à ordonner la production d'une lettre de licenciement ; Dit n'y avoir lieu à ordonner la production par le salarié de son contrat de travail le liant à la société Maître ainsi que les accusés de réception des lettres des 17 et 30 juin 1995 ; Ordonne en tant que besoin la régularisation par la SA Monory et Fils de la situation de son salarié au regard des caisses de retraite et de prévoyance compte tenu de la reconnaissance du statut de VRP et ce dans le délai de deux mois à compter du présent arrêt, à peine passé ce délai d'une astreinte de 100 F par jour de retard ; Condamne la SA Monory et Fils à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à Jean-Pierre Beaugrand du jour de la rupture au jour du jugement dans la limite de 6 mois d'indemnités ; Condamne la SA Monory et Fils à payer à Jean-Pierre Beaugrand la somme de 4.000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la SA Monory et Fils aux dépens de la procédure de première instance et d'appel ; La déboute de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.